Dictionnaire critique et raisonné du langage vicieux ou réputé vicieux
Ce qui prouve qu’elle a été autrefois en usage, mais ce qui ne prouve pas qu’elle doive l’être encore aujourd’hui. Il serait possible qu’on eût dit autrefois être tanné pour dire être dans une situation analogue à celle d’un animal piqué par un taon, qu’on a écrit tan.
«Tanner signifie aussi fatiguer, ennuyer, molester. C’est un homme tannant. C’est un homme qui me tanne.» (Acad.) «Certes, dit Feydel (Rem. sur le Dict. de l’Acad.), la langue française ne serait pas la plus belle langue de l’Europe et la plus durable, si cet article était vrai. On dit quelquefois d’un homme qui ennuie, qu’il est hennant, par la seule raison que l’ancien mot hennant signifiait ennuyeux. Et comme cette vieille phrase, il est hennant, se prononce à peu près, il est tannant, le rédacteur de l’article sur le mot tanner y aura été trompé.»
TANT, AUTANT. (Voyez SI, AUSSI.)
TANT QU’A ÇA, CELA.
| Locut. vic. | Tant qu’à ça, je m’en charge. |
| Locut. corr. | Quant à cela, je m’en charge. |
Il faut aussi, au lieu de tant qu’à moi, tant qu’à vous, tant qu’à lui, dire quant à moi, quant à vous, quant à lui.
TAON.
| Prononc. vic. | Il fut piqué par un ta-on, par un tan. |
| Prononc. corr. | Il fut piqué par un ton. |
L’usage veut aujourd’hui que l’on écrive un taon et que l’on prononce: un ton. On a écrit autrefois et prononcé tan, comme on le voit par les vers suivans:
TARTARES, TATARS.
«Les savans sont partagés sur le nom qu’il faut donner à ces peuples: les uns, comme M. Klaproth, n’admettent que celui de Tatars; les autres, comme M. Remusat, conservent le nom de Tartares, usité depuis long-temps dans les écrits latins et français. Les Russes, qui, par leur position de voisinage, semblent faire autorité, disent Tatars: leurs anciennes chroniques portent Tatari. M. Abel Remusat assigne l’origine de l’altération de ce nom à un jeu de mots que Mathieu Pâris prête au roi Saint-Louis, à qui la Reine Blanche témoignait ses craintes sur les progrès de l’invasion de ces peuples: Ma mère, dit-il, soyons soutenus par cette consolation qui nous vient du ciel: s’ils arrivent ces Tartares, ou nous les ferons rentrer dans le Tartare, d’où ils sont sortis, ou bien ils nous enverront nous-mêmes jouir dans le ciel du bonheur promis aux élus. Le jeu de mots de Saint-Louis n’eut cependant pas la vogue de celui de l’empereur Frédéric: Tartari, imò Tartarei, comme les appela ce prince, qui refusa de se reconnaître pour leur vassal, fut la dénomination qui se répandit dans l’Occident.» (Hist. de la Géographie, par Malte-Brun. Note.)
«Tatares est le nom le plus exact de ce peuple, et il est bon à conserver exclusivement pour éviter l’homonymie.» (M. Ch. Nodier, Examen crit. des Dict.)
TEL.
| Locut. vic. | Que m’importe ce que pense M. tel. |
| Locut. corr. | Que m’importe ce que pense M. un tel. |
«Il ne faut pas dire M. tel, madame telle; il faut absolument dire M. un tel, madame une telle.» (Laveaux, Dict. des diff., art. UN.)
TEL QUE.
| Locut. vic. | Donnez-m’en un, tel qu’il soit. | |
| On le vante trop, tel mérite qu’il ait. | ||
| Locut. corr. | Donnez-m’en un, quel qu’il soit. | |
| On le vante trop, quelque mérite qu’il ait. | ||
Tel que, employé pour quel que, quelque, est une faute que tous nos grammairiens ont signalée, que nos bons auteurs ont presque toujours évitée, mais qui se trouve assez souvent chez nos écrivains modernes de second ordre, parce qu’ils aiment beaucoup tout ce qui a un petit air d’étrangeté. Il y a fort long-temps, du reste, qu’on fait cette faute; mais ce n’en est pas moins une faute. On a si souvent réclamé à ce sujet, que la prescription n’a certainement pu être encourue. Qui oserait d’ailleurs prescrire contre le bon sens?
M. le chevalier d’Aceilly n’a pas écrit ici très correctement, ni raisonné très noblement.
«Les détails qu’on va lire, tels affreux qu’ils soient, etc.» (Eugène Sue, Atar-Gull.) Lisez quelque affreux qu’ils soient.
TÉMOIN.
| Orth. vic. | Il est querelleur, témoins les coups qu’il m’a donnés. |
| Orth. corr. | Il est querelleur; témoin les coups qu’il m’a donnés. |
«Luneau de Boisgermain observe que témoin n’est point adverbe, mais un ablatif absolu, et que, par conséquent, il est plus que probable que l’auteur avait écrit témoins au pluriel. Ce qu’il est important de remarquer, c’est l’erreur de Luneau; toutes les bonnes éditions de Racine portent témoin au singulier, pris adverbialement. A l’autorité de Racine se joint celle du Dictionnaire de l’Académie, qui contredit formellement cet étrange commentateur.» (Geoffroy, Œuvres de Racine.)
Notre langue a de la répugnance à faire subir l’accord aux mots qui en précèdent d’autres qui les régissent. L’esprit n’aime pas, comme le dit M. Laveaux, à revenir en arrière. Témoin les mots feu, nu, etc., qui restent invariables quand ils sont suivis des substantifs auxquels ils se rapportent.
TEMPLE.
| Locut. vic. | Il a été blessé aux temples. |
| Locut. corr. | Il a été blessé aux tempes. |
Du temps de Vaugelas (161e rem.), on disait la temple et non la tempe. Ce dernier mot est le seul reçu maintenant.
«Les tempes ont, dit-on, été ainsi nommées (tempora, en latin), parce qu’elles indiquent le temps ou l’âge de l’homme, à cause de la blancheur des cheveux qui commence à cet endroit.» (De Roquefort, Dict. étym.)
TEMPS (DANS LE).
| Locut. vic. | Cela m’a coûté mille francs dans le temps, dans les temps. |
| Locut. corr. | Cela m’a coûte mille francs autrefois. |
Cette expression: dans le temps est beaucoup trop vague pour être satisfaisante. Dans le temps de quoi? dans le temps de qui? pourrait-on demander. Si vous ne voulez ou ne pouvez préciser aucune époque, employez autrefois, et tout est dit.
TENDON.
| Locut. vic. | Nous avons mangé des tendons de veau. |
| Locut. corr. | Nous avons mangé des tendrons de veau. |
Les tendons sont des extrémités de muscles et ne peuvent guère servir à faire des ragoûts; mais les tendrons, cartilages qui se trouvent à l’extrémité des os de la poitrine de certains animaux, fournissent un mets fort recherché par les personnes qui aiment ce qui croque sous la dent. «Une fricassée de tendrons de veau.» (Acad.)
TENDRESSE.
| Locut. vic. | Rien n’égale la tendresse, la tendreur de ce gigot. |
| Locut. corr. | Rien n’égale la tendreté de ce gigot. |
«Tendreur, en parlant des viandes, n’a pas passé. On dit tendreté. Quelques-uns avaient voulu introduire tendre, subst. masc., dans ce sens: Cette viande est d’un grand tendre: l’usage ne l’a point admis.» (Féraud, Dict. crit.)
L’Académie a adopté tendreté.
L’auteur des Remarques sur le Dictionnaire de l’Académie fait la guerre à ce mot. «Ce fut, dit-il, au moins un siècle après la première apparition de Mascarille et de Jodelet chez mesdemoiselles Gorgibus, qu’on osa inventer chez madame de T*** ou de L*** la tendreté d’un gigot; tant il est vrai que c’est un des priviléges du génie de contenir pour long-temps la sottise!
