Comment on Prononce le Français: Traité complet de prononciation pratique avec le noms propres et les mots étrangers
Comtesse de Pimbesche, Orbesche, et cætera;
mais il faut croire que l’e s’est abrégé, ou bien cet sch venait de l’allemand, et équivalait au ch français: l’accent circonflexe ne serait donc pas justifié. En revanche on allonge quelquefois l’e dans crèche et brèche, en achevant de l’ouvrir[142].
6º -èce et -esse ou -esce, mais non -ès: la lettre s (écrite aussi esse), nièce et vieillesse, espèce et papesse, noblesse, allégresse, vesce, etc. Les verbes cesse et presse et leurs dérivés ont conservé généralement un e un peu plus long; les autres se sont abrégés[143].
Quant aux mots en -ès à s articulé, ils ont tous l’e long, comme les mots en -as, dans le même cas; mais, de même que les mots en -as, ils ne sont pas français: ils sont latins, comme palmarès ou facies, ou étrangers, comme londrès ou cortès[144]. L’e n’est bref ici que quand il est suivi de deux s, comme dans express et mess, et ces mots sont aussi étrangers.
Est-ce devrait être long, mais il ne l’est guère, même quand il est tonique: à qui est-ce diffère peu de acquiesce; à plus forte raison quand il ne l’est pas: est-ce à lui? D’autre part l’article pluriel composé archaïque ès (en les) avait autrefois l’s muet et l’e ouvert, comme dans la préposition dès; on prononce aujourd’hui l’s, mais l’e reste bref et n’est qu’à demi-ouvert: bachelier ès lettres. Ces deux mots rentrent donc dans la règle générale.
Pour ce qui est de pataquès, une anecdote bien connue, racontée par Domergue, le tire de la phrase je ne sais pas-t-à-qu’est-ce, pour je ne sais pas à qui c’est[145]. A ce compte, il devrait avoir l’e bref; mais il a suivi l’analogie de tous les mots en ès[146].
II. E moyen.—L’e est un peu moins bref devant une explosive retardée, b, d, et g guttural, devant l, m et n, et devant les consonnes mouillées, ainsi que devant la spirante sonore j (ou g devant e et i).
1º -eb et -èbe: éphèbe, glèbe. On allonge quelquefois les monosyllabes glèbe et plèbe, mais ceci n’est pas d’un bon exemple[147].
2º -ed et -ède: z, remède, possède[148].
3º -eg et -ègue: bègue, grègues[149].
4º -el et -èle ou -elle: l, appel, appelle ou épèle, tel, telle ou attelle, martèle ou immortelle[150]. On voit que la différence entre les formes verbales en -èle et -elle est une simple question d’orthographe, assez ridicule d’ailleurs et souvent douteuse[151].
Pourtant le monosyllabe hèle est généralement long; de même zèle et aussi stèle, qui garde la quantité grecque. Ces mots se prononcent comme ceux qui ont l’accent circonflexe[152].
En revanche, le substantif grêle, autrefois gresle, comme l’adjectif, s’est différencié de lui en s’abrégeant.
D’autre part le pronom elle s’allonge aussi quand il est tonique, mais seulement à la suite d’une préposition: bref ou moyen dans dit-elle, aussi bien que dans elle dit, il paraît long dans pour elle, sur elle, avec elle, etc. De même réelle, à cause de la nécessité de distinguer les voyelles identiques, et quelquefois pelle.
Il y a la même différence entre moelle et poêle qu’entre belle et bêle, mais c’est oua qu’on entend, ouvert dans moelle (mwal) et dans ses dérivés, ainsi que dans moellon, fermé dans poêle (pwâl) et ses dérivés[153].
5º -em et -ème ou -emme: m, harem, sème, dilemme, centième.
Toutefois, dans beaucoup de mots en -ème, surtout des mots savants, la prononciation soutenue, un peu oratoire, fait l’e aussi long que dans les mots en -ême[154]. On ne perçoit guère de différence entre blême et emblème, carême et théorème, baptême et anathème. De même, en vers, on allonge généralement poème et diadème, surtout à la rime, sans parler de crème ou stratagème[155]. L’étymologie grecque, d’une part, la poésie et la rime d’autre part, et l’enseignement, qui insiste outre mesure sur l’accent grave, ont dû contribuer à amener cette confusion. Les seuls mots, ou à peu près, qui ne soient pas atteints, sont les adjectifs numéraux en -ième, où l’e reste toujours moyen, et surtout sème et ses composés, qui suivent l’analogie des verbes en -eler et -eter. On pense bien d’ailleurs que dans système métrique, l’e ne peut être que moyen, de même que dans les poèmes français[156].
Quant à femme, il se prononçait autrefois fan-me, avec son nasal, comme flan-me. La syllabe s’est dénasalisée de la même manière que celle de flamme, puisque la prononciation était la même, et voilà pourquoi on prononce femme par un a, mais cet a est plus bref que celui de flamme[157].
6º -en et -ène ou -enne: n, cyclamen, ébène et benne, étrenne et gangrène[158]. Mais, ici aussi, sans doute pour les mêmes raisons que -ème, -ène se prononce très souvent comme -êne[159]. Par exemple on voit peu de différence entre rênes et arène, entre gêne et indigène[160]. Les seuls mots, ou à peu près, qui ne soient pas atteints, sont les formes verbales des verbes en -ener et même -éner, qui suivent aussi l’analogie des verbes en -eler et -eter: emmène, égrène, assène, etc., avec aliène, rassérène, réfrène[161]. Mais on allonge parfois jusqu’à ébène et gangrène, ce qui est excessif.
Couenne se prononce encore coine, mais est en voie de s’altérer[162].
7º -ègne, avec trois mots: duègne, règne et imprègne, qui s’allongent quelquefois, mais sans nécessité[163].
8º -eil et -eille[164]: sommeil et sommeille, pareil et pareille, orteil et merveille, sans qu’il y ait aucune distinction entre les deux comme il y en a entre -ail et -aille[165].
On ferme encore l’e dans vieille, comme autrefois, au moins dans la conversation.
9º -ège: piège, collège, abrège, et aussi puissé-je et dussé-je, malgré l’accent aigu, qui se conserve par tradition, mais qui ne saurait empêcher l’e de s’ouvrir dans cette finale[166].
On notera en outre que l’e, en s’ouvrant dans la finale -ège, s’est en même temps abrégé, tandis que l’a s’allongeait dans la finale -age. La spirante sonore j se sépare donc ici de ses sœurs v et z[167].
III. E long.—Voici enfin les consonnes qui achèvent d’ouvrir et allongent tout à fait l’e qui les précède. Il n’y en a plus que trois: r, v et z.
1º -er (avec ou sans consonne) et -ère ou -erre: r, fier, tiers et entière, fer, offert et enferre, clerc, nerfs, vénère et tonnerre. Il n’y a qu’une prononciation pour ver, vers, vert et verre; et, de même que pour la finale -ar ou -are, il n’y a aucune exception[168].
Cette prononciation de la finale -er, avec e ouvert et r sonore, est purement française (ou latine); elle n’est la même pour les mots étrangers en -er que quand ils sont francisés ou à peu près. Ainsi l’anglais placer, spencer, tender, porter, reporter, ulster, revolver, au besoin outsider et starter[169]; l’allemand thaler ou bitter[170]; le hollandais stathouder et polder; le danois geyser; le suédois eider, sans compter vétiver, qui vient du tamoul, et messer, qui vient de l’italien. Tous ces mots s’accommodent parfaitement de notre e ouvert, ou même n’en ont plus d’autres chez nous[171].
Au contraire, beaucoup de mots anglais d’usage peu populaire conservent plutôt le son eur ouvert: canter, clipper, coroner, farmer, for ever, globe-trotter, highlander, over-coat et leader, cover-coat, porter, rally-paper, remember, schooner, settler, stepper, walkover, water. Cutter s’est francisé en cotre. Quaker et même bookmaker font entendre quelquefois la finale ècre[172]. Quant à fox-terrier, il est complètement francisé et identifié au français terrier: fox-terrieur est assez ridicule, même chez les personnes qui savent l’anglais.
2º -ève: fève, brève, grève, sève. On notera que les e de bref et de brève sont presque aux deux extrémités[173].
Toutefois les formes verbales, achève, lève, crève et grève, et leurs composés (et par conséquent les substantifs élève et relève), ont l’e plutôt moyen, suivant l’analogie des verbes de même forme: achète, gèle, sème ou égrène, et cela surtout quand ils perdent l’accent, comme dans relève-t-il[174].
3º -èse, -ez et -èze: dièse, obèse, fez, mélèze et trapèze[175]. Toutefois les verbes pèse et empèse ont l’e moyen, comme lève et crève.
En résumé l’e reste bref, ou tout au plus moyen, devant quinze consonnes, sauf les exceptions, et s’allonge devant trois; et plus il est long, plus il s’ouvre.
3º L’E suivi des groupes à liquides.
Les groupes de deux consonnes que terminent des liquides sont encore moins abondants et sont aussi plus réguliers pour e que pour a.
Ceux dont la seconde consonne est un l sont quatre: -èble, -ècle, -èfle, -ègle (-èple n’existe pas), avec six mots en tout: hièble, siècle (et Thècle), nèfle et trèfle, espiègle et règle. Ces mots correspondent exactement, et appartiennent même, si l’on veut, aux finales en -eb, -ec, -ef et -eg, sauf que leur e est un peu moins bref; mais nulle part il n’est long[176].
Parmi les finales dont la seconde consonne est un r, les plus brèves sont -ècre, -èfre et -èpre: exècre et lèpre[177].
Les mots en -èbre, -èdre, -ègre, ont l’e moins bref: moins bref que -eb, -ed, -eg, moins bref aussi que -ècre, -èfre, -èpre, mais non pas long tout à fait pour cela, sauf en vers, bien entendu, où les poètes se plaisent à prolonger la rime funèbres-ténèbres; mais je ne vois pas que, dans la conversation ordinaire, on prononce célèbre, algèbre ou vertèbre autrement que zèbre[178]. Cèdre s’allonge volontiers en poésie; mais en prose l’e de cèdre est aussi moyen que celui des mots géométriques en-èdre, dièdre, trièdre, etc.[179]. Enfin l’e est également moyen dans allègre, nègre, intègre et pègre (haute et basse).
Il ne reste plus dans cette catégorie que les finales en -ètre ou -ettre et en -èvre, les plus abondantes de toutes, et celles où l’e est le plus bref ou le plus long.
L’e est bref dans mettre et lettre et leurs composés; mais je ne vois pas que mètre se prononce autrement que mettre[180]; et les deux e de pénètre sont, si on le veut, presque identiques. Il faut bien allonger urètre quand Victor Hugo le fait rimer avec prêtre; mais en dehors des cas pareils, -ètre doit être tenu pour pareil à -ettre, de même que complète et emplette, épèle et appelle. La seule différence est la faculté qu’ont les mots en -ètre d’allonger leur finale en cas de besoin[181].
Quant aux mots en -èvre, en principe ils ont l’e long, comme les mots en -ève, mais moins sans doute que les mots en -èse. Et il y a des distinctions à faire[182]: orfèvre et lèvre paraissent avoir l’e plus constamment ouvert que les autres; chèvre l’a beaucoup moins, et aussi sèvre, qui a l’e plutôt moyen, comme lève et crève; plèvre est douteux, et aussi les mots en -ièvre: fièvre, lièvre, mièvre et genièvre, du moins en prose, car en vers on tend à les ouvrir[183].
