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Dictionnaire critique et raisonné du langage vicieux ou réputé vicieux

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Je vis Martin Fréron, à la mordre attaché,
Consumer de ses dents tout l’ébène ébréché.

ÉBOULER.

Locut. vic. Ce mur s’est éboulé.
Locut. corr. Ce mur s’est écroulé.

(Voyez ÉCROULER.)


ÉCHAFFOURÉE.

Locut. vic. Vos combats n’étaient que des échaffourées.
Locut. corr. Vos combats n’étaient que des échauffourées.

Une échauffourée est une rencontre d’ennemis qui ne font que s’échauffer les uns contre les autres, étymologiquement parlant, sans en venir à se battre. Échaffourée, comme on le voit, est un barbarisme. «Il mettra un terme aux discordes que l’échaffourée d’Aranjuez a fait naître.» (Salvandy.) Lisez échauffourée.


ÉCHANGE.

Locut. vic. Des échanges commerciales.
Locut. corr. Des échanges commerciaux.

Autrefois ce mot était féminin; il est masculin aujourd’hui.


ÉCHAPPER.

Locut. vic.   Malgré sa bonne mémoire, ce mot lui est échappé.
S’il y a offense, c’est malgré moi: ce mot m’a échappé.
 
Locut. corr.   Malgré sa bonne mémoire, ce mot lui a échappé.
S’il y a offense, c’est malgré moi: ce mot m’est échappé.

Ce qu’on a oublié de dire ou de faire est une chose qui a échappé.

Ce qu’on a dit ou fait par inadvertance, par indiscrétion, par mégarde, est une chose qui est échappée.


ÉCHARPE.

Locut. vic. Il a une écharpe dans le pouce.
Locut. corr. Il a une écharde dans le pouce.

Une écharde est un piquant de chardon ou un petit éclat de bois qui entre dans la chair.

Il ne faut pas dire: j’ai les mains tout écharpées pour rendre cette phrase: j’ai les mains remplies d’échardes, car des mains écharpées sont des mains couvertes de coupures faites par un instrument tranchant, et non de piqûres produites par des échardes.


ÉCHEC.

Prononc. vic. Jouer aux échés.
Prononc. corr. Jouer aux écheks.

Nous conseillons de donner au c du mot échec, au pluriel, le même son qu’il a dans le même mot au singulier, c’est-à-dire un son rude. Dans cette phrase: le ministère a éprouvé de rudes échecs, il n’est personne qui voulût prononcer échés et non écheks, car il serait presque certain de ne pas être compris. Pourquoi, en ce cas, prononcerait-on ailleurs autrement, sous prétexte que l’acception n’est plus la même? Ce serait renouveler la ridicule prétention de ces grammairiens qui voulaient qu’on prononçât agneau, en parlant de l’animal vivant, et aneau, en parlant de sa chair dépecée, un quartier d’aneau. (Réfl. sur l’usage prés. de la lang. fr.) Le temps a fait justice de cette absurdité, comme il le fera des autres.


ÉCHIGNER.

Locut. vic. On l’a échigné.
Locut. corr. On l’a échiné.

C’est-à-dire: on lui a rompu l’échine ou épine dorsale. On a dit autrefois échigner, maintenant c’est une faute.


ÉCLAIRER.

Locut. vic. Éclairez à ces messieurs.
Locut. corr. Éclairez ces messieurs.