«A peine tendreté eut-il frappé les oreilles d’une coterie, qu’une coterie jalouse lui opposa la tendreur. Les avis se partagèrent long-temps entre les gourmets des deux tablées; mais enfin le secrétaire de l’Académie française crut devoir décider la question.
«Cependant la décida-t-il bien, en adoptant tendreté, au préjudice de tendreur, ou même de tendresse? Je laisse à juger ce point aux gens de goût; et je ferai seulement la réflexion suivante. Supposons que la servante de Gorgibus eût entendu ses maîtresses lui parler de la tendreté d’un gigot ou d’une botte de raves, je m’imagine qu’elle leur eût allégué la creuseur de ses sabots, la rougeur ou l’écarlatesse de sa jupe; ce qui semble contredire formellement la décision académique.»
Il est certain que, malgré la critique de M. Feydel, personne ne voudrait maintenant appliquer le mot tendresse à un gigot, à des légumes. Passe encore pour la salade: là, au moins, il y a un cœur.—Plaisanterie à part, tendresse, dans l’acception que veut lui conserver le critique de l’Académie, est considéré généralement comme un barbarisme, et n’est guère employé que par ces espèces de maraîchers qui courent les rues de Paris en criant à gorge déployée: La tendresse! la verduresse!
TERRORIFIER.
| Locut. vic. | Cette nouvelle les terrorifia. |
| Locut. corr. | Cette nouvelle les terrifia. |
M. Boiste a cru devoir donner le verbe terrorifier, et nous en sommes surpris, car il n’est jamais employé par les gens qui parlent bien. Terrorifier vaudrait sans doute mieux, en ce que le verbe terrifier a déjà une autre acception, celle de convertir en terre, et qu’il serait très désirable que chaque idée fût représentée par un mot propre, mais le ridicule s’est attaché au verbe terrorifier, et nous devons actuellement le regarder comme mort.
M. Boiste renvoie d’ailleurs à terrifier.
TÊTE D’OREILLER.
| Locut. vic. | Voici une tête d’oreiller. |
| Locut. corr. | Voici une taie d’oreiller. |
On a dit et écrit autrefois: un tet d’oreiller; c’est de là que sera venue, par corruption, le mot populaire tête d’oreiller.
TIMONNIER.
| Locut. vic. | Ce cheval fera un bon timonnier. |
| Locut. corr. | Ce cheval fera un bon limonnier. |
On dit plus communément les limons d’une voiture que le timon. Il vaut donc mieux ne se servir de l’expression limonnier qu’en parlant d’un cheval, et laisser timonnier exclusivement à sa signification de personne qui gouverne le timon d’un vaisseau, comme l’a fort sagement fait le Dictionnaire de l’Académie (1802), et comme auraient dû le faire les lexicographes qui l’ont suivi.
Dans cette phrase, par exemple: Le timonnier était tout en sueur, comment saura-t-on s’il est question d’un homme ou d’un cheval, à moins qu’il ne demeure bien convenu qu’un timonnier est un homme, et un limonnier un cheval? La propriété des termes mérite vraiment plus d’importance qu’on n’y en attache généralement.
TISSER.
| Locut. vic. | Elle a tissé elle-même cette toile. |
| Locut. corr. | Elle a tissu elle-même cette toile. |
On a dit autrefois tistre; on dit aujourd’hui tisser, dont le participe est tissu.
TOAST.
| Pron. vic. | Porter un to-ast. |
| Pron. corr. | Porter un toste. |
Ce mot nous est donné comme un mot anglais, transporté dans notre langue avec sa signification de choc d’un verre à boire contre un autre verre. Ne serait-il pas plutôt pris du vieux mot français toster, qui signifiait choquer, joûter, et ne serait-il pas du nombre des mots de notre langue, introduits dans l’anglais par les Normands? On lit dans Clotilde de Surville, poète du quinzième siècle, le vers suivant:
M. Berchoux nous paraît avoir eu tort de faire deux syllabes de ce mot:
Il faudrait donc aussi faire quatre syllabes du mot roast-beef.
TOMBÉE.
| Locut. vic. | Nous arrivâmes à la tombée de la nuit. |
| Locut. corr. | Nous arrivâmes à la nuit tombante. |
Pourquoi tous nos dictionnaires ont-ils oublié l’adjectif tombant?
TOMBER.
| Locut. vic. | Mon fils est tombé hier. |
| Locut. corr. | Mon fils a tombé hier. |
«L’Académie et la plupart des grammairiens disent que le verbe tomber ne prend pour auxiliaire que le verbe être, et qu’on ne peut jamais le conjuguer avec le verbe avoir. Cependant en donnant cette règle avec beaucoup d’assurance, ils ne peuvent se dispenser de convenir que plusieurs écrivains, dans certains cas, ont conjugué tomber avec l’auxiliaire avoir; mais ils appellent ces locutions des distractions ou des fautes, et n’en regardent pas moins leur règle comme infaillible.
«Je conviendrai qu’il faut toujours dire: je suis tombé, si par cette locution on peut exprimer toutes les nuances, toutes les vues de l’esprit, que peuvent présenter les temps composés du verbe tomber; mais s’il est des cas où cette locution confond une vue de l’esprit avec une autre, je serai fondé à croire qu’elle ne suffit pas. Une mère voit son enfant près de tomber, elle dit: il va tomber; elle le voit tombant, elle dit: il tombe; elle le voit à terre après sa chûte, elle dit: il est tombé; mais si elle le relève, et qu’elle veuille indiquer à quelqu’un l’accident qui lui est arrivé, comment dira-t-elle? Dira-t-elle encore: mon enfant est tombé? Elle se servira donc de la même locution pour exprimer deux vues différentes de l’esprit.—Mon enfant est tombé; on lui répondra: courez vîte le relever.—Mais je ne veux pas dire qu’il est actuellement par terre, par suite de sa chûte: on l’a relevé.—Que voulez-vous donc dire?—Il n’y a point de femme qui, pressée par ces questions, ne réponde alors: je veux dire qu’il a tombé.—Il y a des choses dont on peut dire qu’elles ont tombé, et dont on ne peut jamais dire, exactement parlant, qu’elles sont tombées. Telles sont les choses qui, ayant un nom dans leur chûte, le perdent quand la chûte est consommée. On appelle pluie l’eau qui tombe du ciel; la pluie tombe, la pluie a tombé, mais strictement parlant, on ne devrait pas dire que la pluie est tombée; car quand l’eau du ciel est sur la terre, ce n’est plus de la pluie, c’est de l’eau de pluie. Ainsi, la pluie, qui peut être ou avoir été dans un état de chose tombante, ne peut être dans un état de chose tombée. On peut donc dire la pluie tomba, la pluie a tombé; mais on ne devrait pas dire la pluie est tombée. Cependant on le dit, en parlant d’une période qui n’est pas encore écoulée: la pluie est tombée ce matin à verse. Mais il serait ridicule de dire: la pluie est tombée à verse il y a six jours; il faut dire: a tombé. On peut appliquer les mêmes observations aux mots foudre et tonnerre. L’année dernière, le tonnerre a tombé sur plusieurs édifices; le tonnerre est tombé ce matin, ou a tombé ce matin dans la Seine. Vouloir absolument que l’on emploie également l’auxiliaire être pour signifier et l’action, et l’état qui résulte de l’action, c’est confondre dans une seule expression deux choses réellement distinctes, c’est bannir de la langue une locution nécessaire pour exprimer une vue particulière de l’esprit, c’est apauvrir la langue. On a sans doute exclu cette locution de la langue, parce que l’Académie a omis de la mettre dans son Dictionnaire. Voilà comme l’Académie, à plusieurs égards, a contribué à apauvrir et à corrompre la langue. On a fait des règles de ses omissions et de ses bévues.» (Laveaux, Dict. des diff.)
L’Académie, qui prépare en ce moment une nouvelle édition de son dictionnaire, ne dédaignera sans doute pas d’avoir égard à la remarque de Laveaux, sur l’emploi de l’auxiliaire avoir avec tomber, et à tant d’autres observations non moins sensées, faites par plusieurs de nos meilleurs grammairiens sur les défauts malheureusement trop nombreux de son ouvrage. Espérons qu’un mesquin esprit de corps ne l’emportera pas sur l’intérêt de la langue française.