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Remarque.—Cette observation à propos des vers, déjà faite plusieurs fois, ne veut pas dire du tout qu’il faille en principe prononcer les mots autrement en vers qu’en prose. Et je veux bien qu’il y ait tout de même une prononciation oratoire ou poétique, qui ouvre les e un peu plus que ne fait l’usage courant. Mais c’est de la rime surtout qu’il faut tenir compte, car les poètes font volontiers rimer des mots dont la quantité n’est pas la même. Or il importe beaucoup de distinguer les cas.
Race et grâce, malgré la consonne d’appui, font une rime médiocre et que rien ne peut pallier, car les voyelles diffèrent à la fois de timbre et de quantité, et on ne peut ni allonger et fermer race, ni abréger et ouvrir grâce; de même trône et couronne, rime si fréquente chez Victor Hugo. Fleurette et arrête diffèrent déjà un peu moins; mais il est encore impossible d’identifier les sons, de même que ceux de mettre et maître, et la rime reste médiocre.
Au contraire, les finales qui ont un accent grave sur l’e ont la faculté de s’ouvrir davantage pour se rapprocher de celles qui ont l’accent circonflexe. Or il n’y a pas assez de mots en -êche, -êle, -ême, -êne ou -être, pour que les poètes ne soient pas amenés à les faire rimer avec des mots à accent grave. En ce cas, il faut bien faire quelque chose pour eux. On ne doit donc pas souligner fâcheusement des licences nécessaires, en accentuant la différence de prononciation, mais au contraire rapprocher l’è de l’ê, et en général l’e qui peut s’ouvrir davantage de l’e très ouvert, qui ne peut guère s’ouvrir moins. Par exemple, si le poète fait rimer crèche et prêche, cisèle et zèle, centième et Bohême, gangrène et frêne, pénètre et fenêtre, rimes excellentes d’ailleurs et peu discutables, ce serait le trahir que de ne pas ouvrir l’e partout aussi également que possible, comme il a probablement voulu qu’on l’ouvrît. Et si même il a fait une erreur, il faut pallier cette erreur quand on le peut.
Il résulte aussi de toutes nos observations que le degré d’ouverture de l’e est souvent discutable, et qu’on a le droit de différer d’opinion sur ce point. Il ne faut donc pas attacher à ce détail trop d’importance: on ne sera jamais ridicule parce qu’on l’ouvrira un peu plus ou un peu moins, et il y a des fautes beaucoup plus graves. La faute grave ici consiste à fermer des e qui sont certainement ouverts. On a pu voir que la tendance générale, due peut-être à la poésie, est de les ouvrir, et beaucoup sont ouverts qui jadis étaient fermés, comme ceux des mots en -ège. Or dans beaucoup d’endroits on continue à les fermer: on prononce collége, bonnét et même bônét, achéte et emméne; c’est là une prononciation dialectale, qui est tout à fait vicieuse.
4º L’E atone.
Nous savons déjà qu’en principe l’e atone est moyen dans tous les sens; du moins il n’est jamais complètement fermé, notamment devant un r. Et il n’est pas plus fermé quand il a l’accent aigu que quand il est suivi de deux consonnes: révéler ou dégeler n’ont de vraiment fermé que l’e final, dont les autres diffèrent peu ou prou; il en est de même de desseller ou effréné. Beaucoup de ces e ont été fermés autrefois, notamment tous ceux qui ont l’accent aigu, et particulièrement les préfixes é- et dé- (autrefois es- et des-): élèves, défaire; ils s’ouvrent aujourd’hui de plus en plus, au moins à demi, et plus qu’à demi[184]. Nous avons vu l’e fermé de rez s’ouvrir à moitié dans rez-de-chaussée, aussi bien que celui de pied dans piéton; et quoique l’e généralement fermé de mes, les, des, reste fermé aussi dans les composés, mesdames, lesquels, desquels, etc., il s’ouvre à demi dans messieurs, parce que les composants n’y sont plus reconnus. Inversement, celui de fièvre ou nègre se ferme légèrement dans fiévreux ou négresse.
Toutefois, de même que l’a tonique fermé restait souvent fermé en devenant prétonique par suite de la flexion, de la dérivation ou de la composition, de même l’e tonique ouvert et long reste souvent tel ou à peu près dans les mêmes conditions.
Ainsi l’e prétonique est ouvert et long d’abord quand il a l’accent circonflexe, mais naturellement un peu moins dans pêcher ou pêcherie que dans pêche, beaucoup moins même dans prêter, revêtir ou traîtresse que dans prête, revête ou traître.
Cette conservation de l’e ouvert est d’ailleurs combattue par la tendance que l’e prétonique paraît avoir à se fermer devant une tonique fermée: phénomène d’assimilation ou d’accommodation. Ainsi l’e se ferme tout en restant long dans fêlure, bêtise, têtu et même entêté, malgré l’e ouvert de fêle, bête, tête. Toutefois cette prononciation appartient presque uniquement à la langue courante et familière, et ne serait point admise par exemple en vers[185].
L’e prétonique est encore fermé, sans être proprement long, devant un e muet: fé(e)rie, gré(e)ment.
Beaucoup d’e prétoniques sans accent circonflexe restent aussi ouverts et longs un peu plus qu’à demi: zèle, pierreux ou empierrer, serrer ou serrure, terreau, terrer ou enterrer, verrée, brièvement, grièvement et les adverbes en -èrement rappellent d’assez près zèle, serre, terre, brève, etc. On y joindra perron, je verrai, j’enverrai, la bobinette cherra.
On notera que l’e des verbes en -érer, comme celui des verbes en -arer, est tout à fait moyen, ce qui met une assez grande distance entre libérer et libère, tolérer et tolère; cela tient sans doute à ce que l’e des formes toniques a dû être ouvert et allongé par l’r final, tandis que l’e atone gardait sa quantité normale.
Il en est de même de ferrer, ferrure, guerrier, verrière, et des mots où deux r se prononcent, comme terreur. Par analogie peut-être, des mots comme maniéré ou arriéré ont pris aussi l’e moyen[186]; à fortiori ferrailler, guerroyer, terrasser ou atterrissage, verroterie, etc., où l’e est plus éloigné de la tonique.
5º Quelques cas particuliers.
Fainéant se prononce fégnan dans le peuple; mais les personnes cultivées ont droit d’articuler fai-né-ant[187].
On a vu plus haut que l’e de femme se prononçait a, et pourquoi. Il en est de même de celui de solennel ou solennité, de rouennais et rouennerie, et des adverbes en -emment, comme fréquemment et ardemment, etc.: dans tous ces mots aussi, le son primitif an s’est dénasalisé en a et en même temps s’est abrégé[188].
Le même phénomène s’est produit dans bien d’autres mots, comme ennemi, passé de en-nemi nasal à a-nemi; mais a-nemi est devenu depuis e-nemi, à cause de l’orthographe. C’est ce qui s’est fait aussi, malgré les efforts désespérés des grammairiens, dans nenni et dans hennir ou hennissement, qui, après être passés de an à a, sont aussi passés de a à e[189].
Dans indem-niser ou indem-nité, il en est de même, et la prononciation indamnité, qui n’est pas rare, sera bientôt aussi surannée que hanir: toujours l’influence de l’orthographe. Cette influence commence même à se faire sentir, non pas peut-être dans solennel, mais du moins dans solennité[190].
Il faut éviter avec soin de traiter l’é de déjà comme un e muet: il est d’jà venu[191].
L’e intérieur latin, qui ne prend pas d’accent, est aussi généralement un e moyen, plus ou moins ouvert[192].
Il en est de même des diphtongues œ et æ: œsophage, œdème, œcuménique, œnophile, ærarium, ad vitam æternam, etc.[193]. Toutefois on ferme œ dans fœtus ou cœcum, æ dans ex æquo ou æquo animo.
6º L’E des mots étrangers.
Dans les mots étrangers, l’e intérieur, aussi bien que l’e final, n’a pas d’accent aigu dans les cas où nous en mettrions un; mais il se prononce comme s’il l’avait, surtout s’il porte l’accent tonique. Ainsi l’e est à demi ouvert dans impresario ou mezzo, dans brasero, romancero, torero, et aussi dans event, revolver, remember; il est même fermé dans peseta; mais il est muet dans record, qui est complètement francisé, si bien qu’il ne se prononce même pas dans recordman, qui est manifestement étranger[194]. D’autre part, quand l’e intérieur est atone, il est souvent presque muet, surtout en allemand[195].
L’o germanique surmonté d’un tréma se prononce eu en allemand et aussi en suédois. L’œ, par lequel nous le représentons, faute de caractère typographique spécial[196], se francise quelquefois en é dans certains noms propres[197]. D’autres fois, mais rarement, il se décompose en o-ë[198]. Mais le plus souvent il garde le son germanique eu, comme dans fœhn[199].
Dans beaucoup de mots étrangers, surtout allemands, l’e ne sert qu’à allonger l’i qui le précède, comme dans lied, mot savant qui a pu garder sa prononciation originale lîd[200].
L’e double germanique n’est qu’un e fermé long[201].
L’e double anglais, final ou non, se prononce encore i, par exemple dans meeting, sleeping, queen, spleen, keepsake, yankee, pedigree, street, speech ou steeple[202]. Cet i est long; mais nous l’abrégeons souvent, notamment dans keepsake, parce que nous déplaçons l’accent[203].
7º Les groupes AI (ay) et EI (ey).
Ai ou ei, ainsi que ay ou ey, se prononcent généralement comme è ouvert[204].
I. AI final.—Ai final, sans consonne, était jadis fermé comme é. Il ne l’est plus guère aujourd’hui que dans j’ai, mais non pas dans ai-je, qui suit l’analogie des mots en -ège.
A Paris, on continue à fermer la finale dans geai, gai (avec gaie, gaiement, gaieté) et quai, au pluriel comme au singulier; mais cela n’est point indispensable: cela devient même dialectal[205]. D’ailleurs, cette prononciation est probablement destinée à disparaître dans ces mots comme dans les autres. Mai prononcé mé est tout à fait suranné, et aussi incorrect que vrai prononcé vré[206]. Dans je sais, le son fermé, qui remonte sans doute à l’époque où l’on écrivait je sai, n’est guère meilleur aujourd’hui que dans mai[207]. Enfin les futurs, qui jadis se distinguaient des conditionnels (aimerai par é, aimerais par è), ne s’en distinguent plus aujourd’hui que par un effort volontaire, qu’il est inutile de s’imposer[208].
Même les mots anglais en -ay et -ey, qui se prononcent é en anglais, se francisent parfaitement, mais ne le font qu’en s’ouvrant: tramway, jockey, trolley, poney, jersey, comme boghei, transcrit de l’anglais buggy, et parfois écrit boghet ou boguet[209].
Donc, d’une façon générale, ai final est devenu sensiblement identique à ais, qui est très ouvert, quoique le peuple le ferme souvent, à Paris et ailleurs; et l’on peut dire qu’en définitive ai est ouvert à peu près partout et se prononce è, qu’il y ait ou non une consonne, et quelle que soit la consonne, -aid, -ais, -ait, -aix, et aussi -aît; car les mots en -aît, comme les mots en -êt, ne se distinguent guère des autres, et connaît ou paraît, comme benêt ou forêt, ne se prononcent pas autrement que bonnet ou cabaret.
Ainsi entre fais, parfait, portefaix, préfet, profès, il n’y a que des différences d’orthographe; de même entre essai, je sais, décès, français, forçait, corset, entre balai, palais, galet, égalait, legs, trolley, déplaît: les mots de tous ces groupes riment parfaitement ensemble pour l’oreille, et même richement[210].
