← Retour

Dictionnaire critique et raisonné du langage vicieux ou réputé vicieux

16px
100%
Un maistre ès-arts mal chaussé et vestu
Chez un paisant demandait à repaistre.
(Mellin de St.-Gelais.)
On fait en Italie un conte assez plaisant,
Qui vient à mon propos, qu’une fois un paysant, etc.
(Regnier, Satires.)

Elle est aujourd’hui condamnée avec raison, puisque l’on prononce en deux syllabes le mot pays, qui n’en faisait souvent qu’une seule autrefois.

Or y ayoit ung gros seigneur notable
Au pays d’Anjou, tenant fort bonne table,
Et jeune estoit, aimant tout passe-temps.
(Ch. Bourdigné, Légende de Faifeu, ch. XXII.)

PÉCUNIER.

Locut. vic. Cet homme ne songe qu’à ses intérêts pécuniers.
Locut. corr. Cet homme ne songe qu’à ses intérêts pécuniaires.

Pécunier est un barbarisme.


PEINER.

Locut. vic. Je suis peiné de ce qui vous est arrivé.
Locut. corr. Je suis chagriné de ce qui vous est arrivé.

Cette expression, que plusieurs grammairiens modernes ne se font pas scrupule d’appliquer aux personnes, parut vicieuse à l’abbé Desfontaines lorsqu’elle fut introduite en ce sens dans le monde littéraire. Aussi s’écria-t-il ironiquement (Dict. néologique): «On a toujours dit une écriture peinée, un style peiné; on peut dire aujourd’hui un homme peiné

Peiné ne signifie point en effet: qui a de la peine, mais qui est fait avec peine. Un homme peiné serait par conséquent un homme fait avec peine, comme on dit une écriture peinée, c’est-à-dire faite avec peine.

Vous me peinez, cet homme est peiné nous paraissent être de vrais barbarismes, quoique ce ne soit pas là le sentiment de l’Académie.


PEINTURER.

Peinturer est un mot avoué par le Dict. de l’Acad. de 1802, et qui signifie enduire d’une seule couleur. Il faut donc dire: peinturer une planche en noir, en rouge, etc., et non peindre une planche en noir, en rouge, etc. L’Académie donne aussi peinturage et peintureur. Le Dict. de Boiste de 1834 a recueilli ces trois mots; mais l’usage en est encore assez rare.

«Bien loin que peinturer soit un mauvais mot, comme le prétendent quelques personnes, n’est-ce point un terme nécessaire qui peut servir à distinguer deux choses toutes différentes, car peindre ne signifie-t-il point représenter avec le pinceau la figure de quelque chose, comme d’une campagne, d’un oiseau, d’un homme, etc., et peinturer, mettre seulement des couleurs sur quelque matière que ce soit. Lors, par exemple, qu’un sculpteur, ayant fait une statue de bois, y applique les couleurs convenables, ne peut-on pas dire qu’il la peinture? car, pour la peindre, il semble qu’il faudrait qu’avec ses couleurs il en tirât la représentation, ce qui est très différent.» (Andry de Boisregard, Réfl. sur l’usage présent de la langue française, 1689.)

Peinturer, comme on le voit, n’est pas un mot nouveau.


PELURER.

Locut. vic. Pelurez cette pomme.
Locut. corr. Pelez cette pomme.

Pelurer n’a été adopté par aucun lexicographe, et ne peut être considéré que comme un barbarisme.


PERCE-NEIGE.

Locut. vic. Prenez ce perce-neige.
Locut. corr. Prenez cette perce-neige.

«La perce-neige est une plante bulbeuse qui fleurit l’hiver dans les prairies. Connais le prix des circonstances, la perce-neige lui doit tout son charme. (Pythagore.)» (Dict. de Boiste.)


PERCLUS.

Locut. vic. Cette pauvre femme est perclue.
Locut. corr. Cette pauvre femme est percluse.

On trouve dans Buffon perclue pour percluse, mais, comme le remarque fort bien M. Girault-Duvivier, il est possible que cette faute provienne de l’imprimeur.


PÉRIR.

Locut. vic.   L’humidité a péri ma tapisserie.
Mon frère est péri en Russie.
 
Locut. corr.   L’humidité a gâté ma tapisserie.
Mon frère a péri en Russie.

Périr ne peut jamais être employé comme verbe actif. Aussi cette autre phrase est-elle condamnable: ces hommes se sont péris de désespoir. Il faut se sont suicidés.

«Si je voulais parler de personnes qui n’existent plus je dirais: elles sont péries, parce qu’alors c’est de l’état des personnes qui ont été, et qui n’existent plus, que ma pensée est occupée; mais si je voulais désigner l’époque où elles ont cessé d’exister, ou la manière dont elles ont perdu la vie, je me servirais de l’auxiliaire avoir, et je dirais: elles ont péri en l’année 1800. Elles ont péri dans un combat. Elles ont péri dans les flots, parce qu’alors je pense à une action.» (Girault-Duvivier, Gramm. des gramm.)


PERMESSE.

Locut. vic. Les hauteurs du Permesse lui sont connues.
Locut. corr. Les rives du Permesse lui sont connues.

Le Permesse est une petite rivière de la Béotie, qui prend sa source dans l’Hélicon.

Un poète gascon a dit:

Et souvent au haut du Permesse, etc.

Ce poète, qui d’une rivière fait une montagne, ressemble assez au singe de la fable qui prenait le Pirée pour une personne.

Notre magot prit, pour ce coup,
Le nom d’un port pour un nom d’homme.
(La Fontaine, liv. IV, f. 7.)

PERSISTER.

Prononc. vic. Perzistez-vous?
Prononc. corr. Percistez-vous?

PERTE (A PURE).

Locut. vic. Il a fait de l’esprit à pure perte.
Locut. corr. Il a fait de l’esprit en pure perte.

L’expression en pure perte n’est pas française, selon certains grammairiens. C’est probablement parce qu’on dit à perte, vendre à perte, que ces grammairiens auront cru qu’il fallait préférer, dans cette manière de parler, la préposition à à la préposition en. Quoi qu’il en soit, l’usage repousse généralement la première des locutions que nous donnons en tête de cet article. «Les hommes n’aiment pas à donner en pure perte des louanges qui humilient.» (Massillon.) «Il y a de certaines philosophies qui sont en pure perte, et dont personne ne nous sait gré.» (Mme de Sévigné.)

Nos meilleurs dictionnaires, ceux de l’Académie, de Boiste, etc., ne donnent que la locution en pure perte.


PÉTALE.

Locut. vic. Cette fleur a de belles pétales.
Locut. corr. Cette fleur a de beaux pétales.

PETIT PEU.

Locut. vic. Donnez-m’en un petit peu.
Locut. corr. Donnez-m’en très peu.

«Bien des personnes disent un petit peu: donnez-m’en un petit peu; je n’en veux qu’un petit peu. Mais cette manière de s’exprimer n’est point du tout du bon usage; on doit dire: donnez-m’en un peu; je n’en veux qu’un peu.» (Chapsal, Nouv. Dict. gramm.)

«Le mot petit avant peu est vicieux ou au moins inutile; en effet, peu signifiant une petite quantité, dit alors tout ce qu’on veut dire.» (Girault-Duvivier, Gramm. des gramm.)


PEU (UN).

Locut. vic. Laissez-moi un peu passer.
Locut. corr. Laissez-moi passer.

«Le peuple se sert de un peu, comme d’une particule explétive: laissez-moi un peu passer. Cet un peu est de trop, et même il est ridicule.» (Féraud, Dict. crit.)


PEUPLE.

Locut. vic. Quel bois emploierez-vous? du peuple.
Locut. corr. Quel bois emploierez-vous? du peuplier.

On fait aux environs de Paris un usage très fréquent de peuple pour peuplier. Ce dernier mot doit seul être employé quand on veut parler correctement. Peuple est un archaïsme dont nous pouvons fort bien nous passer. «Il pousse (sur le peuplier noir) au commencement du printemps, des boutons gros comme des câpres, pointus, pleins d’un suc jaune, glutineux, odorant; on les appelle yeux de peuple, en latin oculi ou gemmæ populi nigræ.» (Dict. de Trévoux.) Aujourd’hui on donne plus communément à ces boutons le nom d’yeux de peuplier, et l’on conviendra que c’est avec raison, si l’on veut bien reconnaître que peuplier vaut mieux que peuple pour désigner un arbre; puisque peuple a déjà une autre signification.


PEUR DE.

Locut. vic. Il ne sort pas, peur de s’enrhumer.
Locut. corr. Il ne sort pas, de peur de s’enrhumer.

On dit crainte de (Voy. Crainte) devant un nom, mais il faut dire de peur de devant un verbe comme devant un nom.


PEUT-ÊTRE.

Locut. vic. Peut-être pourrez-vous sortir.
Locut. corr. Peut-être parviendrez-vous à sortir.

«Sur ces vers du Coriolan de La Harpe:

Peut-être, satisfait que ce grand cœur fléchisse
Le peuple, s’il vous voit soumis à son pouvoir,
Peut, en votre faveur, se laisser émouvoir.

on dit, dans l’Année littéraire, que peut-être et peut ne sont pas faits pour aller ensemble. La remarque est très juste.» (Féraud, Dict. crit.) «Il n’est pas correct de mettre cet adverbe avec le verbe pouvoir, ni avec possible, impossible

Peut-être y pourriez-vous être mal adressée.
(Molière, Misanthrope.)

«Il serait encore plus mal de dire comme M. Fain dans ses mémoires: peut-être peut-on encore tout sauver.» (Glossaire génevois.)


PIAILLEUR.

Locut. vic. Ce n’est qu’un piailleur.
Locut. corr. Ce n’est qu’un piaillard.

«Piailleur, piailleuse, sont des barbarismes; piaillard, piaillarde, sont des mots français.» (Rem. sur le Dict. de l’Acad.)

Nous avons crieur et criard qui sont deux mots bien différens. Nous ne pouvons avoir de même piailleur et piaillard, parce que ces deux mots sont complètement synonymes, et comme il faut faire un choix entre eux, nous pensons qu’il doit être en faveur de piaillard, dont la formation est tout-à-fait en harmonie avec celle de nos autres péjoratifs traînard, bavard, vantard, musard, criard, fuyard, pillard, etc.


PIED.

Prononc. vic. Vous aurez chez moi un pié-à-terre.
Prononc. corr. Vous aurez chez moi un piet-à-terre.

