Dictionnaire critique et raisonné du langage vicieux ou réputé vicieux
La licence poétique ne va pas jusques-là.
AVRIL.
| Prononc. vic. | Le mois d’a-vrille (comme une vrille). |
| Prononc. corr. | Le mois d’a-vri-le. |
L’Académie prétend que le l de ce mot est mouillé. Laveaux est d’un sentiment contraire, et nous croyons qu’il a pour lui l’autorité de l’usage.
AÏEUL.
| Locut. vic. | Ses deux aïeux étaient militaires. |
| Locut. corr. | Ses deux aïeuls étaient militaires. |
Le grand-père paternel et le grand-père maternel d’une personne sont ses aïeuls, comme sa grand’mère paternelle et sa grand’mère maternelle sont ses aïeules. Les aïeux sont tous les parens ascendans, à quelque degré qu’ils soient, excepté toutefois le père et la mère.
On a substitué un i à un y dans ce mot, parce que cette dernière lettre n’est réellement à sa place que lorsqu’elle vaut deux i comme dans pays, moyen (pai-is, moi-ien). L’usage, fondé sur l’étymologie, a cependant conservé l’y dans beaucoup de mots où un i pourrait fort bien le remplacer, mais l’usage perd tous les jours sous ce rapport, et cette mauvaise orthographe finira par disparaître entièrement.
BABOUINES.
| Locut. vic. | Se lécher les babouines. |
| Locut. corr. | Se lécher les babines. |
Les babines sont les lèvres des animaux qu’on n’a pas jugés assez mondes pour se servir à leur égard du mot lèvres.
Les babouines sont les femelles des babouins, espèce de singes fort gros. On dit aussi plaisamment des babouines pour désigner des petites filles, comme on dit des babouins pour désigner des petits garçons.
BACCHANALE.
| Locut. vic. | Quelle bacchanale font ces instrumens! | |
| Votre dîner était un vrai bacchanal. | ||
| Locut. corr. | Quel bacchanal font ces instrumens! | |
| Votre dîner était une vraie bacchanale. | ||
Chez les païens les bacchanales étaient les fêtes de Bacchus, et ces fêtes étaient des orgies. C’est par analogie avec ces fêtes, qu’on a nommé chez nous bacchanale une partie de plaisir où l’on fait des libations nombreuses.
Ainsi, en parlant d’un repas marqué par l’intempérance et le bruit, on dira fort bien: C’était une bacchanale; mais si l’on ne voulait parler que d’un grand tapage, ce serait bacchanal qu’il faudrait employer. Taisez-vous; vous faites un bacchanal insupportable. Ce dernier mot se trouve avec cette signification dans le dictionnaire de l’Académie de 1802.
BAIGNER.
| Locut. vic. | Ils sont allés baigner ensemble. | |
| On trouva son frère baignant dans son sang. | ||
| Locut. corr. | Ils sont allés se baigner ensemble. | |
| On trouva son frère baigné dans son sang. | ||
Lorsqu’il est question de l’action d’une personne qui prend un bain, le verbe baigner doit toujours être pronominal; je me baigne, tu te baignes, etc. Il ne devient neutre que lorsqu’il exprime une chose ou un être inanimé qui trempe dans un liquide: Ces fruits doivent baigner dans l’eau-de-vie; le cadavre du cheval baignait dans le lac. Quant à la seconde locution, l’Académie ne l’admet pas, et Féraud la repousse positivement. On pourrait dire, il est vrai, sauf l’hyperbole, on trouva cet homme nageant dans son sang; mais il y a une distinction à faire à ce sujet; c’est que nager exprime une action, et que baigner, verbe neutre, exprime un état, et que, conformément à l’usage, l’un est toujours employé au participe présent, et l’autre au participe passé. On ne peut pas plus dire un homme baignant dans son sang qu’un homme nagé dans son sang. Le participe présent implique dans un verbe neutre d’action l’idée d’un mouvement qu’on trouve fort rarement dans l’homme qui baigne dans son sang; le participe passé, au contraire, dénotant naturellement l’absence de vie, nous paraît convenir tout-à-fait dans cette circonstance. Aussi le participe présent et le participe passé ont-ils reçu, dans certaines nomenclatures grammaticales, le premier, le nom de participe actif, et le second, celui de participe passif.
BAILLER.
| Locut. vic. | Allons, vous baillez aux corneilles. |
| Locut. corr. | Allons, vous bayez aux corneilles. |
«Béer est le mot propre, dit M. Charles Nodier (Examen crit. des Diction.); mais bayer s’y est substitué». L’auteur du Dictionnaire comique aime mieux aussi écrire béer. Le mot béant, qui n’est autre chose que le participe présent du verbe béer, tenir la bouche ouverte en regardant niaisement, semble assez indiquer que cette dernière orthographe devrait être préférée. Cependant l’usage, en cette occasion, comme dans beaucoup d’autres, a prévalu sur la raison, et l’on écrit aujourd’hui bayer.
BALIER.
| Orth. vic. | Baliez cet escalier. |
| Orth. corr. | Balayez cet escalier. |
De balai on a fait balayer. Il faut donc écrire ainsi ce verbe et le prononcer balai-ier.
Prononcez de même balai-iures (balayure), balai-ieur (balayeur) et non baliures, balieur.
On trouve balier dans Pasquier, Nicod et quelques autres vieux auteurs, et, du temps de Ménage, on ne savait trop lequel valait mieux de balier ou de balayer.
BAPTISMAL.
| Prononc. vic. | Bap-tismal. |
| Prononc. corr. | Batismal. |
Selon l’Académie, le p doit se faire sentir dans la prononciation du mot baptismal, et rester muet dans celle de baptême et de ses dérivés baptiser, baptiste, baptistaire, baptistère.
Nous dirons, nous, prononcez baptismal, comme baptême, comme baptiser, comme baptiste, comme baptistaire, comme baptistère, c’est-à-dire sans faire nullement sonner le p, et vous aurez pour vous l’euphonie, l’analogie et l’usage.
BARBOT.
| Orth. vic. | J’avais un habit bleu barbot. |
| Orth. corr. | J’avais un habit bleu barbeau. |
Le barbeau est une petite fleur des champs vulgairement connue sous le nom de bluet, à cause de sa couleur.
BAS.
| Locut. vic. | Mettez la culotte basse. |
| Locut. corr. | Mettez la culotte bas. |
Bas n’est pas un adjectif dans cette phrase; c’est un adverbe. Il doit être invariable. C’est comme s’il y avait mettez la culotte (à) bas.
BÉNIR.
| Locut. vic. | Marie était bénite entre toutes les femmes. | |
| Cet enfant est bénit par son père. | ||
| Ce chapelet est béni. | ||
| Locut. corr. | Marie était bénie entre toutes les femmes. | |
| Cet enfant est béni par son père. | ||
| Ce chapelet est bénit. | ||
Le verbe bénir a deux participes: l’un qui s’écrit toujours sans t, béni, bénie, lorsqu’il s’agit de la bénédiction de Dieu ou de celle des hommes, autres que les prêtres; l’autre qui s’écrit toujours avec un t, bénit, bénite, lorsqu’il ne s’agit que de la bénédiction des prêtres.
BESOIN.
| Locut. vic. | Il n’en avait pas de besoin. | |
| Munissez-le de ce qu’il aura besoin. | ||
| Locut. corr. | Il n’en avait pas besoin. | |
| Munissez-le de ce dont il aura besoin. | ||
On dit avoir besoin, n’en avoir pas besoin, et non avoir de besoin, n’en avoir pas de besoin.
Avoir besoin ne peut être suivi d’un régime direct, mais bien d’un régime indirect.
BIEN.
| Locut. vic. | Il m’a bien ennuyé! |
| Locut. corr. | Il m’a fort ennuyé! |
L’emploi de l’adverbe bien pour les adverbes très et fort ne doit pas avoir lieu sans examen. Domergue fait la remarque que cette phrase: il est bien malade, a dû être mise en usage par l’héritier d’un vieux avare, sur le point de porter un agréable deuil.
Il faut préférer un autre adverbe à l’adverbe bien toutes les fois qu’il pourrait être suivi d’un mot exprimant une idée de mal.
BISQUER.
| Locut. vic. | Cela m’a fait bisquer. |
| Locut. corr. | Cela m’a fait pester. |
Deux dictionnaires, ceux de Boiste et de M. Raymond, admettent ce verbe. Nous nous joignons à tous les compilateurs de locutions vicieuses pour le repousser, parce que nous n’en voyons pas du tout l’utilité. Contentons-nous de ses synonymes pester, enrager, endêver, endiabler, qui le valent certainement bien, et peuvent nous suffire dans tous les cas.
BLEUET.
| Locut. vic. | Nous cueillons des bleuets. |
| Locut. corr. | Nous cueillons des bluets. |
Bleuet employé pour bluet, petite fleur des champs, est une faute selon tous les dictionnaires; ce n’en est pas une selon la raison; car bluet appartient évidemment à la famille du mot bleu, et ne devrait pas être altéré de cette sorte.
L’usage veut qu’on dise aussi bluette (étincelle, petit ouvrage d’esprit), et non bleuette.
BOHÉMIEN.
| Orth. vic. | Une troupe de Bohémiens leur tira les cartes. |
| Orth. corr. | Une troupe de Boêmiens leur tira les cartes. |
Si l’on s’en rapportait à la signification donnée à ce mot dans nos dictionnaires, les habitans de la Bohême seraient de fort vilaines gens, vagabonds, sales et fripons. Mais les Bohémiens ou Bohêmes valent bien leurs voisins, et si la mauvaise réputation qu’on leur a faite, et dont ils se soucient probablement fort peu, leur est plutôt échue qu’aux Saxons, aux Bavarois, aux Autrichiens, etc., c’est uniquement parce qu’ils sont désignés en français par un mot qui ressemble assez à un autre vieux mot français, ayant à peu près, selon, certains glossaires, la signification de voleur. Ce mot est boem auquel Borel (Trésor de recherches) n’attribue que celle d’ensorcelé, et d’où pourrait, dit-il, venir le nom des Boëmes ou Égyptiens qui se meslent de sortilège et divinations.
Il y a donc évidemment quiproquo lorsqu’on prend les Bohémiens pour des Boëmes ou Boëmiens, c’est-à-dire, un honnête peuple pour une troupe de filous. Des auteurs modernes ont déjà relevé ce quiproquo, et se sont généreusement portés défenseurs des enfans de la Bohême, qui eussent fort bien pu, dénoncés par le dictionnaire de l’Académie à quelque sévère procureur du roi, se voir un beau jour cités à comparaître en police correctionnelle, pour y justifier de leurs moyens d’existence.
