Victor Hugo à vingt ans: Glanes romantiques
II
Les fiançailles et le mariage.—Les lettres de Victor à son père.—La Société littéraire de Blois.—Une pension longue à toucher.—Le colonel Louis Hugo.—La Révolte des Enfers.—Un ban à racheter.—Un mariage d'amour.
Au surplus, il avait d'autres préoccupations en tête que sa belle-mère. Il était amoureux. Le clair roman éclos sous les frais ombrages du jardin de la rue des Feuillantines touchait à son dénouement. Depuis près d'un an, au retour du voyage de Dreux, il était fiancé de fait à Mlle Adèle Foucher, la camarade des jeux de leur enfance et la gracieuse voisine de la rue du Cherche-Midi. L'autorisation de son père et une demande régulière lui importaient autrement que «l'épouse actuelle», du général, Marie-Catherine Thomas y Saëtoni.
Le vendredi 8 mars 1822, il avait écrit au général, pour lui demander son autorisation; elle lui parvenait enfin le 13 mars, et un court billet des Lettres à la Fiancée témoigne de la joie sans mélange, s'il n'y eût eu «un nuage»,—le nuage était l'intruse—de Victor-Marie Hugo[25].
[25] Lettres à la Fiancée, p. 230.
Cette année-là, M. et Mme Foucher avaient loué pour deux mois, dans la grande banlieue de Paris, à Gentilly, une maison de campagne où ils vinrent passer avril et mai. Agréé officiellement comme fiancé, à la suite de l'assentiment de son père, le poète fut autorisé à venir habiter, près de la bien-aimée, «une vieille tourelle de l'ancienne construction où il y avait une chambre, vrai nid d'oiseau ou de poète[26]». Il prenait ses repas auprès d'elle, et pouvait lui faire sa cour, à la condition expresse de ne jamais rester seul avec elle. Aussi ce qu'il ne pouvait lui dire, il le lui écrivait, et même durant les deux mois où ils vécurent presque côte à côte, la correspondance ne chôma point entre eux.
[26] Victor Hugo raconté par un Témoin de sa Vie, tome II, p. 55.
Victor Hugo, dans son autobiographie a joliment évoqué cette maison de Gentilly, le jardin où se promenaient les amoureux, leurs voisins, les fous de Bicêtre, et ce gentil garçon, amené un jour par Paul Foucher, qui avec ses douze ans et ses cheveux d'un blond de lin, «imitait un ivrogne avec une facilité et une vérité extraordinaires».
«Il se nommait Alfred de Musset[27].»
[27] Victor Hugo raconté par un Témoin de sa Vie, t. II, p. 57.
La maison existe toujours, et l'un des hommes qui connaissent le mieux Paris et ses environs, dont il s'est fait l'historiographe par excellence M. Fernand Bournon, en donnait fort élégamment ces temps derniers la description dans son état actuel[28].
[28] Fernand Bournon: Victor Hugo à Gentilly, Paris, Lucien Gougy, 1906, in-8º de 10 pp. (Publication de la Société «Les Hugophiles»).
Ces deux mois furent vite passés. En juin, les Foucher regagnèrent, rue du Cherche-Midi, l'hôtel de Toulouse, où séait le Conseil de guerre. M. Foucher en avait longtemps tenu le greffe, qu'il avait cédé, depuis quelques années, à son beau-frère M. Asseline, et y avait cependant conservé son appartement.
Le premier volume des Odes paraissait à ce moment[29]; et, de la rue du Dragon, attendant, pour que le mariage ait lieu, le versement de la pension promise sur la cassette royale, Victor Hugo avait repris sa correspondance journalière avec sa fiancée, à laquelle ne tarda point à s'en joindre une autre, assez suivie, avec son père, le général.
[29] Les Odes et Poésies diverses parurent en juin 1822, chez Pélicier, libraire, place du Palais-Royal. Il éditait, la même année, les Romances historiques traduites de l'espagnol d'Abel Hugo, qui avait été l'intermédiaire entre le poète et le libraire. Pélicier ne fit point fortune et ses affaires furent moins que brillantes. Il méritait mieux cependant, ne publia-t-il point, toujours en 1822, les premiers Poèmes d'Alfred de Vigny. Ils tenaient trop du chef-d'œuvre pour ne point passer inaperçus.
Témoin cette phrase du Figaro, du 28 mai 1829:
«Les poèmes de M. de Vigny avaient été publiés séparément, sans faste et sans prôneurs; longtemps il a fait partie des dieux inconnus de la Muse française;...»
Plus perspicace, un rédacteur anonyme du Moniteur rendit cependant compte des deux volumes à la date du 29 octobre 1822, unissant Victor Hugo et Alfred de Vigny dans l'éloge, comme ils l'étaient alors par l'amitié:
«Ils nous pardonneront, disait ce journal, de n'avoir qu'une seule couronne pour leur double triomphe; nous ne nous pardonnerions pas de l'arrêter plus longtemps sur un front que sur l'autre: ces deux talents ont une même source, le cœur; tous deux sont doués de force et de grâce; ils ont tous deux initié la poésie au secret des plus intimes émotions. La moindre préférence serait une grande injustice, et cependant, comme pour doubler nos plaisirs en les variant, si tout est égal entre eux, rien n'est pareil, ni le système de composition, ni la facture du vers, ni le coloris, ni les mouvements du style.»
Léon Séché: Alfred de Vigny et son temps. Paris, A. Juven, S. D. in-8º de XV; 376 pp., p. 107.
L'écriture de ces lettres est courante, assez fine même. Ce n'est point encore l'écriture définitive, si connue du maître. Çà et là cependant, des hampes de lettres, fortement appuyées, égratignant presque le papier, en trahissent déjà la griffe.
Elles sont simplement signées Victor,—un et quatre ans plus tard et dans deux lettres seulement apparaîtront les initiales V. M. H.,—le prénom du poète entouré d'un paraphe délié, et sont d'abord adressées.
«A Monsieur
Monsieur le général Hugo
à sa terre de Saint-Lazare,
près Blois.»
Le plus souvent, Victor tient la plume pour ses frères, donne de leurs nouvelles, excuse leur silence et rappelle au père la pension dont les mensualités ne sont pas toujours exactement servies.
Abel est très occupé, Eugène toujours bizarre—le roman se vivait, hélas! en partie double—la correspondance est impartie au plus jeune. Nul ne saurait mieux flatter l'orgueil du père, puis par Paris, et jusqu'à Meudon,—encore qu'on n'en fût plus au Voyage de Paris à Saint-Cloud par mer, c'était encore presque une expédition!—il faisait si bien les courses du général, et elles étaient nombreuses.
Non content de lire et d'écrire, (il lui faut savoir gré de ne s'être point attelé à une traduction d'Horace ou des Géorgiques), le général a eu l'inconsciente ironie de vouloir fonder, à Blois, une société littéraire! Et l'on ne saurait croire combien de pas et démarches il faut, pour ne point aboutir à faire autoriser par le gouvernement une telle chimère.
Littéraire ou non, nulle société n'avait, cette année-là, chance d'être autorisée. Saumur, Belfort, La Rochelle, trois conspirations militaires avaient marqué l'année 1822. Condamnations et exécutions: les hommes de 1815, revenus au pouvoir, s'étaient montrés implacables. L'on poursuivait jusqu'à Béranger, et un autre chansonnier, Eugène de Pradel, se voyait, en mai, condamner à six mois de prison.