Éclairer, dans le sens propre d’apporter de la lumière, doit-il avoir un nom de personne en régime direct ou en régime indirect? Cette question n’est pas encore décidée; mais comme plusieurs grammairiens distingués se sont prononcés pour le régime direct, que l’usage est bien établi en sa faveur, qu’aucune bonne raison ne peut d’ailleurs nous engager à préférer le régime indirect, et que ce dernier régime a même un caractère d’étrangeté qui choque fortement, nous pensons qu’il vaut mieux dire: éclairez monsieur, que éclairez à monsieur, «Si l’on doit dire éclairez à monsieur, parce que, dans le vrai, on n’éclaire pas monsieur, mais le lieu par où monsieur passe, il faudra donc dire aussi, par la même raison, le jour éclairait encore à ces malfaiteurs; car, dans le vrai, le jour n’éclairait pas les malfaiteurs, mais le lieu où ils se trouvaient. Il faudrait dire aussi cette lampe n’éclaire pas assez à cette ouvrière, ce que l’on ne dit pas. Il est certain que, malgré la décision de l’Académie, et les efforts de quelques grammairiens pour la maintenir, on dit généralement éclairez monsieur, et non pas éclairez à monsieur

(Laveaux, Dict. des diff.)


ÉCŒURER.

Les dictionnaires les plus récens qui nous donnent beaucoup de mots tout-à-fait inutiles, auraient bien dû se montrer moins oublieux ou moins sévères à l’égard du verbe écœurer, dont notre langue nous paraît avoir besoin. Il ne suffît pas pour écarter un mot de dire qu’il n’est pas français, comme on le fait trop souvent; il faut en démontrer les vices, s’il en a, et c’est ce qu’on n’a pas fait. Un mot qui n’est pas français cette année peut l’être l’année prochaine, comme l’a dit Balzac quelque part, surtout si ce mot ne choque ni les convenances du goût, ni celles de la grammaire. Je suis écœuré, signifie littéralement le cœur me manque ou on m’ôte le cœur.—C’est principalement sous la forme active que le verbe écœurer devient d’une grande utilité. Dans cette phrase: cette odeur m’écœure, comment rendre l’idée exprimée par écœurer d’une manière plus expressive et surtout plus laconique? Serait-ce en disant: cette odeur me fait mal au cœur, ou cette odeur me soulève le cœur?


ÉCRITOIRE.

Locut. vic. Cet écritoire est fort élégant.
Locut. corr. Cette écritoire est fort élégante.

On confond souvent écritoire avec encrier, et l’on a tort. Il y a, entre ces deux mots, une différence de signification que le Dictionnaire de l’Académie établit de cette manière.

Écritoire, s. f., ce qui contient ou renferme les choses nécessaires pour écrire, encre, papier, plume, canif, etc.

Encrier, s. m., petit vase où l’on met de l’encre.


ÉCROULER.

Locut. vic. La terre s’écroula sous leurs pieds.
Locut. corr. La terre s’éboula sous leurs pieds.

L’Académie ne paraît pas s’être doutée de la différence qui, selon nos meilleurs grammairiens, existe entre les verbes s’ébouler et s’écrouler, puisqu’elle a accueilli, dans son Dictionnaire, des phrases d’exemple telles que celles-ci: le rempart s’éboule; cette muraille s’est éboulée, etc., la terre s’écroula sous leurs pieds. Dans les deux premières phrases, il fallait employer le verbe écrouler, et le verbe ébouler dans la troisième. Roubaud va nous en donner la raison. «L’idée commune de ces mots, dit-il, est de tomber en ruines, en s’affaissant et en roulant. S’ébouler est, à la lettre, tomber en roulant comme une boule. S’écrouler, est tomber, en roulant, avec précipitation et fracas.

«Une butte s’éboule en se partageant par mottes, qui tombent en roulant sur elles-mêmes comme des boules. Un rocher s’écroule en se brisant et roulant dans sa chûte impétueusement et avec fracas. Les sables s’éboulent, les édifices s’écroulent. Un bastion de terre sablonneuse s’éboulera de lui-même: il faudra du canon pour qu’un bastion solide et revêtu s’écroule.

«Celui qui creuse sous terre court risque d’y être enseveli par des éboulemens. Celui qui bâtit sur des fondemens trop faibles court risque d’être écrasé par l’écroulement de sa maison.» (Synonymes.)


ÉCURER (Voyez CURER).


ÉDUCATION.

