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Dictionnaire critique et raisonné du langage vicieux ou réputé vicieux

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La vigne, si je veux, s’y marie aux ormeaux.

L’Académie n’adopte que l’expression marier avec. Notre opinion à nous est que le verbe marier renfermant une idée d’union, c’est faire un pléonasme que de joindre le régime direct de ce verbe à son régime indirect par la préposition avec qui présente encore la même idée, et qu’on a pour cette raison nommée conjonctive. A, qui exprime plus particulièrement un rapport de tendance, nous paraît convenir beaucoup mieux après le verbe marier.


MARIN, MARITIME.

Locut. vic.   Le goëmon est une plante maritime.
Ils s'emparèrent d’une forteresse marine.
 
Locut. corr.   Le goëmon est une plante marine.
Ils s’emparèrent d’une forteresse maritime.

Marin signifie, d’après tous les dictionnaires: qui est de la mer, qui vient de la mer, qui appartient à la mer.

Maritime signifie: qui est proche de la mer, qui concerne la mer, qui a du rapport à la mer.

Aussi distingue-t-on en histoire naturelle des plantes marines et des plantes maritimes. Les plantes marines sont toujours recouvertes par l’eau salée dans laquelle elles nagent. Les plantes maritimes viennent sur les bords ou dans le voisinage de la mer.


MAROLLES.

Prononc. vic. Du fromage de Marolles.
Prononc. corr. Du fromage de Maroilles.

Le fromage connu sous ce nom vient de Maroilles, dans le département du Nord. C’est donc fromage de Maroilles que l’on doit dire.


MARRONNER.

Locut. vic. Que marronnez-vous là?
Locut. corr. Que marmonnez-vous là?

«Marmonner. Murmurer sourdement.

«Marronner. Friser des cheveux en grosses boucles.—Imprimer clandestinement.» (Dict. de l’Acad.)

Cette citation nous fait voir que, dans la phrase suivante: Il marronne des patenôtres sur le même air, (Corresp. de M. Jacquemont, t. I) c’était marmonne qu’il fallait écrire. Il marmotte eût encore mieux valu. Comme le dit fort bien Feydel (Rem. sur le Dict. de l’Acad.), «marmonner est un mot du patois de Paris; marmotter est un terme du bon langage.»


MASSACRANTE.

Locut. vic. Vous êtes d’une humeur massacrante.
Locut. corr. Vous êtes d’une humeur insupportable.

Cette expression est approuvée par quelques bons auteurs, et proscrite par d’autres qui prétendent qu’elle n’est pas française. Le reproche le mieux fondé qu’on puisse, selon nous, lui adresser, est d’être une hyperbole, et comme l’a dit Laveaux «quand on a du génie et de l’usage du monde, on ne se sent guère de goût pour les pensées fausses et outrées.»


MATÉREAUX.

Locut. vic. Assemblez vos matéreaux.
Locut. corr. Assemblez vos matériaux.

«Il faut dire matériaux, et non pas matéreaux, comme dit le peuple de Paris....» (Ménage. Observ. sur la langue française) et d’ailleurs.

Des mâtereaux sont des petits mâts ou bouts de mâts.


MATIN.

Locut. vic.   Allez le voir demain au matin.
Il l’a rencontré hier au matin.
Sortez-vous du matin?
 
Locut. corr.   Allez le voir demain matin.
Il l’a rencontré hier matin.
Sortez-vous dès le matin?

Matin s’emploie le plus généralement sans l’article contracté au, après les adverbes demain et hier.

Du matin pour dès le matin est un barbarisme.


MATINAL.

Locut. vic. La campagne n’est vraiment belle que pour l’homme matinal.—Vous êtes bien matineux aujourd’hui.—L’étoile matinale.
Locut. corr. La campagne n’est vraiment belle que pour l’homme matineux.—Vous êtes bien matinal aujourd’hui.—L’étoile matinière.

Matinal signifie: qui se lève de bonne heure par hasard, sans habitude. Matineux au contraire signifie: qui a l’habitude de se lever matin.

Quant à l’adjectif matinier, son usage est à peu près restreint aujourd’hui à la qualification de l’étoile connue sous le nom d’étoile matinière.


MÉCHANT.

Locut. vic. Il m’a donné un méchant habit.
Locut. corr. Il m’a donné un mauvais habit.

Au risque d’encourir le reproche de purisme, nous ne pouvons nous empêcher de blâmer ici l’extension de signification donnée à l’adjectif méchant. Ce qui est méchant a de la méchanceté, or, un habit peut-il en avoir? L’usage se déclare en vain pour l’emploi de méchant comme qualificatif de noms de choses; nos bons écrivains nous fournissent en vain de nombreux exemples de cet emploi abusif, notre répugnance reste toujours la même. Nous ne voyons dans méchant qu’un adjectif dont la signification est: qui a de la méchanceté, et non qui n’a pas les qualités requises. Il faut, pour rendre ce dernier sens, se servir de l’adjectif mauvais. Nous pensons donc que méchant ne peut jamais s’appliquer qu’à un nom d’être animé, mais que mauvais peut également convenir aux êtres animés et aux choses. Ces deux adjectifs ont entre eux une différence assez grande. Un écrivain est mauvais quand il écrit mal, il est méchant quand il écrit avec méchanceté.


MÉFIER (SE), DÉFIER (SE).

Locut. vic.   Cet homme est singulier: je m’en défie.
Cet homme est faux: je m’en méfie.
 
Locut. corr.   Cet homme est singulier: je m’en méfie.
Cet homme est faux: je m’en défie.

«Se méfier exprime un sentiment plus faible que se défier. Cet homme ne me paraît pas franc, je m’en méfie; cet autre est un fourbe avéré, je m’en défie. Se méfier marque une disposition passagère et qui pourra cesser; se défier est une disposition habituelle et constante. Il faut se méfier de ceux qu’on ne connaît pas encore, et se défier de ceux par lesquels on a déjà été trompé. Se méfier appartient plus au sentiment dont on est affecté actuellement; se défier tient plus au caractère, etc.» (Dict. de l’Acad. 1802.)


MÉGARD.

Locut. vic. Il a fait cela par mégard.
Locut. corr. Il a fait cela par mégarde.

Mégarde est composé de la particule péjorative et du substantif garde. Ainsi mégarde équivaut à mauvaise garde, c’est-à-dire manque d’attention, comme mécontent équivaut à mal-content, mépriser à priser (estimer) mal, etc.


MEMBRÉ.

Locut. vic. Cet homme est bien membré.
Locut. corr. Cet homme est bien membru.

Selon l’Académie et les meilleurs lexicographes, membru est le seul mot dont on doive se servir pour signifier qui a les membres gros et puissans. Membré est aussi un mot français, mais ce mot appartient exclusivement au jargon frivole, comme dit La Fontaine, connu sous le nom de blason. On dit que les jambes et les cuisses des aigles et d’autres animaux sont membrées quand elles sont d’un émail différent de celui de l’animal.


MÊME.

Locut. vic.   Les passions assiègent tous les hommes, les plus sages mêmes.
Vous faites des fautes, dites-vous, les savans même en font.
 
Locut. corr.   Les passions assiègent tous les hommes, les plus sages même.
Vous faites des fautes, dites-vous, les savans mêmes en font.

Même est adverbe dans le premier exemple; il est adjectif dans le second.

«Même, dit Laveaux (Dict. des diff.), est adverbe quand il est employé dans la signification d’aussi, plus, encore, et qu’il peut, sans que le sens de la phrase soit altéré, se transposer, c’est-à-dire être mis indifféremment avant ou après le substantif ou le pronom, en y joignant la conjonction et. On dira donc:

J’enlèverais ma femme à ce temple, à vos bras;
Aux dieux même, à nos dieux, s’ils ne m’exauçaient pas.
(Voltaire, Olympie.)

«Les animaux, les plantes même étaient au nombre des divinités égyptiennes. (De Wailly); sans altérer le sens de la phrase on pourrait dire, j’enlèverais ma femme à ce temple, à vos bras, et même aux Dieux. Les animaux et même les plantes, etc. Dans les libertins, les impies même tremblent à la vue de la mort, il faut écrire même sans s, parce qu’on peut dire sans altérer le sens de la phrase, les libertins et même les impies tremblent à la vue de la mort. Mais dans les impies mêmes tremblent à la vue de la mort, il faut écrire mêmes avec un s, parce qu’on peut dire les impies eux mêmes tremblent à la vue de la mort. Racine a dit:

Ces murs mêmes, seigneur, peuvent avoir des yeux....
Les Grecs mêmes sont las de servir sa colère.

«C’est Hippocrate qui voulut que ses erreurs mêmes fussent des leçons.»

(Barthélemy.)


MÊME CHOSE.

Locut. vic. Je ferai cela la même chose.
Locut. corr. Je ferai cela de même.

Cette expression est fort usitée; elle est cependant passablement ridicule.


MENUSIER.

Locut. vic. C’est un menusier.
Locut. corr. C’est un menuisier.

MERCREDI.

Prononc. vic. Venez mécredi.
Prononc. corr. Venez mercredi.

Du temps de Vaugelas, la cour prononçait et écrivait même mécredi, en dépit d’une des étymologies les moins douteuses qu’il y ait peut-être dans notre langue. L’absurdité venait de haut lieu: elle fut bien accueillie par le public.

Nous ignorons comment la cour prononce aujourd’hui ce mot, et franchement nous ne nous en occupons guère, par la raison que la cour a perdu, entre autres droits, celui de régler le langage; mais nous savons fort bien que la nation prononce généralement mercredi, et cette autorité nous suffit.


MÉTAL, MÉTAIL, MÉTEIL.

Locut. vic.   J’ai acheté un setier de métail.
Ses boutons sont en métail.
 
Locut. corr.   J’ai acheté un setier de méteil.
Ses boutons sont en métal.

Les personnes qui ne connaissent pas bien leur langue confondent ordinairement les trois mots métal, métail et méteil, qui ont cependant des significations différentes.

Un métal est un corps minéral qui se forme dans les entrailles de la terre, et qui est fusible et malléable.

Un métail est une matière composée dans laquelle il entre des métaux.

Du méteil est un mélange de froment et de seigle.

Ces définitions sont celles du Dict. de l’Acad. (1802.)