Comme les finales en -é ou -et, toutes ces finales sont également moyennes pour la quantité. La finale -aie ou -aies s’allonge un peu en vers, mais cette différence est insensible dans l’usage courant: est-ce vrai ou est-elle vraie ne se prononcent pas de deux manières, et le subjonctif j’aie ne diffère de j’ai que par le timbre, c’est-à-dire par l’ouverture[211]. Il faut seulement éviter de changer -aie en -aye (ai-ye).
II. AI suivi d’une consonne articulée.—Suivis d’une consonne articulée, ai ou ei suivent naturellement le sort de l’e dans les cas correspondants, c’est-à-dire qu’étant toujours ouverts, ils peuvent être néanmoins plus ou moins brefs ou longs; mais ils sont quelquefois un peu plus longs que l’e.
1º Devant une sourde, c, t, ch ou s, il y a peu de différence. On ne prononce pas de deux manières échec et cheik, ni estafette et parfaite[212]; de même soubrette et distraite, sèche et seiche[213]; et la différence est mince, s’il y en a une, entre abbesse et bouillabaisse[214]; entre fesse et affaisse, peut-être même entre paresse et paraisse, avec serait-ce, ou encore était-ce et politesse[215].
Toutefois les finales en -aisse, autrefois longues, ont encore une tendance à s’ouvrir plus que les autres: ai est resté certainement long dans baisse, caisse et graisse, et leurs composés; les autres, laisse, naisse, connaisse, paisse, épaisse, sont devenus douteux: notamment quand on dit caisse d’épargne, ou baisse de fonds, ou graisse d’oie, on ne se soucie guère d’allonger aisse[216].
Devant d et j, ai ou ei sont encore sensiblement pareils à è, et raide se prononce comme remède[217]; on ne distingue pas neige et beige de manège et arpège, ni fais-je et vais-je de solfège ou collège. Pourtant aide et plaide s’allongent assez facilement; sais-je aussi.
De même paye, raye, bégaye, grasseye riment très exactement avec oreille et Marseille[218]; baigne, daigne, saigne et châtaigne, aussi bien que peigne, empeigne, enseigne et teigne, et tous les subjonctifs en -aigne et -eigne, ne se distinguent pas davantage de duègne et règne, et s’allongent même moins facilement, sauf tout au plus baigne, daigne, saigne et peut-être craigne, dans la prononciation oratoire[219].
2º En revanche, le mot aile s’est allongé, comme elle après une préposition[220]. Le mot aime aussi, du moins à la rime, mais non pas essaime. Et ces finales n’ont pas d’autres mots.
Les finales -aine et -eine sont au contraire très fréquentes, et celles-là, souvent brèves autrefois, sont aujourd’hui plutôt longues, comme celles de beaucoup de mots en -ène: prochaine rime très exactement avec chêne, comme avec chaîne et Duchesne[221]; de même reine et marraine avec rênes et sirène. Pourtant graine et migraine ont plutôt ai bref ou moyen, et aussi daine (féminin de daim), et bedaine, et peut-être naine[222].
Les finales -air et -aire, -aise et -eize sont longues à fortiori, sans exception, ainsi que le mot glaive[223]. Il n’y a qu’une prononciation pour r, air, ère, hère, erre, aire et haire, et lorsque grammaire avait encore le son nasal, il se confondait avec grand’mère, au moins à partir du XVIIᵉ siècle[224]. De même c’est l’identité de prononciation qui a fait transformer les pantoufles de vair de Cendrillon, qui étaient des pantoufles de fourrure, en absurdes pantoufles de verre.
Il n’y a pas d’avantage de différence possible entre treize, fraise et diérèse, seize, française et diocèse[225].
Les mots faible, aigle et seigle, aigre, vinaigre et maigre ont également la finale longue, plus longue que les mots correspondants en -èble, -ègle et -ègre; toutefois cette quantité ne s’impose ni pour faible ni pour seigle.
Les mots en -aître ont tous l’accent circonflexe[226].
III. AI atone.—Ai tonique long et ouvert garde assez facilement sa quantité, à peu près du moins, en devenant atone: fraîcheur, maigrir, aider, aimer, abaisser, laisser, fraisier, paisible, vous vous tairez, et tous les mots en -airie, rappellent suffisamment fraîche, maigre, aide, etc.; l’orthographe y aide beaucoup, l’r et l’s encore plus peut-être.
Mais les exceptions sont nombreuses. Dans affairé, ai est aussi moyen que dans parfaitement. Même dans gaîté, malgré l’accent circonflexe, ai est à peu près identique à l’e bref, à peine ouvert, de guetter[227]. Ici aussi on peut voir trois degrés différents pour la quantité, par exemple daigne, daigner et dédaigner.
De plus, ai prétonique, comme ê, a une tendance assez marquée à se fermer devant une tonique fermée, mais généralement sans s’abréger; ainsi dans aimer, aisé, laisser, saigner, etc., et même dans plaisir, saisir, épaissir, ou dans aigu, laitue, rainure. Il n’y a lieu ni de lutter contre cette tendance, ni de se croire obligé de s’y conformer; mais elle appartient plutôt à la conversation très familière[228].
Mais voici qui est plus particulier. Aujourd’hui encore, ai se réduit à un simple e muet dans les formes de faire et les mots dérivés où ai atone est suivi d’un s: nous faisons, je faisais, nous faisions, faisant, et aussi bienfaisant et malfaisant, faisable et faiseur, qui doivent se prononcer fesais, fesons, etc., en opposition avec bienfaiteur et malfaiteur, où ai est suivi d’un t.
C’est encore une des bizarreries de notre orthographe; nous écrivons bien je ferai au futur, comme nous prononçons, et non pas fairai, malgré l’identité constante d’orthographe entre le futur et l’infinitif; pourquoi pas aussi bien je fesais? C’est ce que faisait ou fesait Voltaire. Pourquoi l’Académie n’a-t-elle pas suivi son autorité, comme elle s’est décidée à le faire pour les mots en -ais, au lieu de -ois? La conséquence, c’est qu’on se met de plus en plus à prononcer faisais, faisons, et surtout bienfaisant et bienfaisance, comme on écrit, et il y a des chances pour que cette prononciation fautive finisse un jour par prévaloir.
Cette prononciation d’e pour ai a été longtemps aussi la seule correcte pour faisan, faisane, faisandeau, faisander; mais elle tend déjà à disparaître dans ces mots, en attendant qu’elle disparaisse dans les autres.
Le groupe ouai s’est prononcé oi dans certains mots, comme le groupe oue: on disait doirière, comme on disait foiter; mais cette prononciation est aussi surannée aujourd’hui dans douairière que dans souhait et souhaiter, ou dans fouet[229].
IV. Le groupe AIGN.—Il en est du groupe aign comme du groupe oign, non pas partout, mais dans beaucoup de mots; il contenait à l’origine une voyelle simple, a, suivie d’un n mouillé, qui s’écrivait ign[230].
Ceux de ces mots qui ont perdu leur i, ga-(i)gner, monta-(i)gne, a-(i)gneau, compa-(i)gnon, ont sauvé leur prononciation; ceux qui ont gardé leur i, ara-igne, châta-igne se sont altérés, l’i s’étant joint indûment à l’a: arai-gnée, châtai-gne. Tous ces mots se prononcent depuis longtemps comme ils s’écrivent[231].
V. Les mots étrangers.—Nous avons vu les finales anglaises -ay et -ey se prononcer en français comme e ouvert et non fermé; nous ouvrons aussi ai dans bar-maid, cock-tail, mail-coach, daily(-News) ou rocking-chair. Quelques-uns prononcent de même rail ou railway.
Au contraire, bairam se prononce baïram (quelquefois béïram), aï faisant une seule syllabe, comme dans l’allemand kaiser. Mais scheik est francisé en chèc et non en cheïc. Vayvode a été remplacé par voïvode[232].
Le groupe allemand ei est une diphtongue qui se prononce à peu près aï, monosyllabique. On le francise à moitié dans gneiss ou edelweiss, où l’on fait sonner tout au moins une semi-voyelle (eye au lieu de aye). Mais il importe d’articuler nettement et à l’allemande, c’est-à-dire aï ou aye, dans reichstag ou reichsrath, dans vergiss mein nicht, dans leit-motif, zollverein, etc.; et cela vaut mieux également pour edelweiss[233].
Le mot geyser, qui devrait se prononcer comme kaiser (beaucoup, néanmoins, prononcent ka-i-ser, à l’allemande), est un des exemples les plus curieux de l’habitude que nous avons de franciser à demi; le g a gardé le son guttural et la diphtongue ey est restée diphtongue, mais en se francisant par e, et la finale a pris l’e ouvert et long qui est purement français: gheïzèr[234].
III.—LA VOYELLE EU.
Le groupe eu est depuis longtemps une voyelle simple, ouverte et fermée, dont le son se rapproche de celui qu’a l’e muet quand il n’est pas muet[235].
1º EU final.
Eu final est fermé partout comme é final, et de plus moyen comme toutes les voyelles finales. Il y a d’ailleurs peu de mots en -eu sans consonne à la suite; une dizaine de mots en -ieu: dieu, lieu, pieu, etc., et une douzaine d’autres en -eu: feu, jeu, etc., avec quelques mots en -eue, où l’e muet ne change rien: lieue, banlieue, queue et les féminins feue et bleue[236].
Avec une consonne non articulée à la suite, il y en a davantage et le son eu y est toujours fermé. Ce sont d’abord et surtout les adjectifs et substantifs en -eux, qui sont fort nombreux, sans compter les pluriels comme dieux et bleus[237]. Il y faut joindre les mots suivants:
1º Le mot nœud, qui devrait naturellement s’écrire et s’est longtemps écrit neu, tout simplement, comme nu.
2º Les pluriels œu(fs) et bœu(fs), et aussi le singulier bœu(f), à Paris du moins, dans l’expression carnavalesque bœu(f) gras, où l’f final est muet devant une consonne, suivant la règle d’autrefois[238].
De plus et surtout, malgré l’affaiblissement de l’accent, l’adjectif numéral neuf devant un pluriel commençant par une consonne: les neu(f) muses, neu(f) cents, neu(f) mille, ainsi que dans neuf heures et neuf ans, où il y a seulement liaison, avec changement de l’f en v; toutefois, dans ces deux expressions, eu tend déjà à s’ouvrir[239].
3º Monsieur, comme messieurs, souvenir de l’époque où l’r avait cessé de se prononcer dans tous les mots en -eur[240].
4º Les formes verbales pleut, meux et meut, peux et peut, veux et veut. Cependant veux et veut tendent parfois à s’ouvrir.
2º EU suivi de consonnes articulées.
I. EU fermé.—Quand eu est suivi d’une consonne articulée, il est assez généralement ouvert; mais il est encore fermé dans certains cas, et alors il n’est plus moyen, mais long, notamment dans tous les mots en -euse, comme dans les mots en -ase: baigneuse, glaneuse, vareuse, etc.[241]. Ceci est très important, car c’est un des points sur lesquels les prononciations dialectales sont le plus incorrectes, et l’incorrection est bien plus sensible dans -euse que dans -ase.
Outre les mots en -euse, eu tonique avec consonne articulée est encore long et fermé dans les mots suivants:
1º Les onomatopées beugle et meugle; on peut d’ailleurs ouvrir ces mots quand ils riment avec aveugle: cela vaut mieux que de fermer eu dans aveugle.
2º Le mot veule, auquel meule s’est ajouté depuis un siècle, malgré l’étymologie.
3º Le substantif jeûne, que la prononciation aussi bien que l’accent distingue de l’adjectif, jeûne ouvert étant tout à fait incorrect. Mais déjeune, qui n’a plus d’accent, est beaucoup moins fermé, et s’ouvre même un peu trop[242].