Locut. vic. Il n’a pas assez d’éducation pour lire Homère en grec.
Locut. corr. Il n’a pas assez d’instruction pour lire Homère en grec.

Rien n’est plus commun que de confondre éducation avec instruction, et rien n’est plus ridicule. L’éducation comporte l’instruction, mais l’instruction ne comporte pas l’éducation, car bien certainement un savant qui, par sa conduite, blesserait de justes convenances de la société, pourrait être traité d’homme sans éducation sans qu’on pût raisonnablement le nommer un homme sans instruction. Les dictionnaires qui expliquent éducation par instruction et instruction par éducation, ont donc évidemment tort.


ÉDUQUER.

Voici un verbe banni de notre langue écrite par presque tous les grammairiens qui, nous l’avouerons avec peine, ne font pas en cette circonstance preuve de beaucoup de raisonnement. Le caprice ne doit pas diriger un homme éclairé comme il dirige l’usage, et cependant tout nous prouve que le caprice seul a pu faire dédaigner un mot que nous proclamerons, nous, nécessaire, parce qu’il exprime une idée qu’aucun autre verbe ne pourrait rendre exactement. Éduquer et instruire ont effectivement la même différence de signification que celle que nous avons fait remarquer entre les mots éducation et instruction, et nous ne voyons pas pourquoi le premier de ces substantifs serait privé de verbe quand le second en a un. Nous engageons donc nos lecteurs à ne pas se montrer plus scrupuleux sur l’emploi de ce verbe que plusieurs de nos bons auteurs, parmi lesquels figure en première ligne le correct et élégant Buffon.

«M. de la Brosse..... ne dit pas si le nègre les avait éduqués.» (Tom. XVIII, les Orangs-Outangs.)

Très-jeune et très-joli blondin
Qu’éduquait un enfant d’Ignace.
(Rhulière, Poésies.)

EFFILER.

Locut. vic. Votre couteau est bien effilé.
Locut. corr. Votre couteau est bien affilé.

Effiler, c’est défaire un tissu fil à fil, et aussi rendre long et délié, proprement et figurément, comme un fil; affiler, c’est donner le fil à un instrument coupant. On effile un morceau de toile pour en faire de la charpie; on effile un bâton par un bout pour en faire un pieu; on affile un couteau pour découper. On peut dire correctement aussi un couteau effilé, mais il doit être alors question d’un couteau long et mince. Dans ce cas on considère l’aspect du couteau entier, tandis qu’en disant un couteau affilé on ne fait plus attention qu’à une qualité de la lame.

Dans cette phrase: son nez petit, mais affilé, etc. (Gaz. des Trib., 12 juin 1833), c’est effilé qu’il faut.


ÉGALISER.

Malgré l’anathème lancé jadis par Voltaire et dernièrement par M. Ch. Nodier, sur ce mot qu’ils traitent tous les deux de barbarisme, nous persistons avec Trévoux, Restaut, Roubaud, Laveaux, Rivarol, Boiste, etc., à le trouver bon et même nécessaire. Égaler, dit le Dictionnaire de l’Académie (1802), se dit des grandeurs morales; égaliser, des grandeurs physiques. L’amour égale les hommes; on égalise un chemin raboteux. M. Laveaux ne croit pas que la décision sans fondement de Voltaire suffise pour faire proscrire ce mot. Il est d’ailleurs dans la langue depuis fort long-temps, puisque le Dictionnaire de Trévoux lui donne l’épithète de vieux. Ce prétendu barbarisme se réduit donc à un archaïsme.


ÉGAYER.

Orth. vic. Égayez ce cheval, ce linge.
Orth. corr. Aiguayez ce cheval, ce linge.

L’Académie écrit égayer et aigayer; l’Académie, selon nous, a tort de laisser ses lecteurs libres de faire un choix, qui peut souvent n’être pas fort éclairé, entre deux orthographes dont l’une est évidemment vicieuse. Aiguayer signifie laver, tremper dans l’eau, et vient du substantif aigue (eau), ce qui en détermine l’orthographe d’une manière positive.