La prononciation que nous indiquons ici comme bonne déplaisait à Ménage. Mais n’est-il pas ridicule de vouloir, dans cette locution, annuler le d que l’on fait sonner comme un t dans les locutions suivantes: pied à pied, de pied en cap. C’est de cette dernière manière que prononcent aujourd’hui les honnêtes gens, selon l’expression de Ménage, c’est-à-dire ceux qui ont quelque savoir; expression remplie de bienveillance, comme on le voit, pour les personnes non lettrées, et qui les assimile tout bonnement aux fripons.


PIED (AU), PIEDS (AUX).

Orth. vic. Cette ville est aux pieds des Pyrénées.
Orth. corr. Cette ville est au pied des Pyrénées.

Au pied signifie au bas; et ne se dit que des choses; aux pieds ne se dit généralement que des personnes. Hercule filait aux pieds d’Omphale.


PIED DROIT.

Locut. vic. J’ai un pied droit dans la poche.
Locut. corr. J’ai un pied de roi dans la poche.

Un pied droit signifie, en architecture, le trumeau ou jambage d’une porte ou d’une fenêtre. C’est donc une chose qu’on ne peut pas mettre dans sa poche.

Un pied de roi est une mesure géométrique contenant douze pouces de long.


PIERRE.

Orthog. vic. Le festin de Pierre.
Orthog. corr. Le festin de pierre.

C’est une chose assez étrange que, dans le titre de ce drame si connu, on écrive constamment par une majuscule un nom commun, comme si c’était un nom propre. Comment se fait-il que cette mauvaise orthographe se soit maintenue si long-temps, quand il est bien notoire que dans la pièce en question le nom de Pierre ne se trouve pas une seule fois prononcé, et que le titre ne se rapporte absolument qu’à la statue de pierre du commandeur? On a dit le festin de pierre comme on aurait pu dire le festin de marbre; et l’on conviendra, malgré tout le respect dû au nom de Molière, que ce titre est fort mauvais. Qu’est-ce qu’un festin de pierre, si ce n’est un festin où l’on mange de la pierre. La pièce espagnole à laquelle Molière a emprunté le sujet de la sienne, avait au moins un intitulé raisonnable: El Combidado de Piedra, c’est-à-dire le convive en pierre. Pourquoi Molière a-t-il traduit Combidado par festin?

Un de ses éditeurs modernes, effrayé sans doute du tort immense que pouvait lui faire la faute qu’on lui reproche, a cherché à en atténuer l’énormité en disant que le commandeur se nommait Pierre. C’est là une particularité qu’il est permis de révoquer en doute, par la raison que Molière n’en fait aucune mention, et nous sommes persuadé que si notre grand comique avait eu en vue, dans l’intitulé de sa pièce, le nom propre Pierre, il eût certainement placé devant ce nom le titre d’honneur don, qu’il place toujours devant celui de Juan, et dont un personnage du rang de commandeur ne devait probablement pas être dépourvu. Admirons les grands écrivains, mais n’allons pas follement les croire à l’abri de la plus légère erreur, parce que cela n’est pas, et ne peut pas être.


PINCER.

Locut. vic. Il pince de la guitare.
Locut. corr. Il pince la guitare.

«L’Académie dit pincer ou toucher de la harpe, du piano. Mais on a observé que les verbes toucher, battre, employés pour exprimer l’action de jouer des instrumens, sont actifs, et que l’instrument en est l’objet ou le régime direct. On a conclu de là que ce régime ne doit pas être précédé d’une préposition; et que, puisqu’on dit toucher quelque chose, battre quelque chose, on doit dire, pour parler correctement, toucher le clavecin, le forte-piano, l’orgue; pincer la harpe, la guitare, le luth; battre la caisse, le tambour, les timbales.

«On ne dit plus guère aujourd’hui toucher le clavecin, le forte-piano, l’orgue, mais jouer du clavecin, etc.» (Laveaux, Dict. des diff.)


PIPIE.

Locut. vic. Cette poule a la pipie.
Locut. corr. Cette poule a la pépie.

C’est pipie qu’on devrait dire, puisque ce mot est un mimologisme du cri des petits oiseaux tourmentés par la soif (pi, pi), mais l’usage a préféré le mot pépie.


PIS, PIRE.

Locut. vic.   Son état sera demain pis qu’il n’est aujourd’hui.
Cela est mal chez vous, mais chez eux c’est encore pire.
 
Locut. corr.   Son état sera demain pire qu’il n’est aujourd’hui.
Cela est mal chez vous, mais chez eux c’est encore pis.

«Pire se rapporte à un substantif masculin ou féminin: le remède est pire que le mal; il n’est pire eau que celle qui dort.

On emploie pis, 1o lorsqu’il se rapporte à un nom neutre. Rien n’est pis qu’une mauvaise langue; ce que vous proposez est pis[1] que ce qu’on allait faire.

[1] Domergue donne le genre neutre à quelques mots indéterminés, tels que rien, ce, cela, le, il; comme dans: Rien n’est beau que le vrai, ce n’est pas cela, je ne le suis pas, il est certain que, etc. Il regarde aussi comme neutre le beau, le vrai, l’utile, l’agréable et les expressions analogues.

«2o Lorsqu’il est employé lui-même comme un nom neutre: le pis de l’affaire est que le bonhomme n’est pas mort; mettre les choses au pis.

«3o Lorsqu’il fait la fonction d’adverbe: ils sont pis que jamais ensemble; il se portait un peu mieux, il est pis que jamais.

«Cette distinction paraît assez généralement adoptée par les bons écrivains.

«C’est encore pis.» (J.-J. Rousseau.)

«Il fait encore pis.» (Fénelon).

«Les bons lui paraissent pires que les méchans les plus déclarés.» (Idem, en parlant de Pygmalion.)

C’est un méchant métier que celui de médire;
Oui, vraiment, je dis plus: des métiers c’est le pire.

«Cependant on emploie aussi le pire comme substantif: qui choisit prend le pire.

Il n’est point de degré du médiocre au pire.
(Boileau.)

«Pis dérive du latin pejùs, plus mal, et pire de pejor, plus mauvais.

«Les expressions suivantes sont vicieuses: de mal en pire, c’est bien pire, de pire en pire, qui pire est.» (Manuel des amateurs de la langue française.)


PLAINE.

Locut. vic. Vous avez cassé ma plaine.
Locut. corr. Vous avez cassé ma plane.

La plane est un outil tranchant à deux poignées, et qui sert à planer. Le substantif plane et le verbe planer sont dérivés de plan, uni, formé du latin planus, qui a la même signification. L’Académie ne donne que plane; le dictionnaire de Boiste donne plane et plaine, et nous croyons qu’il a tort. Ne nous opposons jamais au bien qui s’établit.


PLAISIR.

Locut. vic. Achetez-moi une douzaine de plaisirs.
Locut. corr. Achetez-moi une douzaine d’oublies.

Bien des gens croient que ce mot a la même signification que le mot oublie, et qu’on peut dire manger des plaisirs. C’est une erreur pardonnable à un enfant qui, entendant chaque jour crier dans la rue: voilà l’plaisir, mesdames, voilà l’plaisir! a pu croire que le mot plaisir désignait la légère et croustillante pâtisserie dont il est si friand; une personne faite ne doit point partager cette ignorance. Celle-ci devra donc toujours dire: une marchande d’oublies, manger des oublies, crier des oublies, et non une marchande de plaisirs, manger des plaisirs, crier des plaisirs; et elle fera fort bien aussi de rectifier sur ce point le langage des jeunes gens qu’elle pourrait avoir sous sa direction. On abrège plus qu’on ne le croit les études futures d’un enfant, en lui enseignant de bonne heure à nommer chaque chose par son nom, et surtout par son nom régulier.


PLAN.

Orth. vic. Ils m’ont laissé en plan sur la route.
Orth. corr. Ils m’ont laissé en plant sur la route.

C’est-à-dire: ils m’ont laissé sur la route comme si j’étais un plant, ils m’ont planté là, en un mot.

Aucun de nos lexicographes n’ayant donné, que nous sachions du moins, l’expression: laisser en plant, nous avons cru devoir en déterminer l’orthographe. Cette orthographe pourra, au premier coup d’œil, paraître bizarre à bien des gens, et cependant nous la regardons comme la seule que l’on puisse raisonnablement adopter.


PLATINE.

Locut. vic. Voilà de la platine.
Locut. corr. Voilà du platine.

M. Chapsal (Nouv. Dict. gramm.) a prétendu que ce nom de métal était féminin.

Buffon l’a fait, il est vrai, de ce genre, mais l’Académie (1802), Boiste, les lexicographes modernes et l’usage veulent qu’il soit masculin.


PLEIN.

Orth. vic.   Nous ferons cela en velours plein.
Nous voici en plain champ.
 
Orth. corr.   Nous ferons cela en velours plain.
Nous voici en plein champ.

Plain signifie uni, plat, sans inégalité. Ainsi écrivez: des appartemens de plain pied, c’est-à-dire au même niveau; une étoffe plaine, c’est-à-dire unie; le plain-chant, c’est-à-dire un chant uni.

Plein signifie rempli, et construit avec la préposition en, il signifie au milieu. On écrira donc: en pleine rue, en plein jour, en plein marché, en plein été, en plein champ, etc., pour dire: au milieu de la rue, au milieu d’un champ, mais il faudra écrire en plaine campagne, selon l’Académie, parce que cette expression équivaut à celle-ci: en rase campagne.


PLEIN (TOUT).

Locut. vic. Il a tout plein d’esprit.
Locut. corr. Il a beaucoup d’esprit.

Cette locution, comme toutes celles qui alongent le discours sans lui donner aucune qualité de plus, doit être évitée avec soin par quiconque raisonne un peu. Ne rien dire de superflu est une des conditions à remplir pour parler correctement.—Le dictionnaire de l’Académie devrait bien expulser de notre langue ces mauvaises expressions de tout plein, au fur et à mesure, à ses risques et périls, aux lieu et place de, etc., qu’on peut toujours remplacer avec avantage par beaucoup, à mesure, à ses risques, à la place de, etc. La tâche difficile mais glorieuse de réformateur de notre langue, ne pourra jamais être remplie avec succès que par une réunion de savans, dont les opinions éclairées et unanimes, appuyées sur des noms compétens et connus, pénétreraient en peu de temps dans la masse de la nation. Mais il ne faudrait pas que cette réunion de savans imprimât dans son Dictionnaire des phrases comme celle-ci: «On trouve tout plein de gens qui, etc.,» parce qu’il se trouverait des grammairiens qui, comme M. Caminade, s’autorisant d’un pareil exemple, diraient: Ils ont tout plein d’esprit (Grammaire usuelle), et parce qu’il y aurait une foule de gens qui, trompés par l’approbation des savans, répéteraient à satiété cette mauvaise locution.


