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Chronique de 1831 à 1862, Tome 3 (de 4)

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1848

Sagan, 4 janvier 1848.—Je suis tout à fait bouleversée de la mort de Madame Adélaïde [123]. C'est un malheur pour les pauvres, pour le Roi, pour mes enfants. C'est, pour moi, perdre la personne qui regrettait chaque jour M. de Talleyrand, que j'ai tant de motifs de pleurer constamment. Cette triste année 1847 a fini, ainsi, par un coup de foudre, et je comprends parfaitement que les amis particuliers du Roi commencent l'année 1848 sous de tristes augures. L'horizon politique me semble fort sombre. Je ne prétends pas que le tour du Nord ne viendra pas, mais, pour l'instant, c'est le Midi qui bien décidément est en fièvre chaude.

Sagan, 6 janvier 1848.—Il y a du vrai dans ce que Mme de Lieven dit de Humboldt. Je ne prétends pas qu'il soit absolument radical, mais il est fort avant dans le libéralisme, et à Berlin il passe pour pousser Mme la Princesse de Prusse dans la route qu'elle ne suit pas toujours avec assez de prudence. Du reste, Humboldt a trop d'esprit pour se compromettre et il reste dans une certaine mesure ostensible, mais au fond il est un dernier reste de ce que le dix-huitième siècle a renfermé d'éléments dissolvants.

Je connais assez le Roi Louis-Philippe pour être convaincue de son courage et de sa présence d'esprit; aussi, en voyant dans la gazette la soumission d'Abd-el-Kader, je me suis dit tout de suite que le Roi y trouverait un spécifique certain contre sa douleur [124]. Cependant son lien avec sa sœur était de telle sorte que ce n'est peut-être pas dans le premier moment qu'il sentira le plus cette perte, mais à mesure que la vie reprendra son cours accoutumé, et qu'aux heures qu'il passait chez elle, qu'aux occasions, sans cesse renaissantes, où il avait quelque chose à lui confier, elle ne sera plus là pour tout écouter, tout recevoir, tout partager; c'est alors que l'isolement se fera sentir et que la tristesse arrivera. La Reine est, sans doute, tout aussi fidèle, tout aussi dévouée, mais elle est en partie envahie par la maternité; puis, son esprit n'est pas dans les mêmes directions; elle n'est pas toujours dans ce Cabinet, à attendre chaque minute du plaisir royal; ses directions religieuses vont au delà de celles du Roi; bref, c'est beaucoup, mais ce n'est pas tout. Du reste, il vaut bien mieux que le Roi survive à sa sœur, que si cela avait été le contraire, car, j'en suis persuadée, Mademoiselle aurait été tuée du coup.

Sagan, 10 janvier 1848.—Si je n'ai plus de sécurité quand je me porte bien, il ne faut pas croire que j'aie une grande terreur de cette mort subite, dont à la vérité je ne prévois pas le moment, mais sur le fait de laquelle je n'ai aucun doute. Je n'ai pas envie de mourir, mais je n'ai pas plaisir à vivre. N'ai-je pas démesurément rempli ma vie? et toutes mes tâches ne sont-elles pas accomplies? Le reste ne me touche plus guère; ce n'est plus que du remplissage, cela ne vaut pas la peine des petits efforts journaliers que cela coûte. Pourtant, je ne me laisse pas aller à des idées noires; mon compte est fait, mon parti pris, je ne m'en attriste pas, et tant que je vivrai mon activité vivra en moi. Ce à quoi je ne pourrai jamais me résigner, c'est à me sentir inutile, et j'espère que Dieu me fera la grâce de me laisser, jusqu'au dernier moment, intelligente des besoins de ceux qui m'entourent. Si je n'aimais pas les pauvres, je me croirais bien plus misérable qu'eux; heureusement que je me sens chaque jour plus tendre pour eux et qu'ils me tiennent lieu de beaucoup.

Sagan, 12 janvier 1848.—On me mande qu'à la cérémonie de l'enterrement de Madame Adélaïde à Dreux, le Roi a été accablé et désolé. Je crains bien pour lui cette année 1848.

Il paraît que c'est le Duc de Montpensier qui est chargé du dépouillement des papiers particuliers de sa tante.

Sagan, 18 janvier 1848.—Je lis avec soin les débats des Chambres françaises; j'ai été enchantée des réponses nobles du Chancelier [125], et fines de M. de Barante, à ce M. d'Alton-Shée qui pousse l'inconvenance par trop loin [126]. L'aspect général me paraît sombre, et je ne sache pas un point de l'horizon sur lequel jeter les yeux avec satisfaction.

Sagan, 20 janvier 1848.—J'ai lu attentivement les discours de l'Adresse à la Chambre des Pairs, et j'ai été ravie du discours clair, noble, du duc de Broglie; je l'ai été aux larmes par l'éclatant discours de M. de Montalembert sur les affaires de Suisse, si plein d'une sincère émotion, si habile, si riche, si abondant, et enfin mettant bel et bon cet abominable lord Palmerston en jeu [127]. Je ne sais pourquoi on est, partout encore, si plein de ménagements pour cet intermédiaire, qui est la véritable malédiction du siècle. Il me semble bien évident que M. Guizot, dans l'affaire de Suisse, s'est laissé duper par lui; à sa place, j'aurais été mieux inspirée, et je ne conçois pas qu'après de si nombreuses expériences, on puisse encore cesser de se méfier de lui [128].

Sagan, 26 janvier.—C'est donc aujourd'hui que vous quittez Paris pour vous lancer dans une nouvelle phase de votre destinée [129]. Je voudrais que les dernières nouvelles que vous recevrez de Turin fussent satisfaisantes, mais c'est difficile à croire. L'important, c'est que la santé du Roi de Sardaigne se rétablisse et s'affermisse. Il paraît que c'est un Prince éclairé, habile, qui mesure bien les nécessités de l'époque, sans leur faire des concessions exagérées. Je lui souhaite, pour vous en particulier et l'Italie en général, une longue et glorieuse existence.

J'ai une longue lettre de ma fille Pauline, toute pleine de regrets sur votre prochain départ, elle le compte comme une rude épreuve de plus.

Il arrive la nouvelle de la mort du Roi de Danemark. Cela va jeter le Nord dans de nouvelles complications [130]. Il est dit que l'Europe n'échappera à aucune. Le Roi de Danemark était un Prince instruit, éclairé, et qui avait bon renom. J'ai eu l'honneur de le voir, et de connaître assez particulièrement la Reine, qui est une sainte [131]. Sa mère et la mienne étaient amies intimes, et j'ai retrouvé, dans les papiers de ma mère, des lettres de la Duchesse d'Augustenburg.

Sagan, 29 janvier 1848.—Nous avons eu ici un météore remarquable. Pendant vingt minutes, une colonne de feu a relié, pour ainsi dire, le ciel à la terre. Le soleil était pour l'œil au tiers du ciel, et de la partie inférieure de son disque partait cette colonne lumineuse qui semblait, à l'horizon, peser sur la terre [132]. C'était un beau et imposant spectacle. Il y a quelques siècles, les astrologues en auraient tiré force horoscopes. Je tire les miens des journaux, et, par conséquent, je n'ose espérer que cette colonne de feu nous annonce rien de bon.

Sagan, 10 février 1848.—Le 5 de ce mois, j'ai été bien agréablement surprise par l'arrivée du Prince-Évêque de Breslau [133]. Malgré la mauvaise saison et sa mauvaise santé, il a voulu me souhaiter ma fête, et, au jour de Sainte-Dorothée, dire lui-même la messe ici. Il était accompagné de plusieurs ecclésiastiques et des principaux seigneurs catholiques de la province. Le Prince-Évêque a porté ma santé, à dîner, en la faisant précéder d'un discours charmant, rappelant la signification du nom de Dorothée et des armes de Sagan [134] qu'il a bien voulu nommer des armes parlantes; il tremblait d'émotion, et quelques gouttes du vin contenu dans le verre qu'il tenait se sont échappées, il a alors fini en me disant: «Quand le cœur parle, la main tremble.»

Le typhus qui ravage la Haute-Silésie menace de se montrer ici, où cependant nous espérons qu'il sera moins meurtrier que de l'autre côté de Breslau; l'excès de la misère et de la faim ayant été plus efficacement combattu ici que dans les autres parties de la province. En Haute-Silésie les ravages sont hideux; les médecins y ont succombé, et sans les Frères de la Charité que le Prince-Évêque y a expédiés, les secours seraient nuls. Il y a quatre mille orphelins qui errent à l'aventure. Mgr Diepenbrock, à l'exemple de Mgr de Quélen après les ravages du choléra en 1833, va leur ouvrir un lieu de refuge, auquel les catholiques de la province vont porter leur attention et leur zèle. Ce plan s'est élaboré ici.

Weimar, 18 février 1848.—Il y a ici fête sur fête, pour le jour de naissance de Mme la Grande-Duchesse régnante. Avant-hier, on a très bien exécuté un opéra qui fait grand bruit en Allemagne, Martha, par le compositeur Flotow. Le libretto et la musique sont fort agréables. Liszt dirigeait l'orchestre admirablement. Il est maître de chapelle de la cour de Weimar, avec un congé fixe de neuf mois de l'année. Il en a profité dernièrement pour aller à Constantinople et à Odessa, où il a fait beaucoup d'argent. Ce soir, il doit jouer en petit comité chez Mme la Grande-Duchesse, à la suite d'une lecture que doit faire le prince Pückler-Muskau sur son séjour chez Méhémed-Ali. Il y aura avant un petit dîner à la jeune Cour du Prince héréditaire. On tâche de maintenir ici le feu sacré des arts et de la littérature, qui, depuis soixante ans et plus, a fait surnommer Weimar l'Athènes de l'Allemagne. Mme la Grande-Duchesse, pour perpétuer la tradition, a consacré un certain nombre de salles du château au souvenir des poètes, philosophes et artistes qui ont illustré le pays; des peintures à fresques y rappellent les sujets divers de leurs œuvres; des bustes, portraits, vues de scènes historiques, de sites curieux, des meubles de différentes époques garnissent ces pièces. La fortune particulière de Mme la Grande-Duchesse est considérable; elle l'emploie très noblement à des établissements de charité et à l'ornement de ses résidences. La Cour de Weimar a été, depuis cent ans, remarquablement bien partagée en Princesses. La grand'mère du Grand-Duc actuel était la protectrice de Schiller, de Gœthe, de Wieland; c'est elle qui a fait fleurir, sous son aile protectrice, la littérature classique de l'Allemagne. Sa belle-fille, mère du présent Grand-Duc, a été la seule princesse d'Allemagne qui en ait imposé à Napoléon; elle a sauvé au Duc son époux sa souveraineté par son courage et sa fermeté. M. de Talleyrand racontait souvent, avec plaisir, les scènes où cette Princesse s'est trouvée en regard du conquérant. La belle-fille de la Grande-Duchesse actuelle, la princesse des Pays-Bas, a aussi de l'esprit, de l'instruction, un son de voix ravissant, un grand savoir-vivre et une simplicité qui ajoute un grand prix à ses mérites. Elle sera digne, tout l'annonce, de continuer la tradition des Princesses remarquables de la Cour de Weimar. On peut presque mettre Mme la Duchesse d'Orléans du nombre des Princesses de Weimar, puisque sa mère était sœur du Grand-Duc régnant.

Berlin, 28 février 1848.—Avant-hier, j'étais loin de penser tout ce que cet intervalle de quarante-huit heures amènerait de changements dans la face des choses. Le télégraphe a successivement, mais sans détails, apporté une série de faits dont aucun cependant n'avait préparé au coup de foudre de l'abdication de Louis-Philippe et de la Régence de Mme la Duchesse d'Orléans [135]. Nous ne connaissons ni les motifs, ni les nécessités; nous ne savons ce qu'il faut rapporter à la prudence ou à la faiblesse; mais sans s'arrêter à l'historique de la chose, que nous apprendrons plus tard, le gros fait est assez écrasant pour jeter dans une consternation qui, ici, est générale, et qui, du premier au dernier, est égale chez tous. Les réflexions se pressent dans la pensée, elles sont les mêmes pour chacun; il n'y a pas deux manières d'envisager la question et ses résultats probables. Ils refléteront, non seulement sur tous les gouvernements, mais encore sur toutes les existences privées. Mme la Princesse de Prusse en est atterrée, par suite de la sympathie vive qui l'unit à sa cousine. Elle croit que ma présence peut l'aider à porter le poids de son anxiété, il s'ensuit que je passe bien des heures auprès d'elle à supputer tous ces horribles événements, et à nous désoler de l'obscurité qui règne encore sur la majeure partie de ce drame ou plutôt de cette tragédie. Ces tristes échos retentiront plus promptement et plus activement en Italie que partout ailleurs; le reste de l'Europe viendra après, car le répit qui lui est accordé pour le moment ne saurait être long. Le fait est qu'il est impossible de mesurer le coin d'Europe où on peut solidement compter sur un repos durable. L'Amérique même ne me paraît point à l'abri des dissolvants. C'est la condition générale du siècle, et il faut savoir la subir là où la Providence nous a naturellement placés. Je la bénis, cependant, d'avoir porté Pauline à quitter Paris le 23 février pour se rendre à la Délivrande [136]. Je blâmais cette course dans une saison si froide; je suis tentée maintenant d'y voir un fait providentiel. Les nerfs déjà si ébranlés de cette pauvre enfant auraient trop été éprouvés par l'aspect et le bruit de cette ville en tumulte.

La pauvre Madame Adélaïde est morte à temps et Dieu a récompensé sa tendresse fraternelle en lui évitant cette amère douleur! Et M. de Talleyrand! Je ne dis pas la même chose pour Mgr le Duc d'Orléans, qui, vivant, aurait donné une tout autre direction à ces terribles journées.

La Russie commence à se remuer beaucoup, mais il est vrai de dire que la santé de l'Empereur Nicolas est très mauvaise; il a une éruption à l'articulation des genoux qui lui rend difficile de marcher; de là, manque d'exercice, ce qui augmente l'état hépatique dont il est atteint, bref, on n'est pas sans anxiété.

