← Retour

Dictionnaire critique et raisonné du langage vicieux ou réputé vicieux

16px
100%

DICTIONNAIRE
CRITIQUE ET RAISONNÉ
DU
LANGAGE VICIEUX OU RÉPUTÉ VICIEUX.

A.

Locut. vic.   Sept ôtés de dix, reste à trois.
Onze à douze femmes.
Le fils à Guillaume.
Agissez de manière à ce qu’on vous loue.
 
Locut. corr.   Sept ôtés de dix, reste trois.
Onze ou douze femmes.
Le fils de Guillaume.
Agissez de manière qu’on vous loue.

—Boileau a dit:

Cinq et quatre font neuf, ôtez deux reste sept.

C’est comme s’il y avait: il reste sept; ce qui prouve que la préposition à est ici complètement inutile.

A ne doit pas se prendre indifféremment pour ou dans cette phrase: il y avait sept à huit femmes, «phrase recueillie, dit Domergue, par nos dictionnaires, et désapprouvée par le bon sens. On dit avec raison de sept à huit heures, allant de sept à huit heures, parce que huit heures est le terme où aboutit l’action d’aller; il y a un espace à parcourir; il y a des fractions d’heure; mais de la septième femme à la huitième il n’y a point d’espace; on ne conçoit pas des fractions de femme; il faut opter entre sept et huit, et dire sept ou huit femmes.» (Solutions grammat.)

Le fils à Guillaume est une mauvaise locution, en ce que le rapport d’origine doit être marqué par la préposition de et non par la préposition à. Autrefois ce rapport était indiqué indifféremment par à ou par de; on se passait même de préposition.

Ung Gilles de Bretaigne
Nepveu au roi Charlon,
Veiz-je par mode estrange
Estrangler en prison.
(Jehan Molinet.)
Deu le filz Marie. (Dieu le fils de Marie.)
(Roman du Renard, v. 21624.)

Cette manière de parler a été réformée, et ne se trouve plus guère en usage aujourd’hui que parmi les gens dépourvus d’instruction.

«Un jour le marquis de Coulanges, conseiller au Parlement de Paris, rapportant dans une affaire où il s’agissait d’une mare que se disputaient deux paysans, dont l’un se nommait Grappin, s’embrouilla tellement dans le détail des faits qu’il fut obligé d’interrompre sa narration. Pardon, Messieurs, dit-il aux juges, je me noie dans la mare à Grappin, et je suis votre serviteur.» (Glossaire Génevois.)

Cet exemple n’est pas, comme on le sent bien, une autorité qu’on doive suivre.

A ce que n’a aucune valeur de plus que la conj. que; pourquoi donc remplir le discours de mots superflus en disant de manière à ce que au lieu de dire simplement de manière que.


AB HOC ET AB HAC.

Prononc. vic. Abokéabac.
Prononc. corr. Abokètabac.

Prononcez et, dans une locution latine, comme un mot latin et non comme un mot français.


ABIMER.

Locut. vic. Vous avez abîmé mon habit.
Locut. corr. Vous avez gâté mon habit.

Quand on dit: Lisbonne fut abîmée par un tremblement de terre; Don Juan fut abîmé à cause de ses crimes; cet homme était abîmé dans ses douloureuses réflexions, on s’énonce purement: abîmer, dont la signification est grave, est fort bien placé dans ces phrases; mais lorsqu’on se sert de ce verbe pour dire qu’une robe a été salie ou un habit gâté, on ne fait plus qu’une ridicule hyperbole. En langage correct, un habit abîmé n’est autre chose qu’un habit tombé dans un abîme. Le Dictionnaire de l’Académie (édit. de 1802) donne la phrase d’exemple suivante: Ce meuble est abîmé de taches. Nous ne voyons là qu’une erreur, attendu que l’usage de nos bons écrivains, et le sentiment de nos meilleurs grammairiens sont opposés à cette manière de parler.


ABOUTONNER.

Locut. vic. Aboutonnez votre habit.
Locut. corr. Boutonnez votre habit.

Les Italiens disent abbotonare pour boutonner. C’est probablement de ce verbe que nous sera venu le verbe aboutonner, que Féraud qualifie de barbarisme, et qu’il serait certainement plus juste et plus poli de nommer un italianisme.


ABSYNTE.

Locut. vic. Je bus un peu d’absynte vert.
Locut. corr. Je bus un peu d’absinthe verte.

«Il est peu de mots, dit l’abbé Féraud, qui aient été écrits de plus de manières différentes: absinte, absinthe, absynthe, et même apsinthe. Ce dernier est de M. Ménage et le plus mauvais de tous. Aujourd’hui l’on n’a à choisir qu’entre absynthe et absinthe; l’Académie s’est déclarée pour le dernier, et avec raison; car pourquoi cet y? ce n’est pas pour l’étymologie; elle lui est contraire: absinthium.

«Selon Malherbe, absinthe est masculin et féminin. Vaugelas le fait toujours masculin. Aujourd’hui il est constamment féminin.» (Dict. crit.)

Domergue pense qu’on peut dire l’absinthe amère et l’absinthe amer. «Je suis, dit-il, également fondé à donner les deux genres à ce mot: le féminin, puisque c’est le bon plaisir des dictionnaires; le masculin, puisqu’ainsi le veut la loi de l’analogie.» (Manuel des étrangers, etc.)


ACADÉMICIEN, ACADÉMISTE.

Locut. vic. Vous tirez comme un académiste.
Locut. corr. Vous tirez comme un académicien.

Quelques grammairiens, M. Laveaux entre autres, prétendent que l’on doit donner le nom d’académiste à quelqu’un qui fait partie d’une académie d’armes ou d’équitation, et celui d’académicien à tout membre d’une académie scientifique ou littéraire. Les académistes ne paraissent pas fort disposés jusqu’à présent à reconnaître cette superbe distinction, et franchement, nous pensons qu’un membre d’une académie d’armes ou d’équitation a tout autant de droits à prendre le titre d’académicien, si la société à laquelle il appartient est reconnue pour académie, qu’aucun des messieurs qui siègent au palais des Beaux-Arts, et à qui, soit dit en passant, on serait presque tenté d’attribuer l’intention d’établir cette différence entre académicien et académiste.

Tout Dieu veut aux humains se faire reconnaître.
(La Fontaine.)

A CAUSE QUE.

Locut. vic. Il est triste à cause qu’il souffre.
Locut. corr. Il est triste parce qu’il souffre.

L’emploi de cette lourde locution est condamné par nos grammairiens modernes. Restaut s’en est servi dans cette phrase: Faut-il qu’il soit insolent à cause qu’il est riche? A cause que est maintenant un archaïsme; on l’a remplacé par la conjonction parce que.


ACCOURCIR, RACCOURCIR.

Locut. vic.   Les jours sont bien raccourcis.
Vous avez trop accourci mon habit.
 
Locut. corr.   Les jours sont bien accourcis.
Vous avez trop raccourci mon habit.

Il y a entre ces deux verbes une différence de signification qui ne paraît pas être connue de tout le monde. Le premier ne doit s’employer qu’au figuré: Vous avez accourci votre chemin en passant par là. Le second ne doit s’employer qu’au propre: Raccourcissez ma canne. Dans le premier cas il s’agit d’une opération à laquelle notre main ne peut avoir aucune part; dans le second au contraire d’une opération où elle intervient.


ACCULER.

Locut. vic. Vous acculez toujours vos souliers.
Locut. corr. Vous éculez toujours vos souliers.

Dans les premières éditions de son Dictionnaire, l’Académie tolérait l’expression d’acculer des souliers, mais la docte compagnie ne permet plus que le verbe éculer dans ce sens. C’est qu’elle a suivi le progrès de la langue. On lit dans Rabelais: Tousiours se veaultroyt par les fanges, se mascaroyt le nez, se chauffourroyt le visaige, acculoyt des souliers, etc.

(Gargantua, chap. XI.)

Acculer n’est plus en usage aujourd’hui que pour signifier pousser dans un lieu où l’on ne peut reculer. Cet homme, acculé contre un mur, blessa deux des brigands qui l’attaquaient. En parlant d’une chaussure dont le quartier de derrière a été abattu par le talon et foulé en marchant, c’est éculer qu’il faut employer.


ACHETER.

Pronon. vic. Il a ageté une maison.
Pronon. corr. Il a acheté une maison.

«Je ne ferais pas cette remarque si je n’avais ouï plusieurs hommes dans la chaire et dans le barreau prononcer mal ce mot, et dire ajetter pour acheter; mais ce qui m’estonne davantage, c’est que je ne vois personne qui les reprenne d’une faute si évidente. Ce défaut est particulier à Paris; c’est pourquoi ce sera leur rendre un bon office que de les avertir.»

(Vaugelas, 271e rem.)


A-COMPTE.

Orth. vic. Vous avez reçu deux à-comptes.
Orth. corr. Vous avez reçu deux à-compte.

«A-compte s’emploie substantivement, et s’écrit sans s au pluriel: je lui ai donné deux à-compte.

«Cependant Beauzée (Encycl. méth., au mot Néologie) est d’avis d’écrire acompte substantif, en un seul mot, et alors des acomptes avec un s. Sous la forme adverbiale, il adopte l’orthographe de l’Académie: voilà toujours mille francs à-compte sur ce que je vous dois.» (Girault-Duvivier, Gramm. des gramm.)

Nous pensons qu’on ferait fort bien d’adopter l’orthographe proposée par Beauzée, car elle a l’avantage d’être beaucoup plus rationnelle que l’orthographe ordinaire.


AFFAIRE.

Orth. vic.   Qu’avez-vous affaire dans leur querelle?
Il me quitta parce qu’il avait à faire à midi.
 
Orth. corr.   Qu’avez-vous à faire dans leur querelle?
Il me quitta parce qu’il avait affaire à midi.

Dans la première phrase l’ordre direct est: vous avez que (mis pour quoi, quelle chose) à faire dans leur querelle? C’est donc le verbe faire précédé de la préposition à qu’il faut ici. Dans la seconde il y a ellipse de l’adjectif numéral une: il me quitta parce qu’il avait une affaire à midi; et c’est évidemment le substantif affaire que l’on doit employer dans cette circonstance.

«Beaucoup de personnes se trompent à ces deux locutions; elles écrivent j’ai à faire, comme on écrirait j’ai une affaire.

«Quand l’intention de la phrase porte sur la chose même, c’est une affaire; quand elle porte seulement sur le temps et sur la manière, la chose est à faire; robe à faire.