TOMBER A TERRE, TOMBER PAR TERRE.
| Locut. vic. | Ce grand chêne est tombé à terre. | |
| La girouette de notre maison est tombée par terre. | ||
| Locut. corr. | Ce grand chêne est tombé par terre. | |
| La girouette de notre maison est tombée à terre. | ||
«Tomber par terre se dit de ce qui, étant déjà à terre, tombe de sa hauteur; et tomber à terre, de ce qui, étant élevé au-dessus de terre, tombe de haut.
«Un homme, par exemple, qui passe dans une rue et qui vient à tomber, tombe par terre, et non à terre, car il y est déjà; mais un couvreur, à qui le pied manque sur un toit, tombe à terre, et non par terre.
«Un arbre tombe par terre; mais les fruits de l’arbre tombent à terre.» (Girard, Synonymes.)
TONTON.
| Locut. vic. | Il le fait tourner comme un tonton. |
| Locut. corr. | Il le fait tourner comme un toton. |
Toton est le mot latin totum, francisé, sous le double rapport de la prononciation et de l’orthographe.
«Le toton est une sorte de dé à quatre et à cinq faces, sur l’une desquelles est la lettre T, qui désigne le mot latin totum, tout; parce que, lorsque le dé présente cette face, le joueur gagne tout.» (De Roquefort, Dict. étym.)
Lisez toton.
TOUCHER.
| Locut. vic. | Nous sommes réconciliés; touchons-nous la main. |
| Locut. corr. | Nous sommes réconciliés; touchons-nous dans la main. |
L’usage veut toucher dans la main, et non toucher la main. Le régime direct de toucher est le pronom personnel. Dans ces phrases du Dictionnaire de l’Académie (1802), nous nous sommes touchés dans la main, ils se sont touchés dans la main, l’analyse démontre clairement que le verbe toucher est actif. Il faut donc conséquemment dire toucher quelqu’un dans la main, et non toucher à quelqu’un dans la main.
Molière nous paraît avoir eu tort de faire toucher verbe neutre, dans ce vers:
TOUCHER. (Voyez PINCER.).
TOURNER.
| Locut. vic. | Je crois qu’il tourne cœur. |
| Locut. corr. | Je crois qu’il retourne cœur. |
La carte que l’on retourne se nomme la retourne. De quelle couleur est la retourne?
TOUS DEUX, TOUS LES DEUX.
| Locut. vic. | Nous partîmes tous les deux sur le même navire. | |
| Nous ne partirons pas tous deux le même jour. | ||
| Locut. corr. | Nous partîmes tous deux sur le même navire. | |
| Nous ne partirons pas tous les deux le même jour. | ||
Deux individus qui font la même action, ensemble, dans le même lieu, la font tous deux; mais si cette action est faite séparément par ces deux individus, on dira qu’ils l’ont faite tous les deux.
Corneille et Voltaire ont régné tous les deux sur la scène tragique, et non tous deux. Je les ai rencontrés tous deux bras dessus, bras dessous, et non tous les deux.
La même remarque s’applique aux autres noms de nombre, excepté toutefois à ceux qu’on ne peut employer sans l’article. Ils sont morts tous trois, tous quatre, signifie que les trois, les quatre, sont morts ensemble, dans le même lieu. Ils sont morts tous les trois, tous les quatre, signifie que les trois, les quatre, sont morts à des époques différentes, et en différens lieux.
TOUT.
| Locut. vic. | Cet homme, tout spirituel qu’il soit, ne me plaît pas. |
| Locut. corr. | Cet homme, tout spirituel qu’il est, ne me plaît pas, ou quelque spirituel qu’il soit, etc. |
«On met toujours l’indicatif après tout, et toujours le subjonctif après quelque, et l’exemple d’un de nos bons écrivains ne doit pas l’emporter sur l’usage.
«Tous les bons auteurs que j’ai lus, mettent l’indicatif après tout, hors celui que j’ai cité d’abord.» (Bouhours, Nouv. rem., p. 319.)
TOUT.
| Locut. vic. | Vous avez les mains toutes écorchées. | |
| Prenez cette portion toute entière. | ||
| Il le ferait pour tout autre personne que vous. | ||
| Elle est toute autre que je ne croyais. | ||
| Locut. corr. | Vous avez les mains tout écorchées. | |
| Prenez cette portion tout entière. | ||
| Il le ferait pour toute autre personne que vous. | ||
| Elle est tout autre que je ne croyais. | ||
Tout, placé devant un adjectif féminin, singulier ou pluriel, commençant par une consonne ou un h aspiré, s’accorde en genre et en nombre avec cet adjectif. Il a la main toute sanglante. L’euphonie est la raison de cette anomalie qui soumet un adverbe à la loi de l’accord. M. Barthélemy a écrit:
La licence est trop forte. Il fallait toute.
Tout est invariable, si l’adjectif qu’il précède est masculin pluriel, commençant par une voyelle ou une consonne: les doigts tout écorchés, les doigts tout sanglans, ou bien si cet adjectif est féminin, singulier ou pluriel, et commençant seulement par une voyelle ou un h muet: la main tout écorchée, les mains tout écorchées.
Tout, suivi de l’adjectif entière, est un adverbe, et doit toujours être invariable. Quand on dit: la maison tout entière, c’est comme si l’on disait: la maison absolument entière.
Tout, joint à l’adjectif autre, est tantôt variable et tantôt invariable. Dans cette phrase, par exemple: Il le ferait pour toute autre personne que vous; on voit que tout doit être variable, parce qu’il est adjectif. C’est comme s’il y avait: il le ferait pour toute personne autre que vous.
Mais dans cette autre phrase: Elle est tout autre que je ne croyais; tout, ne pouvant être qu’un adverbe, reste invariable. Tout a ici la valeur de tout-à-fait.
TOUT (UNE FOIS POUR).
| Locut. vic. | Nous l’avons dit une fois pour tout. |
| Locut. corr. | Nous l’avons dit une fois pour toutes. |
C’est à-dire une fois pour toutes (les autres fois.)
TOUT PLEIN.
| Locut. vic. | J’ai tout plein d’appétit. |
| Locut. corr. | J’ai beaucoup d’appétit. |
Tout plein pour beaucoup est une mauvaise expression, parce qu’elle manque d’exactitude. Vaugelas, qui l’a chaudement défendue, tout en convenant à peu près qu’elle n’a point de sens ni de raison (Nouv. Rem., 1690), dit qu’il ne faut pas s’amuser à en faire l’anatomie. Quelle valeur peut donc avoir cette expression qui craint tant l’analyse? Aucune.
Il y a des cas où tout plein peut être fort bien placé; mais on remarquera qu’il n’a pas alors la signification de beaucoup, qui doit lui être toujours refusée. Y a-t-il de l’eau dans ce tonneau? Oui, il y en a tout plein. Tout plein a au moins ici une valeur déterminée. Ce qui est vague ne convient pas à notre langue, qui aime tant la précision!
TRAINTRAIN.
| Locut. vic. | Vous connaissez bien le traintrain de la maison. |
| Locut. corr. | Vous connaissez bien le trantran de la maison. |
«C’est un mot factice et populaire; le cours de certaines affaires; la manière ordinaire de les conduire. Entendre, savoir le trantran. Il sait le trantran des affaires du palais.» (Féraud, Dict. crit.)
TRAVERS (A), TRAVERS (AU).
| Locut. vic. | Il se sauva à travers du jardin. | |
| Je passai au travers les rangs ennemis. | ||
| Locut. corr. | Il se sauva à travers le jardin. | |
| Je passai au travers des rangs ennemis. | ||
A travers doit être suivi d’un régime direct, au travers d’un régime indirect.
