← Retour

Chronique de 1831 à 1862, Tome 3 (de 4)

16px
100%

PIÈCES JUSTIFICATIVES

I

Mademoiselle Rachel

Tiré des Esquisses et Portraits, par M. de La Rochefoucauld, duc
de Doudeauville, tome II, p. 307 et suivantes, édition de 1844.

Vous m'avez demandé votre portrait, Rachel; voulez-vous franchement vous connaître, ou n'avez-vous cédé qu'au désir de Mme Récamier? C'est un défi toutefois, et je suis trop Français pour ne pas l'accepter, mais n'allez pas m'accuser d'une sotte présomption ou d'une franchise sauvage. Il y a tristesse et mélancolie au fond de votre âme, mais vous aimez à vous étourdir sur ses besoins. Vous pouvez être la personne la plus accomplie comme la plus remarquable de notre époque, ou laisser à vos véritables amis de profonds regrets; c'est à vous de choisir. La plus exquise politesse est aussi bien votre essence que le talent. Le talent et vous, c'est tout un; mais en retour de ce talent supérieur, avez-vous assez de pensées, assez d'élan et de gratitude pour l'Éternel qui vous en a fait don? Il était impossible à moi, pauvre observateur, de vous rencontrer sans vous étudier avec un intérêt extrême; j'aurais retenu ma plume; vous commandez, elle obéit, mais elle dira le bien comme le mal, le sublime comme l'incomplet. On vous désirerait parfaite en tous points, Rachel, et foulant de vos jolis pieds tout ce qui serait une tache à votre nature si élevée. Vous êtes votre œuvre, et nul ne peut se glorifier de vos succès; le vrai et le beau ont été vos seuls maîtres. Personne ne vous connaît bien, enfant jeté dans la vie sans expérience, et qui éprouvez tout avec une violence difficile à vaincre. Nature d'élite qui redescend quelquefois sur la terre par une transition subite; être instinctif qui sait tout sans avoir rien appris et qui comprend tout sans étude. Vous étudiez peu, Rachel, mais vous réfléchissez beaucoup et sentez encore davantage. Il y a en vous une énergie extrême et parfois un entraînement qui vous effraie; à une grande élévation de l'âme vous joignez un abandon plein de charme, mais que vous ne songez pas assez à réprimer. Vous pouvez vous dominer, vous ne savez pas encore vous vaincre. Vous n'avez rien à apprendre, Rachel, car vous avez deviné le monde comme le théâtre, et vous êtes aussi parfaite sur l'une que sur l'autre scène; mais fatiguée de vous contraindre, vous oubliez quelquefois les spectateurs qui vous observent, et ce n'est pas sans anxiété que ceux qui vous admirent voient votre cœur et votre âme se répandre trop au dehors. La carrière dramatique est pour vous une passion, et la gloire votre but unique. Il y a dans votre esprit une excessive finesse, une grande distinction dans votre caractère, et dans votre être un goût exquis. On n'a pas plus de noblesse et de dignité que vous au théâtre; vous êtes plus qu'un admirable acteur, vous devenez le personnage lui-même, tel qu'on le sent et qu'on se le représente; vous grandissez alors de toute la hauteur de votre beau talent, et vos gestes simples et expressifs ne sont jamais exagérés. Ceux qui vous critiquent injustement devraient s'étonner du degré de perfection et de vérité que vous avez su atteindre dès votre début, et laisser à votre admirable instinct le soin de corriger les légères imperfections qui échappent à votre inexpérience des passions. Votre âme est un abîme où vous craignez de descendre; votre tête un volcan; votre cœur une pierre de touche qui interroge tous les sentiments; vous redoutez le danger, Rachel, sans songer assez à l'éviter; l'agitation vous use, mais elle vous plaît. Vous croyez à peu de choses, et ne prenez les hommes que pour ce qu'ils valent; vous êtes confiante sans être aveugle, et vous pourriez être entraînée sans être convaincue. Vous savez plaire, savez-vous aimer? A force de sentir pour les autres, il est à craindre qu'on ne gagne la passion qu'on exprime si parfaitement, et qui, dans le monde comme au théâtre, a bien peu de durée. Femme privilégiée, vous pouvez être sublime! Ne vous contentez pas, Rachel, de rester l'acteur le plus parfait que la scène et le monde aient jamais produit. La contrariété vous émeut, l'obstacle vous révolte, et toute contrainte vous fatigue, mais l'habitude de vous contrefaire est devenue si naturelle chez vous qu'on devine vos impressions bien plus qu'on ne les voit. Il y a, dans votre physionomie, comme dans tout votre être, une finesse d'expression et une délicatesse pleines de charme. On n'a pas plus d'élégance dans la tournure, plus de distinction dans les manières, plus de tact dans la conversation, plus de justesse dans l'esprit. Vous joignez à une persévérance invincible une volonté de fer, et c'est avec autant de naturel que d'originalité que vous savez aborder les grandes difficultés. Chaque rôle nouveau est pour vous la source d'un triomphe, dont vous êtes heureuse sans en être fière, et votre modestie justifie vos succès. Lorsque vous ne pouvez trancher les questions, vous les tournez avec une incroyable adresse; vous êtes tout improvisation, Rachel; et sans jamais savoir ce que vous direz, vous dites toujours ce qu'il faut dire. Si, dans le monde, on vous jugeait au premier aspect, on pourrait vous citer pour modèle à toutes