ÉGRAFIGNER.

Locut. vic. Sa figure est tout égrafignée.
Locut. corr. Sa figure est tout égratignée.

On disait autrefois égrafigner.

Tousiours le chardon et l’ortie
Puisse esgrafigner son tombeau.
(Ronsard, Epitaphes.)

On dit maintenant égratigner.


ÉLÈVE.

Ce mot, dans sa signification d’éducation des animaux, n’a été accueilli par aucun de nos dictionnaires même des plus récens. On le trouve cependant assez fréquemment employé aujourd’hui par de bons auteurs, et, comme nous ne voyons pas de mot qui puisse le remplacer, nous ne pouvons nous empêcher de blâmer les dictionnaires de leur dédain ou de leur oubli. M. Ch. Dupin a dit: Chaptal cultiva cette plante (la betterave) dans un vaste territoire, établit ses ateliers pour la fabrication du sucre dans le château de Chanteloup, fit marcher de front ses travaux avec tous les perfectionnemens agricoles, avec l’élève d’un troupeau de 1200 mérinos à laine superfine, etc. (Disc. sur la tombe de Chaptal, 1er août 1832). On lit aussi, dans le Journal du Commerce (1er février 1832): Les encouragemens qu’on peut donner à l’élève des chevaux, etc.

Il reste à déterminer maintenant le genre de ce substantif. Nous pensons qu’étant pour ainsi dire un abrégé du mot élèvement, il doit être masculin.


ÉLEVER.

Locut. vic. Elle éleva ses yeux au ciel.
Locut. corr. Elle leva ses yeux au ciel.

«On lève, dit Girard (Synonymes), en dressant ou en mettant debout. On élève, en plaçant dans un lieu, dans un ordre éminent.»

On lève la tête, les mains, un bâton, un pont-levis, un étendard, etc. On élève un mur, la voix, le style, le cœur, l’âme, l’esprit, etc.

L’Académie permet de dire indifféremment: le vent, la tempête, l’orage, etc., se lève ou s’élève, Nous croyons plus conforme à l’usage d’employer élever dans ces locutions.


ÉLEXIR.

Locut. vic. Voici de l’élexir de Garus.
Locut. corr. Voici de l’élixir de Garus.

Ce serait élexir qu’on devrait dire d’après l’étymologie donnée par le Dictionnaire de Trévoux; alecsiro est, dit-il, un mot arabe qui signifie extraction artificielle de quelque essence.


EMBARBOUILLER.

Locut. vic. Comme sa figure est embarbouillée.
Locut. corr. Comme sa figure est barbouillée.

Embarbouiller n’est pas français, et nous ne croyons pas qu’il l’ait jamais été.


EMBARRAS.

Locut. vic.   Il fait bien son embarras.
Ce n’est pas l’embarras, je peux bien y aller.
 
Locut. corr.   Il fait bien l’important.
Au surplus, je peux bien y aller.

De ces deux mauvaises locutions, la première est la seule dont l’emploi puisse être toléré dans le langage familier, mais en y faisant un changement. Ainsi, au lieu de dire: il fait bien son embarras, dites: il fait bien de l’embarras, et vous aurez pour vous le Dictionnaire de l’Académie. Quant à la seconde ce n’est pas l’embarras, elle est complètement mauvaise et doit toujours être repoussée.


EMBAUCHOIRS.

Locut. vic. Ces embauchoirs sont trop petits.
Locut. corr. Ces embouchoirs sont trop petits.

L’Académie écrit embouchoirs et ambouchoirs. Cette dernière orthographe ne nous paraissant nullement justifiée, nous nous en tenons à la première.


EMBÊTER.

Locut. vic. Cela m’embête.
Locut. corr. Cela m’assomme.