A travers exprime l’action de passer par un milieu qui n’offre aucun obstacle, aucune résistance: au travers marque au contraire l’action de passer par un milieu qu’il faut pour ainsi dire percer. On passe une épée au travers du corps; on passe à travers les champs. Le fil passe à travers l’aiguille qui est percée; l’aiguille passe au travers de la peau qu’elle perce.
TRAVERS (DE), TRAVERS (EN).
| Locut. vic. | Posez cette planche de travers. |
| Locut. corr. | Posez cette planche en travers. |
De travers signifie à contre-sens ou de mauvais sens, en travers, d’un côté à l’autre, suivant la largeur.
TRAVERSAL.
| Locut. vic. | C’est une ligne traversale. |
| Locut. corr. | C’est une ligne transversale. |
«Constantin Varole, Boulonais, premier médecin du pape Grégoire XIII, mort en 1570, a donné son nom à l’alongement transversal du cervelet, appelé Pont de Varole.» (Dict. de Trévoux.)
TRAVERSER LE PONT.
| Locut. vic. | Traversez le pont qui est devant vous. |
| Locut. corr. | Passez le pont qui est devant vous. |
«Traverser, dit un grammairien, signifie parcourir l’étendue d’un corps considérée dans sa largeur d’un côté à l’autre; mais lorsqu’on parcourt un objet d’un bout à l’autre dans sa longueur, on ne le traverse pas. Le pont traverse la rivière, il en occupe l’étendue en largeur. Vous n’avez pas parcouru le pont dans sa largeur; vous avez traversé, il est vrai, la rivière, mais c’a été en parcourant le pont dans sa longueur; vous n’avez pas traversé le pont, vous y avez passé.» (Chapsal, Nouv. Dict. gramm.)
Le badaud qui, appuyé sur le parapet d’un pont, voit un train de bois disparaître sous une arche, se hâte de traverser le pont, pour jouir encore du délicieux spectacle de ce train de bois suivant le courant de la rivière, et se jette, comme un étourneau, dans les jambes de l’homme pressé qui passe le pont pour vaquer à ses affaires.
TRÉFOUILLER, TRIFOUILLER.
| Locut. vic. | Vous êtes toujours à tréfouiller. |
| Locut. corr. | Vous êtes toujours à farfouiller. |
Ce mot, d’un usage fort commun, mais non de bon usage, ne se trouve dans aucun dictionnaire. On pourrait le remplacer parfaitement par le verbe farfouiller, qui n’est pas élégant, mais qui est du moins français.
TREMBLER LA FIÈVRE.
| Locut. vic. | Je tremble la fièvre. |
| Locut. corr. | La fièvre me fait trembler. |
L’Académie n’a pas dédaigné d’enregistrer cette mauvaise locution dans son dictionnaire, et l’Académie nous paraît avoir tort. Si elle voulait rapporter toutes les expressions devant lesquelles elle pourrait mettre: on dit populairement, il lui faudrait augmenter du double le volume de son dictionnaire, et nous doutons réellement que nous en fussions plus avancés. Trembler, verbe actif, est un barbarisme qui ne méritait pas du tout la bienveillance de MM. les quarante.
TRÉMONTADE, TRÉMONTANE.
| Locut. vic. | Nous perdîmes la trémontade, la trémontane. |
| Locut. corr. | Nous perdîmes la tramontane. |
Le nord se nomme tramontane dans la Méditerranée. Perdre la tramontane, c’est perdre le moyen de s’orienter, de savoir où l’on est. Cette expression s’emploie figurément en parlant de quelqu’un qui ne sait plus ce qu’il dit, ni ce qu’il fait, par suite d’un trouble qui lui est survenu.
TRÈS.
| Locut. vic. | J’ai très soif. |
| Locut. corr. | J’ai une grande soif. |
Très ne peut pas se placer devant un substantif. Marivaux a écrit: Nous étions partis très matin de cette ville. Il fallait: de très grand matin.
TRÉSORISER.
| Locut. vic. | Voulez-vous donc trésoriser? |
| Locut. corr. | Voulez-vous donc thésauriser? |
Trésoriser est un barbarisme. On peut voir là un nouvel exemple des contradictions choquantes introduites dans notre langue par les changemens qu’on y a faits sans discernement. Le plus simple bon sens ne prouve-t-il pas qu’avec notre mot moderne de trésor, nous devrions dire trésoriser, ou que si nous voulons dire thésauriser, il faut revenir au substantif thésaur, tiré du latin thesaurus, et dont on se servait autrefois. Adoncques chascun membre se prepare et sesvertue de nouveau à purifier et affiner cestuy thesaur. (Rabelais, Pantagruel.)
TRESSAILLIR.
| Locut. vic. | Voyez comme il tressaillit de joie! | |
| J’ai un nerf tressaillé. | ||
| Locut. corr. | Voyez comme il tressaille de joie! | |
| J’ai un nerf tressailli. | ||
Je tressaille, tu tressailles, il tressaille, nous tressaillons, vous tressaillez, ils tressaillent.—Je tressaillais, nous tressaillions.—Je tressaillis, nous tressaillîmes.—Je tressaillirai.—Je tressaillirais.—Tressaille, tressaillons.—Que je tressaille, que nous tressaillions.—Que je tressaillisse, que nous tressaillissions.—Tressaillir.—Tressaillant.—Tressailli, tressaillie.
«Il tressaillit, prend cette main, la porte à son cœur.» (J.-J. Rousseau, Pygmalion.)
Cette faute a disparu dans les dernières éditions de J.-J. Rousseau.
Un nerf tressailli est un nerf déplacé.
TROIS-PIEDS.
| Locut. vic. | Mettez ce trois-pieds sur le feu. |
| Locut. corr. | Mettez ce trépied sur le feu. |
Trois-pieds ne se trouve dans aucun dictionnaire.
TROUPE.
| Locut. vic. | Son fils est dans la troupe. |
| Locut. corr. | Son fils est dans les troupes. |
Il ne faut pas dire la troupe pour désigner les soldats d’un pays. Ce mot ne s’emploie au singulier, en parlant de gens de guerre, que pour signifier un corps détaché. Cet officier va partir pour l’armée avec sa troupe.
TRUBLE.
| Locut. vic. | Pêchez avec cette truble. |
| Locut. corr. | Pêchez avec cette trouble. |
La plupart des dictionnaires, celui de M. Boiste, entre autres, laissent le choix entre truble et trouble, filet de pêche. Cet instrument étant destiné particulièrement à pêcher en eau trouble, trouble nous paraît mieux convertir sous le rapport de l’analogie. Mais d’un autre côté, tous les compilateurs de cacologies ayant crié haro sur ce pauvre mot, c’est peut-être faire preuve de témérité que de chercher à le faire prévaloir. N’importe! cette témérité, nous l’aurons, et comme elle est basée sur la raison, nous comptons même sur des approbateurs.
TRUFFLE.
| Locut. vic. | Aimez-vous les truffles? |
| Locut. corr. | Aimez-vous les truffes? |
Ménage donne les deux orthographes (Origines de la langue française) et ne met qu’un f. Mais Ménage écrivait il y a près de deux siècles.
TUER LA CHANDELLE.
| Locut. vic. | Avez-vous tué la chandelle? |
| Locut. corr. | Avez-vous éteint la chandelle? |
Tuer le feu est aussi une mauvaise manière de parler. «On dit à Paris: éteindre un flambeau. Tuer un flambeau, une chandelle, est de province.» (Ménage, Obs. sur la langue française, ch. 188.)
TUTAYER.
| Locut. vic. | Vous vous tutayez donc? |
| Locut. corr. | Vous vous tutoyez donc? |
«Il est encore assez commun de dire tutayer», dit M. Ch. Nodier, dans son savant et spirituel ouvrage intitulé Notions de linguistique; «et Dieu garde de mal les honnêtes lexicographes qui écrivent ce barbarisme comme je viens de l’écrire.» (Chap. IX, p. 162.)
«De tu, toi, on a fait tutoyer. L’orthographe qui écrit tutayer est donc souverainement ridicule.» (M. Ch. Nodier, Examen crit. des Dict.)
