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A la pagaïe : $b sur l'Escaut, le canal de Willebroeck, la Sambre et l'Oise

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Ce qui me charma le plus à Compiègne, fut l’Hôtel-de-Ville (p. 225).

Je pris à leurs manœuvres un plaisir vif et sain, et j’eus grand soin de manquer aussi peu de leurs représentations que possible. Et je remarquai que même la Cigarette, tout en faisant mine de dédaigner mon enthousiasme, était de son côté un spectateur plus ou moins assidu. Il y a quelque chose d’extrêmement absurde à exposer de pareils joujoux aux outrages de l’hiver au haut d’un édifice. Ils seraient mieux à leur place sous globe, en face d’une horloge de Nuremberg. La nuit surtout, lorsque les enfants sont couchés et que les grandes personnes même ronflent dans leurs draps, ne semble-t-il pas impertinent de laisser ces personnages couleur pain d’épices à se regarder et à tinter pour les étoiles et pour la lune qui monte au firmament. Il paraît assez naturel que les gargouilles contorsionnent là haut leur face simiesque, assez naturel que le potentat chevauche son destrier, semblable à un centurion dans une vieille estampe allemande représentant la Via Dolorosa; mais les joujoux devraient être serrés dans une boîte, enveloppés dans de l’ouate, jusqu’au lever du soleil et jusqu’au moment où les enfants sont de nouveau dehors à s’amuser.

Au bureau de poste de Compiègne un gros paquet de lettres nous attendait, et, chose qui n’arriva qu’en cette occasion, les employés nous les remirent assez poliment sur notre simple demande.

On peut en quelque sorte dire que notre voyage se termine avec ce sac de lettres à Compiègne. Le charme était rompu. Dès ce moment nous étions en partie de retour chez nous.

On ne devrait avoir aucune correspondance quand on voyage. C’est bien assez déjà d’avoir à écrire mais il n’y a rien qui tue toute sensation de vacances comme de recevoir des lettres.

«C’est hors de mon pays et de moi-même que je vais». Je veux faire un plongeon pendant un certain temps dans de nouvelles conditions de vie, comme je plongerais dans un autre élément. Je n’ai rien à faire avec mes amis ou mes affections pendant ce temps. Quand je suis parti, j’ai laissé mon cœur chez moi dans un bureau ou je l’ai envoyé en avant avec mon porte-manteau m’attendre à ma destination. Mon voyage terminé, je ne manquerai pas de lire vos lettres avec l’attention qu’elles méritent. Mais j’ai dépensé tout cet argent, remarquez bien, et j’ai donné tous ces coups de pagaie, à seule fin d’être au loin; et cependant, vous me retenez chez moi avec vos perpétuelles communications. Vous tirez sur la corde, et je sens que je suis un oiseau attaché. Vous me poursuivez par toute l’Europe de ces petites vexations que je voulais éviter par mon départ. Il n’y a pas de libération dans la guerre de la vie, je le sais bien; mais n’y aura-t-il pas seulement une semaine de congé?

Nous étions debout à six heures, le jour où nous devions partir. On avait si peu fait attention à nous que c’est à peine si je pensais qu’on daignerait nous présenter une note. Mais on n’y manqua pas; il y eut même quelques articles salés. Nous payâmes poliment à un commis désintéressé et nous quittâmes l’hôtel avec les sacs de caoutchouc sans être remarqués. Personne ne se soucia de savoir quoi que ce fût de nous. Impossible de se lever avant un village; mais Compiègne était devenue une si grande ville qu’elle prenait ses aises le matin, et nous étions levés et bien loin, qu’elle était encore en robe de chambre et en pantoufles. Les rues étaient abandonnées aux gens qui lavaient les escaliers des portes; personne n’était en grande toilette, sauf les cavaliers sur l’hôtel de ville. Ils étaient bien lavés par la rosée, tout pimpants sous leur dorure; leurs visages respiraient l’intelligence et le sentiment de la responsabilité professionnelle. Kling firent-ils sur les cloches pour la demie de six heures, comme nous passions. Je trouvai bien gentil de leur part de me faire ce compliment d’adieu; jamais ils ne furent mieux en forme, pas même le dimanche à midi.

Il n’y avait personne à nous voir partir que les laveuses matinales—matinales et pourtant en retard—qui déjà portaient leur linge dans leur lavoir flottant sur la rivière. Très gaies avec quelque chose de matinal dans leurs manières, elles plongeaient hardiment leurs bras dans l’eau, sans paraître saisies du froid. Ce serait un travail décourageant pour moi que ce début matinal et cette première immersion froide, un travail tout ce qu’il y a de plus décourageant. Mais je crois qu’elles auraient aussi peu volontiers changé de condition avec nous que nous avec elles. Elles se pressèrent à la porte pour nous regarder partir dans les minces brouillards ensoleillés étendus sur la rivière, et nous accompagnèrent de leurs cordiales acclamations jusqu’au moment où nous eûmes dépassé le pont.

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