Voici ce que dit Feydel à ce sujet (Remarques sur le dict. de l'Acad.): «L’orthographe de ce mot est Boîme, etc. Les Boîmes ou Gougots sont des bandes d’hommes, de femmes et d’enfans dont les pères vivent en commun, lesquelles se retirent dans les bois, quand les ordonnances les poursuivent sur les grands chemins, etc.»
BOLE.
| Locut. vic. | Voulez-vous une bole de lait chaud? |
| Locut. corr. | Voulez-vous un bol de lait chaud? |
Il y a des provinces, la Bretagne, par exemple, où tout le monde dit une bole; c’est un barbarisme. En anglais bol est neutre, comme presque tous les substantifs de cette langue; il doit être masculin en français, d’après son étymologie.
BOITE.
| Locut. vic. | Mettez ce tabac dans ma boîte. |
| Locut. corr. | Mettez ce tabac dans ma tabatière. |
Pourquoi dire boîte pour tabatière? Dites-vous une coiffure, quand vous voulez désigner un chapeau? une chaussure, quand vous devez indiquer des bas ou des souliers? Nommez les choses par leur nom, et dites: tabatière, lorsque vous avez à parler d’une boîte à tabac.» (M. Marle, Omnibus du Langage.)
BONNE HEURE.
| Locut. vic. | Il est arrivé à bonne heure. |
| Locut. corr. | Il est arrivé de bonne heure. |
A bonne heure est un barbarisme fort en usage dans le midi de la France.
BONNET.
| Locut. vic. | Voilà un bonnet d’évêque. |
| Locut. corr. | Voilà une mitre d’évêque. |
«Si vous tenez à nommer les choses par leur nom, dites: la mitre d’un évêque, la toque d’un juge, la barrette d’un cardinal, et non un bonnet d’évêque, de juge, de cardinal.» (M. Marle, Omnibus du Langage.)
BOSSELER.
| Locut. vic. | Ce plat d’argent est vieux; il est tout bosselé. |
| Locut. corr. | Ce plat d’argent est vieux; il est tout bossué. |
Bosseler, c’est travailler une matière en bosse; bossuer, c’est faire par accident des bosses à cette matière. La différence de signification entre ces deux verbes n’est pas établie depuis fort long-temps, car le dictionnaire de Trévoux dit à l’article bosseler: «C’est la même chose que bossuer,» et à ce dernier article: «On dit aussi bosseler.» Aujourd’hui, d’après tous nos dictionnaires, de la vaisselle bosselée, est de la vaisselle travaillée; et de la vaisselle bossuée, de la vaisselle qui a des bosses. Étant bosselée la vaisselle augmente de valeur; quand elle est bossuée elle en perd.
BOUILLEAU.
| Locut. vic. | Un balai de bouilleau. |
| Locut. corr. | Un balai de bouleau. |
Le bouleau est un arbre dont les branches servent à faire des balais. Un bouilleau est une espèce de gamelle à soupe: il n’est guère probable qu’on en fasse des balais.
BOULEVARI.
Beaucoup de grammairiens repoussent encore ce mot, probablement parce qu’il n’a pas été accueilli par le dictionnaire de l’Académie. Le savant M. Feydel a fait à ce sujet la remarque, approuvée depuis par Laveaux (Diction. des Difficultés), que boulevari est un terme de marine, et que c’est celui qu’on emploie figurément dans le langage public. Il signifie grand bruit, grand tumulte. Hourvari, que l’Académie écrit aussi ourvari, mais abusivement selon Laveaux, est un terme exclusivement consacré à la chasse. On pousse ce cri pour faire revenir les chiens sur leurs premières voies.
BOULI.
| Pronon. vic. | Du bouli, de la boulie. |
| Pronon. corr. | Du bouilli, de la bouillie. |
En patois de Paris on dit manger du bouli, de la boulie, sans mouiller les deux l.
On dit aussi dans le même patois: une bouloire, cette eau a boulu; au lieu d’une bouilloire, cette eau a bouilli.
Sarrasin a dit: deux litrons de châtaignes boulues (Testament de Goulu); mais c’était en plaisantant. Cela ne tire nullement à conséquence.
BOULOGNE.
| Locut. vic. | L’Albane naquit à Boulogne. |
| Locut. corr. | L’Albane naquit à Bologne. |
«Léon X.... lui fit demander (à François Ier) une entrevue à Boulogne.» (Mercier, Hist. de France). Lisez Bologne.
Bologne est une ville des États romains; Boulogne est une ville de France (Pas-de-Calais).
BOUT-EN-TRAIN.
| Orth. vic. | C’est un bout-en-train. |
| Orth. corr. | C’est un boute-en-train. |
Bouter est un verbe qui signifiait autrefois mettre. Ainsi la locution un boute-en-train, équivaut à celle-ci un met en train, c’est-à-dire, quelqu’un qui met les autres en train.
BRASSE-CORPS (à).
| Locut. vic. | Je le pris à brasse-corps. |
| Locut. corr. | Je le pris à bras-le-corps. |
C’est une phrase elliptique dont la construction pleine est à bras (qui entourent) le corps.
BRELUE.
| Locut. vic. | Avez-vous la brelue? |
| Locut. corr. | Avez-vous la berlue? |
«On écrivait et on prononçait autrefois barlue, dit l’abbé Féraud. Il est à remarquer que bar ou ber marque quelque chose de courbe, d’oblique, de travers. Ainsi barguigner, c’est ne pas guigner ou viser droit. Barlong, c’est ce qui est inégalement long. Bertauder, c’est tondre inégalement, etc.» (Diction. crit.)
BRINGUEBALLER, TRINQUEBALLER.
| Locut. vic. | Ces gens-là m’ont assez bringueballé, trinqueballé aujourd’hui. |
| Locut. corr. | Ces gens-là m’ont assez brimballé aujourd’hui. |
Les deux premiers verbes sont des barbarismes. Le troisième se trouve dans le dictionnaire de l’Académie, mais il y est noté comme familier. Sa signification est celle-ci: agiter, pousser çà et là, secouer comme des cloches qu’on sonne mal. Si l’on en croit Boiste, on pourrait aussi dire trimballer; mais nous pensons qu’on ferait tout aussi bien de s’en tenir au verbe brimballer dont Rabelais s’est souvent servi, et qui est accueilli par tous les dictionnaires.
BROUILLASSER.
Ce verbe, que l’usage admet, est repoussé par les grammairiens. Nous sommes vraiment fâché de voir les grammairiens moins sensés que l’usage, qui nous a déjà donné tant de preuves de son manque de jugement. Conçoit-on que, pour exprimer le brouillard qui règne quelquefois par une belle matinée d’été, on doive dire qu’il bruine? Mais pourquoi charger bruiner d’une nouvelle acception? La vraie signification de ce verbe est celle-ci: tomber de la bruine, c’est-à-dire, une petite pluie froide, ou un brouillard en pluie. Or, comme il peut y avoir du brouillard sans pluie, c’est précisément pour exprimer l’existence de ce brouillard que nous regardons le verbe brouillasser comme nécessaire.
Il ne faut pas qu’une délicatesse mal entendue nous fasse repousser des mots exprimant des idées qui ne sont pas encore représentées dans notre langue, surtout lorsque ces mots viennent compléter des familles.
Brouillasser est fort ancien dans la langue parlée. On l’a tiré du vieux substantif brouillas qui se disait autrefois pour brouillard: comme des nuës qui, enflées du broüillas d’une nuict, s’esvanouirent aux rayons de ce soleil, etc. (Vie de Ronsard, Œuvres, t. X, 1604.)
BRUXELLES.
| Locut. vic. | Bruc-celles. |
| Locut. corr. | Brusselles. |
En flamand le nom de cette ville s’écrit Brussel. Les Anglais écrivent Brussels, les Espagnols Bruselas, nos anciens auteurs écrivaient Brucelle.
Où avons-nous donc été prendre cette orthographe, Bruxelles?
BUT. (Voyez REMPLIR.)
BUVABLE.
L’auteur du Manuel de la pureté du langage a cru devoir frapper de réprobation l’adjectif buvable. En bonne conscience que peut-on reprocher à cet adjectif? De ne pas tirer son origine du latin, comme la noble expression potable, et d’être un peu familier. Mais quel mal y a-t-il donc que nos Français non-latinistes aient quelques mots qu’ils puissent comprendre facilement, et de plus qu’il y ait des mots pour tous les styles? Presque tous nos dictionnaires, l’Académie en tête, admettent buvable; et nous pensons qu’il fait d’ailleurs si bien le pendant de mangeable que s’il n’existait pas il faudrait l’inventer. Gardons-le donc puisque nous l’avons.
ÇA (AVEC).
| Locut. vic. | Avec ça que je m’ennuie. |
| Locut. corr. | Et puis je m’ennuie. |
Dans le grand nombre d’expressions ridicules que nous entendons dans la conversation, dans celle même de gens instruits, n’oublions pas de placer celle-ci au premier rang. Un auteur assez distingué disait dernièrement: il ne vient pas... je suis d’une impatience! avec ça que je suis pressé! Cet auteur n’aurait-il pas parlé d’une manière tout aussi claire, et surtout bien plus correcte, en disant: je suis si pressé!
CACAPHONIE.
| Locut. vic. | Quelle cacaphonie cela fait! |
| Locut. corr. | Quelle cacophonie cela fait! |
De kakos, mauvais, et phônê, son, on a dû faire cacophonie, et non cacaphonie. Aussi la première de ces deux expressions est-elle seule correcte.
CACHETER, CARRELER, BECQUETER, FICELER.
| Locut. vic. | Je cachte une lettre; on carle ma chambre; cet oiseau vous becqte; fice-le ce paquet. |
| Locut. corr. | Je cachette une lettre; on carrelle ma chambre; cet oiseau vous becquette; ficelle ce paquet. |
Les verbes terminés à l’infinitif par eler, eter, doublent la consonne l ou t devant l’e muet. C’est donc faire des solécismes que de prononcer je cachte, on carle, etc.
CALEMBOURG.
| Orth. vic. | C’est un calembourg. |
| Orth. corr. | C’est un calembour. |
Ce mot nous semble mieux écrit sans g, par la raison que l’on dit un calembourdier d’un homme qui fait des calembours. En écrivant calembourg, il faudrait dire un calembourgiste, expression essayée par Mercier (Néologie), mais qui n’a pas fait fortune. Laveaux écrit calembour et calembourdier.
Pourquoi ne dirait-on pas un calembouriste?
CALONNIÈRE.
| Locut. vic. | L’enfant tenait une calonnière à la main. |
| Locut. corr. | L’enfant tenait une canonnière à la main. |
Le dictionnaire de Trévoux a donné ce mot; il n’est plus aujourd’hui du bon usage.
CALOTTE.