ULCÈRE.
| Locut. vic. | Il a une ulcère à la jambe. |
| Locut. corr. | Il a un ulcère à la jambe. |
«On le faisait autrefois féminin, et quelques-uns lui donnent encore ce genre; mais ce ne devrait pas être des médecins. Ces ulcères ne furent point si rebelles que les premières.» (Féraud, Dict. crit.)
UN.
| Locut. vic. | C’est un des hommes qui a le mieux servi la patrie. |
| Locut. corr. | C’est un des hommes qui ont le mieux servi la patrie. |
Le bon sens devrait suffire pour indiquer comment les phrases construites d’une manière analogue à celle que nous venons de citer, doivent s’écrire; et cependant cette faute est très fréquente. N’est-il pas évident ici que l’homme dont il est question, n’est pas le seul qui ait le mieux servi la patrie, mais bien un de ceux qui ont le mieux servi la patrie.
Supposons que plusieurs déserteurs, passant par un village, aient été vus par un paysan. Ce paysan, interrogé sur cette circonstance, en présence de l’un d’eux, ne doit-il pas dire: Voilà un des déserteurs qui ont passé par tel village. Mais si, parmi les déserteurs qu’il voit juger, il ne s’en trouve qu’un seul qui ait passé par son village, il devra dire alors: Voilà un des déserteurs qui a passé par mon village. Qui ne voit, par cet exemple, la différence qui existe dans l’emploi du singulier ou du pluriel après le pronom relatif qui, précédé de la locution un de, un des. Ainsi, dans cet autre exemple, tiré d’un journal: Leur pays (le grand-duché de Nassau) est un de ceux qui a refusé de recevoir le tarif prussien, il fallait le verbe avoir au pluriel. Si plusieurs pays ont refusé, etc., et que le duché de Nassau soit un de ces pays, pourquoi ne pas dire: Ce pays est un de ceux qui ont refusé, etc. Si ce pays est le seul qui ait refusé, etc., pourquoi ne pas dire: Ce pays a refusé, etc. Il n’y a là qu’une exactitude de langage tout-à-fait indispensable pour être compris, et pas du tout de purisme.
«Ce fut une des choses qui contribua davantage à les lier étroitement avec elle. (Restaut.) Dans cette phrase, le singulier, dit M. Chapsal, serait regardé aujourd’hui comme une hérésie grammaticale; aussi tous nos modernes auteurs n’emploient-ils que le pluriel: L’empereur Antoine est regardé comme un des plus grands princes qui aient régné.» (Rollin.)
«Il paraîtra bientôt une nouvelle vie de Charles VII; elle a été composée par un des hommes qui possèdent le mieux l’histoire générale de notre monarchie.» (Fréron.)
«Quintilien, un des hommes de l’antiquité qui ont le plus de sens et de goût, examine si l’éducation publique doit être préférée à l’éducation privée.» (D’Alembert.)
(Nouv. Dict. gramm.)
UN.
| Locut. vic. | J’irai chez vous vers les une heure. |
| Locut. corr. | J’irai chez vous vers une heure. |
L’usage (et l’on doit par là, nous présumons, entendre celui des bons auteurs) n’a jamais, comme le prétend le Dictionnaire de M. Raymond, autorisé le solécisme: vers les une heure.
UN CHACUN, UN QUELQU’UN.
| Locut. vic. | Un chacun le fera à son tour. |
| Locut. corr. | Chacun le fera à son tour. |
«Il n’y a plus que les vieillards qui aient droit de se servir de cette expression jadis fort en usage.» (M. Marle, Omnibus du langage.)
La même remarque peut s’appliquer à un quelqu’un.
UN (L’) ET L’AUTRE, NI L’UN NI L’AUTRE.
| Locut. vic. | L’un et l’autre vous a offensé. | |
| Ni l’un ni l’autre n’y manquera. | ||
| Locut. corr. | L’un et l’autre vous ont offensé. | |
| Ni l’un ni l’autre n’y manqueront. | ||
Doit-on mettre le verbe au singulier ou au pluriel après l’un et l’autre? C’est une question controversée depuis fort long-temps par nos grammairiens, et non résolue par nos meilleurs écrivains.
«Comme presque tous les grammairiens se sont prononcés pour le pluriel, nous pensons, dit M. Girault-Duvivier (Gramm. des Gramm.), qu’on doit employer ce nombre plutôt que le singulier.»
Quand nous voyons l’expression l’un et l’autre, qui exprime nécessairement un pluriel, suivie d’un verbe au singulier, il nous semble réellement entendre quelque cuisinière, ou quelque maître d’école de village, faisant une addition, et disant fort correctement: Un et un fait deux.
—«Dans cette phrase: ni l’un ni l’autre n’ont fait leur devoir, il y a deux sujets; aucun des deux n’a fait son devoir, c’est ce que cette phrase signifie; l’exclusion est commune à l’un et à l’autre, et cette exclusion ne peut être marquée que par le pluriel.
«Les deux sujets concourent-ils à l’action? il y a pluralité dans l’idée, il doit y avoir pluralité dans les mots, et, par conséquent, il faut donner au verbe la forme plurielle. Ainsi, je dirai: ni l’un ni l’autre n’ont fait leur devoir; ni la douceur, ni la force ne peuvent rien. Si, au contraire, un des deux sujets seulement fait l’action, il y a unité, et dès-lors le verbe doit être mis au singulier: ni l’un ni l’autre n’est mon père, parce qu’on n’a qu’un père.» (Gramm. des Gramm.)
UNIR.
| Locut. vic. | J’ai uni mes destinées avec les vôtres. |
| Locut. corr. | J’ai uni mes destinées aux vôtres. |
On lit dans Féraud (Dict. crit., art. Aise): «Le genre de ce mot est incertain au singulier; on ne l’unit qu’avec des pronoms.» Il fallait: qu’à des pronoms.
Avec, après le verbe unir, est évidemment battologique, puisqu’il exprime particulièrement l’union; à convient beaucoup mieux, parce qu’il n’exprime guère que la tendance pure et simple.
UNIR ENSEMBLE.
| Locut. vic. | Unissez-vous ensemble contre eux. |
| Locut. corr. | Unissez-vous contre eux. |
«Vaugelas, dans ses Remarques (160e) sur la langue française, trouve cette locution correcte, et cite à l’appui cette phrase tirée de la vie d’Auguste: Antoine et Lépidus s’étaient unis ensemble d’une façon assez étrange.
«Aujourd’hui l’usage a fait raison de cette remarque de Vaugelas; on dirait: Antoine et Lépidus s’étaient unis d’une façon assez étrange.
«Unir ensemble est une véritable périssologie, puisque le mot ensemble n’ajoute rien à l’idée exprimée par unir.» (M. Chapsal, Nouv. Dict. gramm.)
USAGE.
| Locut. vic. | Cette étoffe est d’un bon usage. |
| Locut. corr. | Cette étoffe est d’un bon user. |
«Usage pour user, substantif, est mis, par M. Desgrouais, au nombre des gasconismes.» (Féraud, Dict. crit.)
VA.
| Locut. vic. | J’accepte ce que vous me proposez; cela me va. | |
| Comment ça va-t-il aujourd’hui? | ||
| Locut. corr. | J’accepte ce que vous me proposez; cela me convient. | |
| Comment vous portez-vous aujourd’hui? | ||
Il ne faut qu’un peu de raisonnement pour voir combien sont défectueuses les expressions que nous signalons ici.—Elles appartiennent au langage familier, nous dira-t-on.—Eh! bon Dieu! tâchons donc de laisser de côté cette distinction de langage familier et de langage relevé. Avons-nous réellement aujourd’hui ces deux espèces de langage? N’en fait-on pas tous les jours et partout un continuel mélange? Le parleur le plus illettré ne manque jamais maintenant de placer dans le discours le plus prosaïque, et à côté des expressions les plus triviales, tous les mots les plus ronflans que peut lui fournir sa mémoire. Au tribunal de commerce, en demandant le paiement d’un effet, on évoque tout-à-coup l’élégant et poétique mot alors que; au théâtre, vous entendez dans une tragédie moderne, ou un drame, si vous voulez, l’humble mot guignon. Tous les rangs sont confondus parmi les mots comme parmi les hommes. Les mots bien nés courent les rues comme les mots roturiers, et ceux-ci même supplantent quelquefois les premiers. Voulez-vous, par exemple, savoir des nouvelles du charmant mot épouse? Allez en chercher au faubourg Saint-Marceau, et gardez-vous d’aller aux Tuileries; ce serait le froid et positif mot femme que vous y trouveriez à sa place. Souvenez-vous que le roi maintenant a une femme, le chiffonnier n’a qu’une épouse.