4º Les mots en -eute et -eutre, contrairement aux principes ordinaires: meute, bleute, etc., et feutre, calfeutre, neutre, pleutre.
5º Un certain nombre de mots savants ou techniques, à finales uniques ou rares: phaleuce, leude, neume et empyreume[243].
II. EU ouvert.—Partout ailleurs eu tonique est ouvert, avec quelques différences de quantité.
Il est bref, ou tout au plus moyen, quand il est suivi d’une consonne autre que r et v, notamment dans les mots en -euf (sauf les exceptions indiquées plus haut): œuf, neuf, veuf[244]; dans les mots en -eul et -eule (sauf meule et veule): seul, filleul, gueule, veulent[245]; enfin dans l’adjectif jeune. Il n’est guère plus long dans peuple, meuble, esteuble, et même aveugle[246].
Les finales mouillées, -euil et -euille, sont un peu moins brèves: deuil et seuil, feuille et veuille. A cette catégorie appartiennent les mots en -cueil et -gueil, où la présence nécessaire d’un u à côté du c ou du g empêche d’en mettre un second après l’e: accueil, écueil, cercueil, orgueil, et aussi le mot œil, qui s’est longtemps écrit ueil[247].
Les consonnes qui allongent réellement eu ouvert sont seulement r et v, car nous avons vu que les finales en -euse étaient, de plus, fermées[248]. Il ne reste donc plus que les finales suivantes:
1º -eur (avec ou sans s ou t) et -eure ou -eurre: labeur et beurre, cœur et chœur, écœure et liqueur, leurre, leur et leurs, sieur et plusieurs, pleurs et pleure, meurt et meurent, sœur, etc.[249].
Nous avons vu plus haut que monsieu(r) et messieu(rs) faisaient exception, et pourquoi. Cet amuissement de l’r s’est maintenu dans les équipages de chasse à courre, pour le mot piqueu(r), qu’on écrit même quelquefois piqueux; et dans certains milieux de sport aristocratique, ce serait un signe de roture indélébile que de prononcer piqueur comme le vulgaire[250].
2º -euve et surtout -euvre: fleuve et abreuve, œuvre et pieuvre[251].
Nous avons parlé plus haut des prononciations dialectales qui ouvraient eu partout, et notamment dans les finales en -euse. D’autres, au contraire, ferment eu partout, même dans -eur et -euve, et le défaut est tout aussi grave[252].
Remarque.—Il ne faut pas confondre le son eu avec l’u des mots comme gag(e)ure, où un e s’est intercalé dans l’orthographe, entre le g et l’u, pour garder au g le son chuintant du radical[253].
C’est également le son u, et non eu, qu’on a dans le participe (e)u, du verbe avoir, ainsi que dans le prétérit et l’imparfait du subjonctif, j’(e)us, que j’(e)usse: l’e conservé par ces formes faisait diphtongue autrefois dans beaucoup de verbes, comme receu, peu; mais il a disparu partout, depuis que la diphtongue s’est réduite à u, et son maintien dans le seul verbe avoir est assez ridicule[254].
3º EU atone.
Eu tonique fermé, devenu atone par flexion ou dérivation, se maintient fermé et long dans la plupart des cas: beugler et beuglement, meulière, jeûner, creuser, bleuir et bleuter, deuxième, ameuter, feutrer et calfeutrer, neutralité, lieutenant, et les adverbes en -eusement.
Nous avons vu plus haut eu ouvert suivi d’f se fermer quand f se changeait en v par liaison: neuf ans, neuf heures. Nous retrouvons le même phénomène dans neuvième et neuvaine, où il tend aussi à s’affaiblir. Nous le retrouvons encore, et même plus nettement, dans hareng œuvé et terre-neuvas, malgré l’eu ouvert d’œuf et neuve[255].
Au contraire, bleuet abrège eu, qui même se réduit à u dans bluet. D’autre part, peu s’ouvre sensiblement dans à peu près, encore plus dans peut-être, étant abrégé par le voisinage de la tonique qui est longue. Il devient même si bref et si rapide, qu’il disparaît souvent complètement dans la conversation très familière, comme si c’était un e muet: p(eu)t-êt(re) qu’il est venu[256].
Eu atone est encore fermé en tête des mots, dans eurythmie, où il est suivi d’un r, aussi bien que dans eunuque, euphémisme ou euphonie[257].
Eu est encore fermé dans jeudi, dans meunier, et parfois dans feuillage et feuillée, malgré l’ouverture de feuille; enfin dans des mots techniques ou savants, comme feudiste et feudataire, deutéronome, ichneumon, pneumonie, pseudonyme, teuton et teutonique, et les mots en-eutique et-eumatique[258].
Malgré ces exemples, on peut dire qu’en général eu atone est ouvert, notamment devant un r, mais naturellement plus bref, et par suite moins ouvert, dans abreuver que dans abreuve, dans heureux ou malheureux, fleurdelisé ou effeuiller que dans heur, fleur ou feuille; il reste pourtant ouvert et long, comme la tonique, dans la plupart des verbes en -eurer: beurrer, écœurer, désheurer, leurrer et pleurer, tandis qu’il est bref dans demeurer, fleurer, effleurer.
Signalons, pour terminer, une faute de prononciation qui ne date pas d’aujourd’hui, que des grammairiens même ont cru devoir autoriser: c’est celle qui consiste à prononcer eil au lieu de euil, à cause de l’orthographe, dans orgueilleux ou enorgueillir, qui, évidemment, ne sauraient se prononcer autrement qu’orgueil. Il est vrai qu’orgueil lui-même est parfois assez altéré; mais ceci est plus extraordinaire, et même assez ridicule. Tout de même, on est surpris d’entendre enorghé-yir jusqu’à la Comédie-Française.
IV.—LA VOYELLE O
1º L’O final.
L’o final est fermé, comme é et eu, et moyen, comme a, é et eu: adagio, numéro, domino[259].
L’s non articulé ne saurait ouvrir l’o: chaos, repos, gros, des dominos. Nos et vos eux-mêmes, quoique proclitiques, et par suite dénués d’accent, restent fermés, et leurs o sont même plus longs que les autres.
Il n’en est pas tout à fait de même du t non articulé, quoique les mots en -ot se soient progressivement fermés: sans être assurément ni ouverts ni brefs, ils sont cependant un peu moins fermés en moyenne que les précédents. Je dis en moyenne, car il faut distinguer.
Ceux qui ont une voyelle devant l’o ont toujours l’o fermé, ou à peu près: cahot, idiot, chariot, et, par analogie, fayot, caillot, maillot. D’autres encore font comme eux: mégot, margot, sergot, livarot, paletot, pavot; mais c’est la minorité[260].
La plupart des autres sont souvent beaucoup moins fermés, au moins hors de Paris. Le moins qu’on puisse dire est que leur prononciation est un peu flottante: ainsi jabot, calicot, cachot, fagot, gigot, grelot, mot, canot, pot, pierrot, dévot, et aussi bien leurs pluriels[261]. Sans doute, l’o de ces mots n’est jamais proprement ouvert chez les personnes qui prononcent correctement, mais il arrive souvent qu’il n’est pas fermé non plus, même chez ceux qui ont l’habitude de fermer l’o final. La différence est rendue particulièrement sensible par le voisinage immédiat de mots à son fermé:
En cuisine peut-être auraient été des sots.
Beaux est ici fermé, comme partout: quoiqu’il soit moins accentué que mots, ce qui aurait pu contribuer à l’ouvrir un peu, c’est pourtant lui qui est le plus fermé des deux. La différence est moindre assurément que dans beaux hommes; elle est cependant certaine, et la demi-ouverture de mots entraîne celle de sots[262]. Il se pourrait, d’ailleurs, que le mot mot fût précisément celui qui s’ouvre le plus fréquemment ou le plus facilement, sans qu’il y ait lieu de distinguer comme autrefois entre le singulier et le pluriel. Toutefois, celui-là même n’est jamais ouvert qu’à moitié.
Il n’y a qu’un seul mot en -ot dont l’o soit tout à fait ouvert et bref, mais c’est parce que le t se prononce: c’est dot, la prononciation do étant dialectale.
Il va sans dire que cet o, même fermé, s’ouvre dans les composés, où il cesse d’être tonique, et où, très souvent, le t se lie avec le mot suivant: sot-l’y-laisse, mot-à-mot, pot-à-l’eau, pot-au-lait, pot-au-feu, pot-aux-roses, et même, sans liaison, pot à tabac.
Aux mots en -ot se joignent quelques autres mots à consonne non articulée, dont la finale n’est pas non plus tout à fait ou toujours fermée. Ce sont: broc, croc, avec accroc et raccroc, escroc, galop, sirop, et trop[263]. On notera que trop est presque toujours proclitique, et, par suite, a tendance à s’ouvrir tout à fait: c’est trop juste, ou mieux encore avec liaison: vous êtes trop aimable; aussi est-il bien difficile de ne pas l’ouvrir un peu, même quand il est tonique: j’en ai beaucoup trop. De même l’o est ouvert dans le composé croc-en-jambe, où le c sonne.
Malgré ces restrictions, on peut maintenir néanmoins que le son o final est, en général, fermé ou à peu près, surtout à Paris. Et la tendance est si marquée que, dans les mots raccourcis de la fin, qui se créent précisément à Paris, l’o intérieur, qui était au moins à demi ouvert dans le mot complet, se ferme en devenant final: on peut comparer kilogramme et kilo, typographe et typo. De même mélo, chromo, métro, photo, hecto, aristo, Méphisto, et même auto, malgré le son fermé qui précède l’o[264].
2º L’O suivi d’une consonne articulée.
Quand l’o est suivi d’une consonne articulée, il est, comme eu, assez généralement ouvert; mais lui aussi est fermé dans certains cas et, de plus, long.
I. O fermé.—L’o est fermé et long, avant tout, dans tous les mots en -ose, comme eu dans la finale -euse: on peut comparer chose et fâcheuse, dose et hideuse, rose et peureuse; et, de même que pour -euse, c’est un des points sur lesquels il importe le plus de corriger certaines prononciations dialectales, qui ouvrent partout o et eu[265].
A part les mots en -ose, o tonique avec consonne articulée n’est plus fermé et long qu’avec l’accent circonflexe, et dans un certain nombre de mots en -ome, -one, -os et -osse, que nous allons voir dans leurs catégories respectives.
Partout ailleurs l’o tonique est ouvert, mais, comme a, e et eu, avec certaines différences de quantité[266].
II. O ouvert bref.—L’o est naturellement bref devant une explosive brusque, c, t, p, ou une spirante sourde, f, ch, s: roc, coke, baroque, loch et même l(o)och, en une syllabe; dot, radote et carotte; stop, stoppe et métope; sous-off, étoffe et philosophe; roche; rosse et féroce[267].
Il n’y a d’exceptions que pour l’s.
D’abord l’o est long et fermé dans adosse et endosse (de dos), dans grosse et engrosse (de gros), dans fosse (on ne sait trop pourquoi), et aussi désosse (du pluriel os).
Mais surtout les mots en -os demandent un examen particulier. En principe, l’o y est ouvert et bref, mais il y a une tendance manifeste à le fermer et à l’allonger, peut-être par analogie avec les mots en -os à s non articulé. On dit, et on doit dire de préférence: un os, avec o ouvert et en faisant sonner l’s, des o(s), avec o fermé, comme do(s) et gro(s); toutefois, on dit de plus en plus des os avec o fermé et s articulé; et cette prononciation réagit parfois sur le singulier: un os, avec o fermé[268]. D’autre part, les avis sont partagés sur rhinocéros, mérinos, albatros, et même albinos; je pense qu’il vaut mieux fermer l’o dans ces quatre mots[269].