Après la manie d’admettre sans examen et sans choix toutes les expressions nouvelles, parce qu’elles sont employées par le beau monde, nous ne savons rien de plus absurde que de repousser des mots populaires, et très-populaires, il est vrai, mais d’ailleurs très-bons, et qui expriment des idées qu’on ne pourrait rendre que par des périphrases, ou par d’autres mots qui passent pour leurs équivalens, et sont cependant loin de l’être. Nous ne concevons point, par exemple, pourquoi plusieurs de nos grammairiens font difficulté d’adopter le mot calotte pour signifier un coup du plat de la main sur la tête. Le mot soufflet a-t-il la même valeur? Non, certes. C’est bien, il est vrai, le même geste de la part de celui qui frappe; mais le geste du soufflet s’adresse à la joue, celui de la calotte à la partie supérieure de la tête. Il y a donc une différence. Comment alors faudra-t-il dire? Une tape; mais ce mot ne suffit pas, car il signifie seulement un coup de la main. On dira donc une tape sur la tête. Quoi! une périphrase quand on peut n’employer qu’un seul mot! Quelle répugnance soulève contre lui ce pauvre mot! Et cependant que peut-on lui reprocher? D’avoir été longtemps rebuté par les dictionnaires auxquels l’Académie avait donné l’exemple d’un injuste dédain; mais aujourd’hui qu’il a été accueilli dans le dictionnaire des quatre Professeurs, dans celui de M. Raymond, etc., qui n’ont fait en cela que déférer à l’usage général, nous aimons à croire que M. Marle, dans une future édition de ses Omnibus du Langage, ne le mettra plus à l’index comme son synonyme giffle, qu’il a parfaitement raison de chasser de la langue, parce qu’il n’exprime réellement qu’une idée déjà exprimée, et qu’il est par là complètement inutile.
CALVI.
| Locut. vic. | Voici des pommes de Calvi. |
| Locut. corr. | Voici des pommes de Calville. |
Les pommes de Calvi sont des pommes qui viennent de la ville de Calvi, en Corse; mais ces pommes n’ont pas, que nous sachions, plus de renommée que d’autres: aussi n’en parle-t-on pas. C’est uniquement des pommes de Calville qu’il est ici question.
Calville est masculin; voilà de beau calville.
CAMPAGNE.
| Locut. vic. | L’été je vais en campagne. |
| Locut. corr. | L’été je vais à la campagne. |
En campagne est une locution qui exprime un grand mouvement, soit moral, soit physique, mais plus particulièrement encore un mouvement de troupes. Son imagination est en campagne; il se mettra en campagne pour le trouver; nous entrerons en campagne le mois prochain.
CANGRÈNE.
| Orth. vic. | La cangrène s’est déclarée. |
| Orth. corr. | La gangrène s’est déclarée. |
Ménage voulait qu’on écrivît et qu’on prononçât cangrène. Ce docte étymologiste savait cependant fort bien que ce mot venait du grec gaggraina; mais comme, de son temps, tout le monde prononçait cangrène, il était guidé dans son opinion par le sage désir de conformer l’orthographe à la prononciation. Nous qui partageons ce désir, nous proposons donc de réformer, non l’orthographe, ce qui ne serait pas chose facile aujourd’hui, parce qu’elle est universellement adoptée, mais la prononciation, contre laquelle protestent l’étymologie et l’usage de bien des gens.
CARRÉ.
| Locut. vic. | Nous demeurons dans la même maison, et sur le même carré. |
| Locut. corr. | Nous demeurons dans la même maison, et sur le même palier. |
L’acception de palier, donnée à tort au mot carré, ne se trouve pas dans nos dictionnaires, et nous ne voyons pas, en vérité, qu’on en ait besoin.
On dit, dans certaines provinces, un pont d’allée pour un palier. Cette expression est aussi repoussée par les lexicographes.
CARREAU.
| Locut. vic. | Il y a deux carreaux cassés à cette fenêtre. |
| Locut. corr. | Il y a deux vitres cassées à cette fenêtre. |
Casser un carreau ne signifie point, comme le croient beaucoup de personnes, casser une vitre. Un carreau est un morceau carré et plat, le plus ordinairement de terre cuite, mais qui pourrait être d’une autre matière; et c’est abusivement qu’on s’en sert pour désigner une vitre, qui peut avoir une autre forme qu’une forme carrée, et qu’il serait conséquemment fort absurde parfois de nommer carreau. Toute personne qui voudra parler correctement devra s’abstenir d’employer carreau pour vitre, même en faisant suivre ce mot du mot vitre, comme le fait le dictionnaire de l’Académie, qui dit un carreau de vitre.
CASTONADE.
| Locut. vic. | Voulez-vous du sucre blanc ou de la castonade? |
| Locut. corr. | Voulez-vous du sucre blanc ou de la cassonade? |
L’Académie, après avoir long-temps balancé entre castonade et cassonade, s’est enfin décidée pour ce dernier mot; et c’est aujourd’hui définitivement le seul avoué, nous ne dirons pas par l’usage général, car son concurrent a un bien plus grand nombre de partisans, mais par le bon usage, qui se trouve, sur ce point, d’accord avec la grammaire.
Le docte Ménage préférait castonade, mais sans blâmer ceux qui disaient cassonade.
CASUEL.
| Locut. vic. | Le verre est casuel. |
| Locut. corr. | Le verre est cassant. |
Cet adjectif, employé dans le sens de fortuit, accidentel, est fort bon: son revenu est casuel; mais dans le sens de fragile, cassant, ce n’est plus qu’un barbarisme.
CAUSER.
| Locut. vic. | Il m’a long-temps causé de ses affaires. |
| Locut. corr. | Il m’a long-temps entretenu de ses affaires. |
Causer, employé comme dans notre phrase d’exemple, est un gasconisme, un provençalisme, etc., un méridionalisme enfin, et non un mot français. Causer veut la préposition avec entre lui et le pronom personnel qui l’accompagne. Il a longtemps causé avec moi de ses affaires.
CAUSETTE.
| Locut. vic. | Leur causette dure bien long-temps! |
| Locut. corr. | Leur causerie dure bien long-temps! |
Causette ne se trouve pas dans les dictionnaires. S’il s’y trouvait, ce ne pourrait être qu’avec la signification de petite cause.
CELUI, CELLE, CEUX, CELLES.
| Locut. vic. | Le dégât est considérable; celui causé par vos gens était moindre. |
| Locut. corr. | Le dégât est considérable; celui qui a été causé (ou le dégât causé) par vos gens était moindre. |
La grammaire et l’usage de nos bons écrivains repoussent également les phrases construites d’une manière analogue à celle que nous avons prise pour exemple. Toute personne qui voudra respecter l’une et l’autre de ces autorités ne devra jamais faire suivre immédiatement d’un participe passé le pronom démonstratif celui, celle, ceux, celles, à moins que ce pronom ne soit suivi de la particule ci, car on dirait fort bien: celui-ci arrivé à sa destination, tandis qu’on ne pourrait pas dire: celui arrivé à sa destination.
«Cet emploi vicieux du pronom et de l’adjectif, dit la Revue encyclopédique à l’occasion de ce vers, est une faute grossière, quoique fort à la mode aujourd’hui.»
(Glossaire génevois.)
Ceux ne doit pas se prononcer ceuse, ni ceusse, mais ceu.
CENT.
| Locut. vic. | Son argent est placé à cinq du cent. | |
| Ortho. vic. | Onze cents treize francs. | |
| Onze cent francs. | ||
| Le conseil des Cinq-Cent. | ||
| Le numéro trois cents. | ||
| Locut. corr. | Son argent est placé à cinq pour cent. | |
| Ortho. corr. | Onze cent treize francs. | |
| Onze cents francs. | ||
| Le conseil des Cinq-Cents. | ||
| Le numéro trois cent. | ||
—«On dit, en matière de commerce et d’intérêt, cinq pour cent, dix pour cent, cent pour cent.» (Acad.) Cinq du cent ne vaut rien, car cela signifie cinq de le cent, et l’on ne peut certainement pas dire le cent de francs, un cent de francs. Mais on dirait correctement je vous donne cinq francs du cent d’œufs, parce qu’on dit le cent d’œufs.
—Cent, placé entre deux noms de nombre, est invariable.
—Cent, placé entre un nom de nombre qui le multiplie et un substantif, est variable.
—Cent, n’étant pas suivi d’un substantif, peut être encore variable, mais il faut alors qu’il exprime un nombre concret. L’hospice des Quinze-Vingts (sous-entendu aveugles).
—Si le nombre était abstrait, cent serait invariable: en l’an quatre cent. C’est comme s’il y avait en l’an quatre centième.
CENT-ET-UN.
| Locut. vic. | Le livre des cent et un. |
| Locut. corr. | Le livre des cent un. |
La raison, l’analogie et l’usage veulent que l’on dise cent un. La raison: car si des mots doivent être courts, ce doit être, sans contredit, les noms de nombre. Destinés à seconder une opération de l’esprit qui se fait habituellement, ou doit se faire, du moins, avec promptitude, ces mots ont besoin de pouvoir être énoncés rapidement.
L’analogie: puisqu’on dit cent deux, cent trois, cent quatre, vingt-un, quarante-un, quatre-vingt-un, quatre-vingt-onze.
Quant à l’usage, nous en appelons à nos lecteurs. Ont-ils jamais entendu prononcer cent et un hommes? Ne dit-on pas cent un hommes?
L’orientaliste Galland a intitulé un de ses ouvrages: les Mille et une Nuits. Voilà probablement ce qui aura induit en erreur l’éditeur du livre des Cent et un. Mais il ne fallait voir là qu’une exception; et ce qui nous paraît le prouver, c’est qu’on écrit mille un francs, deux mille un tonneaux, trois mille un cavaliers.
Prononcez cen-hun, et non cen-tun.
CHACUN.
| Locut. vic. | Ils bâtirent, chacun de son côté, une petite maison. | |
| Ils bâtirent une petite maison, chacun de leur côté. | ||
| Locut. corr. | Ils bâtirent, chacun de leur côté, une petite maison. | |
| Ils bâtirent une petite maison, chacun de son côté. | ||
—Quand chacun est placé avant le régime du verbe, on emploie leur, leurs.
—Quand il est après, on emploie son, sa, ses.
—Quand le verbe n’a pas de régime, on emploie indifféremment leur, leurs, ou son, sa, ses. Tous les juges ont opiné, chacun suivant leurs lumières, ou ses lumières.
CHACUN, CHAQUE.
| Locut. vic. | Il sera payé par chacun an au demandeur. | |
| Ces chapeaux coûtent vingt francs chaque. | ||
| Locut. corr. | Il sera payé chaque année au demandeur. | |
| Ces chapeaux coûtent vingt francs chacun. | ||
Chacun est un pronom; chaque est un adjectif. On ne doit point conséquemment employer le premier de ces deux mots devant un substantif, et le second sans substantif.
CHAIRCUITIER.
| Locut. vic. | C’est un bon chaircuitier. |
| Locut. corr. | C’est un bon charcutier. |
Cette dernière orthographe s’éloigne certainement de l’étymologie; mais c’est la seule qui soit maintenant autorisée par les meilleurs dictionnaires.
