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Dictionnaire critique et raisonné du langage vicieux ou réputé vicieux

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Il entre..... Ah! que sa barbe est rébarbarative!
(Scène 7.)

REBIFFADE.

Locut. vic. Ils ont essuyé une nouvelle rebiffade.
Locut. corr. Ils ont essuyé une nouvelle rebuffade.

N’y aurait-il point par hasard étroite parenté entre le substantif rebuffade et le verbe se rebiffer? Les gens qui sont sujets à se rebiffer sont ordinairement ceux qui font essuyer des rebuffades. Alors rebiffade serait le mot régulier.

Quoi qu’il en soit, tous les dictionnaires ne donnent que rebuffade.


REBOURS.

Locut. vic. Vous brossez ce drap à la rebours.
Locut. corr. Vous brossez ce drap à rebours.

«Rebours est un substantif qui signifie le contre-poil d’une étoffe: prendre le rebours d’une étoffe pour la mieux nettoyer, et plus ordinairement le contre-pied, le contre-sens, tout le contraire de ce qu’il faut. Les ministres, les hommes en place, sont souvent obligés de dire le rebours de ce qu’ils pensent. Il est familier.

«A rebours, au rebours, sont des manières de parler adverbiales, qui veulent dire à contre-sens: vergeter, épousseter un drap à rebours.—Les sorciers disent leurs prières à rebours.

«On dit aussi au rebours et à rebours du bon sens.

«Au rebours signifie encore au contraire. J. B. Rousseau l’a employé, en ce sens, dans son épigramme contre les journalistes de Trévoux.

Petits auteurs. . . . . . . . . . .
Vous vous tuez à chercher dans les nôtres (ouvrages)
De quoi blâmer, et l’y trouvez très bien;
Nous, au rebours, nous cherchons dans les vôtres
De quoi louer, et nous n’y trouvons rien.»
(Grammaire des Gramm.)

RECOMMENCE.

Locut. vic. J’ai vingt points de recommence.
Locut. corr. J’ai vingt points de recommencement.

Recommence est un mot fort usité par les joueurs, mais qui ne se trouve dans aucun dictionnaire.


RÉCOMPENSER.

Locut. vic. Ce jeune homme récompense bien le temps perdu.
Locut. corr. Ce jeune homme compense bien le temps perdu.

Récompenser le temps perdu est une locution très ridicule, quoique très usitée. Il faut dire compenser le temps perdu. On conçoit fort bien qu’un homme qui a passé ses jeunes années dans la paresse cherche à s’instruire dans son âge mûr, et travaille avec ardeur. Cet homme veut compenser le temps perdu; mais nous sommes bien certains qu’il ne songerait nullement à le récompenser, en supposant que cela fût possible.

Claude Binet (Vie de Ronsard) dit en parlant de ce poète: «En peu de temps il récompensa le temps perdu.» On trouve dans nos vieux auteurs d’autres exemples de cette bizarre locution.


RÉCURER, RÉCUREUR.

Locut. vic. C’est un récureur de puits.
Locut. corr. C’est un cureur de puits.

«On dit aussi écurer un puits; mais dans cette phrase curer vaut mieux.» (Dict. de l’Académie.)

L’Académie a conséquemment préféré l’expression cureur de puits.


RÉGAL.

Locut. vic. Servez-nous deux régaux.
Locut. corr. Servez-nous deux régals.

Un régal, en style de limonadier, est une demi-tasse de café, accompagnée d’un petit verre d’eau-de-vie. Régal dans cette acception, qui a été oubliée par les lexicographes les plus modernes, fait au pluriel régals, comme dans ses autres acceptions. «Ce sont des régals continuels.» (Dict. de l’Acad.)


REGITRE.

Orth. et Prononc. vic. Fermez ce regître.
Orth. et Prononc. corr. Fermez ce registre.

L’s de ce mot ne se prononçait pas du temps de Marot, ni même du temps de Ménage. L’usage, qui a changé depuis, s’est rapproché de l’étymologie, et il n’y a aujourd’hui que quelques vieilles gens qui disent regître et enregîtrer.

L’Académie dit, il est vrai, dans son Dictionnaire: «(Plusieurs prononcent et écrivent regître.)» Mais on ne peut réellement avoir égard à cette observation; car plusieurs doivent parler comme tout le monde, quand ils n’ont pas d’ailleurs de bonnes raisons à donner pour parler autrement.

De ses faits je tiens registre:
C’est un homme sans égal.
L’autre hiver, chez un ministre,
Il mena ma femme au bal.
(Béranger. Le Sénateur.)

RÉGLÉ, RAYÉ.

Locut. vic. Rayez les feuilles de ce registre.
Locut. corr. Réglez les feuilles de ce registre.

Rayer du papier, c’est faire sur ce papier des raies dans n’importe quel sens, et n’importe comment.

Régler du papier, c’est faire des raies avec une règle, pour les faire parallèles.

Un enfant, qui ne sait pas tenir une plume, s’amuse à rayer du papier; un bureaucrate qui a quelques instans de loisir, les emploie à régler ses registres. Une main novice peut rayer; une main exercée peut seule régler. Dites aussi la réglure de ce papier est mal faite, et non pas la rayure.


RÉGLISSE.

Locut. vic. Ce réglisse est très bon.
Locut. corr. Cette réglisse est très bonne.

Après avoir dit successivement riglisse et reclisse avec Marot:

L’esté luy donnois des raisins,
Du pain besneist, du pain d’espice,
Des eschauldez, de la réclisse, etc.
(Dialogue des deux Amoureux. édit. 1824.)

Ragalice et riglice avec Nicod, et réguelice avec Ménage, et après avoir long-temps flotté entre le masculin et le féminin, l’usage s’est enfin déclaré pour réglisse et pour le féminin.


REMARQUER.

Locut. vic. Je leur ai remarqué qu’ils avaient tort.
Locut. corr. Je leur ai fait remarquer qu’ils avaient tort.

«Remarquer, actif, n’a qu’un seul régime, l’accusatif. Quand on veut lui en donner un second, il faut se servir de faire remarquer. Je lui ai fait remarquer dans ces discours des défauts qu’il n’apercevait pas; et non pas, je lui ai remarqué, etc. M. Arnaud dit de Boileau, dans une de ses lettres, je lui remarquai que, etc.; et cela, à l’imitation des gens du barreau, qui disent dans leur factum: Je vous observerai, pour dire: Je vous ferai observer. Il faut dire: Je lui fis remarquer, etc.» (Féraud, Dict. crit.)


REMÉMORIER (SE).

Locut. vic. Je vais vous remémorier ce qui s’est passé.
Locut. corr. Je vais vous remémorer ce qui s’est passé.

On dit remémorier dans quelques patois de l’est; en bon français, on dit remémorer.


REMETTRE.

Locut. vic. Je ne vous remets pas, Madame.
Locut. corr. Je ne vous reconnais pas, Madame.

Me remettez-vous? pour dire: me reconnaissez-vous? vous souvenez-vous de moi? est, selon l’Académie, d’accord sur ce point avec nos meilleurs grammairiens, une phrase vicieuse. On se remet quelque chose, mais non quelqu’un: Ne vous remettez-vous point son visage? Je ne saurais me remettre son nom. Comme il y a ellipse dans ces phrases, c’est comme si l’on disait: Ne vous remettez-vous point (en mémoire) son visage? Je ne saurais me remettre (en mémoire) son nom. Mais dans ces autres phrases: me remettez-vous? le remettez-vous? la construction pleine serait: me remettez-vous en mémoire? le remettez-vous en mémoire? et comme il y aurait ici équivoque, il s’ensuit que l’on doit éviter ces manières de parler qu’il est si facile d’ailleurs de remplacer par des équivalens.

Quoi! monsieur ne me remet pas? (M. Scribe, le Gastronome, sc. 5.)

Il fallait: Quoi! monsieur ne me reconnaît pas?


RÉMOLADE.

Locut. vic. Mangez de cette rémolade.
Locut. corr. Mangez de cette rémoulade.

Une rémoulade est une espèce de sauce piquante, faite avec de la moutarde, de l’ail, des ciboules, et autres ingrédiens hachés si menu qu’ils paraissent avoir été moulus.

L’usage est d’accord avec cette étymologie, que nous trouvons dans M. de Roquefort (Dict. étym.); et l’Académie reconnaît aussi rémoulade, puisqu’elle l’a placé dans son Dictionnaire, non comme chef d’article, il est vrai, mais en seconde ligne. Comment se fait-il donc que plusieurs grammairiens aient préféré rémolade? Ne serait-ce point parce qu’il est plus étrange?


REMPLIR LE BUT.

Locut. vic. Cela ne remplit pas votre but.
Locut. corr. Cela n’atteint pas à votre but.

Un dévot qui passe toute sa vie dans le jeûne et la prière, se propose pour but le Paradis. En mourant il atteint à ce but tant désiré; mais il ne le remplit pas. Le Paradis doit être plus vaste que cela.


REMUÉ DE GERMAIN.

Locut. vic. Nous sommes cousins remués de germains.
Locut. corr. Nous sommes cousins issus de germains.

Ménage prétend que remué, dans la locution remué de germain, vient de remotatus, comme qui dirait: cousin éloigné. C’est possible, mais nous nous joignons à lui pour préférer issu de germain. L’autre expression nous paraît un peu trop pittoresque.


RENASQUER.

Locut. vic. Il a un peu renasqué, reniflé, avant de le faire.
Locut. corr. Il a un peu renâclé avant de le faire.

Nos Dictionnaires ont tort, selon nous, de nous donner les verbes renasquer, renifler et renâcler comme synonymes. Le premier, au sentiment de MM. Feydel et Boiste, est un barbarisme; le second signifie seulement: retirer, en respirant un peu fort, l’humeur ou l’air qui remplit les narines; et le troisième exprime l’action de faire certain bruit, en soufflant par le nez. «Renâcler» (en ce dernier sens, et non dans celui de notre phrase d’exemple) «ne se dit point des personnes: et l’animal qui renâcle, jette son souffle impétueusement par les naseaux; ce qui est le contraire de renifler. Un enfant mal élevé renifle et fait soulever le cœur; un jeune cheval, ombrageux ou caressant, renâcle et ne dégoûte point.» (Remarques sur le Dict. de l’Académie.)

«Mme de Sévigné s’est servi de renasquer dans une de ses lettres; mais le mot est en italique, apparemment par les soins de l’éditeur: Ma mère n’a pu s’empêcher de renasquer un peu contre le zèle indiscret qui avait causé ce transport.» (Féraud, Dict. crit.)


RENCONTRE.

Locut. vic. L’insulte qu’avait éprouvée mon ami occasionna une rencontre entre lui et l’étranger.
Locut. corr. L’insulte qu’avait éprouvée mon ami occasionna un duel entre lui et l’étranger.

Ou lit fort souvent dans les journaux: Il y a eu, hier matin, entre M.*** et M.***, une rencontre au bois de***. Or, que signifie cette phrase? Qu’il y a eu, entre ces messieurs, un duel, et un duel prémédité. L’emploi du mot rencontre en cette circonstance est donc tout-à-fait mauvais.

Lorsque, dans un combat singulier, c’est une convention mutuelle qui amène les champions sur le terrain, dites qu’il y a duel; si, au contraire, on ne se bat que par suite d’une collision fortuite, employez alors le mot rencontre. Pourquoi détruire la propriété des termes que la grammaire apporte tant de soins à fixer? pourquoi rendre synonymes des mots qui ont entre eux de très notables différences? Le combat de Laïus et d’Œdipe fut une rencontre; celui des Horaces et des Curiaces fut un duel.