Berlin, 2 mars 1848.—Depuis le 28 février, les plus effrayantes nouvelles se sont succédé d'heure en heure, avec une fâcheuse rapidité. Il en circule, aujourd'hui, qui semblent indiquer un mouvement contre-révolutionnaire à Paris; j'avoue que je n'y crois pas. Mes dernières nouvelles directes sont du 24, écrites pendant le quart d'heure qu'a duré la Régence de Mme la Duchesse d'Orléans. Il est arrivé quelques lettres de même date à Berlin, et le Moniteur du 25, rien de plus; le tout sans délais; aussi faut-il s'abstenir de juger les choses et les personnes qui ont figuré dans cette tragédie, jusqu'à ce que l'on connaisse l'enchaînement des faits qui a fait céder le Roi, et qui a comme paralysé son action et celle de sa famille. Le blâme et la critique se déversent déjà sur ces infortunés; je trouve qu'il serait mieux de suspendre tout jugement absolu. A la vérité, les apparences sont étranges, et l'on serait disposé à croire que M. Guizot et Mme la Duchesse d'Orléans ont seuls, chacun dans leur sphère d'action, été intrépides et fermes. Le courrier d'Angleterre, arrivé hier au soir, n'apportait aucune nouvelle sur Louis-Philippe et sa famille; on les disait tous à Londres, mais le fait est, qu'à cet égard, rien n'est officiel, rien n'est certain et qu'un vague extrême plane sur les individus. Le marquis de Dalmatie [137] joue ici un rôle singulier. Il y a déjà trente-six heures qu'il renvoie ses gens, qu'il vend mobilier et diamants, qu'il crie misère, et qu'il va de porte en porte dire qu'il est un pauvre émigré, pestant contre le souverain qu'il représentait il y a six jours encore. Cela ne le place pas bien dans le monde. On trouve qu'aussi longtemps que Mme la Duchesse d'Orléans et le Comte de Paris sont sur le territoire français, il devrait conserver sa position extérieure et le langage qui s'y rattache; d'ailleurs, on sait fort bien que son père est très riche; de plus, on ne suppose pas qu'il y ait confiscation à moins d'émigrer réellement. Aussi, je ne donnerai pas à mes enfants le conseil d'émigrer, me souvenant de tout ce que M. de Talleyrand disait contre.

On peut penser facilement dans quelles agitations on est ici sur les conséquences européennes des journées de février. Le Ministre de Belgique, M. de Nothomb, me disait hier qu'un mouvement prononcé anti-français se manifestait en Belgique. M. de Radowitz est parti cette nuit pour Vienne, le Prince Guillaume, oncle du Roi, pour Mayence [138].....

Une dépêche télégraphique qui arrive à l'instant annonce officiellement l'arrivée de Mme la Duchesse d'Orléans et de ses deux enfants à Deutz, faubourg de Cologne [139]. Le pays de Bade commence à remuer, on est inquiet de ce qui peut se passer. On dit aussi qu'il y a des troubles à Cassel [140]. Que Dieu ait pitié de ce pauvre vieux monde, et en particulier de ceux qui me sont chers!

Berlin, 14 mars 1848.—Tout, entre le Rhin et l'Elbe, est en commotion; aujourd'hui même, ici, les troupes sont consignées, et l'on s'attend à quelques émotions populaires. Si le Roi avait voulu convoquer la Diète il y a quelques jours, il y aurait eu bien des difficultés de moins. La meilleure chance, pour ici, est d'entrer franchement et promptement dans la forme constitutionnelle; si on tarde, si on hésite, si on finasse, on aura des crises incalculables. Tant il y a qu'on est ici dans une semaine bien critique. Les bourgmestres des grandes villes sont arrivés avec des pétitions qui effraient; la révolution est plus ou moins avérée partout; dire ce qu'on fera, ce qu'on pourra faire est impossible. En attendant, la misère et le typhus augmentent.

Mme la Duchesse d'Orléans est à Ems avec ses enfants, sous le nom de marquise de Mornay. Elle veut garder un incognito complet, ce qui fait que ses affidés nient le fait de sa présence à Ems; il est cependant certain, j'ai vu des personnes qui lui ont parlé.

Sagan, 24 mars 1848.—De graves événements se sont passés à Berlin. On a perdu un temps précieux, on a hésité, pris de mauvaise grâce des demi-mesures; tout ensuite est arrivé par peur, après deux journées (18 et 19 mars) dont je n'oublierai jamais l'horreur. Des symptômes de grande effervescence, provenant de Breslau, ont gagné la Silésie. Ici, on s'est rué contre l'Hôtel de ville et la garnison; jusqu'à présent, le Château a été épargné, mes employés ont cru que ma présence pourrait être un calmant utile et je suis accourue. Je n'ai pas jusqu'ici à le regretter; cependant, comme le voisinage toujours plus rapproché des Russes jette une aigreur extrême dans les esprits, mon beau-frère ne croit pas que je puisse me prolonger ici; il me renvoie à Berlin, où tout cependant n'est pas encore en équilibre. Il veut rester à Sagan, tenir tête à l'orage et sauver ce que l'on pourra. En attendant, la crise financière est à son comble; on n'a plus le sou, personne ne paye, les banqueroutes éclatent de toutes parts; agitation, terreur, tout est là. C'est la boîte à Pandore qui s'est ouverte sur l'Europe. J'apprends à l'instant que le Grand-Duché de Posen est en feu, et comme mes terres y touchent, j'en reçois des nouvelles alarmantes. A la grâce de Dieu! Je suis parfaitement calme, parfaitement résignée, parfaitement résolue à baisser la tête sans murmurer, devant les décrets de la Providence. Je ne demande au Ciel que la vie et la santé de ceux que j'aime. Les secousses de Vienne m'ont abasourdie. On marche d'abîme en abîme [141].

Berlin, 30 mars 1848.—Me voici revenue ici, où l'agitation est loin d'être calmée. Le prince Adam Czartoryski y est arrivé hier de Paris; je n'ai pas besoin de signaler ce que c'est que cette nouvelle complication [142]. Les complications, au reste, se succèdent, se pressent avec une effrayante rapidité. La situation des particuliers qui ont quelque chose à perdre n'est guère meilleure que celle des Rois chancelants qui ne tient plus qu'à un fil. Nous sommes tous, pour le moment du moins, sans le sou, et ce n'est pas la guerre à l'Est et le communisme à l'Ouest qui nous ouvriront de meilleures chances d'avenir, à nous qui sommes pressés entre ces deux colosses!

On dit que la Diète prussienne s'ouvrira le 2 avril; c'est dans deux jours, et on n'en est point encore certain!... En tout cas, elle sera fort courte, car elle ne s'occupera que de la loi électorale.

Berlin, 1er avril 1848.—La Diète qui s'ouvre demain sera un nouvel acte du drame [143]. Il est impossible d'en apprécier les effets, et je suis d'ailleurs fort dégoûtée des prévisions, ainsi que je le suis, depuis assez longtemps, des projets. Paul Medem, qui est encore ici, reste fort incertain au sujet de son avenir; les nouvelles de Vienne ne lui paraissent pas plus rassurantes qu'il ne faut. En tout, il n'est guère possible de reposer ses yeux sur un point tranquille du globe: il faut les porter sur les affections sûres et éprouvées qui bravent les révolutions, l'absence, et tout ce qui se promène ostensiblement dans cette vallée de larmes.

Berlin, 8 avril 1848.—On a subi ici le contre-coup de Paris; il a été violent, profond, irrémédiable; on en est encore tout palpitant; le char n'est point encore arrêté, il roule, ce n'est point dans une direction ascendante. La Jacquerie des provinces est une condition lamentable; elle me retient en ville, où cependant il y a en permanence une émotion populaire qui fait désagréablement diversion au morne profond de cette capitale. Les Metternich sont en Hollande, se préparant à passer en Angleterre [144].