CHANGER.
| Locut. vic. | Vous êtes bien mouillé; changez-vous. |
| Locut. corr. | Vous êtes bien mouillé; changez de vêtemens. |
«En certaines provinces, on dit se changer, pour changer de chemise, de linge. C’est un barbarisme.»
(Féraud, Dict. crit.)
L’Académie ne donne aucun exemple de l’emploi de changer comme verbe pronominal, mais elle permet de l’employer comme verbe neutre: j’avais sué, je suis rentré chez moi pour changer.
CHARDONNERET.
| Locut. vic. | L’église de Saint-Nicolas-du-Chardonneret. |
| Locut. corr. | L’église de Saint-Nicolas-du-Chardonnet. |
«Chardonnet est un diminutif de chardon, et signifie petit chardon; mais il ne se dit qu’en parlant d’une église de Paris qu’on appelle Saint-Nicolas du Chardonnet.» (Dict. de Trévoux.)
CHARTE, CHARTRE.
| Locut. vic. | Consultez la chartre-partie. | |
| On l’a retenu en charte-privée. | ||
| Locut. corr. | Consultez la charte-partie. | |
| On l’a retenu en chartre-privée. | ||
On employait indifféremment autrefois chartre pour prison, et pour acte, contrat. Aujourd’hui la signification de ce mot est restreinte à celle de prison, dans les cas assez rares où l’on s’en sert; et charte se prend toujours pour acte.
De chartre s’est formé chartreux, c’est-à-dire habitant de prison, par allusion au genre de vie austère que commande la règle de saint Bruno.
CHATTE.
| Locut. vic. | Mon pistolet a fait chatte. |
| Locut. corr. | Mon pistolet a fait chac. |
Lorsque l’amorce d’une arme à feu brûle sans que le coup parte, on dit ordinairement qu’elle a fait chatte. Cette expression est certainement très-connue des militaires et des chasseurs; mais il se trouve, nous croyons, parmi eux, bien peu de gens qui en connaissent la véritable orthographe. Nous l’empruntons, telle que nous la donnons ici, au Dictionnaire des Onomatopées de M. Charles Nodier. Chac ne se trouve dans aucun autre dictionnaire; on peut avoir quelque droit de s’en étonner.
CHIANT-LIT.
| Orth. vic. | C’est un chiant-lit. |
| Orth. corr. | C’est un chie-en-lit. |
La première de ces deux orthographes, suivie par M. Girault-Duvivier (Gramm. des Gramm.), nous paraît peu raisonnable; nous préférons la seconde, qui est celle de l’Académie. Ne rirait-on pas de quelqu’un qui écrirait un boutant-train (un mettant-train), au lieu d’un boute-en-train (un met-en-train)?
CHIFFER.
| Locut. vic. | Elle a chiffé sa robe. |
| Locut. corr. | Elle a chiffonné sa robe. |
On dit chiffe pour désigner de la mauvaise étoffe; mais on ne peut pas dire chiffer. Ce mot n’est pas français.
Chiffonner une étoffe, c’est la rendre semblable à un chiffon; c’est-à-dire, sale et fripée.
CHIRURGIE.
| Prononc. vic. | L’art de la chirugie. |
| Prononc. corr. | L’art de la chirurgie. |
Prononcez bien les deux r des mots chirurgie, chirurgical, chirurgique, chirurgien. Ce n’est peut-être pas la prononciation de Paris, où l’on dit pâle pour parle, mais c’est au moins la bonne.
CHLORURE.
| Locut. vic. | Cette chlorure est bonne. |
| Locut. corr. | Ce chlorure est bon. |
L’Académie des sciences fait toujours chlorure masculin, comme perchlorure, et leur racine chlore.
CHOSE.
«C’est le mot le plus souvent employé, et il supplée pour je ne sais combien de mots. Dieu a créé toutes choses; le monde est une chose admirable, etc. C’est pourtant une négligence dans le langage que de s’en servir trop souvent à la place du mot propre. Exemple: tout le monde sait bien que les Chinois n’impriment qu’avec des planches gravées, et qui ne peuvent servir que pour UNE seule CHOSE. (L’abbé Du Bos.) Qu’est-ce qu’imprimer une chose, servir pour une seule chose? Est-ce une expression élégante et correcte? Madame de Sévigné s’en moque. Vous avez l’âme belle. Ce n’est peut-être pas de ces âmes du premier ordre, comme chose, ce Romain (Régulus) qui retourna chez les Carthaginois pour tenir sa parole, sachant bien qu’il y serait mis à mort: mais au-dessous vous pouvez vous vanter d’être du premier rang. M. de Sauvebœuf, rendant compte à M. le Prince d’une négociation pour laquelle il était allé en Espagne, lui disait: CHOSE, CHOSE, le roi d’Espagne m’a dit, etc. (Sév.) Ceux qui ont cette mauvaise habitude le disent des personnes, comme des choses: va dire à chose d’aller chercher la petite chose qui est sur la grande chose. (Féraud.)
CHRÉTIENNETÉ.
| Locut. vic. | Sa conduite affligea la chrétienneté. |
| Locut. corr. | Sa conduite affligea la chrétienté. |
Ce mot doit s’écrire et se prononcer chrétienté, et non chrétienneté, comme l’ont fait quelques auteurs, l’abbé Prévost entr’autres.
CIEL.
| Locut. vic. | Ce peintre fait mal les cieux. | |
| Ces cieux de lit sont trop élevés. | ||
| Le midi de la France est sous un des beaux cieux de l’Europe. | ||
| Locut. corr. | Ce peintre fait mal les ciels. | |
| Ces ciels de lit sont trop élevés. | ||
| Le midi de la France est sous un des beaux ciels de l’Europe. | ||
Ciel ne fait ciels, au pluriel, qu’au figuré; au propre, il fait toujours cieux, et signifie le séjour des bienheureux.
CIGARRE.
| Locut. vic. | Prenez une cigarre. |
| Locut. corr. | Prenez un cigarre. |
Laveaux (Dict. des diff.) fait ce mot féminin. L’usage, et surtout celui des fumeurs, qui sans contredit doit être ici le meilleur, veut le genre masculin. L’étymologie réclame aussi ce dernier genre, car le mot espagnol cigarro, d’où vient cigarre, est masculin. Laveaux fonde son opinion sur ce que la terminaison en arre indique des mots féminins; et bécarre, tintamarre, phare, catarrhe, Ténare, etc., de quel genre sont-ils? Puisqu’il y a au moins cinq mots masculins en arre, ne peut-il donc y en avoir six?
CIRE.
| Locut. vic. | La cire de vos bottes est bien brillante. |
| Locut. corr. | Le cirage de vos bottes est bien brillant. |
La cire peut servir à cirer un parquet, une giberne, etc., mais jamais à cirer des chaussures. C’est du cirage qu’on emploie pour ce dernier usage.
CIVET.
| Locut. vic. | Nous mangeâmes un civet de lièvre. |
| Locut. corr. | Nous mangeâmes un civet, ou du lièvre en civet. |
La signification d’un mot une fois bien établie, pourquoi donner à ce mot un complément qui devient tout-à-fait surabondant? Ainsi, pourquoi dit-on un civet de lièvre, aujourd’hui que la personne le moins au courant du langage culinaire sait fort bien qu’un civet se fait avec un lièvre, et une gibelotte avec un lapin ou un poulet? S’il arrivait cependant qu’on parlât à quelqu’un soupçonné de ne pas connaître cette différence, et qu’on voulût positivement lui faire savoir que c’est bien un lièvre en ragoût, et non rôti, qu’on a mangé, il faudrait dire: nous avons mangé du lièvre en civet. De cette manière, on éviterait au moins le pléonasme.
CLAUDE.
| Prononc. vic. | L’empereur Glaude. |
| Prononc. corr. | L’empereur Claude. |
On ne doit pas prononcer Glaude, comme le remarque M. Charles Nodier. Ce serait imiter les beaux parleurs de province dont il fait mention, et qui ont des segrets, et non pas des secrets.
«Il y a cinquante ans, ajoute-t-il, que Madame Brun imprima dans le Dictionnaire comtois qu’il fallait écrire poumon et prononcer pômon; cette règle n’a pas passé les limites de la province.» (Examen crit. des Dict.)
CLUB.
| Prononc. vic. | Le clob, le cloub des jacobins. |
| Prononc. corr. | Le club des jacobins. |
Voulez-vous parler anglais en français? prononcez cloub, comme le veut Domergue, et comme le font plusieurs personnes; voulez-vous au contraire rester fidèle aux règles de la prononciation française, qui n’a jamais donné à la lettre u le son de ou? prononcez alors club.
COGNER.
| Locut. vic. | Ces deux hommes se cognaient rudement. |
| Locut. corr. | Ces deux hommes se frappaient rudement. |
On dit fort bien cogner un clou, mais on ne peut pas dire cogner quelqu’un. C’est une métaphore de mauvais goût.
COI.
| Locut. vic. | Elle se tint coite. |
| Locut. corr. | Elle se tint coie. |
Laveaux dit que Féraud, en voulant que le féminin de coi soit coie, est dans l’erreur. Laveaux se trompe. La règle de formation du féminin dans les adjectifs demande coie; et l’usage d’aujourd’hui, comme celui d’autrefois, est pour cette dernière orthographe. «Sinon que la partie qui en luy plus est divine soyt coye, tranquille, etc.» (Rabelais, Pantag. liv. III.)
COLAPHANE.
| Locut. vic. | Un morceau de colaphane. |
| Locut. corr. | Un morceau de colophane. |
«Plusieurs disent colophone, et il est ainsi imprimé dans le Dictionnaire de Trévoux, qui met aussi colaphane.
«Il est vrai que, suivant Pline, cette substance résineuse nous a été apportée de Colophone, ville d’Ionie; ainsi, selon les règles, on devrait dire colophone; mais, selon l’usage, qui est plus fort que les règles, il faut dire colophane.
«On ignore pourquoi colaphane est indiqué dans Trévoux; mais si présentement on employait ce mot, il serait bien certainement regardé comme un barbarisme.» (Girault-Duvivier, Gramm. des Gramm.)
COLÈRE.
| Locut. vic. | J’étais colère dans ce moment-là. | |
| Cet homme est naturellement coléreux. | ||
| Locut. corr. | J’étais en colère dans ce moment-là. | |
| Cet homme est naturellement colère. | ||
L’adjectif colère exprime toujours, non un état passager, mais un état permanent de colère. Votre parent est brusque et colère. Coléreux, que l’on emploie quelquefois dans ce sens est un barbarisme.
Il ne faut pas confondre colère avec colérique. Selon Laveaux (Dict. des diff.), le premier adjectif désigne proprement l’habitude, la fréquence des accès; le second, la disposition, la propension, la pente naturelle.
COLORER, COLORIER.
| Locut. vic. | Ce tableau est mal coloré. | |
| Ce vin est très-colorié. | ||
| Locut. corr. | Ce tableau est mal colorié. | |
| Ce vin est très-coloré. | ||
Colorer, c’est donner une couleur naturelle ou artificielle, mais d’une seule teinte, sans dessin, comme dans ces phrases: le soleil colore les fruits, son teint est coloré, colorez cette eau; colorier, c’est apposer avec art des couleurs sur quelque chose, c’est peindre, en un mot. Ainsi un verre coloré est un verre qui a une teinte de couleur quelconque; un verre colorié est un verre qui représente quelque chose en peinture.
Au figuré, on n’emploie que colorer. Tâchez de colorer sa conduite.
COMBIEN.
| Locut. vic. | Le combien du mois est-ce aujourd’hui? | |
| Le combien êtes-vous dans votre compagnie? | ||
| Locut. corr. | Quel est le quantième du mois aujourd’hui? | |
| Le quantième êtes-vous dans votre compagnie? | ||
«Quantième désigne le rang, l’ordre d’une personne ou d’une chose dans un nombre, par rapport au nombre.»
(Dict. de l’Acad.)
COMME QUI DIRAIT.
| Locut. vic. | Il portait sur la tête, comme qui dirait un turban. |
| Locut. corr. | Il portait sur la tête une espèce de turban. |
Que signifie une pareille locution, que l’on peut si facilement remplacer par une expression plus brève, et surtout plus élégante?
COMMISSION.
Nous ne savons pourquoi M. Raymond, dans son Dictionnaire, dit que ce mot ne s’emploie dans le sens d’action commise que dans cette locution péché de commission, que ce lexicographe appelle assez improprement une phrase. Supposons que quelqu’un fasse cette question: y a-t-il quelque omission dans cette page d’écriture? et qu’on veuille répondre qu’il y a une erreur contraire à l’omission, c’est-à-dire qu’il se trouve des mots de plus, comment dira-t-on? On ne trouvera que le mot commission pour rendre cette réponse sans périphrase; car, selon la judicieuse remarque de M. Charles Nodier (Examen critique des Dict.), ce mot n’a pas d’équivalent. C’est donc une absurdité de ne vouloir l’admettre que dans le style ascétique.
CONSENTIR.
| Locut. vic. | Les conditions que nous avons consenties. |
| Locut. corr. | Les conditions auxquelles nous avons consenti, ou que nous avons établies. |
Ce verbe, employé activement, constitue un barbarisme depuis long-temps signalé par nos grammairiens, et que nous trouvons fort souvent en style de palais ou d’administration. Quand M. Boinvilliers a dit: «nos avocats les plus distingués ne disent plus: je consens cette clause, mais à cette clause,» M. Boinvilliers était dans l’erreur. Nos avocats les plus distingués font encore ce barbarisme, et bien d’autres! «Le style du barreau, dit Voltaire, est celui des barbarismes.» (Comm. sur Rodogune.)
CONSÉQUENCE.
| Locut. vic. | La somme est de conséquence. |
| Locut. corr. | La somme est d’importance. |
Plusieurs grammairiens, après avoir blâmé l’emploi de conséquent dans la signification de considérable, important, disent que l’on peut fort bien se servir du mot conséquence pour importance. C’est en vérité se montrer bien peu conséquent, et nous dirons, comme Laveaux (Dict. des difficultés), «que signifient un homme de conséquence, une terre de conséquence, et quel est l’écrivain sensé qui voudrait aujourd’hui employer ces expressions, quoique l’Académie les approuve?» De deux choses l’une: ou conséquent est bon, ou il ne l’est pas. S’il l’est, adoptez conséquence; rien de mieux; l’un vaut l’autre. S’il ne l’est pas, repoussez conséquence; l’un ne vaut pas mieux que l’autre.
CONSÉQUENT.
| Locut. vic. | La somme est conséquente. |
| Locut. corr. | La somme est importante. |
Cet adjectif ne doit jamais être employé dans le sens d’important. Aussi M. Syrieys de Mayrinhac a-t-il excité à la chambre des députés l’hilarité de ses collègues par sa fameuse locution de somme conséquente. Plusieurs années auparavant, M. de Piis avait dit, en parlant de son ouvrage intitulé: l’harmonie imitative de la langue française: «j’aurais déjà donné avis au public que je travaillais à un poème conséquent, etc.» Domergue, en relevant cette faute (Solutions grammaticales), dit avec raison que c’est «annoncer par un barbarisme les beautés de notre idiôme.»
CONSIDÉRABLE.
| Locut. vic. | Il fait un bruit considérable. |
| Locut. corr. | Il fait un grand bruit. |
Nous empruntons à une série d’articles fort curieux intitulés: De quelques mots, de l’époque où ils ont paru, et publiés dans le Cabinet de Lecture de 1832, la remarque suivante, qui nous a paru très judicieuse:
«Tel qui sourit en entendant un homme du peuple parler d’une somme conséquente commet une faute aussi grossière en parlant d’une foule considérable. Le vrai sens de ce mot est: qui mérite d’être pris en considération. Saint-Simon et d’Aguesseau l’emploient toujours dans ce sens: un homme considérable, un argument considérable. (B. E. J. Rathery.)
CONDAMNER.
| Locut. vic. | La cour le condamne en mille francs d’amende. |
| Locut. corr. | La cour le condamne à mille francs d’amende. |
En style judiciaire on dit condamner en, et non condamner à. Nous ne voyons pas, en vérité, pourquoi notre magistrature persiste à vouloir conserver des restes de langage barbare dans les actes qu’elle formule. Serait-ce donc un si grand malheur que tout le monde comprît la justice?
CONSOMMER.
| Locut. vic. | Il a consommé son temps en veilles inutiles. |
| Locut. corr. | Il a consumé son temps en veilles inutiles. |
«Bien des personnes confondent souvent ces deux expressions, consommer et consumer. Ce qui a donné lieu à cette erreur, si je ne me trompe, dit Vaugelas, est que l’un et l’autre emportent avec soi le sens et la signification d’achever, et ils ont cru que ce n’était qu’une même chose. Il y a pourtant une étrange différence entre ces deux sortes d’achever, car consumer achève en détruisant et anéantissant le sujet, et consommer achève en le mettant dans sa dernière perfection. Cet homme a consumé sa jeunesse dans les plaisirs.»
«Cet auteur vient de consommer son ouvrage.
«Consommer s’emploie quelquefois pour consumer; c’est lorsqu’il s’agit de choses qui se détruisent par l’usage, comme des denrées et toutes sortes de provisions. On dit consommer beaucoup de viande, consommer des denrées.» (Chapsal, Nouv. Dict. gramm.)
Si l’on nous donne du bois, et que nous l’employions à une construction, nous dirons que ce bois a été consommé; si nous le brûlons, nous dirons qu’il a été consumé.
CORPORANCE.
| Locut. vic. | C’est un homme de petite corporance. |
| Locut. corr. | C’est un homme de petite corpulence. |
Ce mot, que nos grammairiens traitent de barbarisme, est tout bonnement un archaïsme. On lit dans Marot:
Corporance, employé plus récemment par Madame Du Noyer (Lettres hist.), ne se trouve pas dans nos dictionnaires; corporé ne s’y trouve pas non plus, et nous en éprouvons quelque regret, car il n’a pas d’équivalent.
CORPS (à) ET A CRI.
| Locut. vic. | Il m’ont appelé à corps et à cri. |
| Locut. corr. | Ils m’ont appelé à cri et à cor. |
L’orthographe employée en tête de cet article, et que l’on trouve quelquefois, est tout-à-fait inintelligible. Celle de l’Académie: à cor et à cri, ne nous paraît pas non plus fort exacte. On trouve, dans nos vieux auteurs, à cri et à cor; et nous pensons que cette leçon doit être préférée, par la raison qu’il est peu probable qu’après avoir commencé à appeler quelqu’un avec le cor, on finisse par l’appeler avec la voix.
Ce serait bien le cas de dire ici comme ce vieux procureur, engoué de Coquillart: Ce terme est bon, on le trouve dans Coquillart.
COUCHER.
| Locut. vic. | Allez coucher, mes amis. |
| Locut. corr. | Allez vous coucher, mes amis. |
Lorsque ce verbe exprime l’action de se mettre au lit, de s’étendre sur quelque chose pour dormir, il doit être construit avec le pronom réfléchi: nous nous sommes couchés à minuit.
Coucher ne s’emploie sans pronom, et neutralement, que pour signifier passer la nuit, le temps du sommeil: il a couché en ville. Notre phrase d’exemple allez coucher serait donc correcte, si l’on ajoutait dans la rue.
«Regnard, dit Féraud, a fait cette faute dans le Joueur:
«Il faut dire: et va se coucher.
«Racine donne au neutre le verbe être pour auxiliaire:
«Il y serait couché n’est pas français, dit d’Olivet, pour signifier il y aurait passé la nuit.» (Dict. crit.)
COUDE-PIED.
| Locut. vic. | J’ai une douleur au coude-pied. |
| Locut. corr. | J’ai une douleur au cou-de-pied. |
Quoique l’Académie, et d’après elle, plusieurs dictionnaires écrivent ainsi le nom de la partie supérieure du pied humain, nous pensons, comme M. Feydel (Rem. sur le dict. de l'Acad.), que cette partie a le nom de col de pied, qu’on prononce et même qu’on écrit, depuis un siècle, cou-de-pied. Coude-pied, dit le même critique, est un barbarisme. Le pied n’a point de coude; et, s’il en avait un, ce coude serait le talon.
Le pluriel de cou-de-pied est cous-de-pied.
COUPLE.
| Locut. vic. | Ces pommes sont belles; donnez-m’en un couple. |
| Locut. corr. | Ces pommes sont belles; donnez-m’en une couple. |
Couple est féminin toutes les fois qu’il exprime la réunion de deux choses, ou bien celle de deux êtres de même sexe. Quand il y a union de sexes, couple est masculin.
Une couple de noix, de statues, d’hommes, etc.
Un couple de lapins, de perdrix, un beau couple d’amans.
COURANT.
| Locut. vic. | Le quinze courant. |
| Locut. corr. | Le quinze du courant. |
Le commerce se sert assez généralement de la première locution; mais le commerce n’aurait-il pas tort? Que peut signifier le 15 courant, si ce n’est le 15 qui court, ou, en d’autres termes, aujourd’hui 15? Or ce n’est pas là ce qu’on veut dire. Il n’est pas question ici du jour courant, mais du mois courant. C’est donc le 15 du courant que l’on doit préférer, par la raison que le substantif mois est évidemment sous-entendu dans cette locution, comme l’est le substantif lettre dans cette autre locution commerciale: au reçu de la présente. Nous ferons remarquer que, toutes les fois qu’on ne sera pas dominé par le besoin de brièveté dans le discours, on fera beaucoup mieux de dire le 15 du mois courant ou de ce mois, et au reçu de la présente lettre ou de cette lettre.