MEULIÈRE (PIERRE).

Locut. vic. C’est de la pierre meulière, ou molière.
Locut. corr. C’est de la pierre de meulière.

Meulière étant un substantif doit être précédé de la préposition de, qui marque son rapport avec le substantif pierre.


MICHEL-ANGE.

Ceux qui tiennent à prononcer ce nom célèbre comme on le prononce en italien, sauront qu’ils doivent dire Mikel-Ange. Nous ne croyons pas, au reste, qu’on puisse, à l’exemple de certains grammairiens, accuser de prononciation vicieuse les personnes qui disent en français Michel-Ange. Où a-t-on été fourrer le vice? C’est sans doute un devoir de parler purement sa langue; ce n’en est pas un de savoir les langues étrangères.


MIDI.

Locut. vic. Je le verrai demain vers les midi, sur les midi.
Locut. corr. Je le verrai demain vers midi.

«Il n’y a pas, dit fort bien M. Blondin (Manuel, etc.), plusieurs midi, et l’on ne va pas sur les heures comme on va sur l’eau, ou sur la glace.»

Sur le midi est donc aussi une mauvaise expression qu’il vaut mieux remplacer par un équivalent. Après une marche longue et pénible, ils arrivèrent, sur le midi, chez l’ami de Fergus, etc. (Defauconpret, Waverley, ch. XXIV.) Lisez: à midi à peu près.


MIEUX (DES).

Locut. vic. Mon fils a répondu des mieux.
Locut. corr. Mon fils a répondu fort bien.

«Des mieux; expression basse et nullement correcte. Vaugelas ne pouvait la souffrir.» (Féraud, Dict. crit.)


MILLE.

Orth. vic.   Marot est mort en l’an mille cinq cent quarante-quatre.
L’an deux mille deux cent neuf du monde.
Trois mil hommes arrivèrent au secours de la ville.
 
Orth. corr.   Marot est mort en l’an mil cinq cent quarante-quatre.
L’an deux mil deux cent neuf du monde.
Trois mille hommes arrivèrent au secours de la ville.

Tous les grammairiens reconnaissent que le mot mil doit s’écrire ainsi lorsqu’il exprime une date, un millésime. Domergue, suivi par Laveaux, veut cependant que l’on écrive mille lorsque ce mot est multiplié par un autre nom de nombre. Il suit de là que Mercier, qui a intitulé un de ses ouvrages: L’an deux mille quatre cent quarante aurait bien écrit mille en deux syllabes, tandis que notre Béranger, dans sa jolie chanson de la Prédiction de Nostradamus, aurait fait un solécisme:

En l’an deux mil, date qu’on peut débattre, etc.

Selon nous le contraire a lieu. Le solécisme est à Mercier, et la pureté de langage à Béranger, poète correct s’il en fut jamais. Béranger aura probablement été guidé en cette circonstance par cette admirable justesse d’esprit qui l’a toujours distingué, non-seulement des chansonniers, ses prétendus confrères, mais de presque tous les poètes de notre époque, et nous sommes un peu fâché, nous l’avouerons, de voir des grammairiens distingués vaincus dans leur spécialité par un poète. Pourquoi ces grammairiens s’avisent-ils aussi d’être inconséquens?


MINABLE.

Locut. vic. Son ami a l’air bien minable.
Locut. corr. Son ami a l’air bien pauvre.

Nous repoussons ce mot parce que nous ne le croyons réellement digne que d’un langage minable. Nous ne l’avons jamais lu dans un ouvrage bien écrit, ni entendu dans la conversation des gens bien élevés. En vérité notre langue peut bien faire le sacrifice d’un terme de mépris pour la pauvreté; elle en a tant d’autres à sa disposition.


MINIME.

Locut. vic. C’est d’un intérêt trop minime.
Locut. corr. C’est d’un intérêt trop petit.

«Minime, très-petit; c’est un superlatif: il ne doit donc pas être employé avec des adverbes de comparaison. Ce droit est en général si minime que, etc. (Necker.) c’est comme si l’on disait si meilleur, si pire, etc.» (Féraud, Dict. crit.)

Dans cette phrase: donnez-moi la minime partie de vos biens, minime est régulièrement employé puisque sa signification est celle de la plus petite.


MINUIT.

Locut. vic. Cela m’arriva vers le minuit, vers les minuit.
Locut. corr. Cela m’arriva vers minuit.

Autrefois on disait la minuit.

Aussi lorsque la nuit étend ses sombres voiles,
Que la lune brillante, au milieu des étoiles
D’une heure pour le moins a passé la minuit.
(Sarrazin.)

Cette expression valait infiniment mieux que les deux premières, en ce qu’elle se rattachait au moins à l’étymologie, et puisqu’on l’a abandonnée, il nous semble assez raisonnable de ne pas lui en substituer une autre qui serait tout-à-fait absurde. Le mot minuit est aujourd’hui employé sans article; il est masculin et singulier: minuit est sonné.


MISÉRABLE.

Locut. vic. Avoue tes crimes, misérable.
Locut. corr. Avoue tes crimes, scélérat.

Un misérable signifie en français un coquin, un scélérat, et un homme pauvre. Nous avons cependant un proverbe qui dit: pauvreté n’est pas vice.

Appliquer indifféremment la même épithète aux gens nécessiteux et aux gens criminels est vraiment une infamie dont un peuple généreux comme le peuple français devrait rougir. C’est un manque d’égards pour le malheur qui ne peut être excusé que par un manque absolu de réflexion.


MISSERJAN (POIRE DE).

Locut. vic. Mangez cette poire de Misserjan.
Locut. corr. Mangez cette poire de Messire-Jean.

Messire Jean était probablement quelque hobereau ou quelque curé de campagne qui cultivait avec soin les arbres fruitiers. Des braconniers de l’endroit, suivant, au commencement de l’hiver, la piste de quelque lièvre, pénétrèrent dans l’auguste verger, s’y régalèrent de poires ordinaires, mais que le triple attrait du larcin, du lieu et de la saison leur fit trouver extraordinairement bonnes, et dès-lors Messire Jean aura passé, à son grand détriment, pour avoir des poires sans pareilles, qu’on aura cru, en conséquence, ne pouvoir convenablement désigner que par son nom.


MOGNON.

Locut. vic. Il a un mognon.
Locut. corr. Il a un moignon.

De moign, mot qui, en breton, signifie manchot, estropié de la main ou du bras. (Legonidec, Dict. Celto-Breton.)


MOINDREMENT.

Locut. vic. Ne faites pas le moindrement de bruit.
Locut. corr. Ne faites pas le moindre bruit.

Moindrement est un barbarisme.


MOINE.

Prononc. vic. Mo-ène.
Prononc. corr. Mo-ane.

Prononcez de même aigremoine, antimoine, avoine, chanoine, macédoine, patrimoine, péritoine, etc.


MOINS (PAS).

Locut. vic. Il regimbait; pas moins il l’a fait.
Locut. corr. Il regimbait; cependant il l’a fait.

Cette manière de parler est détestable; pas moins ne peut jamais avoir la signification de cependant. Les phrases suivantes indiqueront dans quel sens on doit employer cette locution. Il ne faut pas moins qu’une raison aussi forte pour me déterminer à..... Cela n’a pas moins de trente pieds.


MOIRON, MORON.

Locut. vic. Voici du moiron, du moron pour vos oiseaux.
Locut. corr. Voici du mouron pour vos oiseaux.

Moron se disait encore du temps de Ménage.


MON, TON, SON, MA, TA, SA, ETC.

Locut. vic. La jeune Marie a mal à ses dents.
Locut. corr. La jeune Marie a mal aux dents.

Quand on dit: La jeune Marie a mal aux dents, est-il quelqu’un d’assez peu intelligent pour croire qu’il soit ici question du mal de dents d’une autre personne que la jeune Marie? Non, car cela serait absurde, et l’absurde ne se suppose pas. Supprimez donc dans tous les cas semblables, l’adjectif possessif qui forme pléonasme, et remplacez-le par l’article. Il a ses mains tout écorchées, j’ai une douleur à mon pied droit, mon bras gauche me fait mal, dites: il a les mains tout écorchées, j’ai une douleur au pied droit, le bras gauche me fait mal.


MONDE.

Locut. vic. Tout le monde disent qu’il est parti.
Locut. corr. Tout le monde dit qu’il est parti.

Les collectifs généraux veulent le singulier, les collectifs partitifs le pluriel. La foule disparut. La plupart voulurent sortir.

Les collectifs généraux veulent le singulier, parce que l’esprit, en les énonçant, fait abstraction complète du nombre de personnes ou de choses qui les composent, et ne voit plus en eux qu’une masse, qu’une unité.

Les collectifs partitifs veulent le pluriel, parce qu’ils représentent évidemment plusieurs objets qu’on ne compte pas, il est vrai, par paresse peut-être, mais qu’on peut au moins compter, et qui conservent ainsi entièrement leur caractère de pluralité.


MONNOYAGE, MONNOIE, MONNOYER, MONNOYEUR.

Locut. vic. Le monnoyage est un privilège.
Locut. corr. Le monnayage est un privilège.

Depuis que l’ancienne prononciation de la diphthongue oi a été altérée dans monnoie, qu’on écrit maintenant monnaie, et que l’orthographe de Voltaire est venue consacrer cette altération, on sent combien il serait ridicule d’écrire et de prononcer les dérivés de monnaie par un o, lorsque ce mot s’écrit par un a.


MONTAIGNE.

Prononc. vic. Montagne est un de nos grands écrivains.
Prononc. corr. Montaigne est un de nos grands écrivains.

Les meilleurs éditeurs de Montaigne, MM. Villemain, Am. Duval et Leclerc écrivent Montaigne et non Montagne, comme affectent de le faire certaines personnes qui prétendent à tort, nous le croyons, soumettre un nom propre à l’altération qu’a éprouvée ce nom comme nom commun, et qui veulent conséquemment qu’on écrive aujourd’hui Montagne au lieu de Montaigne, par suite du retranchement de l’i dans les mots autrefois terminés en aigne, comme campaigne, compaigne, etc., et qu’on a changés en campagne, compagne, etc.