«Autrement: si le mot est susceptible de recevoir un article quelconque, il est le substantif affaire: une affaire importante, l’affaire dont vous m’avez parlé, etc.

«Mais si le mot ne peut admettre ni un adjectif ni un article, c’est alors la locution à faire: qu’avez-vous à faire? ce que vous demandez n’est plus à faire, etc.» (Philipon La Madelaine, Homonymes français.)


AFFILER. (Voyez EFFILER.)


AGE.

Locut. vic. A nos âges on n’est plus bon pour les plaisirs.
Locut. corr. A notre âge on n’est plus bon pour les plaisirs.

Ce substantif n’a de pluriel que dans ces exemples: les quatre âges de l’homme; l’homme entre deux âges, etc.; c’est-à-dire lorsqu’il désigne une des époques principales de la vie humaine, et non un des points si nombreux marqués par chaque année. Nous pensons en conséquence qu’un homme de 60 ans qui dirait à un adolescent de 20 ans: à nos âges la vie offre des aspects bien différens, parlerait correctement; mais si cet homme de 60 ans disait à un autre homme de 65 ans: à nos âges on n’a plus de passions, cet homme ferait une faute.


AGIR.

Locut. vic. Votre frère en a mal agi envers moi.
Locut. corr. Votre frère a mal agi envers moi.

A quoi sert le pronom relatif en dans la première phrase? à rien absolument. C’est un mot parasite que le mauvais usage seul a pu accueillir.

«En agir est un barbarisme, dit Féraud. On voit dans une lettre de Racine à son fils qui était fort jeune, qu’il le reprend d’avoir dit en agir pour en user bien ou mal avec quelqu’un. Avec le pronom se, agir est verbe impersonnel, et il régit la préposition de; mais il ne se dit point à l’infinitif, s’agir. Il s’agit de la gloire, des intérêts de la religion; il s’agissait de la perte ou du salut de l’empire. Plusieurs retranchent mal à propos il, et disent: l’affaire dont s’agit. D’autres au prétérit disent: dont il a s’agi, pour, dont il s’est agi; cette dernière faute est encore plus grossière. Les verbes réciproques ou pronominaux prennent tous l’auxiliaire être


AGONIR.

Locut. vic. Vous m’avez agoni d’injures.
Locut. corr. Vous m’avez accablé d’injures.

Agonir n’est pas français. Quelques personnes se sont imaginé parler plus purement en disant: agoniser quelqu’un d’injures; mais malheureusement cette expression ne vaut pas mieux que la première. Agoniser est toujours neutre, et ne peut jamais, par conséquent, signifier mettre à l’agonie, comme on voudrait qu’il le fît dans la locution que nous venons de citer.


AGRICULTEUR.

«Néologique et barbare, culteur n’étant pas français; dites agricole.» (Boiste.)

«Agricole n’est jamais qu’adjectif. La raison de M. Boiste pour rejeter ce mot est très-mauvaise: c’est que le composant culteur n’est pas français. Dans législateur lateur n’est pas français, et législateur est bon. Et puis cole n’est pas plus français que culteur.» (Ch. Nodier. Examen crit. des Dict.)

Malgré cette excellente réfutation de l’opinion de M. Boiste sur le mot agriculteur, nous avons vu tout récemment reproduire cet article de son dictionnaire dans un ouvrage de grammaire, où le dernier des deux vers suivans de Delille est blâmé:

Et, content de former quelques rustiques sons,
A nos agriculteurs je donne des leçons.

Est-ce bien là du goût? ne serait-ce pas plutôt du purisme, et, qui plus est, du purisme très-ridicule?


AIDE.

Locut. vic. Votre aide n’a pas été puissant.—Un aide à maçon.
Locut. corr. Votre aide n’a pas été puissante.—Un aide-maçon.

Aide signifiant assistance est féminin: l’aide que vous avez reçue vous a été fort utile.

Le Dictionnaire de l’Académie dit un aide à maçon. M. Feydel (Remarques sur le Dict. de l’Acad.) fait à ce sujet l’observation qu’en bon français on doit dire et on dit: aide-maçon; aida-maçoun, ajoute-t-il, est du patois limousin.

Furetière, critiquant cette phrase du Dictionnaire de l’Académie: «ce mot (aide) n’est que de deux syllabes», s’écrie: «Qui ne rirait de la simplicité de cette observation? s’est-on jamais avisé de le faire de trois?» (L’Enterrement du Dict. de l’Acad.) Oui, certes, répondrons-nous; et Furetière ne se souvenait pas alors de nos vieux poètes qu’il avait cependant dû lire. On trouve dans le testament de Maistre Jehan de Meung:

O glorieuse Trinité,

Qui vivre et entendement donnes,
Et tous les biens nous habandonnes
Aide-moy à ce ditté.
(Traité de morale.)

Et dans Baïf:

Diane chasseresse au veneur donne aïde,
Et Vénus flatteresse à l’amoureux préside.

Cette prononciation est, du reste, si triviale aujourd’hui qu’il est presque superflu de la relever ici.


AIDER.

Locut. vic. Aidez-le à porter ce fardeau.—Aidez-lui à payer l’écot.
Locut. corr. Aidez-lui à porter ce fardeau.—Aidez-le à payer l’écot.

«Il y a quelque différence, dit Andry de Boisregard, (Réfl. sur l’usage présent de la langue fr.) entre aider quelqu’un et aider à quelqu’un; et en prenant ces mots selon l’exactitude et la pureté de la langue, aider à quelqu’un signifie proprement partager avec lui les mêmes peines; ainsi on dira fort bien d’une personne qui aura mis la main à l’ouvrage d’un autre: il lui a aidé à faire cela. Mais si l’aide qu’on donne ne consiste pas à prendre sur soi-même une partie du travail de celui qu’on secourt, alors il faut dire aider avec l’accusatif; ainsi on dira d’une personne qui aura donné à quelqu’un une somme d’argent pour achever un édifice: qu’il l’a aidé à bâtir sa maison

Féraud ajoute: «Sur ce pied-là il faudra donc dire que: On doit s’aider les uns les autres, et non pas les uns aux autres, comme dit Bossuet. Dieu aide aux fous et aux enfans est une phrase consacrée qui ne doit pas tirer à conséquence pour d’autres. Avec les choses, aider à fait fort bien: aider à la fortune de; aider à la lettre; il n’a pas peu aidé à cette affaire.

Lui pouvez-vous aider à me perdre d’honneur?
(Corneille.)

«Et pouvez-vous l’aider aurait été mieux.»


AIGLE.

Locut. vic.   Nous vîmes dans la ménagerie une aigle très-grande.
L’aigle français a eu sa gloire.
 
Locut. corr.   Nous vîmes dans la ménagerie un aigle très-grand.
L’aigle française a eu sa gloire.

Aigle, signifiant l’oiseau même, est masculin. Il l’est encore lorsqu’il est employé pour homme de génie: c’est un aigle; mais pris dans le sens d’armoiries, d’enseignes, il est féminin: les aigles romaines; l’aigle impériale.

Si l’on voulait parler de la mère d’un aiglon, il faudrait, selon l’Académie, dire un aigle femelle; selon Ménage, on devrait dire une aigle. Ménage pourrait bien avoir raison, d’autant plus que quelques passages de bons auteurs sont venus corroborer son opinion.


AIGUADE.

Pronon. vic. Aigu-ade.
Pronon. corr. Aigade.

(Voyez AIGUISER.)


AIGUISER.

Pronon. vic. Aighiser un couteau.
Pronon. corr. Aigu-iser un couteau.

Nous posons ici en règle absolue, 1o que tous les mots qui appartiennent à la famille du mot aigu, comme aiguillade, aiguille, aiguillée, aiguilleter, aiguilletier, aiguillette, aiguillier, aiguillière, aiguillon, aiguillonner, aiguisement, aiguiser, doivent rappeler la prononciation de leur racine de même qu’ils en rappellent l’idée par leur orthographe, et qu’il faut dire, en conséquence, aigu-illade, aigu-ille, etc.; et 2o que tous les mots qui dérivent du vieux substantif aigue (eau), et qui sont aiguade, aiguail, aiguaille, aiguayer, aiguière, aiguiérée, doivent, au contraire, ne pas laisser sentir l’u radical qui déguiserait tout-à-fait leur origine, puisqu’on pourrait fort bien écrire aigue sans u, de cette façon: aighe, et qu’il faut prononcer aigade, aigail, etc. L’adoption de cette règle ne peut pas, nous le pensons, éprouver la moindre difficulté, quoique le sentiment de plusieurs grammairiens sur la prononciation de deux ou trois des mots que nous avons cités soit en opposition avec le nôtre. Quel est l’esprit juste qui ne préférera pas une règle simple et précise à des incohérences, et la certitude au tâtonnement?


AIL.

Locut. vic. J’ai acheté des ails, des aulx.
Locut. corr. J’ai acheté de l’ail, des têtes d’ail.

«Le pluriel était autrefois aulx. M. Boiste donne aux, et M. Gattel aus; dans l’usage le plus commun c’est ails, et dans le bon usage ce n’est rien de tout cela. On dit généralement de l’ail, et ce mot ne se pluralise jamais.» (Ch. Nodier, Examen crit. des Dict.)

La Fontaine a dit cependant:

Tu peut choisir, ou de manger trente aulx, etc.

Nous ajouterons que le pluriel ails est fort usité par les naturalistes. Il existe, au reste, un moyen indiqué par plusieurs grammairiens de mettre tout le monde d’accord, c’est de dire au pluriel des têtes d’ail. Pourquoi ne dirait-on pas en effet, trois, cinq, dix têtes d’ail lorsqu’on fait un compte, et de l’ail lorsqu’on généralise?


AILE.

Locut. vic. Boire de l’aile.
Locut. corr. Boire de l’ale. (Sorte de bière.)

Prononcez, si vous voulez, aile, puisque c’est ainsi qu’on prononce ale en anglais; mais songez bien que rien ne vous y oblige, car il serait ridicule d’admettre qu’une langue qui nous prête un nom commun pût nous imposer sa prononciation. Quant à l’orthographe, c’est différent. Si vous l’altérez, l’étymologie se perdra, et lorsqu’elle sera perdue, qui vous dira si vous devez écrire aile, helle, elle, etc. Quelle belle source de contestations vous aurez fait jaillir! Et puis convenons que si nous empruntons un mot pour en changer l’orthographe, il vaut autant créer tout de suite un mot français, lequel serait bien certainement plus conforme au génie de notre langue. L’Académie et presque tous les dictionnaires écrivent aile, ce qui en Anglais ne signifie rien, et ce qui en Français signifie autre chose que de la bière. Aile est donc tout-à-fait en ce dernier sens un véritable barbarisme. M. Feydel (Rem. sur le Dict. de l’Acad.) veut qu’on écrive aële. Nous en ignorons le motif. Féraud écrit ale, et nous pensons qu’il a raison.