M. Feydel (Rem. sur le Dict. de l’Acad.) a fait l’observation que ce mot devrait être masculin, par la raison qu’il l’était autrefois. Cette raison ne nous paraît pas concluante. Nous avons maintenant tant de mots qui ont changé de genre! Rencontre est d’ailleurs, depuis un siècle et demi, féminin dans le sens de duel, si l’on en croit du moins le P. Bouhours (Rem. sur la lang. fr.) «Tous les gens qui parlent bien disent maintenant une rencontre; ce n’est pas un duel, ce n’est qu’une rencontre. Le féminin a prévalu.» On peut voir par ce passage que le P. Bouhours établit aussi une différence de signification entre les mots duel et rencontre.


RENFORCIR.

Locut. vic. Ce cheval renforcit tous les jours.
Locut. corr. Ce cheval enforcit tous les jours.

«Les deux verbes renforcer et enforcir signifient l’un et l’autre rendre plus fort, devenir plus fort. La bonne nourriture a enforci ce cheval; on a renforcé l’armée. Comme on ne dit pas enforcer et renforcir, on ne doit pas dire non plus enforcé ni renforci. C’est donc parler mal de dire: Cet enfant est renforci, ces bas sont enforcés; au lieu de cet enfant est renforcé, ces bas sont renforcés ou enforcis. Enforcir, verbe actif, ne se dit point des personnes.» (Laveaux, Dictionnaire des diff.)

Renforcer est d’un usage beaucoup plus étendu qu’enforcir. Ce dernier verbe n’est même employé que dans fort peu de cas. On dit qu’on enforcit du vin, un mur; que la bonne nourriture a enforci un cheval, un âne, un chien, etc.; mais on ne peut pas dire qu’elle a enforci une personne.


RENTRER.

Locut. vic. Il faut rentrer cette couture.
Locut. corr. Il faut rentraire cette couture.

Rentraire, c’est coudre, joindre, raccommoder une étoffe, sans que la couture ou le travail paraisse. «Cela est si bien rentrait qu’on ne voit pas la rentraiture.» (Dict. de l’Acad.)


RENTRER.

Locut. vic. Cela me rentre à 80 francs.
Locut. corr. Cela me revient à 80 francs.

On trouve rentrer avec la signification de revenir, dans le Dictionnaire de l’Académie de 1802. Avant que de compter le profit, il faut que les frais rentrent, c’est-à-dire que l’argent avancé revienne. Remarquez bien que ce n’est pas le verbe revenir à (coûter) que l’on fait ici synonyme de rentrer. Il n’y a certainement pas un seul dictionnaire qui autorise cette synonymie, usitée dans le commerce, et non ailleurs.


RENVOI.

Locut. vic. Les raves causent des renvois.
Locut. corr. Les raves causent des rapports.

«Rapport se dit d’une vapeur incommode, désagréable, qui monte de l’estomac à la bouche.» (Dict. de l’Acad.)

Renvoi, dans ce sens-là, n’est pas français.


RÉPONDRE.

Locut. vic. Lettres à répondre. Lettres répondues.
Locut. corr. Réponses à faire. Réponses faites.

«Répondu, dans ces locutions, placet répondu, requête répondue, ne se dit qu’au palais, où l’on dit activement répondre une requête, un placet. Dans le Dictionnaire néologique, on critique un auteur pour avoir dit: Les difficultés y sont répondues avec force. Il faut se servir du neutre, et dire: On y répond avec force aux difficultés. Quelques-uns disent mal-à-propos, répondre une lettre; il faut dire, répondre à une lettre.

«Répondre ne régit point l’infinitif, la conjonction que et l’indicatif. Les filles, dit Regnard,

répondent souvent,
N’aimer d’autre parti que celui du couvent.

«Il faut dire, même en vers, répondent qu’elles n’aiment.»

(Féraud, Dict. crit.)


RÉPONSE.

Locut. vic. Aimez-vous la salade de réponses?
Locut. corr. Aimez-vous la salade de raiponces?

Raiponce vient de rapunculus, diminutif de rapuntium.


RÉSOUDRE.

Locut. vic. Cela ne résolvera pas la difficulté.
Locut. corr. Cela ne résoudra pas la difficulté.

Voici la conjugaison du verbe résoudre:

Je résous, tu résous, il résout, nous résolvons, vous résolvez, ils résolvent.—Je résolvais, nous résolvions, je résolus, nous résolûmes.—Je résoudrai, nous résoudrons.—Je résoudrais, nous résoudrions.—Résous, résolvons.—Que je résolve, que nous résolvions. Que je résolusse, que nous résolussions.—Résoudre, résolvant, résolu, résolue ou résous. (Pas de féminin pour ce dernier participe.)

«Dans le sens de décider, déterminer une chose, un cas douteux, on se sert du participe passé résolu, résolue; en parlant des choses qui se changent, qui se convertissent en d’autres, on se sert du participe passé résous. Ainsi, dans le premier sens, on dira: Ce jeune homme a résolu de changer de conduite; et dans le second, le soleil a résous le brouillard en pluie.» (Girault-Duvivier, Gramm. des gramm.)


RESPECT.

Locut. vic. Il a vomi, sous votre respect, sauf votre respect, tout ce qu’il avait mangé.
Locut. corr. Il a vomi tout ce qu’il avait mangé.

Ces expressions sont complètement abandonnées aujourd’hui par les gens qui se piquent de bien parler. «Les personnes polies disent le plus honnêtement qu’elles peuvent ce qu’elles ont à dire, sans recourir à cette sorte de civilité basse et populaire.» (Réflexions sur l’us. prés. de la L.) Ainsi pensait-on, il y a un siècle et demi, à l’égard de ces locutions; ainsi pense-t-on encore aujourd’hui. Laveaux, dans son édition du Dictionnaire de l’Académie, dit: «Ces façons de parler, sauf le respect que je dois, etc., ne sont plus employées aujourd’hui dans la bonne société, si ce n’est en plaisanterie.»


RESSEMBLER.

Locut. vic. Comme cet enfant ressemble son père!
Locut. corr. Comme cet enfant ressemble à son père!
Si tu crois ressembler un ange
Quand tu consultes ton miroir,
Va-t’en dans les îles du Gange
Où l’on peint les anges en noir.

Nous lisons dans Féraud: (Dict. crit.) «Anciennement on faisait ressembler actif. J’ai vu en mon temps, dit Montaigne, cent artisans, cent laboureurs plus heureux que des recteurs de l’Université, et lesquels j’aimerais mieux ressembler. On dirait aujourd’hui à qui, etc.»

Cette faute se trouve encore dans les vers suivans:

Quand je revis ce que j’ai tant aimé,
Peu s’en fallut que mon feu rallumé
Ne fît l’amour en mon âme renaître,
Et que mon cœur, autrefois son captif,
Ne ressemblât l’esclave fugitif
A qui le sort fait rencontrer son maître.

M. Boiste attribue à Racine, dans son Dictionnaire des difficultés de la Langue française, cette jolie stance que Vaugelas attribue de son côté à Jean Bertaut, ancien évêque de Séez. Ce qu’il y a de bien certain, c’est que nous l’avons copiée dans une édition de Vaugelas (487e rem.), faite en 1647, c’est-à-dire à une époque où notre grand poète tragique n’avait encore que huit ans. Racine a donc six jolis vers de moins; mais il a aussi un solécisme de moins. Prévention de grammairien à part, n’y a-t-il réellement pas compensation?


RESSORTIR.

Locut. vic. Cette affaire ressort du tribunal de commerce.
Locut. corr. Cette affaire ressortit au tribunal de commerce.

Il y a deux verbes ressortir, que nos dictionnaires comprennent sous le même article, et qui n’ont cependant rien de commun.

Ressortir, signifiant sortir de nouveau, se conjugue absolument comme sortir.

Ressortir, dans le sens de, être du ressort, de la dépendance de quelque juridiction, se conjugue comme finir. Je ressortis, tu ressortis, il ressortit, nous ressortissons, vous ressortissez, ils ressortissent; je ressortissais, etc.; je ressortis, etc.; j’ai ressorti, etc.; je ressortirai, etc.; je ressortirais, etc.; que je ressortisse, etc. (pour le présent et l’imparfait du subjonctif), ressortissant.

«Les justices royales des anciennes duchés-pairies ressortissent au Parlement nuement et sans moyen.» (Dict. de Trévoux.)

«Les causes des particuliers ressortissent au gouverneur de la province.» (Voltaire.)

«Les êtres ressortissent à l’homme.» (De Saint-Pierre.)

«Si un différend est porté à deux ou à plusieurs tribunaux, ressortissant au même tribunal, le réglement de juges sera porté à ce tribunal.» (Code de procéd. civ. Titre XIX, art. 363.)

«La Sénéchaussée ressort du Parlement. (Anon.) Il y a là deux fautes, dit Féraud; ressort pour ressortit, et du pour au: il faut ressortit au Parlement.» (Dict. crit.)


RESTAURAT.

Locut. vic. Nous dinâmes au restaurat.
Locut. corr. Nous dinâmes au restaurant.

Ce mot n’est pas français à Paris, mais il l’est toujours en province. Un nouvel arrivé dans la capitale s’informe d’un restaurat; on le mène au restaurant, où il dîne fort bien, absolument comme dans un restaurat. Cela n’empêche pas l’ingrat de demander le lendemain le chemin du restaurat.

Restaurat a été expulsé de nos dictionnaires, et, plaisanterie à part, on pourrait avoir quelque droit de s’en étonner, lorsqu’on y trouve le mot restaurateur, qui, dans son acception culinaire, vient évidemment de restaurat et non de restaurant. C’est encore là un des mille caprices de l’usage.


RESTER.

Locut. vic.   Vous êtes resté trois jours chez moi.
Nous l’avons quitté hier: il a resté à Lille.
 
Locut. corr.   Vous avez resté trois jours chez moi.
Nous l’avons quitté hier: il est resté à Lille.

Rester prend l’auxiliaire avoir quand il exprime une action, quand le sujet n’est plus au lieu dont on parle. Il a resté deux jours à Lyon. (Académie.) J’ai resté sept mois à Colmar sans sortir de ma chambre. (Voltaire.) Il prend l’auxiliaire être, quand il exprime l’état de séjour du sujet, quand le sujet est encore dans le lieu dont on parle. Je l’attendais à Paris, mais il est resté à Lyon. (Académie.)


RESTER.

Locut. vic.   Je reste dans la même maison que lui.
Tous mes amis sont restés à la campagne.
 
Locut. corr.   Je loge dans la même maison que lui.
Tous mes amis sont demeurés à la campagne.

Rester ne peut jamais s’employer pour loger, et loger ne doit pas s’employer indifféremment pour demeurer. «Demeurer se dit par rapport au lieu topographique où l’on habite, et loger par rapport à l’édifice où l’on se retire. On demeure à Paris, en province, à la ville, à la campagne. On loge au Louvre, chez soi, en hôtel garni.

«Quand les gens de distinction demeurent à Paris, ils logent dans des hôtels; et quand ils demeurent à la campagne, ils logent dans des châteaux.» (Girard, Synonymes.)

—«Les Normands ne se peuvent défaire de leur rester pour demeurer: Comme je resterai ici tout l’été, pour dire: je demeurerai» (Vaugelas, Rem. 139e.)

Rester n’est bon que quand il signifie être de reste; on dira fort bien en parlant d’un grand carnage: Il n’en resta pas même un seul pour en porter la nouvelle, c’est-à-dire, il n’y en eut pas même un seul de reste qui pût en porter la nouvelle; et c’est en ce sens que M. Fléchier se sert fort à propos de ce verbe, lorsqu’il dit, dans l’Histoire de Théodose: Ils chargèrent si bien ces barbares qu’il n’en resta qu’un petit nombre. Hors ces occasions, rester ne vaut rien; c’est à quoi peu de gens prennent garde, même parmi ceux qui parlent le mieux. Le nouveau traducteur d’Horace dit dans la onzième épître: «Aimez-vous mieux rester à Lébède que de vous exposer tout de nouveau à la fatigue des voyages de terre et de mer? Ne dirait-on pas que tout le monde va sortir de Lébède, et qu’il conseille à celui-ci de n’y pas demeurer seul et abandonné?» (Andry-de-Boisregard, Réflexions sur l’usage prés. de la Langue française.)