A vrai dire, les mois en -os, dont le nombre s’est fort augmenté, sont empruntés au grec le plus souvent, et la plupart sont des noms propres. Ceux qui n’en sont pas, mots savants, comme pathos, tétanos, peplos, cosmos, ou sphynx atropos, devraient tous avoir l’o bref, en vertu de l’étymologie. Mais cette prononciation, qui est de pure érudition, est en contradiction avec la tendance du français pour les mots en -os. Dès lors, une foule de gens fort instruits, et même sachant du grec (il est vrai qu’ils le prononcent fort mal), ferment l’o sans hésitation, par exemple, dans ce vers de Molière:
Il en est de même pour tétanos, et cette prononciation est peut-être destinée à l’emporter sur la bonne. Elle ne peut, d’ailleurs, choquer que les érudits[270].
III. O ouvert moyen.—L’o est un peu moins bref devant une sonore, soit explosive, b, d, g, soit surtout spirante, j, v (et même parfois z), et devant l, m, n, et gn mouillé: ainsi snob et robe, pagode ou rapsode, grog et drogue; puis col, école, décolle, et même alc(o)ol, réduit à deux syllabes[271]; homme et métronome; micron, matrone et patronne; enfin, horloge, innove et ivrogne[272].
Seules les finales -ome, -one et -oz appellent quelques observations.
1º Autrefois on distinguait les finales -omme et -ome: les mots en -omme, mots de la langue commune, qui sont bien huit ou dix, avaient seuls l’o ouvert[273]; les mots en -ome, mots savants, avaient au contraire l’o fermé, au moins à partir du XVIIᵉ siècle. Cette prononciation était justifiée dans beaucoup de cas par l’étymologie, notamment dans symptôme et diplôme, qui ont pris l’accent; dans idiome et axiome, qui ne l’ont pas pris, et aussi dans brome, chrome, amome, gnome et arome. Est-ce par analogie que tant d’autres suivirent? Toujours est-il que prodrome et hippodrome, tome, atome ou épitome (remplacé depuis par épitomé), nome, économe, et même astronome, et aussi majordome, n’avaient aucune raison de fermer leur o[274]. Ils le fermèrent pourtant, sans doute en qualité de mots savants. Que dis-je? On en vit deux, à o également bref d’origine, qui allèrent jusqu’à prendre l’accent circonflexe: dôme et monôme, avec binôme et polynôme[275]. Ceux-là sont altérés pour longtemps par l’orthographe. Pour les autres, on est revenu en arrière, mais on y a mis le temps, et il en reste encore quelque chose.
Quoiqu’il n’y ait plus guère de divergence sur la prononciation de métronome, astronome, autonome, qui ont certainement l’o ouvert, on trouverait sans peine des vieillards qui ferment encore l’o dans économe; et l’on hésite souvent sur les autres[276]. La tendance à ouvrir est cependant très marquée; et même on voit se produire depuis une génération le phénomène inverse: on avait fermé des o légitimement ouverts; on a ouvert des o légitimement fermés. Amome, ou du moins cinnamome, ne se dit plus guère avec o fermé[277]; gnome et arome ouvrent leur o de plus en plus souvent, et polychrome encore davantage. Je ne vois guère, sans accent circonflexe, que idiome et axiome qui résistent avec succès; et encore ils sont certainement touchés[278].
2º C’est une observation toute pareille qu’on peut faire sur les mots en -one, mots savants ou noms propres, qui autrefois avaient l’o long et fermé, par opposition aux mots en -onne, mots de la langue vulgaire, qui l’avaient bref et ouvert. Ici aussi, l’o fermé pouvait se comprendre dans des mots comme carbone, aphone, polygone, anémone, matrone, mots savants où se conservait la quantité étymologique[279]; ou encore dans automne, autrefois nasal, comme damne; il ne s’expliquait ni dans madone ou belladone, de l’italien donna, ni, et moins encore, dans atone ou autochtone, et pas davantage dans prône et trône, qui ont imité dôme et monôme[280]. Aujourd’hui, à part les mots que l’orthographe a altérés, prône et trône, cette prononciation a disparu à peu près, par assimilation de -one à -onne: sans parler d’anémone et matrone, qu’on ne discute pas, atone ne saurait garder l’o fermé à côté de monotone, ni aphone à côté de téléphone ou saxophone. Carbone et les termes mathématiques de la famille de polygone résistent encore, mais pas pour longtemps[281]. Je ne vois plus avec o long fermé d’une façon assez générale que zone et amazone, cyclone et icone; encore ces mots sont-ils atteints, surtout amazone[282].
3º Pour ce qui est de l’s doux, nous avons vu plus haut que les mots en -ose avaient l’o fermé. Comme il n’y a pas de finale féminine en -oze, il ne reste que les mots en -oz, sur lesquels l’accord n’est pas parfait; mais cette finale appartient exclusivement aux noms propres[283].
IV. O ouvert long.—De même que a, e et eu devant r, l’o est allongé dans -or (avec ou sans seconde consonne non articulée) et dans -ore (ou -orre), tout en restant très ouvert sans exception: or et hors, abord et abhorre, cor, corps, recors, accord, encor et encore, porc, port et pore, tord, tords, tort, retors, store et mentor, ne se prononcent pas de deux manières[284].
3º L’O suivi de groupes à liquides.
Dans les groupes à liquides, l’o est également ouvert. Il est plus ou moins bref ou moyen dans les finales en -ocle et -ocre, -ople et -opre, -otre, -ofle et -ofre, où l’o est suivi d’une sourde: socle et médiocre, sinople et propre, notre et votre, girofle et coffre[285]; il est un peu plus long dans les finales en -oble, -obre et -ogre: noble, sobre, ogre[286].
4º L’O atone.
L’o atone est exactement dans le même cas que l’a: tandis que l’o tonique peut être long en restant ouvert, l’o atone ne peut être long qu’autant qu’il est fermé, et ce n’est pas très fréquent. Ainsi l’o de dore ou dévore, n’étant pas fermé, s’abrège dans dorer ou dévorer.
L’o reste long pourtant, d’abord quand il conserve sur la prétonique l’accent circonflexe de la tonique: enjôler, enrôler (ou enrôlement), frôler, chômer, prôner, trôner, aumônier, ôter, côté, hôtel, prévôté, rappellent sensiblement geôle, rôle, prône, trône, etc., quoique l’accent circonflexe ne soit pas toujours justifié[287].
La prononciation de coteau, dérivé de côte, comme côté, a quelque chose d’irrégulier, car l’o de ce mot est tout à fait bref et ouvert; aussi a-t-il perdu son accent. Il est vrai que beaucoup de gens ouvrent aussi celui de côté (cf. accoter); et même il est assez rare qu’on maintienne fermé celui de côtelette, qui n’a pourtant que deux syllabes pour l’oreille.
A plus forte raison, quand l’accent circonflexe est plus éloigné, l’o reste difficilement fermé: il peut l’être dans fantômatique, qui est savant, et d’ailleurs fort peu usité, et aussi dans Hôtel-Dieu, car hôtel ne peut y changer de nature; mais l’accent d’hôpital, qui est le même mot qu’hôtel, ne sert plus absolument à rien[288].
On ouvre aussi assez généralement l’o de rôtir et de ses dérivés.
Même sans accent circonflexe, l’o reste ordinairement fermé et long dans ossements ou désosser[289]; dans dossier, adosser, endosser; dans grosseur, grossir ou grossier; dans fossé[290].
L’o est surtout fermé devant s doux ou z: oseille, groseille, osier, gosier, égosille, rosier, rosée, arrosoir, explosif, corrosif, et tous les verbes en -oser, avec les substantifs en -osion et même -osité, comme arroser, érosion ou générosité[291]. Il est moins fermé dans les mots en -osition, notamment dans préposition. Il est naturellement plus ouvert dans hosanna, mosaïque et prosaïque, et tous les mots qui commencent par pros-, ou même plus généralement par pro-.
L’o prétonique est encore fermé dans momier, momerie et momie, et dans les mots en -otion: lotion, émotion, notion, potion, dévotion[292]. Il est encore à peu près fermé, mais avec tendance à s’ouvrir, dans obus et odeur, et il s’ouvre naturellement dans leurs dérivés, qui sont polysyllabiques. Il est douteux et plutôt ouvert dans toper, dans vomir et ses dérivés, dans à l’orée, dans motus.
Malgré l’étymologie, l’o est tout à fait ouvert et bref dans disponible et poney[293]; de même dans moteur et motrice; il l’est surtout dans les verbes en -orer, et dans les dérivés des mots en -ot, suivant l’analogie des mots en -ote: cahoter, saboter, tricoter, flotter, voter ou votif, et même numéroter; de même abricotier ou idiotisme, tout comme escroquer ou galoper; et encore, peut-être par analogie, malotru ou otage.
Beaucoup de Parisiens ferment l’o dans ovale, mais ceci est purement dialectal, car o est ouvert partout devant v, comme devant r (à part alcôve, bien entendu).
Le souvenir de la quantité latine fera fermer correctement l’o dans variorum ou quorum (en opposition avec décorum ou forum, dont l’o est ouvert et bref); de même dans olim, dans ex voto ou ab ovo, dans le premier o de pro domo, qui est un o final; mais il est ouvert dans factotum et toton, dans soliste, et souvent même dans solo, dans quiproquo, oratorio et sanatorium, et naturellement les polysyllabes qui commencent par dodéca[294].
Remarque.—Par un phénomène d’assimilation que nous avons déjà constaté pour e ou ai, qui se fermaient devant une tonique fermée, la répétition de la même syllabe fait que l’o prétonique est presque aussi fermé que l’o tonique dans bobo, coco, rococo, dodo, gogo et lolo. Même le premier o de rococo, qui est le même que l’o ouvert de rocaille, tend à se fermer comme les deux autres. Ces mots étant uniquement du style familier, il n’y a pas lieu de réagir ici[295].
Devant une voyelle aussi, l’o tend à se fermer à demi: co-alition, co-habiter, co-efficient, bo-a, clo-aque, oa-sis, poème, assourdiraient leur syllabe initiale, si l’on ne veillait à la distinguer de la suivante; et cette tendance, livrée à elle-même, irait jusqu’à changer o en ou consonne, ainsi que cela s’est fait plus d’une fois, notamment dans moelle[296]. On fera bien d’y résister et d’ouvrir l’o. De plus, on doit prononcer les deux o séparément et ouverts dans quelques mots savants où on les trouve: co-opération, épizo-otie, zo-ologie, etc.[297].
5º L’O de quelques mots étrangers.
L’o est fermé dans l’anglais home, at home, et l’allemand kronprinz (sans nasale), mais l’r l’a ouvert dans folk lore; il est assourdi en ou dans time is money, ou to be or not to be[298].
L’o double anglais se prononce ou dans coolie, qu’on écrivait jadis couli, fort justement; dans book, arrow-root, foot-ball, groom, sloop, schooner, snowboot, waterproof[299].
L’o double flamand n’est qu’un o long, comme dans vooruit[300].
6º Le groupe AU.
Le groupe au (ou eau) se prononce généralement comme o fermé[301].
I. AU tonique.—Au final est pareil à o final: radeau, landau ou eldorado, panneau et piano, marteau et in-quarto ne se prononcent pas de deux manières.