les femmes. O Rachel! Ne vous contentez pas d'être une admirable actrice, devenez en tout, et dans tout, un modèle accompli. Réhabiliter le théâtre, en prouvant qu'on peut exprimer les passions sans les sentir, serait une gloire véritable, et vous êtes digne d'y prétendre. Insensible à un sentiment banal, vous savez apprécier un éloge mérité; vous jugez parfaitement ceux qui vous parlent, et savez suivre un bon conseil. Vous lisez dans l'âme des autres avec un tact exquis; la flatterie vous laisserait insensible, mais la passion vous émeut. Les louanges sincères font naître en vous l'ambition de les mériter; la critique injuste vous choque, et vous préférez l'ignorer. Vive, impressionnable, et même impérieuse, vous êtes nerveuse, mobile, irascible, avec une apparence calme, et plus passionnée que profondément sensible. Vous avez autant de génie que d'instinct, et savez rester toujours vous, sans chercher à imiter personne. Sublime est un grand mot, Rachel, car pour le mériter, il faut atteindre la perfection. On a pu vous l'appliquer avec justice, lorsque vous jouez certains rôles où vous êtes inimitable; aimez-le dans votre vie, et si quelque obstacle vous arrêtait sur cette route du sublime, reprenez haleine, Rachel, puis remettez-vous en chemin pour atteindre au pinacle de la gloire. Ne négligez aucun fleuron de votre couronne de femme, et si vous vous plaisez à recueillir des lauriers, ne dédaignez pas la branche de lis qui leur prête un si doux éclat. Je ne suis pas un prophète, encore moins un flatteur; mais de tous ceux qui vous ont rencontrée, je suis, peut-être, celui qui ai le mieux compris votre position, et ma franchise est la preuve irrécusable de mon estime. Vous serez étonnée de ce langage, et piquée peut-être, sans m'en vouloir, car vous avez l'âme trop grande pour ne pas aimer la vérité; mais vous penserez que je ne suis pas tout le monde, et c'est quelque chose vis-à-vis de celle qui ne ressemble à personne. Votre génie se peint sur votre physionomie expressive, et vous voir c'est vous connaître, pour qui sait vous étudier. Une franchise entière est difficile à qui doit toujours s'observer. Votre regard est scrutateur, il cherche à lire et veut connaître le fond des cœurs. Mais si vos paroles sont douces, vos pensées sont souvent amères. Que ne seriez-vous point, Rachel, si vous aviez le courage de renoncer à toutes ces illusions pour chercher des réalités. Toujours mise à la scène avec un goût exquis, vous êtes également bien dans le monde; on n'y paraît pas avec plus de grâce, de charme, de distinction et de simplicité. Chacun vous accueille et vous remarque; tous vous recherchent; mais vous avez trop de fierté, trop de vraie dignité, pour courir après des succès éphémères. Vous savez attendre, et chacun vient vers vous avec empressement. Il y a parfois dans votre regard folie, passion, extravagance et délire; vous le sentez, aussi vos paupières abaissées avec grâce rendent-elles promptement à votre physionomie l'expression la plus suave et la plus tranquille. Vous êtes, Rachel, une personne tout exceptionnelle, difficile à connaître, et plus encore à expliquer. Trop de sévérité à votre égard serait une injustice; on peut être effrayé des dangers qui vous entourent, mais c'est votre destinée seule qu'il faut accuser. Quelle autre à votre place eût été ce que vous êtes? et que d'obstacles n'avez-vous pas eu à vaincre pour atteindre un si beau résultat. Partout autour de vous des flatteurs, des admirateurs, des courtisans, des adorateurs; et pas un appui, pas un véritable ami. Comment résister à tant d'écueils sans se heurter contre un seul? Toutefois, si vous comprenez, Rachel, la haute et noble mission à laquelle vous appellent le monde et vos prodigieux succès, vous ne resterez pas au-dessous de votre tâche, quelque difficile qu'elle paraisse. On ne demande ordinairement à un artiste que du talent; on attend plus de vous, Rachel; on vous veut digne de votre renommée, digne de vous-même, et telle enfin que vous devez être pour justifier l'estime que vous inspirez. Une pareille exigence n'a rien que d'honorable, car elle prouve que vous êtes appréciée. Songez que si vous faites beaucoup pour le monde, il a fait beaucoup pour vous soutenir contre l'envie au début de votre carrière. Ne restez pas au-dessous de ses espérances, et votre destinée sera vraiment grande, votre existence digne d'envie, et votre place belle entre toutes dans l'histoire dramatique, car on pourra dire: Rachel a prouvé que la pureté de l'âme et du cœur alimentent le génie, et sont la meilleure source du vrai talent. Oui, Rachel, j'aime à le croire, vous offrirez à ce monde qui vous a adoptée une noble et généreuse conduite, en retour des avances qu'il vous a faites. Douée de tant d'énergie, en manquerez-vous pour le bien? Non, vous exprimez trop éloquemment la vertu pour ne pas l'aimer. A vingt ans, on commence la vie et la vôtre peut être sans pareille. Agissez toujours de manière à pouvoir affronter les yeux les plus sévères, et ne ressemblez pas à ces débiteurs qui ne paient point leurs dettes! Continuez enfin à être une des brillantes illustrations dont notre pays est fier, mais qu'il a droit d'interroger.