Si ce sentiment était adopté il faudrait donc, par analogie, dire Lemaître au lieu de Lemaistre, Prévôt au lieu de Prévost, et remplacer les noms propres formés de mots qui ont disparu de la langue, par les mots qu’on y a substitués. On dirait donc Renard au lieu de Goupil, La Vallée au lieu de La Combe, Château au lieu de Castel. Cela serait absurde. Écrivez et prononcez toujours Montaigne, nom propre, quoique le nom commun montagne s’écrive depuis fort long-temps sans i.


MONTER.

Locut. vic.   Je suis monté deux fois chez vous aujourd’hui.
J’ai monté ici pour vous parler.
 
Locut. corr.   J’ai monté deux fois chez vous aujourd’hui.
Je suis monté ici pour vous parler.

«Si l’on veut exprimer l’action de monter, il faut employer l’auxiliaire avoir. Il a monté quatre fois à sa chambre pendant la journée; il a monté pendant trois heures au haut de la montagne; il a monté les degrés; la rivière a monté de six pouces depuis hier. Si, au contraire, on veut exprimer l’état qui résulte de l’action de monter, il faut employer l’auxiliaire être. Il est monté dans sa chambre il n’y a qu’une heure. Votre père est-il monté dans sa chambre? Oui, il y est monté. A quelle heure y a-t-il monté? c’est-à-dire a-t-il fait l’action d’y monter? Il y a monté à huit heures.

«Le vers suivant de Voltaire offre un exemple contraire à cette règle:

J’ai sauvé cet empire en arrivant au trône;
J’en descendrai du moins comme j’y suis monté.

«Mais je soutiens que, sans le mauvais son de j’y ai, Voltaire aurait dit, j’y ai monté. C’est une licence qu’un usage abusif autorise, mais qui ne doit point tirer à conséquence.» (Laveaux, Dict. des diff.)


MONTER AU GRENIER.

Locut. vic. Il est monté au grenier.
Locut. corr. Il est allé au grenier.

Monter au grenier est un pléonasme comme descendre à la cave. Aller peut, nous le pensons, remplacer avec avantage dans ces locutions les verbes monter et descendre.


MONTER EN HAUT.

Locut. vic. Montez en haut.
Locut. corr. Allez en haut.

Les expressions monter en haut, descendre en bas présentent des pléonasmes si ridicules qu’il est très rare de les trouver employées par d’autres personnes que celles qui n’ont aucune idée de grammaire. Aussi avons-nous été fort étonné à la lecture du vers suivant de Furetière, qui, par parenthèse, n’est généralement connu que comme grammairien, et à qui nous devons un assez grand nombre d’épigrammes fort bonnes:

C’est céans, approchez, venez, montez en haut.
(Les Marchands, sat. I.)

On trouve aussi dans Villon:

Affin d’avoir provision
De l’escot, l’hoste monte en hault.
(Repues franches, § v.)

Et dans Coquillart:

Mais montez en hault tout droit
Et vous en allez au grenier.
(Monologue de la Botte de foing.)

Ces exemples ne tirent nullement à conséquence; on ne prouve rien contre la raison.


MONTRER.

Locut. vic. Montrez-lui le latin.
Locut. corr. Enseignez-lui le latin.

Bobêche disait un jour qu’on peut ne savoir ni lire ni écrire, être enfin un âne renforcé, et toutefois montrer parfaitement bien sa langue. Ce jeu de mots a eu du succès, et il le méritait, parce qu’il frappait de ridicule une mauvaise expression que l’Académie a cru devoir accueillir dans son Dictionnaire, et qu’elle n’a pas pour cela rendue meilleure. N’est-ce pas quelque chose d’assez plaisant que de voir Bobêche montrer sa langue à l’Académie?


MORIGINER.

Locut. vic. On le moriginera.
Locut. corr. On le morigénera.

De morigerari fait de morem gero. (De Roquefort, Dict. étym.)


MOT.

Locut. vic. Il m’a écrit un mot de lettre.
Locut. corr. Il m’a écrit un bout de lettre.

Les gens qui aiment à s’exprimer avec justesse préfèreront toujours employer un autre terme que celui de mot de lettre. Pourquoi ne dirait-on pas: Je lui ai écrit quelques lignes, un bout de lettre, un billet? Est-il absolument nécessaire d’avoir recours à l’hyperbole, «ressource, comme le dit M. Laveaux, des petits esprits qui écrivent pour le bas peuple?»

On trouve dans Furetière:

Et son chagrin ne put permettre
Qu’il lût un petit mot de lettre
Qu’entre ses mains j’avais remis.
(Épîtres.)

Les beaux parleurs disent un mote; les gens instruits, qui sont rarement de beaux parleurs, disent un mo.


MOUCHER.

Locut. vic. Il mouche fort peu.
Locut. corr. Il se mouche fort peu.

Je mouche souvent, disait un habitant du midi à un grammairien. Qui ou quoi? répondit celui-ci, vos enfans ou vos chandelles?

Ce verbe ne peut jamais être employé dans un sens neutre; il doit toujours être actif comme moucher la chandelle, moucher un enfant, ou réfléchi, comme se moucher.

Gresset a fait un solécisme dans le vers suivant:

Après avoir toussé, mouché, craché.

MOUROIR.

Locut. vic. Votre ami est au mouroir.
Locut. corr. Votre ami est à la mort.

Être au mouroir est un provincialisme assez en usage dans l’ouest de la France. Boiste a accueilli ce mot auquel il a donné la signification de lit de mort, en ajoutant avec raison qu’il est inusité..... à Paris, bien entendu.


MOUSSEUX.

Locut. vic. Cet arbre est mousseux.
Locut. corr. Cet arbre est moussu.

L’adjectif de mousse, signifiant une espèce de petite herbe, est moussu; l’adjectif de mousse, signifiant écume est mousseux. Dans notre phrase d’exemple, c’est donc évidemment moussu qu’il faut; c’était moussu qu’il fallait aussi dans le vers suivant:

Une grotte mousseuse, un côteau verdoyant.
(Roucher, les Mois, ch. VII.)

MOYENNANT QUE.

Locut. vic. J’y consens, moyennant que vous partiez.
Locut. corr. J’y consens, à condition que vous partiez.

Moyennant est une préposition qui ne doit jamais être suivie de la conjonction que.

On trouve moyennant que dans La Fontaine:

Amenez-la, courez; je vous promets
D’oublier tout, moyennant qu’elle vienne.
(Contes, liv. II, ch. 1.)

C’est une vieille expression tout-à-fait inusitée aujourd’hui.


MULATRE.

Locut. vic.   Une femme mulâtresse.
Une mulâtre.
 
Locut. corr.   Une femme mulâtre.
Une mulâtresse.

L’Académie ne donne pas le substantif mulâtresse, et c’est à tort. On ne peut pas plus dire une mulâtre qu’on ne dit une nègre. Mulâtre ne s’emploie que comme adjectif.

M. Marle ne reconnaît pas dans mulâtresse un mot français. Quelques dictionnaires récens n’ont cependant pas dédaigné de l’accueillir.


NACRE.

Locut. vic. C’est du nacre.
Locut. corr. C’est de la nacre.

Si les mots étaient fidèles à leurs étymologies, nacre devrait être masculin. Nácar, d’où il vient, est masculin en espagnol.

Nacre et polacre sont les deux seuls mots de cette désinence qui soient féminins.


NATAL.

Locut. vic. Je vous revois, ô lieux nataux!
Locut. corr. Je vous revois, ô lieux natals!

L’adjectif natal a été mutilé par nos grammairiens. Les uns, tels que Andry de Boisregard (Réflexions sur l’usage présent de la langue française), etc., n’ont pas voulu lui accorder de féminin singulier ou pluriel; d’autres, au nombre desquels figurent l’Académie, Féraud, Gattel, etc., lui refusent un pluriel masculin. De sorte que ce pauvre adjectif se trouve réduit à sa plus simple expression, à son masculin singulier.

Cependant l’usage ne s’est pas rendu complice de ce purisme ridicule qui tend à appauvrir notre langue. Il a donné un féminin des deux nombres à natal, comme on pourrait le prouver par un grand nombre d’exemples. Quant au pluriel, il lui en a donné un double, et il nous reste à décider aujourd’hui si l’on doit préférer natals à nataux ou nataux à natals.

On trouve nataux dans Amyot: «Il révérait fort Socrate et Platon, desquels tous les ans il célébrait les jours nataux.» Dans le Dict. de Trévoux: «Pour jouir du droit de bourgeoisie dans une ville, il faut y avoir maison, et s’y trouver aux quatre nataux, (Noël, Pâques, la Pentecôte et la Toussaint) dont on prend attestation.» Cependant comme nataux est un peu dur à l’oreille, nous pensons qu’il vaudrait peut-être mieux préférer natals, qui a été adopté par Laveaux, et qui a, comme nataux, l’analogie en sa faveur, mais, convenons-en, une analogie un peu plus restreinte. Qui ne connaît ces vers célèbres:

Al est un singulier dont le pluriel fait aux.
On dit c’est mon égal, et ce sont mes égaux.
(Boursault, Le Mercure Galant, act. IV, sc. VII.)

NATURE.

Locut. vic. Connaissez-vous rien de plus nature que cela?
Locut. corr. Connaissez-vous rien de plus naturel que cela?

Cette manière de parler est maintenant à la mode. On ne doit cependant pas s’attendre à en trouver des exemples dans nos bons auteurs. La mode partout, mais particulièrement en fait de langage, n’est qu’une absurdité, et n’influence que les sots.

Nous croyons qu’il serait fort difficile aux gens qui emploient nature comme adjectif, à la place de naturel, de nous démontrer les avantages que le style peut retirer de cette transposition de mots.


NAYER.

Prononc. vic. Il s’est nayé.
Prononc. corr. Il s’est noyé.

Du temps de Rabelais, (16e siècle), on disait noyer; du temps de Ménage (17e siècle) néïer, et maintenant, quand on parle bien, on dit noyer. Les mots ont aussi, comme on le voit, leurs vicissitudes.


NÉAMOINS.

Locut. vic. Néamoins je l’ai vu.
Locut. corr. Néanmoins je l’ai vu.

Néanmoins est une corruption de néant moins, c’est-à-dire, rien moins. Ce mot a précisément la valeur qu’on attribue à la mauvaise locution pas moins dans cette phrase: pas moins, je l’ai vu.