Berlin, 12 avril 1848.—La vie est fort triste, et tout à la fois très agitée. Les membres de la Diète ont tous quitté Berlin hier, pour s'occuper de leur réélection. Le sort du pays dépend de la façon dont l'assemblée constituante sera composée; c'est donc un devoir pour les honnêtes gens de chercher à y entrer, et chacun le tient pour tel; mais il peut se passer bien des choses encore, entre aujourd'hui et le 22 mai; et quand on songe au réseau de clubs qui, chaque jour, couvre plus étroitement la capitale et les provinces, quand on songe au désordre qui se manifeste partout, à l'esprit douteux de la landwehr, à l'audace des émissaires, aux complications extérieures, aux exemples contagieux qui viennent de l'occident et du midi et des points véreux au nord et au levant, on se sent pris d'un vertige, que les hésitations du gouvernement et l'absence complète de mesures répressives sont loin de dissiper. Les cinquante petits tyrans établis à Francfort ne laissent pas que de peser lourdement dans la balance. Personne ne leur a donné de mandat, et cependant chacun leur obéit [145]. Que tout est inexplicable dans le monde, tel qu'il se déploie à nos yeux! Il n'y a plus de prophétie possible, il faut vivre au jour la journée, et se tenir satisfait quand on a atteint le bout des vingt-quatre heures sans de trop grandes secousses. Nous voyons force bande de Polonais traverser la ville, soit pour Posen, soit pour Cracovie. Les gentilshommes polonais donnent toute liberté à leurs paysans, afin de ne pas être massacrés par eux. L'élément polonais est en bataille contre l'élément allemand. Lequel des deux triomphera si on ne parvient pas à les concilier? Nul ne le sait [146].

Sagan, 20 avril 1848.—L'état des esprits est toujours inquiétant. Si les émeutiers n'en voulaient qu'à l'argent, en vérité, ce qu'il y aurait de mieux à faire serait de le leur laisser prendre; il y en a si peu dans les caisses qu'ils ne feraient pas une grosse récolte; mais, dans leur frénésie, ils en veulent aussi aux archives, aux titres, aux contrats, enfin à tout ce qui détermine et fixe la propriété; puis, ils sont fort disposés à maltraiter les individus et à mettre le feu aux greniers et aux bâtiments, pour peu qu'on leur résiste. Ici, on est un peu plus calme, quoique des émissaires du club jacobin de Breslau se montrent depuis deux jours, et cherchent à s'affilier les mauvais petits avocats sans cause et ce qu'on nomme, en allemand, die obskure Litteratur. Nous avons su que ces émissaires, sous le prétexte d'une réunion électorale préparatoire, veulent provoquer une assemblée du bas peuple et chercher à leur enseigner la manière la plus prompte et la plus habile de désarmer la garde civique. Heureusement, celle-ci est prévenue, et je ne doute pas que si la démonstration s'effectue, elle sera dissipée sans coup férir.

Les meneurs des clubs s'agitent à Berlin contre l'élection à deux degrés et provoquent aussi une grande démonstration populaire, pour aller porter au Château et au Ministère une pétition en faveur de l'élection directe. Je ne sais s'ils parviendront à réunir beaucoup d'ouvriers sur cette question politique; on peut le craindre, parce qu'ils sont déjà fort agités par la question du salaire; on ne voit, à ce qui m'est mandé, que leurs promenades dans les rues. Il y a eu, l'autre jour, de graves désordres, chez les boulangers, qui fraudaient sur le poids du pain et qui, pour cela, méritaient bien une leçon, mais était-ce au peuple à la leur donner?... En attendant, on donne à celui-ci cette habitude de ne pas travailler et d'être sur la place publique; les ateliers, où les ouvriers veulent travailler, sont fermés par les meneurs; ainsi, les tailleurs, par exemple, sont en chômage forcé. Je ne crois pas encore à des dangers imminents de violence, mais on est en mauvaise direction, et en marche pour en venir là. Les Polonais ont envoyé leur ultimatum à Berlin [147]. Ils ne veulent ni déposer les armes, ni se séparer, avant que leurs demandes soient accordées. On s'occupe à en délibérer, et on doit être fort embarrassé entre les deux populations, car les Polonais ne veulent pas tenir compte des demandes des Allemands, qui insistent pour rester Allemands et pour qu'on tire une ligne de démarcation qui donnerait Posen comme capitale aux Allemands et Gnesen aux Polonais.

On ne sait que croire de l'Italie, dont les nouvelles sont si contradictoires. Les lettres de Vienne sont tristes et décourageantes. L'Angleterre offre un autre spectacle, bien différent et bien glorieux pour elle; mais j'avoue que je m'indigne de voir lord Palmerston, qui a eu sa large part dans l'ébranlement de l'Europe, se pavaner dans le confort, la gloire et la richesse des Anglais, qui augmente en raison de la misère du Continent.

Sagan, 24 avril 1848.—Voici une lettre de Vienne, à moi adressée par le Ministre de Russie, mon cousin Medem: «Vienne est tout à fait morne; les grandes réunions n'existent plus; le Prater est désert, l'Opéra est fermé, le public n'ayant pas permis aux Italiens de jouer. Wallmoden nous est arrivé d'Italie. On dit que c'est pour s'entendre avec le gouvernement, sur les moyens de reprendre, sinon l'offensive en Italie [148] sur une grande échelle, du moins, possession de Venise et de la partie insurgée du Frioul. Les communications avec l'armée active sont toujours réduites aux passages par le Tyrol. On est justement indigné de la conduite de F. Zichy, du comte Palfy à Venise et du comte Ludolf à Trévise, qui ont honteusement capitulé sans raisons valables [149]. En somme, il y a mécontentement et incertitude sur l'avenir. On reconnaît tous les jours davantage l'impardonnable inertie de l'ancienne administration, tant civile que militaire. C'est à ne pas y croire lorsqu'on n'en connaît que quelques détails seulement. La tranquillité de Vienne n'a pas été sérieusement troublée dans ces derniers temps, mais des manifestations inquiétantes ont eu lieu. Elles sont provoquées par des gens sans aveu, la plupart venus de l'étranger, lesquels adressent des harangues au public rassemblé dans des salles comme celle de l'Odéon et autres. Des publications, des placards incendiaires paraissent partout et entretiennent l'inquiétude dans la partie sage de la nation, surtout dans les classes supérieures. Il serait temps que cela finît, car si cela devait se prolonger, la situation se compliquerait. Pour le moment, cependant, l'état des choses est bien meilleur ici que dans la capitale et la Monarchie prussienne, mais comment répondre de l'avenir?»