II

Note de M. de Bacourt sur les entretiens du comte d'Artois et du prince de Talleyrand.

(Mémoires du prince de Talleyrand, vol. Ier. Appendice de la première partie.)

Nous voulons ajouter à ce passage [257] quelques détails que M. de Talleyrand avait négligés ou peut-être oubliés. Il est positif qu'à l'époque à laquelle ce passage se rapporte [258], M. de Talleyrand eut avec M. le comte d'Artois plusieurs entrevues, dans lesquelles il chercha à convaincre le Prince de la nécessité de prendre des mesures de force, et, tout en maintenant les concessions que le Roi avait déjà faites, de réprimer avec vigueur les agitations populaires qui se manifestaient chaque jour, et qui avaient déjà ensanglanté les rues de la capitale. La plus importante et la dernière de ces entrevues eut lieu à Marly, dans la nuit du 16 au 17 juillet 1789, c'est-à-dire quelques heures avant que le Prince quittât la France. Lorsque M. de Talleyrand se présenta chez M. le comte d'Artois, le Prince, qui était déjà couché, le fit néanmoins entrer, et, là dans un entretien de plus de deux heures, M. de Talleyrand exposa de nouveau tous les dangers de la situation, et supplia le Prince de les faire connaître au Roi. M. le comte d'Artois, ému, se leva, se rendit chez le Roi, et après une absence assez prolongée, revint déclarer à M. de Talleyrand qu'il n'y avait rien à faire avec le Roi, qui était résolu à céder plutôt que de faire verser une goutte de sang en résistant aux mouvements populaires. «Quant à moi, ajouta M. le comte d'Artois, mon parti est pris, je pars demain matin et je quitte la France.» M. de Talleyrand conjura vainement le Prince de renoncer à cette résolution, en lui représentant les embarras et les périls qu'elle pourrait avoir pour lui dans le présent, et pour ses droits et ceux de ses enfants dans l'avenir. M. le comte d'Artois persista, et M. de Talleyrand finit par lui dire: «Alors, Monseigneur, il ne reste donc plus à chacun de nous qu'à songer à ses propres intérêts, puisque le Roi et les Princes désertent les leurs, et ceux de la Monarchie.—En effet, répliqua le Prince, c'est ce que je vous conseille de faire. Quoi qu'il arrive, je ne pourrai vous blâmer, et comptez toujours sur mon amitié.» M. le comte d'Artois émigra le lendemain.