NÈFE.

Locut. vic. Aimez-vous les nèfes?
Locut. corr. Aimez-vous les nèfles?

On dit aussi un néflier et non un néfier.


NÈGRE, NOIR.

Locut. vic. Le traité conclu entre vous nègres et nous blancs.
Locut. corr. Le traité conclu entre vous noirs et nous blancs.

Il existe entre ces deux mots une différence généralement ignorée en Europe, mais que les colons, et surtout les hommes de couleur noire, connaissent parfaitement bien. Cette différence consiste en ce que noir est regardé par les derniers comme un nom générique, un mot pris en bonne part, tandis que nègre ne leur paraît être qu’un terme de mépris. «Vous opposez les noirs aux blancs, dit Roubaud, et des Nègres vous en faites une espèce de bétail.» Quelle peut être la cause de cette différence de valeur donnée aux mots nègre et noir par la race d’hommes qu’ils servent à désigner? Essayons de la trouver.

Ces hommes, voyant que nous avons deux expressions pour les nommer, et ne concevant guère la nécessité de ce luxe, ne se seraient-ils pas dit: Le mot blanc a pour opposé le mot noir; or, puisque l’épithète de blanc ne fâche nullement celui à qui elle s’applique, pourquoi celle de noir nous déplairait-elle? Mais le mot nègre à quel nom applicable aux blancs correspond-il? A aucun. Donc le mot nègre est une injure. On conviendra qu’il est encore une autre raison qui a fort bien pu contribuer à leur faire adopter cette opinion sur le mot nègre, c’est l’emploi que nous en faisons généralement dans les momens de colère, en l’accolant à des qualificatifs peu flatteurs, comme dans ces locutions: vilain nègre, chien de nègre, etc. Nègre a de plus des diminutifs, tels que négrillon, négritte, qui sonnent fort mal à leurs oreilles.

Le blanc, qui voudra donc se tenir à l’égard des enfans de l’Afrique dans les termes d’une bienveillance réciproque, fera bien de ne pas oublier la synonymie que nous venons d’établir. Les noirs ont, comme on le sait, le caractère vindicatif, et il est probable que l’ignorance de la valeur exacte du mot nègre aura déjà été plus d’une fois cruellement punie par eux.


NÉ NATIF.

Locut. vic. Je suis né natif de Paris.
Locut. corr. Je suis natif de Paris.

Cette expression battologique, qui était autrefois employée au sérieux, ne se prend plus maintenant qu’en plaisanterie.


NENTILLE.

Locut. vic. Il mangea un peu de nentilles.
Locut. corr. Il mangea un peu de lentilles.

C’est maintenant une faute si grossière de dire nentille pour lentille, que, malgré la mention accordée à ce mot par le Dictionnaire de Trévoux, nous n’aurions pas daigné nous y arrêter, sans le rapprochement assez curieux qu’il nous a donné lieu de faire entre le français du 17e siècle et celui de nos jours.

Du temps de Ménage, celui qui aurait dit des lentilles eût passé pour un provincial ignorant. Il fallait prononcer nentilles pour être réputé homme de cour. Il ne convenait aussi qu’aux rustres de cette époque de dire: un canif, de la cassonade, un fusilier, un chirurgien, une tabatière, etc., au lieu d’un ganif, de la castonade, un fuselier, un cirurgien, une tabakière, etc. Les gens du bel air d’autrefois courraient grand risque, comme on le voit, de passer aujourd’hui pour des rustres.

Lentille vient de lenticula, diminutif de lens.


NETTAYER.

Pronon. vic. On a nettayé l’appartement.
Pronon. corr. On a nettoyé l’appartement.

Les anciens grammairiens voulaient qu’on écrivît et qu’on prononçât nettéier. Les grammairiens modernes veulent qu’on écrive et qu’on prononce nettoyer.


NINE.

Locut. vic. C’est une rose nine.
Locut. corr. C’est une rose naine.

Règle générale. Le féminin des adjectifs terminés par une consonne se forme en ajoutant un e muet au masculin: nain doit donc faire naine.


NOËL.

Locut. vic. Il vint me voir à la noël.
Locut. corr. Il vint me voir à noël.

On ne dit pas la Noël comme on dit la Pentecôte, la Toussaint. On trouve toujours Noël sans article dans nos bons écrivains anciens et modernes. Ce mot ne désignait pas exclusivement autrefois la fête de la naissance du Christ; c’était un cri qui servait à exprimer publiquement la joie le jour de la naissance des princes et de l’entrée des rois dans les villes.

Ce jour vint le Roy à Vernueil,
Où il fut reçu à grand joie
Du peuple joyeux à merveil,
Et criant Noël par la voye.
(Martial de Paris.)

«Il est certain que, l’an 1631, époque de sa mort, la rivière arrêta son cours la veille de la Noël, ce qui, dit-on, présage immanquablement la mort des rois de Suède.» (Mémoires de Christine, t. I.)

Il fallait: la veille de Noël.


NOGAT.

Locut. vic. Comment trouvez-vous ce nogat blanc?
Locut. corr. Comment trouvez-vous ce nougat blanc?

Si l’on en croit le méridional abbé Féraud, nougat est un mot du patois provençal. Ce sont les beaux parleurs d’Aix ou de Marseille qui ont créé nogat, et ont prétendu nous le donner pour un mot français. Voyez la présomption! Faites du patois, Messieurs du pays d’Oc; c’est à nous, gens du pays d’Oil, qu’il appartient de faire du français. Et avec votre patois encore, quand cela nous plaît.

«Du noga, composé avec des noisettes, des pignons de pin, des pistaches et du miel de Narbonne.» (Bérenger, Soirées provençales.)

Lisez nougat.


NONANTE voyez SEPTANTE.


NOUVEAU.

Pourquoi un auteur se croit-il toujours obligé d’ajouter l’épithète de nouveau à l’ouvrage qu’il publie sur un sujet déjà traité, soit par lui, soit par un autre? Le lecteur, en faisant le rapprochement de la date du livre avec le moment où il lit ce livre, ne voit-il pas tout de suite s’il est réellement nouveau? et s’il ne l’est pas, croit-on que le titre puisse lui en imposer? Que nous fait aujourd’hui que Bouhours ait intitulé un volume de remarques sur la langue: Nouvelles remarques, etc. Le millésime du livre est l’acte de naissance qui dépose de l’âge de ce ci-devant jeune homme qui, avec son siècle et demi d’existence, ose afficher la prétention d’être toujours jeune. Il y a donc ici ridicule, mais il y a au moins bonne foi. En est-il de même des œuvres de musique qui ne portent jamais de date (ce dont on peut avoir quelque sujet de s’étonner) et qui se parent si souvent du titre de nouveaux? Que dites-vous, par exemple, d’une sonate nouvelle de Rameau? Supposez un homme qui ne connaisse pas ce célèbre musicien, et vous le verrez acheter, sur la foi d’un titre trompeur, du vieux pour du neuf. N’y a-t-il pas là évidemment du charlatanisme?


NOYAU.

Prononc. vic. No-iau.
Prononc. corr. Noi-iau.

NOYÉ.

Locut. vic. Secours aux noyés.
Locut. corr. Secours aux noyans.

«Secours aux noyés est une expression reçue, mais une expression vicieuse. En effet, un noyé est un homme mort dans l’eau, un cadavre; et certes les secours ne sont pas pour les cadavres. On aurait dû dire: secours aux noyans, comme on dit: secours aux mourans. Secours aux noyés est aussi absurde que le serait secours aux morts.» (Marle, Précis d’Orthologie.)


NU.

Orth. vic.   On l’a trouvé nue tête et nus pieds.
Il a ce bien en nue propriété.
 
Orth. corr.   On l’a trouvé nu-tête et nu-pieds.
Il a ce bien en nu-propriété.

L’adjectif nu est variable pour le substantif qui le précède, et invariable pour celui qui le suit.

Nu doit toujours être joint par un trait d’union au substantif devant lequel il est placé.


NUMÉRO.

Locut. vic. Paris, 97, rue Richelieu.
Locut. corr. Paris, rue Richelieu, no 97.

Imiter, et même imiter fort bien ce qui est fort bon, n’est pas faire œuvre de génie; mais imiter ce qui est mauvais, c’est assurément faire œuvre de sot, et c’est précisément cette œuvre de sot que nous faisons, lorsque nous énonçons dans une adresse, à la manière des Anglais, d’abord le nom de la ville, puis le numéro de la maison, et enfin le nom de la rue. Il nous a toujours paru plus logique (et, malgré la mode, nous conservons aujourd’hui la même opinion) de commencer par désigner la ville, ensuite la rue, et en dernier lieu le numéro, parce que c’est réellement dans cet ordre que se trouve l’importance relative de ces indications. Bien certainement, lorsqu’il s’agit de trouver quelqu’un, la première chose à savoir, c’est le lieu qu’il habite; la seconde, le nom de la rue où il demeure, et le numéro de la maison est d’une importance si petite, qu’on parviendrait souvent, sans le connaître, au but de ses recherches.

La mode peut être bonne pour les habillemens, et encore seulement pour les habillemens de femmes, mais de grâce gardons-nous bien de la laisser se mêler de notre langue qui a déjà bien assez de caprices sans cela.—Numéro doit prendre un s au pluriel. C’est là le sentiment de l’Académie.


OASIS.

Locut. vic. Nous trouvâmes enfin un oasis.
Locut. corr. Nous trouvâmes enfin une oasis.

Les Dictionnaires qui donnent le mot oasis (et celui de l’Académie de 1802 n’est pas de ce nombre) le font féminin. Cela devait être, d’après l’étymologie arabe. Oasis est aussi féminin en latin: oasis magna, oasis parva. (Dict. géogr. de Vosgien.)

On lit dans Malte-Brun (Traité élémentaire de géogr. t. II, p. 232): «Au milieu de ces mers de sable, apparaissent çà et là, comme des îles, ces verdoyantes oasis, qui offrent au milieu de la plus fatigante stérilité, le contraste consolant de quelques terrains doués de la fertilité la plus riche.»

M. V. Jacquemont (Corresp. sur l’Inde, t. I.) l’a cru masculin: «Nous sommes descendus à l’entrée d’un oasis délicieux.» Il fallait une oasis délicieuse.