AIMER.

Locut. vic. J’aime rire, j’aime chanter.
Locut. corr. J’aime à rire, j’aime à chanter.
Ma bouche alors aimait redire
Un reste de songe amoureux.
(Joseph Delorme.)

Quoique plusieurs auteurs distingués aient employé ce verbe sans le faire suivre de la préposition à lorsqu’il est accompagné d’un autre verbe, nous ferons remarquer que c’est contraire à l’usage général. Il faut dire: j’aime à rire, j’aime à chanter. Cependant si l’adverbe mieux se trouvait placé entre le verbe aimer et un autre verbe la préposition à serait alors retranchée: j’aime mieux rire.

«Aimer régit à et non pas de devant les verbes, et alors il signifie prendre plaisir à..... aimer à lire, à chanter, à jouer, et non pas de lire, etc. (Féraud, Dict. Crit.).»


AIR (Avoir l’).

Locut. vic. Cette femme a l’air douce.
Locut. corr. Cette femme a l’air doux.

La locution avoir l’air n’étant pas un verbe, il nous semble tout-à-fait ridicule de vouloir faire accorder l’adjectif doux avec le substantif femme, quand il doit réellement être accordé avec le substantif air. Nous ajouterons qu’on devrait toujours éviter avec soin d’employer la locution avoir l’air en parlant des choses, comme dans ces phrases: cette poire a l’air mûr, cette maison a l’air neuf. Il faut dire: cette poire paraît mûre, cette maison paraît neuve.

Nous devons sur ce sujet à Philipon de la Madelaine une opinion que nous avons trouvée tout-à-fait concluante. La voici: «L’adjectif ou le participe qui suit le mot air s’accorde avec le substantif, et ne prend jamais que le genre masculin, quelque application que l’on en fasse. Ainsi il faut dire: Cette femme a l’air satisfait; cette fille a l’air ingénu; cette actrice a l’air embarrassé, etc. Il serait même d’autant moins convenable de faire accorder avec la personne les adjectifs satisfait, ingénu, etc. que souvent la personne n’est ni satisfaite, ni ingénue, et qu’elle n’en a que l’air ou l’apparence. Donc c’est à cet air seul que l’adjectif doit se rapporter. (Gram. des Gens du monde.


AIRER.

Locut. vic. Il faut airer cet appartement.
Locut. corr. Il faut aérer cet appartement.

Autrefois on disait en français aër pour air, comme on le voit par les vers suivans:

Il luy a faict acroire
Que pour trop mieulx ce drap mettre en son teinct,
Il fault qu’il soyt par une nuyt attainct
De l’aer de nuyt ou bien de la rousée.
(Légende de P. Faifeu.)

Comme ce mot ne faisait qu’une syllabe, la corruption de l’orthographe étymologique aura été chose facile. Aer a donc disparu, mais aérer nous est resté pour constater une disparate de plus dans notre langue. Airer conviendrait bien mieux aujourd’hui, et nous regrettons que l’usage le repousse.


AISE.

Locut. vic. On ne peut pas avoir tous ses aises.
Locut. corr. On ne peut pas avoir toutes ses aises.

«Le genre de ce mot est incertain au singulier; on ne l’unit qu’avec des pronoms dont on ne peut distinguer le genre par la terminaison, à son aise, à votre aise. Au pluriel l’usage le plus autorisé le fait féminin: prendre toutes ses aises. L’Académie ne lui donne que ce genre.» (Féraud. Dict. Crit.)


AIX-LA-CHAPELLE.

Pronon. vic. Aisse-la-Chapelle.
Pronon. corr. Aicse-la-Chapelle.

Nous ne savons pourquoi nos grammairiens veulent qu’on fasse pour ce mot la même dérogation à la prononciation française de la lettre x, que celle qu’on a faite pour le nom de la ville d’Aix en Provence. Dans le dernier nom, cette prononciation nous paraît assez naturelle, en ce qu’elle est fondée sur l’usage du pays auquel il appartient, mais dans Aix-la-Chapelle, sur quoi se fonde-t-on quand les Allemands, dont la langue est universellement parlée dans cette ville, disent Aachen, et que ceux qui emploient le nom français dans le pays le prononcent Aicse?


AJAMBER.

Locut. vic. Ajambez ce ruisseau.
Locut. corr. Enjambez ce ruisseau.

ALCOVE.

Locut. vic. Cet alcove est trop petit.
Locut. corr. Cette alcove est trop petite.
Dans le réduit obscur d’une alcove enfoncée,
S’élève un lit de plume à grand frais amassée.
(Boileau. Lutrin, ch. I.)

ALENTOUR DE.

Locut. vic. Il a de beaux arbres à l’entour de sa maison.
Locut. corr. Il a de beaux arbres autour de sa maison.

Alentour étant un adverbe et non une préposition, voici comment il doit être employé: il a une belle maison et de beaux arbres à l’entour. Les échos d’alentour. Alentour n’a pas de complément; autour doit en avoir un. Ainsi au lieu de dire: sa maison est abritée, il y a des arbres autour; il faut dire: alentour.

Alentour de était usité autrefois; nos vieux auteurs nous en fournissent des preuves. Boileau, selon l’abbé Féraud (Dict. Crit.), avait mis dans les premières éditions de ses satires:

A l’entour d’un castor j’en ai lu la préface.

Il mit dans sa dernière édition de 1709: autour d’un caudebec.

«Cette correction, dit Girault Duvivier, de la part d’un écrivain aussi pur, l’usage bien constant à présent, et enfin la grammaire qui veut qu’un adverbe soit employé sans régime, décident sans appel que alentour ne doit plus être suivi d’un régime: ainsi on s’exprimerait mal si l’on disait qu’une mère a ses filles alentour d’elle. Et Lafontaine ne dirait plus:

Fait résonner sa queue à l’entour de ses flancs.

«Beaucoup d’écrivains du siècle de Louis XIV, dit le même grammairien, écrivent à l’entour en deux mots et avec une apostrophe après la lettre l; mais cet adverbe étant écrit en un seul mot (alentour) dans les dernières éditions du dictionnaire de l’Académie, et dans la plupart des ouvrages modernes, nous adopterons cette orthographe.»


ALGER.

Pronon. vic. Algé.
Pronon. corr. Algère.

Si nous indiquons cette prononciation Algère comme la meilleure, c’est par déférence pour le sentiment du dictionnaire de Trévoux qui écrit Algèr, de la grammaire de Lévizac, de celle de Lemare, et du Dictionnaire des rimes de M. de Lanneau qui range ce nom propre parmi les mots dont le r final est rude, tels que cancer, amer, enfer, etc. Nous reconnaissons cependant que l’usage veut qu’on prononce Algé. On peut donc faire hardiment son choix en cette circonstance; on aura toujours pour soi une autorité imposante, celle des grammairiens ou celle de l’usage.

En Alger et à Alger ne signifient pas la même chose. En se met généralement devant un nom d’empire, de province, d’état, etc. A devant un nom de ville, de bourg, etc. Ainsi lorsqu’on dit: je vais en Alger, c’est comme si l’on disait: je vais sur le territoire de la colonie d’Alger, et lorsqu’on dit: je vais à Alger, cela signifie, je vais dans la ville même d’Alger. Il y aurait conséquemment une faute aujourd’hui dans ce vers de Corneille:

Je serai marié, si l’on veut, en Alger.

L’usage, qui se joue parfois des règles les plus sensées, n’a pas toujours respecté le principe que nous venons de développer, et nous ferons remarquer que cette locution en Alger, quoique bonne dans le sens indiqué plus haut, et quoique souvent employée d’une manière officielle par le gouvernement, n’en est pas moins, à l’heure qu’il est, une expression que l’usage dédaigne. Que le gouvernement se console de cet échec; la raison n’est pas mieux traitée que lui.


ALLER.

Locut. vic.   Il s’est en allé.
Il a plusieurs endroits à aller.
Je m’en vas lui parler.
Mon frère est allé en ville ce matin, et en est revenu ce soir.
 
Locut. corr.   Il s’en est allé.
Il a plusieurs endroits où aller (et mieux: il doit aller dans plusieurs endroits).
Je vais lui parler.
Mon frère a été en ville ce matin, et en est revenu ce soir.

—Dans la conjugaison du verbe s’en aller, le relatif en doit toujours être placé immédiatement après le second pronom personnel comme dans ces phrases: nous nous en sommes allés, vous vous en étiez allés, ils s’en seront allés, et non nous nous sommes en allés, vous vous étiez en allés, ils se seront en allés. Cette dernière manière de parler est unanimement condamnée.

—On doit sentir que cette phrase: il a plusieurs endroits à aller, est mauvaise, par la raison qu’on ne peut pas aller un endroit, des endroits, mais dans un endroit, dans des endroits.

Je m’en vas lui parler nous paraît contenir deux incorrections: la première est le pléonasme que présente l’emploi du relatif en, lequel est fort inutile ici puisqu’on peut dire dans un sens tout aussi complet je vas lui parler; la seconde est l’emploi de vas au lieu de vais, que l’on doit préférer, parce que la grammaire et l’usage l’ont définitivement adopté. C’est de plus une orthographe étymologique. Autrefois on disait: je voys, je voyse qu’on prononçait comme la première personne du verbe voir, je vois. Quand vint la révolution opérée, vers le milieu du 16e siècle, dans notre prononciation nationale, par l’influence de la suite italienne de Catherine de Médicis, la diphthongue oy, oi, finit par avoir le son de l’è ouvert, et l’on prononça alors je vays. Enfin plusieurs changemens successifs nous léguèrent l’orthographe je vais, qui est aujourd’hui généralement suivie. Je vas est préféré par certaines personnes à cause de son analogie avec les deux autres personnes tu vas, il va. Pour que cette opinion soit excellente, il ne lui manque que d’avoir l’usage pour elle.

Allé ne peut pas être employé dans une phrase qui implique le retour de la personne partie. C’est le participe été qu’il faut dans ce cas. Il est allé à Paris est une phrase correcte; elle ne l’est plus si vous ajoutez et il en est revenu. Cependant s’il y avait un autre verbe après allé, ce serait bien ce participe qu’il faudrait employer. Ainsi cette phrase, il a été le voir à Paris, et il est revenu, est défectueuse quoiqu’il y ait idée de retour. Il faut dire, il est allé le voir à Paris, et il est revenu. La raison en est que le participe été ne peut pas correctement se joindre à un autre verbe. Voyez à l’article Être les réflexions si judicieuses de M. Ch. Nodier à cet égard.


ALLUMER.

Locut. vic. Allumer la lumière.
Locut. corr. Allumer la bougie, la chandelle.

La faute que nous signalons ici est assez grossière; on en trouve cependant des exemples dans des ouvrages imprimés. En voici un: «Je m’étais assuré par une répétition faite deux jours auparavant, que j’avais beaucoup plus de temps qu’il ne m’en fallait pour me lever, allumer de la lumière et passer dans mon cabinet, etc.» (Louis XVIII. Relation d’un voyage à Bruxelles et à Coblentz en 1791.)

Il est un autre emploi du verbe allumer qui, moins mauvais sans doute que le précédent, a cependant été blâmé par quelques grammairiens, et que nous désirerions contribuer à faire disparaître. On le trouve dans les locutions: allumer du feu, allumer le feu, que nous considérons comme entachées de pléonasme. L’Académie s’exprime ainsi à ce sujet: «On dit allumer le feu, allumer du feu, pour dire allumer le bois qui est dans le foyer.» Mais pourquoi ne dirait-on pas faire du feu? Cette manière de parler est fort bonne, et l’Académie elle-même l’approuve apparemment, puisqu’elle la met dans son Dictionnaire.


ALMANACH.

Pronon. vic. Almanac, almena.
Pronon. corr. Almana.

Féraud prétend qu’on doit faire sentir faiblement le c quand ce mot est au singulier. Nous croyons qu’il vaut mieux avoir une prononciation uniforme pour les deux nombres, et ne prononcer almanac que lorsque ce mot se lie à un autre mot commençant par une voyelle: un almanach intéressant, prononcez un almana kintéressant.


ALORS.

Locut. vic. Ce jeune homme vient de publier un ouvrage; jusqu’alors il avait été inconnu.
Locut. corr. Ce jeune homme vient de publier un ouvrage; jusqu’à présent il avait été inconnu.

Jusqu’alors, employé pour désigner un temps présent, est un solécisme. Nous avons été surpris de le trouver dans un plaidoyer d’un de nos meilleurs avocats. «C’est aujourd’hui, pour la première fois, qu’on lui reproche d’avoir offensé la personne du roi. Il a quelque droit, Messieurs, de s’étonner de cette prévention d’un délit que jusqu’alors il avait ignoré.» Lisez: que jusqu’à présent il avait ignoré.

Alors ne doit pas être prononcé alorce mais alor.


AMADOU.

Locut. vic. Cette amadou est mauvaise.
Locut. corr. Cet amadou est mauvais.

AMATEUR.

Locut. vic. Elle est amateur de tableaux.
Locut. corr. Elle est amatrice de tableaux.

Le féminin amatrice est un mot fort bon et fort utile, qui a éprouvé et qui éprouve encore de grandes difficultés pour s’introduire dans notre idiôme. Ces difficultés proviennent en grande partie des femmes, et nous avouerons franchement que leur susceptibilité n’est que trop bien justifiée. M. de Bièvre a laissé tant de successeurs! Quoi qu’il en soit, ce mot que l’abbé Féraud qualifie à tort de mot nouveau, car c’est un archaïsme (V. Archéologie française, t. 1), ce mot, disons-nous, commence à se trouver appuyé par un assez grand nombre d’autorités. Amyot, Brantôme, Linguet, J. J. Rousseau, s’en sont servis, et Domergue, Féraud, l’Académie, Ch. Pougens, Boiste, etc., l’approuvent.


AMBITIEUX.

Quelques grammairiens prétendent que cet adjectif ne doit jamais avoir de complément comme dans cette phrase: il est ambitieux de gloire. Sur quoi fondent-ils leur opinion? Nous n’en savons rien, et peut-être ne le savent-ils pas eux-mêmes. C’est du moins ce que leur silence à cet égard nous permet de croire. Quant à nous, nous pensons que l’adjectif ambitieux, dérivant d’un verbe actif, doit pouvoir admettre le complément qu’admettrait ce verbe. Puisqu’on dit ambitionner la gloire, la puissance, etc., pourquoi ne dirait-on pas ambitieux de gloire, de puissance, etc.? Quoi! vous direz qu’un homme est ambitieux, et vous ne pourrez pas ajouter sur quoi porte son ambition. Quelle susceptibilité! rend-elle vraiment un service à notre langue? Nous croyons le contraire.

Louis Racine dans ce vers:

Ils sont ambitieux de plus nobles richesses,

Boileau dans cet hémistiche:

Ambitieux de gloire,

ont bravé avec raison une critique peu fondée.

Notre vieux langage donnait aussi un complément à ambitieux.

De vous l’accueil et l’honneste salut
Du premier jour envers moy tant valut,
Et le langage exquis et gracieux
Que mon esprit devint ambitieux
D’avoir du mal pour le bien qui lui pleust.
(Mellin de St. Gelais.)

AMBROISIE.

Locut. vic. Je croyais boire de l’ambroisie.
Locut. corr. Je croyais manger de l’ambrosie.

Le Dictionnaire de Trévoux après avoir défini l’«ambrosie: viande exquise dont les anciens feignaient que leurs dieux se nourrissaient, ajoute un peu plus loin: figurément on appelle ambrosie quelque manger ou boisson excellente.» Nous ne concevons pas cette contradiction. Les dieux payens, qui avaient déjà le nectar pour breuvage, devaient certainement avoir aussi un manger, et ce manger c’était l’ambrosie.

Nous avons adopté pour ce mot l’orthographe étymologique suivie par Trévoux, Féraud, etc., quoique peut-être un peu moins harmonieuse, un peu moins poétique que l’autre. Marot a dit cependant:

Car toute odeur ambrosienne y fleurent.

Les Anglais disent ambrosia, les Espagnols ambrosía.


AME.

Orth. vic. L’ame est immortelle.
Orth. corr. L’âme est immortelle.

D’Olivet et Féraud écrivent ce mot avec un accent circonflexe; M. Laveaux (Dictionnaire des Difficultés de la langue française) dit que cet accent suppose la suppression d’une lettre, et que l’on n’a jamais écrit asme; mais M. Laveaux est dans l’erreur sur la vieille orthographe du mot âme. On le trouve, dans nos anciens auteurs et dans les glossaires, écrit tour-à-tour arme, alme et asme. Nous dirons, pour constater cette dernière orthographe, que Rabelais ayant été accusé d’hérésie près de François Ier, par ce qu’il nomme un mangeur de serpens, à cause de ce passage de Pantagruel (liv. 3 ch. 22): «Il est herectique, bruslable comme une belle petite horologe. Son asne sen va a trente mille charetees de dyables. Sçavez-vous ou? Cor Dieu, mon amy, droict dessoubz la celle persee de Proserpine.» Rabelais, disons-nous, allégua pour sa défense (Epistre au cardinal de Chastillon) qu’il avait été «miz ung n pour ung m par la faulte et negligence des imprimeurs,» ce qui du mot asme avait fait le mot asne.


AMELETTE

Locut. vic. Manger une amelette.
Locut. corr. Manger une omelette.

On trouve amelette dans Ronsard, avec la signification de petite âme:

Amelette ronsardelette, etc.

Nous ne croyons pas que ce mot ait été ainsi employé ailleurs.


AMI.

Locut. vic. Être ami avec quelqu’un.
Locut. corr. Être ami de quelqu’un.

M. Ch. Nodier (Examen crit. des dict.) blâme avec raison cette phrase de Voltaire: «Claveret, avec qui il était ami, avait été celui qui avait fait courir cette pièce.»


AMOURS.

Locut. vic. Voilà mes dernières amours.
Locut. corr. Voilà mes derniers amours.

Ce mot était autrefois féminin au singulier comme au pluriel.

On ne doit dissimuler
Une amour vraye et entière.
(J. Passerat. Chanson.)
Ces pourtraictures déificques
Si pleines de doulces amours.
(Coquillard. Blason des armes.)

Plus tard le singulier est devenu masculin, mais le pluriel est toujours resté féminin, en dépit de la raison qui bien certainement devait exiger que les deux nombres d’un même substantif fussent du même genre. Cette disparate paraît être au moment de s’effacer. Quelques-uns de nos auteurs modernes ont dédaigné une règle ridicule, et, moins capricieux, ou, si l’on veut, moins sensibles à l’harmonie que leurs devanciers, ces écrivains n’ont pas craint de faire un pas hors du sentier de la routine. L’exemple est donné; il sera suivi: et en vérité il doit l’être.

Et mes premiers amours et mes premiers sermens.
(Voltaire. Œdipe.)
Ces dieux justes vengeurs des malheureux amours.
(Delille. Énéide.)
Et l’on revient toujours
A ses premiers amours.
(Étienne.)
Vient un danseur; nouveaux amours.
(Béranger. Les cinq Étages. Ch.)

AMULETTE.

Locut. vic. Il avait sur lui un amulette.
Locut. corr. Il avait sur lui une amulette.

L’Académie fait ce mot masculin. Trévoux dit aussi un amulette, mais plusieurs dictionnaires modernes disent une amulette, et nous croyons qu’ils sont ici d’accord avec l’usage. On a dit autrefois un amulet; c’est peut-être ce qui trompe sur le genre de ce substantif.

L’auteur des Remarques sur le Dictionnaire de l’Académie assigne le genre féminin à amulette. Féraud le lui a aussi donné.

Tous les mots terminés en ette (et ils sont au nombre de plus de 150) sont féminins, excepté squelette, trompette (celui qui joue de la trompette) et amulette, qu’on voudrait y joindre. De ces trois mots, les deux premiers sont d’un usage trop bien établi pour qu’on puisse songer à les soumettre à la loi de l’analogie, et à les ramener au genre féminin; mais nous croyons qu’il est très-facile de faire cet essai sur amulette dont l’emploi est assez rare, et nous le tentons. L’étymologie, nous le savons, veut le masculin; mais l’analogie, plus puissante, veut le féminin. Obéissons à l’analogie, qui d’ailleurs nous offre, en cette circonstance, un moyen de faire disparaître encore une exception de notre langue.


AMUNITION.

Locut. vic. Manger du pain d’amunition.
Locut. corr. Manger du pain de munition.

Amunition, comme le dit fort bien Féraud, est un barbarisme, et ce barbarisme est fort en usage parmi les militaires.


ANAGRAMME.

Locut. vic. Un anagramme bien fait.
Locut. corr. Une anagramme bien faite.