Embêter est certainement une expression qui, dans la signification que nous venons de rapporter, est de la plus grande trivialité, et ne saurait être recueillie par nos dictionnaires, qui peuvent d’ailleurs nous offrir à sa place beaucoup d’équivalens; mais nous pensons qu’il est certains cas où embêter devient un mot très-bon, qui ne peut même être remplacé par aucun autre. Qu’un homme se trouve au milieu d’un grand nombre de bêtes, cet homme n’est-il réellement pas embêté? comme il serait encanaillé, s’il était entouré de canaille, enfariné, s’il était couvert de farine? etc. Pourquoi nos lexicographes ne nous donneraient-ils pas embêter dans ce sens-là?


EMBROUILLAMINI.

Locut. vic. C’est un embrouillamini à ne plus s’y reconnaître.
Locut. corr. C’est un brouillamini à ne plus s’y reconnaître.

Le mot brouillamini nous semble être de longueur à pouvoir très-bien se passer d’allonge. C’est au reste une chose assez remarquable que le penchant des personnes illettrées pour l’augmentation des syllabes d’un mot: rébarbaratif, cesser, écosse de pois, embarbouiller, etc., en fournissent des preuves. Cela remplit mieux la bouche et produit plus d’effet.

Voltaire s’est à tort servi de ce mot: «Il y a au troisième acte un embrouillamini qui me déplaît.» (Correspond. générale.)


ÉMÉLIE.

Prononc. vic. Émélie.
Prononc. corr. Émilie.

Quoiqu’on ait dit qu’il n’y a pas d’orthographe pour les noms propres, ce qui ne peut s’appliquer rigoureusement qu’aux noms patronimiques, et à certains noms géographiques peu connus, nous ferons remarquer en passant qu’il est fort incorrect d’écrire et de prononcer Émélie, comme on le fait quelquefois. Émilie vient d’Émile; il est inutile d’en dire davantage pour indiquer la véritable orthographe de ce nom.


ÉMINENT.

Locut. vic. Vous voilà en péril éminent.
Locut. corr. Vous voilà en péril imminent.

Éminent signifie haut, élevé, excellent; imminent signifie qui menace. Lequel de ces adjectifs doit modifier le substantif péril? C’est évidemment imminent.

L’Académie permet, il est vrai, de dire péril éminent. Nous ne voyons dans cette approbation donnée à un non-sens qu’une preuve de distraction de la part de l’Académie, ou plutôt de condescendance pour l’opinion de Vaugelas, qui a écrit (259e rem.): «J’ai vu un grand personnage qui n’a jamais voulu dire autrement que péril imminent; mais avec le respect qui est dû à sa mémoire, il en est repris non-seulement comme d’un mot qui n’est pas français, mais comme d’une erreur qui n’est pardonnable à qui que ce soit, de vouloir, en matière de langues vivantes, s’opiniastrer pour la raison contre l’usage.» Vaugelas avait dit plus haut: «Il n’est pas possible de concevoir comme on peut donner cette épithète (éminent) au péril.» Conçoit-on une docilité aussi servile pour l’usage? Quoi! vous n’osez pas prendre le parti de la raison contre l’usage! Mais dût-il être seul à commencer, tout grammairien vraiment digne de ce nom doit combattre énergiquement l’usage toutes les fois qu’il est opposé à la raison. L’usage a-t-on dit souvent, est un despote, et si les grammairiens, espèce de législateurs, se rendent ses complices au lieu de lui résister de toute leur puissance, la confusion ne cessera jamais d’exister dans notre langue. Le mot qui nous a donné lieu de faire ces réflexions, nous fait voir combien le sentiment des grammairiens peut avoir d’influence sur l’usage. D’après leur avis, les gens qui parlent bien et qui raisonnent un peu, ne disent plus aujourd’hui que péril imminent, parce qu’ils veulent trouver entre ces deux adjectifs imminent et éminent la même différence que tous nos dictionnaires, celui même de l’Académie, établissent sans exception entre les substantifs imminence et éminence, et en quoi faisant ces dictionnaires nous semblent réfuter eux-mêmes complètement leur opinion sur l’adjonction d’éminent à péril; tant la raison a d’empire!