Il en est de même quand il y a une consonne non articulée: faux, défaut, échafaud, avec cette différence que -aut (ou -aud) est un peu plus long et surtout plus fermé que -ot[302].
Devant une consonne articulée, tandis que les groupes oi ou ai sont toujours ou presque toujours ouverts, et souvent brefs, comme a ou e, au contraire le groupe au est régulièrement et très également fermé et long comme ô: aube, débauche, émeraude, chauffe, gaufre, sauge, saule, baume, faune, taupe, rauque, cause, fausse et sauce, faute et pauvre.
On ouvre quelquefois sauf, qui devient bref, surtout employé comme préposition, et aussi holocauste, en vertu du principe général des deux consonnes[303].
Mais l’exception capitale, c’est la finale -aur ou -aure: au y est toujours long, plus long que jamais, mais il y est ouvert autant et plus que fermé, car c’est le propre de l’r d’ouvrir les voyelles.
Ainsi au est ouvert d’abord dans saur, qui est pour sor (comme Paul pour Pol), et dans taure, qui est aussi pour tore (comme taureau est pour toreau), car au n’est dans ces mots que par réaction étymologique[304].
Et partout le groupe latin aur serait devenu or si on l’avait laissé faire, ce qui veut dire aussi que partout aur se prononcerait or ouvert, si l’érudition ne maintenait parfois le son o fermé. Ainsi l’usage le plus ordinaire ouvre la finale de centaure et Minotaure, proches parents de taure, et que les érudits seuls continuent à fermer, et plus encore celle de restaure, sur qui l’érudition n’a pas de prise. La finale -aure s’ouvre même dans des termes techniques, comme ichtyosaure ou plésiosaure[305].
II. AU atone.—Au atone est généralement fermé aussi, surtout quand il est prétonique, sauf devant un r: aubépine, auberge, audace, autel, etc., cauchois, caution, clabauder, chauffer, chausser, faussaire, mauviette, peaussier, etc., et les finales en -auté: cruauté, loyauté. Il est fermé même dans saurien, tauromachie et centaurée, malgré l’r, parce que ce sont des mots savants, et aussi dans vaurien, où le verbe primitif se reconnaît toujours.
Mais les exceptions sont fort nombreuses.
Au atone est ouvert d’abord devant un r, dans taureau, comme on vient de voir, et sauret; généralement aussi dans les futurs et conditionnels d’avoir et savoir[306]; dans aurore, auréole, aurifère ou aurifier[307]; et tout au plus est-il douteux dans laurier (pour lorier), lauréat, lauréole.
En second lieu il tend naturellement à s’ouvrir devant deux consonnes, non seulement dans augment et augmenter, où le phénomène est général, mais souvent aussi dans des mots comme ausculter ou auxiliaire, où il s’impose beaucoup moins, et même dans des mots où il est prétonique: auspice, austère, austral, cauch(e)mar ou encaustique.
Il s’est même ouvert sensiblement aussi devant une seule consonne, dans autoriser et autorité (mais non dans auteur), et surtout dans mauvais, sans parler de rigaudon, qui s’écrit aussi rigodon. D’une façon générale, il tend à s’ouvrir dans quelques mots très usités, d’abord dans les polysyllabes, authentique, automate, autonome, autopsie, cautériser, et aussi dans aumône, où il se distingue ainsi de l’ô qui suit, dans auguste, automne, épaulette (malgré épaule), paupière, ou même naufrage. Toutefois on prononce encore la plupart de ces mots plus correctement en fermant au, aussi bien que dans aujourd’hui, où il est tout à fait incorrect de l’ouvrir[308].
La diphtongue allemande au se prononce comme o fermé quand elle se francise: blockaus[309].
V.—LES VOYELLES I (y), U, OU.
Les voyelles i, u, ou, étant fermées par définition, ne se prononcent pas de deux manières. Les instruments délicats de la phonétique expérimentale constatent bien une petite différence de timbre, mais encore n’est-ce guère qu’entre les voyelles atones et les toniques, celles-ci étant un peu plus fermées[310].
Au point de vue de la quantité, nous ferons les mêmes distinctions que pour les autres voyelles.
1º La voyelle I.
L’i final est moyen, seul ou avec consonne non articulée, avec ou sans accent: hardi, crédit, rendit ou rendît, radis, outil, crucifix, riz, jury, Jésus-Christ ont la finale identique. Pis, adverbe, est un peu plus long. D’autre part, dans ui final, la brièveté du premier élément paraît allonger le second: appui, minuit, muid[311].
Parmi les voyelles finales qui peuvent être suivies de l’e muet, l’i se distingue particulièrement, au moins en vers, parce que là ie devient facilement i-ye, et se trouve, par suite, singulièrement allongé:
Mais il y a quelque affectation à prononcer ainsi: il faut laisser cela aux chanteurs. En tout cas, on ne le fait jamais dans l’usage courant, où il est difficile de distinguer par exemple: elle est partie ce matin, de il est parti ce matin, ou mon amie est venue de mon ami est venu. On maintient sans doute une légère différence quand on rapproche un masculin d’un féminin: un ami, une amie, et ce n’est pas grand’chose[313].
Devant la plupart des consonnes articulées, l’i est bref ou moyen: trafic et trafique, pipe, huit, profite et fîtes; riche, captif et calife; vice, visse et vis[314]; diatribe, aride et fatigue; habile, anime, fîmes et cabine. Il est plus long devant g et n mouillé: vertige et indigne; plus encore devant r, s doux et v: rire, mourir, finirent, merise et arrive. Mais surtout, contrairement aux cas des autres voyelles, la finale mouillée -ille, autrefois brève, quand on connaissait l’l mouillé, est devenue longue, depuis qu’on la prononce i-ye.
Même gradation de quantité dans cycle, disciple, gifle, litre et chiffre; libre, hydre, tigre et vivre.
Huile a encore l’i un peu plus long qu’habile, peut-être à cause du groupe ui; mais l’accent circonflexe ne sert plus à rien, non seulement dans les prétérits, fîmes ou fîtes, pareils à tous les prétérits, mais aussi bien dans île, huître, épître et bélître, et souvent même dans dîne. La prononciation oratoire ou poétique appuie également sur abîme et sublime: on voit que l’accent circonflexe n’y est pour rien. On appuie de même sur fils en poésie, et sur bis, mais seulement quand on applaudit.
L’i atone est rarement long; tout au plus est-il moins bref quand il est suivi d’un s doux, comme dans les verbes en -iser. Pourtant l’i long de pire se conserve exceptionnellement dans empirer, contrairement à l’usage des verbes en -rer, qui ont presque tous la prétonique brève, comme admirer.
L’i est également long dans les verbes en -i-er, à l’imparfait et au subjonctif présents, devant les finales -ions et -iez: pri-ions, pri-iez; c’est la seule manière de distinguer ces formes de celles de l’indicatif présent. En fait, on prononce presque priy-yons; mais le nombre des syllabes n’est pas augmenté pour cela[315].
L’i final avec tréma fait une syllabe à part en français: ha-ï, ou-ïe; mais, dans certains mots étrangers, comme le japonais banzaï ou samouraï, il vaut mieux considérer aï ou oï comme des diphtongues, où le tréma sert uniquement à empêcher de prononcer ai (è) ou oi (wa) à la française, sans pour cela séparer l’i[316].
2º L’I dans les mots étrangers.
L’i anglais se prononce i dans gin, miss et mistress (missess), dans clipper, pickles (ess) et cricket, dans gipsy, whisky et whig, dans bridge, dans les mots en -ing, etc. D’autre part, on francise encore assez généralement esquire (ki) et rifle, et surtout outsider. Enfin, beaucoup de personnes prononcent encore flirt par i, aussi bien que par eu ouvert, d’autant plus que de flirt nous avons fait flirter: toutefois, la diffusion progressive de l’anglais tend à faire prévaloir fleurte et même fleurter, ce qui est presque aussi absurde qu’interviouver[317].
Mais il y a beaucoup d’autres mots qui ne sauraient être francisés, et on doit se résoudre à donner à l’i de ces mots un son intermédiaire entre aï (ou aye) et aë, notamment dans all ri(gh)t (olraït en deux syllabes), ri(gh)t man at the ri(gh)t place (atzéraïtplèce), hi(gh)life ou hi(gh)lander, times (taïms) et time is money, ou five o’clock[318]. Pourtant rien n’empêche un fantaisiste de s’amuser à faire rimer high life (iglife) avec hiéroglyphe. On peut même se demander si, avec toutes les Chapelleries, Draperies ou Épiceries du high life qu’on trouve partout maintenant, l’obligation d’employer ce mot, imposée à tant de gens qui ne savent pas l’anglais, n’arrivera pas à le franciser tel quel à bref délai.
L’y final, ou intérieur, devant une consonne, n’existe plus en français que dans des noms propres, et naturellement se prononce i. L’y final anglais se prononce i ou e; mais beaucoup de mots en y sont suffisamment francisés pour que ceux qui ne savent pas l’anglais puissent prononcer un i indifféremment et sans scrupule dans brandy, lady, penny, nursery, tilbury, dandy, whisky, tory, gipsy, derby, gentry, garden-party, et clergyman; on prononcera de préférence aï dans dry farming, et cross-country se prononce keuntré[319].
3º U et OU.
Il est inutile de répéter littéralement pour u et ou ce que nous avons dit pour i.
Ils sont également moyens dans fus, fut, reflux et touffu, dans j’eus, il eut, dans mou, moud, mout, remous, joug, loup et caoutchouc[320].
Brefs ou moyens devant la plupart des consonnes finales articulées, ils sont longs, comme toutes les voyelles, devant r: jour, bravoure, obscur, blessure[321]; devant s doux: épouse, douze, ruse; devant v: louve, étuve, découvre, sauf pourtant les verbes prouve et trouve, qui paraissent plus brefs.
Devant s dur, u et ou ne s’allongent pas, sauf dans le mot tous, quand il est tonique, en opposition avec tou(s) atone, qui est très bref: tous les hommes, il tousse, pour tous, font trois degrés très distincts[322].
Un certain nombre de mots en -ouille ont aussi généralement la finale longue: fouille, rouille, brouille, souille; on y joint quelquefois houille et dépouille[323].
On allonge aussi ordinairement roule et croûte; quelquefois rouge et bouge, du moins en poésie.
L’accent circonflexe se fait encore un peu sentir dans brûle et affûte, beaucoup moins dans flûte, quelquefois dans coûte, goûte, croûte, voûte et soûle, au moins quand ils ne sont pas liés au mot qui suit, car cela coûte cher n’a pas toujours le même son que cela me coûte[324].
La voyelle prétonique reste à peu près longue dans les verbes qui ont l’accent circonflexe, comme brûler, mûrir ou coûter; exceptionnellement aussi dans deux ou trois verbes en -rer: murer, bourrer, fourrer, lourer. Elle est flottante, mais plutôt longue que brève, dans fouiller, rouiller, brouiller, souiller, avec brouillard et quelquefois brouillon, mais non souillon; dans rouiller, rouler, roulure et crouler, et dans la plupart des verbes en -user et -ouser; voire même dans pourrir et les mots en -urie[325].
L’u ne s’entend pas dans l’interjection ch(u)t, où le ch est ordinairement prolongé; chut est donc une orthographe conventionnelle, qui a paru nécessaire pour désigner l’interjection, quand on en fait mention dans une phrase: on entendit plusieurs chut, et aussi pour la rime. On en a fait d’ailleurs le verbe chuter, dont l’u se prononce toujours[326].
L’u se prononce o, ouvert et bref, dans la finale latine -um, suivant la manière française de prononcer le latin, et cela, même dans les mots complètement francisés, comme album, forum, post-scriptum, géranium, etc.; et aussi barnum[327].
On prononce l’u de la même manière à l’intérieur de certains mots composés, d’origine latine, comme triumvirat ou circumnavigation[328].
L’u se prononce encore en o dans rhum et rhummerie.
Dans parfum seul, la finale est restée nasale[329].
4º L’U dans les mots étrangers.
L’u se prononce ou dans les groupes -gua- et -qua-, surtout dans les mots d’origine étrangère: nous en parlerons aux lettres G et Q.
D’ailleurs l’u se prononce ou presque partout ailleurs qu’en français[330]. Mais, à part la finale -um, nous le francisons infailliblement en u dans tous les mots étrangers que nous adoptons. Ainsi dans uhlan, où l’u non seulement se prononce u, mais est devenu bref; de même dans trabuco. On peut hésiter pour certains mots, comme négus, qu’on prononce par u et ou, ou bulbul, qu’on prononce plutôt par u; comme puff, dont nous avons fait puffisme et puffiste, alors que nous avions déjà pouff.
Il vaut mieux prononcer ou dans les mots qui ne sont pas certainement francisés, comme l’italien jettatura, furia francese, e pur si m(u)ove, et les termes de musique opera buffa, risoluto, ritenuto, sostenuto, un poco piu, tutti[331]. De même l’espagnol cuadrilla, chulo, fueros, muleta, ayuntamiento et pronunciamiento; l’allemand burg, kulturkampf et landsturm; l’anglais home rule, bull full (au poker), homespun, plumcake. Mais on prononcera: bleu dans blu (e) book et pleum-poudding (plum-pudding)[332].
Quoique l’u anglais se prononce quelquefois ou, il se prononce plus souvent comme eu ouvert: c’est le cas, par exemple, dans club, tub, studbook, rush et struggle for life[333]. Toutefois club était déjà francisé sous la Révolution, et, en histoire, on prononce plutôt club, cleub étant réservé aux cercles plus ou moins aristocratiques qui trouvent ce mot plus élégant que cercle. D’autre part, on le prononce sensiblement comme un o au poker, dans flush et bluff, d’où le verbe bluffer. L’u de gulf-stream se francise aussi en o, sous l’influence de golfe, dont il vient. Enfin budget et tunnel sont francisés complètement depuis longtemps; turf l’est sans difficulté, ainsi que ulster, tilbury, humour, gutta-percha, nurse et nursery; trust lui-même est en voie de l’être.
Ou anglais se prononce aou dans boarding-hous(e) ou clearing-hous(e); mais on se contente généralement de ou, sinon dans stout, au moins dans outlaw et outsider. Il se prononce o dans four in hand.
VI.—LES VOYELLES NASALES
1º Comment se prononcent et s’écrivent les voyelles nasales.
Quand la consonne n (ou m) est entre deux voyelles, elle se groupe naturellement avec la voyelle qui suit, et celle qui précède reste pure. Mais quand elle s’est trouvée placée dans les mots français à la suite d’une voyelle, devant une consonne autre que m ou n, ou à la fin d’un mot, la voyelle s’est d’abord nasalisée, puis l’n (ou l’m) a peu à peu cessé de se faire entendre (sauf dans le Midi). Il s’est maintenu toutefois dans l’orthographe, comme signe de la nasalisation de la voyelle qui précède: ange, chambre, pin. Ainsi il n’y a plus que trois sons dans enfant, qui en avait six autrefois.
Cette conservation de l’n comme signe orthographique n’est pas sans inconvénient, car on ne sait pas toujours dans quels cas l’n est une consonne, ou un simple signe de nasalisation.
Pas plus que les voyelles fermées, les voyelles nasales ne peuvent se prononcer de deux manières. Une seule différence est à faire, pour la quantité. Quand elles sont finales, elles sont moyennes, comme toutes les autres voyelles: roman, chemin, mouton, aucun; quand elles sont suivies d’une consonne articulée, elles s’allongent très sensiblement, surtout si elles sont toniques: romance, bon-sens, mince, tondre, emprunte; quand elles sont atones, elles sont moins longues: on peut comparer rang, range, et ranger, qui est entre les deux; de même long, longue et longer.
Il y a en français quatre nasales, c’est-à-dire quatre sons distincts qui ne sauraient se confondre; mais un même son nasal peut s’écrire de plusieurs façons. Outre que en se prononce tantôt an, tantôt in, que ain et ein ont le même son que in, il faut ajouter à cela la différence de l’m et de l’n; et si l’on tient compte, en outre, des consonnes non articulées, on obtient pour chacun des quatre sons un très grand nombre de graphies, que l’orthographe a conservées, à propos ou hors de propos.
Pour la voyelle an, voici d’abord roman, amant, flamand, camp, franc, rang, et naturellement leurs pluriels; puis Rouen, différent, différend, hareng, et leurs pluriels; de plus ambition, emmener, temps, exempt ou exempte, sans compter Jean, Caen, Laon, hanter et Henri, ce qui fait bien trente manières d’écrire le seul et unique son an.
Il n’y en a pas moins pour la voyelle in: voici d’abord vin, vins, prévint, vingt, et quatre-vingts, instinct, et même cinq, dans cinq sous; puis sain, saint, sein, seing, essaim, et leurs pluriels, feint, thym, avec vainc et vaincs; de plus, examen, viens et vient; sans compter limpide, syntaxe et Reims; et j’en passe peut-être. Et encore faut-il considérer à part soin ou marsouin, point, poing, et leurs pluriels.
La voyelle on se trouve à son tour dans chiffon, profond, affront, jonc, long, nom, plomb, prompt, et leurs pluriels, et dans romps, sans compter punch; la voyelle un, dans tribun, défunt, parfum, et leurs pluriels, et dans à jeun ou Jean de Meung.
Mais l’n et l’m ne s’emploient pas indifféremment: l’m ne fait généralement que remplacer l’n dans certains cas. En principe, l’m ne peut terminer une nasale qu’à l’intérieur des mots, devant une labiale, b ou p, ou dans le préfixe -em (pour en-) suivi d’un m. Le phénomène se produit même dans des syllabes masculines finales: camp, champ, exempt et temps, plomb, prompt et rompt, ou romps[334].
Il faut y ajouter comte et ses dérivés auxquels on a conservé l’m tout à fait exceptionnellement, devant un t, sans doute pour éviter une confusion avec conte[335].
La prononciation est d’ailleurs exactement la même aujourd’hui, que la consonne qui termine la nasale soit m ou n: camp, champ et temps, camper et ambition, membre, tempe et emmener, nimbe et simple, plomb et nombre, rompre et rompt ou romps, et humble, prononcent leurs nasales exactement comme ange, cintre, ronde ou défunt.
A la fin des mots s’il n’y a pas de consonne à la suite, la voyelle nasale est toujours écrite avec un n, les finales en m ayant perdu le son nasal. Il faut excepter:
1º Dam et au besoin quidam[336];
2º Daim, faim, essaim, étaim[337]; de plus, thym;
3º Nom et ses composés avec dom, qui est le même mot que l’espagnol don[338];
4º Parfum[339].
Dans tous les autres mots, l’m final se prononce à part, mais d’ailleurs tous ces mots sont des mots étrangers, prononcés comme ils sont écrits, ou des mots latins: harem, intérim, album, etc.[340].
2º De quelques nasales intérieures, disparues ou conservées
Outre les finales en m, il y a encore d’autres syllabes qui ont perdu en français le son nasal. On parlera plus loin des finales en -en. Je veux parler ici de certaines syllabes intérieures, où la nasale n ou m était suivie d’un autre n ou m.
Nous avons déjà vu précédemment la nasale primitive se réduire à une voyelle dans fla(m)-me et fe(m)-me[341]. Il en fut de même de beaucoup d’autres mots, notamment gra(m)-maire[342].
Beaucoup de personnes conservent encore, très malencontreusement, le son nasal dans an-née, dans solen-nel et solen-nité, ou dans les adverbes en -amment ou -emment[343]. Dans tous ces mots la décomposition est définitive depuis longtemps; et comme la nasale avait partout le son an, c’est l’a qui a prévalu partout après décomposition; c’est pourquoi impudemment et abondamment se prononcent de la même manière, impudent et abondant ayant la même finale pour l’oreille[344].
Il est resté toutefois quelques spécimens de cette catégorie de nasales. Par exemple, il faut bien se garder de remplacer néan-moins par néa-moins, qui est devenu une prononciation purement dialectale; néant, qui a gardé ici son n à défaut du t, a gardé aussi sa prononciation. Le son nasal s’est maintenu également dans tîn-mes et vîn-mes, formes exceptionnelles et bizarres, dont l’orthographe et la prononciation sont dues à l’uniformité de la conjugaison.
Mais surtout le son nasal s’est maintenu dans les mots de la famille d’en-nui et dans les composés de la préposition en: en-noblir, em-mener, em-ménager, etc., y compris le vieux mot em-mi[345].
Il y a mieux, et voici une observation capitale: la préposition en a gardé parfois le son nasal, non seulement devant n ou m, mais même devant une voyelle, dans des composés d’origine purement française, sans que l’n se soit doublé: en-ivrer. Ce n’est pas sans peine, car le voisinage de mots tels que énigme, énergie, énoncer, tend continuellement à décomposer la préposition. La présence d’un h contribue peut-être à la maintenir dans enherber ou enharmonie qui d’ailleurs ne sont pas d’usage courant[346]. Mais il y a trois mots capitaux, trois mots très usités, trois mots nécessaires, où il est indispensable de maintenir la préposition en avec le son nasal, malgré le voisinage immédiat de la voyelle, sous peine de faire de véritables barbarismes. Ce sont en-ivrer, en-amourer et en-orgueillir, qui doivent se prononcer comme s’en aller, avec nasale et liaison.
Les fautes sur ce point sont si fréquentes que je ne sais trop quel avenir est réservé à ces mots[347]. En-orgueillir se tient encore assez bien[348]; mais que de gens même fort instruits, et même des typographes, vont jusqu’à mettre un accent sur énamourer, voir sur énivrer! Écriture et prononciation également barbares, auxquelles il faut résister de toutes ses forces, aussi longtemps qu’on le pourra.
Passons aux observations particulières à chaque nasale.
3º Les cas particuliers de la nasale AN
I. C’est à la nasale an que se rattachent trois monosyllabes d’orthographe irrégulière: fa(o)n, pa(o)n, ta(o)n. Pour taon, c’est ton et non tan qui s’est prononcé longtemps et se prononce encore dans certaines provinces, mais cette prononciation, admise par Domergue et Mᵐᵉ Dupuis, est aujourd’hui dialectale[349].
Il va sans dire que dans les cas où la dérivation dénasalise la syllabe, c’est l’a seul qui s’entend: pa(o)n et fa(o)n ne peuvent donner que pa(on)ne, pa(on)neau, fa(on)ner, prononcés également sans o[350].
Autre observation sur an: nous nasalisons presque toujours le groupe an, et aussi am intérieur, dans les mots étrangers, même quand ces mots ne sont pas francisés par ailleurs. Il y a là un phénomène général très curieux.
Pour la finale, d’abord, il n’y a guère que les mots anglais en -man qui fassent exception; après avoir nasalisé autrefois drogman, dolman, landamman, avec parmesan et d’autres, nous respectons aujourd’hui, par suite de la diffusion de l’enseignement, et aussi par un certain snobisme, la finale sonore de policeman, clubman, sportsman, etc.[351].
Pour an intérieur, il y a d’abord quelques mots qui sont entièrement francisés: dandy, performance, et même handicap, puisque nous en avons fait le verbe handicaper; de même andante ou andantino, fantasia, franco ou dilettante. Il y a ensuite les mots dans lesquels an seul est francisé: ainsi cant, où nous prononçons le t, contrairement à l’usage français, et cantabile, où nous prononçons l’e final; c’est toujours la demi-francisation. De même landwehr ou landsturm, stand, sandwich ou shak(e)hand, canzone ou banderillero, et aussi warrant, où le t final ne se prononce plus, quoique le w se prononce encore quelquefois ou.
En revanche, on ne nasalise guère an dans canter, highlander ou four in hand, dans fantoccini, bel canto, accelerando, ritardando, tutti quanti, furia francese, lasciate ogni speranza, qui sont trop manifestement étrangers. Ou plutôt on nasalise bien un peu la syllabe, mais en faisant néanmoins sonner l’n, ce qui n’est pas la nasale proprement française[352].
Tramway a pu se franciser sans se nasaliser. Cela tient à ce que le w ayant le son ou, l’m a l’air de sé-parer deux voyelles; mais on entend souvent dans le peuple tran-vè.
4º Quand le groupe EN se prononce-t-il an ou in?
Nous passons à en. Ici se pose la question la plus importante peut-être de celles qui concernent les nasales en français: quand en se prononce-t-il an? quand se prononce-t-il in? Car c’est le seul groupe à n final qui se prononce de deux manières, autrement dit qui appartienne à deux nasales. A l’origine, l’e n’avait pu se nasaliser qu’avec le son in, qui correspond phonétiquement à e ouvert et non à i. Mais il semble bien qu’à une certaine époque le groupe en était passé de in à an à peu près partout, et aujourd’hui encore en se prononce normalement an, ainsi qu’on va voir.
Mais les exceptions sont devenues assez nombreuses.
I. EN final.—C’est ici que le son in s’est le plus généralisé. Le changement ou le retour de an à in a dû se produire en premier lieu dans la diphtongue finale accentuée -ien. On la trouve d’abord dans bien, chien et rien, avec tous leurs composés[353]; puis dans mien, tien et sien; enfin dans les formes de venir et tenir, viens, viendra, tiendrait, etc., avec leurs composés, et aussi leurs dérivés: soutien, maintien, entretien. L’altération du son primitif est passée de là à tous les mots où la finale -en, dérivée du suffixe latin -anus, était précédée des voyelles i (et y) ou e: paï-en, moy-en, chréti-en (autrefois de trois syllabes), patrici-en, etc., europé-en, chaldé-en, etc.
Ce ne fut pas sans résistance. Beaucoup de mots, au moins les noms propres, ont hésité longtemps entre an et in. Voltaire, qui faisait parfois des efforts pour rapprocher l’orthographe de la prononciation, et qui écrivait fort judicieusement fesons et bienfesant, écrivait aussi européan. Aujourd’hui il n’y a plus d’hésitation: tous les mots en -éen et -ien ou -yen se prononcent é-in et i-in ou plutôt yin, quoique les poètes s’obstinent à séparer l’i la plupart du temps: tragédien, bohémien, aérien, parisien, etc., etc.[354].
Si nous passons aux autres mots terminés en -en, nous constatons que le son an ne se retrouve plus que dans la préposition en[355]. Il est vrai que dans la plupart des autres (ils ne sont d’ailleurs pas nombreux), la finale n’est plus nasale: ainsi abdomen ou gluten. Ces mots ont subi l’analogie des mots latins ou étrangers, et surtout des noms propres qui sont fort nombreux; nous les retrouverons quand nous parlerons de l’n final. Seul, examen s’est complètement détaché du groupe: sa finale, qui n’avait d’ailleurs jamais perdu complètement le son in, l’a repris définitivement depuis un siècle[356].
De plus, les poètes ont fait longtemps et font souvent encore rimer hymen avec main; mais comme le mot n’est plus d’usage courant et prend une apparence un peu scientifique, il est fort rare qu’on nasalise sa finale en prose[357].
II. EN tonique suivi d’une consonne.—La finale -ent ou -end, à consonne muette, a partout le son an: prudent, agent, ment, suspend, attend, etc., etc., et même les mots en -ient, même ingrédient, qu’on écorche parfois[358].
Il faut excepter toutefois tient et vient et leurs composés, qui ne peuvent pas se prononcer autrement que les formes voisines de tenir et venir[359].
Il en est de même de -ens, qui en principe se prononce également an dans les mots proprement français, où l’s ne se prononce pas[360]. Mais ces mots sont en fort petit nombre: gens, guet-apens, dépens, suspens, avec le substantif sens, dont l’s se prononce aujourd’hui presque partout, et les formes verbales sens, mens, repens.
Les autres mots sont des mots latins, et sont naturellement prononcés comme en latin, c’est-à-dire que en se nasalise en in et que l’s se prononce (ince): gens, delirium tremens, alma parens, semper virens, horresco referens, d’où, par analogie, labadens, inventé par Labiche. Pourtant le mot technique cens a gardé le son an, sans doute par analogie avec sens et bon sens, qui n’ont jamais varié sur la nasale[361].
C’est aussi an tout court qui sonne dans temps ou hareng[362].
Enfin c’est encore an qu’on prononce toutes les fois que en est suivi d’une syllabe muette: ainsi les finales -ente, -ence ou -ense, -ende et -endre, -emble, -embre, -empe et -emple, etc.[363].
III. EN atone.—Si nous passons à en atone, nous constatons encore que c’est le son an qui est le son propre du groupe dans les mots proprement français.
En tête des mots, il n’y a pas d’exception[364].
A l’intérieur, le son an s’est maintenu non seulement dans les finales -ention, -entiel, etc., mais même dans des mots plus ou moins techniques ou savants qui étaient déjà anciens: d’abord les dérivés de cent, comme centurie ou centurion[365]; par analogie, centaure; puis adventice et adventif, appentis et perpendiculaire, calender et calendrier, commensal, compendieux, dysenterie et lienterie, entité, mendicité, menstrues, septentrion, stipendier, etc. C’est la vraie tradition française[366].
Au contraire, dans les mots plus ou moins savants, plus ou moins techniques, qui sont entrés dans la langue assez récemment, c’est-à-dire depuis la Renaissance, la prononciation moderne du latin a amené l’emploi du son in. Ce sont d’abord des mots purement latins, agenda, pensum, memento, compendium, sensorium, in extenso, modus vivendi[367]; puis les mots tirés du grec, qui commencent par hendéca- ou par pent-, comme pentagone[368]; en outre bembex, rhododendron et placenta, avec mentor et menthol, etc.
En outre appendice et sempiternel, quoique anciens, ont à peu près passé de an à in, sous l’influence du latin appendix et sempiternus, et appendicite, mot savant, qui se prononce fatalement par in, achève l’altération d’appendice. Chrétien a fini aussi par entraîner chrétienté, qui a été longtemps discuté.
D’autres mots flottent déjà, comme adventice ou menstrues. Sapientiaux est exposé à passer de an à in, étant mal protégé par sapience, qui est peu usité, tandis que obédientiel, pestilentiel, et surtout scientifique, le sont beaucoup mieux par obédience, pestilence et science, dont la finale est inaltérable actuellement.
En revanche, quelques mots plus ou moins récents ont pris ou gardé le son an par analogie, ou pour des raisons qui échappent, car une logique parfaite ne préside pas toujours à la répartition des sons.
Pendentif a suivi l’analogie de pendre et pendant; tentacule, celle de tenter et tentative. Tarentelle et tarentule ont suivi Tarente, qui était ancien. Quand Fabre d’Églantine inventa vendémiaire, il le tira du latin vindemia, mais s’il l’écrivit ven et non vin, c’est qu’il voulait en faire un mot populaire comme ventôse, et pour cela le rapprocher de vendange; c’est donc à tort que quelques-uns le prononcent par in[369].
Tous ces mots s’expliquent assez bien. Mais pourquoi stentor avec an à côté de mentor avec in? Je ne sais si stentor est ancien dans l’usage; en tout cas, les grammairiens n’en parlent pas[370]. Pourquoi prononce-t-on épenthèse par an? Pourquoi, à côté de rhododendron prononcé par in, prononce-t-on dendrite par an? Que dis-je? A côté de térébinthe, non seulement prononcé, mais écrit par in, on a térébenthine, prononcé par an; et au contraire, de menthe, qui a naturellement gardé le son de son orthographe primitive mente, on a tiré menthol, à qui on a imposé le son in, à titre de mot savant![371].
IV. Les mots étrangers.—On sait que les voyelles nasales appartiennent presque exclusivement au français. Quand on ne francise pas du tout un mot étranger, et il y a des cas où cela n’est guère possible, on doit se garder de nasaliser le groupe en, aussi bien que les autres. Ainsi l’anglais pence, english, great event ou self government, gentry ou même gentleman et remember; de même l’italien lento, a tempo ou senza tempo, rallentando, risorgimento, et aussi l’espagnol ayuntamiento ou pronunciamiento.
Mais si on francise, ne fût-ce qu’à moitié, c’est toujours par la nasale qu’on commence; or en ne peut se nasaliser directement qu’en in, seule nasale correspondant à e. Ainsi dans bengali, dans benjoin, d’où benzine avec ses dérivés; dans effendi; dans farniente (que l’e final soit muet ou non), polenta, vendetta et crescendo[372]. Ainsi encore dans blende et pechblende, qu’on prononce quelquefois par an, à cause de la finale ende; et encore dans spencer. A spencer on devrait joindre tender et challenge, mais l’usage des employés de chemins de fer a définitivement francisé tender par an, évidemment par l’analogie des mots tendre, tendeur et autres, et de son côté challenge a pris le son des finales en -ange, comme venge.
D’autre part, beaucoup de gens prononcent aussi vendetta par an, et cette prononciation s’imposera fatalement un jour[373].
5º Les cas particuliers de la nasale IN.
Sur la nasale in, il y a moins à dire[374].
La préposition latine in, qui n’est pas nasale en latin, parce que l’n est final, s’est nasalisée en français devant une consonne, dans les termes qui désignent les formats de livres, in-folio, in-quarto, comme in-douze, in-seize, etc., et le plus souvent aussi in-plano; mais on ne nasalise pas in-octavo à cause de la voyelle, pas plus que in extremis ou in extenso, qui sont en deux mots; pas davantage in partibus, non plus que l’italien in petto.
D’autre part, dans les mots étrangers, c’est le groupe in qui se conserve le mieux en français sans se nasaliser. Ainsi on ne doit pas nasaliser la finale anglaise -ing, sauf dans schampoin(g), qui est tout à fait francisé. Il est vrai que shelling et sterling peuvent encore se prononcer chelin et sterlin sans g, et d’autre part on nasalise encore quelquefois shirting, lasting et pouding (sans parler de meeting) en prononçant le g guttural, mais il semble qu’on cesse peu à peu de nasaliser ces mots. On ne doit pas non plus nasaliser flint-glass, income-tax, mackintosh, kronprinz, hinterland, tchin, khamsin.
On nasalise quelquefois gin, et ordinairement mue(z)-zin, toujours incognito, impresario, peppermint, aquatinte (à côté de aqua-tinta); généralement aussi interview, suffisamment francisé, puisqu’on en a fait interviewer. [375]
Le groupe oin doit se prononcer ouin et non ouan, comme on fait dans certaines provinces, et moindre peut rimer avec cylindre, mais non avec entendre.
J’ajoute que oin est toujours monosyllabe. V. Hugo a cru, et il n’était pas le premier, que les nécessités ou les commodités de la versification l’autorisaient à scinder en deux le mot groin: