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Bibliographie Cornélienne: Description raisonnée de toutes les éditions des oeuvres de Pierre Corneille

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Édition publiée en vertu du privilége général accordé en 1679 à G. de Luyne et à ses associés. C'est un simple extrait du Théatre de 1682, tiré sur les mêmes formes. L'achevé d'imprimer est du 7 février 1682.

XIV

35. Le Mentevr, || Comedie. || Imprimé à Roüen, & se vend || A Paris, || Chez || Antoine de Sommauille, || en la Gallerie des Merciers, || à l'Escu de France. || Au || Palais || Et || Augustin Courbé, en la mesme || Gallerie, à la Palme. || M. DC. XLIV [1644]. || Auec Priuilege du Roy. In-4 de 4 ff. prélim., 136 pp. et 1 f.

Collation des feuillets prél.: titre, avec le fleuron de Laurens Maurry et les initiales L. M.; 3 ff. pour la dédicace et les noms des Acteurs. M. Brunet indique un front. gravé que nous n'avons jamais rencontré.

Le privilége, qui occupe le dernier f., est accordé à Corneille pour la Mort de Pompée et le Menteur, à la date du 22 janvier 1644; il est d'une durée de dix ans. On lit à la fin: Acheué d'imprimer pour la premiere fois, à Roüen, par Laurens Maurry, le dernier d'Octobre 1644. Il n'est pas fait mention de la cession du privilége aux libraires.

Après avoir emprunté aux Espagnols le sujet du Cid, Corneille leur emprunta le sujet de sa première comédie sérieuse. La Verdad sospechosa, qui lui servit de modèle, parut en 1630 sous le nom de Lope de Vega (Parte veynte y dos de las Comedias del Fenix de España, Frey Lope Felix de Vega Carpio; Çaragoça, Pedro Verges, 1630, in-4), mais elle fut revendiquée en 1630, par son véritable auteur, D. Juan de Alarcon. (Parte segunda de las Comedias del licenciado Don Juan Ruyz de Alarcon y Mendoça; Barcelona, Sebastian de Cormellas, 1634, in-4.) C'est de cette pièce, dont on trouvera facilement le texte dans les Comedias escogidas de Don Juan Ruiz de Alarcon y Mendoza; Madrid, Ortega y Compañia, 1826-29, 2 vol. in-8, t. Ier, dans les Comedias escogidas de Don Juan Ruiz de Alarcon; edicion de la real Academia española; Madrid, 1867, 3 vol. in-8, t. IIIe, et dans le Tesoro del Teatro español, desde su orígen hasta nuestros dias, arreglado y dividido en cuatro partes, por D. Eugenio de Ochoa; Paris, Baudry, 1838, 5 vol. in-8, t. IVe, que Corneille a tiré les traits principaux du Menteur; il ne fait point difficulté de le reconnaître, et il ajoute dans l'Examen joint à la comédie en 1660, «qu'il voudrait avoir donné les deux plus belles pièces qu'il ait faites et que ce sujet fût de son invention.» M. Marty-Laveaux a donné place dans son édition de Corneille (t. IVe, pp. 241-273) à une intéressante étude de M. Viguier, sur l'original espagnol et sur l'imitation française. On peut y suivre, scène par scène, les deux comédies, et s'y rendre compte de tous les détails que Corneille a dû modifier, tant pour accommoder son modèle au goût du temps que pour rester fidèle aux règles qu'il s'était prescrites. L'avantage n'est pas toujours pour Corneille, moins libre dans ses allures que l'écrivain espagnol, mais le poëte français l'emporte par la précision et l'élégance. On ne peut donc que négliger des critiques superficielles comme celles d'un auteur allemand, dont M. Viguier a pris la peine de relever les erreurs. Dans un accès de gallophobie, M. Ad. Fréd. de Schack (Geschichte der dramatischen Literatur und Kunst in Spanien; Berlin, 1845-1846, 3 vol. in-8, t. IIe, pp. 430 et 625) a pris plaisir à célébrer les poëtes espagnols aux dépens du Cid et du Menteur, mais toutes ses études sur le théâtre espagnol ne lui ont même pas appris à quelle époque écrivait au juste Diamante!

Le Menteur fut représenté au Marais en 1643. Dans une de ses lettres à Corneille, Balzac, s'il ne témoigne pas encore du succès qu'obtint la nouvelle comédie, semble tout au moins indiquer qu'on en parlait déjà dans le public: «Vous serez Aristophane, quand il vous plaira, lui dit-il, comme vous estes déjà Sophocle (Lettres choisies du sieur de Balzac; Paris, 1647, in-8, 2e partie, p. 535, lettre du 10 février 1643; Œuvres de Corneille, éd. Marty-Laveaux, t. Xe, pp. 442 sqq).» Le Registre de Lagrange nous apprend que la troupe de Molière en donna 3 représentations en 1659. Le Menteur occupait alors une soirée à lui seul; mais, le vendredi 14 novembre de cette année, il ne rapporta aux comédiens que 70 livres, soit 3 livres 3 sols pour chacun des membres de la troupe. Il fut dès lors établi qu'il ne suffisait plus pour «faire la recette». Molière, qui jouait volontiers les œuvres de Corneille et qui appréciait sans doute le Menteur, ne renonça pourtant pas à le jouer, mais il l'accompagna d'une seconde pièce: le Cocu imaginaire, l'École des Maris, etc. Le Registre de Lagrange mentionne 18 représentations de 1660 à 1666.

La distribution du Menteur indiquée par le Manuscrit du Dauphin, au commencement de 1685, est la suivante:

DAMOISELLES.

Lucresse: Poisson.
Clarice: Raisin.
Sabine: Beauval.
Isabelle: Guiot.

HOMMES.

Lisandre [Dorante]: La Grange.
Cliton: Poisson.
Artabaze [Alcippe]: Brecourt.
Philisse [Philiste]: de Villiers.
Le Pere [Geronte]: Chanmeslé.
Dueliste [Lycas]: Beauval.

Parmi les actrices qui jouèrent le Menteur, Dangeau (Journal, t. XIe, p. 306) fait figurer la duchesse du Maine qui, le lundi 21 février 1707, donna, dit-il, à Clagny, une représentation de cette pièce à laquelle assista la duchesse de Bourgogne. Il est vrai que, d'après le Mercure, ce ne serait pas le Menteur, mais les Importuns de Malézieux, que la duchesse du Maine aurait joué à cette occasion.

Les deux artistes qui, de notre temps, se sont le plus distingués dans le rôle du Menteur sont Firmin (m. en 1859) et M. Delaunay.

De 1680 à 1870, la Comédie-Française a donné 616 représentations du Menteur, savoir: sous Louis XIV: à la ville, 169; à la cour, 13;—sous Louis XV: à la ville, 161; à la cour, 15;—sous Louis XVI: à la ville, 28, à la cour, 6;—sous la Révolution: 8;—sous le Directoire, le Consulat et l'Empire: à la ville, 74, à la cour, 2;—sous la Restauration: 30;—sous Louis-Philippe: 51;—sous la seconde République: 5; sous le second Empire: 54.

Vendu: 30 fr. mar. v. (Duru), Giraud, 1855 (no 1637).

36. Le || Mentevr, || Comedie. || Imprimé à Roüen, & se vend || A Paris, || Chez || Antoine de Somma- || uille, en la Gallerie || des Merciers, à l'Escu || de France. || Au || Palais || Et || Augustin Courbé, en la mesme Gallerie, || à la Palme. || M. DC. XLIV [1644]. Auec Priuilege du Roy. In-12 de 4 ff. et 91 pp.

Collation des feuillets prélim.: titre; 2 ff. pour l'Epistre; 1 f. pour le Privilége et les noms des Acteurs. Le privilége, qui n'est rapporté ici que par extrait, est le même que dans l'édition in-4; il est suivi du même achevé d'imprimer.

Cette édition fait partie du recueil de 1647.

37. Le || Mentevr, || Comedie. || Par le Sieur Corneille. || A Paris, || Chez Guillaume de Luyne, au Palais, en la || Gallerie des Merciers, sous la montée de || la Cour des Aydes. || M. DC. LIII [1653]. In-4 de 2 ff et 124 pp.

Collation des feuillets prélim.: titre; 1 f. pour l'Epistre.

Nous avons vu deux exemplaires tout à fait semblables de cette édition, l'un à la Bibliothèque Cousin, l'autre à la Bibliothèque Mazarine; ils n'ont bien tous deux que 2 ff. prélim., c'est-à-dire qu'ils ne contiennent ni le Privilége ni les Acteurs. Il est vrai que le privilége n'est pas annoncé sur le titre.

38. Le || Mentevr, || Comedie. || A Roüen, Et se vend || A Paris, || Chez Guillaume de Luyne, Libraire Iuré, au Palais, en la Gallerie des Merciers, à la Iustice, [ou Chez Thomas Iolly, au Palais, dans la || petite Salle, à la Palme, & aux Armes de Hollande; ou Chez Loüis Billaine, au second Pillier de la grand Salle du Palais, à la Palme & au grand Cesar]. || M. DC. LXIV [1664]. || Auec Priuilege du Roy. In-12 de 2 (?) ff. et 92 pp.

Collation des feuillets prélimin.: titre; 1 f. pour l'Extrait du Privilége et les Acteurs.

Le privilége, daté de janvier 1653, est donné à Corneille lui-même pour neuf années. Corneille déclare y associer Augustin Courbé et Guillaume de Luyne, et Courbé fait cession de sa part à Thomas Jolly et à Louis Billaine. On lit à la fin: Acheué d'imprimer pour la premiere fois, [en] vertu du present Priuilege, le dernier d'Octobre 1660, à Roüen, par Laurens Maurry.

L'exemplaire de la Bibliothèque Cousin, le seul de cette édition que nous ayons eu entre les mains, n'a que deux feuillets prélim. Il est au nom de Jolly. Nous avons complété l'adresse des autres libraires sur l'édition de Cinna de 1664 (no 24).

39. Le Menteur, Comedie. Par P. Corneille. A Paris, Au Palais, Chez Guillaume de Luyne, dans la Salle des Merciers sous la montée de la Cour des Aydes à la Justice. Estienne Loyson, au premier Pillier de la Grand'Salle proche les Consultations au Nom de Jesus. Pierre Traboüillet, dans la Galerie des Prisonniers, à l'Image S. Hubert, & à la Fortune proche le Greffe des Eaux & Forests. M. DC. LXXXII [1682]. Avec Privilege du Roy. In-12.

XV

40. La Svite || dv || Mentevr, || Comedie. || Imprimé à Roüen, & se vend || A Paris, || Chez Antoine de Sommauille, || en la Gallerie des Merciers, || à l'Escu de France. || Au || Palais. || Et || Augustin Courbé, en la mesme || Gallerie, à la Palme. || M. DC. XLV [1645]. || Auec Priuilege du Roy. In-4 de 6 ff. et 136 pp.

Collation des feuillets prélim.: titre avec un fleuron représentant une tête coiffée de plumes, de laquelle se détachent des rinceaux et des guirlandes (on remarque les initiales de Laurens Maurry entre les guirlandes); 7 pp. pour l'Epistre; 2 pp. pour le Privilége; 1 p. pour les Acteurs.

Le privilége reproduit in extenso occupe une page et demie. Il est donné à «nostre cher et bien amé le sieur Corneille» pour un espace de cinq ans, à compter du jour que la pièce sera achevée d'imprimer pour la première fois, et porte la date du 5 août 1645. On lit à la fin: Acheué d'imprimer pour la premiere fois à Roüen, par Laurens Maurry, ce dernier Septembre 1645. Il n'est pas fait mention de la cession faite par l'auteur aux libraires.

Le texte est imprimé en caractères italiques avec manchettes aux pp. 14, 24, 68, 99, 101, 102, 128 et 132.

La comédie, présentée par Corneille comme une Suite du Menteur, ne se rattache nullement à cette pièce. Le poëte lui-même nous avertit qu'elle est tirée d'une comédie de Lope de Vega, intitulée: Amar sin saber à quien, qui est très-probablement antérieure à celle d'Alarcon. Les deux ouvrages se trouvent, il est vrai, réunis dans le recueil qu'un libraire de Saragosse donna, en 1630, sous le nom de L. de Vega (Parte veynte y dos de las comedias del Fenix de España, Frey Lope de Vega Carpio; Çaragoça, Vedro Verges, 1630, in-4); mais, en 1635, quelques mois avant la mort de Lope, Luis de Usátegui, son gendre, publia le véritable tome XXIIe des comédies du «Phénix de l'Espagne» où l'on ne retrouve plus la Verdad sospechosa, désormais rendue à Alarcon (voy. le no 35). Il est assez vraisemblable que la réunion fortuite des deux comédies dans un même volume aura seule inspiré à Corneille l'idée de les compléter l'une par l'autre. Presque tous les ouvrages qui obtinrent un grand succès au XVIIe siècle, à quelque genre qu'ils appartinssent, donnèrent lieu à des suites. On eut la Suite de Don Quichotte, la Suite du Cid, la Suite des Lettres portugaises, etc. Le Menteur ayant réussi à la scène, Corneille aima mieux lui donner une suite que d'en laisser composer une par Chevreau ou par Desfontaines. Il voulut seulement que le public retrouvât dans la pièce nouvelle les principaux personnages du Menteur. Mais, quelque soin que prenne Cliton, dès les premières scènes, d'exposer les incidents qui servent de lien entre les deux pièces, il n'en faut pas moins reconnaître que le caractère de Dorante est singulièrement changé.

La Suite du Menteur fut jouée à la fin de l'année 1643, sur le théâtre du Marais, par les mêmes acteurs que le Menteur. Jodelet lui-même, qui avait contribué au succès de la première pièce, dans le rôle de Cliton, récita le portrait peu flatté que le poëte traçait de lui. Les frères Parfaict (Histoire du Théatre François, t. VIe, pp. 237 sqq.) et M. Marty-Laveaux (t. IVe, pp. 123 sqq.) nous ont donné quelques détails sur ce comédien qui entra au Marais en 1610 et mourut à la fin de mars 1660, ainsi que nous l'apprend la Muse historique de Loret.

Jodelet divertit le parterre pendant cinquante ans, aussi fut-on surpris de le voir en 1649 et en 1650 prendre une part active à la Fronde. Une mazarinade de 1649 contient le passage suivant:

«Il n'est pas jusque(s) à Jodelet

Qui n'ait en main le pistolet,

Ayant adjoint à sa cabale

Les gens de la Troupe Royale;

Si bien qu'eux tous jusqu'aux Portiers

Ont cuirasse et sont cavaliers,

Tesmoignant bien mieux leur courage

En personne qu'en personnage.»

Le Courrier françois dit encore en 1650:

«L'hostel de Bourgogne ferma.

La trouppe du Marais s'arma.

Jodelet n'eut plus de farine

Dont il put barbouiller sa mine.»

Voy. Choix de Mazarinades, publié par C. Moreau; Paris, 1853, 2 vol. in-8, t. Ier, p. 300 et t. IIe, p. 167; voy. aussi la Bibliographie des Mazarinades du même auteur, nos 1080, 1257, 1736.

Malgré les efforts de Jodelet et de ses camarades, la Suite du Menteur échoua; Corneille l'avoue lui-même, dans son Epistre et dans son Examen, sans se rendre bien compte des causes de son insuccès. Sans parler des défauts de la pièce, qui, malgré d'excellentes scènes, n'est pas d'un intérêt véritablement dramatique, on peut dire qu'il est sans exemple dans la littérature que la suite d'un ouvrage ait jamais participé à la vogue que l'auteur se proposait d'exploiter. «Bien que d'abord cette Pièce n'eut pas grande approbation, ajoute Corneille, à la fin de son Examen, quatre ou cinq ans après la Troupe du Marais la remit sur le Théatre avec un succès heureux, mais aucune des Troupes qui courent les Provinces ne s'en est chargée.» Cette reprise dut avoir lieu peu de temps avant que Jodelet se joignît aux frondeurs; ce fut la dernière. Le Registre de Lagrange ne mentionne aucune représentation de la Suite du Menteur; ce n'est qu'au commencement de ce siècle qu'Andrieux essaya les retouches conseillées par Voltaire. La pièce, réduite en 4 actes, fut jouée sur le Théâtre-Français, où elle obtint 7 représentations. Andrieux, mécontent de son ouvrage, la remit en 5 actes et la donna sous cette nouvelle forme sur le Théâtre de l'Impératrice, l'Odéon actuel (voy. notre chapitre XIV p. 338).

On joua en 1645 une pièce de d'Ouville, dont le titre reproduisait celui de la comédie de Lope de Vega, dont Corneille a tiré la Suite du Menteur: Aymer sans savoir qui (à Paris, chez Cardin Besongne, 1647, in-4). L'analyse que les frères Parfaict ont donnée de cette pièce (Histoire du Théatre François, t. VIe, pp. 411-415) permet de dire qu'elle n'a aucun rapport avec l'ouvrage espagnol.

Vendu: 40 fr., exempl. à relier, Huillard, 1870 (no 595);—170 fr., même exempl., Potier, 1870 (no 1231).

41. La Svite || dv || Mentevr, || Comedie. || Imprimé à Roüen, & se vend || A Paris, || Chez || Antoine de Somma- || uille en la Gallerie || des Merciers, à l'Escu || de France. || Au || Palais. || Et || Augustin Courbé, || en la mesme Gallerie, || à la Palme. || M. DC. XLV [1645]. || Auec Priuilege du Roy. In-12 de 6 ff., 93 pp. et 1 f. blanc.

Collation des feuillets prélim.: titre; 7 pp. pour la dédicace; 2 pp. pour le Privilége; 1 p. pour les noms des Acteurs. Le privilége et l'achevé d'imprimer sont les mêmes que dans l'édition in-4.

Cette édition fait partie du recueil de 1647.

42. La || Svite || dv || Mentevr, || Comedie. || A Paris, || Chez Toussainct Quinet, || au Palais, dans la petite Salle, sous la montée || de la Cour des Aydes; [ou Chez Antoine de Sommauille, || au Palais, dans la petite salle des Merciers, || à l'Escu de France]. || M. DC. XLVIII [1648]. || Auec Priuilege du Roy. In-12 de 6 ff. et 93 pp.

La collation est la même que dans l'édition in-12 de 1645, mais les caractères sont plus fins et la justification plus petite (109 mm. sur 56). Le privilége est le même, mais il n'y a pas d'achevé d'imprimer.

Cette édition fut sans doute publiée lors de la reprise, dont parle Corneille à la fin de son Examen. Nous en avons vu des exemplaires à la Bibliothèque Cousin, chez M. L. Potier et à la librairie Techener.

43. La Suite du Menteur, Comedie. Par P. Corneille. A Paris, Au Palais. Chez Guillaume de Luyne, dans la Salle des Merciers sous la montée de la Cour des Aydes à la Justice. Estienne Loyson, au premier Pillier de la Grand'Salle proche les Consultations au nom de Jesus. Pierre Traboüillet, dans la Galerie des Prisonniers, à l'Image S. Hubert, & à la Fortune proche le Greffe des Eaux & Forests. M. DC. LXXXII [1682], Avec Privilege du Roy. In-12.

XVI

44. Rodogvne || Princesse || des Parthes. || Tragedie. || Imprimé à Roüen, & se vend || A Paris, || Chez Toussaint Quinet, au Palais, || sous la montée de la Cour des Aydes; [ou Chez Antoine de Sommauille, au Palais, en la || Gallerie des Merciers, à l'Escu de France; ou Chez Augustin Courbé, au Palais, en la || Gallerie des Merciers, à la Palme. || M. DC. XLVII [1647]. || Auec Priuilege du Roy. In-4 de 9 ff. et 115 pp.

Collation des feuillets prél.: Figure représentant Rodogune qui empêche Antiochus de prendre la coupe; on lit en haut le titre de la tragédie, avec le nom de Corneille, et en bas ces mots: C. le Brun in., au-dessous desquels se trouve l'indication du lieu de publication: A Paris, Au Palais, Auec Priuilege du Roy, 1647 (cette figure, imprimée sur un f. séparé, manque souvent); 1 f. de titre avec un fleuron portant le monogramme de L. Maurry; 4 ff. pour la dédicace à «Monseigneur Monseigneur le Duc d'Anguien»; 2 ff. pour l'extrait d'Appien; 1 f. pour l'Extrait du Privilége et les noms des Acteurs.

Le privilége, daté du 17 avril 1646, est donné pour cinq ans à Toussainct Quinet, lequel y associe A. de Sommaville et A. Courbé. L'achevé d'imprimer est du dernier jour de janvier 1647.

Dans certains exemplaires d'un premier tirage, la dernière page est chiffrée par erreur 107.

Dans tous les recueils des œuvres de Corneille, sauf dans la grande édition in-folio de 1663, Rodogune est placée après Théodore, mais il est certain que cette dernière pièce ne fut jouée qu'en 1645, tandis que la première dut l'être dans le courant de l'année 1644. Tous les historiens du théâtre sont unanimes sur ce point. Voltaire a pensé qu'ils se trompaient et que l'ordre chronologique n'avait pas dû être abandonné par Corneille; il a donc reculé la représentation de Rodogune jusqu'en 1646, tandis qu'avec tous les auteurs il a laissé Théodore à l'année 1645. L'ordre dans lequel furent publiées les deux tragédies n'est pas, à notre avis, un motif suffisant pour écarter une tradition universellement admise.

La place occupée par Théodore, dans les éditions de 1647 à 1655, lui fut sans doute donnée en raison de la date à laquelle elle fut publiée. Corneille s'était d'autant plus empressé de la faire imprimer, qu'il espérait que sa Vierge chrétienne, malgré l'échec qu'elle avait subi à Paris, serait bien accueillie sur les théâtres de province, tandis qu'il retarda l'impression de Rodogune pour protéger les droits des comédiens et les siens. Lors de la composition du recueil de 1647, les libraires s'en tinrent à l'ordre dans lequel les pièces avaient été imprimées. Corneille conserva cet ordre, sans y rien changer, jusqu'en 1660, époque à laquelle il se préoccupa de donner une forme définitive aux éditions de ses œuvres. Il mit alors Théodore immédiatement après Pompée, c'est-à-dire avant le Menteur, dans la pensée de la rapprocher de Polyeucte, dont elle était le pendant. La grande édition de 1663 innova sur ce point et rangea toutes les pièces à leur vraie place, y compris Théodore, mais les éditions de 1664 in-8, de 1668 et de 1682 revinrent aux errements antérieurs. A partir de cette époque, il nous paraît facile d'expliquer la transposition faite par Corneille. Les dernières éditions de ses œuvres sont «réglées» à huit pièces par volume; Théodore, étant sa dix-septième pièce, devait naturellement ouvrir le tome IIIe. Il est naturel de penser que le poëte, qui avait commencé le tome IIe par le Cid, aura voulu mettre en tête du tome IIIe, une pièce qui eût obtenu un succès incontesté; il choisit Rodogune et relégua Théodore au second plan, à la fin du volume précédent. L'édition in-folio étant réglée à douze pièces par volume, c'est Pompée qui ouvrait la seconde partie, en sorte que Théodore avait pu sans inconvénient y occuper sa vraie place.

Fontenelle prétend que son oncle fut plus d'un an à disposer le sujet de Rodogune. Il en devait l'idée première à un épisode raconté par Appien; mais, l'histoire ne pouvant être mise sur la scène dans toute sa nudité, le récit de Justin, les témoignages du Livre des Machabées et de Josèphe n'étant d'ailleurs pas conformes sur tous les points aux faits rapportés par l'historien grec, Corneille dut tirer de son propre fonds la plus grande partie du poëme. Cet effort d'imagination lui coûta beaucoup de peine et lui inspira pour Rodogune une affection particulière. «On m'a souvent fait une question à la Cour, dit-il dans son Examen, quel étoit celuy de mes Poëmes que j'estimois le plus, et j'ay trouvé tous ceux qui me l'ont faite si prévenus en faveur de Cinna, ou du Cid, que je n'ay jamais osé déclarer toute la tendresse que j'ay toujours eue pour celui-cy, à qui j'aurois volontiers donné mon suffrage, si je n'avois craint de manquer en quelque sorte au respect que je devois à ceux que je voyois pencher d'un autre costé. Cette préférence est peut-estre en moy un effet de ces inclinations aveugles, qu'ont beaucoup de péres pour quelques-uns de leurs enfans, plus que pour les autres: peut-estre y entre-t'il un peu d'amour-propre, en ce que cette Tragédie me semble estre un peu plus à moy, que celles qui l'ont précédée, à cause des incidens surprenans qui sont purement de mon invention, et n'avoient jamais été veus au Théatre; et peut-estre enfin y a-t'il un peu de vray mérite, qui fait que cette inclination n'est pas tout-à-fait injuste.»

Au moment où Corneille achevait de combiner les scènes de sa tragédie, il fut trahi par un de ceux qui avaient reçu ses confidences. Gabriel Gilbert, auteur dramatique médiocre, dont la reine Christine de Suède avait fait son secrétaire, profita de cette indiscrétion et ne craignit pas d'écrire une Rodogune, qu'il fit représenter sous son nom en 1644, quelques mois avant la pièce de Corneille (Rodogune, Tragi-Comedie; à Paris, chez Toussainct Quinet, 1646, in-4). Le plagiaire avait eu connaissance des quatre premiers actes de la vraie Rodogune, qu'il suivit assez fidèlement, mais il fut abandonné à lui-même pour le cinquième, et le misérable dénoûment qu'il imagina suffit pour révéler son larcin. Corneille ne se plaignit même pas de cet abus de confiance qu'il feignit d'ignorer; la supériorité du style était pour lui une vengeance plus que suffisante. D'ailleurs Gilbert, ignorant de quel auteur le sujet était tiré, n'avait pas su à qui appliquer le nom de Rodogune; il l'avait donné par erreur à la reine que Corneille appelle Cléopatre.

Rodogune fut représentée à l'hôtel de Bourgogne; elle fut jouée par Mlle Bellerose, à ce que nous apprend une mazarinade intitulée: Lettre de Bellerose à l'abbé de la Rivière (1649). Plus tard elle passa dans le répertoire courant de la troupe de Molière. Le Registre de Lagrange en mentionne 23 représentations de 1659 à 1680. Les comédiens de l'hôtel de Bourgogne ne cessèrent point pour cela de donner Rodogune, si l'on s'en rapporte à la distribution indiquée par Mouhy, dans son Journal du Théatre François (voy. Marty-Laveaux, t. IVe, pp. 406 sq.). Ce furent très-probablement les acteurs que nomme Mouhy: Baron, Villiers, Champmeslé, Lecomte, Mlle de Champmeslé, Mlle Dupin et Mlle Guiot qui représentèrent la pièce à Versailles en octobre 1676, lors de la reprise qui donna lieu au Remerciement de Corneille. C'étaient les mêmes acteurs qui jouaient Rodogune, au commencement de l'année 1685, ainsi que nous l'apprenons par le Manuscrit du Dauphin (voy. ci-dessus, no 19). Les indications de ce manuscrit sont d'autant plus importantes qu'elles viennent corroborer le témoignage de Mouhy. Voici la distribution qu'il nous fournit:

DAMOISELLES.

Cleopatre: Beauval, ou Dupin.
Rodogune: Chanmeslé.
Laodice: Guiot.

HOMMES.

Antiochus: Baron.
Seleuchus: de Villiers, ou le Comte.
Timagene: Chanmeslé.
Oronte: le Comte.

Parmi les artistes qui ont rempli le rôle de Cléopatre, nous citerons, d'après Lemazurier (Galerie des acteurs du Théâtre Français, t. IIe), Mlle Aubert, en 1712; Mlle Lamotte, en 1722; Mlle Balicourt, en 1727; enfin et surtout Mlle Dumesnil. Les plus brillantes interprètes de Rodogune ont été Mlle Gaussin et Mlle Clairon.

Les représentations données par le Théâtre-Français de 1680 à 1870 ont été au nombre de 455, savoir: sous Louis XIV: à la ville, 133; à la cour, 21;—sous Louis XV: à la ville, 135; à la cour, 14;—sous Louis XVI: à la ville, 34; à la cour, 6;—sous la Révolution, 9;—sous le Directoire, le Consulat et l'Empire: à la ville, 67; à la cour, 3;—sous la Restauration, 18;—sous le second Empire, 15.

45. Rodogvne || princesse || des Parthes. || Tragedie. || Imprimé à Roüen, & se vend || à Paris, || Chez Toussaint Quinet, au || Palais, sous la montée de la Cour des Aydes; [ou Chez Antoine de Sommaville, || au Palais, en la Gallerie des Mer- || ciers, à l'Escu de France; ou Chez Augustin Courbé || au Palais, en la Salle des Merciers, || à la Palme]. || M. DC. XLVII [1647]. || Auec Priuilege du Roy. In-12 de 10 ff. et 87 pp.

Collation des feuillets prélim.: frontispice gravé portant ces mots dans un cartouche: La Rodogune, Tragedie de M. de Corneille, 1647 (ce frontispice manque à beaucoup d'exemplaires où il est remplacé par 1 f. blanc); 1 f. de titre; 4 ff. de dédicace à Monseigneur le Prince (le vo du dernier est occupé par un simple fleuron); 4 ff. contenant l'extrait d'Appian Alexandrin et les noms des Acteurs.

Nous avons eu sous les yeux deux exemplaires au nom de Quinet, ou le fleuron et la lettre ornée qui précèdent la dédicace étaient différents, tandis qu'ils étaient pour tout le reste absolument conformes.

Le privilége occupe le verso de la p. 87. Il est au nom de Toussainct Quinet, qui déclare y associer Antoine de Sommaville et Augustin Courbé. On lit à la fin: Acheué d'imprimer pour la première fois, le dernier iour de Ianuier 1647.

La Bibliothèque Cousin possède un exemplaire de cette édition au nom de Courbé, avec la date de 1646. Il y a là une faute d'impression évidente, puisque l'achevé d'imprimer porte, comme dans tous les exemplaires, le dernier jour de janvier 1647.

Vendu: 16 fr. mar. r. doublé de mar. bl. (Gruel), Giraud, 1855 (no 1641);—40 fr., exempl. à relier, Catalogue Lefebvre (de Bordeaux), 1875 (no 56).

46. Rodogune, princesse des Parthes, Tragedie. Par P. Corneille. A Paris, Au Palais. Chez Guillaume de Luyne, dans la Salle des Merciers sous la montée de la Cour des Aydes à la Justice. Estienne Loyson, au premier Pillier de la Grand'Salle proche les Consultations au Nom de Jesus. Pierre Trabouillet, dans la Galerie des Prisonniers, à l'Image S. Hubert, & à la Fortune proche le Greffe des Eaux & Forests. M. DC. LXXXII [1682]. Avec Privilege du Roy. In-12.

XVII

47. Theodore || vierge et martyre, || Tragedie ]| chrestienne. || Imprimé à Roüen, & se vend || A Paris, || Chez Toussainct Quinet, au Palais, sous || la montée de la Cour des Aydes; ou Chez Antoine de Sommauille, au Palais, || en la Gallerie des Merciers, à l'Escu de France; [ou Chez Augustin Courbé, au Palais, en || la Gallerie des Merciers, à la Palme]. || M. DC. XLVI [ou M. DC. XLVII] [1646 ou 1647]. || Auec Priuilege du Roy. In-4 de 5 ff. et 128 pp.

Collation des feuillets prélim.: figure représentant la décollation de sainte Théodore; titre avec le fleuron de Laurens Maury et ses initiales L. M.; 5 pp. pour la dédicace à Monsieur L. P. C. B.; 1 p. pour l'Extrait du Privilége et les noms des Acteurs.

Le privilége, daté du 17 avril 1646 (comme le privilége de Rodogune), est accordé pour cinq ans à Toussainct Quinet, qui déclare y associer A. de Sommaville et A. Courbé. L'achevé d'imprimer est du dernier jour d'octobre 1646.

La plupart des exemplaires de cette édition que nous avons vus portent la date de 1647; ce sont ceux dans lesquels nous avons trouvé le frontispice gravé. La Bibliothèque Cousin possède un exemplaire de 1646, sans frontispice avec le nom de Courbé. Un autre exemplaire est porté au Catalogue Pompadour, no 890. Il est possible que la gravure n'ait pas été achevée, lorsque les premiers exemplaires furent mis en vente.

En écrivant Théodore, Corneille espéra renouveler le succès de Polyeucte. Il écrivit Théodore après Polyeucte, comme il avait écrit la Place Royale après la Galerie du Palais, Cinna après Horace, la Suite du Menteur après le Menteur. Il emprunta le sujet de la pièce au De Virginibus de saint Ambroise et crut pouvoir mettre sur la scène une légende presque semblable à celle de sainte Agnès, que les spectateurs naïfs du moyen âge écoutaient avec un recueillement religieux. Nous connaissons un drame provençal du commencement du XIVe siècle, auquel cette dernière sainte donne son nom (Sancta Agnes, provenzalisches geistliches Schauspiel, herausgegeben von Karl Bartsch; Berlin, Weber, 1869, pet. in-8), et dans les premières années du XVIIe siècle, Pierre Troterel, seigneur d'Aves, en fit l'héroïne d'une tragédie (Tragédie de Sainte Agnes, par le Sieur d'Aves; Rouen, David du Petit Val, 1615, pet. in-12 de 95 pp.). Personne alors ne trouvait mauvais qu'une partie de l'action se passât dans un lieu de prostitution; mais Corneille avait épuré le goût public, et les spectateurs ne purent supporter le quatrième acte de sa pièce. Jouée, en 1645, par les comédiens du Roi, Théodore n'eut, d'après le Journal du Théatre François, que cinq représentations. Corneille ne put dissimuler son échec: «La representation de cette Tragédie, dit-il dans son Examen, n'a pas eu grand éclat, et sans chercher des couleurs à la justifier, je veux bien ne m'en prendre qu'à ses défauts, et la croire mal faite, puisqu'elle a été mal suivie. J'aurois tort de m'opposer au jugement du Public; il m'a été trop avantageux en d'autres Ouvrages pour le contredire en celui-cy, et si je l'accusois d'erreur ou d'injustice pour Théodore, mon exemple donneroit lieu à tout le monde de soupçonner des mesmes choses les Arrests qu'il a prononcez en ma faveur. Ce n'est pas toutefois sans quelque satisfaction, que je voy la meilleure et la plus saine partie de mes Juges imputer ce mauvais succès à l'idée de la prostitution qu'on n'a pû souffrir, bien qu'on sçeust assez qu'elle n'auroit point d'effet, et que pour en extenuer l'horreur j'aye employé tout ce que l'Art et l'expérience m'ont pû fournir de lumiéres; pouvant dire du quatrieme Acte de cette Pièce que je ne croy pas en avoir fait aucun, où les diverses passions soient ménagées avec plus d'adresse et qui donne plus lieu à faire voir le talent d'un excellent Acteur.» Dans les provinces, les spectateurs étaient moins exigeants qu'à Paris. Après avoir remarqué que la Suite du Menteur n'y fut point donnée, Corneille termine l'Examen de cette pièce par la réflexion suivante: «Le contraire est arrivé de Théodore, que les Troupes de Paris n'y ont point rétablie depuis sa disgrace, mais que celles des Provinces y ont fait assez passablement réüssir.»

Nous avons déjà parlé (voy. le no 44) du rang assigné à Théodore, dans les diverses éditions collectives que Corneille donna de ses ouvrages. Nous n'avons pu voir d'autre motif à l'interversion qui l'a fait passer avant Rodogune, et même, en 1660, avant le Menteur, que le désir qu'eut le poëte de la rapprocher de Polyeucte et de ne pas mettre en tête d'un volume une pièce qui n'avait pas obtenu un complet succès.

48. Theodore || vierge et martyre, || tragedie chrestienne. || Imprimé à Roüen, & se vend || A Paris, || Chez Toussainct Quinet, || au Palais, sous la montée de la || Cour des Aydes [ou Chez Antoine de Sommauille, || au Palais, en la Gallerie des Merciers, || à l'Escu de France; ou Chez Augustin Courbé, || au Palais, en la Gallerie des || Merciers, à la Palme]. || M. DC. XLVI [1646]. || Avec Privilege du Roy. In-12 de 4 ff., 82 pp. et 1 f. blanc.

Collation des feuillets prélim.: titre; 2 ff. pour la dédicace à Monsieur L. P. C. B.; 1 f. pour l'Extrait du Privilége et les noms des Acteurs.

Le privilége, daté du 17 avril 1646, est accordé pour cinq ans à Toussainct Quinet, qui déclare y associer Antoine de Sommaville et Augustin Courbé. L'achevé d'imprimer pour la première fois est du dernier jour d'octobre 1646.

Cette édition fait partie du recueil de 1647.

La Bibliothèque Cousin possède un exemplaire au nom de Courbé, avec la date de 1647, qui ne présente d'ailleurs aucune différence avec les exemplaires datés de 1646.

Vendu: 20 fr., mar. r. doublé de mar. bl. (Gruel), Giraud, 1855 (no 1639);—75 fr., mar. r. (Duru et Chambolle), Potier, 1870 (no 1230).

49. Theodore vierge et martyre, Tragedie chrestienne. Par P. Corneille. A Paris, Au Palais. Chez Guillaume de Luyne, dans la Salle des Merciers sous la montée de la Cour des Aydes à la Justice. Estienne Loyson, au premier Pillier de la Grand'Salle proche les Consultations au Nom de Jesus. Pierre Trabouillet, dans la Galerie des Prisonniers, à l'image S. Hubert, & à la Fortune proche le Greffe des Eaux & Forests. M. DC. LXXXII [1682]. Avec Privilege du Roy. In-12.

Cette édition doit se composer de 2 ff. et 76 pp.

Vendu: 6 fr. mar. v. (Duru), Giraud, 1855 (no 1640).

XVIII

50. Heraclivs || emperevr || d'Orient, || Tragedie, || Imprimé à Roüen, & se vend || A Paris, || Chez Toussainct Quinet, au Palais, || sous la montée de la Cour des Aydes; [ou Chez Antoine de Sommauille, au Palais, || en la Gallerie des Merciers, à l'Escu de France; ou Chez Augustin Courbé, au Palais, || en la Gallerie des Merciers, à la Palme]. || M. DC. XLVII [1647]. || Auec Priuilege du Roy. In-4 de 6 ff., 126 pp. et 1 f.

Collation des feuillets prélim.: 1 f. de titre avec un fleuron, au monogramme de L. Maurry; 3 ff. pour la dédicace A Monseigneur Seguier, Chancelier de France; 2 ff. pour l'avis Au Lecteur et les noms des Acteurs.

Le privilége, dont le texte remplit le dernier f., est accordé pour cinq ans à T. Quinet, à la date du 17 avril 1647, et Quinet déclare y associer A. de Sommaville et A. Courbé. L'achevé d'imprimer est du 28 juin 1647.

Les libraires associés pour la publication de la pièce eurent un procès dont Scarron (éd. de 1786, t. VIIe, p. 56) nous a conservé le souvenir dans les vers suivants, que M. Marty-Laveaux a relevés:

Si l'on ne payoit point les Muses,

Elles deviendroient bien camuses;

On ne feroit plus rogatums,

On n'imprimeroit que factums;

Courbé, Quinet et Sommaville

Finiroient leur guerre civile,

Et ne s'entre-plaideroient plus

Pour Cassandre et l'Heraclius.

Dans le procès intenté par Quinet à ses deux associés Sommaville et Courbé, Corneille, croyons-nous, donna raison aux derniers. Leurs deux noms figurent, en 1648, sur une édition de Polyeucte (no 28), tandis qu'on n'y voit pas celui de Quinet. Du reste la brouille ne fut pas de longue durée. Courbé ayant obtenu, en 1648, un privilége pour les pièces de Corneille, y associa Sommaville et Quinet. Leur entente est constatée par le recueil de 1648, dont l'achevé d'imprimer est du 31 septembre. (Voy. notre chapitre III.)

Héraclius fut représenté à l'hôtel de Bourgogne vers la fin de l'année 1646. Nous adoptons cette date et non celle de 1647 que nous fournissent les historiens du théâtre, parce que le passage du Déniaisé de Gillet de la Tessonnerie, que cite M. Marty-Laveaux (t. V, p. 117), nous paraît tout à fait concluant. Dans cette comédie figurent deux amants qui se vantent tour-à-tour de leur galanterie pour leur belle:

J'ay fait voir à Daphnis dix fois Heraclius,

—Moy, vingt fois Themistocle et peut-estre encor plus.

Le privilége du Déniaisé est daté du 9 mars 1647. Si l'on tient compte du temps nécessaire pour l'obtention des lettres royales; si l'on réfléchit que les acteurs ne jouaient alors que trois fois par semaine, et qu'une pièce ne pouvait avoir plus de dix représentations en un mois; si enfin l'on admet que la Tessonnerie ne put composer et faire jouer sa pièce en moins d'un mois, on est forcé de placer Héraclius avant la fin de l'année 1646. Corneille lui-même nous fournit un argument à l'appui de cette opinion. Dans l'avis au lecteur qui précède Rodogune (dont l'achevé d'imprimer est du 31 janvier 1647), il dit que cette tragédie n'est pas la seule où il ait pris de la liberté avec l'histoire, et il ajoute: «Je l'ay poussée encore plus loin dans Heraclius que je viens de mettre sur le théatre.» Cette phrase, écrite au commencement de l'année 1647, se rapportait sans doute à un événement antérieur de quelques semaines.

Corneille composa Héraclius en combinant plusieurs passages des Annales ecclesiastici de Baronius. «Cette Tragédie, nous dit-il dans son Examen, a encore plus d'effort d'invention que celle de Rodogune, et je puis dire que c'est un heureux Original, dont il s'est fait beaucoup de belles copies, si-tost qu'il a paru.» Malgré la netteté de cette déclaration faite par un homme dont on connaît la franchise, quelques critiques du commencement du XVIIIe siècle s'avisèrent de rechercher une comédie de Calderon intitulée: En esta vida todo es verdad y todo mentira, qui présente dans certains passages de frappantes analogies avec Héraclius, et prétendirent que le poëte français avait emprunté sa pièce à l'Espagne. Cette assertion fut avancée assez à la légère dans le Mercure de 1724, mais démentie par le savant jésuite Tournemine, dont Jolly reproduisit les observations dans l'Avertissement des Œuvres de Corneille, publiées par lui en 1738. Quelque incroyables que fussent les accusations de plagiat portées contre Corneille, Voltaire n'hésita pas à les reprendre, mais ne trouva pour les soutenir que les plus détestables raisons. Corneille n'emprunta rien à Calderon; ce fut au contraire l'auteur espagnol qui fit entrer des fragments de la pièce de Corneille dans une conception presque insensée. Sa comédie de Todo es verdad y todo mentira, ne fut publiée que 17 ans après Héraclius (Tercera Parte de las Comedias de D. Pedro Calderon de la Barca; Madrid, por Domingo Garcia Morràs, 1664, in-4 de 6 ff. non chiff. et 272 ff. chiff.); c'est ce que M. Viguier (Anecdotes littéraires sur Pierre Corneille; Rouen, 1846, in-8, pp. 13 sqq., et Œuvres de Corneille, éd. Marty-Laveaux, t. Ve, pp. 122 sqq.), a démontré d'une manière irréfragable. Il faut toute la passion d'un «Franzosenfresser» comme M. de Schack (Geschichte der dramatischen Literatur und Kunst in Spanien, t. IIIe, p. 177; Nachtrag, p. 104), ou toute l'ardeur castillane d'un poëte comme M. Harzenbusch, qui fait de la question une question d'amour-propre national, pour accuser Corneille d'un plagiat commis au contraire à son détriment.

Au dire de Corneille, le poëme d'Héraclius «est si embarrassé, qu'il demande une merveilleuse attention. J'ay veu, ajoute-t-il, de fort bons esprits, et des personnes des plus qualifiées de la Cour, se plaindre de ce que sa représentation fatiguoit autant l'esprit qu'une étude sérieuse. Elle n'a pas laissé de plaire, mais je croy qu'il l'a fallu voir plus d'une fois, pour en remporter une entière intelligence.» La troupe de Molière donna plus tard Héraclius, comme la plupart des autres pièces de Corneille. Le Registre de Lagrange en mentionne 14 représentations de 1659 à 1680, dont 7 pour la seule année 1661. D'après une tradition recueillie dans l'édition de la Bruyère, donnée par Coste en 1731 (t. Ier, p. 3), Molière «réussit si mal la première fois qu'il parut à la tragédie d'Héraclius, dont il faisoit le principal personnage, qu'on lui jeta des pommes cuites qui se vendoient à la porte, et il fut obligé de quitter». Peut-être la malheureuse représentation où Molière subit cet affront est-elle celle que Lagrange cite à la date du samedi 18 mai 1659, avec une recette de 72 livres. Molière n'avait pour sa part que 3 livres!

Robinet nous raconte, dans sa Lettre en vers à Madame, du 1er décembre 1668, une représentation d'Héraclius donnée chez Monsieur:

Lundy, les Altesses Royales,

En l'une de leurs grandes Sales,

Où tout brilloit tant que rien plus,

Veirent le grand Héraclius,

L'un des beaux fruits des doctes Veilles

Du digne Aîné des deux Corneilles,

Qu'avec un honneur non tel quel,

Jouërent Messieurs de l'Hôtel.

Au commencement de l'année 1685, Héraclius était distribué de la manière suivante:

DAMOISELLES.

Pulcherie: Chanmeslé.
Léontine: Beauval, ou Dupin.
Eudoxe: Poisson.

HOMMES.

Héraclius: Baron, ou Dauvilliers.
Marsian: Dauvilliers, ou le Comte.
Phocas: Chanmeslé.
Crispe: Hubert, ou le Comte.
Octavian: Raisin L.
Amintas: Beauval.

De 1680 à 1870, le Théâtre-Français a donné 305 représentations d'Héraclius, savoir: sous Louis XIV; à la ville, 60; à la cour, 4;—sous Louis XV; à la ville, 137; à la cour, 17;—sous Louis XVI; à la ville, 18; à la cour, 6;—sous la Révolution: 5;—sous le Directoire, le Consulat et l'Empire: à la ville, 40; à la cour, 2;—sous la Restauration: 13;—sous le second Empire: 3.

51. Heraclivs || Emperevr || d'Orient, || Tragedie. || Imprimé à Roüen, & se vend || A Paris, || Chez Toussainct Quinet, au Palais, sous la montée de la || Cour des Aydes; [ou Chez Antoine de Sommauille, || au Palais, en la gallerie des Merciers, || à l'Escu de France; ou Chez Augustin Courbé, au Palais, en la Gallerie des Merciers, à la Palme]. || M. DC. XLVII [1647]. || Auec Priuilege du Roy. In-12 de 6 ff., 93 pp. et 1 f.

Collation des feuillets prélim.: titre; 2 ff. pour la dédicace; 3 ff. pour l'avis Au Lecteur et les Acteurs.

Le privilége est le même que dans l'édition in-4 qui précède. Il se termine par la même mention et le même achevé d'imprimer.

Cette édition dut paraître peu de temps après l'édition in-4. Dans la lettre citée ci-dessus, Conrart dit à Félibien, à la date du 16 août 1647: «Je tiendray le petit Heraclius tout prest pour vous l'envoyer par la premiere commodité d'amy qui se présentera.»

Vendu: 21 fr. mar. bl. doublé de mar. r. (Gruel), Giraud, 1855 (no 1642);—40 fr., exempl. à relier, Catalogue Lefebvre (de Bordeaux), 1875 (no 57).

52. Heraclivs || Emperevr || d'Orient, || Tragedie. || A Paris, || Chez Guillaume de Luine, au Palais, sous || la montée de la Cour des Aydes. || M. DC. LII. [1652]. || Auec Priuilege du Roy. In-12 de 6 ff., 82 pp. et 1 f.

Collation des feuillets prélim.: titre; 2 ff. pour la dédicace; 3 ff. pour l'avis Au Lecteur et les noms des Acteurs.

Cette édition est imprimée en petits caractères très-nets; la justification est de 104 mm. sur 58, tandis que l'édition de 1647 a 111 mm. sur 58. Il existe des exemplaires de l'édition de Guillaume de Luine, avec la date de 1653. Nous avons pu nous convaincre à la Bibliothèque Cousin, où nous avons trouvé un exemplaire sous chacune des deux dates, que les deux catégories d'exemplaires appartiennent à une seule et même édition.

53. Heraclius Empereur d'Orient, Tragedie. Par P. Corneille. A Paris, Au Palais. Chez Guillaume de Luyne, dans la Salle des Merciers, sous la montée de la Cour des Aydes à la Justice. Estienne Loyson, au premier Pillier de la Grand'Salle proche les Consultations au Nom de Jesus. Pierre Traboüillet, dans la Galerie des Prisonniers, à l'Image S. Hubert, & à la Fortune proche le Greffe des Eaux & Forests. M. DC. LXXXII [1682]. Avec Privilege du Roy. In-12.

XIX

54. Dessein de la Tragedie || d'Andromede, || Représentée sur le Theatre || Royal de Bourbon. || Contenant l'ordre des Scénes, la descri || ption des Theatres & des Machines, || & les paroles qui se chantent || en Musique. || Imprimé à Roüen, aux despens de l'Autheur. || M. DC. L. [1650]. || Auec Priuilege du Roy. || Et se vend à Paris, chez Augustin Courbé, || Imprimeur & Libraire ordinaire de M. le Duc || d'Orleans, au Palais, à la Palme. In-8 de 68 pp., y compris le titre.

Au verso du titre, se trouve l'extrait du privilége accordé à Corneille, pour cinq ans, à la date du 12 octobre 1649. L'achevé d'imprimer est du 3 mars 1650.

Mazarin, qui avait apporté d'Italie le goût de l'opéra et des représentations à grand spectacle, fit jouer, pendant le carnaval de 1647, un ballet italien intitulé Orphée (Orphée, Tragi-Comedie en Musique en Vers Italiens, représentée devant Leurs Majestés; Paris, Sebastien Cramoisy, 1647, in-4 de 29 pp.). Malgré les splendeurs de la mise en scène, ce ballet n'eut qu'un médiocre succès, que Renaudot, le rédacteur de la Gazette, ne parvint pas à grandir. Les spectateurs ne comprirent pas les vers italiens, ou, s'ils les comprirent, ne purent qu'en déplorer la faiblesse. Mazarin, pour faire mieux goûter par le public le genre de fêtes qui lui plaisait, eut alors l'idée de monter un opéra français, dont les vers fussent écrits par le plus grand poëte de l'époque; il désigna Corneille pour le composer. Le poëte n'eut pas le choix du sujet, qui lui fut probablement imposé par le cardinal. Il s'agissait d'utiliser les décorations et les machines exécutées sous la direction de l'Italien Torelli, pour le ballet d'Orphée, et l'on ne pouvait mettre sur la scène qu'un grand spectacle mythologique.

Le sujet d'Andromède avait été traité plusieurs fois déjà par les faiseurs d'opéras italiens (Andromeda, Tragicomedia boscareccia di Diomisso Guazzoni, [Cremonese]; in Venetia, per Domenico Imberti, 1587 et 1599 in-12;—Andromeda, Tragicomedia per Musica [poesia di Ridolfo Campeggi, Bolognese, musica di Girolamo Giacobbi, maestro di capella di S. Petronio]; in Bologna, per Bartolommeo Cecchi, 1610, in-12;—Andromeda, Dramma per Musica rappresentato nel Teatro di S. Cassiano di Venezia l'anno 1637, [poesia di Benedetto Ferrari, di Reggio di Modena, musica di Francesco Manelli, di Tivoli]; in Venezia, per Antonio Bariletto, 1637, in-12;—Andromeda, Festa teatrale [di Ascanio Pio di Savoja]; in Ferrara, 1639, in-fol., figg.); nul doute que Corneille n'ait eu entre les mains sinon toutes ces compositions, au moins les plus récentes, et qu'il ne s'en soit inspiré.

La musique d'Andromède fut écrite non pas, comme l'a cru Voltaire, par le compositeur Boesset, ou Boissette, mais par le poëte burlesque Dassoucy, qui, dans un fragment de recueil placé à la suite d'un exemplaire de ses Rimes redoublées que possède la Bibliothèque de l'Arsenal, dit expressément: «C'est moy qui ay donné l'âme à l'Andromede de M. de Corneille.» Ce passage a été relevé, pour la première fois, par M. Paul Lacroix (la Jeunesse de Molière, p. 173), et M. Fournier (Notes sur Corneille, p. xc) en a rapproché avec beaucoup de raison le sonnet adressé par Corneille à Dassoucy sur son Ovide en belle humeur, sonnet qui fut écrit en 1650, l'année même de la représentation d'Andromède.

L'hypothèse des deux savants que nous venons de citer est maintenant une certitude. Dassoucy a fait imprimer des Airs à quatre parties (Paris, Robert Ballard, 1653, très-pet. in-8 obl.), qui contiennent deux fragments d'Andromède, un morceau du Prologue: Cieux, escoutez, escoutez, Mers profondes, et un morceau de l'acte quatrième: Vivez heureux amants. Ce petit recueil est d'autant plus intéressant qu'il contient quelques vers de Corneille à Dassoucy, qui ont échappé à tous les éditeurs. Nous les reproduirons dans notre chapitre Ve.

Corneille se mit à l'œuvre en 1647, assisté de Dassoucy et de Torelli. Une maladie du roi et les pieuses exhortations de Vincent de Paul retardèrent la représentation, qui devait avoir lieu pendant le carnaval de 1648. Dans une lettre datée du 20 décembre 1647, Conrart nous donne à ce sujet de curieux détails. «On préparoit, dit-il, force machines au palais Cardinal, pour représenter à ce carnaval une comedie en musique dont M. Corneille a fait les paroles. Il avoit pris Andromede pour sujet, et je crois qu'il l'eust mieux traité à nostre mode que les Italiens; mais depuis la guerison du Roy, M. Vincent a degousté la Reine de ces divertissemens, de sorte que tous les ouvrages ont cessé (Lettres familieres de M. Conrart à M. Felibien; Paris, Barbin, 1681, in-12, pp. 110 sq.).» Ce témoignage est confirmé par un passage de Dubuisson-Aubenay, emprunté par M. Marty-Laveaux (t. Ve, pp. 247 sq.) à un manuscrit de la Bibliothèque Mazarine. «L'affaire de la comedie françoise d'Andromede, dit-il entre le 2 et le 8 janvier 1648, pour l'avancement de laquelle le sieur Corneille avoit receu 2400 livres, et le sieur Torelli, gouverneur des machines de la piece d'Orphée, ajustandes à celle-cy, plus de 1200 livres, a été derechef rompue ou intermise, apres avoir été nagueres remise sus.»

Les théâtres furent fermés pendant la Fronde, et la représentation d'Andromède fut encore ajournée. Le 18 août 1649, le roi revint à Paris; mais plusieurs mois s'écoulèrent avant que la cour pût se donner le divertissement d'un grand opéra. Ce n'est que vers la fin de janvier 1650 que les comédiens du Petit-Bourbon donnèrent la pièce de Corneille. Le succès en fut très-grand, et Renaudot en fit un long et pompeux éloge dans un extraordinaire de la Gazette daté du 18 février 1650.

Nous parlerons à l'article suivant d'une distribution d'Andromède indiquée à la main dans un exemplaire de la pièce qui a fait partie de la bibliothèque de M. de Soleinne. Il paraît certain que les chanteurs, quels qu'ils fussent, se faisaient remplacer sur la scène par de simples comparses. On lit dans le registre de Lagrange, à propos de la représentation de Psyché (1671): «Jusques icy les Musiciens et Musiciennes n'avoient point voulu paroistre en public. Ils chantoient à la comédie dans des loges grillées et treillissées. Mais on surmonta cet obstacle et avec quelque legere despance on trouva des personnes qui chanterent sur le theastre á visage descouvert habillées comme les comediens.»

Certains passages d'Andromède devinrent populaires, soit à cause des paroles, soit à cause de la musique. Ainsi l'on trouve dans le Nouveau Recueil de Chansons et Airs de cour pour se divertir agréablement (A Paris, chez Marin Leché, 1656, in-12, pp. 51 sq.) l'Air chanté aux grandes Machines d'Andromede à la gloire de nostre Monarque:

Cieux, escoutez; escoutez, Mers profondes,

Et vous, Antres et Bois, bis.

Affreux deserts, rochers battus des ondes, etc.

(Vers 75 à 89 d'Andromède.)

Le Dessein de la Tragedie, simple programme à l'usage des spectateurs, qui, nous le voyons par les premiers mots du texte, fut rédigé par Corneille lui-même, témoigne à lui seul du grand succès de l'opéra. Le 18 février, Renaudot parlait de personnes qui avaient vu jouer cet ouvrage dix ou douze fois; or ce n'est que le 3 mars suivant que s'achève l'impression du programme destiné certainement à faciliter au public l'intelligence des représentations ultérieures. Cela permet de supposer que la pièce, interrompue par le carême, dût être reprise après Pâques.

55. Andromede || tragedie. || Representée auec les Machines || sur le Theatre Royal || de Bourbon. || A Roüen, || Chez Laurens Maurry, prés le Palais. || M. DC. LI. [1651]. || Auec Priuilege du Roy. || Et se vendent A Paris, || Chez Charles de Sercy, au Palais, || dans la Salle Dauphine, à la bonne || Foy Couronnée. In-12 de 8 ff. prélim. et 92 pp., y compris 1 f. pour le privilége.

Les ff. prélim. comprennent: 1 f. blanc et 1 f. de titre, puis 6 ff. signés à pour la dédicace à M. M. M. M., l'Argument, les noms des Acteurs et la Decoration du Prologue.

Le privilége, accordé à Corneille, pour «deux pièces de théâtre, l'une intitulée Andromede et l'autre D. Sanche d'Arragon,» est daté du 11 avril 1650 et garantit sa propriété pendant dix ans. L'achevé d'imprimer est du 13 août 1650.

Vendu: 52 fr. vél., Catalogue Lefebvre (de Bordeaux), 1875, no 59.

56. Andromede || Tragedie. || Représentée auec les Maschines sur le || Theatre Royal de Bourbon. || A Roüen, || Chez Laurrens Maurry, prés le Palais. || Auec Priuilege du Roy. || M. DC. LI. [1651]. || Et se vendent A Paris, || Chez Charles de Sercy, au Palais, dans la Salle || Dauphine, à la bonne Foy Couronnée. In-4 de 6 ff. et 123 pp., plus 6 grandes figures pliées.

Collation des feuillets prélim.: frontispice gravé représentant une scène du 1er acte, et portant le titre de la pièce avec le monogramme de François Chauveau; titre imprimé; 3 pp. pour la dédicace à M. M. M. M.; 3 pp. pour l'argument; 1 f. pour le nom des Acteurs et la Décoration du Prologue.

Corneille avoue à la fin de l'Argument que cette pièce n'est que pour les yeux; c'est assez dire que les figures ont une grande importance.

Ces cinq figures sont doubles et doivent être montées sur onglet. La première, qui se place avant le prologue, représente une grotte percée à jour par la mer; les premiers plans sont occupés par des arbres et des rochers; au-dessus de la grotte paraissent, à gauche du théâtre, Melpomène, la muse de la tragédie, et, à droite, le soleil traîné dans un char à quatre chevaux.

La deuxième figure précède l'acte 1er; on y voit l'apparition de Vénus, au-dessus des palais somptueux qui ornent la capitale du royaume de Céphée. Les personnages se prosternent devant la déesse. Les hommes portent un costume de fantaisie assez voisin des costumes de parade en usage sous Louis XIV; quant aux femmes, leur habillement est tout moderne.

La troisième figure, qui manque à la plupart des exemplaires que nous avons vus, représente le «jardin délicieux» où se passe le second acte. On y voit de chaque côté des «vases de marbre blanc qui portent alternativement, les uns des statues d'où sortent autant de jets d'eau, les autres des myrthes, des jasmins, et d'autres arbres de cette nature». Les acteurs, qui occupent la scène, contemplent avec étonnement les zéphyrs qui apparaissent dans les nuages.

La quatrième figure précède le 3e acte. Elle représente Andromède attachée aux rochers en habit de noce et sur le point d'être dévorée par le monstre, lorsque Persée apparaît dans les airs monté sur Pégase. Sur le devant de la scène est ménagé un coin du rivage, où se tiennent Cassiope, Timante et le Chœur, vivement émus à la vue de cette scène prodigieuse.

La cinquième figure, placée en tête du 4e acte, nous montre une cour magnifique entourée de portiques et de statues. Junon, portée dans un char que traînent deux vastes paons, apparaît dans les airs aux regards étonnés de Phinée et d'Ammon.

La sixième figure, qui précède le 5e acte, représente la cour d'un temple, décoré de colonnes couplées, dont les bases sont ornées de bas-reliefs. Dans les nuages apparaissent Jupiter et Neptune, et les personnages tombent encore une fois en adoration devant les dieux.

Les six figures portent le no de la page à laquelle elles correspondent. Celle du Prologue est signée: Giacomo Torelli jnu., Berdot de Montbelliard pinx.; Fr. Chauueau fe.; les trois figures suivantes ne sont pas signées; la cinquième porte en toutes lettres le nom de Chauveau, la sixième n'a que ses initiales. Les figures sont d'un format double de celui du livre; elles doivent en conséquence être repliées.

La plupart des exemplaires que nous avons eus entre les mains sont incomplets d'une ou deux figures; presque toujours aussi les figures ont été atteintes par le couteau du relieur, en sorte que les chiffres qui renvoient aux pages de l'édition ont disparu. Un accident de ce genre était arrivé à l'exemplaire que M. Marty-Laveaux a collationné et lui a fait croire (t. Ve, p. 253) que les figures avaient été gravées pour être vendues séparément. Nous donnons notre description d'après un exemplaire qui appartient à M. le baron James de Rothschild.

Comme le remarque M. Marty-Laveaux, les décorations de Torelli montrent une grande magnificence, mais elles manquent de variété. On y retrouve toujours la forme des coulisses, au lieu d'y admirer les effets imprévus que savent produire les artistes modernes. Ajoutons que les apparitions qui terminent les cinq actes, et la manière dont tous les acteurs se prosternent, nous paraîtraient aujourd'hui fastidieuses.

Le Registre de Lagrange nous apprend ce que devint l'œuvre de Torelli, qui avait tant excité l'admiration du public. En 1660, le théâtre du Petit-Bourbon fut démoli; les comédiens obtinrent à grand'peine un autre asile. Ils demandèrent la faveur d'emporter pour leur nouvel établissement du Palais-Royal les loges et les autres choses nécessaires, «ce qui fust accordé, sous réserve des décorations que le sr de Vigarani, machiniste du Roy, nouvellement arrivé à Paris, se réserva sous prétexte de les faire servir au pallais des Tuilleries, mais il les fist brusler jusques à la dernière, affin qu'il ne restât rien de l'invention de son prédécesseur, qui étoit le sr Torelli, dont il vouloit ensevelir la mémoire.»

Le privilége, daté du 12 mars 1651, se trouve au verso de la p. 123. Il y est dit que: «Nostre cher et bien amé le sieur Corneille, Nous a fait remonstrer, qu'il a cy-devant donné au Public diverses pieces de théatre qui ont esté receuës avec succez, et qu'il est sollicité d'en mettre maintenant au jour quatre nouvelles intitulées, Andromede, le Feint Astrologue, et les Engagemens du hazard; ce qu'il ne peut faire sans avoir nos Lettres de permission sur ce necessaires... etc.» Le privilége lui est accordé pour dix ans, «à condition qu'il sera mis deux Exemplaires de chaque volume, qui sera imprimé en vertu des presentes, en nostre Bibliotheque publique, et un en celle de nostre tres-cher et feal le Sieur marquis de Chasteauneuf Chevalier, Garde-des-Seaux de France.»

Ainsi Corneille demande et obtient sous son nom le privilége nécessaire à l'impression de deux des pièces de son frère; le Feint Astrologue et les Engagements du hazard. On ne peut croire qu'il y ait là une confusion involontaire; le libellé du privilége ne permet pas de le supposer. Il est probable que Thomas Corneille aura voulu, grâce à cette innocente supercherie, obtenir pour ses pièces les conditions exceptionnellement favorables auxquelles la grande réputation de son frère pouvait seule prétendre. Nous trouvons une confusion semblable dans le privilége de Pertharite.

L'obligation imposée au titulaire du privilége de déposer deux exemplaires de chaque impression de son ouvrage dans la bibliothèque du Roi et un dans celle du Garde des sceaux est un détail intéressant pour l'histoire du dépôt légal; elle se retrouve dans plusieurs autres priviléges accordés à Corneille.

Le privilége ne fait aucune mention des libraires cessionnaires; l'achevé d'imprimer est du 13 août 1651.

On sera frappé de ce que l'édition in-4o n'ait pas été imprimée en vertu du privilége du 12 octobre 1649, spécial au Dessein de la Tragédie d'Andromede, ni même en vertu de celui du 11 avril 1650 déjà relatif à Andromède; il est à croire que l'auteur et le libraire Charles de Sercy ayant entrepris de faire graver à grands frais des figures pour l'édition in-4o auront voulu obtenir un privilége qui garantît leurs droits pendant une année de plus. L'exécution des planches dut aussi retarder la publication de cette édition, postérieure d'un an à l'édition in-12.

M. Marty-Laveaux (t. Ve, pp. 257 et 313) a supposé que l'achevé d'imprimer du 13 août 1650, qui se trouve à la fin d'Andromède dans le recueil de 1654, était une faute d'impression. Il n'a pas remarqué que la même date se trouvait à la fin de l'édition in-12 de 1651; la différence des priviléges suffirait au besoin pour déterminer l'ordre dans lequel les deux éditions doivent être classées et ne permet pas de supposer une erreur de date dans les achevés d'imprimer.

On trouve au Catalogue Soleinne (t. Ier, pp. 251-253) la description d'un exemplaire de la grande édition d'Andromède, dans lequel les noms des acteurs ont été ajoutés d'une écriture du temps, en regard des noms des personnages, de la manière suivante:

DIEUX DANS LES MACHINES.

du parc     Jupiter.
M. beiart     Junon.
de brie     Neptune.
L'éguisé     Mercure.
beiart     Le Soleil.
M. de brie     Venus.
M. Herué     Melpomene.
vauselle     Eole.
M. de brie     Cymodoce.
M. Menon     Ephyre.
M. Magdelon     Cydippe.
valets     Huit Vents.

HOMMES.

dufresne     Cephée.
M. vauselle     Cassiope
M. beiart     Andromede.
Molière
Chasteauneuf
} Ces deux noms
sont raturés.
Phinée.Chasteauneuf.
Persée. Moliere.
beiart     Timante.
de vauselle     Ammon.
M. de brie     Aglante.
M. herué     Cephalie.
M. Magdelon     Liriope.
L'Eguisé     Un page de Phinée.
L'Estang     Chœur du peuple.
M. herué     phorbas.

M. P. Lacroix n'a pas hésité à reconnaître, dans ces annotations, un autographe de Molière. Nous ne serons pas aussi affirmatif, mais nous dirons que, si elles n'émanent pas de Molière lui-même, elles sont du moins l'œuvre d'un de ses camarades. C'est dans une de ses tournées en province, peut-être à Lyon, que Molière donna des représentations d'Andromède. Parmi les acteurs nommés ci-dessus, L'Eguisé, Vauselle, Dufresne, Chasteauneuf, Hervé, L'Estang, Mlles de Vauselle, Menon et Magdelon n'avaient pas encore été cités comme ayant appartenu à sa troupe. Tout en relevant ces particularités, M. P. Lacroix signale une curieuse transposition dans le texte de la pièce. Plusieurs vers du rôle de Céphalie sont mis à dessein dans celui d'Aglante. Le savant bibliophile fait, à ce propos, de très-ingénieuses et très-intéressantes conjectures que nous regrettons de ne pouvoir reproduire.

L'exemplaire dont nous venons de parler appartient à Mme de Maindreville, qui l'a payé 530 fr. à la vente Soleinne; il a figuré, en 1873, à l'exposition organisée par M. Ballande pour le jubilé de Molière (no 9 du Catalogue).

57. Andromede || Tragedie. || Représentée auec les Machines || sur le Theatre Royal || de Bourbon. || A Paris, || Chez Antoine de Sommauille, || au Palais, en la Gallerie des Merciers, || à l'Escu de France. || M. D. C. L. V. [1655]. || Auec Priuilege du Roy. In-12 de 8 ff. et 92 pp.

Collation des feuillets prélim.: 1 f. blanc; titre, avec les armes de France et de Navarre; 5 ff. pour la dédicace et l'argument; 1 f. pour la Décoration du Prologue et les noms des Acteurs.

Les pp. 91 et 92 sont occupées par le texte du privilége accordé à Corneille le 11 avril 1650 pour Andromède et Don Sanche.

Cette édition existe probablement aussi avec les noms d'Edme Pepingué et de Louis Chamhoudry.

58. Andromede, Tragedie. Par P. Corneille. A Paris, Au Palais. Chez Guillaume de Luyne, dans la Salle des Merciers sous la montée de la Cour des Aydes à la Justice. Estienne Loyson, au premier Pillier de la grand'Salle proche les Consultations, au nom de Jesus. Pierre Traboüillet, dans la Galerie des Prisonniers, à l'Image S. Hubert, & à la Fortune proche le Greffe des Eaux & Forests. M. DC. LXXXII [1682]. In-12.

Extrait du recueil de 1682, qui doit se composer de 2 ff. et 80 pp. Nous le citons, sans l'avoir vu, pour le motif exposé ci-dessus, no 25.

59. Andromede || Tragedie || en Machines.—[Au verso du dernier f.:] Permis d'imprimer. Fait ce 14 Juillet 1682. De la Reynie. || De l'Imprimerie de la veuve G. Adam, sur le Quay || des Augustins, à l'Olivier, 1682. In-4 de 6 ff. et 32 pp.

Collation des feuillets prélim.: titre, qui ne comprend que les trois lignes transcrites ci-dessus; 4 ff. pour l'Argument tiré du quatriéme et cinquiéme Livre des Metamorphoses d'Ovide; 1 f., dont le recto est blanc, pour les noms des Acteurs.

La page 1 contient un titre de départ ainsi conçu: Andromede || Tragedie en machines. || de Monsieur || de Corneille l'Aisné, || Representée sur le Theatre Royal || des seuls Comediens du Roy, en- || tretenus par sa Majesté en leur Hô- || tel, Rue de Guenegaud. || Entreprise sous la conduite du sieur Dufort, || Ingenieur & Machiniste du Theatre Royal || des seuls Comediens du Roy.

La Gazette de 1682 parle d'une représentation d'Andromède à laquelle le Dauphin assista le 18 août de cette année; les frères Parfaict y font également allusion; enfin Jolly, dans l'Avertissement de son édition de Corneille, cite d'une manière expresse le programme de 1682; mais, tout en rapportant ces témoignages, M. Marty-Laveaux n'a pas connu l'édition qui nous occupe. Elle existe pourtant à la Bibliothèque nationale et à la Bibliothèque de l'Arsenal. Nous croyons utile d'en faire exactement connaître le contenu.

Comme on le voit par le titre reproduit ci-dessus, la reprise faite par les comédiens du faubourg Saint-Germain n'est pas donnée avec les machines de Torelli, détruites en 1660, mais avec des machines nouvelles construites par le sieur Dufort. Après avoir reproduit l'Argument de la pièce, non pas d'après le Dessein de 1650, mais d'après l'édition de 1651, l'éditeur de ce nouveau programme y ajoute un avis au lecteur ainsi conçu:

«Chacun sçait l'estime et le respect que le siecle present et la posterité doivent aux travaux du Prince des Poëtes François, dont le nom est si reveré, que les Estrangers mêmes ont traduit ses Ouvrages en leurs Langues: C'est de l'Illustre Monsieur de Corneille l'aîné que l'on entend parler; il remet aujourd'huy sur le Theatre une piece où son genie inimitable n'a pas mêlé moins d'invention et de varieté dans le spectacle, que de conduitte et d'esprit dans le sujet.

«Son Andromede après plus de trente ans n'a pû vieillir, et c'est par l'avis d'un nombre choisi d'honnestes gens, que les Comediens du Roy ont bien voulu faire une dépense tres-considerable pour ce grand spectacle.

«Il seroit à souhaitter que cette description pût ressembler aux effets qu'il produit; cependant bien qu'il paroisse impossible d'y reüssir, on ne laissera pas d'en donner icy une legere idée.

«L'impatience et la curiosité presque inseparables, ne seront pas long-temps dans le lieu du spectacle sans estre satisfaites, puisqu'au mesme moment que les Violons avertissent du commencement de la Piece, on voit le Theatre s'ouvrir par un enlevement de Rideau qui ne cause pas moins de surprise que de plaisir, tant pour la rapidité dont il se dérobe aux yeux des spectateurs, que par l'Invention agréable du Machiniste qui le fait emporter de chaque costé du Theatre dans ses nuages par deux Amours, qui en embrassent chacun une moitié. Cette nouvelle maniere d'ouvrir le lieu de la scene est assez ingenieuse, et semble bien entrer dans l'esprit de l'Autheur, puisque l'amour de Persée et celuy de Phinée pour Andromede sont le sujet de la Piece.»

Le programme comprend la description de la décoration du prologue et de chacun des cinq actes, ainsi que les vers chantés dans la pièce. On verra par la seule description relative au prologue, combien le texte diffère de celui que nous fournit l'édition de 1651.

Édition de 1651:
 
L'ouverture du Theatre presente
de front aux yeux des spectateurs
une vaste montagne, dont les sommets
inégaux, s'eslevant les uns
sur les autres, portent le faiste
jusque dans les nues. Le pied de
cette montagne est percé à jour par
une grotte profonde qui laisse voir
la mer en esloignement. Les deux
costez du Theatre sont occupez par
une forest d'arbres touffus et entrelacez
les uns dans les autres.
Sur un des sommets de la montagne
paroist Melpomene, la Muse
de la Tragedie, et à l'opposite dans
le ciel, on voit le Soleil s'avancer
dans un char lumineux, tiré par
les quatre chevaux qu'Ovide luy
donne.
(La rédaction du Dessein publié
en 1650 est un peu différente, mais
les variantes ont été relevées par
M. Marty-Laveaux.)
Programme de 1682:
 
On voit une Forest épaisse, formée
de plusieurs Arbres de differente nature,
et groupez differemment par un mélange
de monceaux de terre et de Rochers.
Dans le fonds il s'éleve une Montagne
percée, au travers de laquelle la Mer
paroît en éloignement, et sur le Sommet
de la Montagne l'œil découvre une vaste
Campagne avec des lointains à perte de
veuë. C'est sur cette éminence que paroît
Melpomene, la Muse de la Tragedie, et à
son opposite le Soleil dans son Char lumineux,
tiré par les quatre Chevaux
qu'Ovide luy donne. Ces deux Personnages
qui font le Prologue à la gloire
du Roy, aprés avoir dit tout ce que leur
divin langage doit prononcer à l'occasion
de ce grand Monarque, s'unissent
ensemble de sentimens et de voix, et
aprés un vol merveilleux, que Melpomene
fait dans le Char du Soleil, il l'enlève
rapidement pour aller ensemble publier
les mêmes louanges au reste de l'Univers.

Les vers mis en musique méritent encore plus d'être rapportés, car les remaniements que nous allons y signaler sont probablement de Corneille lui-même.

Le vers 79e du Prologue:

Louis est le plus jeune et le plus grand des Rois,

est ainsi modifié:

Louis est le plus sage, etc.

Les deux strophes suivantes (vers 80 à 95) ont été remplacées par une seule strophe dont voici le texte:

Par trop de grands exploits l'invincible Louis

Semble avoir travaillé contre sa propre gloire,

L'Univers n'a point d'yeux qui n'en soient éblouis;

Mais quand l'avenir dans l'Histoire

Verra tant de faits inouis,

L'avenir les pourra-t-il croire?

La description des décorations des cinq actes, si on la rapproche de l'édition de 1651, offre des différences analogues à celles que nous avons signalées pour le Prologue. Quant aux vers chantés, nous en ferons connaître les variantes.

Le vers 332 est devenu plus harmonieux:

Éd. de 1651:

Reyne de Paphe et d'Amathonte,

Progr. de 1682:

Reyne d'Eryce et d'Amathonte.

Les noms des acteurs sont indiqués, à partir du deuxième acte, d'une manière très-curieuse.

Les vers 510 à 533 sont chantés par M. de Villiers (un page), les vers 546 à 569 par Mlle d'Ennebaut (Liriope), et les deux artistes chantent ensemble les vers 570 à 583.

Au troisième acte, M. de Villiers chante les vers suivants, qui manquent à toutes les éditions de Corneille, et qui doivent s'intercaler, croyons-nous, après le vers 785:

Repetez nos tristes accens,

Rochers, antres affreux, infortuné rivage;

Andromede du Ciel le plus parfait ouvrage,

Va perdre la lumière au plus beau de ses ans.

Injustes Dieux, trouppe barbare,

Laisserez-vous perir une Beauté si rare?

Changez vos claires eaux en pleurs,

Fontaines et Ruisseaux qui coulez dans la plaine,

Et vous tendres Zephirs, que vostre douce haleine

Fasse monter aux Cieux nos cris et nos douleurs.

Le chœur chante les vers 982 à 985, et les vers 986 à 993 sont remplacés par les vers suivants, que M. de Villiers chante seul:

Quand le danger presse une Belle,

Qu'elle craint et languit,

Qu'une pâleur mortelle

La trouble et l'interdit;

Le peril devient necessaire

Tout doit en estre charmant,

Et l'Amant le plus temeraire

N'est pas le moins heureux Amant.

Vous estes sa digne conqueste,

Victoire à son amour, Victoire tous [sic];

C'est luy qui calme la tempeste

Et c'est luy qui vous donne enfin l'illustre Epoux

Qui seul estoit digne de vous.

Les vers 1356 à 1370, du quatrième acte, ainsi que les vers 1733 à 1740 et 1765 à 1772, du cinquième acte, sont reproduits ici sans variante, à l'exception du vers 1765, qui est ainsi conçu, par suite d'une faute d'impression évidente:

Allez, Amans, sans jalousie,

au lieu de:

Allez, Amans, allez sans jalousie.

Les frères Parfaict (Histoire du Théatre François, t. XIIe, p. 321, note a) disent, à propos des représentations de 1682: «Andromede fut jouée à cette reprise trente-trois fois de suite, jusqu'au quatriéme jour d'Octobre suivant: on la continua le Vendredi 22. Janvier 1683. jusqu'au 3. Février de la même année, jour de la trente-neuviéme représentation. La quarantiéme est du Samedi 20. Mars, et la quarante-cinquiéme et derniere, le 4. Avril.»

De Vizé, en rendant compte de ces représentations dans le Mercure galant (juillet 1682, pp. 359 sq.), dit qu'une des choses qui intéressèrent le plus le public fut de voir Pégase représenté par un véritable cheval. Les frères Parfaict, qui citent ce passage du Mercure galant, racontent comment on s'y prenait pour faire marquer à ce cheval une ardeur guerrière: «Un jeûne austere auquel on le réduisoit lui donnoit un grand appétit; et lorsqu'on le faisoit paroître, un Gagiste étoit dans une coulisse, où il vannoit de l'avoine. Ce Cheval, pressé par la faim, hannissoit, trépignoit des piés, et répondoit ainsi parfaitement au dessein qu'on avoit.» En 1679, on avait représenté un opéra de Bellérophon, où l'on voyait le héros combattre la Chimère, monté sur le coursier céleste; il faut croire qu'à cette époque Pégase était encore en carton.

Un troisième exemplaire de ce programme est mentionné dans la Bibliothèque dramatique de Pont de Veyle (Paris, 1847, in-8), no 1819.

XX

60. D. Sanche || d'Arragon, || Comedie heroique. || Imprimé à Roüen, & se vend || A Paris, || Chez Augustin Courbé, au Palais, en la petite || Salle des Merciers, à la Palme. || M. DC. L. [1650]. || Auec Priuilege du Roy. In-4 de 8 ff. et 116 pp.

Collation des feuillets prélim.: titre sur lequel se voit un fleuron avec le monogramme de L. Maurry; 11 pp. pour l'Epistre dédicatoire à M. de Zuylichem; 3 pp. pour l'Argument et les noms des Acteurs.

Le privilége, qui occupe la page 116, est donné à Corneille pour Andromède et D. Sanche, dont il lui reconnaît la propriété pendant dix ans. Il est daté du 11 avril 1650. On lit à la fin: Acheué d'imprimer à Roüen par Laurens Maurry, le quatorziéme de May mil six cens cinquante.

Après avoir imité Guillen de Castro, Alarcon et Lope de Vega, Corneille crut s'être assez pénétré de l'esprit espagnol pour inventer lui-même un sujet, à la manière des auteurs dramatiques de la Péninsule. «Cette Piéce, dit-il, dans l'Examen de D. Sanche, est toute d'invention, mais elle n'est pas toute de la mienne. Ce qu'a de fastüeux le prémier Acte, est tiré d'une Comédie Espagnole intitulée: El Palacio confuso, et la double reconnoissance qui finit le cinquième est pris du Roman de Don Pelage.» Le poëte indique avec sa franchise ordinaire les sources auxquelles il a puisé; mais on peut dire qu'il ne leur doit que peu de chose. La comédie intitulée El Palacio confuso, comédie dont la scène est en Italie et non pas en Espagne, a paru pour la première fois dans la Parte veynte y ocho de Comedias de varios Autores; en Huesca, por Pedro Bluson, 1634, in-4. Elle a été réimprimée dans la Parte veynte y ocho de las Comedias de Lope Felix de Vega Carpio, Çaragoça, 1639, in-4; dans la Parte veynte y cuatro de las Comedias de Lope Felix de Vega Carpio, Madrid, 1640 (?), in-4; dans la Parte veinte y ocho de Comedias nuevas de los mejores ingenios d'esta corte, Madrid, Joseph Fernandez de Buendia, 1667, in-4. Dans ce dernier recueil, la pièce est attribuée à Mira de Amescua; mais, comme elle figure dans les œuvres authentiques de Lope de Vega, il n'est pas douteux qu'elle ne soit de lui.

L'autre livre dont Corneille avoue s'être servi, Dom Pelage, ou l'Entrée des Maures en Espagne, par le Sieur de Juvenel (à Paris, chez Guillaume Macé, 1643, 2 vol. in-8), n'offre que de bien faibles analogies avec Don Sanche; M. Marty-Laveaux, qui a pris la peine de le lire, n'a pu en rapprocher que deux courts passages (Œuvres de Corneille, t. Ve, pp. 483 et 489).

On remarquera que la pièce est annoncée non pas comme une tragédie, mais comme une comédie héroïque. Le poëte nous en dit lui-même la raison dans son Épitre dédicatoire.

La représentation de Don Sanche dut avoir lieu presque en même temps que celle d'Andromède; on a même supposé qu'elle avait précédé celle de l'opéra. Immédiatement après la phrase de l'Examen que nous avons citée plus haut, Corneille dit, en parlant de sa pièce: «Elle eut d'abord grand éclat sur le Théatre, mais une disgrace particuliére fit avorter toute sa bonne fortune. Le refus d'un illustre suffrage dissipa les applaudissemens que le Public lui avoit donnez trop libéralement, et aneantit si bien tous les Arrests que Paris et le reste de la Cour avoient prononcez en sa faveur, qu'au bout de quelque temps elle se trouva reléguée dans les Provinces, où elle conserve encor son prémier lustre.» La Monnoye (Jugements des Savants sur les principaux ouvrages des Auteurs [par Adrien Baillet; Paris, 1722, 7 vol. in-4], t. Ve, p. 354 en note), Joly (Théatre de P. Corneille; Paris, 1747, t. Ier, p. xxxix), Voltaire (Théatre de Corneille; Genève, 1764, t. Ve, p. 305), Guizot (Corneille et son temps; Paris, 1852, in-8, p. 204) et M. Marty-Laveaux (Œuvres de Corneille, t. Ve, p. 400), ont cru que l'«illustre suffrage» refusé à Don Sanche était celui du prince de Condé; or, l'arrestation de Condé ayant eu lieu le 18 janvier 1650, il faut de toute nécessité, si l'on admet cette opinion, placer la représentation de Don Sanche avant la fin de l'année 1649. Malgré les autorités sur lesquelles cette explication est appuyée, elle nous paraît peu probable. Condé devait être trop occupé des événements politiques pour s'arrêter à critiquer une pièce de théâtre. Nous avons peine à croire que les comédiens aient donné un ouvrage nouveau alors que la rivalité de Mazarin et de Condé mettait tout Paris en feu. Ce ne fut qu'après l'arrestation du prince que la cour put songer aux fêtes et aux spectacles. Alors sans doute, mais alors seulement, furent joués Andromède et Don Sanche. Nous croyons que le suffrage refusé à Corneille fut celui de la reine. Anne d'Autriche avait aimé le Cid, qui lui avait montré un véritable héros espagnol; elle ne dut voir dans Don Sanche qu'un héros de roman d'une origine trop humble pour qu'une princesse pût s'éprendre de lui.

Ce fut peut-être pour consoler le poëte du chagrin que lui causa le mauvais succès de sa pièce que la reine, profitant d'un voyage de la cour à Rouen, le fit nommer procureur des états de Normandie (15 février 1650).

Corneille fait hommage de Don Sanche à Huyghens, seigneur de Zuilychem, homme d'État hollandais, né en 1596. Ce personnage, qui a laissé divers ouvrages, était un homme fort lettré; il professait une estime particulière pour l'auteur du Cid, et nous aurons l'occasion de citer, dans notre chapitre VIIe, les deux pièces de vers ajoutées par lui à l'édition elzévirienne du Menteur. M. Éd. Fournier a publié, dans la Revue des Provinces du 15 février 1865, deux lettres de Corneille à Huyghens qui viennent fort heureusement compléter la dédicace imprimée. Nous y voyons que l'Argument ajouté à Don Sanche et à Andromède est une concession faite aux idées du savant hollandais.

Corneille répète dans la dernière édition de ses œuvres, publiée en 1682, la phrase qu'il écrivait en 1660, que Don Sanche est «relégué dans les provinces». On peut en conclure que les théâtres parisiens ne reprirent pas Don Sanche avant 1682, mais à cette date, sinon un peu plus tôt, la pièce fut remise à la scène. Un manuscrit de la Bibliothèque nationale (msc. franç. no 24.330) nous fournit une liste des pièces qui composèrent le répertoire du théâtre du Faubourg Saint-Germain de 1673 à 1685, et l'on y voit figurer Don Sanche. Cependant cette pièce n'est pas mentionnée dans le manuscrit du Dauphin (voy. ci-dessus no 9).

De 1680 à 1715, la Comédie française en donna 14 représentations à la ville et 3 à la cour. Sous Louis XV, Racot de Grandval interpréta Don Sanche avec un grand succès (1753); la pièce de Corneille eut alors 35 représentations, dont 4 à la cour.

En 1833, la Comédie française a donné un arrangement de Don Sanche dû à M. Planat (voy. notre chapitre XIIe). C'est sous cette forme réduite que Mlle Rachel l'a joué en 1844.

61. D. Sanche || d'Arragon, || Comedie heroique. || Imprimé à Roüen, & se vend || A Paris, || Chez Augustin Courbé, au || Palais, en la petite Salle || des Merciers, à la Palme. || M. DC. L. [1650]. || Auec Priuilege du Roy. In-12 de 8 ff. et 83 pp.

Collation des feuillets prélim.: titre; 5 ff. pour l'épître dédicatoire; 2 ff. pour l'Argument et les noms des Acteurs.

Le privilége occupe les pp. 82 et 83; il contient les mêmes mentions que le texte contenu dans l'édition in-4o. L'achevé d'imprimer est du 14 mai 1650, à Rouen par Laurens Maurry.

62. D. Sanche || d'Arragon, || Comedie heroique. || A Paris, Chez Augustin Courbé, au Palais, en la Salle des Merciers, à la Palme; [ou Chez Guillaume de Luyne, || au Palais, en la Gallerie des || Merciers, sous la montée de || la Cour des Aydes]. || M. DC. LIII. [1653]. || Auec Priuilege du Roy. In-12 de 6 ff. prél. sign. ê, et 72 pp. sign. A-F.

Au verso du titre, l'extrait du privilége accordé pour dix ans au Sieur de Corneille, à la date du 11 avril 1650. Il n'y est pas fait mention des libraires à qui l'auteur l'a cédé. On lit au-dessous: Acheué d'imprimer à Paris le 15. Septembre 1653. Les 5 ff. suivants sont occupés par l'épître dédicatoire, l'Argument et les noms des Acteurs.

63. D. Sanche || d'Arragon, || Comedie heroique. || A Paris, || Chez Antoine de Sommauille, || au Palais, en la Gallerie des Merciers, || à l'Escu de France; [ou Chez Edme Pepingué, en || la grand'Salle du Palais, du Costé || de la Cour des Aydes; ou Chez Loüys Chamhoudry, || au Palais, deuaint la Saincte || Chappelle]. || M. DC. LV. [1655] || Auec Priuilege du Roy. In-12 de 6 ff. et 72 pp.

Au verso du titre, l'extrait du privilége, comme dans l'édition précédente, mais sans achevé d'imprimer. Les caractères sont un peu plus petits, et l'impression est plus nette que dans l'édition de 1653. Le nombre des pages est le même, bien qu'il y ait souvent un nombre de vers différent dans les pages qui se correspondent. Quant au texte, nous n'y avons relevé que de légères variantes orthographiques, par exemple, p. 13:

Éd. de 1653:

Et bien, seigneur Marquis, qu'est-il besoin qu'on face?

Éd. de 1655:

. . . . . . . . qu'est-il besoin qu'on fasse?

64. D. Sanche d'Arragon, Comedie heroïque. Par P. Corneille. A Paris, Au Palais. Chez Guillaume de Luyne, dans la Salle des Merciers, sous la montée de la Cour des Aydes à la Justice. Estienne Loyson, au premier Pillier de la grand'Salle proche les Consultations, au Nom de Jesus. Pierre Traboüillet, dans la Galerie des Prisonniers, à l'Image S. Hubert, & à la Fortune proche le Greffe des Eaux & Forests. M. DC. LXXXII [1682]. In-12.

Nous n'avons pas vu cette édition, qui doit se composer de 2 ff., 69 pp. et 1 f. Cf. ci-dessus, no 25.

XXI

65. Nicomede || Tragedie. || A Roüen, || Chez Laurens Maurry, prés le Palais. || Auec Priuilege du Roy. || M. DC. LI [1651]. || Et se vend A Paris, || Chez Charles de Sercy, au Palais, dans la Salle || Dauphine, à la bonne Foy Couronnée. In-4 de 4 ff. et 124 pp.

Collation des feuillets prélim.: titre; 2 ff. pour l'avis Au Lecteur; 1 f. pour l'Extrait du Privilége et les noms des Acteurs.

Le privilége, daté du 12 mars 1651, est celui dont nous avons déjà parlé à la fin de l'édition originale in-4o d'Andromède (no 51). Il n'y est pas fait mention du libraire ou des libraires à qui Corneille en a fait cession.

On remarquera que l'édition in-12, que nous décrivons ci-après, parle d'une cession faite, non pas à Charles de Sercy, mais à Guillaume de Luyne. On lit à la fin: Achevé d'imprimer le vingt-neufiéme de Nouembre mil six cent cinquante & un.

Le faible succès qu'avait eu Don Sanche décida Corneille à s'éloigner des Espagnols et à revenir à l'antiquité. Un court passage de Justin lui fournit le sujet d'une tragédie qui doit être comptée parmi ses plus beaux ouvrages. Ainsi qu'il le déclare lui-même dans l'Examen de Nicomède, il a voulu faire une pièce dans laquelle «la tendresse et les passions» ne tinssent aucune place. «Mon principal but, ajoute-t-il, a été de peindre la Politique des Romains au dehors, et comme ils agissoient impérieusement avec les Rois leurs alliez; leurs Maximes pour les empescher de s'accroistre, et les soins qu'ils prenoient de traverser leur grandeur, quand elle commençoit à devenir suspecte, à force de s'augmenter, et de se rendre considérable par de nouvelles conquestes.»

On ne sait rien ni des acteurs qui jouèrent Nicomède à l'origine, ni même du théâtre sur lequel la pièce fut donnée. Jolly (Théatre de Corneille; Paris, 1738, t. Ier, p. LII; Paris, 1747, t. Ier, p. XL) rapporte seulement que la représentation eut lieu avant que le prince de Condé et son frère eussent été remis en liberté (13 février 1651); quelques-uns donnèrent ainsi matière à des allusions qui en augmentèrent le succès.

Les troupes qui parcouraient les provinces, la troupe de Molière en particulier, jouèrent à leur tour Nicomède. Dans l'avertissement placé par Lagrange en tête de l'édition des Œuvres de Monsieur Moliere (Paris, Denis Thierry, 1682, 8 vol. in-12), on trouve des détails très-curieux sur une représentation qui décida du sort de Molière et de ses camarades. «Le 24. Octobre 1658, dit Lagrange, cette Troupe commença de paroistre devant Leurs Majestez et toute la Cour, sur un Théatre que le Roy avait fait dresser dans la Salle des Gardes du vieux Louvre. Nicomede, Tragedie de Monsieur de Corneille l'aisné, fut la Piece qu'elle choisit pour cet éclatant debut. Ces nouveaux Acteurs ne déplurent point, et l'on fut surtout fort satisfait de l'agrément et du jeu des Femmes.» Molière remercia le Roi de sa bienveillance, et fit ingénieusement l'éloge de la troupe royale, ce qui ne l'empêcha pas de la tourner en ridicule, cinq ans après, à propos de cette même pièce de Nicomède.

«J'avois songé, dit Molière, dans l'Impromptu de Versailles, une Comedie, où il y auroit eu un Poëte que j'aurois représenté moy-mesme, qui seroit venu pour offrir une Piece à une Trouppe de Comediens nouvellement arrivez de la campagne. Avez-vous, auroit-il dit, des Acteurs et des Actrices, qui soyent capables de bien faire valoir un Ouvrage, car ma piece est une piece... Eh! Monsieur, auroient répondu les Comediens, nous avons des Hommes et des Femmes qui ont esté trouvé raisonnables par tout où nous avons passé. Et qui fait les Roys parmy vous? voilà un Acteur qui s'en démesle par fois. Qui! ce jeune Homme bien fait? vous mocquez-vous! Il faut un Roy qui soit gros et gras comme quatre. Un Roy, morbleu, qui soit entripaillé comme il faut! un Roy d'une vaste circonférence, et qui puisse remplir un Throsne de la belle manière! La belle chose qu'un Roy d'une taille galante! voilà déjà un grand défaut; mais que je l'entende un peu réciter une douzaine de Vers. Là-dessus le Comedien auroit récité, par exemple, quelques Vers du Roy de Nicomede:

Te le diray-je Araspe, il m'a trop bien servy,

Augmentant mon pouvoir....

Le plus naturellement qui luy auroit esté possible. Et le Poëte: Comment vous appelez cela reciter? C'est se railler; il faut dire les choses avec emphase. Ecoutez-moy:

Te le diray-je, Araspe, etc.

Imitant Monfleury excellent Acteur de l'Hostel de Bourgogne. Voyez-vous cette posture? remarquez bien cela, là appuyez comme il faut le dernier Vers. Voilà ce qui attire l'approbation, et fait faire le brouhaha, etc.»

Le Registre de Lagrange ne mentionne que cinq représentations de Nicomède, deux en 1660: le 13 avril et le 30 mai, et trois en 1661: les 29 et 31 juillet et le 21 août. A chacune de ces représentations, Molière ajouta une de ses comédies: les Précieuses ridicules, le Cocu imaginaire et l'École des maris. Cette addition, qui assurait la recette, est un indice que la tragédie n'avait plus beaucoup de vogue auprès du public. Peut-être la foule se pressait-elle à l'hôtel de Bourgogne, où régnait l'emphatique Montfleury.

Dans sa Lettre en vers à Madame, du 17 novembre 1668, Robinet nous rend compte en ces termes d'une représentation de Nicomède:

Achevant de verbaliser,

Gazetiser, nouvelliser,

D'un Monsieur d'assez bonne mine,

J'apprend que chez mon Héroïne, [Madame.]

Jeudy, la Troupe de l'Hôtel,

Par un Poëme, non tel quel,

Charma très-nombreuse Assemblée,

De Beaux, et de Belles, comblée,

Frisez et musquez, comme il faut,

Et braves par bas, et par haut,

Nicoméde, étoit ce Poëme,

Digne d'une loüange extréme.

Il est de Corneille, l'Aîné,

Qui fut, je croi, prédestiné,

Pour emporter, dans le Tragique,

Tout seul l'Honneur du Dramatique.

Parmi les interprètes de Nicomède, il convient de citer au premier rang Baron qui sut donner un grand caractère au prince de Bithynie. Le Manuscrit du Dauphin nous donne la distribution complète de la pièce au commencement de l'année 1685:

DAMOISELLES.

Laodice: le Comte.
Arsinoé: Beauval.
Cleone: Poisson.

HOMMES.

Attale: de Villiers.
Flaminius: la Tuillerie.
Nicomede: Baron.
Prusias: Chanmeslé.
Araspe: Beauval.

Baron prit sa retraite en 1691; il fut remplacé dans le rôle de Nicomède par Beaubourg (17 décembre 1691), puis par Dufer (2 mai 1694). Au dix-huitième siècle, Grandval (1754) et Lekain (1771) tinrent ce même rôle avec un talent qui frappa vivement leurs contemporains. Dans ces dernières années, M. Beauvallet l'a rempli non sans éclat (6 juin 1861).

Quant au rôle de Laodice, il suffit de rappeler qu'il a été joué par Mlle Lecouvreur, Mlle Clairon, Mme Vestris et Mlle Rachel.

La Comédie française a donné, de 1680 à 1870, 314 représentations de Nicomède, savoir: sous Louis XIV: à la ville, 138; à la cour, 12;—sous Louis XV: à la ville, 48; à la cour, 2;—sous Louis XVI: à la ville, 3;—sous le Directoire, le Consulat et l'Empire: à la ville, 74; à la cour, 3;—sous la Restauration: 27;—sous Louis-Philippe: 3;—sous le second Empire: 4.

66. Nicomede. || Tragedie. || A Paris, || Chez Guillaume de Luine, || au Palais, en la Salle des Merciers, sous || la montée de la Cour des Aydes. || M. DC. LII. [1652]. || Auec Priuilege du Roy.

66 bis. Nicomede. || Tragedie. || A Paris, || Chez Guillaume de Luine, au || Palais, en la Salle des Merciers, sous || la montée de la Cour des Aydes; [ou Chez Augustin Courbé, au Palais, || en la salle des Merciers, à la || Palme]. || M. DC. LIII. [1653]. || Auec Priuilege du Roy. In-12 de 4 ff. et 80 pp.

67. Nicomede || tragedie. || A Rouen, || Chez Laurens Maurry, prés le Palais. || Auec Priuilege du Roy. || M. DC. LIII [1653]. || Et se vend A Paris, || Chez Guillaume de Luyne, || au Palais, sous la montée de la || Cour des Aydes. In-12 de 4 ff. et 80 pp., sign. A-G.

68. Nicomede, Tragedie. Par P. Corneille. A Paris, Au Palais. Chez Guillaume de Luyne, dans la Salle des Merciers, sous la montée de la Cour des Aydes à la Justice. Estienne Loyson, au premier Pillier de la grand'Salle proche les Consultations, au nom de Jesus. Pierre Traboüillet, dans la Galerie des Prisonniers, à l'Image S. Hubert, & à la Fortune, proche le Greffe des Eaux et Forests. M. DC. LXXXII. [1682]. In-12.

Cette édition, que nous n'avons pas vue, doit se composer de 2 ff. et 72 pp. Cf. ci-dessus, no 25.

XXII

69. Pertharite || Roy || des || Lombards, || Tragedie. || A Rouen, || Chez Laurens Maurry, prés le Palais. || Auec Priuilege du Roy. || M. DC. LIII. [1653]. || Et se vend A Paris, || Chez Guillaume de Luynes, au Pa- || lais, sous la montée de la Cour des Aydes. In-12 de 6 ff. et 71 pp.

Collation des feuillets prélim.: titre; 1 f. pour l'avis Au Lecteur; 4 ff. pour les extraits des auteurs et la liste des Acteurs.

La page 71 est occupée par l'Extrait du Privilége, accordé «au sieur Corneille, Advocat en nostre Parlement,» pour trois pièces de théâtre intitulées: Pertharite, Roy des Lombards, D. Bertran de Cigarral et l'Amour à la mode. Nous trouvons ici une confusion entre les pièces de Pierre et de Thomas Corneille, analogue à celle que nous avons relevée à propos d'Andromède. Le privilége, dont Corneille déclare faire cession à Guillaume de Luyne, lui est donné pour vingt ans, à la date du 24 décembre 1651. L'achevé d'imprimer est du 30 avril 1653.

Après Nicomède, le génie de Corneille touche à son déclin. Pertharite, dont le sujet est tiré de Paul Diacre et des Historiæ insubricæ d'Henri Dupuis, ne trouva pas grâce devant le public. La pièce ne fut jouée, dit-on, qu'une ou deux fois. M. Marty-Laveaux (t. VIe, p. 4) a fort habilement fixé la date de la représentation, que la plupart des éditeurs de Corneille plaçaient en 1653. Il a relevé un passage de Tallemant des Réaux qui avait échappé à ses devanciers: «Au carnaval de 1652, dit Tallemant, Mme de Montglas fit une plaisante extravagance chez la presidente de Pommereuil. On y devait joüer Pertharite, roy des Lombards, piéce de Corneille qui n'a pas réussy...»

Avec sa franchise ordinaire, Corneille nous apprend lui-même l'échec de Pertharite: «La mauvaise reception que le Public a faite à cet Ouvrage, nous dit-il au commencement de l'avis Au Lecteur, m'avertit qu'il est temps que je sonne la retraite... Il vaut mieux que je prenne congé de moy-mesme que d'attendre qu'on me le donne tout à fait, et il est juste qu'apres vingt années de travail je commence à m'appercevoir que je deviens trop vieux pour etre encor à la mode.» Cette dernière phrase, écrite en 1652, fournit un argument de plus à ceux qui placent la représentation de Mélite en 1629 ou en 1630. Nous n'avons pas à insister sur ce point, qui ne nous a pas paru contestable (Voy. ci-dessus, no 1). S'il était vrai, comme le prétend Fontenelle et comme le répète d'après lui la Bibliothèque du Théâtre François (t. IIIe, p. 2), que Mélite eût été jouée en 1625, Corneille n'eût pas manqué de dire: «Apres vingt-cinq années de travail.»

Malgré ses faiblesses, Pertharite offre encore de beaux passages; mais ce qui fait le principal intérêt de cette pièce, c'est que Racine en a tiré plusieurs des situations d'Andromaque. Voltaire a, l'un des premiers, relevé les ressemblances qui existent entre les deux tragédies; mais, comme dans bien d'autres circonstances, il s'est montré injuste pour Corneille: «Il est évident, dit-il, que Racine a tiré son or de cette fange.» Parmi les critiques qui ont le mieux apprécié Pertharite et le mieux mis en lumière les emprunts faits par Racine à Corneille, nous citerons M. A. Thiénot, qui a consacré un long article à cette question dans le journal le Constitutionnel du 18 août 1869.

70. Pertharite || Roy || des || Lombards, || Tragedie. || Imprimé à Roüen, || & se vend || A Paris, || Chez Augustin Courbé, au Palais, || en la Gallerie des Merciers, || à la Palme. || M. DC. LIV. [1654]. Auec Priuilege du Roy. In-12 de 94 pp. et 1 f. bl., sign. Cc-Ff.

Cette édition, dont un exemplaire est conservé à la Bibliothèque nationale (Y. 5624. A. Rés.), est un tirage à part du recueil publié en 1654, sous le titre d'Œuvres de Corneille du 24 décembre 1651, avec l'achevé d'imprimer du 30 avril 1653. Nous dirons plus loin (no 102) dans quelles circonstances ce tirage à part fut exécuté. La pagination commence au deuxième feuillet, à 579, et se continue régulièrement jusqu'à 670. La dernière page contient un extrait du privilége.

71. Pertharite || Roy || des || Lombards, || Tragedie. || A Paris, || Chez Anthoine de Sommauille, || au Palais, en la Gallerie des Merciers, || à l'Escu de France. || M. DC. LVI [1656]. || Auec Priuilege du Roy. In-12 de 84 pp., y compris le titre et les feuillets prélim.

L'extrait du privilége, qui occupe la page 15, est le même que dans l'édition de 1653, avec achevé d'imprimer du 30 avril 1653.

Il doit exister des exemplaires au nom d'Edme Pepingué et de Louis Chamhoudry.

72. Pertharite, Roy des Lombards, Tragedie. Par P. Corneille. A Paris, au Palais. Chez Guillaume de Luyne, dans la Salle des Merciers sous la montée de la Cour des Aydes à la Justice. Estienne Loyson, au premier Pillier de la grand'Salle proche les Consultations au nom de Jesus. Pierre Traboüillet, dans la Galerie des Prisonniers à l'Image S. Hubert, & à la Fortune, proche le Greffe des Eaux & Forests. M. DC. LXXXII. [1682]. Avec Privilege du Roy. In-12.

XXIII

73. Œdipe, || Tragedie. || Par P. Corneille. || Imprimée à Roüen, & se vend || A Paris, || Chez || Augustin Courbé, au Palais en la || Gallerie des Merciers, à la Palme. || Et || Guillaume de Luyne, Libraire Iuré, || dans la mesme Gallerie, || à la Iustice. || M. DC. LIX. [1659]. || Auec Priuilege du Roy. In-12 de 6 ff., 89 pp. et 1 f. blanc.

Collation des feuillets prélim.: titre; 2 ff. pour les Vers presentez à Monseigneur le Procureur General Foucquet, Sur-Intendant des Finances; 3 ff. pour l'avis Au Lecteur et les noms des personnages.

Au verso de la page 89 se trouve l'extrait du privilége accordé pour sept ans à Corneille lui-même, à la date du 10 février 1659, et dont Corneille fait cession aux deux libraires nommés sur le titre. On lit à la fin: Acheué d'imprimer pour la premiere fois, le 26. Mars 1659, à Roüen, par L. Maurry.

Au rapport de M. Marty-Laveaux (t. VIe, p. 110; t. Xe, p. 133), on trouve en tête de certains exemplaires une pièce intitulée: Sur la mort de Damoiselle Elisabeth Ranquet, Femme de Nicolas de Cheureul, Escuyer, Sieur d'Esturville. Epitaphe. Nous n'avons pas été assez heureux pour voir nous-même un exemplaire présentant cette particularité.

L'échec de Pertharite dégoûta Corneille du théâtre; pendant sept ans il se consacra tout entier à la traduction de l'Imitation de Jésus-Christ et à des travaux littéraires de moindre importance, qui ne nous sont pas tous parvenus. Les représentations données par Molière à Rouen en 1658, l'admiration que la Du Parc fit éprouver à Corneille, enfin l'invitation de Fouquet décidèrent l'auteur du Cid à reprendre la plume. Dans une pièce de vers adressée au surintendant, il lui demanda de choisir un sujet, promettant de retrouver, pour le traiter,

La main qui crayonna

L'âme du grand Pompée et l'esprit de Cinna.

Fouquet choisit trois sujets: Œdipe, Camma et un troisième sujet qui n'est pas connu. Pierre Corneille écrivit Œdipe, tandis que Thomas se chargea de Camma. Il se pourrait que le troisième sujet fût celui de Stilicon, traité par Thomas Corneille peu de temps avant la représentation d'Œdipe. Dans sa lettre du 29 janvier 1661, l'auteur de la Muse historique établit une sorte de parenté entre ces trois pièces:

Tout-de-bon le cadet Corneille

Quoy qu'il ait fait mainte merveille,

Et maint Ouvrage bien sensé,

En cétuy-cy s'est surpassé.

Ainsi cette Piéce divine,

Qui du grand Œdipe est couzine,

Et propre sœur de Stilicon,

(Piéces qu'on tient sans parangon)

Est trés-digne de sa naissance,

Et par l'agréable abondance

De mille beaux traits diférens,

Ne fait point tort à ses parens.

Le sujet d'Œdipe, emprunté à Sophocle et à Sénèque, avait été plusieurs fois remis à la scène avant Corneille, entre autres par les Italiens (Edipo, tragedia di Seneca, tradotta da Lodovico Dolce; in Vinegia, per Giambattista e Marchio Sessa, 1560, in-12;—Edipo, tragedia di Gio. Andrea dell' Anguillara; in Vinegia, per Dom. Farri, 1565, in-8; in Padova, per Lorenzo Pasquati, 1565, in-4;—Edipo Tiranno, tragedia di Sofocle ridotta in lingua volgare da Orfato Giustiniano; in Venetia, per Francesco Ziletti, 1585, in-4;—Edipo Tiranno, tragedia di Sofocle ridotta dalla greca nella toscana lingua da Pietro Angelio [detto il Bargeo]; in Firenze, per Bart. Sermatelli, 1589, in-8;—Edipo Re, tragedia di Sofocle, tradotta in lingua italiana da Girolamo Giustiniani; Venetia, per Sebastiano Combi, 1610, in-12;—Edipo, tragedia di Seneca tradotta, da Ettore Nini; in Venezia, per Marco Ginammi, 1622, in-8). Les Anecdotes dramatiques (Paris, 1775, 3 vol. in-8, t. IIe, p. 15) indiquent deux pièces françaises écrites avant Corneille sur le sujet d'Œdipe: l'une de Jean Prévôt (1605), l'autre de Nicolas de Sainte-Marthe (1614); mais ce renseignement est en tout cas inexact: nous ne connaissons pas l'Œdipe de Sainte-Marthe, qui n'est cité dans aucune bibliographie; quant à celui de Prévôt, il n'est pas de 1605, mais de 1614 (Les Tragedies et autres Œuvres poëtiques de Jean Prévost, advocat en la Basse-Marche; à Poictiers, chez Julian Thoreau, 1614, in-12).

Corneille ne s'arrêta pas à ces imitations modernes; il prit directement pour guides Sophocle et Sénèque, mais, dès qu'il eut commencé sa tragédie, il crut devoir faire de larges concessions à l'esprit de son siècle. Il s'éloigna ainsi de ses modèles et renonça volontairement à la simplicité, qui est le plus noble caractère du drame antique. Cette condescendance envers la mode ne manqua pas de séduire le parterre. Le nouvel Œdipe, représenté le vendredi 24 janvier 1659, eut un grand succès. Voici en quels termes Loret en rendit compte, dès le lendemain, dans sa Muze historique:

Monsieur de Corneille, l'Aîné,

Depuis peu de temps a donné

A ceux de l'Hôtel de Bourgogne

Son dernier Ouvrage, ou Bezogne,

Ouvrage grand et signalé,

Qui l'Œdipe est intitulé;

Ouvrage (dis-je) Dramatique,

Mais si tendre et si patétique,

Que, sans se sentir émouvoir,

On ne peut l'entendre ou le voir.

Jamais Piéce, de cette sorte,

N'ût l'élocution si forte,

Jamais, dit-on, dans l'Univers,

On entendit [sic] de si beaux vers.

Hier, donc, la Troupe Royale,

Qui, tels sujets point ne ravale,

Mais qui les met en leur beau jour,

Soient qu'ils soient de Guerre, ou d'Amour,

En donna le premier spectacle,

Qui fit, cent fois, crier miracle.

Je n'y fus point; mais on m'a dit

Qu'incessamment on entendit

Exalter cette Tragédie

Si merveilleuze et si hardie;

Et que les gens d'entendement

Luy donnoient, par un jugement

Fort sincere et fort équitable,

Le beau titre d'inimitable,

Mais cela ne me surprend pas

Qu'elle ait d'admirables apas,

Ny qu'elle soit rare et parfaite;

Le divin Corneille l'a faite.