Sagan, 30 avril 1848.—Nous finissons aujourd'hui le second mois d'un tremblement de terre, dont les frémissements sont loin encore, je le crains, d'être terminés. Pour le quart d'heure, l'Europe est partagée entre les fièvres électorales et les flammes de la guerre civile. Les passions humaines se dévoilent dans toute leur laideur au milieu de la concurrence des élections; les fureurs aveugles dans les combats de citoyens, armés les uns contre les autres, l'anarchie, le désordre, l'impunité, la misère, le découragement, le désespoir, voilà le tableau qui, à quelques nuances près, se retrouve partout. Trop heureux ceux qui ne reçoivent qu'un contre-coup amorti, et qui traversent les vingt-quatre heures, si ce n'est sans anxiété, du moins sans danger matériel. Nous verrons ici ce que les élections, qui commencent demain, produiront comme résultat, et quelle sera la figure du pays pendant les votes et les scrutins. En attendant, la presse et les clubs s'exercent à l'envi; chaque petite ville a son journal, chaque hameau son orateur; la plupart des auditeurs ne comprennent pas ce qu'on leur prêche, mais ils obéissent, comme des moutons de Panurge. Les ouvriers industriels veulent faire la loi aux chefs d'ateliers, qui, ne vendant plus rien, ne peuvent ni augmenter, ni même maintenir leur fabrication, ni améliorer la condition des ouvriers. Quant aux pauvres gens qui travaillent à la terre, et à la classe plus gâtée qui a travaillé aux chemins de fer et qui les a terminés, on n'en sait réellement que faire; on partage avec eux le dernier sou et le blé des granges, car on les plaint, et on les craint.

Sagan, 5 mai 1848.—Le Grand-Duché de Posen est en ce moment le théâtre des plus grandes atrocités; c'est la guerre civile avec des raffinements de cruauté inouïs. Les journaux français les ignorent ou veulent les ignorer, mais les détails que je reçois de première main font dresser les cheveux sur la tête. Le 1er mai, les Prussiens ont été terriblement battus par les insurgés, qui, armés de faux, éventrent les chevaux [150]. Plusieurs seigneurs polonais ont été massacrés par leurs paysans. Ils ne peuvent se garantir personnellement qu'en les excitant contre l'armée prussienne.

Sagan, 8 mai 1848.—C'est aujourd'hui que les électeurs élus, il y a huit jours, doivent nommer les électeurs prussiens. Je crois qu'on fonde trop d'espoir sur les assemblées constitutionnelles; je crains qu'elles ne nous préparent de grandes déceptions. A Vienne, la déchéance du comte de Ficquelmont est une scène des plus déplaisantes du drame universel [151]. Des étudiants sont entrés chez lui, lui déclarant qu'ils ne voulaient plus de lui pour Ministre. Il a obéi, et il aurait couru de grands dangers si, en se rendant à pied chez son gendre, le prince Clary et deux étudiants ne lui avaient servi de défenseurs.

Sagan, 21 mai 1848.—Les scènes du 15, à Paris, ont été hideuses [152]. Dieu fasse que le parti modéré sache user énergiquement de son triomphe, et que surtout il ne soit pas trop souvent appelé à fêter de pareilles victoires.

C'est demain que s'ouvre l'Assemblée constituante à Berlin. Elle est si étrangement composée que ce sera miracle si elle fait de la bonne besogne.

Sagan, 25 mai 1848.—Je suis préoccupée de Rome et du Pape [153]. J'y pense sans cesse. Je crois que si j'avais été le Saint-Père, j'aurais été avec quelques Cardinaux fidèles, avec ces pauvres religieux et religieuses persécutés, et le plus d'argent et de vases sacrés possible, m'embarquer pour l'Amérique. J'y aurais fait un établissement à l'instar de celui du Paraguay, et, de là, j'aurais en pleine indépendance gouverné la catholicité européenne, comme, de Rome, il gouverne depuis si longtemps les catholiques d'Amérique. Je crois que les Romains n'auraient pas tardé à le rappeler à grands cris, et en cas contraire, il aurait été du moins à l'abri des indignités actuelles et ne serait pas obligé de sacrifier les innocents et les biens de l'Église. Ce que je dis là n'a peut-être pas le sens commun, mais du moins, cela n'aurait pas été sans une certaine grandeur, au lieu que je ne vois partout qu'humiliation et abrutissement.

J'ai lu avec intérêt et horreur les récits des scènes de Paris le 15 mai, et mon opinion est que la besogne des assemblées délibérantes est mauvaise. Je crains fort que celle de Berlin ne fasse rien qui vaille, et à Francfort, c'est la tour de Babel. Les gazettes prussiennes contiennent déjà des cris jacobins contre la nouvelle Constitution, et je doute que le Roi puisse faire prévaloir le système de deux Chambres, surtout avec le petit bout d'hérédité qu'il cherche à sauver. Breslau est un abominable foyer de communisme.

On me mande d'Angleterre qu'à Claremont les amertumes intérieures ajoutent aux douleurs de la situation. Les fils, qui s'ennuient de leur inaction forcée, reprochent au père la perte de la partie; celui-ci s'inquiète du jugement de la postérité; tout cela est fort amer pour cette pauvre Reine Amélie, dont l'orgueil et la joie ont été si longtemps puisés dans l'union touchante de toute sa famille. Elle est, en outre, en mauvais état de santé. Leur état financier approche de la misère [154].

Sagan, 28 mai 1848.—Mme la Duchesse d'Orléans est établie au château d'Eisenach même. Elle y vit fort simplement, avec sa belle-mère et le précepteur [155] de ses enfants pour tout entourage. Sa position pécuniaire est des plus gênées. Le château d'Eisenach appartient à l'oncle de la Duchesse d'Orléans, le Duc de Saxe-Weimar; il l'a mis à la disposition de sa nièce.

On m'écrit, de Vienne, que tous les Hongrois y rompent leurs établissements, pour se retirer soit à la campagne, soit à Bude, soit à Presbourg. Les Bohêmes vont à Prague. Bref, ce joli Vienne, si gai, si animé, si aristocratique, devient un désert, et triste comme un grand village. La princesse Sapieha et Mme de Colloredo sont fort compromises dans les derniers troubles; elles ont été obligées de s'enfuir et de se cacher. L'Archiduc François-Charles a écrit d'Insprück à lord Ponsonby, doyen du Corps diplomatique à Vienne, pour l'engager, au nom de l'Empereur, à venir avec tous ses collègues rejoindre la Cour en Tyrol.

Voilà M. Bulwer renvoyé d'Espagne. Il avait fomenté à Séville une révolte contre les Montpensier qui ont dû fuir à Cadix. Il faut convenir qu'on peut dire de Palmerston et de Bulwer: Tel maître, tel valet.

Il y a toujours beaucoup d'émotion dans les rues de Berlin, et le prochain retour du Prince de Prusse, qui est attendu ces jours-ci à Potsdam, amènera probablement une explosion [156]. En attendant, Berlin est à peu près cerné par un corps de seize mille hommes qu'on compte employer à l'occasion.

On m'écrit de Paris que Mme Dosne se meurt de colère qu'une révolution ait pu avoir lieu, sans qu'elle eût son gendre pour objet, et ceci peut se prendre à la lettre, puisqu'elle en était à son troisième accès de fièvre pernicieuse; que M. Molé et M. Thiers se présentent tous deux pour la députation et que M. de Lamartine paraît beaucoup redouter le succès de ce dernier.

Les atroces scènes de Naples [157] ont eu un mauvais retentissement à Berlin, où l'émotion des rues a repris, dit-on, un mauvais caractère. Les bourgeois s'y sont emparés du poste de l'Arsenal.

Sagan, 7 juin 1848.—L'équilibre moral dépend de mille petites circonstances accessoires pour chacun, car il faut être bien jeune et d'une grande ignorance des peines de l'esprit, pour ne pas subir les mille et une influences des choses, des lieux, du temps, et même de détails encore plus puérils en apparence. C'est Saint-Évremond, je crois, qui dit que moins on reste vif pour ce qui plaît, et plus on est sensible à ce qui dérange.

Il paraît que Paris est tranquille, mais à quel prix? Il s'y est commis des atrocités raffinées, terribles.

Sagan, 12 juin 1848.—L'état de Berlin et de Breslau empire toujours; celui des provinces s'en ressent, et je m'attends à voir la guerre civile éclater au premier jour; car les campagnes, tout en subissant l'action révolutionnaire contre leurs seigneurs et leurs curés, détestent les villes; les paysans n'aiment pas les bourgeois et sont royalistes et militaires, tout en étant anti-nobles et anti-prêtres. Cela fait une étrange confusion que Dieu seul pourra éclaircir. L'Assemblée constituante réunie, à Berlin, n'a jusqu'à présent aucun cachet marqué, que celui de l'ignorance et de la confusion.

Sagan, 18 juin 1848.—Les journaux et mes lettres me disent que l'Allemagne reprend ses velléités républicaines. Voilà Hecker élu pour Francfort. Tout cela est d'une confusion inimaginable, surtout quand on voit le dégoût, de plus en plus marqué, que la France témoigne pour le déplorable gouvernement qu'elle s'est donné il y a quatre mois. Il faut bien qu'elle soit aux abois pour se tourner vers le drapeau bonapartiste, si piteusement représenté par Louis-Napoléon que chacun connaît être un bien triste sire. Que dire des affreuses scènes de Prague et de l'assassinat de la pauvre princesse Windisch-Graetz [158]? J'ai été aussi fort agitée pour Berlin, où le pillage de l'Arsenal et les échecs du Ministère à la Chambre ont fait encore diminuer les bonnes chances. Trois ministres, Arnim, Schwerin et Kanitz, ont donné leur démission.

Potsdam, 23 juin 1848.—Je suis arrivée ici hier, après m'être arrêtée une demi-journée à Berlin. Medem écrit de Vienne à son collègue, M. de Meyendorff, des doléances sur les directions faibles et incertaines qui se manifestent à Insprück depuis que le baron de Wessenberg y gouverne. Je ne m'en étonne pas: Wessenberg est aimable, bon, spirituel, instruit, laborieux, mais dès Londres, je l'ai jugé brouillon, et pour conduire les affaires, c'est un inconvénient immense.

J'ai des nouvelles de M. de Metternich. Il met ses fils dans un collège catholique, en Angleterre, ne trouvant personne qui veuille s'associer à son sort comme précepteur. Il est aussi tourmenté par le manque d'argent.

Le Grand-Duc régnant de Mecklembourg-Schwerin a augmenté le douaire de sa belle-mère, afin que Mme la Duchesse d'Orléans et ses enfants puissent ainsi avoir, indirectement, un peu plus de confort; c'est noble et délicat.

La crise ministérielle dure encore ici; elle fait succéder, au tumulte des rues, celui, plus politique et non moins dangereux, d'une Chambre aussi mal composée que celle de Berlin. On disait, hier au soir, qu'une dépêche télégraphique avait apporté de Francfort la nouvelle que l'Assemblée, réunie dans cette ville, avait élu un Dictateur pour l'Allemagne dans la personne de l'Archiduc Jean [159]. Ici, on voulait un Triumvirat. On disait, en conséquence, qu'on avait répondu à cette nouvelle par une protestation de la Prusse.

Sagan, 28 juin 1848.—Je suis rentrée dans mes foyers. Quoique je n'aie pas trop, jusqu'ici, à me plaindre de mon coin de céans, je sens, cependant, le terrain miné et mouvant sous mes pieds. Celui que je viens de quitter l'est, à mon sens, d'une manière effrayante. A Paris, le sang coule [160]; depuis quelques jours, on ne sait que fort mal ce qui s'y passe par des dépêches télégraphiques venant de Bruxelles; j'ai seulement la certitude que mes enfants ne s'y trouvent pas.

Sagan, 6 juillet 1848.—Les combats de Paris m'ont tenue dans une grande alarme; heureusement que personne me touchant un peu particulièrement n'a été atteint autrement que par la terreur et le saisissement. A présent, ce sont les campagnes qui deviennent dangereuses; aussi ma fille Pauline est-elle rentrée en ville avec son fils.

Nous ne sommes guère moins malades ici qu'en France, et quand je regarde tous les foyers de communisme dont cette partie de l'Europe abonde, je ne puis fermer les yeux aux dangers qui nous menacent, d'autant plus que je suis fort loin de croire qu'on saurait les combattre, comme le prince Windisch-Graetz à Prague et le général Cavaignac à Paris.

Je pense me rendre dans quelques jours à Téplitz; j'attends d'abord d'être assurée que cette partie de la Bohême est pacifiée.

Téplitz, 16 juillet 1848.—Mon voyage, de Sagan ici, s'est passé sans accident; mais partout on trouve misère et inquiétude. Le petit royaume de Saxe est cependant moins malade que la Prusse et que les duchés saxons de la Thuringe, où l'esprit républicain domine. A Dresde, le Ministère est tellement radical qu'il ne laisse presque rien à désirer aux révolutionnaires. Aussi a-t-on l'air de croire que les duchés saxons pourraient être réunis sous le sceptre unique, et peu monarchique, du bon Roi de Saxe, qui n'est guère qu'une ombre royale. Ce qui l'a sauvé jusqu'à présent, c'est que son Ministre de l'Intérieur actuel [161] n'use ni de chapeau, ni de gants. C'est tout simplement un manant, mais on le dit assez honnête homme pour ne pas trahir son maître. Téplitz est à peu près vide, personne ne songe à voyager. Excepté les Clary et les Ficquelmont, il n'y a que quelques paralytiques inconnus. M. de Ficquelmont voit très en noir les destinées de l'Empire autrichien, et ne paraît pas croire que l'Archiduc Jean soit destiné à le sauver, pas plus qu'à éclaircir les destinées de l'Allemagne. Ses coquetteries pour les étudiants de Vienne sont, ou une fausseté, ou une spéculation ambitieuse sans dignité. A Francfort, il aura bientôt à lutter contre les tendances séparatistes qui se font jour, de plus en plus, en Prusse, non seulement en haut lieu où elles pourraient bien avorter, mais encore dans les masses, blessées dans leurs intérêts et dans leur vanité.

Téplitz, 22 juillet 1848.—Il nous revient qu'il y a toujours un peu de fermentation à Prague, contenue par la main de fer du prince de Windisch-Graetz; l'anarchie à Vienne est toujours complète. M. de Ficquelmont me disait hier que la population berlinoise était plus démoralisée et plus méchante que celle de Vienne, mais que les rouages du gouvernement et de l'administration valaient infiniment mieux à Berlin qu'à Vienne. A tout prendre, ce sont deux mauvais centres.

Eisenach, 8 août 1848.—Mme la Duchesse d'Orléans, que je suis venue voir, est changée et se plaint d'un affaiblissement progressif. Du reste, elle est calme, raisonnable, et moins éloignée qu'elle ne l'était au premier moment de se rapprocher de la branche aînée; seulement, les moyens d'exécution paraissent difficiles; on sent qu'il faut abriter la dignité, autant qu'il faut ne rien laisser échapper de ce qui peut faciliter les chances d'avenir. Elle est sans préventions, sans préjugés; son regard est lucide, et son jugement me paraît simplifié, assuré par les grandes leçons des derniers temps. Elle est parfaitement confiante et aimable pour moi. Le reflet de Mgr le Duc d'Orléans nous donne, réciproquement, un intérêt réel l'une pour l'autre. Elle me l'a exprimé gracieusement, en me disant que j'étais pour elle hors ligne. Elle a appelé ses fils et leur a dit: «Embrassez la plus fidèle amie de votre père.»