EMPÊCHER.

Locut. vic. Vous m’empêchez la jouissance du soleil.
Locut. corr. Vous m’empêchez de jouir du soleil.

Le verbe empêcher ne pouvant avoir un nom de personne pour régime indirect, il est évident que le pronom personnel me n’est pas mis pour à moi dans notre phrase d’exemple; son rôle est ici celui de régime direct; mais comme il se trouve un autre régime de même nature dans la phrase, la jouissance du soleil, et que la grammaire s’oppose formellement à l’emploi de deux régimes directs par le même verbe, il faut changer le second en régime indirect, et c’est ce que nous avons fait.


EMPLATRE.

Locut. vic. L’emplâtre n’est pas chaude.
Locut. corr. L’emplâtre n’est pas chaud.

S’il est plus utile que le substantif emplâtre soit du genre masculin que du genre féminin, on saura que la gloire d’avoir établi ce dernier genre est due particulièrement aux médecins. Du temps de Nicod (16e siècle) il était masculin; du temps de Ménage (17e siècle) il était féminin; mais les médecins, comme nous l’avons dit tout à l’heure, prétendirent que l’on devait faire une distinction entre la matière pharmaceutique de l’emplâtre et le morceau de peau, de linge, etc., sur lequel s’étendait cette matière, et réclamèrent le masculin pour ce dernier cas. La question ainsi divisée procura une victoire complète aux médecins, qui, après avoir obtenu gain de cause partiellement, finirent par mettre emplâtre en possession du genre masculin, dont il jouit maintenant sans autre opposition que celle des gens ignares.


EMPOISONNER.

Locut. vic. Ces gens-là empoisonnent l’ail.
Locut. corr. Ces gens-là puent l’ail.

L’emploi du verbe empoisonner, dans notre phrase d’exemple, est tout-à-fait absurde, car on n’empoisonne pas l’ail, dans le sens d’y mettre du poison. On ne dit pas conséquemment ici ce qu’on veut dire, savoir: que ces gens-là empoisonnent leurs voisins par leurs exhalaisons d’ail, et voilà le vice de l’expression.

Empoisonner peut cependant recevoir la signification de puer; mais il est alors verbe actif employé neutralement. Cet égout empoisonne, sous-entendez l’air.


EMPUANTER.

Locut. vic. Cette odeur a empuanté mes vêtemens.
Locut. corr. Cette odeur a empuanti mes vêtemens.

Un journal disait il y a quelque temps: «La voirie de Montfaucon empuante l’air de plusieurs villages qui l’avoisinent.» Il fallait empuantit l’air, etc.


EN.

Locut. vic. Cette essence fait en aller les taches.
Locut. corr. Cette essence enlève les taches.

On ne peut pas employer le verbe aller, précédé du relatif en, sans y joindre le pronom personnel. Vous l’avez fait en aller est donc une phrase vicieuse. Il faut dire vous l’avez fait s’en aller.


ENCHIFERNER.

Locut. vic. Il est tout enchiferné.
Locut. corr. Il est tout enchifrené.

Prononcez aussi enchifrenement et non enchifernement.


ENCLUME.

Locut. vic. Un lourd enclume.
Locut. corr. Une lourde enclume.

Quelques grammairiens prétendent qu’enclume est masculin; l’Académie le fait féminin. Féraud, Domergue, etc., lui donnent aussi ce genre.


ENCRIER (Voy. ÉCRITOIRE).


ENFONDRER.

Locut. vic. Ce pot est enfondré.
Locut. corr. Ce pot est effondré.