PLI, PLIE.

Locut. vic. J’ai la première plie, le premier pli.
Locut. corr. J’ai la première levée.

On emploie souvent au jeu de cartes les mots pli et plie, pour signifier une main qu’on a levée. Ces mots ne se trouvent pas dans les Dictionnaires, et appartiennent exclusivement à quelque patois du Midi.


PLIER, PLOYER.

Locut. vic.   Faites plier ce jonc.
Aidez-moi a ployer ce drap.
 
Locut. corr.   Faites ployer ce jonc.
Aidez-moi à plier ce drap.

«Vaugelas a très bien observé que ces mots ont deux significations fort différentes; mais on n’a pas voulu l’entendre: et plier a pris, presque partout, la place de ployer, sans toutefois l’exclure de la langue; car les bons écrivains, et surtout les poètes, ploient encore des choses que la foule n’a aucune raison de plier.

«Plier, c’est mettre en double ou par plis, de manière qu’une partie de la chose se rabatte sur l’autre; ployer, c’est mettre en forme de boule ou d’arc, de manière que les deux bouts de la chose se rapprochent plus ou moins. On plie à plat; on ploie en rond. Personne ne contestera qu’on ne plie de la sorte: la preuve que c’est ainsi qu’on ploie, est dans l’usage général et constant d’expliquer ce mot par ceux de courber et fléchir. Plier et ployer diffèrent donc comme la courbure du pli. Le papier que vous plissez, vous le pliez; le papier que vous roulez, vous le ployez. Cette distinction fort claire démontre l’utilité des deux mots.

«Plier se dit particulièrement des corps minces et flasques, ou du moins fort souples, qui se plissent facilement et gardent leur pli: ployer se dit particulièrement des corps raides et élastiques qui fléchissent sous l’effort, et tendent à se rétablir dans leur premier état. On plie de la mousseline et on ploie une branche d’arbre. Quand je dis particulièrement, je ne dis pas exclusivement et sans exception.» (Roubaud, Synonymes fr.)


PLURIEL.

Orth. et pronon. vic. Le plurier.
Orth. et pronon. corr. Le pluriel.

Nous ferons deux remarques sur ce mot: la première, c’est qu’il faut le prononcer pluriel, en faisant sonner le l final, quoique le Dictionnaire de Trévoux ait écrit plurier. Vaugelas est, selon ce dictionnaire, le premier qui ait écrit pluriel. Il le dérive de pluralis et singulier de singularis; ce qui est positif, et ce qui en assigne tout-à-fait l’orthographe.

Notre seconde remarque, c’est qu’on a grand tort de retrancher le t qui se trouve à la fin des mots enfant, garant, parent, etc., en même temps qu’on y ajoute un s pour former le pluriel. «Quand cette lettre radicale (le t) ne nuit point à la prononciation, c’est nuire à l’analogie que de la supprimer. Quoi de plus inconséquent que de supprimer au pluriel le t final des mots polysyllabes, terminés au singulier par nt, quoiqu’on le garde dans les monosyllabes! Pourquoi, en écrivant les dents, les chants, les plants, les vents, s’obstine-t-on à écrire les méchans, les tridens, les contrevens, etc.? Pourquoi terminer de la même manière, au pluriel, des mots qui ont des terminaisons différentes au singulier, comme paysan et bienfaisant, dont les féminins sont paysane et bienfaisante, et dont on veut que les pluriels masculins soient paysans et bienfaisans?» (Beauzée. Encyclopédie méth., art. Analogie.)

«Il vaudrait mieux suivre les auteurs du siècle de Louis XIV, et surtout les écrivains de Port-Royal, et ne jamais supprimer le t au pluriel. Chénier, Domergue, conservaient le t. M. Didot, dans ses belles éditions de nos auteurs classiques, suit cette orthographe.» (Letellier, Gramm. fr.)


PLUS.

Locut. vic. Vous perdez cent francs; je perds bien plus.
Locut. corr. Vous perdez cent fr.; je perds bien davantage.

«Plus est un mot comparatif, après lequel vient naturellement un que ou un de; davantage est un adverbe qui, placé après le verbe qu’il modifie, ne peut jamais modifier un adjectif, et dès-lors avoir un de ou un que à sa suite.

«On dira donc: la langue paraît s’altérer tous les jours, mais le style se corrompt bien davantage.» (Voltaire.)

«Il est attaché à la nature qu’à mesure que nous sommes heureux, nous voulons l’être davantage.» (Montesquieu, Arsace et Isménie. Girault-Duvivier, Gramm. des gramm.)


PLUS D’A MOITIÉ.

Locut. vic. Sa fortune est plus d’à moitié faite.
Locut. corr. Sa fortune est plus qu’à moitié faite.

Doit-on dire plus d’à moitié ou plus qu’à moitié? Cela dépend de l’estime qu’on peut avoir pour la justesse ou pour l’élégance du langage. Ceux qui savent apprécier la première de ces qualités préféreront certainement la conjonction que; ceux qui sacrifient tout à l’élégance emploieront la préposition de. Ces derniers, avouons-le, auront même l’usage pour eux; car il est à peu près certain que nos bons auteurs ont préféré plus d’à demi, plus d’à moitié à plus qu’à demi, plus qu’à moitié, puisque l’on ne cite guère, en faveur de cette dernière construction, que ce vers de Racan:

La course de nos jours est plus qu’à demi faite.

Mais qui ne sait que les meilleurs écrivains ont souvent la faiblesse de sacrifier la pureté de la langue à une futile considération d’euphonie. Aussi, ne balançons-nous jamais dans les questions encore pendantes, comme celle-ci, par exemple, à prendre parti contre eux pour la raison, et à nous insurger contre le fait en faveur du droit.

Comment vous direz qu’une chose est plus que faite (grâce pour l’hyperbole), et si cette chose est à moitié faite et quelque peu de plus, vous ne pourrez pas dire qu’elle est plus qu’à moitié faite? Mais ôtez ces mots à moitié, et il vous restera plus que faite. Or, avec l’autre construction plus d’à moitié faite, supposez que la chose vienne à se parfaire, avec quelque chose même au-delà, et que vous vouliez conséquemment ôter le modificatif à moitié devenu inutile, comment ferez-vous pour y trouver le membre de phrase plus que faite, qui a dû cependant rester indépendant de tout modificatif? Comment ferez-vous pour expliquer la métamorphose du que en de? Il n’y a, comme nous l’avons dit plus haut, que la raison de l’euphonie qui puisse être invoquée ici, et cette raison est tout-à-fait absurde dans le cas présent. Nous pensons donc qu’on doit dire: plus qu’à demi, plus qu’aux deux tiers, plus qu’aux trois quarts, etc.


PLUS D’UN.

Locut. vic. Plus d’un témoin déposèrent en sa faveur.
Locut. corr. Plus d’un témoin déposa en sa faveur.

Le verbe qui suit l’expression plus d’un doit être mis au singulier. L’accord a lieu avec le mot et non avec le sens.

Plus d’une Hélène au beau plumage
Fut le prix du vainqueur.....
(La Fontaine, liv. VII, f. 13.)
Plus d’une Pénélope honora son pays.
(Boileau, Satire X.)

«Cependant, dit M. Girault-Duvivier (Grammaire des Gramm.), il est un cas où le pluriel serait nécessaire après plus d’un, c’est celui où l’on se servirait de cette expression avec un verbe pronominal; car, comme cette espèce de verbe exprime l’action de deux ou de plusieurs sujets, alors il est certain qu’il faudrait employer le pluriel. Marmontel nous en offre un exemple dans ses Incas (chap. XLV): à Paris on voit plus d’un fripon qui se dupent l’un l’autre.


PLUTOT.

Orth. vic. Nous arrivâmes plutôt qu’eux.
Orth. corr. Nous arrivâmes plus tôt qu’eux.

Quand plutôt est l’opposé de plus tard, il doit être écrit en deux mots. On l’écrit en un seul mot dans tous les autres cas.

Plutôt souffrir que mourir,
C’est la devise des hommes.
(La Fontaine, f. 16, liv. I.)

POGNE.

Locut. vic. Vous avez une bonne pogne.
Locut. corr. Vous avez un bon poignet.

Pogne n’est pas français.


POIGNARD.

Locut. vic. Pognard.
Locut. corr. Poagnard.

M. Carpentier (Gradus français) prétend que l’i de ce mot ne se prononce pas. Nous le croyons dans l’erreur. Les personnes instruites prononcent généralement poagnard, par égard sans doute pour l’analogie de ce mot avec poing, poignet, poignée; et plusieurs dictionnaires ont aussi indiqué cette prononciation.


POINTE DU JOUR.

Locut. vic. Nous arrivâmes à la pointe du jour.
Locut. corr. Nous arrivâmes au point du jour.

L’Académie autorise cette locution de pointe du jour; nous pensons qu’il vaut mieux dire le point du jour. C’est l’avis de M. Feydel, de Ménage et de beaucoup d’autres grammairiens; et l’usage paraît s’être définitivement prononcé pour la dernière expression. Le jour n’a pas de pointe, mais un moment où il poind, et nous ne croyons pas que la subtile définition de la pointe du jour, donnée par Roubaud (Synonymes) ait fait faire à cette expression une brillante fortune.


POIREAU.

Locut. vic. Ces poireaux sont durs.
Locut. corr. Ces porreaux sont durs.

Quoiqu’on ait le choix entre poireau et porreau, nous croyons que ce dernier mot doit être préféré pour raison étymologique. On dit en latin porrus, et nous ferons encore remarquer que l’adjectif poracé (de couleur de porreau) serait bien plus rationnellement formé si l’on disait porreau. Pourquoi dédaignerait-on d’établir la bonne harmonie entre les mots?


POISON.