D’après l’Académie, on doit dire le 15 du courant.
COURIR (S’EN).
| Locut. vic. | Le voilà qui s’encourt! Le voilà qui s’en court! |
| Locut. corr. | Le voilà qui se sauve! |
Cette faute se trouve plusieurs fois dans La Fontaine:
S’en courir, analysé, donne se courir d’un lieu; or que signifie: une personne qui se court d’un lieu? N’est-il pas évident que c’est un vrai galimathias?
COUTE QUI COUTE.
| Locut. vic. | Nous l’aurons, coûte qui coûte. |
| Locut. corr. | Nous l’aurons, coûte que coûte. |
C’est une locution elliptique qui équivaut à ceci (que cela) coûte (ce) que (cela) coûte, c’est-à-dire ce que cela peut coûter. Coûte qui coûte n’offrirait aucun sens.
CRAINTE DE, DE CRAINTE DE, ou QUE.
| Locut. vic. | Marchez doucement, crainte de tomber. | |
| Tenez-le, crainte qu’il ne tombe. | ||
| Je ne sors pas, de crainte d’accident. | ||
| Locut. corr. | Marchez doucement, de crainte de tomber. | |
| Tenez-le de crainte qu’il ne tombe. | ||
| Je ne sors pas, crainte d’accident. | ||
—On emploie la conjonction de crainte de, devant un verbe à l’infinitif, et la conjonction de crainte que, avec la particule ne, devant un verbe au subjonctif.
—On emploie la proposition crainte de devant un substantif.
CRESSON.
| Prononc. vic. | Manger du creusson. |
| Prononc. corr. | Manger du crés-çon. |
Nous ferons une autre remarque sur ce mot; c’est qu’on ne doit pas dire du cresson à la noix, mais du cresson alénois. Le cresson ainsi nommé a les feuilles découpées en forme d’alène.
CREUSANE.
| Locut. vic. | C’est une poire de creusane. |
| Locut. corr. | C’est une poire de crassane. |
«Une infinité de personnes, ou plutôt presque tout le monde dit creusane; mais ce mot ne se trouve dans aucun des dictionnaires de l’Académie, de Trévoux, de Richelet, de Wailly, etc.» (Gramm. des Gramm.)
La Quintinie dit crasane.
CREVETTES.
| Locut. vic. | Nous mangeâmes d’excellentes crevettes. |
| Locut. corr. | Nous mangeâmes d’excellentes chevrettes. |
On lit dans les Remarques sur le Dictionnaire de l’Académie: «chevrette, au lieu de cravette, est du phébus de Basse-Normandie. Un érudit de Caen et d’Avranches, évêque d’ailleurs très-docte, a voulu excuser autrefois cette locution, en alléguant les cornes de la cravette: mais l’écrevisse a des cornes aussi; le haumard, la langouste, etc., ont des cornes, et ne sont pourtant nommés ni chèvres ni chevrettes. Le mot français cravette a son origine dans le substantif crabe.»
Nous pensons, malgré cette remarque, que l’Académie a fort bien fait d’accueillir le mot chevrette, qui est le seul usité dans les ports de mer, ceux de l’Océan du moins. Crevette ne se dit guère qu’à Paris et dans l’intérieur de la France; quant à cravette, nous ne l’avons jamais ni entendu ni vu ailleurs que dans l’ouvrage de M. Feydel.
CROUSTILLANT, CROUSTILLEUX.
| Locut. vic. | Cette histoire est un peu croustillante. | |
| Cette pâtisserie est croustilleuse. | ||
| Locut. corr. | Cette histoire est un peu croustilleuse. | |
| Cette pâtisserie est croustillante. | ||
D’après les dictionnaires les plus modernes, la différence qui existe entre ces deux mots consiste en ce que le premier signifie croquant, et le second gaillard, grivois.
Croustillant ne se trouve pas dans le Dictionnaire de l’Académie.
CUL-DE-SAC.
| Locut. vic. | Ce n’est pas une rue, c’est un cul-de-sac. |
| Locut. corr. | Ce n’est pas une rue, c’est une impasse. |
Le mot impasse l’a enfin emporté sur cul-de-sac pour exprimer une rue sans issue; mais nous croyons qu’il est certains cas où l’on ne peut guère, à moins de faire une périphrase, se dispenser d’employer le vilain mot proscrit par Voltaire. Dans cet exemple: ce jeune homme a un mauvais emploi, c’est un cul de sac; mettez impasse, et vous détruisez toute l’énergie de l’idée.
CULOTTES.
| Locut. vic. | Donnes-moi mes culottes bleues. |
| Locut. corr. | Donnez-moi mon pantalon bleu. |
On emploie souvent culotte pour pantalon; il y a cependant quelque différence entre ces deux parties de l’habillement.
La culotte s’arrête au genou; le pantalon descend jusques sur le cou-de-pied.
Il ne faut jamais dire des culottes pour une seule culotte, ni des pantalons pour un seul pantalon, comme le font particulièrement les méridionaux. Des culottes et des pantalons sont nécessairement plusieurs culottes et plusieurs pantalons.
CURER.
| Locut. vic. | Avez-vous curé cette vaisselle d’argent? |
| Locut. corr. | Avez-vous écuré cette vaisselle d’argent? |
Si vous nettoyez quelque chose en le frottant avec du grès, du sable, etc., pour le rendre clair, vous écurez; mais, si vous ôtez d’une concavité quelconque ce qu’elle peut renfermer de sale, vous curez. On doit donc dire et l’on dit: écurer des couteaux, des chandeliers, etc., et curer des puits, des fossés, des rivières, etc.
Cette différence de signification entre curer et écurer une fois bien connue d’une personne, qu’on dise devant elle: j’ai fait curer mes bassins, elle saura tout de suite qu’on veut dire: j’ai fait nettoyer, vider mes pièces d’eau nommées bassins. Mais si l’on disait: j’ai fait écurer mes bassins; elle verrait que cela signifie: j’ai fait nettoyer, décrasser mes ustensiles de cuisine nommés bassins.
CUIR DE ROUSSI.
| Locut. vic. | Un volume relié en cuir de Roussi. |
| Locut. corr. | Un volume relié en cuir de Russie. |
Selon nos dictionnaires modernes (celui de M. Raymond entr’autres), on dit également cuir de Russie ou cuir de Roussi. Nous trouvons dans cette liberté de choix quelque chose de ridicule. Tout le monde voit bien, à peu près, ce que peut être du cuir de Russie, mais que peut signifier cette expression de cuir de Roussi? Nous partageons sur ce sujet le sentiment du Dictionnaire de Trévoux, qui dit que c’est abusivement qu’on s’est servi de ces locutions: vache de Roussi, cuir de Roussi, pour vache de Russie, cuir de Russie, et nous engageons à ne pas écrire, comme le Dictionnaire bibliographique de Cailleau, un volume relié en cuir de Roussi, mais en cuir de Russie. La langue n’a nullement besoin de deux expressions parfaitement de même valeur; il faut donc opter.
DAVANTAGE.
| Locut. vic. | Il en a davantage que vous ne croyez. | |
| Il a davantage de bonheur que de mérite. | ||
| Voilà l’objet qui me plaît davantage. | ||
| Locut. corr. | Il en a plus que vous ne croyez. | |
| Il a plus de bonheur que de mérite. | ||
| Voilà l’objet qui me plaît le plus. | ||
Davantage s’emploie pour plus, dans certaines phrases où il convient beaucoup mieux. Ainsi dites plutôt: Il parle davantage que il parle plus. Mais si davantage devait être suivi des mots que, ou de, il faudrait mettre plus à sa place.
Davantage ne peut jamais être employé pour le plus.
DE.
| Locut. vic. | Ces bijoux ne sont pas d’or. | |
| Il y eut cent hommes de tués. | ||
| Je lui ai écrit le sept de mars. | ||
| Locut. corr. | Ces bijoux ne sont pas en or. | |
| Il y eut cent hommes tués. | ||
| Je lui ai écrit le sept mars. | ||
«On dit bien: Je traverse un pont de fer, quand on veut faire distinguer l’objet dont on parle, des autres objets du même genre. De a ici une signification vague.
«Mais quand on veut arrêter particulièrement l’attention sur la nature de l’objet, sur la matière dont il est composé, c’est en qu’il faut, et non de; en détermine mieux que de, et a plus de précision que ce dernier. Vous ne direz pas: de quoi est cette table, ce bouton, cette statue, etc.? Mais en quoi est cette table? et l’on vous répondra en bois.» (Journal de la lang. franç.)
—«Quand le substantif auquel se rapporte l’adjectif de nombre cardinal est représenté par le pronom en, placé avant le verbe précédent, ou bien encore quand le substantif est sous-entendu, l’adjectif ou le participe qui suit le nombre cardinal doit être précédé de la préposition de: Sur mille habitans, il n’y en a pas un de riche.—Sur cent mille combattans, il y en eut mille de tués, et cinq cents de blessés.—Sur mille, il y en eut cent de tués.
«Mais l’emploi de la préposition de ne doit pas avoir lieu avant l’adjectif ou le participe, lorsque l’adjectif numéral cardinal est suivi du substantif avec lequel il est en rapport. Sur mille combattans, il y eut cent hommes tués. Cent hommes de tués serait une faute.»
«—Voltaire disait le deux de mars, le quatre de mai, et Racine le deux mars, le quatre mai. Sous le rapport de la correction grammaticale la première construction est certainement préférable, puisque deux et quatre sont là pour deuxième, quatrième, et que l’on dit toujours avec la préposition de, le deuxième jour de mai, le quatrième jour de juin. Ensuite les latins disaient avec le génitif primus februarii, secundus aprilis.
«Ainsi la grammaire et l’analogie sont pour le 2 de mars, le 4 de mai; mais si l’on consulte l’usage, qui, en fait de langage, est la règle de l’opinion, on dira le deux mars, le quatre mai. C’est ainsi que s’expriment presque toujours nos bons auteurs, et les personnes qui se piquent de parler purement, et qui évitent toute espèce d’affectation.» (Grammaire des grammaires.)
DÉBINE.
| Locut. vic. | Cet homme est dans la débine. |
| Locut. corr. | Cet homme est dans l’indigence. |
Débine appartient au patois de Paris, qui l’aura conquis probablement sur l’argot. Il est de si mauvais goût que toute personne qui a un peu d’usage ne s’en sert jamais, et que les dictionnaires les moins difficiles sur le choix des mots qu’ils recueillent, en ont instinctivement fait dédain.
Le principal tort du mot débine est de ne rien signifier de plus que d’autres mots que nous avons déjà, et ce tort-là est infiniment sérieux en grammaire.
DÉCESSER.
| Locut. vic. | Il ne décesse de parler. |
| Locut. corr. | Il ne cesse de parler. |
On remarquera que si ce mot était français, il y aurait un pléonasme dans l’emploi qu’on en fait ordinairement; car décesser, signifiant ne pas cesser, il s’ensuivrait que, dans la phrase d’exemple que nous avons citée, il se trouverait réellement deux négations. La syllabe prépositive dé qui en vaut une est donc tout-à-fait inutile. Il faut la supprimer et dire tout simplement: il ne cesse de parler. Cette dernière locution a certainement autant de force que la première.
DÉCOMMANDER.
Ce verbe est généralement regardé comme un barbarisme. Peut-être y a-t-il un peu trop de sévérité dans cette opinion. Décommander, contraire de commander, nous semble régulièrement formé, et nous ne pensons pas qu’il puisse être remplacé par contremander.
Décommander se trouve déjà dans quelques dictionnaires; ceux de M. Raymond et des quatre professeurs entr’autres. C’est toujours une recommandation.
DEDANS, DEHORS, DESSUS, DESSOUS.
| Locut. vic. | Je l’ai trouvé dedans, dehors, dessus, dessous mon lit. |
| Locut. corr. | Je l’ai trouvé dans, hors de, sous, sur mon lit. |
Ces quatre mots sont des adverbes qui ne peuvent régir des substantifs, à moins qu’ils ne soient précédés d’une préposition: au dedans de la ville, en dehors de Paris, par dessous la table, de dessus le toit.
Cependant la grammaire autorise l’emploi de ces mots comme prépositions, quand on met ensemble les deux opposés, et que le substantif est placé après le dernier: Il y a des animaux dedans et dessus la terre. (Port-Royal.)
DÉFAUT (A).
| Locut. vic. | A défaut de parens, j’aurai des amis. |
| Locut. corr. | Au défaut de parens, j’aurai des amis. |
Au défaut est préféré par l’Académie, Laveaux et presque tous les grammairiens. C’est aussi le sentiment de nos meilleurs écrivains.
DÉFIER.
| Locut. vic. | Je leur en défie. |
| Locut. corr. | Je les en défie. |
On doit dire: Je les en défie, parce que défier est un verbe actif et réclame un régime direct, et qu’ensuite un verbe ne peut jamais avoir deux régimes de même espèce.
DÉFINITIF (EN).
| Locut. vic. | En définitif le voilà ruiné. |
| Locut. corr. | En définitive le voilà ruiné. |
La première locution appartient au Palais; la seconde se trouve dans nos bons auteurs, dans le dictionnaire de l’Académie, et dans celui de Féraud, qui, selon la judicieuse remarque de M. Girault-Duvivier (Gramm. des gramm.) est une bonne autorité.
DÉGOBILLAGE.
| Locut. vic. | Ce vase est plein de dégobillage. |
| Locut. corr. | Ce vase est plein de dégobillis. |
L’Académie ne reconnaît pas le mot dégobillage, et nous ne croyons pas qu’on le trouve dans aucun autre dictionnaire.
DÉGRÉ.
| Prononc. et Orth. vic. | Il y a trois degrés. |
| Prononc. et Orth. corr. | Il y a trois dégrés. |
La prononciation de ce mot est encore incertaine. L’usage général nous paraît vouloir que l’on dise dégré; les grammairiens soutiennent qu’on doit prononcer degré. Mais l’usage général est une loi, et si nous ajoutons à cette considération, que la prononciation de ce mot par deux é fermés, est beaucoup plus agréable à l’oreille, ce qui aura probablement déterminé l’usage en cette circonstance, nous croirons avoir la raison pour nous en disant de prononcer dégré et non degré. Nous ferons aussi remarquer que de tous les mots compris dans le dictionnaire de l’Académie sous la lettrine DEG, et qui sont à peu près au nombre de 60, le mot dégré est le seul auquel on refuse l’accent aigu sur l’é. Pourquoi cette bizarre exception? «Il semble, dit M. Morel, que l’on prenne à tâche de vouloir justifier le reproche que nous font les étrangers, de rendre notre langue sourde, monotone et efféminée par la multiplication de l’e muet.» (Essai sur les voix de la lang fr. chap. 2.)
DÉHONTÉ.
Plusieurs grammairiens préférant éhonté à déhonté, et probablement un peu embarrassés pour donner la raison de leur préférence, n’ont rien trouvé de mieux pour proscrire déhonté que de dire qu’il n’est pas français. Ces grammairiens nous semblent dans l’erreur. Déhonté est bien français, si du moins pour l’être il suffit qu’il ait l’autorité de bons auteurs. On trouve déhonté dans Amyot (Trad. de Plutarque. Marcus Crassus.): «Je dis que les Parthes estoient eulx-mesmes bien deshontez, etc.» Marmontel a écrit: «Déhonté ne devait-il pas se dire aussi long-temps que honte?» Et le savant et judicieux M. Ch. Pougens (Archéologie française) le met au nombre des mots à restituer au langage moderne.
DÉJEUNER, DINER, SOUPER.
| Locut. vic. | J’ai déjeûné, dîné, soupé avec un poulet. |
| Locut. corr. | J’ai déjeûné, dîné, soupé d’un poulet. |
On ne peut employer la préposition avec, après l’un de ces verbes, qu’en la faisant suivre d’un nom de personne; déjeûner, dîner, souper avec un ami. Lorsqu’on veut désigner le mets qu’on a mangé, ce nom de mets doit être précédé de la préposition de:
Laveaux aime mieux qu’on dise: J’ai mangé un poulet à déjeûner, à dîner, à souper. Cette opinion mériterait d’être suivie.
DEMANDER EXCUSE, DES EXCUSES.
| Locut. vic. | Je vous demande excuse, des excuses. |
| Locut. corr. | Je vous fais excuse, des excuses. |
Quand vous demandez à quelqu’un des excuses, ne pourrait-il pas vous dire: Parbleu! cherchez-les vous-même, et vous me les offrirez ensuite.
C’est effectivement une plaisante manière de réparer ses torts auprès de quelqu’un, que de lui demander qu’il se donne la peine de vous formuler les excuses que vous devez lui faire. Voilà cependant ce que l’on exige en demandant des excuses.
DEMI.
| Orth. vic. | Vous n’avez pris que des demies-mesures. |
| Orth. corr. | Vous n’avez pris que des demi-mesures. |
Placé devant un substantif, demi est invariable; mis après il s’accorde avec son substantif: Une heure et demie.
Ne dites pas plus d’à demi mort, plus d’à moitié mort, plus de moitié mort, mais plus qu’à demi mort, plus qu’à moitié mort.
DENTS.
| Locut. vic. | Sa petite fille fait des dents. |
| Locut. corr. | Les dents viennent, percent à sa petite fille. |
Faire des dents est un barbarisme fort ridicule et cependant fort commun.
DÉPLORABLE.
| Locut. vic. | Voici son déplorable frère. |
| Locut. corr. | Voici son malheureux frère. |
Cet adjectif ne peut s’appliquer qu’aux choses. Nous pensons, comme d’Olivet, que Racine a commis une faute dans ce vers:
Et nous sommes étonné que MM. Girault-Duvivier et Boinvilliers aient été d’avis que cet adjectif pouvait aussi qualifier des personnes. Mais comment pourrait-on dire une personne déplorable? On déplore les malheurs d’une personne, mais on ne déplore pas cette personne. Le Dictionnaire des quatre professeurs dit positivement que déplorer ne se dit que des choses, et il a raison.
DÉRAISON.
Ce mot est, selon M. Charles Nodier (Examen critique des dictionnaires) un barbarisme. «Déraisonner est, ajoute-t-il, un mot heureux parce qu’il exprime vivement le défaut de logique d’un homme qui raisonne mal, comme détoner le défaut d’oreille d’un chanteur qui sort du ton; mais on ne dit pas plus déraison que déton.» Ce mot a cependant été employé par Voltaire, Gresset, Chaulieu, Destouches, Mme de Sévigné, etc. Aussi croyons-nous que nous n’hésiterons jamais à en faire usage lorsqu’il se présentera sous notre plume. Il y aurait, selon nous, une espèce de déraison à le repousser.
DERNIER ADIEU.
| Locut. vic. | Donnez-lui le dernier adieu. |
| Locut. corr. | Donnez-lui le denier à Dieu. |
Chez nos dévots aïeux, un marchand ne concluait jamais une affaire, sans recevoir de son acheteur une petite pièce de monnaie, ordinairement de la valeur d’un denier. Cette pièce se nommait le denier à Dieu, parce qu’elle était, par la pensée des contractans, comme mise en dépôt entre les mains de Dieu, qui, dès cet instant, devenait, pour ainsi dire, le garant du marché. Ainsi, dans la farce de Pathelin, ce rusé avocat donne au drapier un denier, en lui disant hypocritement:
Et plus loin quand Guillemette lui demande comment il a eu son drap, il lui répond:
On voit par là que l’usage du denier à Dieu remonte au moins au commencement du quinzième siècle.
DÉSAGRAFER.
| Locut. vic. | Désagrafez mon manteau. |
| Locut. corr. | Dégrafez mon manteau. |
Nos meilleurs dictionnaires ne donnent que dégrafer.
DESCENDRE EN BAS. (Voyez MONTER EN HAUT.)
DESIR.
| Prononc. vic. | C’est mon desir le plus cher. |
| Prononc. corr. | C’est mon désir le plus cher. |
Nous ne savons pourquoi tous nos acteurs s’obstinent à prononcer dsir, lorsque l’Académie et nos meilleurs grammairiens disent positivement de prononcer désir. Cette prononciation vicieuse est aujourd’hui fort à la mode; on l’a même appliquée aux dérivés de désir, comme désirable, désirer et désireux. Ainsi dans ces vers:
il n’existe réellement que onze syllabes pour celui qui les entend prononcer sur nos théâtres.
«Les gens du monde, attentifs seulement à la douceur du son, prononcent desir, desert; les hommes pour qui l’analogie et les règles générales sont d’un grand prix, appuyés de l’autorité de l’Académie, de Lekain, de Voltaire, prononcent désir, désert. Ils trouvent même que l’e aigu est plus propre à peindre, surtout dans désir, ce que le mot signifie.» (Chapsal, Nouv. Dict. gramm.)
DESSUS.
| Locut. vic. | Il lui est tombé dessus. |
| Locut. corr. | Il est tombé sur lui. |
DÉSUÉTUDE.
| Pronon. vic. | Dézuétude. |
| Pronon. corr. | Dé-suétude. |
Féraud veut que le s de ce mot se prononce comme un z; l’Académie est d’un avis contraire, et l’usage est ici pour elle.
DÉTAILLISTE.
| Locut. vic. | Ce marchand est détailliste. |
| Locut. corr. | Ce marchand est détaillant. |
Quelqu’un est détailliste lorsqu’il aime à entrer dans des détails, à s’occuper de minuties; il est détaillant lorsqu’il vend en détail. Telle est la différence établie entre ces deux mots, par les dictionnaires qui les ont recueillis, et qu’un écrivain moderne a méconnue dans cette phrase: «A ce prix il était ajouté, etc., une somme de 5 p. c. pour le profit du marchand en gros, et de 10 p. c. pour le marchand détailliste.»
(M. Thiers. Hist. de la rév. fr., t. V.)
DÉTEINDRE.
| Locut. vic. | Ma robe déteint. |
| Locut. corr. | Ma robe se déteint. |
Quand ce verbe a pour sujet un nom de chose, comme dans notre exemple, il est pronominal; quand c’est un nom de personne, il est actif. J’ai déteint cette étoffe par maladresse.
DÉVERSER.
Philipon de la Madelaine, et quelques autres grammairiens, prétendent que ce verbe n’est pas français dans le sens de répandre, comme dans cette phrase: Vous déversez le mépris sur d’honnêtes gens. Laveaux est d’un sentiment contraire, puisqu’il l’accueille dans son édition du Dictionnaire de l’Académie (1802) et dans son Dictionnaire des Difficultés de la langue française; et comme cette autorité en vaut bien certainement une autre, nous ne balançons pas à nous ranger de son côté.
DIABLE AU VERT.
| Locut. vic. | Il m’a fait aller au diable au vert. |
| Locut. corr. | Il m’a fait aller au diable Vauvert. |
Saint-Foix (Essais historiques sur Paris) raconte que, sous le règne de saint Louis, des Chartreux, possesseurs à Gentilly d’une très-belle maison qu’ils tenaient de ce prince, et mis en appétit par ce cadeau, s’avisèrent de convoiter le château abandonné de Vauvert, bâti autrefois par le roi Robert dans la rue qu’on nomme aujourd’hui rue d’Enfer, et qu’ils apercevaient de leurs fenêtres. Le demander sans aucune raison valable, c’eût été s’exposer à un refus, même de la part du pieux monarque. Les moines préférèrent employer la ruse; à leur commandement une légion d’esprits peupla le château dont personne n’osa bientôt plus approcher, et, comme on le pense bien, le roi fut, un beau jour, enchanté de trouver près de lui les bons pères, pour se débarrasser de cette maudite propriété qu’ils se chargeaient bravement de disputer aux revenans. Telle est l’origine du diable de Vauvert (ou diable Vauvert, selon Ménage) dont il est si souvent question dans nos auteurs du moyen âge.
DIALECTE.
| Locut. vic. | C’est une dialecte de la langue grecque. |
| Locut. corr. | C’est un dialecte de la langue grecque. |
Richelet, Danet, Restaut, Dumarsais, M. Ch. Nodier, etc., font dialecte féminin; il est masculin selon l’Académie, Ménage, Furetière, les quatre professeurs, Laveaux, etc. On ne manquera pas d’autorités, comme on le voit, en faveur du genre pour lequel on voudra se décider. Toutefois, pour rendre l’option plus facile, nous ferons deux petites remarques. La première, que Dumarsais, tout en préférant le féminin, pour raison d’étymologie, reconnaît formellement que l’usage le plus suivi veut le masculin; la seconde, que M. Ch. Nodier, qui se prononce aussi pour le féminin, ajoute, après avoir fait l’observation que la Méthode grecque de Port-Royal a employé le masculin: en quoi elle est suivie presque universellement. Ne peut-on pas, après ces aveux, regarder le mot dialecte comme masculin, puisque l’usage est notre souverain maître en grammaire?
DIGESTION.
| Prononc. vic. | Sa digession est bonne. |
| Prononc. corr. | Sa digestion est bonne. |
Le t, dans digestion, a le son rude, comme dans gestion, indigestion, congestion.
DINATOIRE.
| Locut. vic. | C’est un déjeûner dînatoire. | |
| L’heure dînatoire approche. | ||
| Locut. corr. | C’est un déjeûner-dîner. | |
| L’heure du dîner approche. | ||
L’adjectif dînatoire se trouve dans l’édition de Laveaux du Dictionnaire de l’Académie (1802). Cela peut lui donner plus de crédit, mais ne le rend certainement pas meilleur; et, à nos yeux, dînatoire sera toujours, malgré cet honorable patronage, un mot boursouflé, et, qui pis est, un mot inutile. Que signifie un déjeûner dînatoire? un déjeûner qui tient beaucoup du dîner, par l’abondance des mets et l’heure où on le fait. Mais, dirons-nous, puisque vous réunissez ces deux repas, le déjeûner et le dîner, réunissez donc aussi les deux noms de ces repas, déjeûner-dîner, et vous aurez de cette manière une expression logique, plus brève et plus agréable à l’oreille que l’autre, et, de plus, autorisée par bon nombre de grammairiens, Laveaux entre autres.—Quant à cette autre locution l’heure dînatoire, nous la remplaçons par l’heure du dîner, et nous n’y perdons rien. Au contraire!
DINER (Voyez DÉJEUNER).
DINDE.
| Locut. vic. | Nous mangerons un dinde. |
| Locut. corr. | Nous mangerons une dinde. |
Le Dictionnaire de Trévoux fait ce substantif masculin. «Un gros dinde qui pèse plus de vingt livres.» Il est généralement reçu aujourd’hui, parmi les personnes qui parlent bien, de n’employer dinde qu’au féminin. L’Académie, Noël et Chapsal se prononcent pour ce genre; mais M. Raymond (Dictionnaire général 1832), veut que dinde soit masculin ou féminin, par ellipse, selon qu’on sous-entend poulet ou poule. A quoi sert, en ce cas, le mot dindon?
DISGRESSION.
| Locut. vic. | Cette disgression est inutile. |
| Locut. corr. | Cette digression est inutile. |
DISPARATE.
| Locut. vic. | Cela fait un disparate choquant. |
| Locut. corr. | Cela fait une disparate choquante. |
Le féminin est adopté pour ce mot par l’Académie, qui, en écrivant à côté: emprunté de l’espagnol, aurait bien dû s’enquérir du genre qu’il avait dans cette langue, afin de ne pas le faire en français d’un genre différent, quand rien ne l’exigeait, pas même la terminaison, et afin de ne pas faire par là une choquante disparate.
DOGESSE.
Le Dictionnaire de Trévoux ne donne pas d’autre mot que celui-ci pour exprimer l’épouse d’un Doge. M. Casimir Delavigne, dans sa tragédie de Marino Faliero, emploie dogaresse. Le premier serait évidemment plus conforme à l’étymologie; mais on conviendra aussi que le second est infiniment plus poétique.
L’Académie et Féraud ne donnent pas de féminin au mot Doge.
DONNER.
| Locut. vic. | Je vous le donne de six francs. |
| Locut. corr. | Je vous le donne pour six francs. |
La faute que nous signalons ici est souvent faite par les marchands. Donner, dans la signification de vendre, ne peut être suivi des prépositions de ni à; c’est la préposition pour qu’il réclame.
DONT.
| Locut. vic. | On a remarqué le numéro de la maison dont il sortait. | |
| La maison d’où il sort a fourni des grands hommes. | ||
| Locut. corr. | On a remarqué le numéro de la maison d’où il sortait. | |
| La maison dont il sort a fourni des grands hommes. | ||
Il faut employer d’où lorsqu’il est question de lieu, et dont dans le cas contraire.
DORÉNAVANT.
| Orthog. vic. | Dorénavant. |
| Orthog. corr. | Dorenavant. |
Cet adverbe est composé des mots de ores en avant, ce qui signifie de maintenant en avant. Ces mots contractés donnent certainement dorenavant (prononcez doran-navant) et non dorénavant, et cependant tous les dictionnaires s’obstinent à accentuer à contretemps cet adverbe. Un peu plus d’étude de notre vieille langue leur eût fait éviter cette erreur, et plusieurs autres encore.
DORMIR.
| Locut. vic. | Vous avez dormi un bon somme. |
| Locut. corr. | Vous avez fait un bon somme. |
Dormir étant un verbe neutre ne peut avoir de régime direct. Il est donc absurde de dire: dormir un somme. On dit bien dormir un jour entier, mais c’est ici une phrase elliptique qui équivaut à dormir (pendant) un jour entier. Dans la phrase dormir un somme on sent bien qu’il n’y a pas d’ellipse.
DOS.
| Locut. vic. | Liez-lui les mains derrière le dos. |
| Locut. corr. | Liez-lui les mains sur le dos. |
Cette manière de parler n’a en sa faveur d’autre autorité que celle d’un mauvais usage; et nous ne concevons réellement pas qu’au lieu de dire avoir les mains sur le dos, ce qui serait correct, on aime mieux dire avoir les mains derrière le dos, ce qui, notons-le bien, ne peut signifier autre chose qu’avoir les mains sur le ventre. Or peut-on faire une faute plus grossière que de dire précisément le contraire de ce qu’on veut exprimer? N’est-ce pas aller tout droit au chaos?
DOUCE (A LA).
| Locut. vic. | Je vais tout à la douce. |
| Locut. corr. | Je vais tout doucement. |
Pour rendre cette locution tout-à-fait triviale, et vraiment digne des tréteaux de Bobêche, il ne manque que fort peu de chose; c’est d’ajouter ces mots: Comme les marchands de cerises. Vous avez de cette manière une de ces agréables plaisanteries qui forment le répertoire des gens auxquels manquent à la fois et l’instruction et l’esprit.
DROITE.
| Locut. vic. | A droit et à gauche. |
| Locut. corr. | A droite et à gauche. |
Le mot droite est ici féminin parce qu’on sous-entend main; ainsi quand on dit: à droite et à gauche, c’est comme si l’on disait: à main droite et à main gauche. Les Espagnols disent comme nous au féminin a la izquierda, a la derecha, parce qu’ils sous-entendent le substantif féminin mano.
DURANT.
| Locut. vic. | Je vais sortir durant que vous êtes là. | |
| Elle aura cette fortune sa vie durante. | ||
| Locut. corr. | Je vais sortir pendant que vous êtes là. | |
| Elle aura cette fortune sa vie durant. | ||
Durant que ne se dit plus.
Durant, dans cette locution, sa vie durant, est préposition, et conséquemment invariable.
ÉBÈNE.
| Locut. vic. | Cet ébène est très-beau. |
| Locut. corr. | Cette ébène est très-belle. |
Ébène a été autrefois masculin: «Indie seulle pourte le noir ébène.» (Rabel., Pantag., liv. IV, ch. LIV.) Mais comme il y a au moins deux siècles qu’il a perdu ce genre pour prendre le genre féminin, nous pensons qu’on doit regarder les vers suivans de Voltaire comme renfermant une faute: