Dernières lettres d'un bon jeune homme à sa cousine Madeleine
VIII
LE MONT-DE-PIÉTÉ
Ma chère cousine,
La loi française punit sévèrement le prêt sur gages et l'usure; mais elle autorise un établissement de bienfaisance qui prête sur nantissement à 10 pour 100 d'intérêt. Cette terrible antithèse de la Caisse d'épargne est le Mont-de-Piété de Paris.
L'État le met au rang des établissements de bienfaisance; voici pourquoi: Au lieu de capitaliser ses bénéfices, le grand usurier de la rue de Paradis les verse tous les ans dans la caisse de l'assistance publique. Il prête à 10 pour 100, ce qui est monstrueux, mais au profit des hospices. C'est un philanthrope qui envoie les pauvres à l'hôpital et qui vient lui-même les y soigner.
Si tous les bénéfices du Mont-de-Piété avaient été cumulés depuis la fondation, au lieu de tomber dans la caisse des hospices, ils formeraient aujourd'hui un capital de près de vingt millions, et l'on pourrait abaisser à 5 pour 100 le taux de l'intérêt. Et l'on ne verrait pas des phénomènes aussi curieux que celui-ci, par exemple:
Un riche spéculateur a des valeurs mobilières en portefeuille; il les met en gage à la Banque, et la Banque lui prête à 4 pour 100. Un pauvre diable possède un matelas de cinquante francs; il le met en gage rue de Paradis, et le Mont-de-Piété lui prête quelques sous à 10 pour 100. Cependant les actions des chemins de fer et des compagnies industrielles déposées par le riche capitaliste sont plus sujettes à dépréciation que le matelas du malheureux.
Autre absurdité digne de remarque, parce qu'elle offusque le sens moral. La loi permet au créancier de vendre tous les meubles de son débiteur, le lit excepté. Mais, si le créancier s'appelle le Mont-de-Piété et s'il demeure rue de Paradis, il vend tous les jours à l'encan, par l'entremise de quatorze commissaires-priseurs, quelques milliers de matelas et de couvertures appartenant à ses débiteurs.
Cette institution paradoxale date de Louis XVI. Le Mont-de-Piété a été fondé par lettres patentes du 9 décembre 1777, et ouvert le 1er janvier 1778. «C'est un plan, dit Louis XVI, uniquement formé dans des vues de bienfaisance et digne de fixer la confiance publique, puisqu'il assure des secours d'argent peu onéreux aux emprunteurs dénués d'autres ressources, et que le bénéfice qui résultera de cet établissement sera entièrement appliqué au soulagement des pauvres et à l'amélioration des maisons de charité.» (Préambule des lettres patentes de 1777.)
Le gouvernement avait décrété que les nantissements ou gages offerts au Mont-de-Piété seraient mis en dépôt dans un bâtiment du couvent des Blancs-Manteaux. Les bons moines jetèrent les hauts cris. J'ai sous les yeux la lettre qu'ils écrivirent au ministre, puis au roi, pour décliner l'honneur qu'on leur imposait.
«Qu'il soit permis à des religieux qui n'ont d'autre ambition que de servir Dieu et d'être utiles à l'Église et à l'État, selon les lois de leur profession…»
Quels services les Blancs-Manteaux pouvaient-ils bien rendre à l'État? Ils le disent eux-mêmes dans la péroraison de cette curieuse supplique:
«… Pour qu'on renonce à un projet dont l'exécution ne serait propre qu'à troubler de toute manière le repos et la tranquillité d'une communauté de religieux qui, nous devons le dire, ne cessent de lever les mains vers le ciel pour en attirer sur sa personne sacrée, ainsi que sur la famille royale et sur tout le royaume, les grâces et les bénédictions les plus abondantes.»
Je ne veux pas énumérer ici les raisons alléguées par les bons Pères dans l'intérêt de leur repos et de leur tranquillité; mais il n'est peut-être pas inutile de citer le passage suivant:
«Nous ne dissimulerons pas à Votre Grandeur qu'il ne nous paraît rien moins que conforme à la loi de Dieu et aux règles de l'Église sur l'usure; en quoi notre façon de penser est parfaitement conforme à celle de monseigneur notre archevêque et à la consultation donnée à ce sujet par la Sorbonne, le 17 juin 1765.
«Il en est de cet établissement comme de certains autres, qu'un prince sage croit pouvoir tolérer pour empêcher les plus grands maux. Mais cette tolérance purement civile, et qui ne fait que soustraire les coupables à la vengeance des lois humaines, ne les soustrait point à celle de Dieu.»
Il est évident que les Blancs-Manteaux assimilaient le Mont-de-Piété aux maisons de tolérance. Étaient-ils dans le vrai? Je le crois. Mais
Le gouvernement de Louis XVI ferma l'oreille, institua les commissionnaires au Mont-de-Piété le 6 septembre 1779, et publia en dix ans, du 9 décembre 1777 au 3 février 1787, plus de quarante lettres patentes, arrêts de parlement, arrêts du Conseil du roi, sentences de police, qui témoignent de sa sollicitude pour cette nouvelle institution.
Supprimé par la Révolution, rendu aux hospices l'an V de la République, paralysé sept ans par la concurrence des Lombards, le Mont-de-Piété rentra en possession de tous ses priviléges, le 16 pluviôse an XII, et fut réorganisé définitivement par le décret du 24 messidor an XIII, qui a encore force de loi en avril 1861.
Voici, ma chère cousine, l'organisation actuelle du Mont-de-Piété: Cet usurier privilégié, ou, pour parler poliment, ce banquier opère sans capital. Il est régi pour le compte des hospices, logé dans un immeuble (l'ancien couvent des Blancs-Manteaux) qui appartient aux hospices.
Avant de prêter aux nécessiteux de la ville de Paris, il emprunte.
A qui?
1o A l'administration des hospices de Paris, qui place ainsi une partie de ses fonds disponibles;
2o A tous les comptables des établissements de bienfaisance, qui, aux termes des instructions ministérielles, sont tenus de fournir un cautionnement en numéraire;
3o Enfin, à des tiers, sur billets au porteur, à un an de date.
Sa première opération est donc l'emprunt. Le prêt, qui est le but de l'institution, ne vient qu'en seconde ligne.
Un homme pressé d'argent se présente dans les bureaux avec un objet mobilier, couverture de laine ou rivière de diamants, peu importe. Un commissaire-priseur estime le nantissement. Le Mont-de-Piété prête les quatre cinquièmes de la valeur estimative, s'il s'agit de matières d'or ou d'argent, les deux tiers dans tous les autres cas.
L'emprunteur reçoit le montant du prêt; on lui délivre une reconnaissance au porteur: le gage ou nantissement est déposé dans les magasins. Il y a quelque chose comme soixante millions de valeurs dans les magasins du Mont-de-Piété.
Dans le cours de quatorze mois, le nantissement est dégagé par le propriétaire, ou vendu par le créancier, à moins qu'on ne renouvelle l'engagement. Un mot sur chacune de ces opérations: le dégagement, le renouvellement, la vente.
Le dégagement libère les deux parties. L'emprunteur rend l'argent, et paye les droits. Le prêteur rend le gage et reprend sa reconnaissance.
Le renouvellement est un engagement nouveau, contracté dans la même forme et aux mêmes conditions que la première.
La vente liquide le magasin. Elle se fait aux enchères publiques, par l'entremise d'un des quatorze commissaires-priseurs attachés spécialement au Mont-de-Piété. Ces officiers ministériels, solidairement responsables de toutes les pertes qui pourraient résulter de leur appréciation, prélèvent un demi pour 100 sur la somme prêtée, et 3 pour 100 sur le montant de la vente.
Le Mont-de-Piété se rembourse, capital et intérêts, et met l'excédent ou boni à la disposition de l'emprunteur. Dans les trois années qui suivent l'engagement, le porteur de la reconnaissance a le droit de réclamer le boni.
Ce terme écoulé, une prescription spéciale fait tomber le boni dans la caisse des hospices.
Ce mécanisme est fort simple, et je n'y vois rien à reprendre, sauf le taux exorbitant de l'intérêt.
On peut regretter que les banqueroutiers, les voleurs et les malfaiteurs de toute espèce, abusant de la facilité des engagements, fassent jouer au Mont-de-Piété le rôle de recéleur. On peut blâmer les ouvriers de Paris qui engagent étourdiment le petit avoir de leur famille pour satisfaire une fantaisie de carnaval. Mais il faut rendre justice à M. Framboisier de Baunay et à tous les honorables organisateurs qui ont mis à la portée des nécessiteux une ressource plus innocente que le crime.
Il est fâcheux sans doute que le pauvre emprunte à 10 pour 100 d'intérêt, quand le riche trouve de l'argent à 5; mais j'aime mieux voir les gueux porter leur montre rue de Paradis que les entendre crocheter ma porte.
Entre le Mont-de-Piété et ses clients, il s'est établi, dès le principe, une corporation intermédiaire. Je t'ai dit que nous avions des commissionnaires depuis 1779.
L'administration a reconnu dès le principe que la longueur des distances, la timidité naturelle aux emprunteurs, la rusticité particulière aux petits employés à quinze cents francs, et mille autres raisons empêcheraient le public de se porter en foule rue de Paradis. Dans l'intérêt de tous, et dans son intérêt propre, elle a permis à vingt commissionnaires ou intermédiaires officiels de s'établir dans les divers quartiers de Paris. Elle les choisit elle-même, s'assure de leur solvabilité et de leur moralité, et leur demande un cautionnement.
Le commissionnaire ne prête pas; il avance l'argent, sous sa responsabilité personnelle. S'il se trompe sur la valeur du nantissement, tant pis pour lui. Ses opérations sont approuvées, rejetées ou modifiées par l'administration souveraine. Supposé que je lui porte ma montre et qu'il m'avance cent francs; le Mont-de-Piété examine le gage et ne prête que trois louis. Le commissionnaire sera censé m'avoir prêté lui-même les quarante francs de différence, et il ne percevra sur cette somme qu'un intérêt de 6 pour 100, au lieu de 10.
Les obligations du commissionnaire sont celles de l'emprunteur; il se substitue à son mandataire et le représente auprès de l'administration. Il engage, renouvelle, dégage, touche le boni après la vente, comme s'il était muni d'une procuration en bonne forme.
Ses services ne sont pas gratuits, tant s'en faut. Il touche 2 pour 100 sur les engagements et les renouvellements, 1 pour 100 sur les dégagements et le montant des boni. Le malheureux qui emprunte à 10 au Grand Mont emprunte à 13 par l'entremise du commissionnaire. C'est une énormité greffée sur une autre.
Cependant je dois avouer que le public des emprunteurs se porte volontiers au bureau du commissionnaire. Est-ce uniquement pour le plaisir de donner 3 pour 100 de plus? J'en doute. C'est plutôt parce que les employés du Grand Mont sont complaisants comme les engrenages d'une machine à vapeur, souriants comme les verrous d'une prison, hospitaliers comme ces tessons de bouteille qu'on maçonne au sommet des murs mitoyens. Pourquoi feraient-ils bon visage aux emprunteurs? Le caissier ne leur donnera pas dix francs de plus à la fin du mois.
Le commissionnaire a d'autres façons d'agir. L'intérêt personnel le pousse à retenir les emprunteurs et à se faire une clientèle. Il sourit aux arrivants; il cause, il écoute les confidences, il donne une marque de sympathie aux malheureux, il abrége les formalités, il épargne l'ennui et la honte, il ouvre des portes discrètes par où l'on s'échappe sans rougir. Ajoute que l'emprunteur est plus à l'aise devant un mandataire qu'il paye au taux de 2 pour 100, qu'en présence d'un fonctionnaire désintéressé et maussade.
Il suit de là, ma chère cousine, que les vingt commissionnaires de Paris touchent environ quatre cent mille francs par an. C'est vingt mille francs par tête. Ne te récrie pas sur l'énormité du chiffre. D'abord, la somme ne se répartit pas également. Un de ces messieurs, plus habile et mieux achalandé que les autres, encaisse jusqu'à soixante et dix mille francs par année; il y en a donc plusieurs qui restent bien au-dessous de la moyenne. D'ailleurs, ce n'est là qu'un produit brut. Il faut en déduire l'intérêt du cautionnement (le Mont-de-Piété, qui prête à 10, ne paye que 3 pour 100), l'intérêt du fonds de roulement, les frais généraux, tels que loyers, commis, porteurs, voiture, imprimés, registres, éclairage, chauffage, pertes par erreur d'appréciation, erreur de caisse, abus de confiance, etc., etc. Tout compte fait, tu verras que plus d'un commissionnaire donne son temps, sa liberté et son intelligence pour un millier d'écus par an. Ce qui est modeste.
Il n'est pas moins vrai que les nécessiteux de Paris, déjà ruinés par l'usure du Grand Mont, laissent encore quatre cent mille francs par an dans les bureaux des commissionnaires.
Quelques directeurs de Mont-de-Piété ont cherché le remède à ce mal. Je l'aurais cherché comme eux, si j'avais été à leur place. L'intérêt personnel serait venu aiguillonner en moi le zèle du bien public. Ménager l'argent des pauvres emprunteurs, ruiner les commissionnaires dont quelques-uns faisaient des fortunes insolentes, agrandir le domaine de l'administration, créer des emplois nouveaux, placer des clients, doubler l'importance et les honoraires de la direction, c'était une perspective séduisante.
A la fin de 1837, M. J. Delaroche, frère du peintre illustre et regretté, obtint la place de directeur. Il proposa de créer des succursales qui prêteraient à 10 pour 100 comme le Grand Mont, et tueraient les intermédiaires. Il semblait évident que le public ne serait pas assez sot pour emprunter à 13, lorsque, dans la même rue et pour ainsi dire à la porte du commissionnaire, on lui offrirait de l'argent à 10. Le conseil d'administration, après s'être fait un peu tirer l'oreille, créa deux bureaux auxiliaires dans Paris. Les commissionnaires n'y perdirent rien. Mais, une année après l'ouverture de ces bureaux, on découvrit, dans les bureaux du chef-lieu, un déficit de plus de trente mille francs. L'innovation de M. J. Delaroche fut blâmée comme imprudente. L'inventeur, jeune encore, prit sa retraite.
Mais cette théorie fut reprise par M. Ledieu, aujourd'hui régnant, qui, à force de volonté et de persévérance, a su la faire passer dans le domaine des faits. Vingt bureaux auxiliaires, disséminés dans tout Paris, invitent les emprunteurs à mettre leur montre en gage; vingt bureaux offrent au public l'argent du Mont-de-Piété. Entrez, bonnes gens, et n'allez plus chez le commissionnaire, qui vous prenait 13 pour 100! Voici de l'argent pour rien, de l'argent à 10! c'est donné!
Veux-tu savoir, ma chère cousine, ce que le public a répondu?
Les vingt bureaux auxiliaires ont fait, en 1860, plus de quatorze cent mille engagements.
Mais les commissionnaires au Mont-de-Piété, qui avaient gagné quatre cent mille francs en 1859, en ont encore gagné quatre cent mille (à sept mille francs près) en 1860.
Donc, la concurrence des bureaux auxiliaires n'a pas détourné la clientèle des commissionnaires, et nous avons toujours le même nombre de Parisiens qui empruntent à 13 pour 100.
Mais, en revanche, la provocation permanente de ces nouveaux établissements, qui viennent pour ainsi dire exciter les gens à l'emprunt, a jeté plus de cent mille infortunés dans les griffes de l'usure.
Quel résultat! un million quatre cent mille objets mobiliers détournés des pauvres ménages! Combien de matelas, combien de berceaux, combien de couvertures de laine, par cet hiver de dix degrés! Et cela pour tuer vingt malheureux commissionnaires, qui d'ailleurs se portent bien.
Le Mont-de-Piété aura désormais vingt mille francs à dépenser tous les ans pour chacun de ces bureaux; quatre cent mille francs au total. C'est quatre cent mille francs de moins à verser annuellement dans la caisse des hospices. Le chiffre paraît exorbitant, il est modeste: vingt loyers, vingt chefs de bureau; le matériel et le personnel! Il a fallu même doubler le traitement du directeur, depuis que l'administration a pris cette étendue. Douze mille francs suffisaient en 1852. Aujourd'hui, nous payons quinze mille francs de fixe, trois mille francs d'indemnité de logement, et six mille francs pour une voiture. Vingt bureaux ne se visitent pas à pied.
Est-ce tout? Hélas! non. Je t'ai dit en passant que la création des deux premiers bureaux auxiliaires avait fait un vide de trente mille francs dans le magasin central. Depuis que nous sommes en possession de vingt bureaux, le danger se décuple.
On parle (à tort, sans doute) de nantissements égarés, de déficits importants et d'un désordre inextricable. On avance des faits plus graves encore, et les journaux étrangers ne se font pas faute d'accuser l'administration centrale. Il a fallu que M. le préfet de la Seine reportât son attention de ce côté et négligeât un instant la démolition de Paris. Une commission d'enquête, présidée par M. le procureur général en personne, recherche vigoureusement les coupables.
Eh! messieurs, ne cherchez pas si loin! Nous serons bien avancés quand vous aurez envoyé quelques malheureux aux galères! Le vrai coupable, c'est le nouveau système, le système des bureaux auxiliaires. C'est à lui seul que j'en veux.
Ces bureaux n'ont pas de magasins et n'en sauraient avoir. Ils ne reçoivent les gages que pour les renvoyer au chef-lieu. De là naît un ordre nouveau, ou, pour mieux dire, la perturbation de l'ordre établi.
L'organisation logique du Mont-de-Piété est indiquée par la nature de ses opérations. Il prête de l'argent, il reçoit des objets mobiliers. Quand les écus sortent de la maison, les gages y entrent, et réciproquement. La comptabilité des espèces fait équilibre à la comptabilité des matières. Le caissier donne et reçoit l'argent, tandis que le chef des magasins reçoit ou rend les gages. Tout gravite autour de ces deux chefs de service et la responsabilité se partage entre eux. La comptabilité des espèces est une science assez avancée; celle des matières est un peu plus neuve: le ministre de la marine sait ce que coûte à la France l'éducation des comptables de ses arsenaux. Au Mont-de-Piété, le caissier n'a jamais plus de deux cent mille francs à sa disposition; le chef des magasins a toujours sous la main plusieurs millions en pierreries.
Toutefois, dans l'état normal et régulier, avant la naissance des bureaux auxiliaires, les précautions les plus minutieuses étaient prises contre la perte ou le vol des nantissements. Le rôle de chaque agent était tracé et sa responsabilité définie. Le nantissement, à peine engagé, passait au magasin: les bijoux au premier étage, les hardes au-dessus, les matelas dans les combles, les objets les plus lourds au rez-de-chaussée.
Une fois installé dans sa case, le gage ne pouvait sortir du magasin que pour être remis au porteur de la reconnaissance, contre le remboursement du prêt et des droits. L'entrée était constatée par des écritures, contrôlant les bureaux d'engagement; la sortie était établie par des écritures, contradictoirement avec les bureaux de recette; et cette double opération maintenait un équilibre parfait entre le magasin et la caisse.
Que les temps sont changés!
S'agit-il d'un engagement, l'emprunteur, qui s'est adressé à l'un des bureaux auxiliaires, reçoit le montant du prêt sans attendre; mais son nantissement n'entre en magasin que le lendemain ou le surlendemain, ou même plus tard.
S'agit-il d'un dégagement, l'article est demandé vingt-quatre heures à l'avance, et le magasin se dessaisit sans que le prêt soit encore remboursé. La caisse prête donc tous les jours avant la garantie; le magasin restitue avant le remboursement.
Et si dans leur séjour au dehors, ou dans le double trajet qui les mène au chef-lieu et les ramène au bureau, les nantissements ou les fonds sont perdus ou volés, sur qui tombe la perte?
Sur le chef des magasins? sur le caissier? Évidemment, non. Leur garantie ne peut s'étendre aux objets qu'ils n'ont pas encore reçus ou qu'ils ont livrés régulièrement.
Sur le chef du bureau auxiliaire? Mauvaise garantie. A moins qu'on n'exige de lui un énorme cautionnement; auquel cas il faudra lui donner un traitement énorme; et les bureaux auxiliaires coûtent déjà bien assez cher.
Un des quarante ou cinquante témoins entendus par la commission d'enquête a dit, dans son interrogatoire: «Je n'accepterais pas la direction du Mont-de-Piété avec cinquante mille francs d'appointements, s'il me fallait combler les vides qui se sont faits dans les magasins.»
Un respectable fonctionnaire, qui a travaillé au Mont-de-Piété dans des jours meilleurs, m'écrivait encore ce matin: «Notre pauvre magasin est un gouffre où l'on met, où l'on prend, sans compter.»
Je crois que le directeur actuel, M. Ledieu, est un très-galant homme; qu'il a tout fait pour le mieux, et que son cabinet de la rue de Paradis est pavé de bonnes intentions. Mais, si mes observations pouvaient l'éclairer sur son erreur, et si j'avais sauvegardé le patrimoine des pauvres, mon encre et mon temps ne seraient point perdus.