Bibliographie Cornélienne: Description raisonnée de toutes les éditions des oeuvres de Pierre Corneille
Collation des feuillets prélim.: titre; 4 ff. pour l'avis Au Lecteur; 1 f. pour l'Extrait du Privilége et la liste des Acteurs.
Le privilége, daté du 16 mai 1662, permet à Guillaume de Luyne «de faire imprimer deux Pieces de Theatre, composées par les Srs Corneille, intitulées Sertorius et Maximian, pendant sept années.» On lit à la fin: Acheué d'imprimer le huitiéme iour de Iuillet 1662. à Roüen, par L. Maurry.
Après Œdipe et la Toison d'or, qui inaugurèrent la seconde partie de sa carrière dramatique, Corneille revint à l'histoire romaine. Il tira de Plutarque le bel épisode de Sertorius, qu'il enrichit de détails de son invention. Il se mit au travail dans les derniers mois de l'année 1661. A la date du 3 novembre de cette année, Corneille, écrivant à l'abbé de Pure, s'excuse de ne lui avoir pas encore donné son avis sur une tragédie dont il n'avait reçu que deux actes, et il ajoute: «C'est ce qui a differé ma responce, et la priere que j'ay à vous faire de ne vous contenter pas du bruit que les Comediens font de mes deux Actes, mais d'en juger vous mesme et m'en mander vostre sentiment tandis qu'il y a encor lieu à la correction. J'ay prié Melle Des Œilletz, qui en est saisie, de vous les montrer quand vous voudrez, et cependant je veux bien vous prevenir un peu en ma faveur, et vous dire que si le reste suit du mesme air, je ne croy pas avoir rien escrit de mieux. Mes deux Héroines ont le mesme caractere de vouloir espouser par ambition un homme pour qui elles n'ont aucun amour, et le dire à luy-mesme et toutefois je croy que cette ressemblance se trouvera si diversifiée par la maniere de l'exprimer que beaucoup ne s'en apercevront pas.»
La représentation de Sertorius eut lieu vers la fin de février 1662. Loret en parle longuement dans sa lettre du 4 mars de cette année:
Depuis huit jours, les beaux Esprits
Ne s'entretiennent dans Paris,
Que de la derniére merveille
Qu'a produite le grand Corneille,
Qui, selon le commun récit,
A plus de beautez que son Cid,
A plus de forces et de graces
Que Pompée, et que les Horaces,
A plus de charmes que n'en a
Son inimitable Cinna,
Que l'Œdipe, ny Rodogune,
Dont la gloire est si peu commune,
Ny, mesmement, qu'Héraclius;
Sçavoir le Grand Sertorius,
Qu'au Marest du Temple l'on joüe,
Sujet que tout le monde avoüe
Etre divinement traité,
Nonobstant la stérilité;
Et c'est en un semblable Ouvrage,
Ce qu'on admire davantage.
On ne voit, en cette action,
Tendresse, amour, ny passion,
Ny d'extr' ordinaire spectacle,
Et passe, pourtant, pour miracle.
Certes, cét illustre Normand
Qui n'écrit rien que de charmant,
De merveilleux et d'énergique,
Passe, en qualité de Tragique,
Les Poëtes les plus hardis
Du temps prézent, et de jadis:
Il fait mieux, dit-on, qu'Euripide,
Bûveur de l'Onde Aganipide,
Mieux que Sénéque le Romain,
Prizé de tout le Genre Humain,
Et, bref, mieux que défunt Sophocle,
Qui n'a de rime qu'Empédocle,
Mais dont les Esprits mieux sensez
Dizent encor du bien assez
Depuis deux mille ans que cet Homme
Est mort, bien loin, par-delà Rome.
Les Comédiens du Marest
Poussez de leur propre intérest,
Et qui dans des chozes pareilles,
Ne font leur métier qu'à merveilles,
S'éforcent à si bien joüer,
Qu'on ne peut les en trop loüer:
Et, pour ne pas paroître chiches,
On leur voit des habits si riches,
Si brillans de loin et de prés,
Et, pour le sujet, faits exprés,
Que chaque Spectateur proteste
Qu'on ne peut rien voir de plus leste.
Les deux textes que nous venons de citer présentent une difficulté d'interprétation assez sérieuse: «Les comédiens dont Corneille parle dans sa lettre sont, suivant toute apparence, dit M. Marty-Laveaux, ceux de l'hôtel de Bourgogne, puisque c'est à cette troupe qu'appartenait Mlle des Œillets; et pourtant, d'après le témoignage de Loret, c'est au théâtre du Marais que l'ouvrage a été représenté pour la première fois. On pourrait, à la vérité, chercher à expliquer cette contradiction en supposant que Mlle des Œillets a fait, pendant quelque temps, partie du théâtre du Marais, ou que Corneille a retiré sa pièce à la troupe qui devait d'abord la jouer, pour la faire représenter à l'hôtel de Bourgogne; mais un passage d'une autre lettre de notre poëte à l'abbé de Pure, datée du 25 avril, et par conséquent postérieure de deux mois à la représentation de Sertorius, ne permet pas d'adopter une telle supposition. En effet, Corneille, expliquant pourquoi il ne pourra de sitôt donner une pièce aux comédiens du Marais, s'exprime ainsi: «Outre que je seray bien aise d'avoir mon tour à l'Hostel.... et que je ne puis manquer d'amitié à la Reine Viriate à qui j'ay tant d'obligation, le demenagement que je prépare pour me transporter à Paris me donne tant d'affaires que je ne sçay si j'auray assez de liberté d'esprit pour mettre quelque chose cette année sur le Théatre.» Certes, ce passage prouve bien que Sertorius avait été joué à l'hôtel de Bourgogne, et il semble indiquer que cette reine Viriate, envers qui Corneille se reconnaît si obligé, n'est autre que Mlle des Œillets. Comment concilier le témoignage de notre auteur avec celui de Loret?»
Le savant éditeur de Corneille déclare avoir cherché en vain une conciliation; mais, en pareil cas, les hypothèses sont permises, et l'on peut, croyons-nous, proposer au moins une explication plausible du problème. Corneille dit bien, le 3 novembre 1661, que Mlle des Œillets est «saisie» des deux premiers actes de Sertorius, mais rien ne prouve qu'elle ait effectivement joué ce rôle. Peut-être ne se sera-t-elle pas crue assez jeune pour le remplir (elle était née en 1621). Il nous paraît probable que le rôle de Viriate aura été joué par Mlle Marotte, dont Corneille parle au début de sa lettre du 25 avril 1662: «L'estime et l'amitié que j'ay depuis quelque temps pour Melle Marotte me fait vous avoir une obligation tres singuliere de la joye que vous m'avez donnée en m'apprenant son succes et les merveilles de son debut. Je l'avois veue icy representer Amalasonte, et en avois conceu une assez haute opinion pour en dire beaucoup de bien à Mr. de Guise, quand il fut question, vers la My-caresme, de la faire entrer au Marais.» Si l'on admet cette interprétation, qui nous semble naturelle, les raisons alléguées par Corneille pour ne pas donner de pièce nouvelle peuvent s'entendre dans ce sens qu'il serait bien aise de faire jouer quelque ouvrage à l'Hôtel de Bourgogne, mais qu'il craint de manquer à l'amitié qu'il a pour Mlle Marotte, en confiant un rôle à une artiste de la troupe rivale. La fin de la lettre est assez obscure, mais elle concorde avec notre explication plutôt qu'elle ne la contredit: «Ainsy, si ces Mrs les secourent ainsy que moy, il n'y a pas d'apparence que le Marais se restablisse, et quand la machine (la Toison d'or), qui est aux abois, sera tout à fait defunte, je trouve que ce Theatre ne sera pas en trop bonne posture. Je ne renonce pas aux Acteurs qui le soustiennent, mais aussi je ne veux point tourner le dos tout à fait à Mrs de l'Hostel dont je n'ay aucun lieu de me plaindre et où il n'y a rien à craindre quand une piece est bonne.» Que signifie ce passage, sinon que le théâtre du Marais, inférieur à l'Hôtel de Bourgogne pour la tragédie, a besoin pour se soutenir des pièces à grand spectacle? Si Corneille avait fait représenter Sertorius par les comédiens de l'Hôtel, dirait-il qu'il ne veut point leur tourner le dos tout à fait?
Du reste, Sertorius ne tarda pas à être joué par les troupes rivales. Le registre de Lagrange nous fournit à ce sujet des indications curieuses qui prouvent que la tragédie, dont le succès fut très-grand, fut jouée par la troupe de Molière avant d'avoir été imprimée. L'impression n'en fut achevée que le 8 juillet 1662, et la troupe de Molière la représenta, pour la première fois, le vendredi 23 juin 1662. Elle en donna trois autres représentations en 1662, neuf en 1663, trois en 1664, et vingt autres représentations de 1665 à 1670, soit, en tout, trente-neuf. Nous comprenons dans ces chiffres une représentation donnée, en 1664, à Villers-Coterets, chez Monsieur, où les comédiens séjournèrent du 20 au 27 septembre.
A l'époque de la mort de Corneille, le Manuscrit du Dauphin nous fournit la distribution suivante:
DAMOISELLES. |
|
| Aristie: | Chanmeslé |
| Viriate: | le Comte |
| Thamire: | Raisin. |
HOMMES. |
|
| Sertorius: | Chanmeslé |
| Perpenna: | Dauvilliers |
| Aufide: | le Comte |
| Pompée: | Baron |
| Celsus: | Beauval |
| Arcas: | Hubert, ou Raisin. |
Au XVIIIe siècle, plusieurs acteurs se distinguèrent dans Sertorius. Grandval remplit avec un grand succès le rôle du général romain (1758); celui de Viriate fut joué avec éclat par Mlle Clairon et Mme Vestris.
La Comédie-Française a donné 107 représentations de Sertorius, de 1680 à 1814, savoir: sous Louis XIV: à la ville, 46; à la cour, 11;—sous Louis XV: à la ville, 24; à la cour, 1,—sous Louis XVI: à la ville, 7; à la cour, 4;—sous le Directoire, le Consulat et l'Empire: à la ville, 13; à la cour, 1. La pièce n'a pas été reprise depuis lors.
Vendu: 120 fr., vél., Huillard, 1870 (no 596); 102 fr., vél., et 155 fr., mar. r. (Chambolle-Duru), Potier, 1870 (nos 1233 et 1234).
Collation des feuillets prélim.: titre; 4 ff. pour l'avis Au Lecteur; 1 f. pour l'Extrait du Privilége et les Acteurs.
L'extrait du privilége est le même que dans l'édition précédente. On lit à la fin: Acheué d'imprimer le huitiéme Iuillet 1662. A Rouen par L. Maurry.
Cette édition n'a jamais été distinguée de la précédente par les bibliographes de Corneille.
XXVI
82. Sophonisbe, || Tragedie. || Par P. Corneille. || Imprimée à Roüen, Et se vend || A Paris, || Chez Guillaume de Luyne, Libraire Iuré, au || Palais, en la Gallerie des Merciers, || à la Iustice; [ou Chez Thomas Iolly, au Palais, dans la petite || Salle, aux Armes de Hollande, || & à la Palme; ou Chez Loüys Billaine, au second Pilier de la grand'Sale du Palais, à la Palme & au grand César. || M. DC. LXIII [1663]. || Auec Priuilege du Roy. In-12 de 6 ff. et 76 pp.
Collation des feuillets prélim.: titre; 4 ff. pour l'avis Au Lecteur; 1 f. pour l'Extrait du Privilége et les noms des Acteurs.
Le privilége, en date du 4 mars 1663, donne à G. de Luyne le droit exclusif, pendant cinq ans, de publier deux pièces de théâtre des sieurs Corneille intitulées: La Sophonisbe et Persée et Demetrius. De Luyne déclare associer à son droit Th. Jolly et L. Billaine. On lit à la fin: Acheué d'imprimer pour la premiere fois le 10. Auril 1663. A Roüen, Par L. Maurry.
L'histoire de Sophonisbe, reine de Numidie, que Tite-Live, Polybe et Appien ont racontée, est un des sujets qui ont le plus souvent inspiré les poëtes dramatiques modernes. Le premier auteur qui la mit au théâtre fut le Trissin. Il fit représenter sa tragédie à Vicence vers 1510. Cette pièce eut un grand succès, attesté par les nombreuses éditions que les libraires italiens en publièrent pendant tout le cours du XVIe siècle (Sophonisba, tragedia; in Roma, Lodovico degli Arrighi et Lautitio Perugino, 1524, pet. in-4;—in Roma, per Lodovico Vicentini [degli Arrighi], 1524, pet. in-4, seconde édition, avec deux lettres grecques sur le titre;—in Vicenza, per Tolomeo Janiculo, 1529, in-4;—Di M. Giovangiorgio Trissino la Sophonisba, li Retratti, Epistola, Oracion al serenissimo Principe di Vinegia; in Vinegia, per Ieronimo Pentio da Lecho, a instantia de Nicolo Garanta, 1530, pet. in-8;—[in Vinegia], per Al. Pag. Benacense, s. d., in-8;—La Sofonisba, tragedia del S. Giorgio Trissino Vicentino; in Vinegia, per Bernardo de' Bindoni, 1549, in-8;—in Vinegia, per Gabriele Giolito et Fratelli, 1553, 1562, 1585 et 1586, in-12;—in Vinegia, per Francesco Lorenzini, 1560, in-8;—in Genova, per Antonio Bellone, 1572, in-8;—in Vinegia, per Altobello Salicato, 1582, pet. in-12;—in Vicenza, per Perin Libraro, e Giorgio Greco Compagni, 1585, in-12;—in Venetia, per Michele Bonibelli, 1595, in-12, etc.). Un autre auteur italien, Galeotto Caretto, publia en 1546 une seconde Sophonisbe qui ne fit pas oublier celle du Trissin (La Sophonisba, Tragedia del magnifico Cavaliere et Poeta Messer Galeotto Carretto; in Vinegia, appresso Gabriel Giolito de' Ferrari, 1546, in-8). La première Sophonisbe fut traduite en prose française par Mellin de Saint-Gelais, et représentée à Blois, devant le roi, en 1559. Gilles Corrozet en publia deux éditions anonymes sous ce titre singulier: Sophonisba, Tragedie tres excellente, tant pour l'argument que pour le poly langage et graves sentences dont elle est ornée; représentée et prononcée devant le Roy en sa ville de Bloys; à Paris, chez Philippe Danfrie et Richard Breton, 1559, in-8;—à Paris, chez Richard Breton, 1560, in-8. Un peu plus tard, Claude Mermet en fit une nouvelle traduction en vers (La Tragedie de Sophonisbe Reyne de Numidie, où se verra le desastre qui luy est advenu, pour avoir esté promise à un mary, et espousée par un autre; et comme elle a mieux aimé eslire la mort, que de se voir entre les mains de ses ennemis; à Lyon, chez Léonard Odet, 1584, in-8). Corneille n'a pas connu les deux traductions que nous venons de mentionner, ou du moins il n'en a pas fait usage; il ne paraît pas non plus s'être servi de la Mort courageuse de Sophonisba, par le Sieur de Reboul (Lyon, Jacques Roussin, 1597, in-12), tandis qu'il a eu entre les mains les deux imitations suivantes: Sophonisba, Tragedie, par Anthoine de Montchrestien, sieur de Vasteville; à Caen, chez la veufve de Jacques le Bas, 1596, in-8 (reproduite sous le titre de: la Carthaginoise, ou la Liberté, dans les Tragédies du même auteur; à Rouen, chez Jean le Petit [1601], pet. in-8;—à Rouen, chez Jean Osmond, 1604, pet. in-12;—à Niort, chez Porteau, 1606, pet. in-12;—à Rouen, chez Martin de la Motte, 1627, pet. in-8); La Sophonisbe, Tragedie, par le Sieur du Mont-Sacré (Nicolas de Montreux), gentil-homme du Maine; à Rouen, chez Raphaël du Petit-Val, 1601, pet. in-12.
La tragédie de Mairet est la première pièce française sur ce sujet qui eut un mérite sérieux et dont le succès fut durable. Elle fut représentée, à ce que l'on croit, en 1629, et imprimée quelques années après: La Sophonisbe, Tragi-Comedie, dediée à M. le Garde des Sceaux; à Paris, chez Pierre Rocolet, 1635, in-4. Dans cette pièce, antérieure non-seulement au Cid, mais à Mélite et à Clitandre, Mairet introduisit la règle de vingt-quatre heures, qui n'avait jamais été observée auparavant. La vogue de Sophonisbe, qui fit croire à Mairet qu'il pourrait jouer un rôle parmi les adversaires du Cid, se prolongea longtemps après le succès des chefs-d'œuvre de Corneille; aussi se produisit-il dans le public un sentiment de vive curiosité quand on apprit que Corneille se proposait de traiter le même sujet. Cette concurrence inattendue jeta Mairet dans un violent chagrin; on prétend même qu'il en fit une maladie. Corneille, qui s'était depuis longtemps réconcilié avec son ancien ennemi, ne manqua pas de protester de ses bonnes intentions; il exagéra même l'éloge de son devancier: «Depuis trente ans que Monsieur Mairet a fait admirer sa Sophonisbe sur nostre Théatre, dit-il dans la préface de sa tragédie, elle y dure encore, et il ne faut point de marque plus convaincante de son mérite, que cette durée, qu'on peut nommer une ébauche, ou plûtost des arrhes de l'immortalité, qu'elle asseure à son illustre Autheur. Et certainement il faut avoüer qu'elle a des endroits inimitables, et qu'il seroit dangereux de retaster après luy. Le démeslé de Scipion avec Massinisse, et les desespoirs de ce Prince sont de ce nombre: il est impossible de penser rien de plus juste, et tres-difficile de l'exprimer plus heureusement. L'un et l'autre sont de son invention, je n'y pouvois toucher sans luy faire un larcin, et si j'avois été d'humeur à me le permettre, le peu d'espérance de l'égaler me l'auroit défendu. J'ay creu plus à propos de respecter sa gloire et ménager la mienne, par une scrupuleuse exactitude à m'écarter de sa route, pour ne laisser aucun lieu de dire, ny que je sois demeuré au dessous de luy, ni que j'aye pretendu m'élever au dessus, puisqu'on ne peut faire aucune comparaison entre des choses, où l'on ne voit aucune concurrence.» Corneille proteste donc qu'il a simplement voulu «faire autrement, sans ambition de faire mieux»; il cite, pour se justifier, nombre de sujets qui ont été successivement traités par divers auteurs, tels que ceux de Marianne, de Panthée, de Cléopatre, etc.
La nouvelle Sophonisbe fut représentée à l'Hôtel de Bourgogne en janvier 1663. Malgré l'aigreur des critiques que l'abbé d'Aubignac dirigea contre Corneille, le succès paraît avoir répondu à l'attente du poëte. Loret le constate avec complaisance dans sa lettre du 20 janvier 1663:
Quitons cette importante Afaire,
Que le temps nous rendra plus claire;
Et parlons d'un célébre Autheur
Dont je suis grand admirateur.
Cette Piéce de conséquence,
Qu'avec une extrême impatience
On atendoit de jour en jour,
Dans tout Paris et dans la Cour,
Piéce qui peut être apellée
Sophonisbe, renouvelée
Maintenant se joüe à l'Hôtel de Bourgogne.
Avec applaudissement tel,
Et si grand concours de personnes,
De hautes Dames, de Mignonnes,
D'esprits beaux en perfection,
Et de Gens de condition,
Que, de longtemps, Piéce nouvelle
Ne receut tant d'éloges qu'elle.
Je ne m'embarasseray point
A déduire, de point en point,
Ses plus importantes matieres,
Ny ses plus brillantes lumieres:
Pour dignement les concevoir
Il faut les oüir et les voir;
Je veux, pourtant, dans nôtre Histoire,
Prouver son mérite et sa gloire
Par un invincible argument,
Car en dizant, tant seulement,
Que cette Piéce nompareille
Est l'Ouvrage du grand Corneille,
C'est pousser sa louange à bout,
Et qui dit Corneille, dit tout.
Le succès dont nous entretient Loret fut de courte durée. Les adversaires de Corneille, à la tête desquels s'était placé l'abbé d'Aubignac, rabaissèrent sa Sophonisbe en exaltant celle de Mairet. Ces critiques, dont nous parlerons dans notre chapitre XIXe, furent réfutées par divers auteurs. Saint-Evremond, notamment, mit en relief, dans sa Dissertation sur l'Alexandre de Racine, les côtés de la pièce qui avaient déplu au public. Les beaux esprits de la cour reprochaient à Corneille ce qui était son principal mérite: l'exactitude des mœurs et des caractères; ils savaient gré au contraire à Mairet de n'être sorti de son siècle que pour emprunter quelques noms à l'antiquité.
Le poëte fut très-sensible aux éloges de Saint-Evremond et lui écrivit une lettre de remerciment qui nous a été conservée: «Me voulez-vous bien permettre d'ajoûter ici, disait Corneille en terminant, que vous m'avez pris par mon foible, et que ma Sophonisbe, pour qui vous montrez tant de tendresse, a la meilleure part de la mienne? Que vous flattez agréablement mes sentimens, quand vous confirmez ce que j'ai avancé touchant la part que l'Amour doit avoir dans les belles Tragédies, et la fidélité avec laquelle nous devons conserver à ces vieux Illustres les caracteres de leur temps, de leur Nation et de leur humeur!» (Œuvres diverses de Corneille; Paris, 1738, in-12, pp. 221 sq.; Marty-Laveaux, t. Xe, p. 498.)
Un auteur qui, après avoir attaqué Sophonisbe, en devint le plus ardent défenseur, Donneau de Visé, nous fournit, dans sa première critique (Nouvelles nouvelles; à Paris, chez Gabriel Quinet, 1663, in-12, 3e partie), des détails précis sur les acteurs qui remplirent les principaux rôles de la pièce. Montfleury joua Syphax; Floridor, Massinisse; La Fleur, Lélius; Mlle des Œillets, Sophonisbe, et Mlle Beauchâteau, Eryxe.
Le Registre de Lagrange ne mentionne aucune représentation de Sophonisbe par la troupe de Molière. Les registres du Théâtre-Français n'en citent que deux représentations entre 1680 et 1700. Il ne serait même pas impossible qu'il ne s'agît ici de la tragédie de Mairet.
Le sujet de Sophonisbe a été traité deux fois au XVIIIe siècle, par Lagrange-Chancel et par Voltaire. La pièce de Lagrange-Chancel fut jouée quatre fois au mois de novembre 1716, mais elle n'a pas été imprimée; celle de Voltaire, représentée en 1764, a été publiée sous un nom supposé.
Cette dernière pièce est entièrement tirée de Mairet, dont Voltaire n'a voulu que rajeunir et que relever le style. Le succès en a été médiocre.
Vendu: 60 fr., mar. r. anc., Chédeau, 1865 (no 703).
Collation des feuillets prélim.: titre; 9 pp. pour l'avis Au Lecteur; 1 p. pour les Acteurs.
Cette édition, dont M. Piot possède un exemplaire, a été probablement imprimée à Paris. L'extrait du privilége est le même que celui dont nous avons parlé ci-dessus (no 80) et contient les mêmes mentions. La justification est, pour les feuillets préliminaires, de 119 mm. sur 63, et, pour le corps du texte, de 117 mm. sur 64.
XXVII
84 bis. Othon || Tragedie. || Par P. Corneille. || A Paris, || Chez Guillaume de Luyne, Libraire Iuré, au || Palais, en la Gallerie des Merciers, à la Iustice; [ou Chez Thomas Iolly, au Palais dans la || petite Sale [sic] des Merciers, à la Palme & aux || Armes d'Hollande; ou Chez Loüys Billaine, au second Pillier || de la grand Sale du Palais, à la Palme || & au grand Cesar]. || M. DC. LXV [1665]. || Auec Priuilege du Roy. In-12 de 2 ff., 78 pp. et 1 f.
Collation des feuillets prélim.: titre; 1 f. pour l'avis Au Lecteur et les Acteurs.
Le privilége, dont un extrait occupe le dernier feuillet, est daté du dernier d'octobre 1664; il est accordé pour sept ans à Guillaume de Luyne, qui déclare y associer Thomas Jolly et Louis Billaine.
L'achevé d'imprimer est du 3 février 1665.
Les deux titres que nous avons reproduits appartiennent à une seule et même édition. Les titres, qui portent la faute d'impression, Oton pour Othon, sont certainement antérieurs aux autres et doivent être plus rares. Nous en avons cependant trouvé dans plusieurs exemplaires: à l'Institut, à la bibliothèque Cousin, etc.
«Si mes amis ne me trompent, cette Piéce égale ou passe la meilleure des miennes, dit Corneille dans la préface qu'il a placée en tête de la tragédie d'Othon. Quantité de suffrages illustres et solides se sont déclarez pour elle, et si j'ose y meler le mien, je vous diray que vous y trouverez quelque justesse dans la conduite, et un peu de bon sens dans le raisonnement. Quant aux Vers, on n'en a pas vu de moy que j'aye travaillez avec plus de soin.»
Nous savons en effet qu'Othon est une des pièces qui coûtèrent au poëte le plus de peine; on assure qu'il en refit trois fois le cinquième acte, et que cet acte lui «coûta douze cents vers». (Histoire du Théatre François, tome IXe, p. 322, note a; notes manuscrites de Tralage à la Bibliothèque de l'Arsenal, citées par M. Taschereau: Œuvres de Corneille, t. Ier, p. XXVI, et par M. Marty-Laveaux, t. VIe, p. 567.) Le sujet de la pièce est tiré des Histoires de Tacite, mais Corneille a mis également à contribution Plutarque et Suétone dans leurs Vies de Galba et d'Othon.
M. Marty-Laveaux suppose que Corneille s'est inspiré d'une pièce italienne représentée en 1652. D'après le savant éditeur, cette pièce serait de Ghirardelli, auteur de la Mort de Crispe, citée par Corneille dans son Discours de la Tragédie; mais ce renseignement, emprunté à la Biographie universelle, paraît inexact. La seconde édition de la Drammaturgia d'Allacci (Venezia, 1755, in-4o) mentionne une tragédie d'Othon imprimée avant la pièce française (Ottone, tragedia; in Bologna, per Giacomo Monti, 1652, in-4o), mais elle l'attribue à Louis Manzoni, de Bologne, et non à Ghirardelli. D'ailleurs, si la notice donnée par la Biographie universelle est exacte, l'Ottone de Ghirardelli n'aurait jamais été imprimé, en sorte qu'il eût été bien difficile à Corneille de s'en inspirer. Nous croyons donc que notre poëte n'a pas puisé à d'autres sources que celles qu'il indique avec sa bonne foi ordinaire. C'est l'exacte peinture de la politique romaine qui fait l'intérêt de sa pièce, et ce sont ces mérites historiques qui lui ont valu un accueil bien plus favorable de la part des critiques modernes que de la part des critiques du XVIIe siècle.
Othon fut joué pour la première fois à Fontainebleau, le 3 août 1664, ainsi que le rapporte Loret dans sa lettre du 2 août:
Ce qu'illec je sceus davantage,
C'est qu'Othon, excélent Ouvrage,
Que Corneille, plein d'un beau feu,
A produit au jour depuis peu,
De sa plume docte et dorée,
Devoit, la suivante soirée,
Ravir et charmer à son tour
Le Légat et toute la Cour: [Le légat Chigi]
Je l'appris de son Autheur mesme;
Et j'ûs un déplaizir extresme
Qui me fit bien des fois pester
De ne pouvoir encor rester
Pour voir, dudit Sieur de Corneille,
La fraîche et derniére Merveille,
Que je verray s'il plaît à Dieu,
Quelque-jour en quelque autre lieu.
Dans la lettre du 8 novembre 1664, nous trouvons le compte rendu de la première représentation d'Othon à Paris:
Il faut icy, donc, que j'avoüe
Qu'à l'Hôtel de Bourgogne on joüe,
Depuis un jour ou deux, dit-on,
Un sujet que l'on nomme Othon,
Sujet Romain, sujet sublime,
Et digne d'éternelle estime.
Jamais de plus hauts sentimens,
Ny de plus rares ornemens,
Piéce ne fut si bien pourvûe.
Je ne l'ay point encore vûe,
Et je ne suy que le raport
Que m'en fit hier maint Esprit fort,
Qui dit qu'elle est incomparable,
Et que sa conduite admirable,
Dans Fontainebleau, l'autre-jour,
Charma tous les Grands de la Cour.
Mais d'où luy naît cet avantage?
Et d'où vient que de cét Ouvrage
Tout le monde est admirateur?
C'est que Corneille en est Autheur,
Cét inimitable Génie;
Et que l'illustre Compagnie,
Ou Troupe Royale, autrement,
Qui la récite excélemment,
Luy donne toute l'éficace,
Tout l'éclat et toute la grace
Qu'on doit prétendre, en bonne foy,
Des grands Comédiens du Roy.
Ainsi, Loret n'a vu lui-même aucune des deux représentations, et il ne juge la nouvelle tragédie que d'après ce que lui ont dit l'auteur et certain esprit fort de sa connaissance. Le public a-t-il apprécié Othon comme l'a fait le chroniqueur de cour? c'est ce qu'il est difficile de savoir.
Boileau, dit le Bolæana (1742, in-12, pp. 132 et 134) «n'étoit point du tout content de la tragédie d'Othon qui se passoit tout en raisonnement, et où il n'y avoit point d'action tragique»; mais cette opinion ne fut pas générale. S'il faut en croire les Anecdotes dramatiques, le maréchal de Gramont aurait dit, à l'occasion d'Othon, que Corneille devrait être le «Bréviaire des Rois» et M. de Louvois, «qu'il faudroit, pour juger cette pièce, un parterre composé de ministres d'État.» Ce qui est certain, c'est qu'Othon resta au répertoire. Voici, d'après le Manuscrit du Dauphin, comment il était interprété à l'époque de la mort de Corneille:
Les registres du Théâtre-Français dépouillés par M. Despois indiquent, de 1680 à 1700, 29 représentations à la ville et 6 à la Cour. Othon fut joué une fois encore avant 1715; il n'a pas été repris depuis lors.
Vendu: 53 fr., vél., Chédeau, 1865 (no 704).
XXVIII
Collation des feuillets prélim.: titre avec un fleuron qui représente une corbeille de fleurs et de fruits; 1 f. pour l'avis Au Lecteur et la liste des Acteurs.
L'extrait du privilége occupe le premier des 2 ff. non chiffrés de la fin. Il est accordé au sieur P. Corneille pour sept années, et le poëte déclare avoir cédé ses droits à Thomas Jolly, Guillaume de Luyne et Louis Billaine. Les frais de l'impression avaient été supportés par Corneille; le fait est mentionné formellement après le privilége. L'achevé d'imprimer, placé au verso du privilége, est ainsi conçu: Acheuée d'imprimer le 3. iour d'Avril 1666. par L. Maurry.
Il existe des exemplaires de cette édition avec la date de 1667 et de 1668 (Bibliothèque Cousin). La nécessité où les libraires se virent de la rajeunir ainsi aux yeux du public suffirait pour prouver qu'elle n'était pas d'une vente facile.
En mettant sur le théâtre l'histoire du roi de Sparte Agésilas, Corneille crut pouvoir renouveler le succès de ses premières tragédies, grâce à une innovation qui dut paraître hardie. Il abandonna l'alexandrin uniforme, et n'employa que les vers libres mêlés. «La maniére dont je l'ay traitée, dit-il dans son avis Au Lecteur, n'a point d'éxemple parmy nos François, ny dans ces précieux restes de l'antiquité qui sont venus jusqu'à nous, et c'est ce qui me l'a fait choisir.» L'espoir du poëte fut malheureusement déçu; le public ne prit aucun goût à la nouveauté. L'épigramme de Boileau est trop connue pour que nous la reproduisions ici; ce «bon mot de deux rimes orné» exprimait sans doute le sentiment du parterre. Robinet, dans sa Lettre en vers à Madame, du 6 mars 1666, fit pourtant l'éloge d'Agésilas. Après avoir rappelé que la mort de la reine Anne d'Autriche empêchait les mascarades du carnaval, il continuait en ces termes:
Mais vous avez pour supplement
Le noble divertissement
Que vous donnent les doctes veilles
De l'aisné des braves Corneilles:
Son charmant Agesilaüs,
Où sa Veine coule d'un flus
Qui fait admirer à son age
Ce grand et rare personnage.
La première représentation avait dû avoir lieu à l'hôtel de Bourgogne, dans le cours du mois précédent, c'est-à-dire en février. Le deuil de la cour hâta l'abandon d'Agésilas, qui n'a jamais été repris depuis. Nous ne possédons, ni sur les représentations, ni sur la pièce elle-même, aucune critique contemporaine; Corneille, qui souvent nous fournit dans ses préfaces des renseignements à ce sujet, n'en donne aucun dans l'avis Au Lecteur que nous avons déjà cité.
Vendu: 37 fr., v. br., exempl. raccommodé, Chédeau, 1865 (no 705);—50 fr., v. f. (Simier), Huillard, 1870 (no 598);—155 fr., mar. r. (Chambolle-Duru), Potier, 1870 (no 1235).
XXIX
Collation des feuillets prélim.: 1 f. blanc; 1 f. de titre; 2 ff. pour l'avis Au Lecteur et la liste des Acteurs. La faute d'impression T. Corneille pour P. Corneille ne se trouve que sur le titre d'un petit nombre d'exemplaires.
Le privilége, dont un extrait est placé à la p. 78, au-dessous de 9 lignes de texte, est daté du 25 novembre 1666; il est accordé pour cinq ans à Guillaume de Luyne, qui déclare y associer Thomas Jolly et Louis Billaine. L'achevé d'imprimer est du 20 novembre 1667.
Les critiques modernes ont vengé Corneille des injustes attaques de Boileau: «Après l'Attila, Holà!» Boileau, qui n'entendait rien à l'histoire, qui confondait les Visigoths et les Huns, ne voyait dans la pièce de Corneille que des personnages grotesques; nous y voyons au contraire une peinture historique des plus parfaites et des plus saisissantes. Ce qui nous paraît fade aujourd'hui, ce sont les scènes d'amour introduites par Corneille par déférence pour le goût de son siècle, mais le personnage même d'Attila est à nos yeux d'une grande beauté. Le caractère de ce barbare est rendu avec une vérité frappante, et les historiens ont même reconnu que le poëte, par une sorte d'intuition qui n'appartient qu'au génie, avait, sur certains points, devancé les découvertes de l'histoire.
Attila fut représenté par la troupe de Molière, et le Registre de Lagrange nous fournit à cette occasion les renseignements les plus précieux. On y lit, à la date du vendredi 4 mars 1667: «Attila: Piece nouvelle de M. de Corneille l'aisné, pour laquelle on luy donna 2,000 livres, prix faict.» Il est curieux de noter ce que rapportèrent les dix premières représentations:
| Vendredy, | 4e Mars | 1.027 | livres. | ||
| Dimanche, | 6e Mars | 527 | — | ||
| Mardy, | 8e Mars | 604 | — | ||
| Vendredy, | 11e Mars | 811 | |||
| Dimanche, | 13e Mars | 589 | — | 10 s. | |
| Mardy, | 15e Mars | 223 | — | ||
| Vendredy, | 18e Mars | 273 | — | ||
| Dimanche, | 20e Mars | (avec le Medecin malgré luy | 602 | — | |
| Mardy, | 22e Mars | (id.) | 424 | — | |
| Dimanche, | 27e Mars | (id.) | 684 | — |
Ce tableau est plus instructif que tous les articles de la Gazette; il nous montre que le nom de Corneille était encore assez puissant pour attirer une grande foule à la première représentation, mais que ses pièces n'avaient plus une vogue bien durable. Cependant Robinet (Lettre en vers à Madame, du 13 mars 1667) dit, en parlant d'Attila:r
Cette derniére des Merveilles
De l'Aîné des fameux Corneilles,
Est un Poëme sérieux,
Où cet Autheur si glorieux,
Avecque son Stile énergique,
Des plus propres pour le Tragique,
Nous peint, en peignant Attila,
Tout à fait bien, ce Régne-là;
Et de telle façon s'explique
En matiére de Politique,
Qu'il semble avoir, en bonne foy,
Eté grand Ministre ou grand Roy.
Tel, enfin, est ce rare Ouvrage,
Qu'il ne se sent point de son âge,
Et que d'un Roy des plus mal nais [sic],
D'un Héros qui saigne du nez,
Il a fait, malgré les Critiques,
Le plus beau de ses Dramatiques.
Mais on peut dire, aussi, cela
Qu'après luy, le même Attila,
Est, par le sieur La Torilliére,
Reprézenté d'une maniére,
Qu'il donne l'Ame à ce Tableau
Qu'en a fait son parlant Pinceau.
Toute la Compagnie, au reste, La Troupe du Roy,
Ses beaux Talens y manifeste; au Palais Royal,
Et chacun selon son Employ,
Se montre digne d'être au Roy.
Bref, les Acteurs et les Actrices
De plus d'un Sens, font les Délices,
Par leurs Attrais, et leurs Habits
Qui ne sont pas d'un petit prix:
Et mêmes, une Confidente Mlle Moliere.
N'y parêt pas la moins charmante,
Et maint (le cas est évident)
Voudroit en étre Confident.
Sur cet Avis, qui vaut l'Affiche,
Voyez demain, si je vous triche,
Aussi-tôt que vous aurez lû,
De ma Lettre, le Residu.
Ainsi La Thorillière jouait Attila et Mlle Molière Flavie. On peut supposer que le rôle d'Honorie fut tenu primitivement par Mlle du Parc, qui se sépara de la troupe de Molière après la 11e représentation et passa à l'Hôtel de Bourgogne pour y jouer l'Andromaque de Racine. Les représentations de la pièce de Corneille, interrompues par les fêtes de Pâques et peut-être aussi par le départ de Mlle du Parc, reprirent le dimanche 15 mai et se poursuivirent sans interruption jusqu'à la fin de juin. Il y en eut trois autres au mois d'octobre de la même année et une le 29 avril 1668, soit en tout 30 représentations, ce qui, au milieu du XVIIe siècle, était certainement un chiffre très-honorable pour une tragédie.
De 1680 à 1700, M. Despois a relevé, sur les registres du Théâtre-Français, 12 représentations d'Attila données à la ville et 3 à la cour. Depuis lors, la pièce que Boileau avait condamnée n'a pas été remise à la scène, mais peut-être assisterons-nous bientôt à une reprise qui sera pour la plupart des spectateurs une révélation. Un excellent artiste, qui est en même temps un homme de lettres et un érudit, M. Got, de la Comédie-Française, a, nous assure-t-on, la pensée de jouer Attila. Nul doute qu'il ne sache donner à ce rôle son véritable caractère.
Vendu: 120 fr., vél., Chédeau, 1865 (no 706).
XXX
Collation des feuillets prélim.: titre; 1 f. pour les extraits des auteurs; 3 pp. pour le Privilége; 1 p. pour la liste des Acteurs.
La page 76 et dernière est chiffrée par erreur 44.
Le privilége, daté du dernier jour de décembre 1670, est accordé pour neuf ans à Pierre Corneille; il offre cette particularité remarquable qu'il lui est donné non-seulement pour Tite et Bérénice, mais encore pour une «traduction en vers François de la Thebaïde de Stace». On lit à la fin que «ledit sieur Corneille a cedé son droit de Privilege à Thomas Jolly, Guillaume de Luynes, et Louis Billaine, pour la comedie de Tite et Berenice seulement, suivant l'accord fait entre eux.»
L'achevé d'imprimer est du 3 février 1671.
Du Ryer fit représenter, en 1645, une tragédie en prose intitulée Bérénice, qui fut mise en vers douze ans plus tard par Thomas Corneille. Cette pièce n'a point de rapport avec Tite et Bérénice. Voici la courte analyse qu'en ont donnée les frères Parfaict: «Criton, pour se soustraire à la cruauté de Phalaris, tyran d'Agrigente, se retire dans l'Isle de Créte, avec sa fille Bérénice. Le Roy de Créte, et Tarsis, fils de ce Roy, deviennent amoureux de Bérénice, qui est reconnue pour fille du Roy de Créte, et Tarsis, pour le fils de Criton. Le Roy consent au mariage de sa fille, avec Tarsis: c'est ce qui termine la Piece, qui est assez passable.» (Histoire du Théatre François, t. VIe, p. 384.)
Les biographes de Corneille et de Racine nous ont raconté tour à tour comment Henriette d'Angleterre fit secrètement inviter les deux poëtes à traiter un sujet qui devait lui rappeler les amours de Louis XIV et de Marie Mancini, et les sentiments qu'elle avait elle-même inspirés au roi son beau-frère. Les détails relatifs à ce «duel», dont le marquis de Dangeau fut le confident, ont été recueillis par M. Marty-Laveaux et M. Mesnard, et nous n'avons qu'à renvoyer à leurs excellentes éditions (Œuvres de Corneille, t. VIIe, pp. 185-196; Œuvres de Racine, t. IIe, pp. 343-362).
La pièce de Racine fut jouée le 21 novembre 1670; celle de Corneille ne le fut que huit jours après. La première fut représentée à l'Hôtel de Bourgogne; la seconde fut interprétée par la troupe de Molière. A la date du vendredi 28 novembre, on lit dans le Registre de Lagrange: «Berenice. Piece nouvelle de M. de Corneille l'aisné, dont on luy a payé 2000 livres.» Le public, désireux de comparer les deux ouvrages, accourut en foule à la première représentation. Les comédiens encaissèrent 1913 livres; c'est peut-être la somme la plus élevée qu'aucune soirée leur ait jamais rapportée. Le dimanche 30 novembre, la recette fut encore de 1669 livres; le mardi 2 décembre, de 935 livres, et le vendredi 12, de 1080 livres. C'était là, pour le moins, un succès de curiosité. La troupe de Molière donna de suite, pendant l'hiver de 1670-1671, 21 représentations de Tite et Bérénice.
La gazette rimée de Robinet nous révèle un fait curieux, qui n'a pas encore été signalé. Monsieur, veuf depuis le 30 juin 1670, eut la curiosité d'entendre, avant la représentation, la pièce de Corneille, dont l'origine lui était certainement connue. Corneille en fit la lecture chez lui le lundi 16 novembre. Voici en quels termes Robinet nous raconte cet incident dans sa Lettre en vers à Monsieur, du 22 novembre 1670:
Grand Prince, je fais conscience,
De vous demander audience
Des Façons de mon Impromptu
Sans Flâme, Brillant, ny Vertu
Lorsqu'encor, vous avez l'oreille
Pleine des beaux Vers de Corneille,
De ces vers entousiasmans
Elevez, pompeux, et charmans,
Dont, dimanche, il vous fit lecture:
Où je fus, par bonne Avanture,
Du nombre des maints Auditeurs
Qui furent ses admirateurs
Avec Vôtre Altesse Royale,
Qui goûta ce charmant Régale,
Mieux qu'on ne goûte, dans les Cieux,
Le ravissant Nectar des Dieux.
Tous mes discours vous seroient fades
Aux prix de ces rares Tirades,
Dont, à tous coups, à tous instans,
Il enlevoit les ecoutans,
Au prix, dis-je, de ces Saillies,
De son plus beau feu, rejaillies,
De ses rapides mouvemens,
De ses fins et grands Sentimens,
Et, bref, de tous ces traits de maître,
Qu'il a fait, dimanche, paraître,
Dans son Poëme merveilleux
Et je dirois miraculeux,
Pour qui, sans fin, se recrierent
Les delicats qui l'écouterent,
Disant, dans leur étonnement,
Ou leur juste ravissement,
C'est Corneille, le grand Corneille, etc.
Dans cette même lettre, Robinet fait figurer l'annonce de la prochaine représentation parmi les nouvelles importantes:
La premiere en forme d'avis,
Dont maints et maints seront ravis,
Est que ce Poëme de Corneille
La Berenice non pareille,
Se donnera pour le certain,
Le Jour de Vendredy prochain,
Sur le Théatre de Molière.
Huit jours après, Robinet nous raconte qu'il n'a pu voir jouer Bérénice, n'ayant pu «sortir par la porte, pour une raison assez forte»; mais le 20 décembre suivant, il nous en donne un compte rendu complet:
La Bérénice de Corneille,
Qu'on peut, sans qu'on s'en émerveille,
Dire un vrai-Chef-d'œuvre de l'Art,
Sans aucun Mais, ni Si, ni Car,
Est fort suivie, et fort louée,
Et, même, à merveille, jouée,
Par la digne Troupe du Roy,
Sur son Théatre, en noble arroy.
Mademoiselle de Moliére,
Des mieux, soûtient le Caractére
De cette Reyne, dont le cœur
Témoigne un Amour plein d'honneur.
Cette autre admirable Chrêtienne,
Cette rare Comédienne,
Mademoiselle de Beauval,
Sçavante dans l'Art Théatral,
Fait bien la fiére Domitie:
Et Mademoiselle de Brie
Qui tout joue agréablement,
Comme judicieusement,
Y pare grandement la Scéne,
Parlant avec cette Romaine,
Qui l'entretient confidamment
Dessus l'incommode Tourment
Que lui cause au fonds de son Ame
Son Ambition, et sa Flâme.
La Torilliere fait Titus,
Empereur orné de Vertus,
Et remplit, dessus ma parole,
Dignement, cet auguste Rôle.
De mesme, le jeune Baron
Héritier, ainsi que du Nom,
De tous les charmes de sa Mére,
Et des beaux Talens qu'eut son Pére,
Y représente, en son air doux,
Domitian, au gré de tous,
Dans l'amour tendre autant qu'extrême,
Dont ladite Romaine, il aime.
Enfin, leurs Confidans, aussi, les Srs Hubert du Croisi,
Dont à côté les Noms voici, et La Grange.
Y fait tres-bien leur Personnage,
Et dans un brillant Equipage,
Ainsi que tous, pareillement,
Dont l'on ne doute nulement,
Font dans le Bourgeois Gentil-homme,
Où La Grange, en fort galant Homme,
Fait le Rôle qui lui sied mieux,
Sçavoir celui d'un Amoureux.
Ayant vû l'une, et l'autre Piéce,
Avec extase, avec liesse,
J'en puis, ceci, mettre en avant,
Et j'en parle comme un sçavant.
La Gazette mentionne une représentation de Tite et Bérénice donnée à Vincennes, devant le roi, le 21 janvier suivant.
Malgré les témoignages d'estime que nous venons de rapporter, Corneille ne fut pas satisfait du succès de sa pièce. Il sentait que le public préférait celle de Racine, et, pour se consoler, il s'en prit aux interprètes de son œuvre. Ce sentiment se montra clairement, six ans après, dans le remercîment qu'il adressa au roi. En le remerciant d'avoir fait reprendre ses premières tragédies, il le priait de faire jouer aussi les dernières:
Agésilas en foule auroit des spectateurs
Et Bérénice enfin trouverait des acteurs.
On peut conclure de ce passage que la troupe de Molière ne s'était pas distinguée dans Tite et Bérénice autant que le disait Robinet. Elle remit cependant l'ouvrage de Corneille à la scène le 20 septembre 1678, et le joua neuf fois de 1678 à 1680.
Le tableau dressé par M. Despois ne mentionne aucune représentation de Tite et Bérénice; il n'est pas impossible, cependant, que cette pièce ait été donnée quelquefois par la Comédie-Française, à la fin du XVIIe siècle; mais, comme elle portait dans l'usage le simple titre de Bérénice, elle aura pu être confondue avec la tragédie de Racine.
Vendu: 20 fr. br., Chédeau, 1865 (no 707).
Collation des feuillets prélim.: titre; 1 f. pour les extraits des auteurs; 2 ff. pour le Privilége et la liste des Acteurs.
Le privilége, daté du 17 avril 1679, est accordé pour dix ans à G. de Luyne, qui déclare y associer J. Guignard, E. Loyson et P. Trabouillet, «pour en jouir conjointement avec luy, suivant les parts et portions qu'ils ont en la présente comedie seulement.» C'est en vertu du même privilége que G. de Luyne publia, en 1682, le Théatre de Corneille, mais il n'y associa cette fois que Loyson et Trabouillet.
Vendu: 5 fr. cart., Chédeau, 1865 (no 708);—15 fr., exempl. à relier, Catalogue Lefebvre (de Bordeaux), 1875 (no 70).
XXXI
Collation des feuillets prélim.: titre, avec la marque de G. de Luyne représentant la Justice; 3 pp. pour l'avis Au Lecteur; 2 pp. pour le Privilége; 1 p. pour la liste des Acteurs.
Le privilége, daté du 30 décembre 1672, est accordé à Guillaume de Luyne, pour une durée de cinq années. L'achevé d'imprimer est du 20 janvier 1673.
L'idée de composer une pièce dont la sœur de l'empereur Théodose fût l'héroïne dut venir à Corneille alors qu'il écrivait Attila. Il mit dans la bouche du roi des Ostrogoths, Valamir, un éloge de cette princesse, qui prouve bien que le caractère de cette femme, énergique autant que vertueuse, l'avait vivement frappé. Le poëme auquel Pulchérie donna son nom fut achevé longtemps avant la représentation. Mme de Sévigné, dans ses lettres du 15 janvier et du 9 mars 1672, parle de lectures faites par Corneille chez M. de la Rochefoucauld et chez le cardinal de Retz.
Ces lectures, auxquelles Donneau de Visé fait allusion dans le Mercure galant du 19 mars, produisirent un effet des plus favorables. Le poëte avait eu le rare bonheur de trouver des auditeurs à qui les situations de Pulchérie devaient naturellement plaire; il ne recueillit que des approbations. Huit mois s'écoulèrent cependant avant que le nouvel ouvrage se produisît en public; ce ne fut que le vendredi 15 novembre 1672 qu'il fut représenté. Robinet nous dit, le lendemain, dans une Lettre en vers qui n'a pas encore été citée, qu'on a joué au Marais
Hier, certaine Pulchérie
En Beautez, dit-on, fort fleurie.
Après certaines équivoques du goût le plus douteux, Robinet ajoute:
Cette charmante Pulchérie
Est une belle Comédie
Qu'on joua, pour le premier coup,
Et qui plût, m'a-t'on dit, beaucoup.
Or point je ne m'en émerveille,
Car elle est de l'Aîné Corneille,
Et c'est à dire de celui,
De qui tout Autheur d'aujourd'hui,
Doit, certe, le Théatre apprendre,
S'il veut, au Mêtier, se bien prendre.
En ce Dramatique nouveau,
Sorti de son sçavant Cerveau,
On m'a dit, aussi, que la Troupe
Sembloit avoir le Vent en poupe,
Et qu'enfin, il n'y manquoit rien,
Ce qu'encore je croi trés-bien,
Mais c'est tout ce que j'en puis dire,
Attendant que, pour en êcrire,
Et plus asseurement, et mieux,
De mes Oreilles, et mes Yeux,
Je puisse avoir le Témoignage,
Que j'aime, toûjours, davantage.
Robinet ne manqua pas, en effet, d'aller au théâtre du Marais. Sa Lettre en vers du 17 décembre contient un compte-rendu complet de la représentation:
J'ai trouvé toutes les beautez
Que l'on en dit de tous côtez:
Et cette belle Pulchérie,
A part, ici, la Flaterie,
M'en fit mêmes, voir, encor, plus.
Par où je connus que Phœbus
Conserve, dans le grand Corneille,
La même vigueur nompareille,
Et tout le beau Feu qu'on lui veid
Dans son tendre et [tres] fameux Cid;
Et qu'il a, depuis, fait paraître
En tous ses Ouvrages de Maître,
Par lesquels, jusques aujourd'hui
Il tire l'Echelle après lui.
O que ladite Pulchérie
Est, par tout, brillante, et fleurie,
Et qu'en ce Sujet, bien écrit,
On void de ces beaux trais d'Esprit,
Particuliers à ce Corneille,
Dont je dirai, toûjours, merveille,
Tant je suis épris justement
De son Cothurne si charmant!
Voici maintenant les noms des acteurs, que M. Marty-Laveaux n'avait pas retrouvés:
Primò, l'agréable Dupin,
Dont le Corsage est si poupin,
Et si chargé de Pierrerie,
Y fait fort bien, la Pulchérie.
Mademoiselle Desurlis,
L'un des Objets les plus accomplis,
Que l'Amour, nôtre commun Sire,
Fasse briller dans son Empire,
Y joue un grand Rôle, et des mieux,
Avec son Air majestueux.
Item, Mad'moiselle Marote,
Que pour bonne Actrice, l'on note,
D'une Justine, y fait, aussi,
Le Rôle, non coussi, coussi.
Léon, Amant de Pulchérie,
Qui n'est pas assez attendrie,
Pour lui présenter la Main, quand
Il ne quadre pas à son Rang,
Par Douvilliers, se représente,
D'une façon, certe, excellente,
Et montre, ne manquant en rien,
Qu'il est un bon Comédien.
Martian qui, par Pulchérie,
Sent, encor, d'Amour, la furie,
Mais qu'il reprime comme il faut,
Ainsi que je l'ay dit plus haut,
Ce Vieillard, que, par politique,
Cette Princesse qui s'en pique,
Choisit, pour son Epous de Nom,
En donnant sa Fille, à Léon,
Est désigné fort bien encore
Par Verneuil, je m'en remémore:
Et le sieur Désurlis, enfin
D'un Rôle politique et fin,
Trés-méritoirement, s'acquite.
Voila, donc, la Piéce dêcrite
Tant bien que mal, de bout, en bout:
Mais qui voudra mieux sçavoir tout,
Aille la voir dessus la Scéne,
Elle en vaut, ma foy, bien la peine.
Corneille, nous l'avons rappelé à propos de Sertorius (no 80), avait pour Mlle Marotte, qui remplissait le rôle de Pulchérie, une estime particulière, mais cette actrice et le théâtre du Marais en général n'étaient pas en grande faveur auprès du public. «Je me contenteray de vous dire, ajoute le poëte, à la fin de son avis Au Lecteur, que bien que cette Piéce aye été réléguée dans un lieu, où l'on ne vouloit plus se souvenir qu'il y eust un Théatre, bien qu'elle ait passé par des bouches pour qui on n'étoit prévenu d'aucune estime, bien que ses principaux caractéres soient contre le goust du temps, elle n'a pas laissé de peupler le Desert, de mettre en crédit des Acteurs dont on ne connoissoit pas le mérite, et de faire voir qu'on n'a pas toujours besoin de s'assujettir aux entestemens du Siécle pour se faire écouter sur la Scene.»
Le succès dont parle Robinet et dont Corneille lui-même se félicite ne fut pourtant pas très-vif. Le 24 février 1673, Mme de Coulanges écrit à Mme de Sévigné que «Pulchérie n'a point réussi». La pièce fut abandonnée par les acteurs qu'elle avait mis en crédit et n'a jamais été représentée après la mort de l'auteur.
Vendu: 50 fr., cart., Potier, 1870 (no 1236).
XXXII
Collation des feuillets prélim.: titre, au verso duquel se trouve l'Extrait du Privilége; 1 f. pour l'avis Au Lecteur et les Acteurs.
Par le privilége, daté du 6 décembre 1674, il est permis à Guillaume de Luyne «d'imprimer, ou faire imprimer, vendre et débiter, durant cinq années entières et accomplies une pièce de Théatre intitulée: Suréna, General des Parthes, Tragédie, composée par le sieur de Corneille.» L'achevé d'imprimer est du 2 janvier 1675.
Nous ne savons rien de cette dernière pièce de Corneille qui dut être jouée en novembre 1674. Corneille en avait emprunté le sujet à Plutarque, en ajoutant au récit de l'historien divers personnages et divers incidents imaginaires. On ne peut mettre en doute l'insuccès de Suréna, bien que nous ne possédions pas les lettres dans lesquelles Robinet devait donner des détails sur la représentation. La pièce tomba sans bruit; Corneille, accablé déjà par la mort de son second fils, sentit avec désespoir qu'il avait perdu la vigueur de la jeunesse. Il se tint désormais éloigné du théâtre, plein d'une sombre tristesse. Il souffrait surtout de la décadence de son génie, et nous retrouvons ce sentiment dans tout ce qu'il écrivit jusqu'à sa mort. Par surcroît de malheur, le Roi suspendit ses libéralités, et l'auteur du Cid fut plongé dans la misère. Aucune histoire ne fait une plus douloureuse impression que celle des dernières années de Corneille.
La bibliothèque Cousin possède un exemplaire de Suréna, relié en maroquin rouge aux armes de Colbert. Ne serait-ce pas un exemplaire de dédicace envoyé par l'auteur au premier ministre, avant qu'il lui écrivît la lettre déchirante dans laquelle il sollicita son intervention auprès du Roi (Marty-Laveaux, t. Xe, pp. 501 sq.)?
II. PIÈCES DE THÉATRE ÉCRITES PAR DIVERS AUTEURS
AVEC LA COLLABORATION DE CORNEILLE.
I
Collation des feuillets prélim.: titre avec la marque de Courbé; 2 ff. pour l'épître «A Monseigneur le Chevalier d'Igby,» signée J. Baudoin; 3 pp. pour l'avis Au Lecteur; 2 pp. pour le Privilége; 1 p. pour les Acteurs; 4 ff. pour Les Tuilleries, Monologue.
Le privilége, accordé pour sept ans à Courbé, est daté du 28 mai 1638; l'achevé d'imprimer est du 19 juin de la même année.
La Comédie des Tuileries est l'œuvre collective des cinq auteurs que Richelieu avait entrepris de faire travailler sous sa direction: Boisrobert, Colletet, Corneille, L'Estoile et Rotrou. Pellisson (Histoire de l'Academie Françoise, Paris, 1653, in-8, p. 181) nous a donné quelques détails curieux sur cette collaboration à laquelle Richelieu avait recours pour achever une comédie en un mois. C'est par lui que nous connaissons la fameuse anecdote des cinquante pistoles données par le cardinal à Colletet pour les vers sur le canard, qui figurent dans le Monologue des Tuileries. Les cinq auteurs se répartirent les actes de la pièce dont Richelieu avait fait le plan. D'après une tradition très-probable, recueillie par Voltaire, le troisième acte de la tragédie serait échu à Corneille; on y trouve en effet plusieurs passages qui rappellent sa manière.
Nous connaissons la date exacte de la représentation des Tuileries. La Gazette du 10 mars 1635 nous apprend que cette comédie avait été jouée devant la Reine le 4 mars précédent. Le numéro du 21 avril parle d'une autre représentation donnée pour le duc d'Orléans cinq jours auparavant.
L'auteur de la dédicace au chevalier d'Igby est J. Baudoin, académicien qui se fit un nom en signant les ouvrages des autres. Baudoin, qui présenta de même au public l'Aveugle de Smyrne, écrivit l'avis Au Lecteur, dans lequel on trouve un long éloge de la pièce: «Vous sçavez, y est-il dit, avec quelle magnificence elle a esté representée à la Cour, et que ceux qui l'ont veuë en ont tous admiré la conduitte, et les decorations de Theatre.... Vous sçaurez au reste qu'elle a esté faite par cinq différens Autheurs, qui pour n'étre pas nommez, ne laissent pas toutesfois d'avoir beaucoup de Nom; et les Ouvrages desquels sont assez connus d'ailleurs, pour vous faire advouer le merite de celuy-cy.»
Vendu: 30 fr., v. m., Huillard, 1870 (no 599).
Collation des feuillets prélim.: frontispice gravé; 2 ff. pour la dédicace; 4 ff. pour l'avis Au Lecteur, le Privilége et les Acteurs.
Le frontispice gravé, qui tient lieu de titre, représente une femme assise dans une allée des Tuileries et qui joue de la guitare; près d'elle se tient un gentilhomme en costume du temps. Au-dessus des deux personnages se trouve le titre reproduit ci-dessus; en bas, dans l'angle de gauche, le nom du graveur Daret.
Le premier feuillet de texte est signé par erreur ēiij, au lieu de ēiiij; il appartient au même cahier que les trois ff. précédents.
Le privilége et l'achevé d'imprimer sont les mêmes que dans l'impression en grand format.
Cette édition, à laquelle l'édition in-12 du Cid (no 10) a servi de modèle, est d'un format très-petit (la justification varie entre 90 et 95 millim. en hauteur, sur 49 en largeur); elle est remarquablement imprimée. On dit que la composition fut faite avec des caractères d'argent qui servirent, en 1656, à l'impression de la Bible de Richelieu, mais cette tradition paraît pour le moins fort douteuse.
Nous donnons à cette édition la date de 1638, à cause de l'analogie qu'elle présente avec la petite édition du Cid, que nous avons rapportée à l'année 1637 (no 10), et parce qu'il nous paraît probable qu'elle a dû être exécutée en même temps que l'édition in-4. M. Brunet (Manuel du Libraire, 5e édition, t. IIe, col. 71) lui donne la date de 1648, mais il reproduit évidemment une faute d'impression qui se trouve dans le catalogue Soleinne (no 1129).
Vendu: 70 fr., mar. citr. (Trautz-Bauzonnet), Cat. Potier, 1859;—100 fr., même exemplaire, Chédeau, 1865 (no 714).
II
Collation des feuillets prélim.: titre, avec la marque de Courbé; 3 pp. pour la dédicace «A Monseigneur le Marquis de Coualin, Colonel des Suisses, etc.,» dédicace signée Baudoin; 3 pp. pour l'avis Au Lecteur; 1 p. pour les Acteurs et l'Extrait du Privilége.
Le privilége, daté du 28 mai 1638, comme celui de la Comédie des Tuileries, est accordé pour sept ans à Augustin Courbé. L'achevé d'imprimer pour la première fois est du 17 juin 1638. Comme on le voit, cette pièce, postérieure de deux ans à la précédente, fut imprimée deux jours auparavant; c'est ce qui l'a fait placer la première dans les recueils qui contiennent le théâtre des Cinq Auteurs.
Nous faisons figurer l'Aveugle de Smyrne dans ce chapitre, parce qu'il appartient au théâtre des Cinq Auteurs, mais il n'est pas certain que Corneille y ait eu la moindre part. Comme l'a fait remarquer M. Livet (Histoire de l'Académie françoise, par Pellisson et d'Olivet, t. Ier, p. 83, note 1), on lit dans l'avis Au Lecteur qui suit la dédicace: «Vous pourrez juger de ce que vaut cet Ouvrage, soit par l'excellence de sa Matiére, soit par la forme que lui ont donnée quatre célébres Esprits.» Ce passage semble bien indiquer que les cinq auteurs étaient réduits à quatre. L'absent ne pouvait être que Corneille à qui semblable collaboration était certainement à charge, et qui, dit Voltaire, avait prétexté «les arrangements de sa petite fortune» pour se retirer à Rouen. Bien que cette explication ait toutes les chances de probabilité, on pourrait à la rigueur soutenir que l'auteur de l'avis Au Lecteur a voulu distinguer la matière et la forme de l'ouvrage. On admettrait alors que l'un des cinq auteurs avait prêté son nom à Richelieu pour l'invention du sujet, tandis que les quatre autres poëtes s'étaient chargés de l'exécution. Dans le doute, nous avons cru que l'Aveugle de Smyrne devait être mentionné dans notre Bibliographie.
La Gazette du 28 février 1637 nous apprend que cette pièce fut représentée le 22 de ce mois dans l'hôtel de Richelieu, par les deux troupes de comédiens qui existaient alors, «en présence du Roi, de la Reine, de Monsieur, de Mademoiselle sa fille, du prince de Condé, du duc d'Enghien son fils, du duc Bernard de Weimar, du maréchal de La Force et de plusieurs autres seigneurs et dames de grande condition».
Richelieu avait fait de grands frais pour la représentation. Mondory, qui l'année précédente avait été frappé d'apoplexie en jouant le rôle d'Hérode dans la Marianne de Tristan l'Hermite, avait dû remonter sur la scène pour interpréter le rôle de l'aveugle; «mais il n'en put représenter que deux actes, et s'en retourna dans sa retraite avec une pension de deux mille livres que le cardinal lui assura. Les Seigneurs de ce temps-là se signalèrent aussi en libéralités; ils lui donnèrent presque tous des pensions, ce qui fit à Mondory environ huit à dix mille livres de rentes, dont il jouit jusqu'à sa mort, et dans un âge fort avancé.» (Anecdotes dramatiques, t. Ier, pp. 520 sq.)
Vendu: 10 fr., v. m., avec la Comédie des Tuileries, Giraud, 1855 (no 1655).
Collation des feuillets prélim.: frontispice gravé représentant l'aveugle qui descend les degrés d'un perron, appuyé sur l'épaule d'un enfant; il porte un costume presque entièrement semblable à celui des gentilshommes de la fin du règne de Louis XIII; le frontispice, qui tient lieu de titre, est signé: C. le Brun I.—Daret Sc.; 1 f. pour la dédicace; 1 f. qui contient au recto l'avis Au Lecteur, et au verso les Acteurs et l'Extrait du Privilége.
On trouve à la fin un rappel de l'achevé d'imprimer du 17 juin 1638.
Cette édition est imprimée avec les petits caractères dont nous avons parlé ci-dessus; elle est très-jolie et peut-être plus rare que l'édition in-4. Nous en avons trouvé un exemplaire relié avec la Comédie des Tuileries, à la Bibliothèque municipale de Versailles. (E. 457. d.)
Vendu: 160 fr., mar. citr. (Trautz-Bauzonnet), Chédeau, 1865 (no 715).
III
95. Psiché, || Tragedie-Ballet. || Par I. B. P. Moliere. || Et se vend pour l'Autheur, || A Paris, || Chez Pierre Le Monnier, au Palais, || vis-à-vis la porte de l'Eglise de la S. Chapelle, || à l'Image S. Louis, & au Feu Divin. || M. DC. LXXI. || Avec Privilege du Roy. In-12 de 2 ff., 90 pp. et 1 f.
Les 2 ff. prélim. comprennent le titre et un avis du Libraire au Lecteur.
Le privilége dont un extrait occupe le dernier f., est accordé, pour dix ans, à Jean-Baptiste Pocquelin de Molière, «l'un des Comediens de Sa Majesté»; il est daté du 31 décembre 1670. L'achevé d'imprimer est du 6 octobre 1671.
Le libraire nous explique dans son avis Au Lecteur comment fut composée la tragédie-ballet de Psyché; Molière choisit le sujet et disposa le plan de la pièce, mais ne put achever qu'une partie de la versification: le prologue, le premier acte et la première scène des deux actes suivants. Le reste de l'ouvrage fut écrit par Corneille, à l'exception des paroles destinées à être chantées, qui furent composées par Quinault. Le vieux Corneille écrivit plus de 1,100 vers en quinze jours. Il avait conservé par intervalle une ardeur toute juvénile; il eût pu s'écrier comme autrefois:
Cent vers me coustent moins que doux mots de Chanson.
Grâce à la collaboration des trois auteurs et de Lully, Psyché fut achevée dans le délai fixé par le roi. La représentation eut lieu le 16 janvier 1671, dans une grande salle neuve construite au Louvre, sur les plans de Vigarani.
L'abbé de Pure (Idées des spectacles anciens et nouveaux; Paris, 1668, in-12, pp. 311 sqq.) et le programme de Psyché nous fournissent des renseignements précis sur cette salle; nous avons aussi par la Gazette et par le Registre de Lagrange des détails circonstanciés sur la représentation. Voici, d'après le programme, quelle était dans le principe la distribution des rôles:
| Jupiter | Du Croisy. | |||
| Venus | Mlle de Brie. | |||
| L'Amour | Baron. | |||
| Ægiale Phaëne |
} | Graces | { | Les petites La Torilliere et du Croisy. |
| Psiché | Mlle Moliere. | |||
| Le Roy, | Pére de Psiché | La Torilliere. | ||
| Aglaure Cidippe |
} | Sœurs de Psiché |
} | MllesMarotte et Boval. |
| Cleomene Agenor |
} | Princes Amans de Psiché |
} | Hubert et La Grange. |
| Le Zephire | Moliere. | |||
| Lycas | Chasteauneuf. | |||
| Le Dieu d'un fleuve | De Brie. |
Le Registre de Lagrange nous fait connaître les artistes chargés des parties de chant: c'étaient Mlles de Rieux, Turpin, Grandpré, MM. Forestier, Mosnier, Champenois, Ribou, Pouffin. La même source nous donne le détail des dépenses faites pour monter la pièce, dépenses qui s'élevèrent à 4,359 livres, 15 sols. Pendant les représentations, Beauchamps, qui avait réglé les ballets, reçut 1,100 livres, plus 11 livres par jour pour conduire l'orchestre et entretenir les ballets.
Après plusieurs représentations réservées à la cour, la tragédie-ballet fut enfin jouée en public le 24 juillet 1671. Le succès répondit à l'attente des auteurs et des acteurs. La troupe de Molière donna de suite 38 représentations qui lui valurent de belles recettes. Elle reprit la pièce le 11 novembre 1672 et la joua de nouveau 32 fois sans interruption. Nous avons recueilli sur cette reprise un document qui n'a pas encore été signalé; c'est un passage d'une Lettre en vers de Robinet datée du 26 novembre 1672. Bien que ce morceau soit un peu long, nous ne croyons pas sans intérêt de le reproduire ici. Il nous paraît compléter heureusement les informations de M. Marty-Laveaux. On y voit quelques changements dans la distribution; ainsi le rôle du Zéphire est tenu non plus par Molière, mais par Mlle du Croisy la jeune.
Après avoir dit dans des termes très-singuliers que la première représentation de Pulchérie avait eu lieu la veille au théâtre du Marais, Robinet continue ainsi:
Cependant, ajoûtons ici
Encore, ce petit mot-ci,
Que l'Autheur a fait ce Poëme,
Par l'effet d'une estime extrême
Pour la merveilleuse Psiché,
Par qui chacun est alléché,
Ou Mad(e)moiselle de Moliére,
Qui, de façon si singuliére,
Et, bref, avecque tant d'appas,
Qui font courir les Gens, à tas,
Encor, maintenant, represente
Ladite Psiché si charmante.
Dimanche, encore, je la veis,
Et tous mes sens furent ravis
A ce plus rare des Spectacles,
Et lequel, rempli de Miracles,
Surpasse tous les Opera
Qu'on voit et, je croi, qu'on verra.
Ah! que Venus dans sa Machine, Mlle de Brie.
Me parut, encore, divine:
Et que je fus charmé des Airs,
Et des admirables Concerts
Par qui, sur la Terre, on l'appelle,
Ayant les Graces avec Elle!
Que ces petites Grâces là, les petites La Torilliere,
Encor, aussi, me plûrent là, et de Beauval.
Par leurs discours, et par leurs gestes,
Qui paressent, vrayment celestes!
Que les Amours, pareillement, le petit la Torilliere,
Qui sont de l'Accompagnement, et Barbier.
Encore, aimables me semblérent,
Et, tout de même, me charmèrent!
Qu'encor, de Psiché, les deux Sœurs, Mlles de Beauval, et de
Faisant, si bien, les Rôles leurs, la Grange.
Me délectèrent, et ravirent,
Ainsi que tous ceux qui les virent!
Que les deux Princes, ses Amans,les Srs Hubert et de
Par leurs honnêtes Complimens, la Grange.
Soit qu'ils soyent morts, ou bien en vie,
Me rendoyent l'Ame, encor ravie!
Que le Père, aussi de Psiché, Le Sr de la Torilliere.
Qu'on voit, pour elle, si touché,
M'attendrit avecque ses Larmes,
Et qu'il leur sçait donner de charmes!
Qu'encore, je fus satisfait
De l'Amour si beau, si parfait, le Sr Baron.
Alors que, pour le dire en somme,
Il devient là, grand comme un Hôme!
Que son Zéphir, des plus Galans, Mlle du Croisi la jeune.
Des plus jeunes, des plus brillans
Qui soyent sous l'Empire de Flore,
Me donna de Plaisir, encore!
Que de même, encore, Psiché,
Par qui maint cœur est ébréché,
Me sembla bien digne d'Hommages,
Dans ses trois divers Personnages!
Qu'encore, encore, aussi, Venus
Me plût, voire tant que rien plus,
Soit qu'éclatast sa Jalousie,
Soit qu'elle parust radoucie!
Qu'encore, le tonnant Jupin,
Qui les holas vient mettre, enfin,
Qui nôtre Psiché dêifie,
Et bref, à l'Amour la marie,
Me sembla fermer dignement,
Ledit Spectacle si charmant!
Qu'encor j'admiray les Machines,
Oû ces Personnes célestines,
Sçavoir Venus, Psiché, l'Amour,
Vont en l'Olympien Séjour!
Qu'encor les Airs, et la Musique,
Que, de bien goûter, je me pique,
Qu'encor la jeunette Turpin,
Qui chante d'un air si poupin,
Qu'encor le Sauteur admirable,
Qu'on croid favorisé du Diable,
Pour faire les Sauts surprenans,
Dont il étonne tous les Gens,
Qu'encor les diverses Entrées,
Qui sont là, si bien incérées,
Où l'incomparable Beauchamp,
A le loüer, donne un beau champ,
Qu'encor, enfin, toutes les choses,
Dedans cette Merveille, encloses,
Sçavoir les décorations,
Et diverses Mutations.
De la claire, et pompeuse Sçene,
Me rendirent, chose certaine,
Extasié, charmé, contant!
Ah! jamais, je ne le fus tant.
Robinet, dans son langage burlesque, témoigne naïvement de l'admiration que Psyché avait le don d'exciter dans le public; aussi cette tragédie-ballet laissa-t-elle des souvenirs durables. En 1703, Mlle Desmares et Baron fils firent le succès d'une nouvelle reprise; la pièce fut donnée 29 fois, du 1er juin au 1er août suivant.
Le 19 août 1862 la Comédie-Française a donné une très-curieuse représentation de Psyché. Les principaux rôles étaient tenus par Mlles Devoyod, Fix, Rose Deschamps, Favart, Tordeus, Ponsin, Rose Didier; MM. Maubant, Worms, Ariste. C'est à des femmes qu'était confiée l'interprétation des rôles créés par Molière et par Baron.
Les 2 ff. prélim. contiennent le titre et l'avis du Libraire au Lecteur; le dernier f. contient l'Extrait du Privilége. Cet extrait est semblable à celui de l'édition de 1671, sauf qu'il contient la mention suivante: «Ledit Sieur Moliere a cedé son droit de Privilege à Anne David, Femme de Jean Ribou, ainsi qu'il apert par sa Cession; et ladite David a cedé du droit de Privilege des Œuvres dudit Sieur Moliere à Claude Barbin, suivant l'accord fait entre eux.» L'achevé d'imprimer est du 12 avril 1673.
Nous n'avons relevé dans le texte des deux éditions que quelques variantes orthographiques sans importance.
Édition imprimée par Daniel Elzevier, à Amsterdam, avec une sphère sur le titre. M. Pieters (Annales des Elzevier, 2e édit., Gand, 1858, in-8, p. 346) en cite des réimpressions datées de 1675 et 1680.
Pour une édition moderne de Psyché et pour les ballets qui en ont été tirés, nous renverrons à la Bibliographie moliéresque, nos 171, 202 et 203.
III.—ÉDITIONS COLLECTIVES DU THÉATRE DE CORNEILLE
PUBLIÉES PAR LUI-MÊME.
I
98. Œvvres || de || Corneille. || Premiere partie. || Imprimé à Roüen, & se vend || A Paris, || Chez || Antoine de Somma- || uille, en la Gallerie || des Merciers, à l'Escu || de France. || Et Augustin Courbé, || en la mesme Gallerie, || à la Palme. || Au Palais. || M. DC. XLIV [1644]. In-12 de 4 ff., 654. pp. et 1 f. blanc.
Collation des feuillets prélim.: portrait de Corneille gravé par Michel Lasne; frontispice gravé représentant des Amours qui tiennent un cartouche sur lequel on lit: Œuvres de Corneille, 1645; 2 ff. pour le titre imprimé et l'avis Au Lecteur. On lit à la fin de la page 654: Imprimé à Roüen par Laurens Maurry.
Cette édition, qui ne contient ni privilége ni achevé d'imprimer, dut être publiée en vertu des priviléges particuliers obtenus pour chaque ouvrage. Elle comprend huit pièces: Mélite, Clitandre, la Veuve, la Galerie du Palais, la Suivante, la Place Royale, Médée et l'Illusion comique, précédées chacune d'une dédicace, mais sans les Examens qui parurent pour la première fois en 1660.
La publication des Œuvres réunies de Corneille dut être une véritable spéculation de librairie. Les éditeurs voulurent exploiter le succès de ses dernières pièces: du Cid, d'Horace, de Cinna, de Polyeucte, de Pompée, du Menteur, de Rodogune, en composant un recueil de ses premiers ouvrages déjà presque oubliés du public. Corneille lui-même semble avouer que telle fut l'intention de Sommaville et de Courbé, quand il dit dans son avis Au Lecteur: «C'est contre mon inclination que mes Libraires vous font ce présent, et j'aurois esté plus aise de la suppression entiere de la plus grande partie de ces Poëmes, que d'en voir renouveler la mémoire par ce recueil.... Et certes, j'aurois laissé perir entierement ceux-cy, si je n'eusse recognu que le bruit qu'ont fait les derniers obligeoit desjà quelques curieux à la recherche des autres, et pourroit estre cause qu'un Imprimeur, faisant sans mon adveu ce que je ne voulois pas consentir, adjousteroit mille fautes aux miennes.» Il ajoute qu'il y a jeté un coup d'œil, non pas pour les corriger exactement (il eust esté besoin de les refaire presque entiers), mais du moins pour en oster ce qu'il y a de plus insupportable.»
Quelques auteurs, s'appuyant sur un passage du commentaire de Voltaire, ont supposé que l'édition de 1644 avait dû avoir une seconde partie contenant les huit pièces publiées depuis l'Illusion comique; mais personne n'a jamais vu cette seconde partie, et M. Taschereau (Œuvres de Corneille, t. Ier, p. XXX) a fort bien démontré pourquoi elle n'avait jamais dû exister. La pensée de spéculation qui avait porté les libraires à faire un recueil des premières pièces du poëte, devait les porter à ne pas y faire immédiatement entrer toutes les pièces qui avaient encore un débit assuré. Les premières éditions du Cid, données en 1637, ayant été tout entières épuisées, on en fit en 1644 une cinquième édition qui ne se serait plus vendue si le public eût trouvé la pièce dans un recueil. Horace ne vit le jour qu'en 1641; Cinna et Polyeucte ne furent imprimés qu'en 1643; Pompée et le Menteur qu'en 1644; la Suite du Menteur en 1645; Théodore et Rodogune en 1647. C'est assez dire que, à plus forte raison, ces dernières pièces ne pouvaient pas encore être réunies aux Œuvres.
En réimprimant ses premières comédies, Corneille y a changé des centaines de vers. L'excellente édition de M. Marty-Laveaux a, pour la première fois, recueilli toutes ces variantes, qui ont un grand intérêt non-seulement pour l'histoire de la langue, mais pour l'histoire littéraire en général. Le recueil de 1644 nous montre, de la manière la plus frappante, le soin avec lequel Corneille revoyait ses ouvrages en les donnant à l'impression. La plupart des éditions postérieures ont été corrigées par lui avec la même sollicitude.
Le recueil de 1644 est un livre d'une haute importance, qui mérite de passionner tous les vrais bibliophiles.
Vendu: 505 fr., mar. r., Chédeau, 1865 (no 676).
Cette seconde partie des Œuvres de Corneille, destinée à faire suite au tome Ier de 1644, ne constitue pas une édition séparée; c'est un recueil factice des éditions in-12 du Cid (Augustin Courbé et Pierre le Petit, s. d.); d'Horace (Courbé, 1647); de Cinna (Quinet, 1643); de Polyeucte (Sommaville et Courbé, 1644); de la Mort de Pompée (Sommaville et Courbé, 1644); du Menteur (Sommaville et Courbé, 1644); de la Suite du Menteur (Sommaville et Courbé, 1645); de Theodore (Quinet, 1646); et de Rodogune (Quinet, 1647).
Le recueil est précédé de deux feuillets contenant le titre et la table; il n'y a pas de privilége général. L'exemplaire de M. Bancel renferme en outre le portrait de 1644, mais ce portrait ne fait certainement pas partie du livre.
On trouvera la collation de chacune des pièces énumérées ci-dessus dans notre chapitre Ier (nos 12, 18, 21, 27, 33, 36, 41, 45, 48).
Vendu: avec un exemplaire du tome Ier de 1644, 3,850 fr., mar. bl., doublé de mar., avec comp. en mosaïque (Chambolle-Duru), B*** [Bordes], 1873(no 346);—6,000 fr., même exempl., Fontaine, 1874 (no 564);—4,000 fr., même exempl., Benzon, 1875 (no 243).
Premiere partie: Portrait de Corneille par Michel Lasne; frontispice gravé (avec la date de 1645); titre imprimé et avis Au Lecteur; ensemble 4 feuillets prélim., 654 pp. et 1 f. blanc.
Seconde partie: 2 ff. pour le titre et l'avis Au Lecteur; 639 pp. et 2 ff. dont le dernier est blanc.
La première partie est semblable à celle de 1644 quant à l'impression et au nombre de pages, mais la composition est différente, comme il est facile de s'en convaincre par une foule de détails; par exemple par les suivants:
Page 11, 1re ligne:
1644: C'est en vain que l'õ fuit, tost ou tard on s'y brule:
1648: C'est en vain que l'on fuit, tost ou tard on s'y
brûle (en deux lignes).
Page 21, dernière ligne:
1644: Pour vous recompẽser du temps que vous perdez.
1648: Pour vous recompenser du tẽmps que vous perdez.
Page 45, 4e ligne:
1644: Ie commence à m'estimer quelque chose puis
1648: Ie commence à m'estimer quelque chose
1644: Mais vous monstrerez bien embrassant ma defẽce
1648: Mais vous monstrerez bien embrassant ma deffẽce
Page 159, 1re ligne:
1644: Tu chercherois bien-tost moyen de t'en desdire
1648: Tu chercherois bien-tost moyen de t'en dédire.
Page 281, dernière ligne:
1644: Du moins ces deux sujets balancent ton courage.
1648: DORINANT.
Sçais-tu bien que c'est là iustement mon visage?
Il y a dans l'éd. de 1648 deux lignes de plus, et l'accord ne se rétablit qu'au bas de la page 283.
Page 343, 1re ligne:
1644: Prenne ou laisse à son choix vn homme de merite.
Ce vers est le dernier de la page précédente dans l'éd. de 1648, et la p. 343 se termine par ce vers:
Allons chez moy, Madame, acheuer la iournée.
Page 527, 1re ligne:
1644: Contant nostre Hymenée entre vos aduantures,
1648: Contant nostre Hymenée entre vos auantures.
La Bibliothèque nationale possède un exemplaire de cette Première Partie relié en mar. r. par Capé (Y + 5512 + B Rés.), qui est composé de fragments des trois éditions de 1644, 1648 et 1652. Nous pensons que nos indications suffiront pour mettre les amateurs à l'abri de pareilles supercheries. Telle est l'utilité des différences matérielles que nous signalons ça et là entre des éditions qui paraissent à première vue semblables.
La Premiere Partie se termine par un privilége qui commence au bas de la p. 654 et se développe sur les deux pp. suivantes; on trouve à la fin un achevé d'imprimer du 30 mars 1648.
La Seconde Partie contient sept pièces: le Cid, Horace, Cinna, Polyeucte, Pompée, le Menteur et la Suite du Menteur. Elle est précédée d'un avis Au Lecteur qui commence ainsi: «Voicy une Seconde Partie de Pieces de Theatre un peu plus supportables que celles de la premiere.» Cet avis n'a été reproduit que dans les éditions de M. Taschereau et de M. Marty-Laveaux. Le volume se termine par un privilége, qui commence au verso de la p. 639 et occupe entièrement le feuillet suivant.
Le privilége, daté du 25 février 1647, porte ce qui suit: «Nous avons permis et permettons par ces presentes à l'Exposant [Augustin Courbé] d'imprimer, faire imprimer, vendre et debiter, en tous les lieux de nostre obeïssance, les Pieces de Theatre du sieur Corneille, Intitulées, Clitandre, la Vefve, la Melite, la Gallerie du Palais, la Place Royalle, la Suivante, la Medée, l'Illusion Comique, et autres qui ont esté desja mises en lumiere, avec Privileges du feu Roy nostre tres-honoré Seigneur et Pere, ou de Nous, desquelles le temps est expiré, et ce en un ou plusieurs Volumes, en telles marges, en tels caracteres, et autant de fois qu'il voudra, durant l'espace de sept ans, à compter du jour que chaque Piece ou Volume sera achevé d'imprimer pour la première fois en vertu des presentes.» Augustin Courbé, concessionnaire du privilége, déclare y associer Antoine de Sommaville et Toussaint Quinet.
L'achevé d'imprimer de la Seconde Partie est du 31 septembre 1648 (sic).
Au moment où parut ce recueil, trois autres pièces de Corneille avaient été publiées séparément: Théodore, Rodogune et Héraclius. Les éditions de ces pièces n'étant pas encore épuisées, les libraires jugèrent inutile de les réimprimer pour en faire une seconde partie.
Vendu: 256 fr., mar. r., doublé de mar. bl. (sans indication de relieur), Giraud, 1855 (no 1621);—1,015 fr., même exemplaire, Solar, 1860 (no 1684);—2,105 fr., mar. r. (Capé), B*** [Bordes], 1873 (no 347);—1,505 fr., même exemplaire, Benzon, 1875 (no 244).
La seconde partie seule: 710 fr., v. f., Chédeau, 1865 (no 677).
Premiere Partie: portrait de Corneille; frontispice gravé (le même que ci-dessus, avec la date de 1645); 2 ff. pour le titre imprimé et l'avis Au Lecteur, et 656 pp.—Le privilége commence au milieu de la p. 654 et se développe sur les 2 pp. suivantes. On lit à la fin: Acheué d'imprimer à Roüen par Laurens Maurry, ce 30. iour de Mars 1648.
Seconde Partie: 2 ff. pour le titre et l'avis Au Lecteur, et 642 pp.—Le privilége occupe les pp. 640 et suiv. L'achevé d'imprimer est du 31 septembre 1648 (sic).
Troisieme Partie: 287 pp., y compris 1 f. blanc, le titre général et le titre particulier de Théodore. Ce volume ne contient ni privilége ni achevé d'imprimer. Le titre à l'adresse de Sommaville porte: Chez Antoine de Sommaville, au || Palais en la Gallerie des Merciers, || à l'Escu de France.
L'édition de 1652 a la même justification que celles de 1644 et de 1648 (110mm sur 58mm, 2).
Le contenu des deux premiers volumes est le même que celui des deux parties de 1648, mais on les distinguera facilement parce que l'édition de 1652 est imprimée par cahiers de 12 ff. et les précédentes par cahiers de 6 ff. Le troisième volume renferme: Théodore, Rodogune et Héraclius.
Le privilége qui se trouve à la fin des deux premières parties est celui du 25 février 1647, auquel Courbé associe ses deux confrères. Le tome IIIe ne contient pas de privilége.
Premiere Partie: portrait de Corneille; frontispice gravé, avec la date de 1654 et 691 pp., y compris 5 ff. pour le titre imprimé, l'avis Au Lecteur, le titre particulier et la dédicace de Mélite.—Le privilége occupe les pp. 690 et 691; il se termine par un rappel de l'achevé d'imprimer du 30 mars 1648.
Seconde Partie: 2 ff. et 642 pp.—Le privilége occupe les pp. 641 et 642; il se termine par l'achevé d'imprimer du 31 septembre 1648.
Troisiéme Partie: 670 pp., y compris 1 f. blanc, le titre général et le titre particulier de Théodore.
Les deux premiers volumes contiennent les mêmes pièces que ceux des éditions qui précèdent; le tome troisième renferme: Théodore, Rodogune, Héraclius, Andromède, D. Sanche d'Arragon, Nicomède et Pertharite.
Le privilége reproduit in extenso dans les deux premiers volumes est celui du 25 février 1647. Le troisième volume contient, p. 575, après Nicomède, un extrait du privilége accordé à Corneille le 12 mars 1651 pour Andromède, Nicomède, le Feint Astrologue et les Engagements du hasard (Voy. ci-dessus, nos 56 et 65), et p. 670 un autre extrait du privilége du 25 décembre 1651 relatif à Pertharite, D. Bertran de Cigarral et l'Amour à la mode (voy. no 69). On trouve à la p. 670 un achevé d'imprimer du 30 avril 1653.
Nous avons vu chez M. L. Potier un exemplaire de la Troisiéme Partie dans sa reliure primitive, qui présente une particularité remarquable. Les 275 premières pages sont conformes aux exemplaires ordinaires, mais la fin du volume, à partir d'Andromède, appartient à l'édition que nous décrirons ci-après, sous la date de 1656 (no 104). La page qui devrait être chiffrée 276 y est entièrement blanche, au lieu de contenir la réclame Andro- en lettres capitales comme dans les autres exemplaires datés de 1654 et dans ceux de 1656.
Il n'est pas impossible d'expliquer cette particularité. La troisième partie, telle que Courbé la fit d'abord imprimer, ne devait contenir, comme celle de 1652, que trois pièces: Théodore, Rodogune, Héraclius. Le volume s'arrêtait à la p. 275, sans extrait du privilége ni achevé d'imprimer, et le verso de cette page était blanc. Pour compléter la troisième partie, Courbé dut faire imprimer successivement les trois pièces d'Andromède, de D. Sanche et de Nicomède, qui se terminèrent par un extrait du privilége du 24 décembre 1651, puis Pertharite, avec un autre extrait du privilége. Ainsi s'explique, sans qu'on ait besoin de supposer que toutes les pièces du recueil de 1654 aient été tirées à part, l'existence de l'édition de Pertharite que nous avons décrite ci-dessus (no 70).
Le troisième volume étant ainsi composé de deux et même de trois parties distinctes, on comprend sans peine que Courbé ait pu compléter de différentes manières les exemplaires qui lui restaient en magasin.