Lorsqu’on entend Jocrisse s’écrier: Ne bois pas cela, cadet, c’est de la poison, on croit que Jocrisse fait un barbarisme, et l’on a tort. Jocrisse fait seulement un archaïsme. On lit dans le roman de Perceforest: «Puis leur firent boire poisons qu’elle sceurent que bonnes leur estaient.» Et dans Ronsard:

Mon âme en vos yeux beut la poison amoureuse.
(Élégies.)

POMMIER.

Locut. vic. Prêtez-moi votre pommier en fer-blanc.
Locut. corr. Prêtez-moi votre cuit-pommes en fer-blanc.

Tous les dictionnaires donnent le mot pommier avec la signification qu’on lui voit ici; mais aucun d’eux n’a accueilli le mot cuit-pommes; et cependant n’est-ce pas une chose étrange que de voir charger le premier mot de deux idées dont l’une a son mot propre? Que peut-on reprocher au substantif cuit-pommes? N’est-il pas tout aussi régulièrement formé que les mots: serre-tête, passe-temps, essuie-mains, gobe-mouches? etc.

Nous pensons que l’adoption de ce mot dans la langue écrite ne peut souffrir la moindre difficulté; car elle offre le double avantage et d’enrichir notre langue d’un bon mot, et d’effacer l’équivoque à laquelle pourrait donner lieu l’emploi du substantif pommier, dans la signification bâtarde qu’on lui a si légèrement attribuée.


PONCHE.

Orth. vic. Voulez-vous du ponche glacé?
Orth. corr. Voulez-vous du punch glacé?

Tous nos dictionnaires écrivent ce nom de liqueur comme on le voit en tête de cet article. Mais, malheureusement pour nos dictionnaires, et pour la raison aussi (car il vaudrait beaucoup mieux que l’orthographe fût en complète harmonie avec la prononciation), personne ne suit cet exemple. Les gens instruits écrivent punch, parce qu’ils disent que ce mot s’écrit ainsi dans la langue anglaise, à laquelle on l’a emprunté, et les ignorans qui se soucient fort peu d’étymologie, et ne suivent que l’usage, écrivent également punch, parce qu’il n’y a pas aujourd’hui en France un enfant sachant lire qui n’ait vu sur quelque volet de limonadier ou même d’aubergiste, dans sa ville ou même dans son village, le nom de la liqueur que nous mentionnons ici, orthographié d’une tout autre manière qu’il ne l’est dans l’Académie, Féraud, Boiste, Raymond, etc.

Punch est donc un de ces mots, sur lesquels la raison perd ses droits de réforme, parce que l’usage s’en est définitivement emparé.


PORRÉE.

Locut. vic. Cette porrée ne vaut rien.
Locut. corr. Cette poirée ne vaut rien.

Il faut dire poirée, parce que cette plante potagère, qu’on nomme aussi bette, emprunte son nom à la forme de sa feuille qui ressemble à la poire.


PORTE-PARIS.

Locut. vic. Je vais à la Porte-Paris.
Locut. corr. Je vais à l’Apport-Paris.

On lit dans Trévoux, à l’article apport: «Lieu public, espèce de marché où on apporte des marchandises pour vendre. A Paris, il y a deux apports: l’apport Baudoyer vers Saint-Gervais, et l’apport de Paris au grand Châtelet. Le peuple, par corruption, les appelle porte Baudets et porte de Paris[2]

[2] Et bien plus souvent Porte-Paris.

Tous nos lexicographes prétendent que l’on doit dire: l’Apport de Paris; nous croyons que la préposition est ici de trop, si l’on tient du moins à conserver cette vieille dénomination d’un quartier de Paris, absolument telle qu’elle existait autrefois. La préposition de n’a pas toujours été nécessaire dans notre langue, pour marquer les rapports qu’elle exprime aujourd’hui entre deux substantifs. Mille exemples pourraient le prouver; nous ne donnerons que les suivans:

(Renard) Garda avant, si vit Primaut
Le Leu qui fu frère Ysengrin. (Frère d’Ysengrin.)
(Roman du Renard, v. 3020.)
Et les autres ont fet lor vol
Par desus la meson Poufile. (La maison de Poufile.)
(Roman du Ren. v. 9274.)

C’est ainsi qu’on a dit autrefois Hôtel-Dieu, Fête-Dieu; pour hôtel de Dieu, fête de Dieu, expressions auxquelles l’usage n’a pas osé toucher, et qu’il nous a conservées dans leur intégrité primordiale.


PORTE-PICS.

Locut. vic. Le joli porte-pics.
Locut. corr. Le joli porc-épics.

«D’après la définition de l’Académie, un porc-épics est un animal dont le corps est couvert de beaucoup d’épics ou de piquans.—Le mot épics, dit M. Boniface, n’est point une altération, c’est l’ancienne orthographe: on disait épic pour épi, piquant; ce mot vient du latin spica.» (Grammaire des Gramm.)

N’en déplaise à la science, le mot populaire nous paraît valoir au moins autant que celui qu’elle a consacré; cela arrive quelquefois.


POSTURE.

Locut. vic. Votre frère est en posture de faire fortune.
Locut. corr. Votre frère est en position de faire fortune.

Se mettre en posture de faire quelque chose, est une expression barbare et inconnue, disait l’abbé Desfontaines, au commencement du siècle passé. De nos jours, l’expression est encore barbare aux yeux, du moins, de tout homme de goût; mais pour inconnue, il s’en faut certes de beaucoup qu’elle le soit. On la trouve assez souvent dans des ouvrages où l’on serait peut-être en droit d’exiger un style plus soigné.

Cet homme s’est mis devant le roi en posture de suppliant, est une phrase correcte; mais peut-on en dire autant de cette autre phrase: Cicéron s’était mis en posture de repousser la force par la force? ne vaudrait-il pas mieux, dans ce dernier cas, employer une autre expression, et dire, par exemple: Cicéron s’était apprêté à repousser la force par la force.


POT-A-EAU.

Locut. vic. Prenez ce pot-à-eau.
Locut. corr. Prenez ce pot-à-l’eau.

Pot-à-eau a plus d’analogues que pot-à-l’eau; mais l’usage a préféré ce dernier mot. Laveaux dit pot-à-l’eau, et Féraud traite pot-à-eau de gasconisme.


POT A FLEURS, POT DE FLEURS.

Locut. vic.   Sa fenêtre est couverte de pots à fleurs.
Il fabrique des pots de fleurs.
 
Locut. corr.   Sa fenêtre est couverte de pots de fleurs.
Il fabrique des pots à fleurs.

Un pot de fleurs est un pot où il y a des fleurs; un pot à fleurs est un pot dans lequel on peut mettre des fleurs, et non pas un pot propre à mettre des fleurs, comme le disent incorrectement quelques dictionnaires. Un pot ne peut rien mettre.


POUDRIÈRE.

Locut. vic. L’encrier est plein, mais la poudrière est vide.
Locut. corr. L’encrier est plein, mais le poudrier est vide.

Un bâtiment ou une boîte, qui contient de la poudre de guerre ou de chasse est une poudrière. Quand il s’agit d’autre poudre, le contenant se nomme un poudrier.


POUBOUILLE.

Locut. vic. Je l’ai trouvé occupé à faire sa poubouille.
Locut. corr. Je l’ai trouvé occupé à faire sa pobouille.

Nous ne savons trop s’il peut nous être permis de nous occuper de ce mot familier, si familier même qu’on ne le trouve dans aucun de nos dictionnaires. Quoi qu’il en soit, nous essaierons d’en fixer l’orthographe par l’étymologie peut-être un peu forcée que nous croyons lui avoir trouvée: pobouille ne serait-il pas une syncope de pot-bouille? et ne dirait-on pas: Vous faites votre pobouille, par ellipse, pour dire: Vous faites (le guet pour que) votre pot-bouille? De quelle autre manière pourrait-on interpréter l’origine de cette expression, qui, toute triviale qu’elle est, doit cependant en avoir une, et qui, au reste, a quelquefois l’honneur de figurer dans les journaux?


POUMONIQUE.

Locut. vic. Je crois cet homme poumonique.
Locut. corr. Je crois cet homme pulmonique.

Comme l’a fort bien remarqué l’abbé Féraud, l’analogie est en faveur de poumonaire, poumonique et poumonie, puisque ces mots sont dérivés de poumon; mais l’étymologie et l’usage leur étant contraires, il faut dire pulmonaire, pulmonique et pulmonie.


POUR DE BON, POUR DE RIRE.

Locut. vic. L’avez-vous dit pour de bon ou pour de rire.
Locut. corr. L’avez-vous dit tout de bon ou pour rire.

POUR QUAND.

Locut. vic. Je fais mes provisions pour quand j’irai à la campagne.
Locut. corr. Je fais mes provisions pour l’époque où j’irai à la campagne.

Cette disgracieuse expression se trouve dans Madame de Sévigné. «M. de Langle (disait le comte de Grammont), gardez ces familiarités pour quand vous jouerez avec le roi.» Mais l’autorité de Madame de Sévigné est peu de chose en grammaire, et nous aimons mieux nous appuyer en cette circonstance sur l’Académie qui a, pour de bonnes raisons sans doute (il est impossible d’en supposer d’autres), passé cette locution sous silence.


PRÉMICES, PRÉMISSES.

Locut. vic.   Vos prémices ne sont pas bien posés.
Je vous offre les légers prémisses de mon talent.
 
Locut. corr.   Vos prémisses ne sont pas bien posées.
Je vous offre les légères prémices de mon talent.

«Prémisses, subst. fém. pl. Terme de logique, qui se dit des deux premières propositions d’un syllogisme. Quand l’argument est en forme, si vous accordez les prémisses sans distinction, vous ne pouvez plus nier la conséquence.

«Prémices, subst. fém. pl. Les premiers fruits de la terre ou du bétail, les premières productions de l’esprit.» (Dictionnaire de l’Académie.)

Toujours la tyrannie a d’heureuses prémices.
(Racine.)

PRÈS.

Locut. vic. Il demeure près le Luxembourg.
Locut. corr. Il demeure près du Luxembourg.

«Près le Palais-Royal, près l’église, sont des expressions que l’usage a abusivement consacrées. Il est plus régulier de dire: près du Palais-Royal, près de l’église. Il n’y a que quelques expressions entièrement consacrées où l’on puisse supprimer la préposition de, comme ministre du roi près la cour d’Espagne, Passy près Paris, etc.» (Laveaux, Dictionnaire des difficultés.)

Ses enfans, suivant la coutume,
Près la chandelle se jouant.
(Vitallis, fab. 3, liv. I.)