OBÉI.

Locut. vic. Ces lois ne sont pas obéies.
Locut. corr. Ces lois ne sont pas observées.

Obéir, quoique verbe neutre, peut être employé passivement, mais seulement lorsqu’il est question de personnes:

Vous êtes obéie,
Vous n’avez plus, Madame, à craindre pour sa vie.
(Racine. Bajazet. Act. III, sc. IV.)

Nous ne croyons pas qu’on trouve dans un bon auteur aucun exemple d’obéi qualifiant un nom de chose. C’est déjà une assez bizarre exception que ce participe puisse qualifier un nom de personne, car obéir est peut-être le seul verbe neutre qui ait un passif.


OBSERVER.

Locut. vic. Je vous observerai qu’il est trop tard.
Locut. corr. Je vous ferai observer qu’il est trop tard.

«On ne trouvera dans aucun bon écrivain, dit M. Ch. Nodier (Examen crit. des Dict.), ce verbe observer avec l’acception que je lui trouve maintenant partout: je vous observe, pour je vous fais remarquer. On observe une chose, on fait observer une chose; mais on n’observe pas une chose à quelqu’un: règle que je ne ferais pas observer, si on l’observait un peu mieux.»

Nous lisons dans M. Guizot (Tr. de Gibbon), «Mais Lucilien... eut l’indiscrétion d’observer à Julien, etc.»

Voici une anecdote sur Domergue qui fera voir combien le solécisme que nous signalons dans cet article paraissait intolérable à ce grammairien. «Un abcès dans la gorge le suffoquait et le retenait au lit. Son médecin s’approche en lui disant: Si vous ne prenez point ce que je vous ordonne, je vous observe que....—Ah! misérable! s’écrie le moribond, transporté d’une sainte colère, n’est-ce pas assez de m’empoisonner par tes remèdes? Faut-il encore qu’à mon dernier moment tu viennes m’assassiner par tes solécismes? Va-t-en!..... à ces mots, prononcés avec impétuosité, l’abcès crève, la gorge se débarrasse, et, grâce au solécisme, le grammairien est rendu à la vie.» (M. Ballin, Manuel des amat. de la langue française.)


OBSTINER.

Locut. vic. Ne m’obstinez pas ce fait-là.
Locut. corr. Ne me soutenez pas ce fait-là.

Obstiner ne s’emploie plus dans le sens de soutenir ni même de contrarier. Ce verbe prend toujours la forme pronominale: il s’obstine à rimer. Cette phrase du grammairien Furetière: «il m’a obstiné que cette nouvelle était vraie» (Dict. univ.), prononcée dans un salon du beau monde, donnerait certainement aujourd’hui, sous le rapport de l’instruction, la plus mince idée de la personne qui ferait un tel emploi du verbe obstiner.

Le Dictionnaire de l’Académie donne cependant obstiner comme verbe actif simple, mais il le désigne comme familier. C’est lui faire encore trop d’honneur. Cette expression n’appartient plus à notre langue.


OCTANTE (voyez SEPTANTE).


ŒUVRE.

Locut. vic. Vous avez fait un œuvre méritoire.
Locut. corr. Vous avez fait une œuvre méritoire.

Œuvre, dans la signification d’action, de production de l’esprit, de banc des marguilliers à l’église, est féminin.

Dans le sens d’ouvrages d’un musicien, d’un graveur, de pierre philosophale (le grand œuvre), il est masculin.

Nos poètes ont souvent donné au mot œuvre, signifiant ouvrage de l’esprit, le genre masculin. C’est une licence.

Sans cela toute fable est un œuvre imparfait.
(Lafontaine, fab. II, liv. 12.)

OFFICE.

Locut. vic. La cuisine est grande, mais l’office est petit.
Locut. corr. La cuisine est grande, mais l’office est petite.

Office est féminin quand il signifie 1o le lieu où l’on prépare tout ce qu’on sert sur la table pour le dessert; 2o les domestiques qui mangent dans ce lieu; 3o l’art de faire, de préparer le dessert. Dans ses autres acceptions il est masculin.


OMBRAGEUX.

Locut. vic. Voyez ce sentier ombrageux.
Locut. corr. Voyez ce sentier ombreux.

Lorsque le mot ombrage signifie défiance, soupçon, son adjectif est ombrageux: «Pygmalion était ombrageux jusque dans les moindres choses» (Fénelon, Tél.); lorsqu’il signifie amas de branches, de feuilles qui donnent de l’ombre, l’adjectif ombreux vient prendre la place d’ombrageux.

Et souvent, des deux bords de nos vallons ombreux,
Ces lits contemporains se répondent entre eux.
(Delille. Trois Règnes. Ch. IV).

OMBRELLE.

Locut. vic. Mon ombrelle est tout neuf.
Locut. corr. Mon ombrelle est toute neuve.

Ombrelle a été autrefois masculin: «Les ombrelles, de quoy, depuis les anciens Romains, l’Italie se sert, chargent plus les bras qu’ils ne deschargent la teste.» (Montaigne, Ess. liv. 3, ch. 9.) Ce mot est aujourd’hui féminin, conformément à son étymologie latine.


OMNIBUS.

Locut. vic. cette omnibus conduit-elle?
Locut. corr. cet omnibus conduit-il?

«Ce nouveau substantif, dit M. Girault-Duvivier (Grammaire des Gramm.), sur le genre duquel on n’est pas encore fixé, nous semble devoir être du masculin, comme le sont en général les mots qui, dérivant du latin, sont masculins ou neutres. Les personnes qui font le mot omnibus féminin invoquent l’ellipse du substantif voiture; mais ce motif suffit-il pour écarter celui que nous donnons? On peut avoir dans l’esprit le mot carrosse aussi bien que le mot voiture


ONDAIN.

Locut. vic. Ce faucheur a fait quatre ondains.
Locut. corr. Ce faucheur a fait quatre andains.

Un andain est une rangée de foin, formée successivement avec la faux, et qu’on n’a pas encore remuée avec la fourche.

Les ondins sont les génies qui habitent les ondes, mythologiquement parlant, bien entendu.

Les étymologistes font venir andain du verbe italien andare, aller, marcher.

Des amateurs de pittoresque croient fort possible que l’expression correcte soit ondain, parce que, disent-ils, les courbes que dessine l’herbe tombant sous le tranchant de la faux, ressemblent assez aux cercles d’une onde agitée.


ONGLE.

Locut. vic. Vos ongles sont trop longues.
Locut. corr. Vos ongles sont trop longs.

Ce substantif est masculin, malgré ce vers de La Fontaine:

Elle sent son ongle maligne.
(Fab. Liv. VI, f. XV).

et malgré Feydel (Rem. sur le Dict. de l’Acad.) qui écrit: ongles fleuries.


ONZE.

Prononc. vic. Il était tonze heures.
Prononc. corr. Il étai onze heures.

L’usage, fixé par l’Académie et nos meilleurs grammairiens, est décidément aujourd’hui en faveur de l’aspiration de l’o dans les mots onze et onzième.


OPUSCULE.

Locut. vic. Cette opuscule est intéressante.
Locut. corr. Cet opuscule est intéressant.

Il y a deux siècles, l’usage voulait que ce mot fût féminin; aujourd’hui il le veut masculin. È sempre bene, à cette petite différence près cependant, que l’usage d’autrefois ne reposait que sur le caprice, et que celui d’aujourd’hui peut se fonder sur l’étymologie.


ORANG-OUTANG.

Prononc. vic. C’est un horan-outang.
Prononc. corr. C’est un noran-goutang.

Buffon (Tome XVIII, édit. 1832), dit toujours l’orang-outang, cet orang-outang, etc. «On pourrait regarder l’orang-outang comme le premier des singes, ou le dernier des hommes.»

Orang-outang est un mot malais qui signifie homme sauvage.


ORANGE (FLEUR D’)

Locut. vic.   Un bouquet de fleur d’orange.
Boire de l’eau de fleur d’orange.
 
Locut. corr.   Un bouquet de fleurs d’oranger.
Boire de l’eau de fleur d’oranger.

Dit-on une fleur de pomme, une fleur de prune, une fleur de cerise? non, car ce sont les pommiers, les pruniers, les cerisiers, qui ont des fleurs, et non les pommes, les prunes, les cerises. L’analogie veut donc que l’on dise une fleur d’oranger, et comme un bouquet est évidemment composé de plusieurs fleurs, nous ajoutons un s au mot fleur dans cette locution: un bouquet de fleurs d’oranger, où l’on fait communément deux fautes, en mettant 1o fleur au singulier, et 2o orange pour oranger. Cette dernière faute se trouve dans le Dict. de l’Académie (1802).—Quant à la liqueur nommée eau de fleur d’orange, on voit qu’il faut aussi écrire eau de fleur d’oranger, puisque cette liqueur est faite avec la fleur de l’oranger, et non avec l’orange. L’Académie dit de l’eau de fleur d’orange, et nous sommes surpris que cette incorrection de langage ait échappé au minutieux et caustique investigateur des erreurs de son Dictionnaire.


ORGE.

Locut. vic. De l’orge nu, perlé, mondé.
Locut. corr. De l’orge nue, perlée, mondée.

L’orge sur pied est du genre féminin, disent les grammaires, voilà de belles orges; l’orge en grains est du genre masculin: Cet orge est beau. Le commerce (dans son almanach du moins), ne se soumet pas à cette distinction, et écrit orge perlée, mondée, etc. Nous l’en félicitons, dans l’intérêt de notre langue, à laquelle on rend certainement un plus grand service en effaçant une exception qu’en la créant.

«On faisait autrefois le mot orge masculin, dit Laveaux (Dict. des diff.); il a plu à l’Académie de le faire féminin, et on l’a fait féminin: de l’orge bien levée, de belles orges. Cependant il est resté masculin dans ces deux phrases: de l’orge mondé, de l’orge perlé. L’Académie aurait pu, et peut-être dû le faire féminin dans ces deux expressions.»

Domergue voulait que le mot orge fût, d’après son étymologie (hordeum), toujours masculin.


ORGUE.

Locut. vic. Voici une belle orgue.
Locut. corr. Voici un bel orgue.