Il nous semble résulter de ce chaos que nous devons nous efforcer de nous faire un seul et unique langage, élégant, si nous le pouvons, et rationnel surtout; cela vaudra infiniment mieux que d’avoir une langue vulgaire et une langue sacrée; car, avec ces deux langues-là, nous ressemblons passablement à des gens qui s’affublent en même temps de beaux habits et de guenilles, et ces gens-là ne peuvent être, ne nous en déplaise, que des fous.
VACILLANT.
| Prononc. vic. | Son courage est vaccillant. |
| Prononc. corr. | Son courage est vacillant. |
Vaciller, vacillant, vacillation, se prononcent sans mouiller les deux ll, et en donnant au c le son de deux ss.
VAGISTAS.
| Locut. vic. | Ouvrez le vagistas. |
| Locut. corr. | Ouvrez le vasistas. |
«Le vasistas est une petite partie d’une porte ou d’une fenêtre, laquelle partie s’ouvre et se ferme à volonté. Ce mot vient des trois mots allemands Was ist das? (Quoi est cela?) que l’on a estropiés comme la plupart des mots qui nous viennent des langues étrangères.
«Vagistas, qui est dans la bouche d’une infinité de personnes, se trouve, on ne sait pourquoi, dans le Dictionnaire de Gattel; mais il ne se trouve que là.» (Gramm. des gramm.)
M. Laveaux, dans son Dictionnaire des difficultés, a aussi écrit vagistas, quoiqu’il assigne à ce mot l’étymologie que nous venons de rapporter, qui nous paraît d’autant plus plausible que la phrase allemande: Was ist das? dans la bouche d’un Allemand, se prononce exactement comme notre mot vasistas, au moyen de l’assimilation du son du double w au son du v simple, et de la rudesse du t transportée au d.
VAILLE QUI VAILLE.
| Locut. vic. | Je l’accepte, vaille qui vaille. |
| Locut. corr. | Je l’accepte, vaille que vaille. |
Vaille que vaille signifie (qu’il) vaille (ce) que (il) vaille, c’est-à-dire n’importe quoi.
VAS (JE), VAIS (JE).
| Locut. vic. | Je vas lui parler. |
| Locut. corr. | Je vais lui parler. |
«Tous les deux se disent, comme l’atteste le mot connu du père Bouhours agonisant.
«Du temps de Vaugelas, la cour disait: je vas, et la ville: je vais. L’avis du peuple a prévalu sur celui de la cour, ce qui arrive souvent en matière de goût.
«On ne dirait plus: je vas, comme dans ces vers de Lafontaine:
«Mais, je m’en vas se dit toujours, et Girard le trouve même préférable à: je m’en vais. Je partage là-dessus l’opinion du père Bouhours, qui était très indifférent sur le choix.» (M. Ch. Nodier, Examen crit. des Dict.) Voyez Aller.
VÉNÉNEUX, VENIMEUX.
| Locut. vic. | Ne touchez pas cette bête; elle est vénéneuse. | |
| Prenez garde à cette plante venimeuse. | ||
| Locut. corr. | Ne touchez pas cette bête; elle est venimeuse. | |
| Prenez garde à cette plante vénéneuse. | ||
Vénéneux vient directement de venenum, et se dit des plantes, des herbes, etc. Venimeux vient de venin, autrefois venim, qui lui-même vient aussi de venenum, et se dit des êtres animés. «On prétend même qu’ils (les crapauds de Carthagène et de Porto-Bello) y font des morsures d’autant plus dangereuses, qu’indépendamment de leur grosseur, ils sont, dit-on, très venimeux.» (Lacépède, Hist. nat., tome 3.)
«Les crapauds sont beaucoup plus venimeux, à mesure qu’ils habitent des pays plus chauds et plus convenables à leur nature.» (Lacépède, Hist. nat., tom. 3.)
«Le suc de la ciguë est vénéneux.» (Dict. de l’Acad.)
Il n’y a pas fort long-temps que l’usage a fixé l’emploi particulier de chacun de ces adjectifs. Du temps du P. Bouhours on disait également: «Les scorpions et les vipères sont des bêtes vénéneuses ou venimeuses.» (Rem. nouv. pag. 264, 1692.)
VENIR.
| Locut. vic. | Viens nous en. |
| Locut. corr. | Allons nous en. |
Viens nous en n’est pas plus régulier que ne le serait: Va nous en. Le verbe ne peut pas être au singulier, quand il a un sujet pluriel.
VÊPRES.
| Locut. vic. | Irez-vous aujourd’hui à vêpres? |
| Locut. corr. | Irez-vous aujourd’hui aux vêpres? |
On doit dire: aller aux vêpres, comme on dit: aller à la messe. Vêpres, au nominatif, au génitif et à l’accusatif, ne s’emploie presque jamais sans article: les vêpres sont sonnées, la fin des vêpres, sonner les vêpres (Acad.), pourquoi n’en serait-il pas de même au datif? Remarquons bien que si l’on dit: aller à prime, à tierce, à sexte, à none, c’est parce que ces mots s’emploient toujours sans article, l’office de prime, de tierce, de sexte, de none[3], est commencé. Matines et complies doivent s’employer aussi sans article; chanter matines, aller à matines, réciter complies, aller à complies.—Vêpres est féminin: Les vêpres siciliennes.
[3] Un grammairien prétend que le mot nones n’a pas de singulier. Nous pensons au contraire que c’est le pluriel qui manque, et que l’on doit toujours écrire none. None est une francisation du latin nona (sous-entendu horá), comme tierce l’est de tertia, sexte de sexta, etc.
VERMICHELLE, VIOLONCHELLE.
| Prononc. vic. | Vermichelle, violonchelle. |
| Prononc. corr. | Vermicelle, violoncelle. |
Plusieurs grammairiens veulent que l’on prononce vermichelle, violonchelle, parce que les mots vermicelle, violoncelle, viennent de l’italien, et que, dans cette langue, le c devant une voyelle liquide se prononce comme notre ch. Pour réfuter victorieusement, il nous semble, cette opinion, il suffit de faire remarquer que ces mots, en passant dans notre langue, ont perdu la terminaison italienne, qu’ils sont actuellement tout-à-fait français, et qu’il serait par conséquent absurde de vouloir leur appliquer une prononciation étrangère. Le naturalisé ne perd-il pas ses droits aux privilèges de sa première patrie? Si ces mots avaient conservé toute leur physionomie italienne comme Mezzo-termine, par exemple, il serait fort raisonnable de les prononcer comme en italien. Mezzo-termine n’est qu’un étranger qui voyage en France, et n’est pas, Dieu merci, encore naturalisé. Mais vermicelle et violoncelle ne sont pas dans le même cas que Mezzo-termine, et l’on ne doit pas plus prononcer vermichelle, violonchelle à l’italienne, que Mézotermine à la française. Et pour revenir à cette dernière expression, comment le Dictionnaire de l’Académie de 1802 a-t-il pu croire enrichir notre langue en lui faisant ce cadeau, quand nous avons déjà celle de terme-moyen qui traduit exactement la première, et que nous devrions préférer, quand ce ne serait que par esprit national. Mais parlez de cela à certaines gens! ils ne vous écouteront pas. Ils aiment infiniment mieux faire étalage d’un mauvais lambeau d’érudition, que de se rendre aux conseils du bon sens.
VERS.
| Prononc. vic. | Votre ami fait des ver se. |
| Prononc. corr. | Votre ami fait des ver. |
Les méridionaux prononcent le mot vers conformément à l’axiôme suivant qui jouit d’une grande autorité parmi eux: Toutes les lettres sont faites pour être prononcées, axiôme fort raisonnable au fond, mais qui est cependant encore fort hétérodoxe en France. En attendant qu’il triomphe, nous engageons nos compatriotes les méridionaux à le mettre un peu moins en pratique; ils n’en paraîtront que plus Français.
VESSICATOIRE.
| Locut. vic. | On lui appliquera un vessicatoire. |
| Locut. corr. | On lui appliquera un vésicatoire. |
Le vésicatoire fait venir des vessies; de là l’erreur des gens fort nombreux qui prononcent ce mot comme s’il était écrit par un double ss.
Vésicatoire vient du latin vesica, et l’on a dit autrefois vésie pour vessie.
VÊTIR. (Voyez REVÊTIR.)
| Locut. vic. | Elle se vêtit à la hâte, et sort. |
| Locut. corr. | Elle se vêt à la hâte, et sort. |
VIDER.
| Locut. vic. | La cour le condamne à vider les lieux. |
| Locut. corr. | La cour le condamne à évacuer les lieux, le local qu’il occupe. |
Nos codes n’ont certainement pas le pouvoir de forcer personne à remplir les fonctions de vidangeur. On conviendra cependant que, sans tourmenter en aucune façon le sens des mots, c’est exactement ce qu’on pourrait inférer de l’arrêt que nous venons de citer, en le prenant à la lettre. Aussi sommes-nous persuadé que cette dégoûtante expression de vider les lieux disparaîtra quelque jour du style judiciaire.
«La langue française, a dit fort judicieusement Andry de Boisregard (Réfl. sur l’usage prés. de la langue française), est, à proprement parler, la plus modeste de toutes les langues; elle rejette non seulement toutes les expressions qui blessent la pudeur, mais encore celles qui peuvent recevoir un mauvais sens. Nos écrivains les plus polis vont en cela jusqu’au scrupule, et un mot devient insupportable parmi nous dès qu’il peut être interprété en mal.
VIE.
| Locut. vic. | C’est défendu sous peine de vie, sous peine de la vie. |
| Locut. corr. | C’est défendu sous peine de mort. |
La mort est une peine qu’on peut infliger; la vie n’en est pas une. C’est donc sous peine de mort que l’on doit dire.
L’Académie regarde l’expression sous peine de la vie comme elliptique, et elle a raison: cela signifie sous peine de perdre la vie. Mais pourquoi préférer une construction elliptique à une construction pleine? La peine de la perte de la vie n’est-elle pas la peine de mort?
VIN.
L’abbé Delille questionnait un jour l’abbé Cosson sur la manière dont il s’était comporté dans un grand dîner auquel il avait assisté chez l’abbé de Radonvilliers. Le premier de ces abbés était, comme on sait, un homme de cour; le second un simple professeur, peu au fait des usages du grand monde. Aussi l’abbé Delille trouva-t-il dans les réponses de son ami un ample sujet de critique. Après maintes questions: «Vous ne dites rien de votre manière de demander à boire», ajouta-t-il. «J’ai, comme tout le monde, demandé du Champagne, du Bordeaux, aux personnes qui en avaient devant elles.—Sachez donc qu’on demande du vin de Champagne, du vin de Bordeaux.» (Berchoux, la Gastronomie, poëme, ch. II, notes.)
Madame de Genlis blâme aussi l’emploi de cette manière de parler, qu’elle attribue bien gratuitement au langage révolutionnaire. (Mém., t. V, p. 92.) Il y a ici parachronisme. Mille exemples pourraient servir à prouver qu’avant la révolution nos bons auteurs ont fait usage de ces locutions elliptiques, et nous pensons que ces autorités peuvent bien balancer avec quelque avantage celle d’un sot purisme qui repose uniquement sur un caprice de grand monde.
VIS-A-VIS.
| Locut. vic. | Je demeure vis-à-vis son hôtel. | |
| Il a été ingrat vis-à-vis de moi. | ||
| Locut. corr. | Je demeure vis-à-vis de son hôtel. | |
| Il a été ingrat envers moi. | ||
Vis-à-vis doit toujours être suivi de la préposition de, et ne peut jamais se placer devant un nom de personne, avec la signification de envers, à l’égard de.
Dans les vers suivans:
Vis-à-vis est bien placé, parce qu’il signifie: en face de; mais il fallait vis-à-vis de.
«Y a-t-il, dit Voltaire, un seul des écrivains du grand siècle de Louis XIV qui ait dit ingrat vis-à-vis de moi, au lieu de, ingrat envers moi; il se ménageait vis-à-vis ses rivaux, au lieu de dire, avec ses rivaux; il était fier vis-à-vis de ses supérieurs, pour fier avec ses supérieurs, etc.? Dès qu’une expression vicieuse s’introduit, la foule s’en empare.» (Lettre à M. d’Olivet.)
«D’Arnaud vient de tenir vis-à-vis de moi la même conduite que Cotin, son devancier, a tenue vis-à-vis de Boileau.» (Ecouchard Le Brun.) Lisez envers dans ces deux endroits.
VIVE.
| Orth. vic. | Vive les gens d’esprit! |
| Orth. corr. | Vivent les gens d’esprit! |
Presque tous nos dictionnaires, excepté celui de l’Académie, donnent au mot vive le nom d’interjection! Cette désignation est tout-à-fait inexacte, car on écrit vivent au pluriel, et une chose bien connue du plus petit écolier, c’est que l’interjection est une des quatre parties du discours qui ne changent jamais. Dans cette phrase: Meure le tyran, ce mot meure, qui ferait meurent au pluriel, meurent les tyrans, est donc un verbe. Périssent les colonies plutôt qu’un principe, périssent est encore un verbe. En voilà assez, nous croyons, pour démontrer que le mot vive est un véritable verbe au subjonctif. Cette phrase: Vivent les gens d’esprit, n’est autre chose qu’une ellipse de cette autre phrase: Je désire que les gens d’esprit vivent. L’usage est d’ailleurs en faveur de l’orthographe que nous défendons; il paraît même avoir en cette circonstance un caractère qu’il revêt assez rarement, celui de l’unanimité. On lit dans Ronsard:
Dans Palissot: Il est charmant, ma foi; vivent les gens d’esprit!
Dans Peluche: Vivent les gens qui ont de l’industrie!
Dans le Dictionnaire de l’Académie: Vivent la Champagne et la Bourgogne pour les bons vins!
Les Latins en faisaient un verbe: Vivant qui pro nobis favent. Les Espagnols ont suivi cet exemple.
M. Thiers a fait une faute dans le passage suivant: Ils se précipitent alors sur les groupes où l’on criait: Vive les Jacobins! (Hist. de la Rév., t. VII, p. 281.)
VOIR.
| Locut. vic. | Voyons voir, regardons voir si c’est lui. |
| Locut. corr. | Voyons, regardons si c’est lui. |
Voir est si ridiculement employé dans ces phrases, qu’il est très rare de le trouver ailleurs que dans la bouche de gens complètement dépourvus d’instruction. Le pléonasme est un peu trop grossier.
VOISIN, VOITURE.
| Prononc. vic. | Vouésin, vouéture. |
| Prononc. corr. | Voasin, voature. |
VOLTE.
| Locut. vic. | Avez-vous fait la volte? |
| Locut. corr. | Avez-vous fait la vole? |
VOTRE. (Voyez NOTRE.)
VOULOIR.
| Locut. vic. | Oh! ne m’en voulez pas! | |
| Croit-on que nous veuillons reculer? | ||
| Locut. corr. | Oh! ne m’en veuillez pas! | |
| Croit-on que nous voulions reculer? | ||
«Quoique l’Académie, et d’après elle plusieurs grammairiens, aient décidé que le verbe vouloir n’a point d’impératif, l’usage a établi le mot veuillez pour seconde personne de ce mode; on le trouve dans plusieurs écrivains distingués, et on le dit journellement dans la conversation.
