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Chronique de 1831 à 1862, Tome 3 (de 4)

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1847

Sagan, 12 décembre 1847.—Je suis charmée de savoir que votre nomination à l'ambassade de Turin est chose décidée, puisque cela vous convient [116]. On me mande, de Berlin, que l'Empereur Nicolas en veut à Paul Medem d'avoir quitté son poste sans congé, et qu'en conséquence il n'est pas traité comme il a le droit et l'habitude de l'être. Le comte de Nesselrode et ses nombreux amis ne s'épargnent pas pour dissiper ce nuage et on ne doute pas qu'ils n'y réussissent. A Berlin, on ne songe qu'à la Suisse, dont le passé fait honte, dont le présent inquiète, dont l'avenir menace, et notamment le midi de l'Allemagne [117]. M. Guizot, cependant, paraît aller courageusement de l'avant, avec ou sans l'Angleterre, et, à Berlin, on se montre très satisfait de sa franchise et de sa décision. Cette phrase me vient de haut lieu.

Sagan, 18 décembre 1847.—J'entends dire, de bonne source, que la fermentation des petits États, en Suisse, est extrême, surtout parmi les paysans, et que le poids des contributions dont on frappe les malheureuses victimes du Sonderbund les poussera probablement à un soulèvement en masse. Colloredo et Radowitz devaient quitter Vienne aujourd'hui, pour se rendre au Congrès qui doit traiter les affaires de la Suisse [118].

J'ai eu, hier, la visite du prince et de la princesse Carolath. Je les avais vus à Londres, en 1830, où le prince Carolath avait été envoyé par le Roi de Prusse pour complimenter Guillaume IV à son avènement. Le prince Carolath est, par sa mère, cousin germain de la Reine douairière d'Angleterre [119]. La Princesse est née comtesse Pappenheim, elle est petite-fille du chancelier Hardenberg; sa mère, divorcée du comte Pappenheim, a épousé le prince Pückler-Muskau. Elle est très bonne, et très charitable pour les pauvres; elle fait des vers charmants, lit beaucoup, parle plusieurs langues.

Sagan, 24 décembre 1847.—Voilà l'Impératrice Marie-Louise morte, et cet événement qui, il y a un an, aurait été à peine remarqué, jette aujourd'hui une complication de plus dans le Nord de l'Italie, dont assurément ce terrain, miné de toutes parts, n'a pas besoin. On dit que les Parmesans tremblent de tomber sous le gouvernement de ce misérable Duc de Lucques, et que les esprits sont prêts à la révolte [120]. Le Grand-Duc de Toscane, débordé par le mouvement libéral, inquiète et mécontente la Cour de Vienne. On dit que le Saint-Siège est au même point que la Toscane. Il me paraît impossible que le Piémont ne participe pas à toute cette fermentation, et c'est là, de toute la botte, ce qui me préoccupe le plus. Il paraît qu'il y a beaucoup d'assassinats en Italie; je sais bien que les membres du Corps diplomatique sont moins exposés, mais les crimes près de soi, lors même qu'on n'en est pas l'objet, rendent la vie difficile et triste. A Vienne, on dit la société agitée, hargneuse, querelleuse, duelliste. Plusieurs motifs l'ont faite ainsi; d'abord et avant tout, la Diète singulièrement tumultueuse de la Hongrie, où la jeune noblesse libéralement sauvage s'exerce pendant la semaine pour revenir le samedi, de Presbourg, passer le dimanche à Vienne, et y vociférer dans le Casino-noble, en attendant qu'on établisse des clubs. Le parti anti-Metternich (je parle des conservateurs, dont une partie considérable lui est fort opposée) trouve la conduite de l'Autriche dans les affaires de Suisse déplorable [121]. On dit tout haut que le prince de Metternich s'est laissé jouer par lord Palmerston, et qu'il aurait dû faire, non pas des notes habiles, mais des démonstrations armées, que si l'esprit lui reste pour les premières, l'énergie lui manque pour les secondes. On m'assure donc que l'hiver sera difficile à Vienne, et que déjà il y a eu des scènes vives et désagréables. Il n'y a que Mme de Colloredo qui soit de bonne humeur, resplendissante des pierreries magnifiques que lui a données le nouvel époux, coiffée et ajustée avec jeunesse et coquetterie, en rose, avec des roses dans les cheveux, enfin quinze ans, fort indifférente aux moqueries dont elle sait être l'objet, et aidée à les bien supporter par les empressements du comte de Colloredo qui paraît amoureux et satisfait. Je répète les commérages viennois que mon beau-frère m'a apportés hier...

Sagan, 28 décembre 1847.—Je crains que l'Italie ne soit hérissée de difficultés intérieures et diplomatiques. On assure que le Duc de Lucques n'usera pas de ses droits sur Parme, et qu'il les abandonnera à son fils. Celui-ci a fait de telles sottises et de telles bévues en Angleterre, que la Reine Victoria a fait dire à l'Ambassadeur d'Autriche qu'Elle le priait d'engager le Prince de Lucques à quitter promptement l'Angleterre, sans quoi elle se verrait obligée à l'y engager directement. C'est bien triste pour Mlle de Rosny, sa femme [122], qu'on dit charmante et distinguée.

M. de Radowitz est un homme d'esprit et d'instruction, fort infatué de lui-même et grand parleur, à la tête du parti catholique mystique en Prusse, et comme tel, fort avant dans les bonnes grâces et la confiance du Roi.

Barante m'écrit, de Paris, de façon à me confirmer que les relations entre la Russie et la France ne sont pas aussi près de se renouer qu'on le disait. Lui-même me paraît plutôt viser à la succession du duc de Broglie comme ambassadeur à Londres, qu'à celle de Bresson à Naples.

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