Il fallait: près de la chandelle.


PRÉSENT.

Au reçu du présent, de la présente. (V. Courant.)


PRÉSIDENT, ADHÉRENT, DIFFÉRENT, ÉQUIVALENT, EXCELLENT, NÉGLIGENT, PRÉCÉDENT, RÉSIDENT.

Orth. vic. J’ai vu votre ami président l’assemblée.
Orth. corr. J’ai vu votre ami présidant l’assemblée.

«Ces mots s’écrivent avec un e, lorsqu’ils sont substantifs ou adjectifs, et avec un a, quand ils sont participes actifs:

«L’homme que vous avez vu aujourd’hui présidant l’assemblée n’en est pas le président.

«Le résident de Genève n’est pas toujours résidant à Genève.

«Il y a souvent des différends entre les gens différant d’humeur.» (Chapsal, Dictionnaire gramm.)


PRÊT A, PRÈS DE...

Locut. vic.   Le torrent était prêt à l’emporter.
Le sage est toujours près de mourir.
 
Locut. corr.   Le torrent était près de l’emporter.
Le sage est toujours prêt à mourir.

Prêt doit toujours être suivi de la préposition à; près, de la préposition de.

Prêt à et près de ne peuvent pas être employés l’un pour l’autre. La première expression signifie préparé à; la seconde, sur le point de.

La phrase suivante est défectueuse: La rivière est prête à déborder, car la rivière ne peut pas faire des préparatifs pour un débordement, mais on peut dire qu’elle est sur le point de déborder; c’est donc: près de déborder qu’il faut écrire.

Dans cette phrase: Parlez, je suis près de vous suivre partout; il est évident qu’il faut prêt à, parce qu’il y a ici disposition à suivre.

Ce qui précède explique la différence qu’il y a entre les deux locutions: prêt à mourir et près de mourir. L’une signifie qui est préparé à mourir; l’autre, qui est sur le point de mourir.

Autrefois on écrivait prêt devant la préposition de comme devant la préposition à; aujourd’hui il faut toujours écrire près dans le premier cas.

«La maison d’Autriche se vit donc prête d’accabler tous ses voisins.» (Mercier, Histoire de France.) Lisez: près d’ accabler.


PRÉVALOIR.

Locut. vic. Faut-il que je me prévaille de cela?
Locut. corr. Faut-il que je me prévale de cela?

Ce verbe se conjugue comme valoir; cependant au subjonctif on dit: que je prévale, que tu prévales, qu’il prévale, que nous prévalions, que vous prévaliez, qu’ils prévalent.


PRIX (AU) DE, AUPRÈS DE.

Locut. vic.   Qu’est-ce que la valeur de l’or auprès de celle du diamant.
Je suis un nain au prix de vous.
 
Locut. corr.   Qu’est-ce que la valeur de l’or au prix de celle du diamant.
Je suis un nain auprès de vous.

«Au prix de et auprès de ont ceci de commun, qu’ils servent l’un et l’autre à faire une comparaison, et ceci de particulier qu’au prix de paraît devoir être préféré, lorsque l’on compare deux objets auxquels on attache un prix réel ou métaphorique: le cuivre est vil au prix de l’or; la richesse n’est rien au prix de la vertu; et l’on doit préférer auprès de lorsque, pour comparer deux objets, on les place à côté l’un de l’autre au propre et au figuré: cette femme si brune est blanche auprès d’une négresse. La terre n’est qu’un point auprès du reste de l’univers.

«Au surplus, lorsque les deux objets à comparer éveillent indifféremment ou l’idée de prix ou l’idée de proximité, le choix dépend de l’écrivain.

«Cette différence entre auprès de et au prix de me paraît bien déterminée, et je crois que les exemples suivans en présentent une juste application.»

Le bois le plus funeste et le moins fréquenté
Est au prix de Paris un lieu de sûreté.
(Boileau.)
Mais un gueux qui n’aura que l’esprit pour son lot,
Auprès d’un homme riche à mon gré n’est qu’un sot.
(Destouches), (Man. des Amat. de la langue fr., p. 212.)

PROMENER.

Locut. vic. Allons promener.
Locut. corr. Allons nous promener.

«Vaugelas autorise promener, neutre, au lieu de se promener, réciproque: mais l’usage a changé depuis.» (Féraud, Dict. crit.)

«Ce verbe, dans le sens de marcher, d’aller, soit à pied, soit à cheval, s’emploie toujours avec le pronom personnel, ainsi on ne doit pas dire: Allons promener, il est allé promener; il faut dire: Allons nous promener; il est allé se promener.

«Il est vrai que l’on dit: Je l’enverrai bien promener, je l’ai envoyé promener; mais, dans ces façons de parler familières, on sous-entend se.

«Si promener était pris dans la signification de conduire, faire marcher, soit un homme, soit une bête, alors on l’emploierait activement, et l’on dirait: Il a bien promené ces étrangers par la ville.—Il est bien de promener un cheval échauffé avant que de le mettre à l’écurie.» (Girault-Duvivier, Gramm. des gram.)


PROMETTRE.

Locut. vic. Je vous promets que je l’ignore.
Locut. corr. Je vous assure que je l’ignore.

«Quelques personnes disent promettre pour assurer: Je vous promets que cela est ainsi que je l’ai fait. Promettre ne regarde que le futur, et assurer se dit de tous les temps.» (Féraud, Dict. crit.)


PUIS ENSUITE (ET).

Locut. vic. Il se leva, et puis ensuite il sortit.
Locut. corr. Il se leva, et ou puis, ou ensuite il sortit.

Trois copulatives pour une! Il y a là double pléonasme; le premier étant cependant autorisé par l’usage,

Quelques momens après, l’objet devint brûlot,
Et puis nacelle, et puis ballot.
(La Fontaine, liv. IV, f. 10.)

Nous ne prononçons d’exclusion absolue qu’à l’égard du mot ensuite, qui doit être employé seul.


QUA, QUE, QUI.

Pron. vic. Kadrupède, kesteur, kintuple, etc.
Pron. corr. Kouadrupède, kuesteur, kuintuple, etc.

Qua, que, qui, se prononcent comme koua, kué, kui, dans les mots suivans: aquatile, aquatique, équateur, équation, quadragénaire, quadragésime, quadrangle, quadrangulaire, quadrature, quadricolor, quadriennal, quadrifolium, quadrige, quadrilatère, quadrinôme, quadrupède, quadruple, quadrupler, in-quarto, quaterne, quaterné, quaternaire, quaternité, quinquagénaire, quinquagésime, liquation, questeur, questure, équestre, quinquennal, quinquennium, liquéfaction, à quia, quindécagone, quintuple, équiangle, équidistant, équilatéral, équimultiple.


QUADRILLE.

Locut. vic. Il y a d’habiles danseurs dans cette quadrille.
Locut. corr. Il y a d’habiles danseurs dans ce quadrille.

«Ce mot est féminin dans les dictionnaires, et masculin dans l’usage.» (M. Ch. Nodier, Examen crit. des dict.)

Le Dictionnaire de Boiste, revu par M. Ch. Nodier (édition de 1834), fait quadrille masculin, quand il signifie: Jeu d’hombre à quatre, division de quatre couples de danseurs, et féminin quand il signifie: troupe de chevaliers dans un carrousel.

On prononce kadrille.


QUADRUPLE.

Prononc. et Locut. vic. Ce kadruple est bien léger.
Prononc. et Locut. corr. Cette kouadruple est bien légère.

Les agens de change, dans leur Bulletin de la Bourse, font le mot quadruple féminin, des quadruples neuves; en quoi ils se conforment à l’usage du commerce qui, en cette circonstance, nous paraît fort raisonnable. On le trouve masculin dans nos anciens auteurs.

Ah! Merlin, je me trompe, ou ce quadruple est creux.
Je ne me trompe point, il est creux, oui sans doute;
Et je crois qu’il enferme un billet. Tiens, écoute.
(Boursault, Mercure galant; act. I, sc. 1.)

«Plusieurs le font féminin, et disent une quadruple, et l’analogie autorise ce genre; c’est comme qui dirait une (pistole) quadruple. Les dictionnaires, et même celui du citoyen, le marquent ou l’emploient comme masculin.» (Féraud, Dict. crit.)


QUAND.

Orth. vic. Quand à lui, il fera ce qu’il voudra.
Orth. corr. Quant à lui, il fera ce qu’il voudra.

On écrit quant avec un t, quand ce mot signifie pour ce qui concerne, pour ce qui a rapport à. Dans cette phrase: Cette personne garde son quant à soi, quant doit s’écrire par un t.

On trouve dans Malherbe quant et moi pour avec moi. Cette expression, usitée de son temps, ne l’est plus aujourd’hui. Quant et quant est aussi abandonné.


QUAND.

Prononc. vic. Donnez-le-moi, quante vous l’aurez.
Prononc. corr. Donnez-le-moi, quand vous l’aurez.

Le d ne doit se faire sentir que devant une voyelle, ou un h muet.


QUANTES (TOUTES FOIS ET)

Locut. vic. Venez nous voir toutes et quantes fois que cela vous conviendra.
Locut. corr. Venez nous voir chaque fois et autant de fois que cela vous conviendra.

«Ces façons de parler sont encore en usage; mais elles ne s’écrivent plus par les bons écrivains. Ce sont des mots qui sentent le vieux et le rance.» (Nouvelles remarques de Vaugelas, 1690.)


QUARRÉ.

Orth. vic. C’est un quarré.
Orth. corr. C’est un carré.

Quarré est une orthographe archaïque, abandonnée par les dictionnaires récens.


QUART.

Locut. vic. Il est quatre heures et quart, quatre heures un quart, quatre heures moins quart, moins le quart.
Locut. corr. Il est quatre heures et un quart, quatre heures moins un quart.

Nous pensons qu’il serait plus logique de dire trois heures et trois quarts que quatre heures moins un quart. Est-il, en effet, très raisonnable de préférer, à une idée qui est exacte et complète, une autre idée que l’on sait devoir soi-même bientôt modifier? Ne convient-il pas mieux d’énoncer l’unité réelle et la fraction qu’on y ajoute, que d’énoncer une fausse unité qu’il faut aussitôt détruire? Certainement cette manière de parler a dû être inventée par quelque gascon, qui, ayant intérêt à faire croire qu’il était quatre heures, aura dit avec assurance: Il est quatre heures, et qui, voyant que son mensonge était découvert, aura ajouté adroitement: moins un quart.

Quand les trois quarts sont passés, et que l’on compte par minutes, nous croyons cependant que l’énonciation de l’heure doit plutôt avoir lieu par soustraction que par addition, c’est-à-dire qu’il vaut mieux dire, quatre heures moins cinq minutes, moins dix minutes, que trois heures cinquante-cinq minutes, cinquante minutes, parce que la première manière de parler est un peu plus claire que la seconde, et que la considération de la clarté doit, en fait de langage, dominer toutes les autres.


QUASIMENT.

Locut. vic. Vous croyez quasiment à son retour.
Locut. corr. Vous croyez presque à son retour.

Quasiment n’est pas français, et ne se trouve dans aucun dictionnaire.

«Je commençais, Dieu me pardonne, à trembler quasiment.» (Mme de Genlis, Th. d’Éduc. La Rosière.)

Vaugelas et Ménage n’aimaient guère le mot quasi, et en vérité, avec sa mine hétéroclite, il n’est guère aimable. Qui voudrait aujourd’hui soutenir que, dans les phrases suivantes, l’adverbe quasi a meilleure grâce que l’adverbe presque: Les choses n’arrivent quasi jamais comme on se les imagine. (Mme de Sévigné.) Il n’y a quasi personne qui n’ait de l’ingratitude pour les grandes obligations. (La Rochefoucaud, Maximes.)

Ce mot pédant, qui doit sourire à tous ceux qui, comme Ronsard, aiment à parler grec et latin en français, était mort et bien mort, lorsqu’on s’est avisé, il y a quelques années, de le ressusciter pour le marier à certaine lourde et grave expression. Mais la résurrection de quasi a probablement eu lieu sous de fâcheux auspices, et le pauvre adverbe se meurt, une seconde fois, à l’heure qu’il est, sous un énorme poids de ridicule.


QUATRE.

Locut. vic. Si je le tenais entre quatre-s-yeux.
Locut. corr. Si je le tenais entre quatre yeux.

«Il est vrai de dire qu’il y a un certain usage en faveur de cette prononciation, proposée par Beauzée; mais c’est l’usage des personnes à qui notre orthographe est absolument inconnue. Deux hommes grossiers ont une querelle; ils se menacent: Si nous sommes jamais entre quatre-syeux, dit l’un d’eux, tu me le paieras. Comment l’homme instruit a-t-il pu conclure de là, que, pour la douceur de la prononciation, il faut dire, entre quatre-syeux? Si quatre yeux offre un son dur à l’oreille, quatre œufs n’offre pas un son plus doux; l’euphonie exigerait donc que l’on dît quatres œufs; et alors pourquoi, d’euphonie en euphonie, n’irait-on pas jusqu’à dire huit syeux? car enfin le s est plus doux que le t.

«Entre quatre-yeux est donc la seule prononciation qu’on puisse admettre; elle est d’ailleurs conforme à celle qu’ont adoptée Domergue, Lemare (p. 689 de ses Cours de langue fr.), la presque totalité des grammairiens et des littérateurs distingués.» (Girault-Duvivier, Gramm. des gramm.)


QUE.

Locut. vic. Je vous donnerai tout ce que vous aurez besoin.
Locut. corr. Je vous donnerai tout ce dont vous aurez besoin.

Il faut dont, parce qu’on ne dit pas avoir besoin une chose, mais avoir besoin d’une chose.

On lit dans un voyage récent: «Les nids d’oiseaux sont un mets qu’on mange beaucoup en Chine.» L’auteur a voulu dire que les Chinois mangent beaucoup de cette matière gluante et visqueuse, expectorée par des hirondelles qui en construisent leurs nids, et c’est évidemment dont qu’il devait employer à la place de que.

Cette phrase, ce que je vous prie, c’est de ne pas le gronder, est encore vicieuse. Il faut: ce dont je vous prie, etc.


QUE DE.

Locut. vic. Si j’étais que de lui, je le ferais.
Locut. corr. Si j’étais lui (et mieux, si j’étais à sa place), je le ferais.

«Si j’étais que de vous,» disait certain duc de Créqui à certain maréchal de France, «j’irais me pendre tout-à-l’heure.»—«Eh bien!» répondit ironiquement le maréchal, à qui semblable conseil paraissait sans doute aussi ridicule que les termes dans lesquels il était donné, «soyez que de moi, monsieur!»

Ce maréchal savait fort bien conjuguer le gracieux verbe composé, être que de lui.


QUEL.

Locut. vic. Cet homme brillera toujours, quel état qu’il prenne.
Locut. corr. Cet homme brillera toujours, quelque état qu’il prenne.

«C’est une faute familière à toutes les provinces qui sont delà la Loire, de dire, par exemple: Quel mérite que l’on ait, il faut être heureux, au lieu de dire: quelque mérite que l’on ait. Et c’est une merveille, quand ceux qui parlent ainsi s’en corrigent, quelque séjour qu’ils fassent à Paris ou à la cour.» (Vaugelas, Rem. 139.)

Croyez-moi, de quel nom que votre voix me nomme,
N’allons pas imiter Custine ni Prud’homme.
(M. Barthélemy, Justification.)

M. Barthélemy devait dire: de quelque nom.


QUELQUE.

Orth. vic.   Quelque soit leur fortune, ils doivent obéir à la loi.
Quelque torts qu’il ait, on les lui pardonne.
Quelques forts qu’ils soient, on les vaincra.
Quelques grands sacrifices que vous fassiez etc.
 
Orth. corr.   Quelle que soit leur fortune, ils doivent obéir à la loi.
Quelques torts qu’il ait, on les lui pardonne.
Quelque forts qu’ils soient, on les vaincra.
Quelque grands sacrifices que vous fassiez, etc.

Quelque est adjectif et variable:

1o Lorsqu’il est suivi d’un verbe au subjonctif; on l’écrit alors en deux mots, comme dans ces exemples: Quelles que soient leurs prétentions, quels que soient leurs motifs, qui équivalent à: que leurs prétentions soient quelles (vous voudrez), etc.; que leurs motifs soient quels (vous voudrez), etc.

2o Lorsqu’il est placé devant un substantif seul: Quelques richesses que vous possédiez, etc., ou devant un substantif suivi d’un adjectif: quelques amis dévoués qu’il ait, etc.

Quelque est adverbe et invariable:

Lorsqu’il est placé devant un adjectif seul: Quelque puissans qu’ils soient, ne sont-ils pas mortels? ou devant un adjectif suivi d’un substantif: quelque puissantes raisons que vous donniez, etc. L’invariabilité de quelque devant un adjectif suivi d’un substantif a été contestée par M. Girault-Duvivier et quelques autres grammairiens. Laveaux, qui l’a défendue, prétend avec raison, selon nous, que le mot quelque, modifiant un adjectif, ne peut être qu’un adverbe. Ainsi, dans cette phrase: Quelque savans auteurs que vous consultiez, etc. Laveaux écrit quelque sans s, parce que, dit-il, quelque est un adverbe qui modifie l’adjectif savans: quelque savans que soient les auteurs que vous consultiez, etc. Mais, dans cette autre phrase: Quelques auteurs savans que vous consultiez, il accorde quelques, parce que c’est ici comme si l’on disait: Quelques auteurs (savans) que vous consultiez, ou quels que soient les auteurs savans que vous consultiez. «L’esprit, ajoute-t-il, ne doit jamais rester dans l’incertitude sur le caractère d’un mot énoncé dans le discours. Or, si quelque, placé devant un adjectif, pouvait être tantôt adjectif et tantôt adverbe, il faudrait, ou y attacher d’abord au hasard l’un ou l’autre caractère, ou attendre le substantif qui doit déterminer ce caractère. Si, par exemple, voulant dire: Quelque belles qualités que l’on ait, on dit quelque belles, et qu’on s’arrête là, l’esprit est porté à attribuer à quelque le caractère d’adverbe, à cause de l’adjectif qui le suit, ou bien il faudra, pour s’en faire une idée juste, qu’il attende le mot suivant, afin de savoir si ce mot est un substantif. Dans le premier cas, il se sera trompé, et il faudra qu’il revienne sur ses pas lorsqu’il aura entendu ce substantif; dans le second, il aura entendu quelque suivi d’un adjectif, sans attacher une idée précise à ce mot. Or, rien n’est plus contraire au génie de la langue française que ce tâtonnement ou cette incertitude.» (Dict. des diff.)


QUELQUE.

Orth. vic. Il a quelques soixante ans.
Orth. corr. Il a quelque soixante ans.

Quelque, dans notre phrase d’exemple, ne peut pas être adjectif; car alors il signifierait plusieurs, et certes il n’est pas donné à l’homme, malheureusement (ou heureusement, comme on voudra) de compter plusieurs soixantaines d’années. Quelque est donc ici adverbe, et en cette qualité invariable. Il signifie à peu près, environ.

«C’était un fort vilain nègre de quelques quarante ans.» (Eug. Sue. Atar-Gull p. 57.) Lisez quelque.


QUELQUE CHOSE.

Locut. vic. Dites-nous quelque chose qui soit plaisante.
Locut. corr. Dites-nous quelque chose qui soit plaisant.
Quand on aura de vous quelque chose à prétendre,
Accordez-la civilement;
Et, pour obliger doublement,
Ne la faites jamais attendre.

Ce quatrain est fort bon sous le rapport moral; médiocre sous le rapport poétique, et mauvais sous le rapport grammatical.

«Quelque chose, dit Féraud, est masculin, quoique chose soit du genre féminin. On dit, par exemple: Ai-je fait quelque chose que vous n’ayez pas approuvé et non pas approuvée. On dit aussi quelque chose de bon, quelque chose de vrai. Le de est alors nécessaire devant l’adjectif, et il ne faut pas imiter Molière quand il dit: Quelque chose approchant pour d’approchant. Vaugelas prétend qu’on peut retrancher cette préposition devant un adjectif qui la régit lui-même, pour éviter la cacophonie de deux de, si voisins l’un de l’autre. Il est vrai que quelque chose de digne de lui est dur; mais, pour éviter de mauvaises consonnances, il ne faut pas changer une construction consacrée par l’usage. Il vaut mieux changer de tour, et dire, quelque chose qui soit digne de lui.» (Dict. crit.)


QUELQUEFOIS.