RÉSULTER.

«Résulter ne se dit qu’à l’infinitif et à la troisième personne des autres temps. L’Académie dit qu’il se conjugue avec le verbe avoir, et avec le verbe être. Qu’a-t-il résulté de là? qu’en est-il résulté? Mais elle ne dit pas dans quel cas l’on doit préférer l’un à l’autre.—Je pense qu’il faut employer l’auxiliaire avoir, quand il est question d’un résultat qui s’opère, qui commence, et dont on veut marquer le commencement: Vous avez été témoin de leurs différends, de leurs querelles, et vous avez vu ce qui en a résulté. Mais s’il s’agit d’un résultat déjà existant, et dont on ne veut exprimer que l’existence, il faut préférer l’auxiliaire être. Rappelez-vous nos querelles, nos dissensions, et voyez ce qui en est résulté.» (Laveaux, Dict. des diff.)


RETOURNER.

Locut. vic. Retournez-moi la caisse que je vous ai expédiée.
Locut. corr. Renvoyez-moi la caisse que je vous ai expédiée.

Retourner, employé activement et en parlant des choses, ne signifie que tourner dans un autre sens, mettre le dessus dessous. Avec la signification de renvoyer, c’est un barbarisme, beaucoup trop commun malheureusement, en style d’affaires.

Écrivez à quelqu’un de vous retourner quelque vêtement que vous lui aurez prêté, et si votre correspondant est un tailleur et un mauvais farceur, qui s’attache seulement à la lettre de votre demande, vous verrez votre vêtement vous revenir avec une apparence plus neuve, mais à coup sûr moins fine qu’auparavant. Un barbarisme peut, heureusement, entraîner quelquefois à sa suite des désagrémens. C’est, comme on le voit, le hasard qui s’est chargé d’attacher une pénalité aux lois de la grammaire.


RÉUNIR.

Locut. vic. Cette femme réunit la vertu à la beauté.
Locut. corr. Cette femme réunit la vertu et la beauté, ou bien, unit la vertu à la beauté.

«Ce verbe, signifiant posséder en même temps, ne veut point que la préposition à soit placée avant un de ses régimes; ainsi, ne dites pas: Caton réunissait la vaillance à la sagesse. Mais dites: Caton réunissait la vaillance et la sagesse.

«Si on voulait employer la préposition à, il faudrait se servir du verbe unir: Caton unissait la vaillance à la sagesse.

«D’après ce principe, on doit se garder d’imiter deux auteurs modernes qui ont dit:

«Cette jeune personne réunit les grâces à la beauté.Votre ami réunit la modestie au mérite.Turenne réunissait la prudence à la hardiesse. Il faut: Cette jeune personne réunit les grâces et la beauté, etc.; ou bien, cette jeune personne unit les grâces à la beauté, etc.» (Gramm. des gramm.)


REVENGE.

Locut. vic. Je prendrai ma revenge.
Locut. corr. Je prendrai ma revanche.

Revenge est anglais, mais il n’est pas français. Se revenger ne l’est pas non plus. Il faut dire se revancher; il est permis de se revancher quand on est attaqué. On disait autrefois se revenger.

Voyant à coups de bec sa femme l’outrager,
Voudrait bien, s’il pouvait, d’elle se revenger,
Mais il n’ose gronder ni dire une parolle
Qu’il n’ait tout aussi tost le retour de son rolle.
(Th. de Courval-Sonnet, Sat. sur les poignantes traverses du mariage.)

REVENIR.

Locut. vic. Cela me revient cher, à cher.
Locut. corr. Cela me coûte cher.

On dit fort bien: Cela me revient à vingt francs; mais on ne doit pas dire: Cela me revient à peu, à beaucoup, etc., parce que le verbe revenir à veut être suivi d’un nom de nombre, et non d’un adverbe.


RÊVER.

Locut. vic. J’ai rêvé à vous cette nuit.
Locut. corr. J’ai rêvé de vous cette nuit.

Rêver, signifiant faire des songes, est actif ou neutre. Comme verbe actif, il doit être suivi d’un régime direct: J’ai rêvé telle chose, j’ai rêvé cela; comme verbe neutre, il demande la préposition de: J’ai rêvé de choses effrayantes.

Rêver est plus généralement actif devant un substantif seul: rêver combats, rêver naufrages, quoique l’Académie permette de dire aussi rêver de combats, de naufrages. Devant un pronom personnel ou un substantif joint à un adjectif, c’est rêver de qu’il faut employer: J’ai rêvé de vous, de ces gens-là, de malheurs horribles.

Quand rêver signifie réfléchir, il doit toujours être suivi de la préposition à: J’ai rêvé à votre affaire.

«On rêve de quelqu’un, de quelque chose pendant le sommeil. On rêve à quelqu’un, à quelque chose tout éveillé.

«Rêver de quelqu’un nous donne le substantif rêve.

«Rêver à quelqu’un nous donne le substantif rêverie.

«Au lieu de la préposition à, on emploie la préposition sur, si la méditation est profonde: J’ai long-temps rêvé sur cette affaire.» (A. Boniface, Manuel des amateurs de la Langue fr.)


REVÊTIR.

Locut. vic. Cet homme est singulier, et revêtit souvent sa pensée d’expressions bizarres.
Locut. corr. Cet homme est singulier, et revêt souvent sa pensée d’expressions bizarres.

Revêtir se conjugue de la même manière que vêtir. Voici la conjugaison de ce dernier verbe. Je vêts, tu vêts, il vêt, nous vêtons, vous vêtez, ils vêtent.—Je vêtais.—Je vêtis.—Je vêtirai.—Je vêtirais.—Vêts, qu’il vête, vêtons, vêtez, qu’ils vêtent. Que je vête.—Que je vêtisse.—Vêtir, vêtant.

L’indicatif de ce verbe est un écueil que plusieurs écrivains célèbres n’ont pas su éviter.

De leurs molles toisons les brebis se vêtissent,
De leurs longs bêlements les plaines retentissent.
(Delille., Par. perdu. Liv. VII.)

«Dieu leur a refusé le cocotier qui ombrage, loge, vêtit, nourrit, abreuve les enfans de Brama». (Voltaire.)

«Le poil du chameau qui se renouvelle tous les ans par une mue complète, sert aux Arabes à faire des étoffes dont ils se vêtissent et se meublent.» (Buffon, le Chameau.)

L’édition de Buffon de M. Pillot (Paris, 1830) donne: s’habillent au lieu de se vêtissent.

Dévêtir se conjugue aussi comme vêtir.


REVOIR (A).

Locut. vic. A revoir, mes amis.
Locut. corr. Au revoir, mes amis.

Revoir est ici un verbe employé substantivement. On dit au revoir, par ellipse, pour au (plaisir de vous) revoir.

Suffit. Adieu, Muses; jusqu’au revoir.
(J.-B. Rousseau., Ép. 1. Liv. 1.)
Jusqu’au revoir. Songez qu’une naissance illustre
Des sentimens du cœur reçoit son plus beau lustre.
(Destouches. Le Glorieux. Act. I. sc. IX.)

RHUM.

Orth. vic. Du Rhum de la Jamaïque.
Orth. corr. Du Rum de la Jamaïque.

Il y a fort peu de personnes qui écrivent bien ce mot. Vainement le Dictionnaire de l’Académie, et presque tous les autres dictionnaires écrivent-ils rum, l’usage s’obstine à conserver la lettre h dans l’orthographe de ce mot. Nous ne demanderons pas à l’usage sur quoi il se fonde pour écrire ainsi; car c’est un despote qui ne reconnaît d’autre loi que son caprice. Toujours est-il vrai qu’on écrit rum depuis fort long-temps: Trévoux en fait foi. Ce Dictionnaire cite à ce sujet un passage de Lémery, où l’étymologie de ce nom de liqueur est prise dans le langage barbare, par quoi il faut entendre nécessairement le langage des colonies occidentales. Les Anglais et les Espagnols ont toujours écrit, les uns rum et les autres ron. Nous pensons qu’on ferait bien d’écrire rum au lieu de rhum, orthographe que rien ne justifie.

Ou prononce rome et non roume, comme l’a prétendu M. Girault-Duvivier dans sa Grammaire des grammaires (première édition).


RIDICULARISER.

Locut. vic. On a ridicularisé cet homme-là.
Locut. corr. On a ridiculisé cet homme-là.

Ridiculariser est un barbarisme.


RIEN MOINS.

Locut. vic. Cette fille n’est rien moins que belle.
Locut. corr. Cette fille n’est point belle.

«Rien moins a quelquefois deux acceptions opposées. Avec le verbe substantif (être), rien moins signifie le contraire de l’adjectif qui le suit. Il n’est rien moins que sage, veut dire, il n’est point sage. Mais, quand rien moins est suivi d’un substantif, il peut avoir le sens positif ou négatif selon la circonstance. Vous lui devez du respect; car il n’est rien moins que votre père, c’est-à-dire, il est votre père. Vous pouvez vous dispenser du respect à son égard; car il n’est rien moins que votre père, c’est-à-dire, il n’est pas votre père. Rien moins, employé impersonnellement, a aussi un sens négatif. Il n’y a rien de moins vrai que cette nouvelle, veut dire, cette nouvelle n’est pas vraie. Mais, avec un verbe actif ou neutre, le sens serait équivoque, s’il n’était déterminé par ce qui précède. Exemple: Vous le croyez votre concurrent, il a d’autres vues; il ne désire rien moins que vous supplanter, c’est-à-dire qu’il n’est point votre concurrent. Vous ne le regardez pas comme votre concurrent; cependant il ne désire rien moins que vous supplanter, c’est-à-dire qu’il est votre concurrent. Au reste, il est bon d’éviter cette façon de parler, à cause de l’équivoque qu’elle entraîne.» (Dict. de l’Académie.)

Arrière ceux dont la bouche,
Souffle le chaud et le froid!

RINCER.

Locut. vic. Allez rincer ce linge.
Locut. corr. Allez aiguayer ce linge.

«Rincer. Du bruit des doigts contre l’intérieur d’un verre que l’on rince.» (M. Ch. Nodier, Dict. des Onomatopées.) «Rincer ne se dit que des verres, tasses, cruches et autres vases semblables, et de la bouche qu’on lave.» (Féraud, Dict. crit.)


ROIDE, ROIDEUR, ROIDILLON, ROIDIR.

Orth. et Prononc. vic. Roide, roideur, roidillon, roidir.
Orth. et Prononc. corr. Raide, raideur, raidillon, raidir.

Rien, selon nous, n’est plus ridicule que de donner à des règles des exceptions que rien ne justifie, et qui souvent même blessent les lois de l’étymologie ou de l’analogie. Nous concevons très bien que plusieurs grammairiens, au nombre desquels se trouve M. Ch. Nodier, demandent que l’on écrive roide, roideur, etc., et que l’on prononce roade, roadeur, etc. C’est là une conséquence toute naturelle de leur désir de rétablir la prononciation française de la diphtongue oi, telle qu’elle était au commencement du seizième siècle, avant que Catherine de Médicis et sa suite eussent, selon l’expression d’Henri Etienne, italianisé notre langue. Mais que l’on vienne nous dire, comme M. Laveaux, qu’il faut donner à deux de ces mots, roideur et roidillon, le son d’oa et prononcer roadeur, roadillon, et à deux autres, roide et roidir, le son d’ai, et prononcer raide et raidir, quand ces quatre mots ont évidemment une étymologie commune; voilà ce que nous avons peine à concevoir de la part d’un écrivain qui sait raisonner. Quant à nous, nous pensons qu’il faut aujourd’hui se résigner à prononcer et à écrire raide, raideur, etc., malgré ce que peut avoir de pénible pour notre orgueil national une prononciation qui nous a été imposée par l’étranger, mais qui est maintenant définitivement établie, et qu’il serait par conséquent impossible de changer.


ROT, ROTI.

Locut. vic.   De quels plats se compose le rôti du dîner?
Voulez-vous un morceau de ce rôt?
 
Locut. corr.   De quels plats se compose le rôt du dîner?
Voulez-vous un morceau de ce rôti?

«Le rôt est le service des mets rôtis; le rôti est la viande rôtie.

«Les viandes de boucherie, la volaille, le gibier, etc., cuits à la broche, sont du rôti: les différens plats de cette espèce composent le rôt; les grosses pièces, le gros rôt, et les petites, le menu rôt. On sert le rôt, et vous mangez du rôti. Le rôt est servi après les entrées: le rôti est autrement préparé que le bouilli. Il y a un rôt en maigre comme en gras; mais la viande rôtie est seule du rôti.

«Nos bons aïeux ne connaissaient guère que le pot et le rôt, ou les deux services du bouilli et du rôti; ainsi l’on disait, et nous le répétons encore: Tel homme est à pot et à rôt dans telle maison, quand il y est très familier. Jusque dans le sixième siècle, on ne vit en viande sur les tables, et même aux repas d’appareil, que du bouilli et du rôti, avec quelques sauces à part; le gibier fut long-temps réservé pour les grands jours. La magnificence des festins consistait surtout dans la somptuosité du rôt, comme aujourd’hui aux noces de village: on y servait des sangliers et des bœufs entiers, et remplis d’autres animaux.

«Aujourd’hui la cuisine française, la plus habile, la plus agaçante, la plus mortelle de l’Europe, a trouvé l’art de nous faire simplement dîner avec les entrées. Le service du rôt est presque entièrement retranché: dans les repas ordinaires, il y a seulement quelques plats de rôti mêlés avec l’entremets.» (Roubaud, Synonymes.)


ROT-DE-BIF.

Locut. vic. Mangez un peu de ce rôt-de-bif de chevreuil.
Locut. corr. Mangez un peu de ce rôti de chevreuil.

«Le secrétaire de l’Académie française s’est grandement trompé s’il a cru enrichir notre langue en insérant dans son Dictionnaire rôt-de-bif. Cette expression n’est d’aucun idiôme. Le roi Jacques, à Saint-Germain, mangeait des tranches de bœuf rôties; ce que les Anglais écrivent roast beef, nomment roze bif, et, quand ils veulent parler français, rote bif; quelque cuisinier aura qualifié rote bif un morceau de mouton ou de chevreuil, servi à Versailles ou à Chantilly. La nouvelle expression de cuisine aura été répétée à table, à cause du ridicule qui la distinguait. Mais, comme ces sortes de plaisanteries ont d’ordinaire peu de durée, quelque générales qu’elles soient d’abord, rôtebif dit rôdebif s’est introduit sérieusement, et avec tous ses régimes, dans l’Académie française.» (Feydel, Remarques sur le Dictionnaire de l’Académie.)


ROULEAU.

Locut. vic. Je suis au bout de mon rouleau.
Locut. corr. Je suis au bout de mon rôlet.

Un homme qui ne sait plus que dire ni que faire est au bout de son rôlet, c’est-à-dire du petit rôle qu’il avait appris; rouleau ne signifierait rien ici.

C’est encore un renard qui fournit le sujet
Du récit que je vais vous faire:
Sans le renard, on ne conterait guère,
Et j’eusse été vingt fois au bout de mon rôlet.
(Vitallis. Fab. 25, liv. II.)

ROULER.

Si l’on en croit Féraud, rouler carrosse est un gasconisme. Nous croyons que ce grammairien se montre ici un peu trop scrupuleux. Quant à cette autre locution, traîner carrosse, qu’il dit être en usage dans la province, nous ne croyons pas qu’elle y soit même fort usitée par les gens qui raisonnent, et qui précisément parce qu’ils raisonnent ne doivent pas chercher à s’assimiler à des chevaux. Voici une anecdote qu’il raconte à ce sujet: «Tu me manques de respect, disait un gros richard à une harengère, sais-tu que je traîne carrosse?—Eh! monsieur, lui répondit-elle, où trouverait-on à vous aparier?»


RUELLE.

Locut. vic. J’ai acheté de la ruelle de veau.
Locut. corr. J’ai acheté de la rouelle de veau.

Une ruelle est une petite rue.

Une rouelle est une tranche ronde en forme de petite roue, coupée dans un saucisson, dans une orange, dans une pomme, etc. Une rouelle de veau est aussi une tranche circulaire, prise dans la cuisse d’un veau.


SABLEUX.

Locut. vic.   Cette farine est sablonneuse.
Comme cette terre est sableuse.
 
Locut. corr.   Cette farine est sableuse.
Comme cette terre est sablonneuse.

Ce qui est sableux contient un peu de sable.

Ce qui est sablonneux contient beaucoup de sable.

On dit de la farine, de la cassonnade sableuse, et une terre, un pays, un rivage sablonneux.


SABLIÈRE.

Locut. vic. Mettez de la poudre dans ma sablière.
Locut. corr. Mettez de la poudre dans mon sablier.

Une sablière est un lieu d’où l’on tire du sable.

Un sablier est un petit vaisseau contenant du sable pour sécher l’écriture.

Un sablier est encore une horloge de verre qui mesure le temps par le sable qu’on y renferme. L’Académie dit que le mot sable est plus usité en ce sens que le mot sablier: Ce sable n’est pas juste. Nous la croyons dans l’erreur.


SACHE, SACHONS.

Locut. vic. Je ne sache pas qu’il soit arrivé.
Locut. corr. Il n’est pas arrivé, que je sache.

Rien n’est plus irrégulier et plus ridicule que ce subjonctif: je ne sache pas, nous ne sachons pas, au commencement d’une phrase, quand rien ne le demande là, quand tout s’oppose à ce qu’il y soit, et qu’il est d’ailleurs si facile de le mettre à une place plus convenable, sans changer en aucune façon la valeur de la phrase. Un de nos bons grammairiens modernes a écrit: «On dit aussi: Je ne sais pas qu’il vient tous les jours, dans le sens de: je suis censé ne pas savoir, ou l’on a voulu me laisser ignorer, on ne m’a pas dit, etc.; mais si l’on veut exprimer une véritable ignorance, on dira: Je ne sache pas qu’il vienne, etc.»

Nous sommes tout-à-fait de l’avis de ce grammairien; quand on voudra faire preuve d’une véritable ignorance on dira: nous ne sachons pas.

«Nous ne sachons pas,» a dit le ministère public dans un procès récent, «que les individus dont on parle aient été tués par le roi.» (Gaz. des Trib. du 26 fév. 1835.)

Nous, espèce de ministère public de la grammaire, nous inculpons de barbarisme M. l’avocat du roi, et requérons contre lui la peine de droit: un peu de ridicule.


S’AGIR.

Locut. vic. Je ne crois pas qu’il ait s’agi de le faire.
Locut. corr. Je ne crois pas qu’il se soit agi de le faire.

S’agir se conjugue, dans tous ses temps composés, avec être, et non avec avoir, et le pronom personnel se doit toujours être placé devant le verbe auxiliaire. Il s’est agi, il se sera agi, il se serait agi, il se fût agi, qu’il se soit agi, qu’il se fût agi.

Le Ministre de la guerre (à la tribune). «Le ministre ne peut, de son propre mouvement, former ou dissoudre une armée; l’armée est constituée par ordonnance du roi. Lorsqu’il a s’agi de former l’armée du Nord.....» (Rires aux extrémités.)

Une voix du centre. «Il n’y a pas là de quoi rire; on voit bien que M. le ministre veut dire: lorsqu’il s’est agi

Le ministre. «Dans ce cas, c’est le gouvernement qui est intervenu; de même lorsqu’il a s’agi...» (Nouveaux rires.)

Une voix à droite. «Ces explications ne sont point d’un bon français.» (Séance de la Ch. des Dép. du 25 fév. 1834. Courrier Français du 26 fév. 1834.)


SAIGNER.

Locut. vic. Quoi! pour une chiquenaude, vous saignez du nez, ou au nez!
Locut. corr. Quoi! pour une chiquenaude, vous saignez par le nez!

MM. Noël et Chapsal disent, dans leur grammaire (21e édit.), que saigner au nez n’est pas français, et qu’on doit employer saigner du nez au propre comme au figuré.

Voici ce qu’on lit, à ce sujet, dans l’Examen critique des Dict. de la langue française, par M. Ch. Nodier:

«Saigner du nez signifie manquer de courage, de résolution.

«Saigner au nez se dit d’une blessure extérieure.

«Saigner par le nez d’une hémorrhagie, et ce serait mal parler que de s’exprimer autrement.»

On peut choisir entre ces deux opinions; quant à nous, nous pensons que M. Ch. Nodier est le seul grammairien qui se soit donné la peine d’examiner la question, et nous adoptons entièrement son sentiment.


SALADIER.

Locut. vic. Avez-vous bien secoué cette salade dans le saladier?
Locut. corr. Avez-vous bien secoué cette salade dans le panier-à-salade?

Nous ne saurions admettre, comme MM. Laveaux et Boiste, qu’on puisse employer le mot saladier pour signifier tour à tour un plat ou un panier, et nous croyons agir sensément en ne conservant à ce mot que la première des deux acceptions qu’on lui donne, et en transportant la seconde au mot panier-à-salade, qui est déjà d’un usage assez général et assez ancien, quoique les dictionnaires paraissent l’ignorer.


SANGUINAIRE, SANGUINOLENT.

Prononc. vic. Sangu-inaire, sangu-ignolent.
Prononc. corr. Sanghinaire, sanghinolent.

SAP.

Locut. vic. Faites cela en bois de sap.
Locut. corr. Faites cela en bois de sapin.

Sap est un archaïsme que font généralement les ouvriers de Paris.

Si tient une lance de sap.
(Roman de Perceval.)

Sap n’est plus français.


SATIRE, SATYRE.

Orth. vic.   Il est laid comme un satire.
Abandonnez le genre de la satyre.
 
Orth. corr.   Il est laid comme un satyre.
Abandonnez le genre de la satire.

Un satyre est un demi-dieu de la fable.

Une satire est un ouvrage de littérature.

Une satyre est aussi, selon l’Académie, «certain poëme mordant, espèce de pastorale ainsi nommée, parce que les satyres en étaient les principaux personnages. Ce poëme n’avait point de ressemblance avec celui que nous appelons satire, d’après les Romains. Les satyres grecques étaient des farces, ou des parodies de pièces sérieuses.»


SATISFESANT.

Orth. et pronon. vic. Cette raison est satisfesante.
Orth. et pronon. corr. Cette raison est satisfaisante.

L’Académie, Laveaux et Boiste écrivent satisfaisant.


SAUVAGE.

Locut. vic. Cette chair sent le sauvage, le sauvageon.
Locut. corr. Cette chair sent le sauvagin, la sauvagine.

Sauvagin se dit de certain goût, de certaine odeur de quelques oiseaux de mer, d’étang, de marais.

Sauvagine se dit collectivement pour signifier ces sortes d’oiseaux. Ce pays est plein de sauvagine, et aussi en parlant de l’odeur de ces oiseaux: Cela sent la sauvagine.

Un sauvageon est un jeune arbre venu sans culture.


SAVOIR (FAIRE A).

Locut. vic. Faites à savoir qu’il est arrivé.
Locut. corr. Faites savoir qu’il est arrivé.

M. Marle (Précis d’Orthologie) blâme avec raison la formule: on fait à savoir que, employée, dit-il, dans les petites villes, et surtout dans les villages, au commencement des publications faites au nom du maire, et ce grammairien désirerait que le fonctionnaire public ne laissât pas écorcher ainsi la langue en son nom. Mais M. Marle aurait-il donc oublié que l’Académie autorise cette façon de parler? Que répondrait-il à un maire qui lui montrerait, pour se disculper, le texte du Dictionnaire sacré? M. Marle trouverait sans doute d’excellentes raisons pour soutenir son opinion, mais M. Marle ne convaincrait probablement pas son adversaire, que nous supposerons pour cela ne pas être grammairien; par la raison que, pour tout homme qui n’est pas un peu grammairien, l’Académie est une autorité irréfragable. Aussi l’Académie a-t-elle de bien grands torts quand elle se trompe.

M. Feydel (Rem. sur le Dict. de l’Acad.) prétend qu’on doit dire: faire assavoir. C’est, dit-il, une expression de chancellerie municipale, expression composée seulement de deux verbes, dont le second, qui devrait se trouver dans le dictionnaire, sous la lettrine ass, est assavoir, et non: savoir.—Nous pensons que le verbe assavoir étant aujourd’hui tombé en désuétude, puisque aucun dictionnaire ne le donne, il vaut beaucoup mieux dire: faire savoir, que faire assavoir, qu’on écrirait toujours comme l’Académie, c’est-à-dire sous la forme d’un barbarisme, malgré l’excellente remarque de M. Feydel.


SAVOYARD.

Locut. vic.   Allez, vous n’êtes qu’un savoyard.
Un de mes amis, un avocat savoisien.
 
Locut. corr.   Allez, vous n’êtes qu’un brutal.
Un de mes amis, un avocat savoyard.

Les gens mal élevés disent froidement des injures; les gens bien élevés en disent aussi, malheureusement, mais quand ils sont en colère, et les uns et les autres sont peut-être excusables jusqu’à un certain point, à cause de leur manque, soit d’éducation, soit de raison. Mais que dire d’un lexicographe qui imprime, lui, homme instruit et calme, ou qui doit l’être du moins, qu’un savoyard est un terme de mépris qui signifie homme sale, grossier, brutal. En vain ce lexicographe objectera-t-il que son devoir est d’enregistrer tous les mots qui ont cours dans la langue, nous lui répondrons que son devoir est aussi de passer sous silence les mots qui peuvent porter atteinte à la décence ou à la morale, à moins qu’il ne se propose pour modèle le dictionnaire français-espagnol de Sobrino, le dictionnaire le plus impudique qu’on ait jamais fait. Que résulterait-il, après tout, de ce silence? Que celui qui ne voudrait employer ce mot qu’après l’avoir trouvé dans le dictionnaire ne l’emploierait pas du tout. Où serait donc le mal?

Si nous repoussons le mot Savoisien, qu’on veut substituer à Savoyard, comme gentilé de la Savoie, c’est parce qu’il est trop peu usité; que son adoption nous paraîtrait la consécration définive de l’injure sottement faite au gentilé savoyard; qu’il est irrégulièrement formé, et qu’il ne peut se dire correctement que d’un habitant du village de Savoisy, dans la Côte-d’Or. Quand Rousseau écrivait: Ces pauvres Savoyards sont si bonnes gens! (Confess., liv. 6.) il n’avait certainement pas l’intention de leur faire une insulte, et cependant la subtile distinction établie entre savoyard et savoisien existait à cette époque depuis long-temps.

«J’ai vu une grande dispute à Grenoble, dit L. A. Allemand (Nouv. rem. de Vaugelas, 1690, p. 468.) pour savoir si l’on devait appeler les peuples de Savoie Savoyards on Savoisiens, jusques-là même qu’on faillit à en venir aux mains. Les Savoisiens qui étaient venus d’Annecy et de Chambéry à Grenoble, pour y tirer un prix général de l’arquebuse, prétendaient que les Lyonnais qui y étaient aussi, les avaient offensés en les appelant Savoyards. Ils disaient que ce mot de savoyard n’avait été destiné par notre usage qu’à signifier ces misérables ramoneurs de cheminées, et qu’ainsi c’était un terme de mépris, et qu’il fallait appeler les peuples de Savoie des Savoisiens. En sorte qu’il fut résolu, dans une assemblée de plus de trois mille hommes, tous armés, qu’on ne les appellerait plus Savoyards, mais Savoisiens. Cependant, dit notre auteur en terminant, comme on ne connaît presque pas ce mot à Paris, je ne voudrais pas condamner ceux qui disent savoyard en toutes manières, puisque un grand nombre de bons auteurs ne parlent pas autrement.»

C’est sans doute par distraction que M. Thiers a employé le mot savoisien dans le passage suivant: «Il forma aussitôt une assemblée de Savoisiens, pour y faire délibérer sur une question qui ne pouvait pas être douteuse, celle de la réunion à la France.» (Hist. de la Rév., t. 3, p. 200.) Il est impossible que ce soit avec réflexion qu’un académicien ait employé cette mauvaise expression.


SIAU.

Prononc. vic. Il pleut à siaux.
Prononc. corr. Il pleut à seaux.

Il y a des personnes qui prononcent séo; ces personnes là se trompent comme celles qui prononcent siaux. C’est so qu’il faut dire.


SEMBLER.

Locut. vic. En vérité, vous semblez un pacha.
Locut. corr. En vérité, vous semblez être un pacha.
Semblait un roi puissant de son peuple adoré.
(Voltaire, Henriade.)

M. Ch. Nodier signale ce vers comme défectueux. On ne semble pas un roi, dit-il; c’est une locution parisienne. Il fallait: semblait être un roi.

Nous pensons aussi qu’on ne doit jamais placer ce verbe devant un substantif. Il paraît au reste que cette manière de parler est très ancienne, car on trouve dans un poète du treizième siècle, nommé Herbers, les vers suivans:

Femme semble ung cochet à vent
Qui se change et mue souvent.

SEMESTRE.

Locut. vic. J’obtiendrai, je crois, un semestre de deux mois.
Locut. corr. J’obtiendrai, je crois, un congé de deux mois.

Un semestre est un espace de six mois consécutifs. Avec un mois de plus ou de moins, ce n’est plus un semestre.

Prononcez semestre, et non sémestre.


SEMOUILLE.

Locut. vic. Aimez-vous la semouille?
Locut. corr. Aimez-vous la semoule?

«Semoule. Pâte faite avec la farine la plus fine, réduite en petits grains.» (Dict. de l’Acad.)

«On peut réduire de petits grains en farine; on ne peut réduire de la farine en petits grains.» (Feydel, Rem. sur le Dict. de l’Acad.)


SENS-FROID.

Orth. vic. Il a vu cela de sens-froid.
Orth. corr. Il a vu cela de sang-froid.

«C’est le sentiment de M. Ménage et celui de presque tout le monde, qu’il faut dire de sang-froid, à l’imitation des Italiens qui disent: Di sangre freddo; l’amazzò di sangre freddo. Quelques écrivains néanmoins disent de sens-froid, et entre autres l’auteur des Entretiens sur la pluralité des Mondes (Fontenelle): on a été réduit à dire que les dieux étaient pleins de nectar lorsqu’ils firent les hommes, et que quand ils vinrent à regarder leur ouvrage de sens-froid, ils ne purent s’empêcher de rire.» (Andry de Boisreg. Réfl. sur l’us. prés. de la langue fr.)


SENTINELLE.

L’abbé Prévost (Hist. d’Angl.), Voltaire, Delille, Fontanes, ont fait le mot sentinelle masculin; nous nous plaisons à croire qu’un temps viendra où ce mot, dont l’application est si exclusivement masculine, reprendra son genre naturel. Un nom de soldat du genre féminin! Cela n’a-t-il pas l’air, en vérité, d’une ironie, surtout quand on sait que ce mot nous vient de l’italien, et qu’il s’est primitivement dit des soldats du pape!


SEPTANTE.

«Septante n’est français qu’en un certain lieu où il est consacré, qui est quand on dit la traduction des septante, ou les septante interprètes, ou simplement les septante, qui n’est qu’une même chose. Hors de là, il faut toujours dire soixante-dix, tout de même que l’on dit quatre-vingts et non pas octante, et quatre-vingt-dix et non pas nonante.» (Vaugelas, Remarque 400e.)

Il est à regretter que Vaugelas n’ait pas été un grammairien plus philosophe, et qu’il ait eu tant de déférence pour l’usage de la cour; car, avec l’influence que lui donnaient et sa position dans le monde et l’estime dont il jouissait près des écrivains de son temps, rien ne lui eût été plus facile que de faire la fortune de ces trois mots: septante, octante et nonante, qui certainement méritaient d’être bien accueillis, et qui devraient bien remplacer ces vilains mots de soixante-dix, quatre-vingts et quatre-vingt-dix, que repousse leur manque d’analogie avec nos autres noms de nombre. Il ne fallait de la part de Vaugelas que savoir dominer le sot usage de la cour au lieu de lui obéir servilement; mais Vaugelas était trop courtisan pour cela. C’eût été une chose bien étonnante qu’au bout de deux cents ans, ces trois mots présentés par un patron puissant n’eussent pu parvenir à se faire accorder le droit de cité!

Voici ce que dit M. Ch. Nodier sur ce sujet: «Il ne s’agit pas ici d’attenter à la langue de Racine et de Fénelon (en substituant septante, etc., à soixante-dix, etc.), il s’agit de donner à la langue numérique une précision essentielle, indispensable, et de faire prévaloir le bon sens contre une tradition gothique.» (Examen critique des Dict.)


SERBACANE.

Locut. vic. Il a perdu sa serbacane.
Locut. corr. Il a perdu sa sarbacane.

Ménage trouve sarbacane plus conforme à l’étymologie.


SERVIR.

Locut. vic. Eh bien! je servirai soldat.
Locut. corr. Eh bien! je servirai comme soldat.

«Voltaire a dit: Servir simple cavalier, simple soldat. Il vint d’abord servir simple cavalier.

Avec honneur je servirai soldat.
(Voltaire, Enfant prodigue.)

«Ces sortes d’expressions sont peu usitées. On dit ordinairement servir comme soldat, servir en qualité de soldat.» (Laveaux, Dict. des diff.)


SERVIR A RIEN, SERVIR DE RIEN.

Locut. vic.   Je ne sors jamais à cheval, ni en voiture, un cheval ne me servirait à rien.
Vous êtes aveugle; des lunettes ne vous serviraient de rien.
 
Locut. corr.   Je ne sors jamais à cheval, ni en voiture; un cheval ne me servirait de rien.
Vous êtes aveugle; des lunettes ne vous serviraient à rien.

«Une chose ne sert de rien lorsque, pouvant être ordinairement employée de diverses manières, on ne peut en tirer ou l’on n’en tire aucune espèce de service, soit parce qu’elle est hors d’état d’être mise en usage, soit parce qu’on néglige de l’y mettre. Ce domestique est infirme, il ne me sert plus de rien.

«Une chose ne sert à rien lorsqu’elle n’est pas employée selon sa destination, lorsqu’elle ne concourt pas à un effet auquel elle devrait concourir. On dira donc: Vous ne montez jamais votre montre; elle ne vous sert à rien; quatre roues servent à faire rouler un carrosse; mais une cinquième ne sert à rien.» (Laveaux, Dict. des diff.)


SHALL.

Orth. vic. Voici un beau shall ou schall.
Orth. corr. Voici un beau châle.

La dernière orthographe doit être préférée par la double raison que ce mot acquiert par là une physionomie toute française, et qu’il devient beaucoup plus facile à écrire et à prononcer. Plus l’orthographe d’un mot se rapproche du génie de notre langue, plus nous devons être portés à la préférer. Que la raison de l’étymologie, excellente sans doute, cède donc ici à la raison plus puissante d’une orthographe facile. Ne faisons pas comme les Anglais qui, par l’admission dans leur langue d’une foule de mots étrangers, avec leur orthographe étrangère, tels que issue, rendez-vous, seraglio, vista, tornado, privado, etc., en ont fait un véritable habit d’arlequin, composé de pièces de toutes couleurs. Presque tous nos dictionnaires ont adopté l’orthographe châle; mais tous n’ont pas repoussé l’orthographe schall.