«D’après ces autorités et l’usage, on peut, je pense, donner un impératif au verbe vouloir, et employer le mot veuillez.» (Laveaux, Dict. des diff.)
On trouve souvent veuillons et veuillez employés comme personnes du subjonctif. C’est une énorme faute. Il faut dire: Ne croyez pas que nous voulions, je ne crois pas que vous vouliez. Les phrases suivantes sont condamnables: Votre impartialité ne me laisse aucun doute que vous ne veuillez bien donner place, etc.—J’espère que personne ne pourra penser que, lorsque nous sommes accusés nous-mêmes, nous veuillons méconnaître le caractère de ceux qui nous accusent. (Casimir Périer, Séance du 26 nov. 1831.)
Il fallait: Que vous ne vouliez, que nous voulions.
VOUS, TE.
| Locut. vic. | Nous vous le tancerons vertement. |
| Locut. corr. | Nous le tancerons vertement. |
Je vous le ferai joliment courir; je te le secouerai joliment. Dans ces phrases, et autres semblables, employées journellement, par des gens instruits même, quel rôle peut-on grammaticalement assigner à ces pronoms vous et te? Qu’ajoutent-ils au discours sous quelque rapport que ce soit? Lui donnent-ils plus d’élégance, plus de clarté, plus d’énergie? Nous ne le pensons pas; bien plus, nous ne considérons ces pronoms que comme des mots parasites qui nuisent au style, loin de l’embellir, et nous recommandons à ceux qui tiennent à s’énoncer purement de ne jamais en faire usage.
Un ancien grammairien, l’auteur des Réflexions sur l’usage présent de la langue française (année 1689), a déjà relevé cette faute. «Une personne, spirituelle d’ailleurs, tenait un jour ce discours, en bonne compagnie, à un homme de la première qualité, à qui il parlait des formules de la justice pour convaincre les criminels: Premièrement, monsieur, disait-il, on vous fait mettre sur une cellette; quand vous êtes là, on vous questionne; on vous demande souvent les mêmes choses sous divers termes, pour vous faire couper, en cas que vous ne disiez pas la vérité; et quand on ne peut plus rien tirer de votre bouche, on vous donne la question jusqu’à ce que vous ayez tout avoué. Après quoi on fait votre procès selon les formes ordinaires. Il fut interrompu à ces mots; mais si on l’eût écouté davantage, je ne doute point qu’après un si beau début, il n’eût continué de la même force, et qu’il n’eût enfin terminé son discours par dire: On vous pend, ou on vous fouette par la ville. La compagnie cependant s’en divertit, et notre homme apprit à se servir une autre fois plus à propos du mot de vous.» Notre grammairien, Andry de Boisregard, trouve, comme on le voit, dans son anecdote un exemple de quelque chose de bien plus grave qu’une inconvenance grammaticale. Ce qui le frappe et le préoccupe, c’est le manque de respect pour un homme de qualité, et sa vénération pour le rang est telle, que, dans le même article, il qualifie d’excès de grossièreté la demande: Comment vous portez-vous? faite directement à un homme de qualité, au lieu d’être exprimée fort indirectement comme: Oserais-je m’informer de la santé de Monsieur?
VRAI.
| Locut. vic. | Je l’ai fait, vrai. | |
| Il est sorti, pas vrai? | ||
| Locut. corr. | Je l’ai fait, en vérité. | |
| Il est sorti, n’est-ce pas? | ||
Vrai est quelquefois employé comme substantif, mais il ne l’est jamais comme adverbe dans nos bons auteurs. L’Académie autorise cette locution: Cela est conclu? vrai? Nous aimerions infiniment mieux là l’adverbe vraiment.—Quant à pas vrai, c’est une expression d’une si grande trivialité, que personne, à notre connaissance du moins, n’a encore osé la défendre. C’est bien heureux!
WISK.
| Locut. vic. | Faisons une partie de Wisk. |
| Locut. corr. | Faisons une partie de Whist. |
Nous préférons la dernière orthographe, suivie par Boiste, à la première, qui est celle de l’Académie, parce que nous sommes assez disposé à reconnaître l’étymologie généralement assignée à ce mot. Whist dérive de l’interjection anglaise Whist! silence! Dans tous les cas, ce nom de jeu s’écrit ainsi en anglais, et cela doit nous suffire pour en déterminer l’orthographe; car il est, nous croyons, reconnu que nous avons emprunté et le jeu et son nom à l’Angleterre. La question d’étymologie est donc purement ici de la compétence du philologue Bayley, c’est-à-dire du Ménage anglais.
Y.
| Locut. vic. | Plaignez le malheureux qui n’y voit goutte. | |
| Je crois qu’il y ira. | ||
| Locut. corr. | Plaignez le malheureux qui ne voit goutte. | |
| Je crois qu’il ira. | ||
L’Y doit être supprimé dans ces deux phrases. Dans la première, il est complètement inutile, parce que ne voir goutte signifie là tout autant que n’y voir goutte. Mais si l’y est superflu dans la première phrase, il n’en est pas de même dans la seconde, et si on le retranche ici, c’est uniquement pour éviter un hiatus assez désagréable, quoiqu’on en ait trouvé des exemples dans le correct et élégant Fénelon.
«Quand le verbe qui suit le pronom y, dit Laveaux, commence par un i, on supprime ce pronom pour éviter la rencontre des deux i, qui formeraient un son désagréable. Ainsi, au lieu de dire: il m’a dit qu’il y irait, on dit: il m’a dit qu’il irait.» (Dict. des diff.)
Si l’on voulait dire que quelqu’un ne comprend rien à une affaire, on dirait cependant: il n’y voit goutte, parce que cette phrase équivaudrait ici à: il ne voit goutte à cela, là-dedans.
YEUX.
| Locut. vic. | Ce bouillon, ce fromage a des yeux. |
| Locut. corr. | Ce bouillon, ce fromage a des œils. |
Plusieurs grammairiens ont pensé que, dans plusieurs cas, le substantif œil doit avoir pour pluriel œils et non pas yeux. Nous nous rangeons à cet avis, parce que nous désirons contribuer à faire disparaître la déclinaison hybride de ce mot, comme dit M. Ch. Nodier. Quand il s’agit d’ouvrir la porte à la raison, il faut se garder de se faire prier.
On dit aussi des œils de bœuf (terme d’architecture) et non des yeux de bœuf. Œil fait yeux au pluriel, dans le sens propre, et œils dans le sens analogique.
YEUX.
| Prononc. vic. | Zieux noirs, que je vous aime! |
| Prononc. corr. | Hieux noirs, que je vous aime! |
Bien des gens, en lisant ce mot placé au commencement d’une phrase, comme dans un signalement par exemple: front haut, yeux noirs, etc., le prononcent zyeux, parce qu’ils sont accoutumés à le trouver presque toujours précédé d’un s ou d’un x, comme dans ces locutions: mes yeux, tes yeux, ses yeux, vos yeux, leurs yeux, les yeux, aux yeux, etc. Un peu de réflexion doit faire voir que le mot yeux doit être prononcé hyeux, toutes les fois qu’il n’est pas précédé d’un s on d’un x.
ZÉRO.
| Locut. vic. | Il est là comme un zéro en chiffre. |
| Locut. corr. | Il est là comme un zéro sans chiffre. |
Nous pensons comme M. Marle que l’expression zéro sans chiffre offre un sens plus raisonnable que l’expression zéro en chiffre. Un zéro sans chiffre qui le précède, n’a effectivement aucune valeur.
ETC.
| Locut. vic. | Il y avait là Jean, Simon, Pierre et cetera. |
| Locut. corr. | Il y avait là Jean, Simon, Pierre et autres. |
Et cætera ne peut se rapporter qu’à des choses. Cætera est un adjectif neutre qui se rapporte au substantif neutre negotia, sous-entendu, et qui ne peut, par conséquent, avoir aucune relation avec des personnes.
FIN.