Locut. vic. Dépêchez-vous, quelquefois qu’il ne sorte.
Locut. corr. Dépêchez-vous, de peur qu’il ne sorte.

Quelquefois n’a, dans tous nos dictionnaires, que la valeur de parfois, de fois à autre.

Ceux qui emploient cet adverbe avec l’étrange signification qu’on lui trouve ici, ne sont généralement que des gens dépourvus d’instruction littéraire. Aussi doit-on s’étonner d’entendre une pareille cacologie en pleine chambre des députés: «Il faut attendre encore un quart d’heure, quelquefois qu’on se serait trompé.» (Séance du 19 avril 1833.)


QUELQU’UN (UN).

Locut. vic. C’est bon pour un quelqu’un qui a de la fortune.
Locut. corr. C’est bon pour quelqu’un qui a de la fortune.

Un quelqu’un est une expression battologique, qui n’est employée aujourd’hui que par des gens illettrés ou des gens à routine.


QUÈQUE.

Prononc. vic.   Quèque çà fait après tout?
Il y a quèques personnes qui le croient.
 
Prononc. corr.   Qu’est-ce que cela fait après tout?
Il y a quelques personnes qui le croient.

«Il se trouve des raffineurs, dit Richelet, qui soutiennent qu’il faut prononcer kécun et kèque: ces messieurs les raffineurs sont de francs provinciaux.»


QU’EST-CE.

Prononc. vic. Qu’est-ce qui vous a dit cela?
Prononc. corr. Qui est-ce qui vous a dit cela?

Qu’est-ce se dit des choses: Qu’est-ce que vous avez? c’est-à-dire, que (quelle chose) est-ce que vous avez? Qui est-ce se dit des personnes: Qui est-ce qui le saura? c’est-à-dire, quelle personne est-ce qui le saura?


QUEUE LEU-LEU (A LA).

Locut. vic. Allons-y à la queue leu-leu.
Locut. corr. Allons-y à la queue loup-loup.

Leu en vieux français signifie loup; la queue loup-loup n’est donc autre chose que la traduction de la queue leu-leu.

Queue loup-loup vaut mieux; car cette expression a au moins l’avantage d’être comprise de tout le monde.


QUI.

Locut. vic. Voici un acte à qui on peut adresser le reproche d’obscurité.
Locut. corr. Voici un acte auquel on peut adresser le reproche d’obscurité.

«Quand le pronom qui est précédé d’une préposition, il ne s’applique qu’aux personnes ou aux objets personnifiés: Vous êtes l’homme en qui j’ai mis toute ma confiance.

«Molière dit de l’avare: Donner est un mot pour qui il a tant d’aversion, qu’il ne dit jamais: Je vous donne le bonjour, mais je vous prête le bonjour. Il faut: Donner est un mot pour lequel, etc.

«En poésie, cependant, où l’on personnifie souvent les objets, où tout s’anime, le pronom qui, précédé d’une préposition, se dit également des êtres et des objets.»

Du haut de la montagne, où sa grandeur réside,
Il a brisé sa lance et l’épée homicide
Sur qui l’impiété fondait son ferme appui.
J.-B. Rousseau.
Je pardonne à la main par qui Dieu m’a frappé.
Voltaire.
Soutiendrez-vous un fait sous qui Rome succombe?
Corneille.

(Chapsal, nouveau Dictionnaire gramm.)


QUI.

Locut. vic. Ils se laissèrent tous gagner: qui par des menaces, qui par des présens.
Locut. corr. Ils se laissèrent tous gagner: ceux-ci par des menaces, ceux-là par des présens.
Qui casse le museau; qui son rival éborgne;
Qui jette un pain, un plat, une assiette, un couteau;
Qui, pour une rondache, empoigne un escabeau.
(Regnier, Sat.)

Peu de gens, à la lecture de ces vers, auront facilement saisi la signification que l’on y donne au pronom qui. Ceux qui l’auront pris pour un pronom relatif se seront trompés; car il est ici pronom démonstratif, et signifie celui-ci. Il y a cent ans que cette locution était déjà surannée, comme le témoigne ce passage du Dictionnaire de Trévoux: «Qui pour signifier les uns, les autres, n’est plus en usage chez les bons auteurs: alii, alii verò. On trouve dans les vieux écrivains: Qui crioit; qui fuyoit sur les toits; ils fuyoient qui çà, qui là: huc, illuc.» D’où vient donc que quelques-uns de nos écrivains modernes cherchent à ressusciter cette expression, qui plaisait peu à Vaugelas, et qui n’a en vérité rien de gracieux?


QUI.

Locut. vic. Vous parlez en hommes qui connaissez vos semblables.
Locut. corr. Vous parlez en hommes qui connaissent leurs semblables.

Qui est toujours de la même personne que le substantif auquel il se rapporte. Hommes étant de la troisième personne, le pronom relatif qui, le verbe et l’adjectif possessif qui le suivent doivent être employés à la troisième personne.

Domergue a relevé la faute qui se trouve dans le couplet suivant de Richard Cœur-de-Lion, opéra de Sedaine:

O Richard! ô mon roi!
L’univers t’abandonne;
Et sur la terre il n’est que moi
Qui s’intéresse à ta personne.

«Je demandai un jour à un chanteur de Lyon, pourquoi il disait: Il n’est que moi qui s’intéresse?—C’est qu’à Paris, me répondit-il, on ne dit pas autrement. Si je faisais la même question à un chanteur de Paris, il me répondrait: C’est le texte de l’auteur. Mais si je demandais à celui-ci pourquoi il pèche ainsi contre l’usage et la syntaxe, j’ignore ce que me répondrait l’académicien.» (Solut. gramm., p. 306.)


QUI (A).

Locut. vic. C’est à moi à qui ils se sont adressés.
Locut. corr. C’est à moi qu’ils se sont adressés.

C’est assez d’une préposition pour exprimer la relation, l’autre est superflue.

Un commentateur moderne de Boileau ne veut pas qu’il y ait une faute dans ce vers:

C’est à vous, mon esprit, à qui je veux parler.
(Sat. IX.)

Que de grammairiens alors auraient fait une injuste querelle au législateur poétique de la France! car cette faute a été si souvent relevée, que nous avons presque honte de la relever nous-même. Qui ne sait, au reste, qu’un commentateur est toujours pénétré pour son auteur des mêmes sentimens d’adoration outrée, qu’un Tatar pour son Grand-Lama, ou qu’un amant pour sa maîtresse?

Molière a dit, il est vrai: «Puis-je croire que ce soit à vous à qui je doive la pensée de cet heureux stratagême.» (L’Amour médecin; act. III, sc. 6.) Qu’est-ce que cela prouve? C’est que Molière a fait la même faute que Boileau, à une époque où, pour être juste, il faut avouer qu’elle était assez commune.


QUI PLANTE (ARRIVE).

Locut. vic. Faites votre devoir, arrive qui plante.
Locut. corr. Faites votre devoir, arrive que plante.

La synthèse de cette locution est: (qu’il) arrive (ce) que (l’on) plante, c’est-à-dire: n’importe quoi. Qui, à la place de que ne pourrait pas être expliqué.


QUIDAM.

Locut. vic. Nous rencontrâmes certain quidam.
Locut. corr. Nous rencontrâmes un quidam.

Un certain quidam est, comme le remarque fort bien M. Ch. Nodier (Exam. crit. des Dict.), une battologie ridicule. On doit dire un quidam. Nous trouvons cependant cette phrase dans un dictionnaire tout récent. On a appris de certains quidams que, etc., et dans Rhulière le vers suivant:

Il veut entrer, certain quidam, etc.

Nous ne savons trop pourquoi M. Laveaux veut que l’on prononce ce mot, kidan, et surtout qu’on lui donne un féminin, quidane. Nous ne croyons pas ce mot vraiment français, et le fût-il même, nous pensons qu’il pourrait tout aussi bien retenir sa prononciation primitive que beaucoup d’autres mots que nous avons aussi empruntés au latin, tels que quinquagésime, quindécemvirs, quinquennal, que nous prononçons cuincuagésime, cuindécemvirs et cuincuennal. Nous dirons donc: Prononcez cuidamme, et ne dites jamais une quidane, ni une cuidane, ni une cuidame, si vous ne voulez pas faire rire à vos dépens.


QUITTER.

Locut. vic. Je vous quitte, monsieur, de toute reconnaissance.
Locut. corr. Je vous dispense, monsieur, de toute reconnaiss.

Quitter, dans le sens de dispenser, a vieilli et ne s’emploie presque plus.

Demeurez, mon cousin, vous avez compagnie;
Je vous quitte aujourd’hui de la cérémonie.

On emploierait aujourd’hui dans ce vers un autre verbe.


QUOI.

Locut. vic. Je ne sais plus quoi dire.
Locut. corr. Je ne sais plus que dire.

C’est-à-dire: Je ne sais plus (ce) que (je dois) dire. «On n’emploie quoi à l’accusatif, dit l’abbé Féraud, qu’avec des prépositions. On ne doit pas dire avec un traducteur de Fielding: Si elle se taisait, ce n’était pas manque de savoir quoi dire.» (Dict. crit.)


QUOI FAISANT.

Locut. vic. Quoi faisant, vous ferez justice.
Locut. corr. En faisant cela, vous ferez justice.

«Quoi pour ce que, ne vaut rien, comme quand on dit: Quoi faisant, pour dire ce que faisant

L. A. Allemand, sur cette remarque posthume de Vaugelas, ajoute: «Il est certain qu’aujourd’hui ces deux façons de s’exprimer ne sont guère meilleures l’une que l’autre, ou, pour mieux dire, elles ne valent pas beaucoup à présent. On aime mieux dire, en faisant cela, et on a raison, car il y a plus de régularité dans cette dernière façon de parler que dans les deux autres.» (Nouvelles Rem. de Vaugelas, p. 460.)


QUOIQUE.

Orth. vic. On vous l’ôtera, quoique vous puissiez dire.
Orth. corr. On vous l’ôtera, quoi que vous puissiez dire.

Quoi que s’écrit ici en deux mots, parce qu’il n’est pas conjonction, et n’a pas, par conséquent, la signification de encore que. Quoi est un adjectif qui équivaut à quelle chose: Quoi (quelle chose) que vous puissiez dire, on vous l’ôtera.


QUOIQUE.

Locut. vic. Il me trompe; quoique ça je l’aime.
Locut. corr. Il me trompe; malgré cela je l’aime.