Enfondrer ne se trouve pas dans nos dictionnaires; il appartenait à notre vieux langage, et nous pensons, comme M. Ch. Pougens (Archéologie fr.), qu’il pourrait être utile de le remettre en usage. Mais comme nous avons déjà effondrer pour signifier défoncer, il faudrait ne lui attribuer d’autre signification que celle d’enfoncer, qui est la seule qu’il ait dans cette phrase: «Ce n’est donc pas de merveilles si Plutarque ayant eu tant d’instructions et de maistres esloignez du chemin de la vérité spirituelle, et des prédécesseurs enfondrez en l’abyme d’ignorance, y est demeuré.» (Amyot, Vie de Plutarque.)


ENIVRER (Voy. ENORGUEILLIR).


ENNUYANT.

Locut. vic. Son livre est fort ennuyant.
Locut. corr. Son livre est fort ennuyeux.

«L’adjectif verbal tiré d’un verbe actif indique assez par sa terminaison active, qu’il doit être appliqué à une action, et la terminaison eux indique une qualité inhérente au sujet auquel on l’applique. Ainsi, on pourra dire, selon les circonstances, ennuyant ou ennuyeux des personnes et des choses. Un homme ennuyeux est un homme qui, par sa simplicité, par sa sottise, par l’habitude de bavarder ou d’importuner de toute autre manière, a tout ce qu’il faut pour ennuyer. Un discours ennuyeux est un discours long et diffus, qui, n’ayant ni suite, ni liaison, ni intérêt, ne peut être lu ou entendu sans causer de l’ennui. Un homme ennuyant est un homme qui ennuie actuellement par sa présence, ses discours, ou de quelque autre manière. Un discours ennuyant est un discours qui ennuie actuellement, soit parce qu’il est mal fait, soit parce qu’il est mal débité. Un homme peut être ennuyant sans être ennuyeux, c’est-à-dire qu’il peut, par défaut d’attention ou de jugement, faire des choses qui ennuient, quoiqu’en général il ait toutes les qualités nécessaires pour être agréable, et qu’il le soit ordinairement.» (Laveaux, Dict. des difficultés.)

L’épithète d’ennuyant appliquée à quelqu’un est un mauvais compliment; celle d’ennuyeux est presque une insulte.


ENORGUEILLIR.

Prononc. vic. Vous êtes é-norgueilli.
Prononc. corr. Vous êtes en-orgueilli.

Dans les mots composés commençant par en, suivi d’une voyelle ou d’un h muet, si le prépositif est é, comme dans les mots énerver, énombrer, énumérer, il faut prononcer é-nerver, é-nombrer, é-numérer; mais lorsque le prépositif est en, il est nécessaire de conserver à cette syllabe la prononciation qu’elle aurait si elle était isolée. Enamourer, enivrer, enorgueillir, enhuiler, ennoblir doivent en conséquence se prononcer en-amouré, en-ivrer, en-orgueillir, en-huiler, en-noblir. La prononciation de ce dernier mot par a, anoblir, indiquée par M. Laveaux, ne saurait être admise, car elle manquerait à-la-fois aux lois de l’étymologie et de l’analogie, et de plus confondrait dans la prononciation les deux verbes anoblir et ennoblir. L’Académie veut, avec raison, que l’on donne à la première syllabe d’ennoblir le son nasal de en dans ennui.


EN OUTRE DE.

Locut. vic. En outre de cela.
Locut. corr. Outre cela.

En outre de est une expression justement repoussée par la grammaire et par l’usage, car il est très-facile, comme on vient de le voir, de la remplacer par un seul mot, sans que le discours y perde nullement.


ENSUITE DE.

Locut. vic. Ensuite de cela nous partîmes.
Locut. corr. Après cela nous partîmes.

Cette manière de parler n’est jamais usitée par nos bons écrivains modernes, et du temps de Vaugelas elle était déjà bannie du beau style.


ENVIRONS (AUX).

Locut. vic. Aux environs de la Saint-Martin.
Locut. corr. Vers la Saint-Martin.