ANER.

Locut. vic. Comme vous avez âné ou hanné en lisant!
Locut. corr. Comme vous avez ânonné en lisant!

Anonner c’est lire ou répondre avec peine, en hésitant. «Mes pauvres lettres, dit madame de Sévigné, n’ont de prix que celui que vous y donnez, en les lisant comme vous faites; elles ne sont pas supportables quand elles sont ânonnées ou épelées.» La racine de ce mot est évidemment ânon; nous ne savons pourquoi l’auteur des Remarques sur le Dictionnaire de l’Académie veut qu’on écrive hanonner.

Il existe en français un autre verbe qui a quelques rapports de signification et même de consonnance avec ânonner, mais qu’il ne faut cependant pas prendre pour ânonner. Ce verbe est ahanner, formé du vieux substantif ahan, peine de corps, grand effort. Ahanner signifie faire quelque chose péniblement, sous le rapport physique; ânonner, éprouver une difficulté sous le rapport de l’intelligence.


ANGAR.

Locut. vic. Mettez cette charrette sous l’angar.
Locut. corr. Mettez cette charrette sous le hangar.

Domergue veut la première orthographe, parce que ce mot vient du latin angara; Laveaux se déclare pour la seconde, parce que l’usage l’a consacrée. Nous pensons que l’opinion de Laveaux doit être suivie comme étant la plus raisonnable.

Feydel (Rem. sur le Dict. de l’Académie) écrit hangart. Pourquoi cette addition d’un t? nous n’en savons rien.


ANGLAIS.

Ce mot, dans le sens de créancier, ne se trouve ni dans le Dictionnaire de l’Académie, ni dans nos dictionnaires les plus récens. Cette omission, que nous ne pouvons regarder comme volontaire, pourrait faire croire à beaucoup de personnes que le mot anglais ne doit pas être ainsi employé; mais, comme il a pour lui un usage de quelques siècles, attesté par Borel et le Dictionnaire de Trévoux, et prouvé par des exemples pris dans nos vieux auteurs, nous croyons être suffisamment autorisé à en faire emploi.

Voici comment s’exprime à ce sujet le Dict. de Trévoux: «Anglois, créancier fâcheux. La puissance redoutable des Anglois en France, et les ravages qu’ils y firent pendant les longues guerres entre Philippe de Valois et Edouard III, pour la succession à la couronne, après la mort de Charles-le-Bel, donnèrent lieu à cette expression. Le peuple appela Anglois tout créancier trop dur et trop puissant. Marot s’en est servi dans ce sens. Pasquier atteste qu’on le disait encore de son temps, et il rapporte ces vers adressés au roi François Ier, par Guillaume Cretin:

Et aujourd’hui je fay solliciter
Tous mes Anglois pour mes debtes parfaire
Et le paiment entier leur satisfaire.

«C’est encore ce qui fait dire à Marot dans un rondeau:

Un bien petit de près me venez prendre
Pour vous payer, et si devez entendre
Que ne vy oncques Anglois de votre taille.»

ANGOLA.

Locut. vic. Un chat angola, un chat angora.
Locut. corr. Un chat d’Angora, un angora.

On ne doit dire ni un chat angola, ni même un chat angora, quoique l’espèce de chats dont il est ici question soit originaire d’Angora, ville de l’Anatolie, en Asie, et non du royaume d’Angola, en Afrique. Il faut dire: un chat d’Angora, comme on dit un chien de Terre-Neuve, un genêt d’Espagne, un cochon d’Inde, ou tout simplement un angora, comme on dit un canarie, que, par parenthèse, quelques dictionnaires, celui de Rivarol entre autres, écrivent à tort Canari. Les grammairiens qui tolèrent cette expression chat angora nous paraissent avoir tort. On trouve ici la même incorrection que dans les locutions suivantes: vingt bouteilles rhum Jamaïque, trois caisses café Martinique, qu’il est bien certainement impossible de justifier autrement qu’en alléguant le besoin de ménager le temps et le papier, raison excellente dans le commerce, à laquelle le commerce fait peut-être fort bien de se rendre, mais qui ne prouve absolument rien en grammaire.


ANTICHAMBRE.

Locut. vic. Un bel antichambre.
Locut. corr. Une belle antichambre.

Le prépositif anti, dans le sens d’opposition, comme dans celui d’antériorité, qu’on lui a mal à propos attribué, ne doit pas changer le genre du substantif auquel il est joint, et l’on dit: une antiphrase, une antithèse, une antistrophe, etc., par la raison que les composans phrase, thèse, strophe, etc., sont féminins.

On trouve dans La Baumelle: son antichambre fut désert; lisez déserte.


ANTÉDILUVIEN.

Locut. vic. L’opinion antédiluvienne, les pasteurs antidiluviens.
Locut. corr. L’opinion antidiluvienne, les pasteurs antédiluviens.

N’employez pas l’adjectif antédiluvien pour qualifier l’opinion qui nie le déluge. Il faut dire: l’opinion antidiluvienne. Mais, si vous vouliez parler des hommes ou des choses qui ont existé avant le déluge, ce serait le mot antédiluvien qu’il faudrait choisir; une histoire antédiluvienne. Dans le premier cas, il y a opposition marquée par anti, dans le second, antériorité marquée par anté. L’usage a malheureusement établi bien des dérogations à ce principe étymologique, comme dans les mots antidate, antichambre, antéchrist, etc., qu’on devrait écrire antédate, antéchambre, antichrist, etc.; mais il faut bien se résoudre à passer condamnation sur des abus consacrés par le temps, et qu’il est pour cette raison impossible de déraciner actuellement. Ce que peuvent faire au moins nos grammairiens, c’est d’empêcher cette confusion d’avoir lieu dans les mots qui s’introduisent actuellement dans la langue, et c’est ce que n’ont pas fait assurément nos modernes lexicographes qui en sont encore à trouver une différence entre les adjectifs antédiluvien et antidiluvien.


AOUT.

Prononc. vic. Le mois d’a-oûte.
Prononc. corr. Le mois d’.

Il n’y a plus aujourd’hui, parmi les gens qui ont une certaine connaissance de la langue française, que très-peu d’opposans à la règle qui fait prononcer le nom du huitième mois de l’année comme s’il était écrit oût. On donne pour cause de ce changement d’une vieille prononciation nationale cette réflexion comique d’un magistrat, le président de Bellièvre: «Je crois entendre miauler des chats, quand j’entends dire aux procureurs: la Notre-Dame de la mi-août (Mi-a-oût).» Voyez à quoi tient cependant cet usage qu’on nous représente comme une puissance si formidable. Le voilà qui tombe ici devant une plaisanterie.

Maintenant donc que la prononciation du substantif août ne fait plus qu’une seule syllabe, pourquoi s’obstiner à en donner deux au verbe aoûter (mûrir par le soleil d’août), lequel verbe vient évidemment du substantif août? La contradiction n’est-elle pas bien manifeste? Nous engageons les personnes qui font août d’une syllabe, à ramener tous les mots ayant la même racine, comme aoûter, aoûteron, à une prononciation uniforme, c’est-à-dire à prononcer oûter, oûteron, ou si elles persistent à faire août de deux syllabes, à prononcer en conséquence a-oûter, a-oûteron; car il serait en vérité trop absurde que la loi de l’analogie ne pût avoir au moins autant de puissance qu’une plaisanterie, quelque bonne qu’elle soit d’ailleurs.

«Il y a plus de cent ans, dit Féraud (Dict. Crit.) que l’a a disparu de la prononciation d’août, et il tient bon dans l’orthographe.»


APOSTUME.

Locut. vic. Une grosse apostume.
Locut. corr. Un gros apostume ou apostême.

Les deux mots apostume, apostême sont aujourd’hui d’un emploi aussi fréquent l’un que l’autre. Nous croyons cependant que les médecins emploient plus volontiers apostême, qui a une couleur un peu plus grecque que son concurrent, et que le vulgaire aime un peu mieux apostume, tout infidèle qu’il est à l’étymologie, mais qui, du reste, est fort ancien.

Ce vénérable hillot fut averti
De quelque argent que m’aviez départi,
Et que ma bourse avait grosse apostume.
(Marot, Épit. à François Ier.)

On voit ici qu’il était autrefois féminin. Il est masculin aujourd’hui.


APPELER.

Locut. vic. Comment appelle-t-on cette fleur?
Locut. corr. Comment nomme-t-on cette fleur?

Il ne faut pas employer indifféremment appeler pour nommer; appeler n’est pas nommer, et nommer n’est pas appeler. Appeler signifie faire venir; nommer, donner un nom, désigner. L’Académie a donc tort de dire: On appelle magie blanche la connaissance des choses naturelles les plus occultes. On appelle bouquins les satyres. Il faut dans ces deux phrases: on nomme. Feydel, qui relève cette faute, demande ironiquement dans quel pays on appelle les satyres.

Appelé, employé substantivement, comme dans la phrase suivante: je l’ai vu avec un appelé Richard, n’est pas tolérable. Dites: je l’ai vu avec quelqu’un nommé Richard, ou avec un nommé Richard. Cette dernière locution n’est pas très-correcte, mais elle a au moins en sa faveur l’autorité de l’usage.


APPENDICE.

Locut. vic. Lisez tous les appendices.
Locut. corr. Lisez toutes les appendices. (Prononcez appindices.)

«Appendice, de quel genre est-il? Les lexicographes le font, les uns, masculin; les autres, féminin. Dans cette incertitude cherchons quelques raisons qui nous déterminent. Le mot latin appendix, d’où l’on a formé appendice, est féminin, etc. Le sens et l’analogie me font adopter le féminin.» (Domergue. Manuel des Étrangers, etc.)


APPRENDRE.

Locut. vic. Je lui ai appris le latin.
Locut. corr. Je lui ai enseigné le latin.

Le verbe apprendre ne doit pas avoir pour régime direct un nom de science ou d’art, ni un verbe qui appartienne à la famille de ce nom, à moins que le verbe apprendre ne soit pris dans une signification intransitive. Dans le cas contraire, il faut employer le verbe enseigner. On ne peut donc pas dire correctement: j’apprends la lecture à mon fils, ni j’apprends à lire à mon fils, mais j’enseigne la lecture à mon fils, j’enseigne à lire à mon fils. La raison est, comme nous l’avons dit plus haut, que l’action exprimée par le verbe apprendre ne doit pas sortir du sujet; lorsqu’on veut l’en faire sortir, on doit se servir du verbe transitif enseigner. Conservons toujours avec soin aux termes la valeur qui leur est propre; un grammairien a dit avec beaucoup de justesse que c’était par la confusion des mots que commençait la décadence d’une langue.