Quoique est une conjonction, et ne peut remplir dans le discours les fonctions de préposition, c’est-à-dire avoir un régime.


RABLU.

Locut. vic. C’est un garçon bien rablu.
Locut. corr. C’est un garçon bien râblé.

«RABLU. Bien fourni de râble. (Boiste.)—Je suis persuadé que ce serait là une assez bonne définition de râblu; mais je n’ai jamais entendu dire que râblé, ce qui n’est pas lui-même fort élégant.» (M. Ch. Nodier, Examen crit. des Dict.)

L’Académie et Boiste indiquent râblé comme meilleur que râblu.


RABOUTER, RABOUTEUR.

Locut. vic. On lui a rabouté le bras.
Locut. corr. On lui a rebouté (et mieux remis) le bras.

On dit raboutir ou abouter, pour signifier mettre bout à bout des morceaux d’étoffe.

On dit rebouter pour signifier remettre (bouter de nouveau) un os cassé, un membre démis.

Quant à rabouter, c’est un barbarisme, comme rabouteur.

«Il est prévenu d’avoir exercé la profession de rabouteur dans son village. Vous ne savez peut-être pas au juste ce que c’est qu’un rabouteur. C’est un homme qui vous raboute une jambe cassée, comme un tisserand vous raboute un fil rompu; avec cette seule différence peut-être que le fil du tisserand marche, et que la jambe du rabouteur (lisez: remise par le rebouteur) ne marche pas du tout.» (Gazette des Trib. du 9 mars 1835.)

Un rebouteur reboute, quand il réussit, les jambes et les bras; un tisserand aboute les fils de son métier.


RACOQUILLÉ.

Locut. vic. Voyez comme ce parchemin s’est racoquillé ou recoquillé au feu.
Locut. corr. Voyez comme ce parchemin s’est recroquevillé au feu.

L’action du soleil recroqueville les feuilles des plantes, comme celle du feu recroqueville le parchemin, le cuir, etc., c’est-à-dire que ces différens objets se dessèchent et se replient par l’effet de la chaleur.


RAGER, RAGEUR.

Locut. vic. Comme il rageait! Il est rageur.
Locut. corr. Comme il enrageait! Il est colère.

Rager et rageur sont fort usités; mais c’est dans le style le plus familier; car ceux de nos dictionnaires qui donnent le plus volontiers les mots qui appartiennent à ce style ne font aucune mention de ces deux expressions.


RAILLERIE.

Locut. vic.   Cet auteur est lourd dans son style et n’entend pas raillerie.
Votre ami a un mauvais caractère et n’entend pas la raillerie.
 
Locut. corr.   Cet auteur est lourd dans son style et n’entend pas la raillerie.
Votre ami a un mauvais caractère et n’entend pas raillerie.

Entendre la raillerie, c’est connaître l’art de railler. Entendre raillerie, c’est ne point se fâcher de la raillerie. Comme un petit article de plus ou de moins donne cependant une physionomie toute différente à une phrase! C’est là une de ces nombreuses délicatesses dans lesquelles se complaît notre langue.


RAISINS.

Locut. vic. Voulez-vous manger un raisin, des raisins?
Locut. corr. Voulez-vous manger du raisin?

On ne dit pas des raisins, parce qu’on ne peut pas dire: un raisin, deux raisins, trois raisins, etc. On dit: un grain ou une grappe de raisin, deux grains ou deux grappes de raisin, etc.

Un raisin serait trop vague, puisqu’on ne saurait pas si l’on parle d’un grain ou d’une grappe, et l’expression des raisins est au moins inutile, puisqu’elle ne signifie rien de plus que du raisin. Nous croyons donc que La Fontaine a fait une faute dans les vers suivans:

Certain renard. . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . vit au haut d’une treille
Des raisins, mûrs apparemment,
Et couverts d’une peau vermeille.
(Liv. III, Fab. 11.)

RAISONNER.

Orth. vic. Entendez-vous raisonner l’airain?
Orth. corr. Entendez-vous résonner l’airain?

Résonner, retentir, vient de resonare.

Raisonner, discuter, vient de ratiocinari. Ratiociner a long-temps signifié en français raisonner.

L’orthographe de ce vers de La Fontaine:

Fait raisonner sa queue à l’entour de ses flancs,

cité page 19 du présent ouvrage, est donc erronée. Il fallait résonner.


RAISONS (AVOIR DES).

Locut. vic. Nous avons eu des raisons avec eux.
Locut. corr. Nous avons eu une altercation avec eux.

Cette expression, avoir des raisons, employée dans le sens d’avoir une querelle, est plus que vicieuse; elle est ridicule. Comment peut-on songer à rendre le mot raison, si pur, si calme, si beau, si élevé, synonyme du vilain et turbulent mot de querelle, ou de tout autre de sa parenté, comme altercation, dispute, démêlé, etc., qui ne valent guère mieux?


RALONGE.

Locut. vic. Mettez une ralonge à la table.
Locut. corr. Mettez une alonge à la table.

Pourquoi mettre l’alonge R au mot alonge? Ce mot n’est-il pas suffisamment long sans cela? Le Dictionnaire de Boiste donne, en l’indiquant comme terme de métier, le mot ralonge que le Dictionnaire de l’Académie n’a pas accueilli. On lit dans ce dernier Dictionnaire, au mot alonge: «Pièce qu’on met à un vêtement, à un meuble pour l’alonger. Mettre une alonge à une jupe, à des rideaux; une alonge de table.


RAMASSER.

Locut. vic. Il a ramassé de la fortune.
Locut. corr. Il a amassé de la fortune.

Ramasser, c’est prendre ce qui est à terre; amasser, c’est faire un amas, c’est mettre ensemble plusieurs choses ou plusieurs personnes.

Du temps que le Pactole coulait, c’est-à-dire du temps que les bêtes parlaient, rien n’était plus facile que de ramasser de la fortune; maintenant il faut l’amasser. Mais il faut convenir qu’il y a des gens qui l’amassent si vite, qu’on pourrait bien croire qu’ils l’ont ramassée. «Une dame de la cour, au XVIIe siècle, disait: Amassez ma coiffe; amassez mon masque. Une dame de la ville disait: Ramassez ma coiffe, ramassez mon masque.» (Ménage, Obser. sur la Lang. fr., chap. 345.) L’usage ne s’est-il pas avisé de donner tort aux dames de la cour! Le vilain!


RANCUNEUX.

Locut. vic. Est-il rancuneux?
Locut. corr. Est-il rancunier?

Il est bien étrange que M. Boiste, qui a dédaigné, comme tous les lexicographes, d’inscrire à la lettrine RANC l’adjectif rancuneux, auquel il a préféré rancunier avec grande raison, ait glissé ce mauvais adjectif dans l’article haineux, dont il donne ainsi la définition: Naturellement porté à la haine, rancuneux. Ne serait-ce pas le résultat d’un moment de distraction de sa part ou de celle de l’imprimeur. Pourquoi, en ce cas, cette erreur n’a-t-elle pas disparu des éditions faites depuis que M. Girault-Duvivier l’a relevée dans sa Grammaire des grammaires.


RAPPELER.

Locut. vic. Vous me condamnez à cela; j’en rappelle.
Locut. corr. Vous me condamnez à cela; j’en appelle.

En appeler, c’est interjeter un appel.

Le relatif en doit être supprimé, lorsque le verbe appeler est suivi d’un autre régime indirect au génitif. Ainsi Féraud a remarqué avec raison que la phrase suivante d’une traduction de Robertson (Histoire de l’Amérique) était viciée par la présence du relatif en. «Colomb en appela directement au trône, des procédures d’un juge subalterne


RAPPELER (S’EN).

Locut. vic. Vous devez vous rappeler de cette histoire-là.
Locut. corr. Vous devez vous rappeler cette histoire-là.

«Il est reconnu que ce verbe ne peut être séparé d’un substantif par la préposition de, faute cependant très commune.

«On doute qu’il en soit de même dans le cas où c’est l’infinitif d’un verbe qui le suit. Je me rappelle avoir entendu paraît effectivement barbare.» (M. Ch. Nodier. Examen crit. des Dict.)

L’Académie et nos meilleurs grammairiens ont permis l’emploi de la préposition de entre se rappeler et l’infinitif du verbe avoir, et nos meilleurs écrivains ont profité de la permission. Nous pensons toutefois, comme M. Ch. Nodier, que «le meilleur serait peut-être d’employer en ce cas le verbe se souvenir qui gouverne la préposition.»

«Je me rappelle de cela, je m’en rappelle, sont des locutions vicieuses, dit Laveaux (Dict. des Diff.); car elles signifient l’une et l’autre: je rappelle à moi de cela. Or, à moi et de cela sont deux régimes indirects, et c’est un principe consacré par l’usage, que l’on ne doit pas donner à un verbe actif deux régimes semblables. Pour s’exprimer correctement, il faut dire: je me rappelle, je me le rappelle. Alors le verbe rappeler se trouve accompagné du régime direct cela et du régime indirect à moi; ce qui est conforme aux règles de la syntaxe.»


RAPPORT.

Locut. vic.   Si j’ai fait cela, c’est rapport à vous.
Je ne dîne pas, par rapport que je suis malade.
 
Locut. corr.   Si j’ai fait cela, c’est à cause de vous.
Je ne dîne pas, parce que je suis malade.

On dit par rapport à: Il fait cela par rapport à vous; mais on ne peut dire ni rapport à, ni par rapport que.


RÉBARBARATIF.

Locut. vic. Voyez son air rébarbaratif.
Locut. corr. Voyez son air rébarbatif.

«Un homme rébarbatif est un homme qui a les manières dures et repoussantes, qui relance les autres en face et à leur barbe. Ce mot, très ancien, vient du verbe rebarber, employé par nos pères dans la signification de regarder en face, de disputer, contrarier. Le duc de Bretagne, s’adressant au capitaine du château de l’Hermine, qui parlait en faveur du connétable de Clisson, lui dit: Taisez-vous...; car si vous me rebarbez, je vous détruirai de fond et de racine.» (De Roquefort, Dictionnaire étymol. de la Langue fr.)

Ménage fait venir rébarbatif de rhubarbe.

Danet, dans son Dictionnaire, et La Fontaine, dans sa comédie du Florentin, ont accueilli rébarbaratif, mais il est bon d’observer que La Fontaine met cet incommensurable adjectif dans la bouche d’une suivante:

Chargement de la publicité...