Orgue, d’après son étymologie (organum), doit être masculin, puisque le neutre manque à notre langue.

On lit dans nos grammaires (celles de Wailly, de Sicard, de Noël et Chapsal, de Girault-Duvivier, etc.): «Orgue est masculin au singulier, et féminin au pluriel.»

De sorte que, dans cette phrase: «Nous avons deux orgues expressifs de lui (M. Muller) à l’exposition, et les personnes qui ont entendu celui d’Erard ne trouvent ceux de M. Muller inférieurs en aucune partie» (National, 26 juin 1834); dans cette phrase, disons-nous, il eût fallu, selon la grammaire (la Grammaire scolastique, il est vrai), employer tour à tour le féminin et le masculin, et dire successivement: Deux orgues expressives, celui, celles, en parlant du même instrument. Quel galimathias! Le National avait une option à faire entre la routine et le bon sens: le National s’est déclaré pour le bon sens.


ORTHOGRAPHER.

Locut. vic. Ce mot est mal orthographé.
Locut. corr. Ce mot est mal orthographié.

«Un jour qu’on devait jouer l’Idoménée de Le Mierre, mademoiselle Clairon s’aperçoit que les affiches indiquent Ydoménée avec un Y; fort en colère, elle mande aussitôt l’imprimeur à l’assemblée de la Comédie, et le tance vertement. Celui-ci rejette la faute sur le semainier, dont il assure que la copie porte un Y.—Impossible! dit l’actrice superbe, car il n’y a point de comédien qui ne sache parfaitement ortographer.—Pardon, mademoiselle, reprend l’imprimeur avec un malin sourire, mais il me semble qu’il faut dire orthographier.» (Glossaire génevois.)


OU (LA).

Locut. vic. C’est là où je l’ai vu.
Locut. corr. C’est là que je l’ai vu.

Quand l’adverbe de lieu est précédé de la locution c’est, il faut le faire suivre de que; c’est là que je l’ai vu. Mais quand il n’en est pas précédé, il faut . Je l’ai vu là où vous êtes.

«Là où, dit M. Girault-Duvivier (Grammaire des Gram.), signifiant dans cet endroit (et précédé de l’expression c’est, aurait-il dû ajouter), est unanimement réprouvé. On dit: c’est là que je demeure, et non, c’est là où je demeure, c’est là que je veux aller, et non, c’est là où je veux aller. La raison en est qu’il y aurait deux adverbes où le verbe ne demande qu’une seule modification.»


OUBLI.

Locut. vic. Voulez-vous manger un oubli?
Locut. corr. Voulez-vous manger une oublie?

Les oublies sont cette sorte de pâtisserie mince, croustillante et de figure conique, que les enfans aiment tant.

On disait en vieux français des oublées, et ce mot était aussi féminin.

A grant plenté i ont trovées
Oublées bien envelopées
Dedenz une blanche toaille.
(Roman du Renard. V. 3087.)

OUEST.

Il y a en France deux prononciations bien distinctes des mots ouest, est et sud. L’une est la prononciation générale, que nous ne peindrons pas, parce qu’elle est assez connue; l’autre est la prononciation exceptionnelle en usage parmi les marins, et qui, dans certains noms composés des rumbs de vent, et seulement dans ces noms composés, change ouest en oua, est en et et sud en sur, comme nord-ouest, sud-est, sud-ouest, nord-est qui se prononcent noroua, sué, suroua, nordé. Nous ne pouvons certainement pas engager nos compatriotes à adopter une prononciation tout-à-fait hétéroclite, et nous sommes même loin d’y songer, mais comme il faut hurler avec les loups, les loups de mer bien entendu, nous croyons que toute personne qui sera appelée à exercer quelque autorité sur nos marins, fera fort bien de ne pas trop dédaigner leur manière de prononcer les noms des vents. Il faut songer que si leur prononciation excite de notre part le rire moqueur, la nôtre produit sur eux le même effet; la raison est, il est vrai, pour nous, mais le matelot qui prononce mal, croit aussi l’avoir pour lui, et un nord-ouest prononcé devant lui avec pureté, aura bien certainement pour effet infaillible de lui faire croire que celui qui l’a dit n’est qu’un Parisien; c’est-à-dire ce qu’il y a de plus anti-marin au monde, dans l’opinion des marins. Le passage suivant d’un de nos premiers romanciers maritimes, vient à l’appui de ce que nous venons de dire.

«Au moment où l’acteur chargé du rôle du capitaine Sabord doit dire: Il fallait un vent de nord-est pour nous relever de la côte, le marin de coulisses se trompe, et parle d’un vent de nord-ouest, et en prononçant encore ce dernier terme comme il est écrit. Tanguy, à cette expression qui résonne assez mal à son oreille, semble se réveiller d’un somme, et se met à crier de sa grosse voix d’ancien aide-canonnier: Dis donc un vent de nordais et non pas de norois, espèce de Parisien, puisque la côte court nord et sud! A cette sauvage interruption qui n’amuse qu’une partie du public, le parterre hurle: à la porte le vieux borgne! à la porte!» (Corbière, Les Pilotes de l’Iroise.)


OUÈTE.

Locut. vic. Achetez-moi de la ouète.
Locut. corr. Achetez-moi de la ouate.

On lit dans le Dictionnaire des difficultés, de Laveaux:

«Boileau a dit:

Où sur l’ouate molle éclate le tabis.

«Il est possible que quelques couturières de Paris disent de la ouate ou de la ouète; mais il vaut mieux en ceci imiter Boileau que les couturières.» M. Laveaux est ici dans l’erreur quant à la prononciation du mot ouate. D’autres personnes que des couturières de Paris, M. Girault-Duvivier, Féraud, l’Académie, entre autres, veulent que l’on prononce de la ouate, et cela par déférence pour l’usage, qui depuis long-temps exige l’aspiration de l’o dans le mot ouate, comme dans les mots oui et onze, le oui fatal, le onze du mois.»


OUIE.

Locut. vic. Il a l’ouie fin.
Locut. corr. Il a l’ouie fine.

Ouies, au pluriel, est aussi féminin. Ce poisson a les ouies toutes vermeilles.


OUVRIER.

Locut. vic. Nous ferons cette partie un jour ouvrier.
Locut. corr. Nous ferons cette partie un jour ouvrable.

Un jour ouvrable est un jour où l’on peut ouvrer, c’est-à-dire travailler, ce qui est d’une signification bien plus étendue que cette locution jour ouvrier, qui manque de justesse dans son opposition avec les locutions jour férié, jour de fête, puisqu’elle ne présente à l’esprit que l’idée du travail des ouvriers, et qu’elle oublie celui des marchands, des commis, etc. L’Académie a donné les deux locutions, mais elle paraît préférer jour ouvrable. Le peuple, remarque-t-elle, dit plutôt jour ouvrier. Féraud, qui fait la même observation, préfère aussi jour ouvrable. Mais Bouhours, qui a cru remarquer que le peuple dit jour ouvrable, qui affirme même qu’il n’y a que le peuple qui emploie cette expression, la condamne conséquemment, et prétend que tous les honnêtes gens doivent dire jour ouvrier. C’est que M. le jésuite Bouhours n’estimait guère le peuple sous aucun rapport, comme on peut le voir par le passage suivant tiré de ses Nouvelles remarques sur la langue française. «Le mot peuple se dit quelquefois dans une signification élégante. Il faut être bien peuple pour se laisser éblouir par l’éclat qui environne les grands, c’est-à-dire il faut avoir l’âme bien basse, il faut avoir tous les sentimens du peuple. Mademoiselle de Scudéry a employé ce mot dans un endroit où il a très bonne grâce; car, après avoir dit que ceux en qui on se fie le plus, sont ceux dont on est le plus trompé, et que, pour être sage, il faut toujours se défier des autres et de soi-même, elle ajoute: tout le monde est peuple une fois en sa vie, tout le monde fait des fautes, et tout le monde a tort en quelque rencontre. Après tout, ajoute le P. Bouhours, quoique ces locutions soient belles, il faut s’en servir avec retenue, ou plutôt il ne faut pas les employer si souvent, parce qu’elles ont quelque chose de trop beau. Il faut prendre garde où on les place, et se souvenir toujours que les locutions brillantes et un peu précieuses, ressemblent aux pistoles et aux louis d’or, qui ne sont pas tant d’usage dans le commerce ordinaire que les autres pièces de monnaie.» Jamais insolence de cuistre a-t-elle été poussée plus loin?


PAILLÉ.

Orth. vic. J’aime le vin paillé.
Orth. corr. J’aime le vin paillet.

Du vin paillet est du vin rouge, peu chargé de couleur, et dont la teinte est à peu près celle de la paille.


PAMPHLET.

Locut. vic. Ce pamphlet a sali son auteur.
Locut. corr. Ce libelle a sali son auteur.

«Pamphlet, s. m. Mot anglais qui s’emploie quelquefois dans notre langue, et qui signifie brochure.

«Libelle, s. m. Écrit injurieux.» (Dict. de l’Acad.)


PANTALONS.

Locut. vic. Il venait de mettre ses pantalons.
Locut. corr. Il venait de mettre son pantalon.

Les personnes qui disent des pantalons pour un pantalon s’imaginent sans doute qu’un pantalon est la moitié du vêtement ainsi nommé, la partie qui couvre une jambe. Elles sont dans l’erreur; le pantalon est le vêtement tout entier.


PAQUE.

Orth. vic.   Quand Pâque sera venue.
Nous le ferons à Pâques fleuris.
 
Orth. corr.   Quand Pâques sera venu.
Nous le ferons à Pâques fleuries.

«Paque, s. f. Fête solennelle que les Juifs célébraient tous les ans. La Pâque des Juifs.

«Paques, s. m. La fête que l’Église solennise tous les ans en mémoire de la résurrection de Jésus-Christ. Dès que Pâques est passé.

«On appelle Pâques fleuries le dimanche des Rameaux, et Pâques closes, le dimanche de Quasimodo. Alors Pâques est féminin, et ne se dit qu’au pluriel.» (Dict. de l’Acad.)


PAQUET-BOT.

Locut. vic. Il arrivera par le paquet-bot.
Locut. corr. Il arrivera par le paquebot.

«Paquebot est un mot français; paquet-bot est un barbarisme.» (Feydel, Rem. sur le Dict. de l’Acad.)