Apprendre est cependant employé transitivement lorsque son régime est un substantif qui n’exprime aucune idée de science ni d’art. Il m’a appris une singulière nouvelle. C’est un abus; mais il a reçu la consécration de l’usage général; il faut s’y soumettre. Il n’en est pas de même de son emploi pour enseigner, qui n’est fondé que sur l’autorité insuffisante de quelques dictionnaires.


APPROCHE.

Locut. vic. Les approches de cette ville furent meurtriers.
Locut. corr. Les approches de cette fille furent meurtrières.

Ce mot se trouve très-rarement placé dans le discours de manière à en faire apercevoir le genre; aussi donne-t-il lieu à bien des erreurs.

Tous les dictionnaires le font féminin.


APPROCHANT.

Locut. vic. Il est approchant de huit heures.
Locut. corr. Il est près de huit heures.

M. Ch. Nodier (Examen crit. des Dictionnaires) reproche à cette phrase de Gattel: il est approchant de huit heures, de renfermer un solécisme: approchant de. Nous sommes de son avis. Nous eussions bien désiré avoir aussi le sentiment de ce savant critique sur la préposition simple approchant. Quant à nous, elle nous a toujours paru mauvaise, et nous pensons qu’il vaudrait mieux employer à sa place l’une des prépositions près de, à peu près, environ, qui ont la même signification, et sont beaucoup plus correctes.


APRÈS.

Locut. vic.   Votre frère est venu demander hier après vous.
Laissez la clé après la serrure.
 
Locut. corr.   Votre frère est venu hier vous demander.
Laissez la clé à la serrure.

Après n’est réellement bien employé que lorsqu’il exprime une idée de postériorité, de suite, comme dans ces phrases: la gendarmerie a été envoyée après eux; l’homme court toute sa vie après le bonheur. Nous pensons que le dictionnaire de l’Académie aurait assez bien fait de ne pas prêter l’appui de son autorité à certains exemples de diction, où après reçoit une signification que lui refuse bien certainement la grammaire. Quant aux deux phrases que nous avons blâmées plus haut, elles ne s’y trouvent pas.


APRÈS-DINÉE, APRÈS-MIDI, APRÈS-SOUPÉE.

Locut. vic. Comment emploierons-nous la première après-dinée, la première après-midi, la première après-soupée.
Locut. corr. Comment emploierons-nous le premier après-dîner, le premier après-midi, le premier après-souper.

Selon presque tous nos grammairiens, les trois mots qui figurent en tête de cet article sont féminins. La raison qui a déterminé ce genre est facile à saisir pour le premier et le troisième, par la seule inspection de ces mots, mais le second, d’où peut lui venir son genre féminin, quand il est bien notoire que midi est masculin, et que la préposition après, placée devant ce substantif, ne peut nullement en changer le genre? Nous pensons donc que le mot composé après-midi doit toujours être masculin: cet après-midi m’a paru bien court. Quant aux mots après-dinée, après-soupée, il est bien clair qu’étant écrits de cette façon, ils doivent être féminins; mais nous ferons la remarque que cette orthographe est maintenant bien surannée, que personne ne dit plus la soupée, qu’on dit rarement la dinée, et qu’on ferait beaucoup mieux d’écrire après-dîner, après-souper.

L’examen de ces expressions après-midi, après-dinée, après-soupée est assez curieux. Il fait voir 1o que l’Académie qui définit midi, substantif masculin, veut en le joignant à la préposition après en faire un substantif féminin; 2o qu’elle passe sous silence soupée à sa lettrine, comme n’étant pas français apparemment, et l’accole cependant à la préposition après; 3o enfin que le mot dinée signifiant un repas qu’on fait à dîner dans les voyages, ne peut point par l’effet de son adjonction à la préposition après changer complètement de valeur et signifier le repas ordinaire, nommé dîner, comme dans cette phrase: il a passé toutes ses après-dinées dans mon salon. N’avons-nous pas là trois absurdités?


ARBORISER.

Locut. vic. Nous irons arboriser.
Locut. corr. Nous irons herboriser.

Cette expression se trouve dans Rabelais: «Et, en lieu darboriser, visitoyent les bouticques des drogueurs, herbiers et apothecaires.» (Gargantua, liv. I. ch. XXIV.) L’usage qui, à ce qu’il paraît, voulait arboriser du temps du bon curé de Meudon, changea plus tard ce verbe en celui d’herboliser, qu’on lit dans Ménage (Orig. de la Langue fr.). Aujourd’hui ces deux mots sont également bannis de la langue; herboriser est le seul qu’on emploie.

Arboriser pourrait peut-être se dire; mais au lieu de signifier chercher des herbes, il faudrait qu’il signifiât chercher des arbres.


ARC-BOUTANT.

Prononc. vic. Un arque-boutant.
Prononc. corr. Un ar-boutant.

L’usage a véritablement annulé le son du c dans ce mot composé, mais Féraud nous paraît être dans l’erreur lorsqu’il croit qu’il faut prononcer ar-de-triomphe. Ce serait à la vérité se montrer conséquent; l’usage se soucie bien de cela.


ARCHE.

Locut. vic. Il passa sous une arche-de-triomphe.
Locut. corr. Il passa sous un arc-de-triomphe.

Arche ne s’emploie régulièrement que pour signifier:

  • 1o La partie d’un pont sous laquelle l’eau passe;
  • 2o Le vaisseau dans lequel Noé et sa famille échappèrent au déluge;
  • 3o Le coffre dans lequel les Hébreux gardaient les Tables de la Loi.

ARÉCHAL.

Locut. vic. Un bout de fil d’aréchal.
Locut. corr. Un bout de fil d’archal.

Si nous estropions encore aujourd’hui le nom du fil d’archal, on ne prétendra pas cependant que nous ne sommes pas, depuis Vaugelas, en progrès dans la prononciation de ce mot, car la 382e remarque de ce grammairien atteste que, de son temps, on disait assez généralement du fil de richar. Personne, que nous sachions, ne fait maintenant cette faute burlesque.


ARMISTICE.

Locut. vic. Une armistice fut proposée et acceptée.
Locut. corr. Un armistice fut proposé et accepté.

«Trompés par le dictionnaire de l’Académie, édition de 1762, quelques journalistes, ayant à parler d’une suspension d’armes, firent armistice féminin. Mais ce mot est masculin d’après tous les dictionnaires, et d’après la raison..... Du mot latin armistitium, neutre, on doit former le mot français armistice, masculin.»

(Domergue. Manuel des étrangers, etc.)


ARRIÉRAGES.

Locut. vic. Recevoir des arriérages.
Locut. corr. Recevoir des arrérages.

Autrefois on parlait correctement en disant des arriérages; aujourd’hui on fait une faute en employant cette expression. Il faut convenir qu’arriérages serait bien plus correct, en ce qu’il conserverait mieux l’orthographe de la racine arrière. Ce mot a été composé de la même manière que voisinage, parentage, entourage, etc.


ARTILLERIE.

Prononc. vic. Artilerie.
Prononc. corr. Artillerie.

On doit prononcer les deux l de ce mot comme on les prononce dans fille, famille, quille, etc.


ARTISTE.

Des gens, d’une susceptibilité que nous n’hésitons pas à taxer de ridicule, ont voulu trouver un vice dans l’extension donnée à la signification du mot artiste, lequel comprend aujourd’hui non-seulement les peintres, les musiciens, les dessinateurs, les graveurs, mais encore les acteurs, les chanteurs, les danseurs. Nous ne voyons dans cette extension rien que de fort raisonnable. Les acteurs, chanteurs, danseurs, etc., cultivent un art comme les peintres, les musiciens, etc., et ont dès-lors le droit de se nommer artistes. Nous plaignons le peintre, le musicien, etc., dont l’orgueil pourrait être blessé par cette phrase: Talma fut un grand artiste. Son raisonnement ne serait guère solide, s’il ne voyait combien l’acteur jette ici d’éclat sur le mot artiste. Une Mars, un Elleviou, une Taglioni sont-ils gens qui puissent faire rougir ceux auprès de qui ils se trouvent? Tous les acteurs, toutes les actrices ne sont pas, il est vrai, des Talma, des Mars; tous les chanteurs ne sont pas des Elleviou; toutes les danseuses ne sont pas des Taglioni; mais tous les peintres, tous les musiciens sont-ils donc des Raphaël, des Mozart, etc.? Nous pensons que la prétention de mettre en dehors du titre d’artiste les personnes qui cultivent la déclamation, le chant, ou la danse, n’a jamais pu exister que dans l’esprit étroit de certains prétendus artistes dont la vanité, peu accoutumée aux jouissances, eût désiré avoir au moins, comme fiche de consolation, celle de pouvoir se placer, de par l’autorité de la grammaire, devant un assez bon nombre de gens de mérite.


ASSEOIR.

Locut. vic. Je m’asseois, assois-toi, assis-toi, que je m’assoye, etc.
Locut. corr. Je m’assieds, assieds-toi, que je m’asseye, etc.

«Il n’y a point de verbe, dit la Grammaire des grammaires, qui ait éprouvé autant de variations dans sa conjugaison; mais enfin l’Académie (Dict. édition de 1762 et de 1798), Wailly, Restaut, Gattel, Levizac, Sicard, la plupart des grammairiens modernes, et enfin l’usage, ont décidé qu’il se conjuguerait suivant le modèle que nous indiquons. Je m’assieds, tu t’assieds, il s’assied, nous nous asseyons, vous vous asseyez, ils s’asseient.—Je m’asseyais, nous nous asseyions. Je m’assis, nous nous assîmes.—Je m’assiérai, ou je m’asseierai, nous nous assiérons ou nous nous asseierons.—Je m’assiérais ou je m’asseierais, nous nous assiérions, ou nous nous asseierions.—Assieds-toi, asseyons-nous.—Que je m’asseye, que nous nous asseyions.—Que je m’assisse, que nous nous assissions.—S’asseoir.—S’asseyant.—Assis, assise

«Quelques grammairiens, dit Laveaux, ont imaginé de débarrasser ce verbe des difficultés de cette conjugaison, et ils conjuguent ainsi: je m’assois, tu t’assois, il s’assoit, nous nous assoyons, etc. J’assoyais, J’assoirai, j’assoirai, assois-toi, qu’il s’assoie, que nous nous assoyions, qu’ils s’assoient, s’assoir, s’asseyant, assis.