Victor ne se rebute point cependant. Du ministère de l'Intérieur, où M. Lelarge de Lourdoueix[30] présidait à la division des beaux-arts, sciences et belles-lettres, à la direction de la police, que M. Franchet-Desperey[31] devait à son mariage avec la cadette des Sainte-Luce, il voit de près et peut admirer les rouages de notre administration. C'est presque un chapitre de Courteline: un dossier perdu.
[30] Jacques-Honoré Lelarge de Lourdoueix, né en 1787 au château de Beaufort, près Boussac (Creuse). Après avoir fait ses études à l'ancien collège de Pont-Levoy (Loir-et-Cher), et un court passage dans l'administration, il se vit confier la rédaction de la Gazette de France, qu'il quitta momentanément pour prendre en 1821 la direction de la division des beaux-arts, sciences et belles-lettres au ministère de l'Intérieur. Démissionnaire à la chute de M. de Villèle et à l'avènement du ministère Martignac, il devint à la Gazette de France le collaborateur de M. de Genoude, à qui il succéda en 1849. Il est mort à Paris, en 1860.
[31] Franchet Desperey, fils de cultivateurs des environs de Lyon où il était né vers 1775. Après des emplois infimes, poussé par la congrégation et servi par les relations du roi de Prusse avec la famille de Sainte-Luce, s'était vu appeler en 1821 à la direction générale de la police par le ministère Villèle. Fanatique et ultramontain, accusé d'avoir organisé avec le préfet Delaveau les massacres de la rue Saint-Denis (19-20 novembre 1827), il dut quitter la direction de la police à l'arrivée au pouvoir de M. de Martignac. Les ordonnances de juillet le nommèrent conseiller d'État et membre du conseil privé. La Révolution de 1830 mit un terme à cette faveur. Il se retira en Prusse, où sa belle-sœur, l'aînée des Sainte-Luce avait épousé un général.
Puis, c'est, bien naturelle, son impatience de voir se terminer ses affaires aux ministères—toujours la pension promise—pour pouvoir épouser celle qu'il aime, et toujours également le soin qu'il a de recommander ses frères, ce pauvre Eugène surtout, à la sollicitude et à la... générosité du général.
Celui-ci n'est riche que de cédules hypothécaires du roi Joseph, moins que des châteaux en Espagne, la pension des fils s'en ressent, semble-t-il. Mais qu'importe, la première édition des Odes s'épuise avec une rapidité que le poète n'osait espérer. Il songe déjà à une seconde. En vendrait-on, à Blois?
Paris, 4 juillet 1822.
Mon cher papa,
Je mettais à suivre la demande de la Société autant d'activité que le bureau des belles-lettres y mettait de lenteur. Enfin, il y a quelques jours M. de Lourdoueix m'annonça qu'il fallait m'adresser aux bureaux de M. Franchet, c'est-à-dire à la police générale; il me demanda en outre la liste des membres que je ne pus lui donner: puis il ajouta que du reste, puisqu'elle était recommandée par moi, la Société de Blois était sans doute composée de manière à ne pouvoir inquiéter le gouvernement. Je crus pouvoir lui en donner l'assurance et il me dit que très probablement, dans le moment de troubles où nous sommes, l'approbation de l'autorité dépendrait de la composition de la Société.
Je me rendis d'après son indication aux bureaux de la direction de la police, où l'on me promit de faire des recherches. Hier j'y suis retourné et le chef de bureau auquel a dû être renvoyée la demande (qui est je crois celui de l'ordre) m'a déclaré l'avoir cherchée en vain et n'en avoir jamais entendu parler. Il paraît donc qu'elle s'est égarée de l'un à l'autre ministère. Il m'a conseillé d'en faire expédier sur-le-champ une autre accompagnée de la liste de MM. les membres et des statuts; car c'est d'après ces pièces que doit décider le ministre, lequel, m'a-t-il dit, accorde très difficilement ces sortes de demandes dans l'instant de crise où nous sommes.
Je m'empresse de te rendre fidèlement compte de tous ces détails, cher papa, afin que tu te consultes sur ce que tu veux faire. Tu me trouveras toujours prêt à te seconder de tout mon faible pouvoir.
D'après ton désir je suis retourné chez M. le général d'Hurbal que je n'ai point trouvé chez lui. J'ai demandé son adresse à Meudon, et j'irai, quoiqu'on m'ait dit qu'il était assez difficile de le rencontrer parce qu'il fait de fréquentes excursions.
Puisque l'eau de Barèges te fait du bien, je te prie d'en continuer l'usage. Il faut espérer que les palpitations dont tu te plains disparaîtront tout à fait avec du repos et du bonheur.
Pour moi, mon bon et cher papa, je vois le moment du mien approcher avec la fin de mes affaires aux ministères, mon impatience est grande, et tu le comprendras. Quand j'aurai tout reçu de toi, comment pourrai-je m'acquitter?
Je croyais t'avoir dit qu'Eugène n'avait d'autre ressource que la pension que tu lui fais, en attendant qu'il s'en soit créé par son travail. C'est pour cela que je le recommandai si souvent à ta générosité. Nul doute qu'en se refroidissant il ne sente toute la reconnaissance qu'il te doit.
Nous supporterons encore le sacrifice que la nécessité t'oblige de nous faire supporter. Nous ne doutons pas que puisque tu le fais, c'est que tu ne peux autrement.
Adieu, cher papa, j'attends avec impatience ton poëme et les conseils que tu m'annonces. Je te remercie vivement de toute la peine que je te cause. Ils pourront m'être fort utiles pour ma seconde édition à laquelle je vais bientôt songer, car celle-ci s'épuise avec une rapidité que j'étais loin d'espérer. Crois-tu qu'il s'en vendrait à Blois?
Le papier me manque pour te parler de mes grands projets littéraires, mais non pour te renouveler la tendre assurance de mon respect et de mon amour. Je t'embrasse.
Ton fils soumis,
Victor.
J'ai envoyé au colonel[32] un exemplaire avant d'avoir reçu ta lettre.
[32] Le colonel, Louis-Joseph Hugo, né le 14 février 1777, mort en 1854. Promu officier de la Légion d'honneur par la même ordonnance que son frère, 14 février 1815, il reçut les étoiles de brigadier, et commanda longtemps comme tel la subdivision de la Corrèze. Il laissa deux enfants. Son fils Léopold, après avoir préparé Saint-Cyr où il ne fut pas admis, vécut et mourut en Corrèze. Devenue veuve, sa fille Marie Hugo entra au Carmel de Tulle, où elle devint Sœur Marie-Joseph de Jésus et où elle est morte en 1906. Elle n'était point tellement retirée du monde qu'elle n'écrivît des lettres charmantes, quand elle pouvait rendre un service, et au cours desquelles elle aimait à évoquer des souvenirs de son enfance et de sa jeunesse et à citer des vers de son oncle Victor Hugo.
L'amoureux avait bien l'autorisation officieuse de son père d'épouser Mlle Foucher, mais aucune demande officielle n'avait été faite encore.
A sa prière, le général lui a adressé la lettre, demandant la main d'Adèle, qu'il remettra lui-même à M. Foucher, lorsque enfin la pension royale sera autre chose qu'une promesse. Les temps semblent proches. Son cœur déborde envers son père de reconnaissance, ce pendant que, par les gazettes, il semble assurer le service de presse du Journal de Thionville.
Le nuage ne crève pas, mais menace. Victor a, jusqu'ici, négligé de joindre à ses lettres toute formule de politesse vis-à-vis de la seconde Mme Hugo. Le général s'en est plaint sans doute; et de façon assez désinvolte, Victor s'en excuse: il n'a «contre son épouse actuelle aucune prévention, n'ayant pas l'honneur de la connaître».
Mon cher Papa,
Ta lettre a comblé ma joie et ma reconnaissance. Je n'attendais pas moins de mon bon et tendre père. Je sors de chez M. de Lourdoueix; il doit sous très peu de jours me fixer un terme précis, alors je montrerai ta lettre à M. et à Mme Foucher. Ainsi je te devrai tout, vie, bonheur, tout. Quelle gratitude n'es-tu pas en droit d'attendre de moi, toi, mon père, qui as comblé le vide immense laissé dans mon cœur par la perte de ma bien-aimée mère!
Je doute, pour ce qui concerne la pension que je viens d'obtenir à la maison du Roi, qu'on me rappelle le trimestre de juillet, alors elle ne courrait qu'à dater du 1er octobre, ce qui remettrait mon bienheureux mariage à la fin de septembre. C'est bien long, mais je me console en pensant que mon bonheur est décidé. Quand l'espérance est changée en certitude, la patience est moins malaisée. Cher papa, si tu savais quel ange tu vas nommer ta fille!
J'attends toujours bien impatiemment ton poëme, et je ferai des exemplaires du Journal de Thionville l'usage que tu m'indiques. Un Espagnol, nommé d'Abayma, qui m'est venu voir hier m'a parlé de mon père, de manière à m'en rendre fier, si je ne l'avais pas déjà été.
Je n'ai aucune prévention contre ton épouse actuelle, n'ayant pas l'honneur de la connaître. J'ai pour elle le respect que je dois à la femme qui porte ton noble nom, c'est donc sans aucune répugnance que je te prierai d'être mon interprète auprès d'elle, je ne crois pouvoir mieux choisir. N'est-il pas vrai, mon excellent et cher papa?
Adieu, pardonne à ce griffonnage, c'est ma reconnaissance, c'est ma joie qui me rendent illisible. Adieu, cher papa, porte-toi bien et aime ton fils heureux, dévoué et respectueux,
Victor.
Paris, 26 juillet.
Je tâcherai de remettre en personne ta lettre au général d'Hurbal.
Je renouvelle mes démarches pour la Société de Blois.
Dans ma prochaine lettre, je te parlerai de tous les travaux auxquels le bonheur va me permettre de livrer un esprit calme, une tête tranquille et un cœur content. Tu seras peut-être satisfait. C'est au moins mon plus vif désir.
Le poète des Odes continue à assurer, à Paris, le service de presse du Journal de Thionville,—un exemplaire en a été remis au rédacteur du Dictionnaire des Généraux français—et à prêter son appui aux difficultueux débuts de la Société littéraire de Blois.
Le général, non content de manier la prose, «sacrifie aux muses». Il a envoyé à son fils une copie de son poème, la Révolte des Enfers. Victor Hugo se montre moins sévère que dans le Conservateur littéraire. Il a lu et relu les alexandrins paternels—les Mémoires du Général valaient beaucoup mieux,—s'extasie devant un vers assez médiocre, et admire que son père ait «mis si peu de temps à faire» ce «joli poëme».
Mon cher Papa,
Au moment où je commence cette lettre, on m'apporte l'argent du mois. Les 36 francs qui y sont joints seront remis aujourd'hui même à leur destination. Les exemplaires de l'intéressant Journal de Thionville que tu destinais à l'Académie des Sciences et au rédacteur du Dictionnaire des Généraux français sont déjà parvenus à la leur.
J'ai reçu en même temps que ta dernière lettre un paquet de M. le Secrétaire de la Société de Blois. J'aurai l'honneur de lui répondre directement dès que les nouvelles démarches que je viens d'entreprendre m'auront donné un résultat quelconque. Il est tout simple, cher Papa, que j'apporte beaucoup de zèle à cette affaire: tu y prends intérêt.
Je me hâte d'en venir à ton ingénieux poëme; il me tardait de te dire tout le plaisir que j'ai éprouvé à le lire. Je l'ai déjà relu trois fois et j'en sais des passages par cœur. On trouve à chaque page une foule de vers excellents tels que et vendre à tout venant le pardon que je donne et de peintures pleines de verve et d'esprit comme celle de Lucifer prenant sa lunette pour observer l'ange. Plusieurs de mes amis, qui sont en même temps de nos littérateurs les plus distingués, portent de ton ouvrage le même jugement que moi. Tu vois donc bien, cher papa, que je ne suis pas prévenu par l'amour profond et la tendre reconnaissance que je t'ai vouée pour la vie.
Ton fils soumis et respectueux,
Victor.
Paris, 8 août.
Je crois en vérité M. le général d'Hurbal introuvable. J'ai été à Meudon inutilement. J'espère être plus heureux un de ces jours.
J'attends toujours un mot de M. de Lourdoueix qui ne peut se faire attendre maintenant que la session est presque finie.
Encore un mot, cher papa, malgré l'heure de la poste qui me presse, je ne puis m'empêcher de te dire combien il m'a semblé remarquable que tu aies mis si peu de temps à faire ton joli poëme. Parle-moi de ta santé, de grâce, dans ta prochaine. Ce projet d'aller passer les vendanges près de toi était charmant, j'y ai reconnu toute ta bonté; mais il faut remettre ce bonheur à l'année prochaine, rien alors ne l'entravera.
Le gouvernement se montre peu disposé à accorder à la Société littéraire de Blois l'autorisation sollicitée, d'autant que «MM. les Députés qui s'étaient chargés d'appuyer la demande ne l'ont fait que très faiblement».
Toutefois, on a indiqué au poète un biais—on a, à la direction de la police, l'ironie facile—pour suppléer à cette faveur. La société peut se passer d'être autorisée, ne comptant pas vingt membres. Et, de fait, elle disparut, sans avoir jamais atteint ce chiffre.
Que M. de Chateaubriand revienne au pouvoir[33], Victor aura plus de crédit et se fait fort d'obtenir de lui les droits à la littérature de la ville de Blois.
[33] Chateaubriand n'avait pas seulement été disgracié, mais désavoué par Louis XVIII qui avait cru devoir donner à son mécontentement une publicité pour le moins singulière: «Le vicomte de Chateaubriand ayant dans un écrit imprimé, élevé des doutes sur notre volonté personnelle, manifestée par notre ordonnance du 5 septembre, nous avons ordonné ce qui suit: le vicomte de Chateaubriand cesse, de ce jour, d'être compté au nombre de nos ministres d'État.»
La réaction qui suivit l'assassinat du duc de Berry avait mis fin à cet imbroglio. Avec le ministère Villèle, Chateaubriand acceptait l'ambassade de France à Londres, accompagnait M. de Montmorency au congrès de Vérone (15 octobre 1822), et après la démission de celui-ci, le portefeuille des Affaires étrangères par ordonnance du 28 novembre... Non moins cavalièrement, on verra à la suite de quels événements, ce portefeuille devait lui être retiré le 6 juin 1824.
Il connaît en ce moment l'ennui des formalités administratives qui accompagnent les actes principaux de la vie. Des papiers lui manquent, son père pourrait-il lui procurer une copie de son acte de naissance et un extrait de baptême.
Ne perdant pas le nord, le «bon oncle Louis», le colonel Louis Hugo, commandant le bureau de recrutement de Tulle, a déjà écrit à son neveu pour mettre à profit le crédit au ministère de la Guerre de M. Foucher, son futur beau-père.
Mon cher Papa,
Il y a déjà longtems que j'aurais répondu à ta bonne et chère lettre, si je n'avais désiré te marquer en même tems le résultat définitif de mes démarches pour la Société de Blois. Il n'est pas tel que tu le désirais et c'est une peine qui se mêle au plaisir de t'écrire. Tu sais que le dossier de la Société fut renvoyé (selon l'usage, à ce qu'il paraît) dans les bureaux de la direction générale de la police. Après plusieurs démarches dans ces bureaux, j'obtins enfin il y a quelque tems cette réponse de M. Franchet que le gouvernement ne jugeait pas à propos d'accorder en ce moment aucune autorisation de ce genre; que d'ailleurs la Société de Blois n'étant composée actuellement que de quatorze membres pouvait se passer de cette autorisation, laquelle ne lui deviendrait nécessaire qu'autant qu'elle en porterait le nombre au delà de vingt, cette réponse me fut donnée comme irrévocable. Sentant néanmoins ce qu'elle avait de peu satisfaisant pour la Société, j'ai voulu, avant de te l'envoyer, remonter jusqu'au ministre de l'Intérieur, qui n'a fait que me confirmer d'une manière décisive la réponse du directeur de la police. Je me hâte donc, bien à regret, de t'en faire part. Je pense du reste, mon cher papa, que la Société ne doit pas se décourager. L'obstacle opposé par le gouvernement passera avec les événemens qui le font naître, et d'ailleurs, si jamais M. de Chateaubriand arrivait au ministère, je ne désespérerais pas de le faire lever pour peu que tu le désirasses encore. J'aurais alors, par le moyen de cet illustre ami, un peu plus de crédit. Veuille, je te prie, mon cher papa, transmettre tous ces détails à M. le Secrétaire de la Société, auquel j'aurais eu l'honneur d'écrire si selon mon vif désir, j'avais eu de bonnes nouvelles à vous annoncer. Pour ne rien te cacher, je te dirai très confidentiellement que MM. les députés qui s'étaient chargés d'appuyer la demande ne l'ont fait que très faiblement. Pour moi, j'ai fait bien des pas et des démarches inutiles: mais je n'en aurais, certes, aucun regret, si j'avais réussi.
Maintenant, cher papa, c'est toi que je vais importuner. Tout annonce que mes affaires à l'intérieur vont enfin se terminer et que mon bonheur va commencer. Mais il me faudra mon acte de naissance et mon extrait de baptême. Je m'adresse à toi, mon bon et cher papa, ne connaissant personne à Besançon, je ne sais comment m'y prendre pour obtenir ces deux papiers. Ta bonté inépuisable est mon recours. Je voudrais les avoir dès à présent, car si j'attendais encore, je tremblerais qu'ils n'apportassent du retard à cette félicité qui me semble déjà si lente à venir. Moi qui connais ton cœur, je sais que tu vas te mettre à ma place; pardonne-moi de te causer encore ce petit embarras. Tu nous avais envoyé il y a quatre ans nos actes de naissance: mais en prenant nos inscriptions de droit, nous avons dû les déposer au bureau de l'école, selon la loi, et la loi s'oppose à ce qu'on les restitue. Tu me rendrais donc bien heureux en me procurant cette pièce avec mon extrait de baptême, nécessaire pour l'église, comme tu sais.
Adieu, cher et excellent papa, l'offre que tu me fais dans ta charmante lettre de m'envoyer des vues de Saint-Lazare, dessinées par toi, me comble de joie et d'une douce reconnaissance. Il me serait bien doux de pouvoir placer des ornements aussi chers dans l'appartement qui sera témoin de mon bonheur. Réalise, je t'en prie, cette promesse à laquelle j'attache un si haut prix.
Réponds-moi le plus tôt possible, et parle-moi beaucoup de ta santé, de tes occupations et de ton affection pour tes fils, que peuvent à peine payer tout le respect et tout l'amour de ton
Victor.
Paris, 31 août 1822.
Mon bon oncle Louis m'a écrit pour un objet qui le concerne et dont M. Foucher s'occupe activement. Je lui transmettrai la réponse dès que je l'aurai.—Nous t'embrassons tous ici bien tendrement. Je pense que tu lis à Blois les journaux qui parlent de mon recueil, si tu le désires, je t'enverrai ceux qui me tombent entre les mains. Je lis et relis ton joli poëme de la Révolte des Enfers.—Parle-moi, je te prie, de ce que tu fais en ce moment. Tu sais combien cela m'intéresse et comme fils et comme littérateur.
Pardonne à mon griffonnage; je t'écris avec une main malade: je me suis blessé légèrement avec un canif, ce ne sera rien. Adieu, cher papa, je t'embrasse encore.
La demande officielle du général Hugo a été remise à M. Foucher, qui a fait la réponse en partie reproduite par Mme Hugo[34]. La pension ne peut tarder, mais le général fait attendre à ses fils le mois de la leur. Avec toutes les formes possibles, Victor signale à son père ce gênant oubli. Ne lui sont pas encore parvenus également son extrait de naissance et le consentement légalisé du général.
[34] Victor Hugo raconté par un Témoin de sa Vie, pp. 59-60.
Paris, 13 septembre 1822.
Mon cher papa,
M. de Lourdoueix m'ayant donné sa parole d'honneur que ma pension de l'intérieur me serait assignée durant l'administration intérimaire de M. de Peyronnet[35], j'ai remis ta lettre à M. Foucher et tu as dû recevoir sa réponse. Nous n'attendons plus que ton consentement légalisé.
[35] Charles-Ignace de Peyronnet, né à Bordeaux en 1775, devait à Madame, dont il avait protégé la fuite à Bordeaux, et à Mme du Cayla qu'il avait fait triompher, en appel, de son mari, à Bourges, sa scandaleuse fortune. Successivement président du tribunal de Bordeaux (1816), procureur général à Bourges, puis à Rouen, poste dont il ne prit pas possession, la Restauration en fît un garde des sceaux, le 21 décembre 1821 et le créa comte le 17 août 1822. Son nom reste attaché à toutes les mesures rétrogrades ou restrictives soutenues par lui devant la Chambre des députés, non sans provoquer parfois son hilarité par le décousu et la vulgarité de son éloquence. Il tomba avec le ministère Villèle, le 6 décembre 1827, fut nommé pair de France par ordonnance du 5 janvier 1828, contresigna comme ministre de l'Intérieur du cabinet Polignac après son remaniement (19 mai 1830) les ordonnances du 25 juillet; mis en accusation et condamné à la détention perpétuelle par la Chambre des Pairs (19 décembre 1830) il fut grâcié en 1834 et mourut en 1854.
Cher papa, n'attribue le silence d'Abel qu'à la multiplicité de ses occupations, je lui ai communiqué ta lettre, et il va s'empresser de dissiper lui-même un doute aussi affligeant pour ton cœur.
Si je n'ai pas été baptisé à Besançon, je suis néanmoins sûr de l'avoir été, et tu sais combien il serait fâcheux de recommencer cette cérémonie à mon âge. M. de Lamennais[36], mon illustre ami, m'a assuré qu'en attestant que j'ai été baptisé en pays étranger (en Italie), cette affirmation accompagnée de la tienne suffirait. Tu sens combien de hautes raisons doivent me faire désirer que tu m'envoies cette simple attestation.
[36] Voir la lettre écrite de la Chenaie à Victor Hugo à l'occasion de son mariage (Victor Hugo raconté..., tome II, p. 60-61).
Nous sommes au 13, mon cher papa, et je n'ai pas encore reçu notre mois. Ton exactitude à prévenir les besoins de tes fils me rend certain que la négligence ne vient que des messageries. Mais je t'en avertis, cher papa, sûr que tu t'empresseras de faire cesser notre gêne.
Adieu, mon excellent père, je t'aime, je t'embrasse et je fais les vœux les plus ardens pour te voir et te voir bien portant.
Ton fils tendre et respectueux,
Victor.
L'attestation de baptême est parvenue, seul le consentement légalisé du général manque encore. Son fils le presse de le lui adresser. Il voudrait bien que la publication des bans commence le dimanche suivant—demande même à son père d'en racheter un dans sa paroisse, à Blois—afin que le mariage puisse avoir lieu vers le 7 ou le 8 octobre.
L'impatience très naturelle du fiancé n'est pas seule en jeu: une question d'appartement s'y mêle: il a donné congé du sien pour le 8 octobre et voudrait éviter les ennuis et les frais de deux déménagements successifs.
Victor Hugo, ainsi que ses futurs beaux-parents, regrette vivement qu'un accident empêche le général d'assister au mariage et de prendre part aux frais de la noce. Mais, il faut qu'il y ait là une absolue nécessité. Le père doit à ses fils un mois arriéré de leur pension, il le prie de le leur envoyer et il le supplie de la continuer à Abel et à Eugène—ce dernier «était un peu fou» quand il a écrit au général. Pour lui, il ne l'importunera plus de ses besoins, à la pension qu'il va toucher s'en ajoutera bientôt une nouvelle, et il compte redoubler de travail et de veilles.
Mon cher papa,
Je te réponds courrier par courrier pour te remercier de l'attestation que tu m'envoies et te prier de mettre autant de célérité à me faire parvenir ton consentement notarié. Je désirerais bien vivement que mon mariage pût avoir lieu le 7 ou le 8 octobre pour un motif impérieux (entre tous les motifs de cœur qui, tu le sais, ne le sont pas moins), c'est que je quitte forcément l'appartement que j'occupe le 8 octobre. J'ai donc prié M. et Mme Foucher de faire commencer la publication des bans dimanche prochain 22, elle se terminera le dimanche 6 octobre. Mais ces bans doivent être également publiés à ton domicile, et il faut que le 6 octobre on ait reçu à notre paroisse de Saint-Sulpice la notification de la complète publication des bans à Blois, ce qui ne se pourrait faire qu'autant que tu serais assez bon pour racheter un ban à ta paroisse. Ce rachat coûte cinq francs ici, on m'assure qu'il doit être moins cher encore à Blois. Tu sens, mon cher papa, combien est urgente la nécessité qui me fait t'adresser cette instante prière. Il s'agit de m'épargner l'embarras et la dépense de deux déménagements coup sur coup dans un moment qui entraîne déjà naturellement tant de dépenses et d'embarras, il s'agit de plus encore, c'est de hâter mon bonheur de quelques jours, et je connais assez ton cœur pour ne plus insister.
Je suis tout à fait en règle, j'ai fait lever sur l'extrait de naissance déposé à l'école de droit une copie notariée qui vaut l'original, quand ton consentement me sera parvenu, je pourrai remplir toutes les formalités civiles. Le papier que tu m'envoies aujourd'hui suffit également pour les formalités religieuses.
Les noms et prénoms de ma bien-aimée fiancée sont Adèle-Julie Foucher, fille mineure de Pierre Foucher, chef de bureau au ministère de la Guerre, chevalier de la Légion d'honneur, et d'Anne-Victoire Asseline. Ces renseignements te seront nécessaires pour la publication des bans.
Nous avons tous bien vivement regretté ici, mon cher et excellent papa, que cet accident arrivé à ton élève (?) nous privât du bonheur de te voir prendre part et ajouter par ta présence à tant de félicité. Il est inutile de te dire combien ton absence me sera pénible; mais je me dédommagerai quelque jour, j'espère, d'avoir été si longtems sevré de la joie de t'embrasser.
Il est malheureux encore, cher papa, que cet accident te prive de contribuer aux sacrifices que vont faire M. et Mme Foucher. Je ne doute pas qu'il n'y a que l'absolue nécessité qui puisse t'imposer cette économie, et je suis sûr que ton cœur en sera le plus affligé. Tâche, cependant, de nous envoyer le plus tôt possible le mois arriéré. Tu sens combien je vais avoir besoin d'argent dans le moment actuel. Je te supplie encore, bon et cher papa, de faire tout ton possible pour continuer à mes frères Abel et Eugène leur pension, n'oublie pas qu'Eugène était un peu fou quand il t'a écrit, et donne-lui, si tu le peux, cette nouvelle preuve de tendresse généreuse et paternelle. Pour moi je ne t'importunerai pas de mes besoins; à dater du 1er octobre, ma pension me sera comptée, l'autre ne tardera pas sans doute, et quoique ce moment-ci m'entraîne nécessairement à beaucoup de frais, en redoublant de travail et de veilles, je parviendrai peut-être à les couvrir. Le travail ne me sera plus dur désormais, je vais être si heureux!
Permets-moi en finissant, mon cher et bien cher papa, de te rappeler combien sont importantes toutes les prières que je t'adresse relativement à l'envoi de ton consentement légal, à la publication et au rachat des bans dans ta paroisse.
Adieu, pardonne à ce griffonnage et reçois l'expression de ma tendre et profonde reconnaissance.
Ton fils soumis et respectueux,
Victor.
Paris, 18 septembre 1822.
J'ai été obligé de rectifier une erreur d'inadvertance dans la pièce que tu m'envoies, je suis né le 26 février 1802 et non 1801.
M. et Mme Foucher sont bien sensibles à tout ce que tu leur dis d'aimable. Tu verras un jour quel présent ils te font quand je t'amènerai ta fille.
Je t'enverrai incessamment tous ceux que j'ai pu me procurer des journaux qui ont parlé de mon recueil. Il continue à se bien vendre et dans peu les frais seront couverts. C'est une chose étonnante dans cette saison.
Le général n'a pas racheté, paraît-il, le ban qui devait permettre au mariage d'avoir lieu à la date désirée. Son fils d'en être très contrarié et de le presser à nouveau.
Mon cher papa,
En prévoyant combien je serais contrarié du retard que tu m'annonces, tu ne t'es pas trompé. Je m'empresse aujourd'hui de t'écrire quelques mots pour te prier très instamment de faire au moins en sorte que le certificat de publication de bans m'arrive vendredi matin (11 octobre) avant onze heures. Le jour du mariage est fixé au samedi 12, et toutes les raisons que je t'ai détaillées déjà empêchent qu'il ne soit retardé d'un jour. Je recommande tout cela à cette diligence qui me prouve ta tendresse et je finis en t'embrassant.
Ton fils soumis et respectueux,
Victor.
Abel va te répondre incessamment et t'embrasse ainsi qu'Eugène. Excuse ce griffonnage.
Ce 3 octobre 1822.
Réponds-moi, je te prie, au sujet de la demande que je te fais dans cette lettre le plus tôt possible.
Ici, s'intercale parmi les lettres de Victor Hugo, une lettre, d'une écriture serrée et soignée, presque commerciale, à tous points de vue intéressante, de son oncle, le colonel Louis Hugo.
Leurs châteaux en Espagne, c'est-à-dire les cédules hypothécaires du roi Joseph, le préoccupent autant que son frère: quoique désespérant, comme Oronte, il espère toujours.
Il a fait quelques observations à son neveu sur son mariage, le trouvant bien jeune pour s'établir et lui conseillant d'attendre, pour cela, d'avoir trouvé «une bonne place».
Victor Hugo l'a rassuré: il aura bientôt 3.000 francs de revenu, tant du produit de son travail que de la pension qui va lui être servie... comme membre de l'Académie des Jeux Floraux[37].
[37] Cette pension servie aux membres de «la seconde Académie du royaume» n'ayant point laissé de me surprendre, il m'a paru intéressant de m'adresser à l'Académie elle-même, pour savoir si jamais ses membres avaient été l'objet de cette libéralité royale.
La réponse fut fort aimable, mais négative, comme je m'y attendais:
Académie
des
Jeux Floraux
Toulouse, 2 décembre 1906.
Monsieur,
L'Académie vient seulement de reprendre ses travaux. De là le retard de ma réponse; vous voudrez bien nous en excuser.
Jamais le titre de membre de l'Académie des Jeux Floraux n'a donné droit à pension de la cassette royale, et Victor Hugo dont vous parlez ne se sert évidemment pas de termes d'une rigoureuse exactitude.
J'ajoute,—pour vous renseigner très complètement,—que Victor Hugo, après avoir obtenu divers prix à plusieurs concours de l'Académie, fut déclaré maître ès-jeux. Il n'appartint pas à notre Compagnie comme mainteneur.
Veuillez, Monsieur, me permettre de saisir cette occasion pour vous prier d'agréer l'expression de mes très distingués sentiments.
Le mainteneur, secrétaire des Assemblées.
G. Depeyre.
Les Jeux Floraux n'avaient donc rien à voir dans cette pension. Elle a été accordée à Victor Hugo, en septembre 1822, par Louis XVIII, «sur la proposition de M. le Marquis de Lauriston, alors ministre de la maison du roi, et sur la recommandation spéciale de S. A. R. Madame, duchesse de Berry, transmise au ministre par Mme la maréchale, duchesse de Reggio».
Une lettre de Victor Hugo, adressée en 1826 à M. le vicomte de la Rochefoucauld, aide de camp du roi, chargé du département des beaux-arts, et reproduite par Edmond Biré (p. 397), spécifie ces détails et ne permet à ce sujet aucun doute.
Le colonel a cru devoir s'incliner, conseille au général de l'imiter et,—un post-scriptum de Victor Hugo a antérieurement révélé ce détail—a mis aussitôt à profit la situation de M. Foucher au ministère de la Guerre pour tâcher d'éviter sa mise à la retraite.
Le colonel a fait de suite, par la voie hiérarchique, une demande, pour quitter le bureau de recrutement où il est détaché et rentrer en activité de service.
Cette lettre, scellée d'un cachet portant les initiales L. H., est adressée:
A Monsieur
Monsieur Le Chevalier Hugo
Maréchal de camp des Armées du Roi
à Saint-Lazare,
Blois.
J'ai reçu en son tems, mon bon ami, ta lettre du 9 septembre à laquelle tu avais joint deux lettres à mon adresse que tu avais reçues de M. Bourg. Il paraît d'après leur contenu que toutes nos espérances sur l'Espagne sont tout à fait perdues. Cependant je ne pense pas que nous puissions entièrement renoncer à nos prétentions; attendu que si la lutte politique qui est engagée en ce moment dans ce pays tourne à l'avantage des constitutionnels[38]: ce nouveau Gouvernement pour se faire des amis voudra peut-être contenter tout le monde; conséquemment comme il y a beaucoup d'Espagnols qui sont porteurs de cédules hypothécaires du roi Joseph, il est présumable que l'on prendra un parti à leur égard, dès lors, on pourra donner un cours à ses papiers, ce qui fera reprendre un peu les nôtres.
[38] Écrite huit jours avant le congrès de Vérone, cette lettre n'en pouvait prévoir les résultats et la prochaine intervention de la France en Espagne pour y rétablir les droits que Ferdinand avait en partie abdiqués, contraint, en 1820, de rétablir la constitution de 1812.
Une chose qui me semble encore en notre faveur, c'est que la commission chargée de l'exécution des conventions du 25 avril 1818 et du 30 avril 1822 avait été créée avant la dernière révolution qui s'est oppérée (sic) à Madrid. Depuis il a été question aux Cortes, de mettre un terme à toutes ces réclamations dont le Gouvernement était accablé. Donc il faudrait en attendre les résultats.
J'avais fait à Victor quelques observations sur ses projets futurs de mariage, je lui disais qu'il était bien jeune encore pour songer à s'établir, que ta position ne te permettait pas de faire de grands sacrifice (sic) dans cette circonstance, et que par conséquent il ferait bien d'attendre qu'il eût obtenu une bonne place qui le mette à même de pouvoir vivre honorablement avec son Épouse. De manière qu'il m'a répondu ce qui suit: «Je te remercie, cher oncle, des conseils que tu me donne (sic) et de l'intérêt que tu me témoigne (sic) à l'occasion de mon très prochain mariage avec la fille de M. Foucher, Mlle Adèle Foucher. Toutes les aimables inquiétudes que tu me témoigne (sic) pour mon avenir cesseront quand tu sauras qu'avant deux mois j'aurai près de 3.000 francs de revenu par moi-même, tant du produit de mes ouvrages, que de la pension qui est attachée au titre de membre de la Seconde académie du Royaume. Tu sais, mon cher Oncle, qu'en 1820 après avoir remporté trois prix successifs j'ai été nommé membre de l'Académie des jeux floraux. La pénurie de la cassette royale m'avait empêché jusqu'ici de toucher ma pension, mais j'ai tout lieu de croire qu'à dater du 1er octobre elle me sera comptée.»
Tu vois, d'après cela, mon ami, qu'avec de la conduite et des mœurs aussi douce (s) que celle (s) de Victor, il peut, par la suite, avoir une très belle existance (sic). Il paraît que son futur mariage est un mariage d'inclination et que Mlle Foucher est très bien élevée: or il faut laisser aller la chose et faire des vœux pour qu'ils soient heureux.
J'avais aussi prié Victor de s'informer, près de M. Foucher, s'il pensait que cette mission à Tulle ne serait pas un titre d'exception pour ma mise à la retraite quoique n'ayant pas atteint mes cinquante ans d'âge.
Voici un passage de sa lettre:
«Il est très vrai que MM. les colonels employés dans les conseils de recrutement ne sont pas considérés comme en activité, il est très vrai également que le désir d'éteindre les demi-soldes fait qu'on s'empresse de mettre à la retraite tous les officiers qui remplissent les conditions demandées, quelque jeunes qu'ils puissent d'ailleurs être encore. M. Foucher pense donc que ce qu'il y aurait de mieux à faire pour toi, ce serait de réclamer l'activité. Il m'a dit au reste que le Ministre était très satisfait de ton zèle et de tes services à Tulle, et qu'il se pourrait grâce à cette considération, que la règle général (sic) de mettre à la retraite tous les officiers qui peuvent y être mis, souffre une exception à ton égard. Je termine ces détails, mon meilleur oncle, en te priant si tu fais quelques démarches, de te servir de moi comme de toi-même. Je serai heureux de te rendre quelque petit service.»
Depuis la réception de cette lettre j'ai fait le voyage de Périgueux où M. le lieutenant-général Almeras[39] m'a reçu de la manière la plus amicale; il m'a beaucoup parlé de toi, et chargé de le rappeler à ton ancienne amitié. Il m'a tenu à peu près le même lengage (sic) que Victor, et fortement engagé à lui adresser une demande d'activité de service, pour S. E. le Ministre de la Guerre[40]; j'ai suivi ses conseils et la lui ai expédiée avant-hier. Maintenant il reste à savoir quel effet cela produira.
[39] Le lieutenant général Almeras, après s'être signalé dans les Alpes, dans le Midi de la France, où son œuvre de pacification lui valait des félicitations du Conseil des Cinq-Cents et en Égypte avec Kléber, avait fait les campagnes d'Autriche et de Prusse. Nommé général au lendemain de la bataille de la Moskowa (7 septembre 1812), il avait reçu en 1814 de la Restauration la croix de Saint-Louis.
[40] Victor, duc de Bellune.
Si M. de Lescale était de retour à Blois et qu'il fût disposé à écrire un mot à M. Perceval, il me ferait plaisir. Car tu sais que dans ces circonstances il vaut mieux avoir deux cordes à son arc qu'une seule.
Adieu, je t'embrasse de tout mon cœur, ainsi que ta femme et Goton, si elle est encore près de toi.
Tout à toi de cœur et d'amitié,
Le Colonel,
Chev. L. Hugo.
Tulle, le 9 octobre 1822.
A Saint-Sulpice, où dix-huit mois auparavant avaient été récitées autour du cercueil de sa mère les dernières prières, le mariage de Victor Hugo était enfin célébré le 12 octobre 1822. L'acte de mariage fut ainsi rédigé:
Le 12 octobre 1822, après la publication des trois bans, en cette église, et d'un seul en celle de Blois vu la dispense des deux autres, les fiançailles faites le même jour, ont reçu la bénédiction nuptiale:
Victor-Marie Hugo, membre de l'Académie des Jeux-Floraux de Toulouse, âgé de vingt ans, demeurant de droit et de fait à Blois, diocèse d'Orléans[41], fils mineur de Joseph-Léopold-Sigisbert Hugo, maréchal des camps et armées du roi, chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, officier de la Légion d'honneur et commandant de l'ordre royal de Naples, et de défunte Sophie-Françoise Trébuchet, son épouse,
[41] Le Blaisois et le Vendômois n'avaient été longtemps que des archidiaconés du diocèse de Chartres. Par bulle du 25 juin 1697 seulement, Innocent XII institua le diocèse de Blois, dont les promoteurs avaient été auprès de Louis XIV, le père La Chaise, son confesseur et Mme de Maintenon.
Le diocèse de Blois, illustré par l'épiscopat de Grégoire, fut supprimé par le Concordat et le département de Loir-et-Cher réuni au diocèse d'Orléans.
Rétabli par ordonnance royale du 10 octobre 1822, le diocèse de Blois risqua fort d'être supprimé en 1834, ainsi que les autres sièges non concordataires qui avaient bénéficié de cette ordonnance.
D'une part;
Et Adèle-Julie Foucher, âgée de dix-neuf ans, demeurant de droit et de fait rue du Cherche-Midi, nº 39, de cette paroisse, fille mineure de Pierre Foucher, chef au Ministère de la Guerre, chevalier de la Légion d'honneur, et de Anne-Victoire Asseline, son épouse,
D'autre part;
Présents et témoins, Jean-Baptiste Biscarrat, Alfred-Victor, comte de Vigny; Jean-Baptiste Asseline, Jean-Jacques-Philippe-Marie Duvidal, lesquels ont signé avec les époux et leur père et mère.
Victor-M. Hugo,—A.-J.-V.-M. Foucher,—comte Alfred de Vigny,—Fouché,—Biscarrat,—Eugène Hugo,—Duvidal, marquis de Montferrier,[42]—Asseline,—V.-A. Fouché,—A. Hugo,—Victor Fouché,—A. Asseline,—Deschamps,—Soumet,—Fessart,—Dumas, vicaire.
[42] Abel Hugo devait épouser plus tard Mlle de Montferrier.
Contrairement aux souvenirs de Victor Hugo, (Victor Hugo raconté...) les témoins de son mariage n'avaient donc point été M. Ancelot[43] et Alexandre Soumet[44], mais bien Jean-Baptiste Biscarrat[45], l'ancien maître d'étude d'Eugène et de Victor à la pension Cordier, demeuré par la suite leur ami et l'un des plus nobles poètes dont se puisse enorgueillir la Restauration, le comte Alfred de Vigny.
[43] Jacques-Arsène-François-Polycarpe Ancelot (1794-1854). A cette époque, Ancelot avait connu, en 1819, un succès plus politique que littéraire avec son Louis neuf, tragédie qui lui valut une pension de Louis XVIII.
Il devait figurer de 1823 à 1824, parmi les rédacteurs, de composition si éclectique, de la Muse française et collaborait déjà aux Annales de la Littérature et des Arts, le journal officiel de la Société des Bonnes Lettres, où il consacra en 1822, un article très élogieux à Alfred de Vigny.
Ancelot était un pseudo-classique dans toute la rigueur du terme. Il fit représenter le Maire du Palais, en 1823; un Fiesque imité de Schiller, en 1824; Olga ou l'Orpheline moscovite, en 1829; Élisabeth d'Angleterre, en 1829.
La Révolution de 1830 l'ayant privé de sa pension, il se tourna vers les petits théâtres, d'un rapport plus lucratif, qu'il inonda de ses vaudevilles, dépourvus de style, comme il convient, mais non sans esprit et sans gaîté.
[44] Alexandre Soumet, né à Castelnaudary, en 1788, mort en 1845. Après avoir d'abord chanté Napoléon et le Roi de Rome, il se réconcilia avec les Bourbons qui le nommèrent successivement bibliothécaire des châteaux de Saint-Cloud, de Rambouillet et de Compiègne.
Très favorable aux théories romantiques, qu'il n'osait suivre lui-même que très timidement, Alexandre Soumet fut un des premiers défenseurs de Victor Hugo à ses débuts et collabora aux Lettres champenoises, sorte de «centre droit» entre les Romantiques et les Classiques, où il consacra également un article élogieux à Alfred de Vigny (tome VII); au Conservateur littéraire, dans lequel il rendit compte des Nouvelles Odes de Victor Hugo, au Mercure du XIXe siècle, et fit partie de la Société des Bonnes Lettres, où il devait lire, en 1826, sa Jeanne d'Arc.
Une élégie: La Pauvre fille, a plus contribué à rendre, un moment, son nom populaire, que ses tragédies: Clytemnestre (1822), Saül (1822), Elisabeth de France (1823), Jeanne d'Arc (1823), pour n'en citer que quelques-unes, qui lui ouvrirent, en 1834, les portes de l'Académie française.
Alexandre Soumet a laissé, à côté de son théâtre, un poème de longue haleine, témoignant d'un louable effort et où se trouvent de beaux vers, la Divine Epopée (1840).
Cf. Léon Séché: Études d'Histoire romantique.—Le Cénacle de la Muse française (Mercure de France, 1908, LXXII, pp. 385-417; LXXIII, pp. 24-57).
[45] Biscarrat, que ses contemporains et tous ceux qui se sont occupés des débuts du Romantisme semblent avoir appelé Félix, aurait signé de l'initiale S des articles nombreux et intéressants du Conservateur littéraire.
Alexandre Soumet ne paraît avoir collaboré qu'au tome III (1820-1821).
Dans ce même volume, Alfred de Vigny donna sur les Œuvres complètes de Byron, un premier article qui ne fut jamais suivi d'un second.
Cf. Ch.-M. Des Granges: La Presse littéraire sous la Restauration.
La noce eut lieu chez M. Foucher. Sa salle à manger s'étant trouvée trop étroite, l'on dîna dans la salle du Conseil de guerre. Là même, dix ans plus tôt, le général Lahorie, le mystérieux réfugié de la rue de Clichy et des Feuillantines, s'était entendu condamner à mort.
La lettre, qui, à moins de huit jours suivit, déborde de joie, de bonheur et de reconnaissance. Victor Hugo, cependant, malgré le rêve étoilé de ces oarystis semble avoir à cœur de ne point oublier ses frères et les recommande une fois de plus à la bonté et à la générosité du général.
Mon cher Papa,
C'est le plus reconnaissant des fils et le plus heureux des hommes qui t'écrit. Depuis le 12 de ce mois, je jouis du bonheur le plus doux et le plus complet et je n'y vois pas de terme dans l'avenir. C'est à toi, bon et cher papa, que je dois rapporter l'expression de ces pures et légitimes joies, c'est toi qui m'as fait ma félicité, reçois donc pour la centième fois l'assurance de toute ma tendre et profonde gratitude.
Si je ne t'ai pas écrit dans les premiers jours de mon bienheureux mariage, c'est que j'avais le cœur trop plein pour trouver des paroles, maintenant même tu m'excuseras, mon bon père, car je ne sais pas trop ce que j'écris. Je suis absorbé dans un sentiment profond d'amour, et pourvu que toute cette lettre en soit pleine, je ne doute pas que ton bon cœur ne soit content. Mon angélique Adèle se joint à moi, si elle osait, elle t'écrirait, mais maintenant que nous ne formons plus qu'un, mon cœur est devenu le sien pour toi.
Permets-moi, en terminant cette trop courte lettre, mon cher et excellent papa de te recommander les intérêts de mes frères, je ne doute pas que tu n'aies déjà décidé en leur faveur, mais c'est uniquement pour hâter l'exécution de cette décision que je t'en reparle.
Adieu donc, cher papa, je me sépare de toi avec regret; c'est pourtant une douceur pour moi que de t'assurer encore de l'amour respectueux et de l'inaltérable reconnaissance de tes heureux enfants.
Victor.
Paris, 19 octobre 1822.
Mes deux frères t'embrassent tendrement. Mon beau-père et ma belle-mère ont été très sensibles à ta lettre. Je crois que M. Foucher te répondra bientôt. Il s'occupe des intérêts de mon oncle Louis au ministère de la Guerre.
Un mois plus tard, le général Hugo et la comtesse de Salcano, son épouse, faisaient part en ces termes du mariage de Victor:
M.
Monsieur le général Léopold Hugo et Madame la comtesse A. de Salcano, son épouse, ont l'honneur de vous faire part du mariage, à Paris, de Monsieur Victor-Marie Hugo, leur fils et beau-fils, avec Mademoiselle Adèle-Julie-Victoire-Marie Foucher, fille de Monsieur le chevalier Foucher, chef de bureau au ministère de la Guerre, et de Madame Anne-Victoire Asseline, son épouse.
Saint-Lazare, près Blois, le 15 novembre 1822.
On n'aura pas l'honneur de recevoir.
Dorénavant, Mme Victor Hugo prendra une place presque égale à celle de son mari dans cette correspondance avec le général. A son tour, elle lui exprime son affection et sa reconnaissance. Confiante dans l'avenir, elle célèbre son amour et son bonheur.
La belle-mère n'a pas été l'obstacle que l'on pouvait craindre au mariage. Elle semble, au contraire, s'être entremise en faveur des amoureux pour en hâter la célébration. Ce n'est plus «l'épouse actuelle» du général, mais une alliée que l'on remercie, lui devant quelques jours fastes de plus.
Paris, 19 novembre 1822.
Mon cher Papa,
Tout ce que ta bonne lettre nous dit de tendre et de paternel a été accueilli ici par deux cœurs qui n'en font qu'un pour t'aimer. Je ne saurais te dire combien mon Adèle a été sensible à l'expression de ton affection qu'elle mérite si bien par celle qu'elle daigne porter à ton fils. Elle va t'exprimer elle-même tout ce qu'elle ressent pour toi. Veuille bien, je te prie, dire à notre belle-mère combien nous sommes reconnaissans de tout ce qu'elle a bien voulu faire pour hâter notre fortuné mariage.
J'ai montré ta lettre à mes frères. Abel va t'écrire. Ils me chargent de t'embrasser tendrement pour eux.
Maintenant permets-moi de t'embrasser pour moi et de céder le reste de cette lettre à ta fille.
Ton fils soumis et respectueux,
Victor.
Mon cher papa,
C'est la plus heureuse des femmes qui vous doit tout son bonheur que sans vous elle désirerait encore, c'est votre fille qui a mis sa destinée entre les mains du plus noble des hommes qui voudrait vous rendre sa reconnaissance. Dieu sait que ce n'est pas la gloire qui entoure son talent qui me le fait admirer, mais bien cette âme si pure, si élevée que vous connaissez à peine et à laquelle la mienne est consacrée. Il n'est rien de moi qui ne soit pour lui, pour mon Victor, pour votre digne fils.
Si notre belle-mère savait combien j'ai été sensible à tout ce qu'elle a bien voulu faire pour accélérer notre mariage, j'espère qu'elle voudrait bien recevoir mes remerciements. Je lui dois quelques jours de bonheur que sans elle je demanderais en vain.
J'ai vu, mon cher papa, s'écouler le plus beau jour de ma vie sans avoir connu l'auteur de ce beau jour. Nous espérons, et moi en particulier, comme une grâce, que la fin de cette année ne se passera pas sans que j'aie pu vous exprimer de vive voix tous les sentiments avec lesquels j'ai l'honneur d'être votre très respectueuse fille,
A. Hugo.