Ce barbarisme a été religieusement conservé par les dictionnaires de l’Académie, de Raymond, de Boiste, etc. Il en est apparemment des mots comme des hommes: il faut que chacun vive.


PAR.

Locut. vic. Ceux qui doivent, ou à qui il est dû par M. N...
Locut. corr. Ceux qui doivent à M. N..., ou à qui il doit.

«Quand deux verbes à régimes différens régissent un même nom, il faut que chacun de ces verbes ait son régime à part.

«Les exemples suivans pèchent contre cette règle:

«Je suis un peu trop lourd pour monter ou descendre facilement d’un cabriolet.» (Louis XVIII, Voyage à Bruxelles.)

«En entrant et en sortant d’un salon, chacun se croyait obligé d’aller faire un compliment d’arrivée ou d’adieu à la maîtresse de la maison.» (Genlis, Mém., tom. 5.)

«La porte d’entrée donnait dans cette antichambre, que j’étais obligée de traverser pour entrer ou sortir de chez moi.» (Même tom.)

«Ces fautes (les deux dernières), sont d’autant plus remarquables qu’elles se trouvent dans un volume où l’auteur signale un grand nombre de locutions vicieuses ou de mauvais goût (selon elle) en usage à Paris.» (Glossaire génevois.)


PAR CE QUE.

Locut. vic. Je vois, par ce que vous me dites, qu’on m’a trompé.
Locut. corr. Je vois, par tout ce que vous me dites, qu’on m’a trompé.

«Les rédacteurs de l’article (du Dict. de l’Acad.) sur la préposition par, auraient dû avertir les écrivains qu’il faut toujours éviter de placer les mots ce et que immédiatement après cette préposition. En cela ils auraient suivi une décision, long-temps méditée, de l’Académie elle-même, et imprimée par son ordre, au bas du chapitre des Remarques de Vaugelas, intitulé: PAR CE QUE, en trois mots. Je rapporte cette décision.

«Pour écrire purement et sans équivoque, il ne faut jamais se servir de par ce que que dans le sens de à cause que. Au lieu de dire, je connais par ce que vous me mandez d’un tel, il faut dire: je connais par les choses que vous me mandez d’un tel.

«Je fais cette remarque à l’occasion d’une phrase que je viens de lire au commencement d’une Notice sur la vie du Tasse, attribuée à l’une des meilleures plumes qui nous restent, et placée en tête d’une réimpression de la Jérusalem délivrée, traduite en 1774, par M. L***, déjà célèbre, à cette époque, entre les bons écrivains. Nous sommes trop disposés, dit l’auteur de la Notice, à juger par ce que nous avons sous les yeux, de ce qui s’est passé dans d’autres temps et en d’autres circonstances. La réputation non moins méritée qu’elle est brillante des deux hommes de lettres à qui cette négligence a échappé, autorise suffisamment ma remarque.» (Feydel, Rem. sur le Dict. de l’Acad.)


PAR TROP.

Locut. vic. Il est vraiment par trop caustique.
Locut. corr. Il est vraiment trop caustique.

«Cette façon de parler ne vaut rien; exemple: c’est être par trop scrupuleux; il suffit de dire: c’est être trop scrupuleux, quoique j’avoue que par trop a beaucoup d’emphase et de force pour exprimer l’excès que l’on veut blâmer, mais le bon usage le condamne.» (Rem. posthumes de Vaugelas, 1690.)


PARADOXE.

On croit assez vulgairement dans le monde que ce mot signifie opinion fausse, tandis que sa vraie signification est celle-ci: proposition contraire à l’opinion commune. Il ne faut donc pas dire: le paradoxe a des charmes pour tous les esprits faux, car il est fort possible qu’un paradoxe soit accueilli par les gens qui sont doués de la rectitude de jugement, et repoussé par ceux qui sont privés de cette précieuse qualité. Lorsque Christophe Colomb annonçait l’existence d’un autre monde par-delà l’Atlantique, Christophe Colomb émettait un paradoxe. Galilée aussi en disant: la terre tourne, donnait dans le paradoxe. Et ces deux grands hommes nous ont cependant prouvé la justesse de leurs assertions.

Paradoxe était employé autrefois comme adjectif: «Ces béatitudes, en apparence si paradoxes et si incroyables.» (Bourdaloue.)

On dirait aujourd’hui: si paradoxales.


PARDONNABLE.

Locut. vic. Vous n’êtes point pardonnable.
Locut. corr. Vous n’êtes point excusable.

On ne peut pas dire que quelqu’un est pardonnable. Une faute est pardonnable parce qu’on peut pardonner une faute; le verbe est ici actif. Mais comme on ne peut pas pardonner une personne, mais à une personne, parce que ce verbe devient neutre quand il a pour régime un nom d’être animé, il s’ensuit que cette personne n’est pas pardonnable, et qu’elle ne saurait être pardonnée. On pardonne les choses, on pardonne aux personnes. Cette faute, si commune dans la conversation, a été faite par l’auteur de l’Avant-propos des Œuvres de Cl. Marot (Dondey-Dupré, 1824, 3 vol. in-8.) «Mais lorsque ces pages sont peu nombreuses, l’auteur est plus pardonnable

Ce que nous venons de dire s’applique également à l’adjectif impardonnable. Nous ne concevons pas que Laveaux ait pu être d’un autre sentiment. L’Académie, nos meilleurs grammairiens et la raison, qui plus est, sont contre lui.


PARENT.

Locut. vic. Êtes-vous parent à Lucas.
Locut. corr. Êtes-vous parent de Lucas.

C’est le fils à Blaise, c’est le père à Jean, c’est un parent à Pierre, c’est un ami à Paul, sont des expressions que notre syntaxe désavoue formellement, et qui ne devraient jamais se trouver dans un ouvrage bien écrit. Il faut les laisser à la conversation familière, où elles ne sont même employées que par les gens illettrés. «En 1639, on donna une tragédie de la chûte de Phaéton, dont l’auteur, Tristan l’Ermite de Vozelle, était sans doute parent à François Tristan.» (Dict. hist. et bibliogr., par Peignot, art. Tristan (Fr.).) Lisez parent de.


PARFAIT (AU).

Locut. vic. Elle se porte au parfait.
Locut. corr. Elle se porte parfaitement.

«Faire une chose au parfait est une expression qui s’est introduite dans la langue par abus. Vous ne trouverez dans aucun auteur du siècle de Louis XIV, dit Voltaire, que Rigault ait peint les portraits au parfait.» (Laveaux, Dict. des diff.)


PARIER.

Locut. vic. Je parie que cela ne soit pas.
Locut. corr. Je parie que cela n’est pas.

Le verbe parier ne doit pas être suivi d’un subjonctif, comme le croient généralement les méridionaux, à moins qu’il ne soit employé avec une négation, je ne parie pas qu’il ait dit cela.


PARIURE.

Locut. vic. Je vous fais une pariure.
Locut. corr. Je vous fais un pari.

Pariure est un mot qui se trouve dans plusieurs patois français, mais qui n’appartient pas au pur français.


PARLER MAL, MAL PARLER.

Locut. vic.   On l’a entendu parler mal de vous.
Cet orateur a très mal parlé.
 
Locut. corr.   On l’a entendu mal parler de vous.
Cet orateur a parlé très mal.

«Beauzée pense que ces deux expressions ne sont pas synonymes. Mal parler tombe, selon lui, sur les choses que l’on dit, et parler mal sur la manière de les dire: le premier est contre la morale, et le second contre la grammaire.

«C’est mal parler que de dire des choses offensantes, surtout à ceux à qui l’on doit du respect; de tenir des propos inconsidérés, déplacés, qui peuvent nuire à celui qui les tient, ou à ceux dont on parle. C’est parler mal que d’employer des expressions hors d’usage; d’user de termes équivoques; de construire une phrase d’une manière embarrassée ou à contre-sens; d’affecter des figures gigantesques en parlant de choses communes ou médiocres; de choquer la quantité en faisant longues les syllabes qui doivent être brèves, ou brèves les syllabes qui doivent être longues.

«Il ne faut ni mal parler des absens, ni parler mal devant les savans, etc.» (Roubaud, Synonymes.)

«Observez que cette distinction n’a lieu qu’à l’infinitif et dans les temps composés du verbe parler. On ne dirait pas: il mal parle, il mal parlait.» (Gramm. des gramm.)


PARMI.

Locut. vic. Le reconnaissez-vous parmi le faste qui l’environne?
Locut. corr. Le reconnaissez-vous au milieu du faste qui l’environne?

Tous nos grammairiens s’accordent pour blâmer l’emploi de la préposition parmi, ailleurs que devant un nom pluriel indéfini, signifiant plus de trois, ou devant un singulier collectif. On dira donc correctement: parmi le peuple, parmi la foule, parmi le monde:

Que crois-tu qu’Alexandre, en ravageant la terre,
Cherche parmi l’horreur, le tumulte et la guerre?
(Boileau, Épit. V.)
Il y porta la flamme, et parmi le carnage,
Parmi les traits, le feu, le trouble, le pillage, etc.
(Voltaire, Mérope, act. III, sc. 5.)

Mais on ne peut pas dire comme Racine:

Mais parmi ce plaisir quel chagrin me dévore?
(Britannicus, act. II, sc 6.)

PAROI.

Locut. vic. Les parois sont faits solidement.
Locut. corr. Les parois sont faites solidement.

«On va confectionner de nouveaux projectiles dont les parois seront plus épais,» disait un journal de décembre 1832. L’auteur de cette phrase a commis une erreur qui se reproduit assez souvent. Il faut dire des parois épaisses.


PART (FAIRE).

Locut. vic. Je vous fais part que je suis arrivé.
Locut. corr. Je vous fais part de mon arrivée.

Faire part doit toujours être suivi de la préposition de, et non de la conjonction que. Dans la phrase suivante, il fallait donc remplacer ce verbe par un autre. «Une lettre de Constantinople nous fait part que le départ des troupes turques a été ordonné par le grand-visir lui-même.» On pouvait dire: Une lettre de Constantinople nous annonce, nous apprend que, etc.


PARTIR.

Locut. vic.   Quand je partis en voyage.
Il est parti à la campagne.
 
