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Au bord de la Bièvre: impressions et souvenirs

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VI

Le Jardin-des-Plantes a d'autres charmes encore à mes yeux. Il n'est point riche seulement en hôtes à deux ou quatre pattes,—en échantillons du règne animal; il est riche surtout en produits végétaux. Je crois qu'il a tous les arbres et toutes les plantes du globe,—hormis le baobab et l'upas,—comme il a tous les animaux des deux mondes,—excepté peut-être le rotifer de Charles Nodier.

C'est une immense bibliothèque d'histoire naturelle que ce jardin. On y peut lire,—pour peu qu'on ait de bons yeux,—tous les livres des Buffon, des Tournefort, des Daubenton, des Linné, des de Jussieu,—et surtout le livre du bon Dieu, le mieux écrit de tous, le plus clair et le plus savant, le plus vrai et le plus poétique.

Aussi le Jardin-des-Plantes a-t-il des coins toujours verts, et il ne présente pas,—dans la mauvaise saison,—ces squelettes d'arbres qu'on voit errer ailleurs durant l'hiver.

Aussi est-il toujours un admirable jardin, plein d'ombre et de soleil, de solitude et de gaieté,—propre aux jeux bruyants de l'enfance, comme aux rêveries silencieuses de la jeunesse et aux méditations sévères de l'âge mûr. On s'y recueille, on y joue, on y aime, on y rêve. La bonne d'enfant,—ornée de son inséparable pays en pantalon garance,—y coudoie l'étudiant,—le provincial y heurte le poëte, la foule y côtoie le désert.

Je ne le traverse jamais en vain. Je ne m'y arrête jamais impunément. Il me tombe,—du haut de ces arbres séculaires,—je ne sais quelle sensation étrange de bien-être; il s'exhale vers moi, de ces parterres en fleurs,—je ne sais quels parfums et quels sentiments qui m'enivrent et me transforment.

Il y a des bains de soleil et de verdure qui sont des bains de Jouvence.

Je les recommande aux malades de cœur et d'esprit, à ceux que la lourde besogne de la vie a fatigués outre mesure, à ceux qu'une trop longue attente de biens trop désirés, ou de bonheurs trop convoités, a rendus amers, injustes et méchants,—à tous les fous, à tous les orgueilleux, à tous les amoureux, à tous les malheureux.

La nature est le guérisseur souverain. Elle a une panacée infaillible!...

Ce qui fait qu'on ne croit pas en elle, c'est qu'on ne croit pas assez en soi. Il ne faut douter de rien ni de personne en ce monde. Pour être aimé, plaint et regretté, il faut être doux, bon et hospitalier aux autres et à soi-même.

Il y a des sources d'honnêteté, de bonté et de bienveillance. Il faut aller s'y désaltérer.

Elles ne sont pas loin, d'ailleurs. Elles sont partout, ou presque partout.

Tant qu'il y aura, voyez-vous, une goutte d'eau sur une feuille d'arbre,—un scarabée d'or dans le calice d'une fleur,—une ravenelle sur la crête d'un vieux mur,—de rouges coquelicots dans les épis jaunissants,—un oiseau chantant sous les ramures,—des poissons d'argent sautant dans les ruisseaux,—de fauves troupeaux pâturant dans de vertes prairies,—des canards dans une mare,—le bruit du vent dans les roseaux, les bandes jaunes du soleil couchant et les bandes roses du soleil levant, et,—au milieu de ce paysage,—des groupes d'êtres humains pleins de sève, de jeunesse, de santé, des ombres confondues, une musique de soupirs et de baisers, des hymnes de félicité, de concorde et d'amour;—tant qu'il y aura de ces choses au monde, il y aura de la poésie, c'est-à-dire du bonheur; et aveugles et sourds seront ceux qui ne verront rien de ces splendeurs et qui n'entendront rien de ces harmonies,—ou qui auront l'outrecuidante naïveté d'apporter le livre de leurs poëtes aimés en face de ce poëme vivant, superbe, resplendissant, incommensurable, éternel, qui s'appelle la vie—et qui a pour poëte un illustre anonyme de génie! Des livres en face de Dieu, allons donc!...

Pour ma part,—la main sur ma conscience qui me dicte ces pages,—la main sur mon cœur qui y applaudit,—je l'avoue ici: je préfère les tableaux de Miéris aux toiles de Salvator Rosa,—les chefs-d'œuvre du Poussin aux chefs-d'œuvre de Paul Véronèse,—les paysages de Troyon, de Rousseau ou de Daubigny aux choses peintes d'Horace Vernet! Mais une chose que je préfère à toutes ces choses,—un chef-d'œuvre que je mets au-dessus de tous ces chefs-d'œuvre,—un paysage que j'aime mieux que tous ces paysages,—c'est le chef-d'œuvre éternellement jeune et éternellement beau de la vie, c'est le paysage immortel signé d'un nom que les enfants balbutient dans leurs prières du soir, et que les vieilles femmes marmottent dans leurs oraisons de toute la journée. La plus belle page de Georges Sand et les plus beaux vers de Victor Hugo,—deux grands poëtes pourtant,—ne valent pas pour moi un coin de gazon où s'agitent des milliers d'êtres,—un coin de forêt où croissent des milliers de plantes. J'ai passé bien des nuits dans les bois,—sanglotant et songeur,—une main posée sur ma poitrine bondissante, l'autre main crispée sur mon front en sueur, mordant la terre de mes lèvres convulsives où courait sans cesse un nom trop cher, et toujours,—en présence des bruissements sonores et des harmonies sans fin dont j'étais entouré, sous l'influence des aromes sans nom dont j'étais inondé,—je me suis senti réconforté! Et toujours je suis sorti meilleur et moins débile de ces combats douloureux où j'assistais à l'agonie de mes profanes amours! Et toujours le nom,—maudit la veille,—qui courait frénétiquement sur mes lèvres embrasées, sortait, purifié par le pardon, de mon cœur désormais plus libre. Ah! croyez-moi, cette influence salutaire, vous ne la rencontrerez nulle part ailleurs! Ce baume guérisseur des blessures du cœur, vous ne le cueillerez pas dans vos livres—où ne croissent que la scabieuse, la ciguë et les pavots!...

La poésie ne se chante pas, l'amour ne se chante pas, le vin ne se chante pas. On aime la femme, on boit le vin, on respire la poésie par tous les pores du cœur, de l'esprit et du corps. Pourquoi chanter les belles et bonnes choses? Qu'a-t-on besoin—pour être heureux—que votre bonheur vous soit servi dans un langage, harmonieux sans doute parfois, mais, dans tous les cas, insuffisant et incomplet? Est-ce qu'il ne vaut pas mieux chercher à déchiffrer le grand alphabet de la vie humaine, étudier la langue universelle,—c'est-à-dire la nature,—dans toutes ses manifestations, dans tous ses modes, dans tous ses tons, dans toutes ses gammes? Quels trésors de poésie il y a en elle, mes amis! Votre vie toute entière ne suffirait pas à la recherche de ces richesses que vous dédaignez un peu trop. Prenez-en donc ce que vous pouvez en prendre, sans fatigue et sans ennui; faites votre moisson périodique de poésie, pour faire votre récolte de bonheurs!

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