SI, AUSSI, TANT, AUTANT.

Locut. vic.   Il n’est pas si savant que vous.
Il a aussi soif que vous.
Il a aussi marché que vous.
En voilà autant comme il en faut.
 
Locut. corr.   Il n’est pas aussi savant que vous.
Il a autant de soif que vous.
Il a autant marché que vous.
En voilà autant qu’il en faut.

Quelques grammairiens prétendent qu’on ne doit employer aussi et autant que dans les phrases affirmatives, et que, dans les phrases négatives et interrogatives, on ne doit faire usage que des adverbes si et tant.

Le P. Bouhours blâme cette phrase: Il n’est pas si faible que vous. «Il faut, dit-il, aussi faible, etc., ce parce qu’il y a comparaison. On met si quand on ne compare pas.

«Je crois, comme le P. Bouhours, ajoute Féraud, qu’aussi vaudrait mieux dans cette phrase, comme autant vaut mieux que tant, lorsqu’il y a comparaison.» (Dict. crit.)

M. Chapsal (Dict. gramm.) pense qu’on peut tout aussi bien dire: La violette n’est pas aussi belle que la rose, il n’est pas autant aimé que vous l’êtes, ou la violette n’est pas si belle que la rose, il n’est pas tant aimé que vous l’êtes. Nous n’approuvons pas cette tolérance, parce qu’il nous paraît nécessaire de déterminer d’une manière claire et précise la différence qui existe nécessairement entre deux synonymes, et nous adoptons entièrement le sentiment de Bouhours et de Féraud.

Aussi se joint aux adjectifs et aux adverbes, autant aux substantifs et aux participes.

Autant comme s’est dit autrefois:

Qu’il évite l’amour autant comme les flammes.
(Passerat.)

Cela ne se dit plus.


SI.... QUE.

Locut. vic. Donnez-m’en un, si petit qu’il soit.
Locut. corr. Donnez-m’en un, quelque petit qu’il soit.

«Quelques auteurs se sont servis de si, suivi de que, dans le sens de quelque... que. Aucune âme, si parfaite qu’elle soit, n’a jamais ici-bas une contemplation perpétuelle (Fénelon). Si divisée qu’elle pût être, etc. (Pluche). Il me semble que ce tour vieillit, que du moins il n’est que du style familier, et que quelque... que est plus sûr et plus autorisé. Anciennement on mettait si à la place de quelque, mais sans que, et l’on plaçait le pronom nominatif après le verbe. En toute chose, si difficile fût-elle, pour quelque difficile qu’elle fût.» (Féraud, Dict. crit.)


SIROTEUSE.

Locut. vic. Cette liqueur est trop siroteuse.
Locut. corr. Cette liqueur est trop sirupeuse.

Siroteux est un barbarisme; on doit dire sirupeux. Le p étymologique (syrupus) se trouve, comme on le voit, conservé dans cet adjectif.


SIXAIN.

Prononc. vic. Un sicsain.
Prononc. corr. Un sizain.

«X, au milieu du mot sixain, représente le signe Z.» (M. Ch. Nodier, Notions de linguistique.)


SOI.

Locut. vic. Cet homme a fait cela de soi-même.
Locut. corr. Cet homme a fait cela de lui-même.

«Lui marque une personne particulière et déterminée, celle qu’on a nommée, celle dont il s’agit dans le discours, qui est à côté ou plus haut. Soi n’indique qu’une personne indéterminée, quelqu’un, les gens d’une certaine classe, ceux qui existent ou qui peuvent exister de telle manière.

«Lui se place donc dans la proposition particulière, lorsqu’il s’agit d’une telle personne: soi se met dans la proposition générale, lorsqu’il est question d’un certain genre de personnes. Lui-même et soi-même n’ajoutent à lui et à soi qu’une force nouvelle de désignation, d’augmentation, d’affirmation.

«Un homme fait mille fautes, parce qu’il ne fait point de réflexions sur lui; on fait mille fautes, quand on ne fait aucune réflexion sur soi. Quelqu’un, en particulier, aime mieux dire du mal de lui que de n’en point parler: en général, l’égoïste aimera mieux dire du mal de soi que de n’en point parler. Un tel a la faiblesse d’être trop mécontent de lui, tel autre a la sottise d’être trop content de lui; être trop mécontent de soi est une faiblesse; être trop content de soi est une sottise. On a souvent besoin d’un plus petit que soi; un prince a besoin de beaucoup de gens beaucoup plus petits que lui.» (Roubaud, Synonymes.)


SOI-DISANT.

Locut. vic. On lui a fait, soi-disant, du tort.
Locut. corr. On lui a fait, dit-il, du tort.

Cette expression ne peut être régulièrement employée que pour signifier se disant, disant lui, elle, eux, elles, comme dans ces phrases: On m’adressa à un soi-disant savant, qui n’était qu’un charlatan; je vis quelques hommes soi-disant malades, c’est-à-dire un homme se disant, disant lui, savant, quelques hommes se disant, disant eux, malades. Mais dans cet autre exemple, l’emploi de soi-disant est tout-à-fait intolérable: Il m’emprunta des livres, soi-disant pour les lire, et les perdit. Voyez quelle construction vous avez! Il m’emprunta des livres, se disant pour les lire, etc. Soi-disant demande toujours à être suivi d’un complément qui sert de qualificatif au pronom personnel qu’il renferme. Autrement on fait une phrase dont l’analyse ne peut rendre compte logiquement, et dont, pour cette raison, le vice est évident.


SOIF (BOIRE SA).

Locut. vic. Il n’a pas bu sa soif.
Locut. corr. Il n’a pas bu à sa soif.

Si l’on pouvait boire sa soif et manger sa faim, il est fort probable qu’on n’aurait plus ni faim ni soif. Le ridicule de ces expressions se démontre de soi-même.


SOIR.

«On dit dans le style soutenu: hier au soir, demain au soir, hier au matin, demain au matin. Mais dans la conversation on peut dire: hier soir, demain soir, hier matin, demain matin.» (L’Académie, sur la 406e rem. de Vaugelas.)

Le style de la conversation nous paraît devoir être ici préféré. L’article contracté au est parfaitement inutile. Les Anglais disent aussi, sans article, to morrow morning, to morrow night, yesterday morning, yesterday night.


SOIT.

Locut. vic. Il partira soit avec moi, ou avec un autre.
Locut. corr. Il partira soit avec moi, soit avec un autre.

C’est une faute d’employer ou dans le second membre d’une proposition que l’on a commencée par soit, comme dans ces phrases: soit que vous mangiez ou que vous buviez, faites-le modérément; soit de jour ou de nuit, on le trouve toujours à étudier. Il faut dire: soit que vous mangiez, soit que vous buviez, etc., soit de jour, soit de nuit, etc. Si l’on voulait employer ou, il faudrait supprimer soit, et dire: que vous mangiez ou que vous buviez, etc., de jour ou de nuit, etc. Laveaux (Dict. des diff.) cite certains cas où l’on peut, selon lui, employer les deux conjonctions soit et ou successivement. Laveaux nous paraît avoir ici un petit tort, c’est d’autoriser des exceptions inutiles.


SOLEIL.

Locut. vic. Il fait soleil.
Locut. corr. Il fait du soleil.

«Faire soleil m’avait toujours paru un gasconisme. Il fait soleil. J’ai vu ensuite que Vaugelas le condamne, et que La Touche trouve qu’il a raison.» (Féraud, Dict. crit.)


SOLEMNEL.

Orth. et pron. vic. C’est un jour solemnel.
Orth. et pron. corr. C’est un jour solennel (solanel).

MM. de Port-Royal se sont opposés à l’orthographe inventée par Richelet, parce qu’elle blesse l’étymologie; mais cette orthographe a fait fortune, malgré cette respectable opposition, et tous nos dictionnaires la consacrent aujourd’hui.


SON, SA, SES.

Locut. vic. Il étudia sa maladie, et rechercha son origine.
Locut. corr. Il étudia sa maladie, et en rechercha l’origine.

C’est une règle reconnue par tous les grammairiens anciens et modernes, et par tous nos bons auteurs, que l’adjectif possessif son, sa, ses, leur, leurs, ne doit pas être employé comme qualificatif d’un nom de choses ou d’animaux, lorsqu’il est possible de le remplacer par le relatif en, qui a plus d’élégance et donne souvent plus de clarté à la phrase. Dans les exemples suivans, il faut donc substituer le pronom relatif en à l’adjectif son, sa, ses. Quand on parle du loup, on voit sa queue.—Ce drap est beau, mais sa couleur est vilaine.—J’aime la couleur de cette pierre, mais son grain me paraît un peu gros.—Le Rhin est large, ses eaux sont rapides. Dites: On en voit la queue; la couleur en est vilaine; le grain m’en paraît un peu gros; les eaux en sont rapides.

«Si l’on disait: le soin qu’on apporte au travail empêche de sentir sa fatigue; ceux qui introduisirent ces cérémonies connaissent bien leur fort et leur faible; sa et leur seraient équivoques: veut-on parler de sa propre fatigue ou de celle du travail, de celle que cause le travail? Est-ce le faible et le fort de ceux qui introduisent ces cérémonies, ou bien de ces cérémonies mêmes?

«Comme ou veut mettre la fatigue en rapport de possession avec le travail, et le fort et le faible avec les cérémonies, pour éviter l’équivoque, on prend un autre tour et l’on dit: Le soin qu’on apporte au travail empêche d’en sentir la fatigue. Ceux qui introduisirent ces cérémonies en connaissaient bien le fort et le faible.» (Manuel des amateurs de la langue française.)


SONNANT.

Locut. vic. Il est arrivé à quatre heures sonnant.
Locut. corr. Il est arrivé à quatre heures sonnantes.

Sonnantes exprime une manière d’être, et non une action. Les heures sont sonnées, et ne sonnent pas, activement parlant. C’est donc un adjectif verbal et non un participe présent. La variabilité est de toute rigueur.

Le P. Ducerceau a dit correctement:

Car le cadet voulut
Que celui-ci, pour raisons pertinentes,
Ne vînt chez lui qu’à six heures sonnantes.

et Voltaire:

Nous partirons à cinq heures sonnantes.
(Nanine.)

Cependant dans cette phrase: J’ai une pendule sonnant les quarts, sonnant est invariable, parce qu’il a un régime direct. C’est un participe présent.


SORTILÈGE.

Pron. vic. Il a fait des sorcilèges.
Pron. corr. Il a fait des sortilèges.

Il est assez étonnant que nos dictionnaires ne se soient pas avisés de nous indiquer la prononciation du t dans le mot sortilège. Nous voyons cependant que cette prononciation est généralement douteuse.

Il ne faut pas se montrer si sobre d’explications à l’égard d’une langue où l’on prononce, par exemple, le mot portions, tantôt avec le son normal du t, nous portions le bois, tantôt avec le son de l’s, les portions sont faites.


SORTIR.

Locut. vic. Nous voulons que ce jugement sorte son plein et entier effet.
Locut. corr. Nous voulons que ce jugement sortisse (et beaucoup mieux ait) son plein et entier effet.

«Sortir, obtenir, avoir. Je sortis, tu sortis, il sortit, nous sortissons, vous sortissez, ils sortissent.—Je sortissais, etc. Ce verbe se conjugue comme sortir. Il n’est d’usage qu’en termes de Palais, et seulement en quelques-uns de ses temps. Cette sentence sortira son plein et entier effet. J’entends que cette clause sortisse son plein et entier effet.

«En termes de pratique et de notaire, on dit qu’une somme de deniers, un effet mobilier sortira nature de propre, pour dire qu’il sera réputé propre, qu’il sera réputé et partagé comme propre.» (Dict. de l’Acad., 1802.)

«Sortir son plein et entier effet est un barbarisme de droit.» (M. Ch. Nodier, Examen crit. des Dict.)


SORTIR.

Locut. vic. Votre maître est-il sorti hier?
Locut. corr. Votre maître a-t-il sorti hier?

«On dit qu’une personne a sorti, pour dire qu’elle a fait l’action de sortir, et qu’elle est rentrée: il a sorti ce matin; et l’on dit qu’elle est sortie, pour dire qu’elle est dehors et qu’elle n’est pas rentrée: mon frère est sorti, et ne rentrera que ce soir.

«Il ne faut pas confondre il ne fait que de sortir avec il ne fait que sortir. Le premier veut dire: il n’y a pas long-temps qu’il est sorti, et le second: il sort sans cesse.» (Laveaux, Dict. des diff.)


SORTIR.

Locut. vic. Je sors d’avec lui, je sors de le voir, je sors d’être malade.
Locut. corr. Je viens de le quitter, je viens de le voir, je viens d’être malade.

L’emploi de sortir pour venir est assez fréquent chez les personnes qui n’ont qu’une connaissance imparfaite de la langue française; les gens instruits se gardent bien de construire des phrases comme celles que nous avons données pour exemples.


SOTTISE.

Locut. vic. Il m’a, dans sa colère, accablé de sottises.
Locut. corr. Il m’a, dans sa colère, accablé d’injures.

Les injures, toutes vilaines qu’elles sont, peuvent être spirituelles, et, dans ce cas, les traiter de sottises ce serait parler d’une manière inexacte. Une épigramme bien acérée est une injure pour celui qu’elle atteint, et ce n’est cependant pas une sottise. Un fade madrigal est une sottise; mais qui l’a jamais regardé comme une injure?


SOUHAITER.

Prononc. vic. Ils lui ont souhaté le bon jour.
Prononc. corr. Ils lui ont souhaité le bon jour.

Il ne faut pas non plus prononcer souhat mais souhait.


SOULIER.

Locut. vic. Cet homme n’a pas de souliers dans les pieds.
Locut. corr. Cet homme n’a pas de souliers aux pieds.

Comme les pieds sont dans les souliers, et non les souliers dans les pieds, il faut dire: Cet homme n’a pas de souliers aux pieds, ou mieux encore: Cet homme n’a pas de souliers, comme le dit l’Académie. Tout le monde sait fort bien que les souliers ne conviennent qu’aux pieds.

L’Académie dit aussi que cette manière de parler: n’avoir pas de souliers dans les pieds est une hypallage. C’est fort possible, mais c’est de plus une sottise.


SOUPATOIRE.

Locut. vic. Nous fîmes un dîner soupatoire.
Locut. corr. Nous fîmes un dîner-souper.

M. Boiste traite ce mot de burlesque, et il a parfaitement raison; mais il y a des personnes qui l’emploient sérieusement, et nous sommes bien aises de leur faire savoir que ce mot n’a pour lui aucune autorité qui le protège contre le rire moqueur.

Soupatoire vaut bien dînatoire, et dînatoire vaut bien soupatoire; mais chacun d’eux ne vaut rien.


SOUPER (Voy. DÉJEUNER).


SOUPOUDRER.

Locut. vic. Soupoudrez ce poisson de farine.
Locut. corr. Saupoudrez ce poisson de farine.

A la rigueur, saupoudrer ne devrait jamais être employé que pour signifier poudrer de sel, d’après la composition étymologique de ce verbe, dont la première syllabe sau a la valeur du mot sel, comme dans saumure, saumâtre, saunerie, saupiquet, etc. Maintenant saupoudrer se dit par extension de tout ce qu’on poudre de sucre, de poivre, etc., et c’est ainsi que la méprise de quelque ignorant en crédit aura probablement doté notre langue d’une logomachie absurde.


SOUGUENILLE.

Locut. vic. Votre souguenille est déchirée.
Locut. corr. Votre souquenille est déchirée.

La souquenille est un surtout de grosse toile, à l’usage des cochers et palefreniers qui pansent leurs chevaux.


SOURCIL.

Prononc. vic. Elle a de beaux soucils.
Prononc. corr. Elle a de beaux sourcis.

Il faut faire sentir le r dans sourcil, comme on le fait sentir dans sourciller. Si cette lettre était muette, l’l l’étant déjà, ce mot deviendrait homonyme de souci, inquiétude; ce qui n’est pas, comme on peut le voir dans les dictionnaires d’homonymes.


SOURD ET MUET.

Locut. vic. Son fils est à l’Institution des sourds et muets.
Locut. corr. Son fils est à l’Institution des sourds-muets.

«La dénomination de sourd et muet désigne un individu muet en même temps qu’il est sourd, mais chez lequel le mutisme est indépendant de la surdité. La désignation de sourd-muet désigne un individu muet en même temps qu’il est sourd, mais chez lequel le mutisme n’est qu’une conséquence de la surdité. Le sourd et muet est affligé de deux infirmités distinctes; le sourd-muet a bien les deux mêmes infirmités; mais la seconde n’est qu’une suite de la première. On pourrait rendre l’ouïe au sourd et muet sans qu’on eût lieu d’espérer qu’on pût lui rendre l’usage de la parole: si l’on faisait entendre un sourd-muet, il est plus que probable que bientôt il exprimerait ses idées à l’aide de signes articulés. Supposons même que le sourd et muet et le sourd-muet restent constamment sourds: dans cet état, le premier restera pareillement muet: et le second, sans être habile à percevoir des sons, peut acquérir l’usage de la parole par des moyens mécaniques, étrangers aux sensations acoustiques. Telle est la différence du sourd et muet au sourd-muet; ainsi, ces deux dénominations diffèrent en ce que l’une est un terme composé, et l’autre un terme complexe d’une proposition, pour parler le langage du logicien. Il se pourrait faire que ce que l’on doit appeler ordinairement un sourd-muet fût un sourd et muet; c’est-à-dire, qu’étant sourd de naissance, il fut en même temps, et indépendamment de cette infirmité, muet par vice d’organisation; mais cette rencontre fortuite et indépendante de ces deux infirmités existe peut-être une fois sur mille, quand l’inverse a lieu dans le cas contraire: voilà pourquoi on doit dire: L’Institution des sourds-muets, et non l’Institution des sourds et muets. Si cette dernière expression est plus usitée, c’est qu’il existe une erreur dans l’esprit de la plupart de ceux qui s’en servent; c’est qu’ils croient que le mutisme de ceux qu’ils appellent sourds et muets est, chez eux, indépendant, et seulement concomitant de la surdité. Sur ce point, l’expression est exacte, le jugement seul qu’elle énonce est faux. Qu’on rectifie les idées, et le langage prendra la forme convenable à la rectitude des conceptions.» (M. Butet, Journal de la langue française.)

Nous ne pensons pas, comme quelques grammairiens, que sourd-muet doive faire au féminin sourd-muette, parce que sourde-muette est un peu dissonant. Une règle fondamentale ne doit pas être sacrifiée à une vaine susceptibilité de l’oreille.


SOUS DE PIED, DESSOUS DE PIED.

Locut. vic. J’ai perdu mes sous de pieds, mes dessous de pieds.
Locut. corr. J’ai perdu mes sous-pieds.

Le sous-pied est une petite lanière de cuir ou d’étoffe, qui passe sous le pied et se rattache au pantalon ou à la guêtre.

M. Raymond a écrit soupied dans son dictionnaire. La dernière édition du Dictionnaire de Boiste n’a pas suivi cette singulière orthographe, mais celle que nous adoptons dans cet article.


SOUVENIR (SE).

Locut. vic. Vous souvenez-vous l’avoir vu?
Locut. corr. Vous souvenez-vous de l’avoir vu?

Le verbe se souvenir doit toujours être suivi de la préposition de, quand on le joint à un autre verbe.

Ne dites pas: Faites-leur souvenir qu’ils m’ont promis de m’écrire, mais faites-les souvenir, etc.

On fait souvenir quelqu’un et non à quelqu’un.


SOYE.

Locut. vic. Il faut qu’il soye enlevé.
Locut. corr. Il faut qu’il soit enlevé.

Le subjonctif du verbe être est: que je sois, que tu sois, qu’il soit, que nous soyons, que vous soyez, qu’ils soient, et non que je soye, que tu soyes, qu’il soye, etc. Avoir et être sont les deux seuls verbes dont la troisième personne singulière du subjonctif ne se termine pas par un e muet. De là vient que tant de personnes disent toujours: Il faut qu’il aie, il faut qu’il soye. Ce n’est vraiment pas la logique qui manque à ces personnes-là; c’est la connaissance de quelques conventions grammaticales, assez ridicules au fond, mais que l’usage, en les couvrant de sa sanction, a malheureusement rendues sacrées et irrévocables.

Il ne faut pas écrire, que nous soyions, que vous soyiez, pour distinguer le subjonctif de l’impératif. Ces deux temps s’écrivent de même dans le verbe être.


SPIRALE.

Locut. vic. La spirale de ma montre est cassée.
Locut. corr. Le spiral de ma montre est cassé.

Spiral, terme d’horlogerie, signifiant un petit ressort en spirale, est masculin; dans ses autres acceptions il est féminin. C’est probablement l’idée du mot ressort qui aura ici déterminé ce genre.


STAGNANT.

Pron. vic. Un marais stagnant.
Pron. corr. Un marais stag-nant.

STALLE.

Locut. vic. Gardez-moi un stalle près de vous.
Locut. corr. Gardez-moi une stalle près de vous.

D’après l’Académie, ce mot est masculin, quand il est seul, et féminin, quand il est suivi d’un adjectif. Il vaut mieux ici s’en rapporter à M. Boiste, qui dit que le féminin est maintenant seul adopté.

L’étymologie est, il est vrai, contraire à l’usage, puisqu’on dit en latin stallus; mais qu’y faire? L’usage ne renverse-t-il pas tout ce qu’il y a de plus respectable en grammaire, la raison, l’étymologie, l’analogie, etc. C’est un anarchiste de premier ordre.


STE.

Pron. vic. Avez-vous vu st’homme; ste femme.
Pron. corr. Avez-vous vu cet homme, cette femme.

M. de Wailly dit, dans sa grammaire (p. 314, 6e éd.), que, dans la conversation, cet et cette se prononcent comme st, ste: st’ homme, ste femme, et ne blâme nullement cette prononciation tronquée. Nous pensons qu’un grammairien ne devrait pas donner, en invoquant l’usage, une espèce de consécration à des fautes avérées de langage.

On prononce, il est vrai, ste à Paris, dans la plus haute société comme dans la plus basse: les extrêmes se touchent. Mais les gens instruits, de quelque société qu’ils soient, et ce sont ceux-là qui doivent faire loi, se donnent la peine d’ouvrir la bouche pour prononcer ce mot régulièrement.

Comment ferait-on pour persuader à un étranger que le mot que l’on prononce ste s’écrit cette. N’y a-t-il pas là de quoi le dégoûter d’apprendre notre langue?


STOMACAL, STOMACHIQUE.

Locut. vic. Ce vin est un bon stomacal.
Locut. corr. Ce vin est un bon stomachique.

Stomacal ne s’emploie jamais comme substantif.

Comme adjectif il signifie: qui est bon à l’estomac et le fortifie; stomachique signifie qui appartient à l’estomac.

«Stomacal se dit plutôt des choses naturelles, bonnes à l’estomac, et stomachique des compositions artificielles.» (Féraud, Dict. crit.)


SUCCÉDER.

Orth. vic. Les révolutions qui se sont succédées en France.
Orth. corr. Les révolutions qui se sont succédé en France.

Succéder étant un verbe neutre, son participe ne peut être soumis à l’accord. On ne dit pas succéder quelqu’un, mais succéder à quelqu’un. Cette phrase: Les deux hommes qui se sont succédé au pouvoir, signifie: Les deux hommes qui ont succédé l’un à l’autre et non l’un l’autre, comme dans cette autre phrase: Les deux hommes qui se sont remplacés au pouvoir. L’analyse grammaticale donne ici l’un l’autre, c’est-à-dire un régime direct, donc il doit y avoir accord. Dans le premier exemple, elle donne un régime indirect, pas d’accord.

Comme il n’entre pas dans le plan de notre ouvrage de relever les nombreuses fautes que l’on peut faire dans l’emploi des participes, nous ne nous serions pas occupé du participe succédé, sans les fréquentes erreurs auxquelles nous voyons qu’il donne lieu, dans les journaux surtout.


SUCRER.

Locut. vic. Sucrez-vous, messieurs.
Locut. corr. Sucrez votre café, etc., messieurs.

Sucrez-vous s’emploie par ellipse; mais il y a une limite à tout, et l’on conviendra que l’ellipse est ici un peu trop forte, d’autant plus qu’elle offre un double sens.


SUISSESSE.

Locut. vic. Je connais une Suissesse.
Locut. corr. Je connais une Suisse.

«Boiste indique suissesse comme féminin de suisse; Regnard, dans sa comédie des Souhaits, met au nombre de ses personnages une Suissesse; et Voltaire appelle la Julie de Saint-Preux, une grosse Suissesse.» (Glossaire génevois.)

Suissesse nous paraît être plutôt une expression comique qu’une expression sérieuse. Du moins nous souvenons-nous de l’avoir presque toujours vue employée comme telle. Regnard et Voltaire viennent ici à l’appui de notre remarque.

Trévoux donne suisse comme substantif masculin et féminin.

Si l’on disait une Suissesse, pourquoi ne dirait-on pas aussi une Russesse pour une Russe?


SUITE (DE).

Locut. vic. L’affaire est pressée, partez de suite.
Locut. corr. L’affaire est pressée, partez tout de suite.

De suite signifie l’un après l’autre, sans interruption. «Il a marché deux jours de suite. De suite, précédé de l’adverbe tout, signifie incontinent, sur l’heure. Il faut que les enfans obéissent tout de suite.» (Laveaux, Dict. des diff.)

M. Ch. Nodier, qui regarde, avec raison, de suite, employé dans le sens de tout de suite, comme un solécisme insupportable (Examen crit. des Dict.), nous a raconté, à ce sujet, l’anecdote suivante. (Le Temps, feuilleton, nov. 1831.)

«Il y avait une fois cinq ou six académiciens qui avaient de l’esprit. Ces messieurs n’étaient pas d’accord sur la signification des quasi-adverbes de suite et tout de suite, contre lesquels la chambre élective avait failli la veille trébucher si lourdement, et ils étaient convenus de vider la question entre eux au Rocher de Cancale. J’y déjeûnais tout seul dans un coin.

«—Servez-nous tout de suite vingt-cinq douzaines d’huîtres, dit le classique.

«—Et ouvrez-les de suite, dit le néologue, enchanté de sa variante.

«—Expliquez-vous, messieurs, répondit l’écaillère, bonne et grosse réjouie, à la figure rubiconde, qui ne s’était jamais informée des finesses du bon français qu’autant que l’on s’en informe à Étretat ou à Granville. Si je les ouvre de suite, nous y mettrons un peu de temps. Si vous les voulez tout de suite, je ferai monter quelqu’un pour m’aider.

«Les académiciens la regardèrent bouche béante et les bras pendans. Elle ouvrit les huîtres comme il lui plut. Je payai ma carte, et un instant après je retrouvai l’écaillère à la porte. Digne et respectable femme, m’écriai-je, en lui serrant la main avec cet élan d’affection que produisent quelquefois les sympathies de l’esprit, je vous passe procuration pour soutenir les intérêts de notre belle langue française par-devant la commission du Dictionnaire. N’y manquez pas, je vous prie, car ils sont bien capables de faire quelque sottise!»


SUPPLÉER.

Locut. vic. Les qualités du cœur peuvent suppléer celles de l’esprit.
Locut. corr. Les qualités du cœur peuvent suppléer à celles de l’esprit.

«Suppléer une chose, c’est ajouter en objets de la même nature ce qui manque; c’est fournir ce qu’il faut de surplus, pour que cette chose soit complète: ce sac doit être de mille francs, et ce qu’il y a de moins, je le suppléerai; je suppléerai le reste. (L’Académie.) Suppléer à une chose, c’est remplacer une chose par une autre chose qui en tient lieu, quoique d’une nature différente; et alors suppléer signifie tenir lieu de:

«Souvent, dans les disputes, les injures suppléent aux raisons. (L’Académie.)

«Le titre de brave et franc chevalier annonçait l’honneur, et ne le suppléait jamais. (Thomas.) Il fallait: et n’y suppléait jamais.

«Remarquez qu’avec un nom, ou un pronom de personne qui lui sert de régime, suppléer ne prend jamais la préposition à: on dit suppléer quelqu’un.—S’il ne vient pas, je le suppléerai; et ce verbe signifie, dans ce cas, représenter une personne absente, en faire les fonctions.» (Grammaire des gramm.)


SUR.

Locut. vic.   J’irai chez vous sur les deux heures.
J’ai lu cela sur le journal.
Elle demeure sur le 10e arrondissement.
Ma fille va sur dix ans.
 
Locut. corr.   J’irai chez vous vers deux heures.
J’ai lu cela dans le journal.
Elle demeure dans le 10e arrondissement.
Ma fille aura bientôt dix ans.

On fait un usage très fréquent et très abusif de la préposition sur pour la préposition dans surtout. Un peu de raisonnement suffit pour éviter cette faute.


SIBYLLE.

Locut. vic. Achetez une sibylle de bois.
Locut. corr. Achetez une sébile de bois.

Une sébile est une écuelle ordinairement en bois, dans laquelle on met de la poudre pour sécher l’écriture, des monnaies, etc. Une sibylle est une devineresse; la sibylle de Cumes. C’est de ce dernier mot que vient l’adjectif sibyllin; les oracles sibyllins.


SYLPHE, SILPHE.

«Sylphe, génie de l’air, est fait du grec σύρφος, une créature aérienne, un moucheron; et par conséquent il doit s’écrire comme il est écrit en tête de cet article.

«Silphe, insecte, est un substantif féminin, et on doit l’écrire silphe, parce qu’il vient du latin, silpha, qui vient du grec σίλφη.» (M. Ch. Nodier, Exam. crit. des Dict.)

Sylphide se rapportant à sylphe, dont il est le féminin, doit être évidemment écrit par un y.


TABAC.

Pron. vic. Tabak.
Pron. corr. Taba.

Le c ne doit pas se faire sentir dans ce mot, à moins qu’il ne soit suivi d’un mot commençant par une voyelle. Nous croyons qu’il est mieux de dire du tabak étranger que du taba étranger. De cette manière, on évite un hiatus.

«Les Génevois, dit J.-J. Rousseau, articulent le marc du raisin comme Marc, nom d’homme; ils disent exactement du tabak, et non pas du taba

Quelques personnes disent tabakière. C’est une faute aujourd’hui. Du temps de Ménage, c’était tout le contraire; tabatière était la mauvaise locution, et tabakière était la bonne. (Observations sur la langue française, ch. CLIV.)


TACHER.

Locut. vic. Je tâcherai qu’il soit content.
Locut. corr. Je tâcherai de le contenter.

Tâcher étant un verbe neutre, ne peut être suivi du conjonctif que, qui constitue un régime direct.

«Tâcher de se dit quand il s’agit d’une action qui n’a pas un but marqué hors du sujet. Je tâcherai d’oublier cette injure, l’action s’opère dans le sujet même; je tâche de me débarrasser de mes dettes, l’action s’opère sur le sujet même; je tâcherai de vous satisfaire, c’est-à-dire de faire tout ce qui dépendra de moi pour que vous soyez satisfait. Il y a bien là un but hors du sujet, mais ce but n’est pas marqué distinctement, le sens de je tâcherai tombe particulièrement sur les efforts faits par le sujet. On emploie tâcher à quand il s’agit d’une action qui a un but marqué hors du sujet. Il tâche au but, il tâche à m’embarrasser, ici les esprits tendent directement à un but qui est hors du sujet, il tâche à me nuire.» (Laveaux, Dict. des diff.)


TACT.

Pron. vic. Elle a du tac.
Pron. corr. Elle a du tacte.

TAIRE.

Locut. vic. Taisez donc votre langue.
Locut. corr. Faites donc taire votre langue.

Taire ne peut être employé activement que comme synonyme de cacher, céler. Il faut taire cette chose-là, c’est-à-dire, il faut cacher, céler cette chose-là. Dans notre phrase d’exemple, taisez est un barbarisme.


TAISANT.

Locut. vic. Nous dirons, pour rendre ces messieurs taisans, etc.
Locut. corr. Nous dirons, pour réduire ces messieurs au silence, etc.

Nous n’avons jamais vu qu’en style de palais le participe taisant employé de cette burlesque manière. Pourquoi le sanctuaire de la justice est-il si souvent le sanctuaire du barbarisme? Pourquoi messieurs les légistes savent-ils si peu leur langue maternelle? Ont-ils oublié qu’il y a nécessité de connaître parfaitement la grammaire quand on veut écrire clairement, et qui, plus qu’eux, a besoin de le faire? Nous ne leur dirons pas: Étudiez un peu moins la législation et un peu plus la grammaire; chaque étude a son importance, et nous sommes si disposés à reconnaître celle de leur étude spéciale, que voici ce que nous leur dirons: Étudiez un peu plus la législation et beaucoup plus la grammaire. Est-ce là un conseil qui puisse nuire aux intérêts de ces messieurs ou à ceux du public? «La grammaire», a dit M. Ch. Nodier, «est le premier, le plus essentiel de nos enseignemens.» (Le Temps, feuilleton du 13 septembre 1833.)


TALENT (HOMME DE), HOMME A TALENS.

Locut. vic.   C’est un homme à talent pour l’écriture.
Il sait mille choses; c’est un homme de talent.
 
Locut. corr.   C’est un homme de talent pour l’écriture.
Il sait mille choses; c’est un homme à talens.

Ces deux locutions, que l’on confond assez généralement, ont entre elles une grande différence. La première signifie un homme qui a du talent, et demande le singulier; la seconde, un homme doué de talens, et veut le pluriel. Si l’on a des talens différens, on est un homme à talens; si on n’en a qu’un seul, on est un homme de talent.


TANNANT.

Locut. vic. Que vous êtes tannant!
Locut. corr. Que vous êtes ennuyeux!

Ce mot, que M. Boiste, dans son Dictionnaire (8e édit.), traite, avec raison, de barbarisme, est un des plus bas du patois parisien. Nous avons été fort surpris de le trouver dans le Dictionnaire de M. Raymond, qui, à la vérité, l’a noté comme familier, mais qui n’aurait même pas dû lui accorder cet honneur. Représenter un homme qui vous ennuie comme un homme qui vous tanne, est réellement, quoi qu’en dise Mercier, une idée dégoûtante. «Ce mot est très-expressif», dit-il, «un homme fâcheux ressemble à un misérable tanneur.» (Néologie, t. II.) Comment se fait-il que beaucoup de gens du monde, d’une délicatesse excessive sur tous les genres de convenances, ne se fassent aucun scrupule d’employer une semblable expression? C’est qu’ils ne l’ont probablement jamais examinée, et nous croyons leur rendre un véritable service en la signalant à leur dédain.

Ménage dit que cette locution est normande; c’est possible, mais nous l’avons trouvée aussi dans un vieux poète franc-comtois.

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