Locut. corr.   Quand j’allai en voyage.
Il est parti pour la campagne.

Quand on part, on ne va pas toujours en voyage, mais quand on va en voyage, on part bien certainement. Il y a donc, pour cette dernière raison, pléonasme dans cette locution partir en voyage.

Féraud a blâmé avec raison le P. Barre d’avoir écrit «Le Pape fit partir aussi Brunon à Cologne» (Hist. générale d’Allemagne). C’est la préposition pour qu’il faut dans cette phrase, au lieu de la préposition à.


PARU.

Locut. vic. Avez-vous le dernier volume paru.
Locut. corr. Avez-vous le dernier volume publié ou qui a paru.

Paraître étant un verbe neutre conjugué avec l’auxiliaire avoir, ne peut régulièrement avoir un participe passif. Cette faute est de même nature que celle qu’on a si souvent reprochée à Racine:

Ce héros expiré
N’a laissé dans nos bras qu’un corps défiguré.
(Phèdre, act. V, sc. 6.)

PAS.

Locut. vic. Il n’y a pas que votre ami qui l’aime.
Locut. corr. Votre ami n’est pas le seul qui l’aime.

L’emploi de la conjonction que après la négative pas, comme dans les phrases suivantes: Il n’y a pas que vos amis qui aient voyagé en Amérique; le pays n’a pas que cette seule espérance, produit, selon nous, l’effet le plus désagréable. Nous ne croyons pas avoir jamais vu dans nos bons écrivains des exemples de cette barbare construction, et nous aimons à penser qu’on en chercherait vainement. Nous avons emprunté ceux que nous citons ici à des journalistes, et à des journalistes encore qui épluchent parfois avec beaucoup de minutie et de sévérité le style de leurs confrères dans l’art d’écrire, et qui sont loin fort souvent de leur offrir l’exemple du bon goût, comme ils paraissent cependant avoir la bonhomie de le croire. Pourquoi ne pas dire: Vos amis ne sont pas les seules personnes qui aient voyagé en Amérique; le pays n’est pas réduit à cette seule espérance? Avec un certain nombre de locutions analogues a celle-ci: il n’y a pas que, notre langue ne soutiendrait certainement pas long-temps la réputation d’élégance que lui ont acquise nos bons écrivains.


PAS, POINT.

Locut. vic.   Il n’a point beaucoup d’esprit.
Comment ce jeune homme s’instruirait-il; il ne lit pas.
 
Locut. corr.   Il n’a pas beaucoup d’esprit.
Comment ce jeune homme s’instruirait-il; il ne lit point.

«Pas énonce simplement la négative, point l’exprime avec beaucoup plus de force. Le premier souvent ne nie la chose qu’en partie, ou avec une modification; le second la nie toujours absolument, totalement et sans réserve. On dira: vous ne croyez pas une chose qu’on ne peut vous persuader. Vous ne croyez point celle que votre esprit rejette entièrement. Dans le premier cas, il peut vous rester quelque doute; dans le second vous êtes décidé. Pas convient mieux à quelque chose de passager et d’accidentel; point à quelque chose de stable et d’habituel. Il ne lit pas, c’est-à-dire présentement; il ne lit point, c’est-à-dire jamais, dans aucun temps. On dira également d’un homme, qu’il ne dort point, pour faire entendre qu’il a une insomnie habituelle, et qu’il ne dort pas, pour marquer qu’actuellement il est éveillé.» (Laveaux, Dict. des diff.)

Si, lorsque vous pressez une aimable inhumaine,
Elle vous dit: laissez, monsieur, je ne veux point,
Toute entreprise serait vaine.
Mais si, voulant s’échapper de vos bras,
Elle vous dit: laissez, monsieur, je ne veux pas,
Osez, la victoire est certaine.
(Extrait de l’Improvisateur français.)

PAS PLUS.

Locut. vic. Je crois que votre ami, pas plus que le mien, ne veulent faire ce marché.
Locut. corr. Je crois que votre ami, pas plus que le mien, ne veut faire ce marché.

Il y a évidemment ici deux personnes qui ne veulent pas faire un marché, votre ami et le mien, et cependant le verbe vouloir doit être au singulier. Pourquoi? parce qu’il n’est pas question d’un accord logique, mais bien d’un accord purement grammatical, auquel une légère inversion de mots ne peut nullement porter obstacle. La construction directe de notre phrase d’exemple étant celle-ci: je crois que votre ami ne veut pas, plus que le mien, faire ce marché, on voit combien il serait ridicule d’employer le verbe au pluriel.


PASSAGER.

Locut. vic. Cette rue est passagère.
Locut. corr. Cette rue est fréquentée.

La gloire est passagère, les hirondelles sont passagères, parce que la gloire et les hirondelles passent et nous quittent. Mais en est-il de même d’une rue, d’une route? Non, certes; et l’on doit conséquemment se garder de dire: une rue passagère, une route passagère. Nos grammairiens modernes sont convenus de se servir de l’adjectif passant dans ce sens; quant à nous qui ne voyons pas quelle analogie il peut exister entre une rue passante et un individu passant, c’est-à-dire entre une chose inerte et un être mouvant, nous aimons mieux dire une rue fréquentée qu’une rue passante.


PASSER.

Locut. vic.   Il est passé trois fois par ici.
Il a passé en Prusse depuis l’année dernière.
 
Locut. corr.   Il a passé trois fois par ici.
Il est passé en Prusse depuis l’année dernière.

«A l’égard des verbes monter, descendre, entrer, sortir et passer, un grand nombre de grammairiens les conjuguent avec avoir, seulement quand ils ont un régime direct, et avec être, lorsqu’ils ne sont pas accompagnés d’un régime direct.

«Cependant, comme ces verbes sont susceptibles d’exprimer une action, lors même qu’ils n’ont pas de régime direct exprimé, ne devrait-on pas leur appliquer le principe général que nous avons invoqué pour les verbes périr, cesser, demeurer, etc., et, par conséquent, les conjuguer avec avoir, quand c’est l’action qu’on veut exprimer, qu’ils aient un régime direct ou non, et avec être, lorsque c’est l’état qu’il s’agit de peindre.» (Girault-Duvivier, Gramm. des gramm.)

Dites en conséquence: il a passé en Amérique en 1820, et il est passé en Amérique depuis 1820; la procession a passé sous mes fenêtres, et la procession est passée depuis une heure; ce mot a passé dans notre langue, c’est-à-dire a été adopté; et ce mot est passé, c’est-à-dire n’est plus en usage.


PATER.

Locut. vic. Suspendez votre habit à ce pater.
Locut. corr. Suspendez votre habit à cette patère.

Une patère est une espèce de crochet qui sert dans l’ameublement à différens usages.


PATRIOTE, PATRIOTIQUE.

Locut. vic. Croyez-en son âme patriotique.
Locut. corr. Croyez-en son âme patriote.

Patriote ne se dit généralement que des personnes; on l’applique cependant quelquefois aux choses. Ainsi l’on dit: votre patriote ami, votre patriote capitaine, etc., et votre cœur patriote, son esprit patriote, etc.

Patriotique ne qualifie ordinairement que les noms de choses: des dons patriotiques, des desseins patriotiques, des intentions patriotiques; mais, par une extension qui n’est peut-être pas fort logique, on le joint aussi à des collectifs de personnes. Ainsi on dit: des sociétés patriotiques, des clubs patriotiques, etc. L’usage est donc la règle qu’il faut consulter, pour savoir lequel de ces deux adjectifs on doit joindre à tel ou tel substantif.


PATTE, PIED.

Locut. vic. Ce bouc a une patte noire.
Locut. corr. Ce bouc a un pied noir.

On dit qu’un animal a des pieds, lorsque les membres qui supportent son corps ont la partie inférieure terminée par de la corne, comme cela se remarque chez le cheval, l’âne, le bœuf, le mouton, le bouc, l’éléphant, etc. Quand cette partie est formée par des doigts pourvus d’ongles ou de griffes, on la nomme patte. Les lions, les loups, les chiens, les chats, les souris, etc., ont des pattes. De sorte que les parties inférieures de certains animaux, lesquelles, par leur conformation, établissent le plus de ressemblance entre ces animaux et l’homme, ont précisément reçu le nom qu’on ne veut pas appliquer à ces mêmes parties dans l’espèce humaine. Il y a là certainement ou caprice de l’usage, ou calcul d’amour-propre, et en tout cas sottise.


PAUVRESSE.

Locut. vic. Nous fûmes accostés par une pauvre.
Locut. corr. Nous fûmes accostés par une pauvresse.

Ce mot est proscrit par quelques grammairiens, par M. Blondin entre autres (Manuel de la pureté du langage). Domergue, Laveaux (Dict. de l’Acad., édition Moutardier) et l’usage l’admettent; aussi l’admettons-nous. Un mendiant est un pauvre, une mendiante est une pauvresse et non une pauvre. Il faudrait, pour éviter l’emploi de cette dernière expression qui serait ridicule, parce que pauvre ne peut être employé au féminin que comme adjectif, et qu’il serait ici substantif, il faudrait, disons-nous, se servir de ces deux mots: femme pauvre, qui seraient aussi ridicules parce qu’ils ne rendraient pas encore l’idée exprimée par le mot pauvresse; une femme pauvre n’étant pas toujours en effet une pauvresse, par la raison qu’une femme pauvre peut ne pas demander l’aumône, et qu’une pauvresse la demande ou la reçoit. On voit par là combien il est peu raisonnable de vouloir bannir de la langue un mot bien fait et nécessaire, et que l’usage a d’ailleurs déjà consacré.


PAYANT.

Locut. vic. Donnez-nous la carte payante.
Locut. corr. Donnez-nous la carte à payer.

Il est des gens qui, à la fin d’un repas chez un restaurateur, s’imaginent faire les puristes en demandant la carte payante au lieu de la carte à payer. Nous répéterons à ces gens-là la remarque judicieusement faite par M. Blondin (Manuel de la pureté du langage): «La carte ne paie pas, mais on la paie.»


PAYEMENT.

Prononc. vic. Paye-ment.
Prononc. corr. Paiment.

Il faut écrire paiement.


PAYSAN.

Prononc. vic. Un pésan.
Prononc. corr. Un pai-isan.

La première prononciation est un archaïsme:

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