Au mois d'avril 1814, M. de Talleyrand, devenu Président du gouvernement provisoire, se trouva dans le cas d'annoncer à M. le comte d'Artois, qui était alors à Nancy, attendant les événements, que Louis XVIII était appelé au trône, et que le Prince était invité à se rendre à Paris, pour y prendre le gouvernement en qualité de Lieutenant général du royaume. Il chargea M. le baron de Vitrolles de cette mission, et au moment du départ de celui-ci, pendant qu'on cachetait la dépêche pour le Prince, il lui fit, en se promenant dans l'entresol de son hôtel de la rue Saint-Florentin, le récit de l'entrevue du 16 juillet 1789, puis il lui dit: «Faites-moi le plaisir de demander à M. le comte d'Artois s'il se rappelle ce petit incident.»

M. de Vitrolles, après s'être acquitté de son important message, ne manqua pas de poser au Prince la question de M. de Talleyrand, à quoi le comte d'Artois répondit: «Je me rappelle parfaitement cette circonstance, et le récit de M. de Talleyrand est de tout point exact.»

Averti que M. de Vitrolles avait raconté cette anecdote à plusieurs personnes, nous crûmes devoir faire appel à sa mémoire et à sa loyauté. Pour justifier cette expression de loyauté il faut dire que M. de Vitrolles, à la suite de la révolution de juillet 1830, avait cessé toute relation avec M. de Talleyrand, et s'exprimait très sévèrement sur son compte. C'est ce qui explique le ton d'hostilité et d'aigreur qui perce au travers de la lettre de M. de Vitrolles que nous allons insérer ici. Nous pensons que, pour le lecteur comme pour nous, cette hostilité ne fera que confirmer davantage la sincérité de M. de Vitrolles dans sa déclaration, et l'authenticité du passage des Mémoires de M. de Talleyrand. Les légères divergences qu'on remarquera entre le récit qui nous a été fait par M. de Talleyrand et celui de la lettre de M. de Vitrolles, s'expliquent naturellement par l'effet du temps qui s'était écoulé, et qui a pu modifier les souvenirs des deux narrateurs. Le fait qui reste acquis, c'est que M. de Talleyrand, au mois de juillet 1789, croyait qu'on pourrait arrêter la marche révolutionnaire des événements, qu'il a eu le mérite de le dire, et le courage de proposer de s'en charger. Il n'est peut-être pas le seul qui s'en soit vanté plus tard; nous pensons avoir constaté que lui, au moins, ne s'en vantait pas à tort.

Voici la lettre de M. de Vitrolles:

«Monsieur le baron de Vitrolles à M. de Bacourt.

«Paris, 6 avril 1852.

«Monsieur, vous avez attaché quelque prix au témoignage que je pourrais rendre sur une circonstance particulière de la vie de M. le prince de Talleyrand, je ne crois pas pouvoir mieux satisfaire à vos désirs qu'en transcrivant ici ce que j'en ai écrit, il y a bien des années, dans une relation des événements de 1814.