Il existe sous la même date une Quatriesme Partie, qui contient deux pièces de Thomas Corneille: le Feint Astrologue et D. Bertran de Cigarral. Ce volume, qui paraît dû, soit à une supercherie, soit à une grossière erreur du libraire Courbé, ne peut pas être considéré comme faisant partie intégrante de l'édition; il se compose de 224 pp. chiffr., y compris 2 feuillets prélim. On trouve à la p. 108, après le Feint Astrologue, un extrait du privilége du 12 mars 1651, relatif à Andromède, à Nicomède, au Feint Astrologue et aux Engagements du hasard (voy. no 56) et à la p. 224, après D. Bertran de Cigarral, un extrait du privilége du 24 décembre 1651, relatif à Pertharite, à D. Bertran de Cigarral et à l'Amour à la mode (voy. no 69). Ces deux priviléges attribuant à Pierre Corneille toutes les pièces énumérées ci-dessus, il est possible que Courbé ait été de bonne foi en les joignant à ses œuvres. L'exemplaire de cette Quatrième Partie que possède la Bibliothèque nationale (Y. + 5512 B + a 4) contient en plus l'Amour à la mode et le Berger extravagant avec une pagination séparée.
Nous avons vu à la librairie Fontaine un exemplaire avec la date de 1655.
La justification de l'édition de 1654 est de 122mm sur 65; les caractères et les fleurons sont plus gros que ceux de l'édition de 1652.
Les exemplaires que nous avons eus sous les yeux ne portent que le nom de Courbé, ou celui de Luyne. Les priviléges ne contiennent du reste aucune indication relative à l'association des libraires. Il est probable que Courbé et de Luyne, au lieu de s'entendre avec d'autres libraires pour la vente de cette édition, auront cédé à Sommaville, Pépingué, Chamhoudry et Loyson le droit d'en publier une autre. Ainsi doit s'expliquer, croyons-nous, l'existence du recueil suivant.
Vendu: 325 fr., exempl. à relier, Aguilhon, 1870 (no 351).
Premiere Partie: 2 ff. pour le titre et l'avis Au Lecteur, 654 pp. et 1 f. blanc.—Elle contient huit pièces, de Mélite à l'Illusion.
Nous avons vu chez M. Bancel un exemplaire de cette Premiere Partie, au nom de Loyson, avec la date de 1654.
Seconde Partie: 2 ff. et 639 pp.—Elle contient sept pièces, du Cid à la Suite du Menteur.
Troisiéme partie: 287 pp., y compris 1 f. blanc, le titre général et le titre particulier de Théodore.—Elle contient trois pièces: Théodore, Rodogune, Héraclius. Sur le titre au nom de Pépingué, l'adresse de ce libraire est ainsi disposée: Chez Edme Pépingué, en || la grand'Salle du Palais, du costé || de la Cour des Aydes.
Cette édition, dont la justification est de 107mm sur 58, est imprimée en petits caractères; elle ne renferme ni privilége, ni achevé d'imprimer. Le titre de la troisième partie porte un fleuron aux armes de France et de Navarre, qui rappelle l'enseigne de Sommaville.
Nous avons dit ci-dessus (no 102) ce que nous pensons de cette édition, qui a dû être exécutée par les quatre libraires cités à la suite d'une entente avec Courbé. Au premier abord, on pourrait croire que cette entente n'avait pas dû être nécessaire, le privilége général accordé à Courbé pour sept ans en 1647, ayant pris fin en 1654. Mais on ne peut s'arrêter à cette idée si l'on songe que les priviléges particuliers de la Galerie du Palais, de la Suivante, de la Place Royale et du Cid étaient valables jusqu'en 1657, et celui de Cinna jusqu'en 1663. Des imprimeurs provinciaux pouvaient bien faire paraître des contrefaçons anonymes qui échappaient souvent aux peines portées par les ordonnances; un libraire parisien, établi au Palais, à côté du légitime propriétaire du privilége, ne l'eût certainement pas osé. Il est hors de doute que les confrères de Courbé firent exécuter l'édition de 1654-1655, en même temps qu'il publiait lui-même, avec de Luyne, celle qui porte la date de 1654. L'une fut imprimée à Paris, tandis que l'autre fut imprimée à Rouen. Sommaville, dont le nom se trouve sur la plupart des exemplaires que nous connaissons, dut être le principal cessionnaire de Courbé, mais il fit participer à son entreprise trois de ses confrères.
Le tome IIIe du recueil de 1655, comme celui de 1652, ne contient que trois pièces. Nous avons dit que le tome IIIe de 1654 fut complété après coup; Sommaville et ses associés voulurent agir de même avec leur édition. Ils firent réimprimer à part, avec les mêmes caractères et dans le même format, les pièces que Courbé avait déjà réunies à son troisième volume et les firent relier à la suite du leur. Nous avons cité Andromède (no 57), Don Sanche (no 63) et Pertharite (no 71). Nicomède doit également exister, bien que nous n'en ayons vu aucun exemplaire.
Vendu: 380 fr., exempl. à relier, Aguilhon, 1870 (no 352).
Premiere Partie: 4 ff. et 696 pp. (?)—Nous n'en connaissons pas d'exemplaire.
Seconde Partie: 2 ff. et 643 p.—Les trois dernières pages sont occupées par le privilége, à la fin duquel on lit: Acheué d'imprimer le 28. Nouembre 1656.
Troisiesme Partie: 670 pp., y compris 1 f. blanc, le titre général et le titre de Théodore.—Le volume contient, comme le volume correspondant de l'édition de 1654, les extraits de deux priviléges placés aux pp. 575 et 670. On trouve à la fin du premier un achevé d'imprimer du 20 octobre 1655, et à la fin du second un achevé d'imprimer du 29 octobre 1655.
Le privilége, dont le texte est reproduit à la fin du second volume, est celui du 25 février 1647; on a lieu de s'en étonner puisque ce privilége était expiré depuis deux ans.
La répartition des pièces entre les trois volumes est la même que dans l'édition de 1654.
Nous avons vu plusieurs exemplaires de la seconde et de la troisième parties, mais, quelques recherches que nous ayons faites, il ne nous a pas été possible d'en découvrir un seul de la première. Nous pouvons suppléer à cette lacune à l'aide du tome Ier que nous allons décrire ci-après, l'édition de 1657 ne se distinguant de l'édition de 1656 que par le titre (voy. le no 105). Il n'est guère possible de pénétrer les motifs qui ont décidé les libraires à remanier le recueil de 1656, mais il est très-probable que la publication de l'édition de 1655 ne fut pas étrangère à ce remaniement. Peut-être Courbé avait-il cédé à Loyson, puis à Sommaville le droit de rééditer les Œuvres de Corneille, en s'engageant de son côté à ne pas en donner de réimpression pendant un certain délai. On pourrait alors supposer que Courbé, ayant fait exécuter par avance, en 1656, une édition sur laquelle l'imprimeur aurait fait figurer la date vraie de l'année, fut obligé d'en changer la date avant de la mettre en vente.
Il doit exister avec la date de 1656 une Quatriesme Partie contenant, comme en 1654, deux pièces de Thomas Corneille.
Premiere Partie: portrait de Corneille, par Michel Lasne; frontispice gravé avec la date de 1654, titre imprimé; 1 f. pour l'avis Au Lecteur et 696 pp.
La collation de la Seconde et de la Troisiesme Partie est entièrement semblable à celle de l'édition de 1656.
Nous avons dit ci-dessus (no 104) que les deux éditions de 1656 et 1657 ne diffèrent que par le titre. En opérant la substitution de ce titre, les libraires ont également réimprimé l'avis Au Lecteur, qui se trouve sur le feuillet correspondant. Le texte en est le même que dans l'édition de 1648.
Nous avons vu chez M. L. Potier un exemplaire dans sa primitive reliure, qui se composait d'un tome Ier avec la date de 1657 et des tomes IIe et IIIe avec la date de 1656.
L'exemplaire de M. Didot est complété par une Quatrième Partie, analogue à celle que nous avons décrite ci-dessus (no 102), et qui devait primitivement porter la date de 1656. Elle se compose de 224 pp., y compris les titres, et renferme deux pièces: le Feint Astrologue et D. Bertran de Cigarral; mais la table, placée au verso du titre général, indique en outre: l'Amour à la mode et le Berger extravagant. Ces deux pièces sont jointes au volume en éditions séparées: l'une en 112, l'autre en 113 pp. Un simple faux-titre sans nom de libraire y remplace le titre primitif.
I. Partie: xc pp. prélim. (y compris un frontispice gravé et le titre imprimé), 2 ff. non chiff. pour le Privilége et le titre de Mélite, et 704 pp.—Le frontispice représente un cartouche surmonté de deux Amours tenant une couronne; on lit dans le centre du cartouche le titre et la date de 1660.—Les pages prélim. contiennent le Discours de l'Utilité et des Parties du Poëme dramatique et les Examens.
Le volume renferme 8 pièces (de Mélite à l'Illusion) accompagnées chacune d'une figure. Les figures de Mélite, de Clitandre, de la Veuve, de la Suivante, de la Place Royale, de l'Illusion sont signées F. C[hauveau], delin.; H. D[avid], sculp.; celles de la Gallerie du Palais et de Médée sont signées L. S[pirinx].
Dans l'exemplaire de la Bibliothèque nationale (y + ft 5510 Rés.), cette première partie renferme de plus en face du titre un portrait de Corneille (celui de l'édition de 1644), tiré dans le format in-8, sur papier fort; nous croyons que ce portrait ne fait pas partie de l'édition.
II. Partie: CXVIIJ pp. prélim. (y compris un frontispice gravé et le titre imprimé); 4 ff. pour le Privilége et le titre particulier du Cid, et 720 pp.—Le frontispice représente un cartouche soutenu par deux Amours sonnant de la trompette; il porte la date de 1660.—Les pages prélim. contiennent le Discours de la Tragedie, et des moyens de la traiter selon le vray-semblable ou le necessaire, et les Examens. Elles sont suivies de 8 pièces placées dans cet ordre: le Cid, Horace, Cinna, Polyeucte, Pompée, Théodore, le Menteur et la Suite du Menteur.
Les figures du Cid, de Cinna, de Polyeucte, du Menteur, de la Suite du Menteur et de Théodore sont signées de Chauveau et de David; celle d'Horace est signée de Spirinx; celle de Pompée ne porte pas de signature.
III. Partie: LXXXIIJ pp. prélim. (y compris un frontispice gravé et le titre imprimé); 1 f. pour le titre de Rodogune et 632 pp.—Le frontispice, qui représente un cartouche surmonté d'une corbeille de fleurs, est daté de 1660 et signé: I. Math[eus]f.—Les pages prélim. comprennent le Discours des trois Unitez d'Action, de Jour et de Lieu, et les Examens. Au verso de la p. LXXXIIJ se trouve un Extrait du Privilége.—Le volume renferme 7 pièces accompagnées de 7 figures: Rodogune, Héraclius, Andromède, D. Sanche, Nicomède, Pertharite et Œdipe.
Les figures de Rodogune et de Don Sanche sont signées de L. Spirinx; celles d'Héraclius, d'Andromède et de Pertharite sont signées de Chauveau et David; celles de Nicomède et d'Œdipe sont signées de Matheus.
Le privilége est daté de janvier 1653, sans indication du quantième; il est donné pour neuf ans à Corneille lui-même, qui déclare le céder à Augustin Courbé et Guillaume de Luyne, suivant l'accord fait entre eux. On lit à la fin: Acheué d'imprimer pour la première fois, [en] vertu du présent privilége, le dernier d'octobre 1660, à Rouen, par Laurens Maurry.
En 1644, Corneille, ainsi que nous l'avons fait remarquer, soumit ses pièces à une première révision; il introduisit aussi quelques changements dans les pièces qui formèrent la Seconde Partie publiée en 1648. Les éditions qui suivirent reproduisirent fidèlement le texte arrêté alors par le poëte; les quelques variantes qu'on y relève sont le plus souvent le fait des typographes ou le résultat du hasard. En 1660, Corneille fit une nouvelle révision de son théâtre. Il agrandit le format qu'il avait précédemment adopté, rendit ses volumes plus symétriques, mit en tête de chacun d'eux un Discours spécialement écrit pour l'édition, et des Examens dans lesquels il passa en revue chacune de ses pièces.
Corneille lui-même nous entretient dans une lettre à l'abbé de Pure, datée du 25 août 1660, de la peine que lui donna la publication de ce nouveau recueil, en particulier la confection des Discours:
«Je suis, dit-il, à la fin d'un Travail fort penible sur une matiere fort delicate. J'ay traité en trois Prefaces les principales questions de l'art poetique sur mes trois volumes de Comedies. J'y ay fait quelques explications nouvelles d'Aristote, et avancé quelques propositions, et quelques maximes inconnues à nos Anciens. J'y refute celles sur lesquelles l'Academie a fondé la condamnation du Cid, et ne suis pas d'accord avec Mr d'Aubignac de tout le bien mesme qu'il a dit de moy. Quand cela paroistra, je ne doute point qu'il ne donne matiere aux Critiques, prenez un peu ma protection. Ma premiere Preface examine si l'utilité ou le plaisir est le but de [la] Poesie Dramatique, de quelles utilités elle est capable et quelles en sont les parties, tant intégrales comme le Sujet et les mœurs, que de quantité comme le Prologue, l'Episode et l'Exode. Dans la seconde je traite des conditions du Sujet de la belle tragedie, de quelle qualité doivent estre les incidents qui la composent et les personnages qu'on y introduit afin de sentir la pitié et la crainte, comment se fait la purgation des passions par cette pitié et cette crainte, et des moyens de traiter les choses selon le vraysemblable ou le nécessaire. Je parle en la troisiesme des trois unitez, d'action, de jour et de lieu. Je croy qu'apres cela, il n'y a plus guere de questions d'importance à remuer et que le reste n'est que la broderie qui (sic) peuvent ajouter la Rethorique, la Morale et la Politique.» (Marty-Laveaux, t. Xe, pp. 486 sq.; l'original est à la Bibliothèque nationale, msc. franç., no 12763, fol. 157 sq.)
On joint à cette édition les deux volumes suivants imprimés dans le même format et avec les mêmes caractères:
Poemes || dramatiqves || de || T. || Corneille. || I. [II.] Partie. || Imprimés à Roüen, Et se vendent || A Paris, || Chez || Augustin Courbé, au Palais, en la || Gallerie des Merciers, à la Palme. || Et || Guillaume de Luyne, Libraire Iuré, || dans la mesme Gallerie, || à la Iustice. || M.D.LXI [1661]. || Auec Priuilege du Roy. 2 vol. in-8.
I. Partie: frontispice gravé, portant le titre suivant: Poemes || drama- || tiques || de T. || Corneille. || I. Partie. || 1660;—titre imprimé, au verso duquel se trouve la table des Poëmes contenus en cette premiere Partie; 709 pp. (y compris 6 figures qui précèdent chacune des 6 pièces contenues dans le volume) et 1 f. pour le Privilége, lequel commence au verso de la p. 709.
II. Partie: frontispice gravé avec la date de 1661 et les signatures: Choueau (sic) in. et Le Doyen fe.;—titre imprimé; 632 pp. et 1 f. pour le Privilége.
Nous parlerons des figures au no 109.
Le privilége, daté du 3 décembre 1657, du jour même où Courbé obtenait un nouveau privilége pour les Œuvres de Pierre Corneille, est accordé pour vingt ans à Augustin Courbé, qui déclare y associer Guillaume de Luyne. L'achevé d'imprimer est du 15 décembre 1660.
Vendu: 120 fr., mar. bl. (Niedrée) Giraud, 1855 (no 1622), pour la Bibliothèque nationale.