«Il est certain que cette manière de conjuguer ce verbe est beaucoup plus commode, et qu’il serait à souhaiter qu’elle fût adoptée; mais elle ne l’est pas encore généralement.»


ASSOUVIR.

Locut. vic. Après avoir assouvi sa soif.
Locut. corr. Après avoir satisfait sa soif.

Il nous semble aussi incorrect de dire: assouvir la soif (le Temps, feuilleton du 25 janv. 1832), qu’il le serait de dire: étancher la faim. Que dans ces deux locutions on transpose les deux verbes, et chacun d’eux se trouvera alors à sa véritable place. Le Dictionnaire de Trévoux contient, il est vrai, cette phrase: Cet ivrogne n’est jamais assouvi de vin; et, ce qu’il y a de singulier, c’est qu’il rapporte cet exemple après avoir défini plus haut le verbe assouvir: rendre saoul et rassasié de viandes. Il faut alors que l’auteur ait eu l’intention de parler de ces vins épais dans lesquels on trouve, comme on le dit vulgairement, à boire et à manger.


ASSUMER.

La remarque que nous avons à faire sur ce verbe, c’est qu’il peut être employé sans que la conscience grammaticale du puriste le plus méticuleux puisse aucunement s’en alarmer. Il est bien vrai qu’on ne le voit accueilli par aucun de nos lexicographes, depuis Nicod jusqu’à M. Raymond, mais nous ne voyons là qu’un simple oubli de leur part. Comment s’imaginer qu’ils aient considéré ce mot si sonore et si régulièrement formé comme un membre indigne de notre élégant idiôme! Nous n’y voyons pas la moindre apparence. Il pourra donc être de quelque utilité que nous ayons constaté cet oubli.


ASSURER.

Locut. vic. Assurez-le que je ne l’oublierai pas.
Locut. corr. Assurez-lui que je ne l’oublierai pas.

«On dit assurer quelque chose à quelqu’un, et assurer quelqu’un de quelque chose. Assurer, dans la première construction, signifie donner pour sûr, et dans la seconde témoigner.

«On m’assure que les troubles qui agitent la Hollande ne seront pas suivis d’une guerre civile.

«Dans cet exemple assurer signifie donner pour sûr, et réclame après lui la préposition à.

«Il est agréable de n’assurer de son respect que ceux qu’on respecte réellement.

«Ici assurer signifie témoigner, et réclame un complément direct de personne.» (Domergue. Solutions Grammaticales.)


ASTÉRIQUE.

Locut. vic. Une astérique.
Locut. corr. Un astérisque.

Cet astérisque renvoie à une grande note. (Académie.)

Ce mot vient du grec asteriskos, petite étoile.


ATMOSPHÈRE.

Locut. vic. L’atmosphère est trop épais.
Locut. corr. L’atmosphère est trop épaisse.

Ce mot, que Linguet, Bailly et quelques autres auteurs ont fait masculin, et que Féraud aime mieux, nous ne savons pourquoi, écrire avec un h, athmosphère, doit, si l’on s’en rapporte à la double autorité, et de l’Académie, et de l’étymologie, prendre le genre féminin, et s’écrire comme nous l’avons fait en tête de cet article.


A TRAVERS,—AU TRAVERS.

Locut. vic.   Il passa à travers des flammes.
Nous passâmes au travers l’armée.
 
Locut. corr.   Il passa au travers des flammes.
Nous passâmes à travers l’armée.

Le Dictionnaire de l’Académie s’exprime ainsi sur ces deux locutions: «Phrases employées comme prépositions, dont la première est toujours suivie du régime simple, et l’autre de la préposition de. Aller à travers les bois, à travers les champs, à travers champs. Il se fit jour à travers des ennemis, à travers les ennemis.»

Nous ferons remarquer que l’Académie a commis dans cet article une double faute, d’abord en donnant à des prépositions le nom de phrases, et secondement en se mettant dans un exemple en opposition directe avec la règle qu’elle vient de poser, c’est-à-dire en donnant à la préposition à travers un régime composé: à travers des ennemis.

Cette faute se trouve quelquefois dans de bons auteurs:

Ses soupirs embrâsés
Se font jour à travers des deux camps opposé
(Racine.)

Ce n’en est pas moins une faute.


ATTEINDRE.

Locut. vic.   Lucinde vient d’atteindre à l’instant où finit l’enfance.
Il n’est pas donné à l’homme d’atteindre la perfection.
 
Locut. corr.   Lucinde vient d’atteindre l’instant où finit l’enfance.
Il n’est pas donné à l’homme d’atteindre à la perfection.

Domergue établit ainsi la différence entre atteindre et atteindre à. «Atteindre, avec le complément direct, se dit des personnes en général, et des choses auxquelles on parvient sans difficulté, sans effort, et, pour ainsi dire, malgré soi. Atteindre un certain âge; elle n’a pas atteint son cinquième lustre. Atteindre à se dit des choses auxquelles il paraît qu’on ne peut parvenir qu’avec difficulté, qu’en faisant des efforts dirigés vers elles: atteindre à une certaine hauteur, atteindre au plancher, atteindre au but, atteindre à la perfection.

«On dit atteindre quelqu’un dans le sens de frapper, attraper, égaler; on dit atteindre à quelqu’un s’il s’agit de se diriger, de tendre physiquement vers quelqu’un.» (Solutions Grammaticales.)


AUCUN.

Locut. vic. Sous aucuns prétextes.
Locut. corr. Sous aucun prétexte.

Cet adjectif signifie pas un; il n’est donc pas juste de le faire suivre d’un substantif pluriel comme dans ces vers de Racine:

Aucuns monstres par moi domptés jusqu’aujourd’hui.
Ne m’ont acquis le droit de faillir comme lui.
(Phèdre.)

Cependant lorsqu’il est joint à un substantif qui ne peut être employé qu’au pluriel, comme frais par exemple, il est évident que l’adjectif aucun doit prendre la marque du pluriel, et qu’on doit dire: vous recevrez cela sans aucuns frais. Cette locution est encore loin d’être correcte, et ne le sera jamais de quelque manière qu’on l’écrive, puisque, d’une part, l’adjectif aucun ne doit pas prendre la forme plurielle, et que de l’autre le substantif frais ne saurait devenir singulier. Comment faire alors? Prendre le parti indiqué par la raison toutes les fois qu’on trouve une difficulté réelle, c’est-à-dire la tourner ne pouvant l’applanir. Au lieu de dire sans aucuns frais, pourquoi ne dirait-on pas tout simplement sans frais. Nous ne proposons pas de dire sans nuls frais, parce que nul a étymologiquement aussi une valeur purement singulière.


AU FUR ET A MESURE.

Locut. vic. Envoyez-les moi au fur et à mesure que vous les recevrez.
Locut. corr. Envoyez-les moi à mesure que vous les recevrez.

«Ces deux lourdes locutions ne signifient jamais rien de plus que à mesure. Il faut donc dire: je travaillerai à mesure que vous m’apporterez de l’ouvrage, et non: je travaillerai à fur et à mesure que vous m’apporterez de l’ouvrage.» (Marle. Journal de la langue française.)

Il serait à désirer que tous nos grammairiens voulussent bien, comme M. Marle, chercher à purger notre langue d’une foule de mots parasites, qui nuisent souvent à son élégance et même à sa clarté.


AUJOURD’HUI.

Locut. vic. Jusqu’aujourd’hui.
Locut. corr. Jusqu’à aujourd’hui.

Racine a dit:

Aucuns monstres par moi domptés jusqu’aujourd’hui,
Ne m’ont acquis le droit de faillir comme lui.

L’usage, comme Racine, paraît aussi préférer cette expression. Nous croyons cependant cette opinion plus spécieuse que solide. Jusqu’aujourd’hui, se sera-t-on dit probablement, est composé des mots jusques à le jour de hui, lesquels, par des contractions fort communes dans notre langue, ont été amenés à ne plus présenter à l’œil qu’un seul mot. Or, si vous disiez jusqu’à aujourd’hui, en faisant la décomposition de ce mot ne trouveriez-vous pas un pléonasme? n’auriez-vous pas la préposition à deux fois, jusques à à le jour d’hui? Voilà, nous l’avouons, un raisonnement qui est fort juste, mais voici ce que nous répondons. Aujourd’hui est un mot qui doit être à la vérité considéré comme composé lorsqu’il s’agit d’étymologie, mais que la grammaire ne veut et ne peut, dans l’usage ordinaire, considérer que comme un seul mot, sans nul égard pour les élémens qui le composent. Ce qui le prouve évidemment c’est son emploi dans ces expressions: d’aujourd’hui, depuis aujourd’hui, qui, soumises à l’analyse, donneraient de à le jour d’hui, depuis à le jour d’hui, ce qui serait souverainement ridicule. On sentira que, pour être conséquent, celui qui dira jusqu’aujourd’hui devra dire du jour d’hui, à compter du jour d’hui. Mais ce n’est pas ainsi que l’usage veut qu’on s’exprime. Il veut qu’on dise d’aujourd’hui, et, comme il ne s’oppose pas formellement à ce qu’on dise jusqu’à aujourd’hui, puisqu’on en trouve des exemples dans de bons auteurs: supposons qu’il ne soit arrivé aucun changement dans les cieux jusques à aujourd’hui (Fontenelle. Entr. sur la plur. des mondes), nous nous prononçons décidément en faveur de cette locution, afin surtout d’établir une contradiction de moins dans notre langue qui en a déjà tant.—Aujourd’hui est maintenant un seul mot, un adverbe, comme demain, hier, et l’on doit dire jusqu’à aujourd’hui comme on dit jusqu’à demain, jusqu’à hier. Vaugelas, qui est d’un sentiment contraire au nôtre sur la locution jusqu’aujourd’hui, dit à la fin de sa cinq cent quatorzième remarque: «Il y a pourtant certains endroits où non-seulement on peut dire à aujourd’hui, mais il le faut dire nécessairement, comme on m’a assigné à aujourd’hui, et non pas on m’a assigné aujourd’hui; car ce dernier mot serait équivoque, ou, pour mieux dire, il ne signifierait pas que l’on m’a assigné à aujourd’hui, mais que c’est aujourd’hui qu’on m’a assigné. De même on a remis cette affaire aujourd’hui ne serait pas bien dit pour dire on a remis cette affaire à aujourd’hui. Il y aurait dans l’intelligence de ces paroles: on a remis cette affaire aujourd’hui le même vice et le même inconvénient qu’en celles-ci: on m’a assigné aujourd’hui


AU PARFAIT.

Locut. vic. Je me porte au parfait.
Locut. corr. Je me porte parfaitement.

Féraud a accueilli cet adverbe blâmé par Voltaire, mais en y ajoutant cette note assez plaisante dans un dictionnaire, adverbe à la mode, et qui paraît prouver qu’il ne s’en servait qu’avec quelque répugnance.

L’Académie ne l’admet pas dans son dictionnaire.


AUSSITOT.

Locut. vic. Aussitôt la lettre écrite, le courrier partit.
Locut. corr. Dès que la lettre fut écrite, le courrier partit.

On ne peut donner à l’adverbe aussitôt un complément qui ne convient qu’à une préposition. Laveaux tolère l’emploi de cette phrase de commerce: aussitôt votre lettre reçue, j’ai fait votre commission. Cette tolérance est blâmable.


AUTANT.

Locut. vic. Qu’il évite l’amour autant comme les flammes.
Locut. corr. Qu’il évite l’amour autant que les flammes.

Le vers de Passerat que nous citons ici était correct il y a deux siècles et demi, comme on pourrait le prouver par d’autres citations prises dans les bons auteurs de cette époque, et même d’une époque plus rapprochée; il est aujourd’hui défectueux par la raison qu’il n’est plus permis d’employer comme après autant. C’est un point sur lequel du moins tous les grammairiens sont d’accord. Nous ferons une croix quand nous serons à trois.


AUTEUR.

Locut. vic. Je ne suis pas l’auteur de cette déchirure.
Locut. corr. Je ne suis pas la cause de cette déchirure.

Le mot auteur n’est bien placé, dans le sens de cause, que dans les phrases où il s’agit d’un effet de quelque importance.

Périsse le Troyen auteur de nos alarmes.
(Racine.)

Dans ce vers, auteur est en rapport avec alarmes, mais il y a certainement dans le rapprochement des mots auteur et déchirure de la phrase d’exemple citée en tête de cet article, quelque chose de si ridicule, que toute personne pourvue d’un peu de goût ne peut manquer d’en être aussitôt choquée.


AUTOMNE.

Locut. vic. L’automne a été chaude.
Locut. corr. L’automne a été chaud.

«Maintenant masculin, ce qu’on a fait pour le conformer au genre des trois autres saisons. Les chimistes ont suivi cette méthode pour les noms des terres, des métaux, des demi-métaux. Cet esprit de régularité ne saurait passer trop vite des sciences dans les langues; et aucune langue n’approchera de la perfection tant qu’il ne s’y sera pas étendu à toutes les applications dont il est susceptible.» (M. Ch. Nodier. Ex. crit. des Dict.)

Il est bien probable que le judicieux auteur de l’article que nous venons de citer ne s’associe pas à la sotte prétention de certains grammairiens de faire automne masculin, seulement lorsqu’il est précédé de l’adjectif: un bel automne, et féminin lorsqu’il en est suivi: une automne froide et pluvieuse. Il y a trop de raisonnement dans la tête de M. Ch. Nodier, pour qu’une opinion semblable puisse y trouver place.


AUTOUR. (Voyez ALENTOUR.)


AUTRE.

Locut. vic. Les autres deux hommes étaient partis.
Locut. corr. Les deux autres hommes étaient partis.

L’adjectif autre, employé avec un nom de nombre, doit toujours être placé après ce nom de nombre, contrairement à l’usage des méridionaux, qui disent toujours les autres six, les autres vingt, etc.


AUXERRE,—AUXERROIS.

Prononc. vic.   La ville d’Auc-cerre.
Saint-Germain-l’Auc-cerrois.
 
Prononc. corr.   La ville d’Ausserre.
Saint-Germain-l’Ausserrois.

Comment se fait-il que nos grammaires, qui répètent toutes les unes après les autres qu’on doit prononcer, dans le nom propre de ville Auxerre, la lettre x comme s’il y avait deux s, n’aient pas du tout songé à nous indiquer la prononciation du gentilé Auxerrois? Serait-ce parce que ces deux mots doivent naturellement avoir une prononciation identique? Ce raisonnement est assez bon, mais il a laissé cependant se fourvoyer l’usage, et si, par déférence pour cet usage, on prononce Saint-Germain l’Auc-cerrois, ou si, par respect pour l’analogie, on prononce Saint-Germain-l’Ausserrois, on est à peu près sûr maintenant d’encourir le reproche, ou d’inconséquence, ou de gasconisme. L’alternative n’est assurément pas fort agréable.


AVALANGE.

Locut. vic. La chûte d’une avalange le fit périr.
Locut. corr. La chûte d’une avalanche le fit périr.

Quoique Laveaux (Dict. de l’Acad., édition 1802) permette de dire avalange et avalanche, le dernier de ces mots est seul usité aujourd’hui. Avalange est un archaïsme.


AVANT.

Locut. vic.   Nous soupâmes avant que de partir.
Avant que mon frère ne soit arrivé.
 
Locut. corr.   Nous soupâmes avant de partir.
Avant que mon frère soit arrivé.

La conjonction que est aussi inutile dans la première de ces phrases que la particule négative l’est dans la seconde, aussi l’usage les supprime-t-il maintenant en pareil cas. Cette réforme est trop sensée pour qu’on puisse s’y opposer.


AVANT, AUPARAVANT.

Locut. vic.   Sa méchanceté est aussi grande qu’avant.
J’ai vu cette dame auparavant vous.
Je partirai auparavant que vous arriviez.
 
Locut. corr.   Sa méchanceté est aussi grande qu’auparavant.
J’ai vu cette dame avant vous.
Je partirai avant que vous arriviez.

Dans la première des trois phrases que nous venons de citer, il faut auparavant, par la raison qu’avant ne peut être employé comme adverbe que dans les locutions suivantes: en avant, fort avant, trop avant, etc.; Allons en avant, on dansa fort avant dans la nuit, ne creusez pas trop avant, etc.

Dans la seconde, il faut avant, par la raison qu’auparavant ne peut être employé comme préposition, c’est-à-dire avec un complément;

Dans la troisième enfin, il faut encore avant, parce que la conjonction auparavant que est, dans l’état actuel de notre langue, un véritable barbarisme.


AVANTAGEUX.

Locut. vic. Votre ami est bien avantageux!
Locut. corr. Votre ami est bien vain! bien présomptueux!

«On prend communément aujourd’hui ce mot pour vain, confiant, présomptueux, et les dictionnaires le consacrent en ce sens, où il n’est certainement pas français. C’est une extension de province qui a pu être accueillie par une gazette, mais qui ne mérite pas de l’être par une Académie.» (Ch. Nodier. Examen critique des Dict.)

Cet adjectif ne peut avoir d’autre signification que celle de profitable: ce marché lui a été fort avantageux.


AVANT-HIER.

Prononc. vic. Dé hier (dès hier) je m’en suis aperçu.
Prononc. corr. Dé zhier je m’en suis aperçu.

Selon Domergue (Gramm. élém.) le t est nul dans ce mot composé.

Selon M. Laveaux (Dict. des Diff.) le t se fait sentir, mais faiblement.

Selon M. Marle enfin (Omnibus) le h d’hier étant muet, on doit faire sonner le t et prononcer avant-tier.

Voilà trois opinions différentes; laquelle est la bonne?

Nous pensons que c’est celle de M. Marle. Puisque dans l’adverbe hier la lettre h est muette généralement, pourquoi ne le serait-elle pas toujours? Guerre aux exceptions, et surtout aux exceptions inutiles.


AVEC.

Prononc. vic. Venez avé moi.
Prononc. corr. Venez avek moi.

Cette prononciation tronquée avé moi était en usage au commencement du dix-septième siècle, comme on peut le voir par la deux cent soixante-huitième remarque de Vaugelas. Les petits-maîtres et les femmelettes de nos jours, que la plus légère apparence de rudesse fait tomber en syncope, ne parviendront pas, même avec l’aide de quelques grammairiens modernes, à mettre en honneur une prononciation ridicule. Avec a toujours été, depuis plusieurs siècles, prononcé fortement. Nous n’en voulons d’autre preuve que la manière d’écrire cette préposition autrefois: avenc, avecques, avecque.


AVEINE.

Locut. vic. Cette aveine est gâtée.
Locut. corr. Cette avoine est gâtée.

«L’Académie dit qu’on prononce assez communément avène. L’Académie se trompe. Il n’y a que les gens de la campagne et les garçons d’écurie qui disent avène ou plutôt aveine. L’Encyclopédie dit avoine. Il n’a de pluriel qu’en parlant des avoines quand elles sont encore sur pied. Les avoines sont belles, on commence à faner les avoines. Je crois cependant qu’en termes de commerce on peut dire: il a acheté des avoines, pour signifier des avoines de différentes espèces et achetées à divers marchands.» (Laveaux. Dict. des Diff.)

Malgré ce que dit Laveaux, nous ne serions pas étonné que d’autres personnes que des gens de la campagne ou des garçons d’écurie, persistassent à dire et écrire avène ou aveine, car on dit en latin avena, et l’on sait combien la raison de l’étymologie a de force auprès de certaines personnes.


AVEUGLEMENT.

Locut. vic. L’aveuglement développe chez l’homme les sens de l’ouie et du toucher.
Locut. corr. La cécité développe chez l’homme les sens de l’ouie et du toucher.

«Ce mot n’est plus synonyme de cécité. Cécité se prend au propre, et aveuglement au figuré.» (Ch. Nodier. Examen crit. des Dict.)

Ainsi cette phrase est défectueuse: les passions nous causent une cécité funeste. Il faut: un aveuglement funeste.

Comment se fait-il qu’un dictionnaire récent comme celui de M. Raymond définisse ainsi le mot aveuglement: privation ou perte du sens de la vue? Que deviendra le principe si important de la propriété des termes, si les lexicographes sont les premiers à donner l’exemple de la confusion?

Aveuglement, adverbe, prend un accent aigu sur le second e, aveuglément. Comme l’adverbe de manière se forme du féminin de l’adjectif, en ajoutant la terminaison ment, et que l’adjectif aveugle n’est pas plus accentué au féminin qu’au masculin, nous remarquerons qu’on ferait beaucoup mieux d’écrire aveuglement adverbe, comme aveuglement substantif, c’est-à-dire sans accent.


AVOIR.

Locut. vic. J’aurais eu peur si je l’eus vu.
Locut. corr. J’aurais eu peur si je l’eusse vu.

Le solécisme que nous signalons ici est assez commun dans la conversation; mais nous ne nous serions jamais attendu à le trouver imprimé, surtout dans les œuvres d’un de nos poètes classiques. On lit dans Crébillon:

Chargement de la publicité...