Le roi assista, le 8 février, à une représentation d'Œdipe qui, au dire de Loret et de Renaudot (Voy. Marty-Laveaux, t. VIe, pp. 106 sqq.), fut des plus brillantes. Floridor, qui remplissait le principal rôle, fit à Louis XIV un compliment qui charma toute la cour. Le roi fut si satisfait qu'il fit remettre à Corneille une gratification dont celui-ci parle naïvement dans son avis Au Lecteur: «Cette Tragedie a plû assez au Roy, dit-il, pour me faire recevoir de veritables et solides marques de son approbation: Je veux dire ses liberalitez que j'ose nommer ses ordres tacites, mais, pressans de consacrer aux divertissemens de Sa Majesté ce que l'âge et les vieux travaux m'ont laissé d'esprit et de vigueur.»

Le succès de l'Œdipe ne fut dépassé que par celui des Précieuses ridicules, de Molière, représentées à la fin de la même année. Voici comment Loret s'exprime, au sujet de cette dernière pièce, dans sa lettre du 6 décembre 1659:

Cette Troupe de Comédiens,

Que Monsieur avoue être siens,

Reprézentant sur leur Théatre

Une action assez folâtre,

Autrement, un sujet plaizant>

A rire sans cesse induizant

Par des chozes facécieuzes,

Intitulé Les Précieuzes;

Ont été si fort vizitez

Par Gens de toutes qualitez

Qu'on en vit [sic] jamais tant ensemble

Que ces jours passez, ce me semble,

Dans l'Hôtel du Petit-Bourbon,

Pour ce sujet mauvais, ou bon.

Ce n'est qu'un sujet chimérique,

Mais si boufon et si comique,

Que jamais les Pièces Du-Ryer,

Pui fut si digne de laurier;

Jamais l'Œdipe de Corneille,

Que l'on tient être une merveille;

La Cassandre de Bois-robert;

Le Néron de Monsieur Gilbert;

Alcibiade, Amalazonte, de M. Quinaut.

Dont la Cour a fait tant de conte;

Ny le Fédéric de Boyer,

Digne d'un immortel loyer,

N'ûrent une vogue si grande,

Tant la Piéce semble friande

A pluzieurs, tant sages, que fous;

Pour moy j'y portay trente sous:

Mais oyant leurs fines paroles

J'en ry pour plus de dix pistoles.

A l'exception de Floridor, nous ne savons rien des acteurs qui jouèrent Œdipe à l'origine. L'actrice qui remplissait le rôle de Jocaste tomba malade après quelques représentations et fut remplacée par la Beauchâteau (lettre de Corneille à l'abbé de Pure, en date du 12 mars 1659). Molière ne disputa point Œdipe à l'Hôtel de Bourgogne; du moins le Registre de Lagrange n'en mentionne aucune représentation.

En 1663, le rôle d'Iphicrate était tenu par de Villiers: c'est Molière lui-même qui nous l'apprend dans l'Impromptu de Versailles. Quant au rôle d'Œdipe, il fut joué avec éclat par Baron (1676). Il servit plus tard aux débuts de Champvalon (1718) et de Sarrasin (1729). Depuis lors l'Œdipe de Voltaire, représenté en 1718, a remplacé au répertoire celui de Corneille.

De 1680 à 1729, le Théâtre-Français a donné 114 représentations de l'Œdipe de Corneille, savoir: sous Louis XIV: à la ville, 70; à la cour, 22;—sous Louis XV: à la ville, 21; à la cour, 1.

74. Œdipe, || Tragedie. || Par P. Corneille. || A Paris, || Au Palais. || Chez || Guillaume de Luyne, dans la Salle des || Merciers sous la montée de la Cour des Aydes || à la Justice. || Estienne Loyson, au premier Pillier de || la grand'Salle proche les Consultations || au Nom de Jesus. || Pierre Traboüillet, dans la Galerie des || Prisonniers, à l'Image S. Hubert, & à la Fortune, || proche le Greffe des Eaux & Forests. || M. DC. LXXXII [1682]. || Avec Privilege du Roy. In-12 de 2 ff. et 78 pp.

Tirage à part du recueil de 1682. Le deuxième feuillet, qui contient l'Extrait du Privilége et les Acteurs, est encore paginé, au verso, 444. Pour le reste de la pièce, la pagination a été changée.

XXIV

75. Desseins || de la || Toison d'or, || Tragedie. || Representée par la Troupe Royale du Marests, chez Mr le || Marquis de Sourdeac, en son Chasteau du Neufbourg, || pour réjoüissance publique du Mariage du Roy, & de la || Paix auec l'Espagne, & en suite sur le Theatre Royal du || Marests. || Imprimée à Roüen, Et se vend || A Paris, || Chez Augustin Courbé, au Palais, en la Gallerie || des Merciers, || à la Palme. || Et || Guillaume de Luyne, Libraire Iuré, dans la || mesme Gallerie, à la Iustice. || M. DC. LXI [1661]. || Auec Priuilege du Roy. In-4 de 26 pp. (y compris le titre), et 1 f. pour l'Extrait du Privilége.

Le privilége, daté du 27 janvier 1661, est accordé pour dix ans à Augustin Courbé, qui déclare y associer Guillaume de Luyne. On lit à la fin: Acheué d'imprimer pour la premiere fois le 31. Ianuier 1661, à Roüen, par Laurens Maurry.

Le sujet de la Toison d'or, comme celui d'Andromède, avait été choisi par les Italiens pour des représentations à grand spectacle. On avait représenté sur le théâtre des Saints-Jean-et-Paul, à Venise, en 1642, un «drame ou fête théâtrale», d'Orazio Persiani, dont Marco Marazzoli avait écrit la musique, et qui était intitulé: Amori di Giasone e d'Isifile (Venezia, per Antonio Bariletti, 1642, in-12). Cette pièce, que nous n'avons pas sous les yeux, pourrait bien avoir été mise entre les mains de Corneille par les machinistes italiens ou par le marquis de Sourdéac lui-même, lorsqu'il vint trouver l'auteur du Cid pour lui demander une tragédie mêlée de musique qui pût être représentée au château de Neufbourg. Ce gentilhomme, que Tallemant des Réaux nous représente comme un «original», voulait célébrer sur ses domaines, avec une pompe inusitée, le mariage du roi avec l'infante Marie-Thérèse. Le mariage royal, arrêté lors de la paix des Pyrénées (6 novembre 1659), ne fut célébré par procuration que le 3 juin 1660, mais c'est vraisemblablement dès la fin de l'année 1659 que le marquis de Sourdéac conçut l'idée de sa représentation. Il commença aussitôt les préparatifs de la fête projetée, mais il faillit ne pouvoir s'entendre avec Corneille. «Il a, dit Tallemant (Historiettes, édit. Paulin Paris, t. VIIe, p. 370), de l'inclination aux méchaniques; il travaille de la main admirablement: il n'y a pas un meilleur serrurier au monde. Il luy a pris une [fantaisie de] faire joüer chez luy une comedie en musique, et pour cela il a fait faire une salle qui luy couste au moins dix mille escûs. Tout ce qu'il faut pour le theatre et pour les sieges et les galeries, s'il ne travailloit lui-mesme, luy reviendroit, dit-on, à plus de deux fois autant. Il avoit pour cela fait faire une piece par Corneille; elle s'appelle les Amours de Médée; mais ils n'ont pu convenir de prix. C'est un homme riche et qui n'a point d'enfans. Hors cela, il est assez œchonome.»

L'affaire se raccommoda pourtant, et la représentation eut lieu au château de Neufbourg, au commencement de l'hiver de 1660. Le marquis de Sourdéac fit ensuite don de ses machines aux comédiens du Marais, qui les installèrent sur leur théâtre. Voici ce que dit Loret, dans sa lettre du 1er janvier 1661:

Les Comédiens du Marest

Font un inconcevable aprest,

Pour joüer, comme une Merveille,

Le Jazon de Monsieur Corneille.

La représentation n'eut lieu que six semaines plus tard, et Loret nous en rend compte longuement dans sa lettre du 19 février:

La Conqueste de la Toizon

Que fit, jadis, défunt Jazon,

Piéce infiniment excellente,

Enfin, dit-on, se reprézente

Au Jeu de Paume du Marais,

Avec de grandissimes frais.

Cette Piéce du grand Corneille,

Propre pour l'œil et l'oreille,

Est maintenant, en vérité,

La merveille de la Cité,

Par ses Scènes toutes divines,

Par ses surprenantes Machines,

Par ses concerts délicieux,

Par le brillant aspect des Dieux,

Par des incidens mémorables,

Par cent ornemens admirables,

Dont Sourdiac, Marquis Normand,

Pour rendre le tout plus charmant,

Et montrer sa magnificence,

A fait l'excessive dépence,

Et si splendide sur ma-foy,

Qu'on diroit qu'elle vient d'un Roy.

J'aprens que ce rare spectacle

Fait à pluzieurs crier miracle,

Et je croy qu'au sortir de là

On ne plaindra point, pour cela,

Pistole, ny demy-pistole,

Je vous en donne ma parole.... etc.

Ce ne sont pas les seules louanges que Loret donne à la pièce de son compatriote. Il revient sur le même sujet le 3 décembre 1661, le 14 janvier et le 18 février 1662 (voy. Marty-Laveaux, t. VIe, pp. 226 sqq.).

Nous ne savons rien de la musique de la Toison d'or, mais elle ne peut avoir été composée que par un des quatre musiciens alors célèbres: Dassoucy, Cambert, Lambert ou Boesset. Dassoucy avait composé la musique d'Andromède, mais il s'était tellement perdu de réputation depuis, qu'il est difficile de croire que Corneille ait encore voulu travailler avec lui. Cambert (né en 1628, mort en 1677) composa, en 1661 et en 1662, deux opéras, dont Perrin avait écrit les paroles: Ariane et Adonis, mais il ne put les faire représenter, ce qui prouve qu'il n'était pas alors en grande vogue. Lambert et Jean-Baptiste Boesset, fils d'Antoine Boesset, le musicien de Louis XIII, jouissaient au contraire de la faveur publique, et l'on retrouvera peut-être un jour dans les ouvrages imprimés ou manuscrits de l'un ou de l'autre des fragments de la partition qui nous occupe. La complaisance avec laquelle Loret nous parle de Boesset, dans sa lettre du 20 janvier 1663, nous montre quelle était la réputation de ce musicien à l'époque de la représentation de la Toison d'or. Il s'agit d'un service funèbre célébré à Saint-Denis, en l'honneur de Madame:

La muzique de la Chapelle, de la Chapelle du Roy.

Digne d'une gloire immortelle,

Et celle de la Chambre, aussy,

Que, par un noble et beau soucy,

Le sieur Boisset, Homme trés-rare.

Qu'avec justice l'on compare

Aux Amphions du temps passé,

Etant dans son Art bien versé,

A, de belle et bonne maniére,

Remize en sa splendeur premiére,

Ces deux grandes Muziques, donc,

Admirables, s'il en fut onc,

Avec des douceurs sans-pareilles,

Charmérent toutes les oreilles,

En commençant par un Motet

Compozé par ledit Boisset,

Par où, toute la Compagnie

Admira son divin génie,

Trés-propre à faire de beaux Airs

Pour de mélodieux Concerts.

Les décorations de la Toison d'or ne furent pas gravées comme celles d'Andromède, mais, au dire des contemporains, elles les surpassèrent encore en splendeur (voy. le Théatre François, par Chapuzeau, p. 52).

Le programme auquel Corneille a donné le nom de Desseins, a dû être imprimé avec une grande hâte. Le privilége n'est que de quatre jours antérieur à l'achevé d'imprimer, bien que l'impression se fit à Rouen. Les exemplaires purent arriver à temps à Paris pour être distribués aux spectateurs le jour de la première représentation.

Les seuls exemplaires des Desseins qui aient été cités jusqu'ici sont ceux de la Bibliothèque nationale (Y. 5969. A), et deux autres exemplaires contenus dans des recueils de la Bibliothèque de Pont de Veyle (Catalogue de 1847, nos 1810 et 1813).

76. Desseins de la Toison d'or, Tragedie. Representée par la Troupe Royale du Marais, chez Mr le Marquis de Sourdeac, en son chasteau du Neufbourg, pour reiouissance publique du Mariage du Roy et de la Paix auec l'Espagne, et ensuite sur le Theatre Royal du Marais. A Paris, Chez Augustin Courbé, au Palais, en la Galerie des Merciers, à la Palme. M. DC. LXI [1661]. In-8.

77. La || Toison d'or, || Tragedie. || Representée par la Troupe Royale du || Marests, chez Mr le Marquis de Sour- || deac, en son Chasteau du Neufbourg, || pour réjoüissance publique du Mariage|| du Roy, & de la Paix auec l'Espagne, || & en suite sur le Theatre Royal du || Marests. || Imprimée à Roüen, Et se vend || A Paris, || Chez || Augustin Courbé, au Palais, en la || Gallerie des Merciers, à la Palme. || Et || Guillaume de Luyne, Libraire Iuré, dans la mesme Gallerie, || à la Iustice. || M. DC. LXI [1661]. || Auec Priuilege du Roy. In-12 de 6 ff., 105 pp. et 1 f.

Collation des feuillets prélim.: 1 f. blanc; 1 f. de titre; 3 ff. pour l'Argument; 1 f. pour la liste des Acteurs.

Le privilége commence au verso de la page 105, et occupe le recto du feuillet suivant. Il est accordé à A. Courbé, qui déclare y associer G. de Luyne, et daté du 27 janvier 1661. Il y est dit que Courbé pourra «faire imprimer, vendre et debiter en tous les lieux de l'obeïssance de sa Majesté, une Tragédie composée par le sieur P. Corneille, intitulée la Conquête de la Toison d'Or, Avec les Desseins de ladite Piece, en telles marges et tels caracteres, en un ou plusieurs volumes, et autant de fois qu'il voudra, durant dix ans entiers, à compter du jour que ladite Tragedie sera achevée d'imprimer pour la premiere fois.» Cet achevé d'imprimer est daté du 10 mai 1661.

C'est dans la première scène du Prologue de cette tragédie qu'on trouve ces vers bien connus:

A vaincre tant de fois, mes forces s'affoiblissent:

L'Etat est florissant, mais les Peuples gemissent;

Leurs membres décharnés courbent sous mes hauts faits,

Et la gloire du Trône accable les Sujets.

Campistron imita ce passage dans la seconde scène du second acte de Tiridate:

Je sais qu'en triomphant les Etats s'affoiblissent;

Le Monarque est vainqueur, et les Peuples gémissent:

Dans le rapide cours de ses vastes projets,

La gloire dont il brille accable les Sujets;

mais au XVIIIe siècle, l'on avait encore moins de liberté qu'au XVIIe; les vers de Corneille, remaniés par Campistron, furent jugés séditieux; le poëte dut les supprimer. (Voy. l'Éloge de Campistron, dans les Œuvres de d'Alembert, édit. Belin, t. IIe, p. 578.)

Vendu: 205 fr., mar. r. (Thibaron-Échaubard), Huillard, 1870 (no 597).

78. La Toison d'or, Tragedie. Par P. Corneille. A Paris, Au Palais. Chez Guillaume de Luyne, dans la Salle des Merciers sous la montée de la Cour des Aydes à la Justice. Estienne Loyson, au premier Pillier de la grand'Salle proche les Consultations au Nom de Jesus. Pierre Traboüillet dans la Galerie des Prisonniers, à l'Image S. Hubert, & à la Fortune proche le Greffe des Eaux et Forets. M.] DC. LXXXII [1682]. Avec Privilege du Roy. in-12.

79. La Toison d'or, Tragedie en Machines de M. de Corneille l'Aisné. A Paris, chez V. Adam, 1683, in-4.

XXV

80. Sertorivs, || Tragedie. || Imprimée à Roüen, Et se vend || A Paris, || Chez || Augustin Courbé, au Palais, en la || Galerie des Merciers, à la Palme. || Et || Guillaume de Luyne, Libraire Iu- || ré, au Palais, en la Galerie des || Merciers, à la Iustice. || M. DC. LXII [1662]. || Auec Priuilege du Roy. In-12 de 6 ff. et 95 pp.

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