Édition qui se confond avec la suivante. Nous n'en connaissons qu'un seul exemplaire, celui qui a été donné à la Bibliothèque du Théâtre-Français par M. Geffroy. Cet exemplaire est incomplet; il y manque: Polyeucte, le Menteur et la Suite du Menteur, mais il est assez bien conservé pour que nous puissions en donner une description.
La publication de la grande édition imprimée par Maurry, en 1663 (voy. le no 108), dut être retardée par la gravure du portrait et du frontispice. Il est probable qu'en attendant que ces deux planches fussent terminées, Maurry aura mis en circulation quelques exemplaires avec un titre provisoire, et c'est un de ces exemplaires que nous avons eu sous les yeux. L'édition ne contient encore que les pièces de théâtre, c'est-à-dire qu'elle ne renferme ni les discours en prose, ni même aucun privilége. Le tome Ier doit se composer d'un simple feuillet de titre, de 638 pp. et de 1 f. blanc; le tome IIe, d'un titre et de 672 pp.
I. Partie: portrait de Corneille; frontispice gravé; titre imprimé en rouge et en noir; 30 ff. prélim. (paginés de I à LX), contenant 1 f. pour la Table et le Privilége, 2 ff. pour l'avis Au Lecteur), 27 ff. pour le Discours du Poëme dramatique et les Examens; 638 pp. et 1 f. blanc.
Le portrait représente Corneille en costume des premières années du règne de Louis XIV, avec la perruque, la calotte et le rabat. Autour du portrait on lit: Pierre Corneille, né à Rouen en M.VI.C.VI; au-dessous, sont les armes de Corneille supportées par des licornes. Les noms du dessinateur et du graveur sont inscrits au bas de la figure: A. Paillet, ad viuum delin. 1663; Guillelmus Vallet, sculpsit.
Le frontispice représente le buste de Corneille, placé sur un piédestal et couronné de lauriers par deux grandes figures drapées; au-dessus du buste est une renommée qui souffle dans une trompette ornée d'une flamme sur laquelle on lit le mot Tragedie; une autre trompette, qu'elle tient de la main gauche, porte le mot Comedie; un cartouche, placé sur la clef de voûte d'une arcade qui fait le fond du sujet, contient l'indication du titre: le Theatre de P. Corneille; sur le piédestal est gravée cette inscription: Ament serigue nepotes, et sur la base se trouvent les noms du dessinateur et du graveur: A. Paillet, inv. et del.; G. Vallet, sculpsit.
Le volume contient 12 pièces, de Mélite à Polyeucte; il se termine par un second privilége.
II. Partie: titre imprimé sur un feuillet séparé; 30 ff. prélim. (paginés de I à LX), dont le premier renferme la Table et le Privilége, et les autres le Discours de la Tragedie et les Examens; 672 pp. contenant 12 pièces ainsi disposées: Pompée, le Menteur, la Suite du Menteur, Rodogune, Théodore, etc., jusqu'à la Toison d'or (réunie pour la première fois dans cette édition au Théâtre de Corneille); xvij pp. pour le Discours des trois Unitez, et un second Privilége; 1 f. blanc.
Chaque volume contient, nous l'avons dit, deux priviléges, mais ces priviléges sont de date différente. Celui qui est placé immédiatement après le titre est daté du 3e jour de décembre 1657; il est accordé pour vingt ans à Augustin Courbé, qui aura le droit exclusif d'imprimer, vendre et débiter les œuvres des sieurs de Corneille frères, «à condition qu'il sera mis deux des exemplaires qui seront imprimez en vertu des presentes, en notre Bibliothèque publique, et un en celle de nostre tres-cher et féal le sieur Seguier, Chevalier Chancellier de France, avant que de les exposer en vente; et qu'elles seront registrées dans le livre de la Communauté des Libraires de nostre dite ville de Paris, suivant les Arrests de nostre Cour de Parlement, à peine de nullité d'icelles.» A la fin du privilége se trouvent les mentions suivantes: «Ledit Courbé a fait part de la moitié du susdit privilége à Guillaume de Luyne, aussi Marchand Libraire à Paris. Et ledit Courbé a cedé son droit particulier du present privilége à Thomas Jolly et Louis Billaine, aussi Marchands Libraires à Paris, suivant l'accord fait entre eux.—La presente impression in-folio des œuvres du sieur P. Corneille, a esté achevée d'imprimer le 22. Decembre 1663.» Le traité de cession conclu par Courbé avec deux de ses confrères explique qu'on ne rencontre pas d'exemplaires à son nom.
Le privilége placé à la fin des volumes est accordé à Corneille lui-même pour neuf ans, à la date de janvier 1653 (le quantième est resté en blanc); il n'était donc pas expiré à l'époque où Courbé obtint celui de 1657. Mais ce nouveau privilége ne lui fut accordé que du consentement de Corneille, car il était cessionnaire, avec Guillaume de Luyne, des droits conférés au poëte en 1653. Le texte du privilége de 1653 est donné ici comme dans l'édition de 1660, avec la date de l'achevé d'imprimer de cette édition au 31 octobre 1660. Un détail qu'il est difficile d'expliquer, c'est que la pièce se termine dans le premier volume par la mention suivante: Et cette dernière Edition [in-folio] achevée le 24. Avril 1663. audit Roüen, par ledit Maurry, et, dans le second volume, par cette autre mention: Et cette derniere Edition achevée le 15. de Septembre 1663, audit Roüen, par ledit Maurry.
L'édition fut terminée plusieurs mois avant l'achèvement du portrait et du frontispice et les 2 ff. prélim. ne furent imprimés qu'au dernier moment. Les deux volumes que nous avons décrits sous le numéro précédent, aussi bien que les trois achevés d'imprimer que nous venons de rapporter, ne laissent aucun doute à cet égard.
Les libraires durent faire tirer en même temps des titres, sous plusieurs dates différentes, car l'impression de ces titres paraît avoir été effectuée sur les mêmes formes.
L'édition de 1663 nous offre un texte revu par Corneille pour la troisième fois. Le poëte s'inquiéta beaucoup plus, en faisant cette révision, de la forme que du fond. Il voulut introduire un système orthographique nouveau, pour faciliter aux étrangers la prononciation de notre langue. L'avis Au Lecteur, qui précède le premier volume, est consacré tout entier à l'exposition de son système, dont les points fondamentaux sont: la distinction de l'i voyelle et du j consonne, de l'u voyelle et du v consonne; la distinction de l's allongé ſ et de l's rond; l'accentuation de l'e ouvert et de l'é fermé; l'emploi des doubles lettres.
Tout en posant ces préceptes, Corneille ne put obtenir des typographes qu'ils les suivissent exactement. Dans tout le cours de cette édition, comme dans celles de 1664, in-8o de 1668, l'i et le j, l'u et le v sont encore souvent confondus. Les accents n'y sont pas marqués non plus d'après les indications de l'auteur: Corneille le reconnaît lui-même dans l'avis Au Lecteur du recueil de 1682.
Les premières lignes de l'avis Au Lecteur de l'édition in-folio témoignent du soin avec lequel le poëte arrêtait lui-même la composition de ses volumes: «Ces deux Volumes, dit-il, contiennent autant de Pieces de Theatre que les trois que vous avez veus cy-devant imprimez in-Octavo. Ils sont réglez à douze chacun, et les autres à huit. Sertorius et Sophonisbe ne s'y joindront point, qu'il n'y en aye assez pour faire un troisiéme de cette Impression, ou un quatriéme de l'autre. Cependant, comme il ne peut entrer en celle-cy que deux des trois Discours qui ont servy de Prefaces à la précedente, et que dans ces trois Discours j'ay tasché d'expliquer ma pensée touchant les plus curieuses et les plus importantes questions de l'Art Poétique, cet Ouvrage de mes reflexions demeureroit imparfait si j'en retranchois le troisiéme. Et c'est ce qui me fait vous le donner en suite du second Volume, attendant qu'on le puisse reporter au devant de celuy qui le suivra, si-tost qu'il pourra estre complet.»
Vendu: 145 fr., mar. r. (Niedrée), Bertin, 1854 (no 762);—330 fr., mar. r., Duru, Giraud, 1855 (no 1623);—250 fr., mar. r. (avec la date de 1665), Solar, 1860 (no 1685);—900 fr., mar. r. (Duru-Chambolle), Benzon, 1875 (no 246).
I. Partie: cxviij pp. prélim. (y compris le frontispice gravé et le titre); 2 ff. non chiffr. pour le Privilége et le titre de Mélite; 703 pp. et 8 figures.
II. Partie: cxiv pp. prélim. (y compris le frontispice gravé et le titre), 2 ff. pour le Privilége et le titre du Cid; 720 pp. et 8 figures.
III. Partie: xcj pp. prélim. (y compris le frontispice gravé et le titre); 1 f. pour le titre de Rodogune; 743 pp. et 8 figures.
Le contenu de ces trois volumes est le même que celui du recueil de 1660, sauf l'addition de la Toison d'or. La Ire Partie s'ouvre par un avis Au Lecteur, qui précède le Discours du Poëme dramatique; dans la IIe Partie, l'ordre des pièces est changé: Théodore, au lieu d'être placée après Pompée, se trouve à la fin du volume; la IIIe Partie renferme 8 pièces au lieu de sept.
Les frontispices sont les mêmes qu'en 1660; la date n'en a pas été modifiée. Les figures sont également les mêmes; celle qui accompagne la Toison d'or, dernière pièce du tome IIIe, est seule nouvelle; elle est signée: Gl Ladame, inv. et fecit.
M. Brunet a confondu le recueil de 1664 in-8 avec celui de 1660. Cette erreur ne peut s'expliquer que par le peu de soin avec lequel les éditions originales de Corneille avaient été étudiées jusque dans ces dernières années.
On évitera même de confondre les feuillets provenant des deux recueils en observant les i et les j, les u et les v, dont la distinction est généralement faite dans cette dernière édition.
IV. Partie, 1666 (la disposition typographique employée pour les adresses des libraires n'est pas tout à fait semblable à celle que nous avons indiquée pour les trois premières parties): 2 ff. prélim., 232 pp. et 1 f. blanc; 3 figures.
Cette IVe partie contient Sertorius, Sophonisbe et Othon; elle a dû être publiée originairement sans figures, car de tous les exemplaires qui nous sont passés sous les yeux, quatre seulement les possédaient, notamment celui de la Bibliothèque nationale, celui de M. Cousin et celui de M. Didot. Les figures de Sertorius et de Sophonisbe portent la signature de L. Spirinx; celle d'Othon n'est pas signée.
Le privilége, dont les deux premières parties de cette édition contiennent le texte, tandis qu'un extrait occupe le verso de la p. xcj de la IIIe Partie, est le privilége de janvier 1653; il est suivi de la mention de la cession faite par Courbé à Jolly et à Billaine, mention dont nous avons parlé ci-dessus (no 108). On lit à la fin de ce privilége dans les tomes Ier et IIe: Et cette derniére Edition achevée le 15. Aoust 1664. audit Roüen, par ledit Maurry, tandis que le tome IIIe porte: achevée le quatorziéme Aoust mil six cens soixante-quatre.
La IVe Partie ne reproduit qu'un extrait du privilége du 3 décembre 1657, terminé par une mention de la cession faite par Courbé et d'un achevé d'imprimer daté du 30. Octobre 1665.
On joint à cette édition les trois volumes suivants:
Poemes || dramatiques || de || T. Corneille. || I. [II. et III.] Partie. || A Roüen, Et se vendent || A Paris, || Chez Guillaume de Luyne, Libraire Iuré, || au Palais, en la Gallerie des Merciers, || à la Iustice; [ou Chez Thomas Iolly, au Palais, dans la || Salle des Merciers, à la Palme, & || aux Armes de Hollande; ou Chez Loüis Billaine, au Palais || Pilier de la grand'Salle, à la Palme, || & au grand Cesar. || M.DC.LXV [-M.DC.LXVI: 1665-1666]. || Avec Privilege du Roy. 3 vol. in-8.
I. Partie, 1665: frontispice gravé avec la date de 1660; titre imprimé, 709 pp. et 1 f. qui contient la fin du privilége (lequel commence p. 710). Ce volume renferme 6 pièces précédées chacune d'une figure. La figure du Feint Astrologue est signée de Choveau (sic) et Le Doyen; celle de l'Amour à la mode et du Charme de la Voix sont signées de Matheus; celle du Berger extravagant porte le nom de Le Doyen seul; les deux autres ne sont pas signées.
II. Partie, 1665: frontispice gravé signé Choveau (sic) et Le Doyen, avec la date de 1661; titre imprimé, 652 pp. et 2 ff. pour le privilége et l'achevé d'imprimer. Ce volume renferme, comme le précédent, 6 pièces précédées chacune d'une figure. Les figures des Illustres ennemis et de la Mort de Commode sont signées de Choveau et Le Doyen; celles de Bérénice et de Darius portent le nom de Matheus.
Le privilége des deux premiers volumes est daté de 1657; c'est le même que dans l'édition de 1661; il est suivi d'une mention de la cession faite par Courbé à Jolly et à Billaine de la moitié des droits qu'il s'était réservés, et d'un achevé d'imprimer du mois de décembre 1664: à Roüen, par le susdit L. Maurry.
III. Partie, 1666 (la disposition des adresses des libraires n'est pas la même que dans les deux premiers volumes): 2 ff. prélim. pour le titre général et le titre particulier du Galant doublé; 1 figure pour cette même pièce et 401 pp., plus 3 autres figures. Ce volume renferme 4 pièces accompagnées chacune d'une figure: le Galant doublé, Stilicon, Camma et Maximian. Les 4 planches sont signées du nom ou du monogramme de Spirinx.
Le privilége, dont l'extrait occupe le verso de la p. 401, est le même que celui des deux premières parties, mais l'achevé d'imprimer est du 30 octobre 1665.
Les amateurs modernes ont pris l'habitude d'éliminer les œuvres de Thomas Corneille, qui à l'origine accompagnaient celles de son frère; mais les deux recueils étaient si bien destinés à être vendus ensemble que, dans les exemplaires en reliure ancienne (dans ceux, par exemple, de M. Cousin et de M. Didot), la troisième partie des Poëmes de Thomas est réunie à la quatrième partie des Œuvres de Pierre. Grâce à cette combinaison, les libraires pouvaient donner au public cinq volumes de même épaisseur.
Nous avons vu figurer à la vente Pasquier en 1875 (no 327 du Catalogue) un exemplaire de cette édition où le titre du tome IIe était emprunté à l'édition de 1660. Un restaurateur, plus habile qu'honnête, avait complété la date à la plume. Grâce à notre système de description, il nous a été facile de découvrir cette supercherie, contre laquelle les amateurs feront bien de se mettre en garde.
Vendu (avec les Poëmes de Th. Corneille): 140 fr., mar. r. anc., Bertin, 1854 (no 760);—485 fr., même exempl., Solar, 1860 (no 1685), pour M. Didot;—260 fr., mar. r. mod., même vente (no 1686);—760 fr., mar. v. (Ve Niedrée), Benzon, 1875 (no 245).—Sans les Poëmes de Th. Corneille: 600 fr., mar. r. (Tripon), Fontaine, 1872 (no 2644);—2,000 fr., mar. r. doublé de mar. r. (Trautz-Bauzonnet), Fontaine, 1874 (no 565);—1,000 fr., mar. r. jans. (Trautz-Bauzonnet), ibid. (no 566).