Berlin, 13 août 1848.—Il y a ici, chaque soir, un peu d'émotion dans les rues, entretenue par la déplorable marche de l'Assemblée. De plus, le Ministre des Finances, M. Hanseman, propose des lois destinées à achever notre ruine. Aussi s'élève-t-il des anciennes provinces des réclamations qui pourraient dégénérer en révoltes et conduire à la guerre civile. Déjà les Unitaires allemands et les Prussiens séparatistes, qui se partagent le pays, sont partout en présence et dans un état d'hostilité qui rend les conflits imminents. L'avenir est incalculable...

Sagan, 9 septembre 1848.—La crise ministérielle de Berlin semble rendre une catastrophe imminente [162]. On peut s'attendre à la guerre civile, à la guerre étrangère, à la rupture entre les deux Assemblées constituantes de Francfort et de Berlin; bref, les éventualités se pressent en foule, et, en attendant, les existences privées se détruisent de plus en plus.

Sagan, 16 septembre 1848.—Point de Ministres à Francfort [163], point de Ministres à Berlin; un manque complet d'énergie à Sans-Souci, et, malheureusement, des symptômes graves d'insurrection parmi les troupes. On n'a pas su s'en servir à temps, et on a laissé aux méchants le loisir de les ébranler. L'absence de toute autorité légale, l'impatience qui résulte, pour les populations rurales, de ce que les Chambres ne fixent pas les rapports avec les Seigneurs réveillent leurs avidités arbitraires; aussi, voilà qu'en Haute-Silésie ils se remettent à brûler et à piller. Rothschild, de Vienne, qui y avait un bel établissement, vient de le voir détruit de fond en comble. Le fait est que nous sommes en mauvaise recrudescence et que je suis plus inquiète encore que je ne l'ai été, depuis que je vois la fidélité des troupes devenue douteuse.

Sagan, 1er octobre 1848.—Les choses se gâtent, ici, de plus en plus. On a fait, l'autre nuit, sauter méchamment des pétards près du château. Nos précautions sont prises, ma défense armée organisée, et, s'il faut périr, ce ne sera pas sans lutte. Je ne m'enfuirai pas, je n'ai aucune peur personnelle, parce que j'ai une grande indifférence pour moi-même; et puis, le courage et la détermination en imposent toujours.

Sagan, 5 octobre 1848.—Le château du prince de Hatzfeldt a été attaqué par des paysans [164]; quatre de ses fermes ont été brûlées, lui-même obligé de fuir. Ici, tout est comparativement encore assez tranquille, mais le lendemain n'appartient à personne.

Sagan, 9 octobre 1848.—Depuis avant-hier la poste et les journaux de Vienne manquent. La tradition orale donne à cette absence de nouvelles directes des causes sanglantes qui, dans le temps actuel, ne sont que trop probables. Chaque jour amène une nouvelle horreur [165]. Le massacre du comte Lamberg, à Bude [166]; la pendaison de ce pauvre Eugène Zichy [167], si gai, si fêté à Paris il y a dix ans, pendu par des barbares dans l'île où les voleurs subissent leurs supplices, voilà ce que la semaine dernière nous a apporté. Hier, on nous dit le comte de la Tour, Ministre de la Guerre à Vienne, massacré, et le général Brédy assommé [168]; les noirs et jaunes se battent dans les rues de Vienne contre le parti hongrois. Si le parti anarchique triomphe à Vienne [169], c'en est fait de Berlin et de Breslau, où tout est sur de la poudre fulminante.

Sagan, 25 octobre 1848.—Tout est en suspens ici; c'est à Vienne que tout se résout; jusqu'à présent, il semble que l'armée fidèle y dictera des lois, mais on n'ose pas trop se fier à ces lueurs d'espérance. En Autriche, du moins, on lutte avec honneur, et si on succombe, ce ne sera pas sans dignité; on ne peut, hélas! en dire autant de Berlin. Et puis, si le bon droit triomphe à Vienne, sera-ce une victoire définitive? J'en doute, et je crois que nous resterons longtemps encore sur un volcan.

Sagan, 4 novembre 1848.—Il vient d'y avoir une explosion révolutionnaire à Liegnitz, assez près de chez moi; il a fallu des forces militaires pour la comprimer. A Berlin, il y a à peu près chaque jour une émeute; l'audace croît journellement, la faiblesse aussi. Hier, on a enfin changé le Ministère; cela semblerait indiquer qu'on veut se réveiller; je crains que ce ne soit bien tard, car, après que l'Assemblée a été assiégée, les députés enfermés, menacés d'être pendus, le Corps diplomatique prisonnier aussi, la garde nationale trahie par son chef, et, en regard de tout cela, paralysie complète à Sans-Souci, on se demande s'il y a encore quelque chose à espérer [170]. Les heureux résultats de Vienne ne parviennent même pas à inspirer de la vigueur à Potsdam, et ils ont fort exaspéré les anarchistes, qui veulent frapper un coup d'éclat pour se relever, et former à Berlin un centre d'où ils rayonneraient sur toute l'Allemagne. Le rôle de M. Arago, le Ministre de la République française, a été, dans ces derniers jours, à Berlin, des plus douteux [171], au point qu'un véritable gouvernement lui aurait envoyé ses passeports, en se plaignant officiellement de lui à Paris. Mes vœux pour Vienne se sont enfin réalisés. Windisch-Graetz y a mis, longtemps, une patience, une douceur infinies et ce n'est que lorsque la capitulation du 30 a été traîtreusement violée, qu'il a sévi comme il devait le faire, et comme le méritait l'infamie des autorités locales de Vienne. Nous manquons encore de détails, mais le fait principal est officiel, et nous devons le regarder comme un bienfait de la Providence. Dieu veuille que ce soit le point de départ d'une ère nouvelle. En attendant, l'anarchie, les désordres, le manque de répression, la misère déchirent les provinces, les orateurs des rassemblements populaires prêchent impunément le meurtre et le pillage, et les résultats de leurs prédications incendiaires ne se feront pas longtemps attendre. C'est un état réellement affreux.

Sagan, 19 novembre 1848.—Je suis d'avis qu'il y aurait nécessité pour l'Autriche de joindre aux hommes de guerre déterminés tels que Jellachich, Radetzky, Windisch-Graetz, un homme politique plus jeune, plus ferme que Wessenberg. On dit que cet homme va se rencontrer dans le prince Félix de Schwarzenberg. Il a de bons amis, il a eu plus d'une grande admiration dans sa vie. Je l'ai vu assez souvent à Naples, il y a deux ans; il a été obligeant pour moi. Je l'ai trouvé grand seigneur, homme d'esprit, de tenue, de sang-froid, et de mesure dans ses jugements et ses discours, mais je ne le connais pas assez pour savoir s'il sera à la hauteur de la lourde tâche qui paraît lui être dévolue. Stadion, qui doit la partager avec lui, est son ami d'enfance; ce bon accord peut produire d'heureux résultats. Je n'en prévois pas encore pour la Prusse, où les hommes d'épée et de plume, d'éloquence et d'action me semblent, dans la crise actuelle, manquer absolument. Il y a une certaine maladresse, dans tout ce qui se tente maintenant, qui est loin de m'inspirer de la confiance [172]. On se place derrière Francfort, on y cherche refuge, soutien, protection; cela n'est guère digne, cela n'impose pas aux ennemis, et, en définitive, je crois que ce rempart sera de coton. L'armée est, il faut l'espérer, fidèle, mais, il faut le savoir, sans enthousiasme; on la laisse se refroidir et s'entamer; les soldats qui bivouaquent dans les rues de Berlin souffrent de la mauvaise saison, et leur apparence est triste, à ce que m'écrivent des personnes qui s'épuisent en distributions de soupe et de bière pour les soutenir et les encourager.

Sagan, 26 novembre 1848.—La dernière semaine a été très difficile à passer; depuis l'état de siège proclamé à Berlin tout ce qui était mauvais a été refoulé vers la Silésie. On a tiré sur mes employés, on s'est promené ici avec le drapeau rouge, tout cela était fort laid; mais maintenant que trente mille hommes de troupes parcourent la province pour la balayer, nous commençons à respirer, et, si j'en crois mes dernières lettres de Berlin, nous allons entrer dans une ère nouvelle. J'avoue mon incrédulité, et je crains d'y persévérer encore longtemps. Ce qui est certain, c'est qu'il y a relâche momentanée aux désordres; c'est déjà un bien dont il faut se montrer reconnaissant, car la tension fiévreuse devient insoutenable.

La mort de Mme de Montjoye est le complément de l'infortune pour la sainte Reine Marie-Amélie, dont elle était la seule et la plus intime confidente. A la suite de l'eau empoisonnée bue à Claremont [173], le tour des dents du Roi est devenu tout noir, à ce qu'on m'a écrit. Tout n'est pas toujours facile entre le Roi et ses enfants, et même pour les enfants entre eux. La Providence épuise ses rigueurs de tout genre sur ces émigrés; serait-ce une grande expiation morale pour le vote du père et pour l'usurpation du fils?

Sagan, 1er décembre 1848.—Les journaux nous apportent aujourd'hui le programme du nouveau Cabinet autrichien [174], qui a été très bien reçu à Kremsier et a fait monter les fonds autrichiens. Dieu veuille qu'il y ait, là au moins, un Cabinet ferme et habile. Celui qui devait gouverner en Prusse, et qui semblait vouloir prendre un gantelet de fer, me semble, sous un gantelet rouillé, ne montrer que faiblesse. Le monde catholique ne saurait être trop ému du sort de Pie IX. Il a beau avoir, avec un zèle plus ardent que prudent, fait du libéralisme impétueux, il reste le chef de notre Église, un saint prêtre, un aimable homme et ses dangers doivent nous attendrir et nous alarmer [175]. On m'écrit, de Berlin, que M. de Gagern a manqué le but qu'il s'était promis, et que le Roi a été plus ferme qu'on le supposait, en écartant la fantasmagorie impériale qui lui était offerte par celui-ci, dans le cas où, pour cette fois-ci du moins, il se soumettrait aux lois du gouvernement de Francfort [176].

Sagan, 6 décembre 1848.—On dit beaucoup, ici, que le gros de l'orage est passé. Je n'en suis pas persuadée; on va rentrer dans la fièvre électorale, dans l'essai d'une Constitution octroyée; tout cela est bien chanceux. A la vérité, tout vaut mieux que l'état de pourriture et de confusion dans lequel on périt ici, mais les dangers, pour changer de forme, ne se dissipent pas si vite. Le pays commence, il est vrai, à s'éclaircir quelque peu, à se fatiguer d'un état de choses qui réduit chacun à une misère profonde; il se réveille quelques bons instincts; à l'occasion du vingt-cinquième anniversaire du mariage du Roi, l'élan a été bon, mais trop de mauvais éléments fermentent encore; le gouvernement n'impose guère. Dans le Midi de l'Allemagne, en Bavière surtout, on paraît tenir encore au projet d'un pouvoir trinitaire, particulièrement depuis que l'Autriche se concentre grandement en elle-même pour former une grande monarchie. Quant au vieux Prince Guillaume de Prusse, désigné pour faire partie du Triumvirat, il est tombé dans un état de faiblesse morale qui le rendrait bien peu capable de cette besogne. D'ailleurs, son fils, le Prince Waldemar, se meurt à Münster d'une maladie de l'épine dorsale, c'est dommage, car c'est un Prince distingué; sa mort sera le dernier coup qui achèvera son pauvre père. Je ne donne pas longue vie au pouvoir central, le Roi de Prusse persistant, Dieu merci, à n'en pas accepter le fardeau. On dit que Mme la Princesse de Prusse aurait voulu que M. de Gagern fût à la tête d'un nouveau Cabinet prussien. Je doute que ce hautain personnage eût voulu se placer dans une position aussi incertaine, vis-à-vis d'une Chambre aussi peu sensible à l'éloquence parlementaire. Tant il y a que le Roi a repoussé toutes les insinuations directes ou indirectes. En effet, il y aurait eu stupidité et noire ingratitude à renvoyer le seul Ministère qui a eu le courage et la capacité de relever quelque peu la Couronne, et de donner un certain élan conservateur au pays.

L'état de l'Italie fait pitié! M. de Broglie sera, sans doute, fort affligé de la mort de M. Rossi, lui qui l'avait attiré en France, l'y avait fait entrer dans les affaires, à la Pairie, et poussé ensuite à l'Ambassade de Rome. Je l'avais vu beaucoup dans le salon de Mme de Broglie, plus tard à Rome. Il me paraissait astucieux et prétentieux, moins noble de caractère, mais plus spirituel que Capo d'Istria [177]. Leur assassinat a eu les mêmes causes; ils ont voulu, tous deux, faire à l'improviste du Richelieu.

Sagan, 30 décembre 1848.—La manière calme dont Napoléon a pris possession de la Présidence en France tendrait à prouver que les idées d'ordre et de tranquillité vont renaître dans ce pays. On parle de l'abdication du Roi de Sardaigne et d'un nouveau Ministère sarde tout guerroyant [178]; j'espère que Radetzky mettra le reste de l'Italie à la raison, comme il y a mis la Lombardie. Windisch-Graetz est devant Raab, où on espère qu'il entrera sans de trop grandes difficultés. Les grands froids retardent sa marche, et la nécessité de réorganiser civilement les contrées qu'il occupe ralentit aussi ses progrès [179]. Jellachich, emporté par son ardeur, a été un instant prisonnier des Hongrois [180]; ses soldats l'ont délivré. Windisch-Graetz lui a fait les plus vifs reproches sur son aveugle témérité, qui pouvait compromettre le sort de l'armée, et la question vitale du gouvernement. L'Archiduchesse Sophie a donné à son fils, le jeune Empereur, pour ses étrennes un cadre contenant les trois miniatures de Radetzky, Windisch-Graetz et Jellachich. Il n'y a pas de mal à rappeler aux souverains, par des signes visibles, la reconnaissance, qui leur est, en général, assez lourde. Voilà donc cette désastreuse année 1848 qui finit! Dieu fasse que 1849 nous apporte de meilleures conditions d'existence!

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