«Lorsque S. M. l'empereur de Russie et M. le prince de Talleyrand eurent compris que la présence du frère du Roi revêtu des pouvoirs de Lieutenant général du Royaume, devenait nécessaire, et que je partais pour décider Monsieur à se rendre à Paris, j'avais eu plusieurs conférences à ce sujet avec le Président du gouvernement provisoire [259]. Dans un dernier entretien, au moment du départ, nous avions traité les conditions et les formes de la réception de Monseigneur. Après un moment de silence, le prince de Talleyrand reprit avec son sourire caressant et d'un ton qui voulait être léger et presque indifférent:

«Je vous prie de demander à M. le comte d'Artois s'il se rappelle la dernière occasion que j'ai eue de le voir. C'était au mois de juillet 1789. La Cour était à Marly. Avec trois ou quatre de mes amis, frappés comme moi de la rapidité et de la violence du mouvement qui entraînait les esprits, nous résolûmes de faire connaître au Roi Louis XVI la véritable situation des choses, que la Cour et les ministres semblaient ignorer. Nous fîmes demander à Sa Majesté de vouloir bien nous recevoir. Nous désirions, pour le bien de son service comme pour nous, que cette audience fût tenue secrète. La réponse fut que le Roi avait chargé son frère, M. le comte d'Artois, de nous recevoir; le rendez-vous fut donné à Marly dans le pavillon que M. le comte d'Artois occupait seul. Nous y arrivâmes à minuit.»

«M. de Talleyrand me rapporta la date précise du jour, et le nom des amis qui l'accompagnaient. C'était des membres de l'Assemblée nationale, et de cette minorité de la noblesse qui s'était réunie au tiers état; la date et les noms me sont également échappés.

«Lorsque nous fûmes en présence de M. le comte d'Artois, continua M. de Talleyrand, nous lui exposâmes en toute franchise la situation des affaires et de l'État, telle que nous l'envisagions. Nous lui dîmes que l'on se trompait, si l'on croyait que le mouvement imprimé aux esprits pût facilement se calmer. Ce n'est point avec des atermoiements, des ménagements et quelques condescendances, qu'on peut conjurer les dangers qui menacent la France, le Trône et le Roi. C'est par un puissant développement de l'autorité royale, sage et habilement ménagé. Nous en connaissons les voies et les moyens, la position qui nous permet de l'entreprendre et donne les gages d'y réussir, si la confiance du Roi nous y appelait. M. le comte d'Artois nous écoutait très bien, et nous comprenait à merveille, peut-être avec la pensée que nous exagérions le danger de la situation, et notre importance pour y remédier. Mais, comme il nous le dit, il n'avait été chargé par le Roi que de nous entendre, et de lui rapporter ce que nous voulions lui faire connaître; il n'avait aucune réponse à nous donner, et aucun pouvoir d'engager la volonté ou la parole du Roi. Lorsque nous en fûmes là, nous demandâmes à M. le comte d'Artois la permission de lui dire, que si la démarche que nous faisions de conscience et de bonne foi n'était pas appréciée, si elle n'avait aucune suite et n'amenait aucun résultat, Monseigneur ne devait pas s'étonner que, ne pouvant résister au torrent qui menaçait de tout entraîner, nous nous jetions dans le courant des choses nouvelles... Demandez, je vous prie, à Monsieur, répéta M. de Talleyrand, si cet entretien nocturne est resté dans sa mémoire. C'était bien près du moment où il quittait la France.»

«J'admirai la subtilité de cet esprit, qui trouvait dans un de ses souvenirs une explication, une excuse et presque une justification de toute sa vie révolutionnaire; il en aurait trouvé bien d'autres pour des circonstances différentes et même contraires. En écoutant ce récit, qui tombait avec une sorte d'indifférence et de naïve simplicité, je me permettais de douter que ce qui pouvait rester dans la mémoire de Monsieur fût entièrement conforme aux paroles que je venais d'entendre. Cependant, lorsqu'à Nancy je vins à me rappeler la recommandation de M. de Talleyrand, Monseigneur me dit, sans entrer dans aucun détail, qu'il n'avait point oublié cette circonstance, et que tout ce que je lui rappelais était entièrement conforme à la vérité.

«Je désire, Monsieur, que ce témoignage suffise à ce que vous attendiez de moi. Je vous remercie de m'avoir donné cette occasion de vous offrir l'assurance de ma considération la plus distinguée.

«Le baron de Vitrolles

Chargement de la publicité...