Cette préposition n’est usitée, en bon langage, que devant un nom de lieu: Il y a de beaux sites aux environs de cette ville. La phrase suivante de Saint-Foix (Essais hist.): La fête des fous qui se célébrait aux environs de Noël, renferme une faute; l’emploi de la préposition aux environs pour la préposition vers.


ÉPIGRAPHE.

Locut. vic. Cet épigraphe est bien court.
Locut. corr. Cette épigraphe est bien courte.

ÉPISODE.

Locut. vic. Cette épisode est amusante.
Locut. corr. Cet épisode est amusant.

«Dans un livre d’ailleurs bien écrit, je viens de remarquer cette phrase: Un tel évènement présente une ample matière à la plus brillante épisode d’un ouvrage. C’est une faute: épisode est du genre masculin.

(Philipon la Madelaine, Gramm. des gens du monde.)


ÉQUIVOQUE.

Locut. vic. C’est un grossier équivoque.
Locut. corr. C’est une grossière équivoque.

Boileau a dit:

Du langage françois bizarre hermaphrodite,
De quel genre te faire, équivoque maudite,
Ou maudit?
(Sat. XII.)

Du genre féminin, répondrons-nous. C’est maintenant un point décidé.


ÉRATÉ.

Locut. vic. Il court comme un ératé.
Locut. corr. Il court comme un dératé.

Ératé se trouve, nous le croyons, dans tous les dictionnaires, et tous les dictionnaires lui donnent la même signification qu’à dératé. M. Ch. Nodier (Examen crit. des Dict.) dit qu’ératé est un barbarisme. Nous pensons effectivement que ce mot devrait être banni pour être remplacé par dératé, dont la formation est bien plus en analogie avec les mots destinés par la syllabe prépositive à rendre l’idée de privation, et qui sont infiniment plus nombreux que ceux dans lesquels on a exprimé la même idée par la syllabe é. Pourquoi d’ailleurs conserver à la langue deux mots parfaitement synonymes, et qui n’ont entre eux d’autre différence que celle d’une lettre? Ne vaut-il pas mieux faire un choix?


ÉRÉSIPÈLE.

Locut. vic. C’est une érésipèle.
Locut. corr. C’est un érysipèle.

On trouve érésipèle dans Voltaire et quelques autres bons auteurs. C’est une vieille orthographe; maintenant on écrit érysipèle. Ainsi l’usage s’est rapproché de l’étymologie dans le cas présent. C’est le contraire de ce qu’il fait ordinairement.


ERRATUM.

Locut. vic. Cette faute donnera lieu à un erratum.
Locut. corr. Cette faute donnera lieu à un errata.

MM. Laveaux (Dict. des diff.) et Ch. Nodier (Examen crit. des dict.) veulent qu’on écrive errata lorsqu’il n’est question que d’une faute, comme lorsqu’il est question de plusieurs. L’Académie, MM. Boiste, Raymond, etc., disent que le singulier doit être erratum, et le pluriel errata. Certes l’étymologie est en leur faveur, car erratum est bien en latin le singulier d’errata. Mais alors pourquoi ne dirait-on pas des maxima, des minima, des patres, etc., qui sont aussi les pluriels de maximum, minimum, pater, etc.? Et pourquoi encore, vice versa, ne dirait-on pas un duplicatum, un visum, un opus puisque ces mots sont les singuliers de duplicata, visa, opera. On doit sentir combien il serait ridicule de vouloir former le pluriel des noms qu’on emprunte aux langues étrangères, de la même manière qu’il se forme dans ces langues. Ce serait ajouter de nouvelles exceptions à nos règles qui n’en ont déjà que trop. Nous ne pensons donc pas que MM. les députés qui, à la séance du 7 mars 1832, se mirent à rire en entendant M. le président annoncer que le Moniteur publierait un errata pour la séance de la veille, aient eu raison dans leur critique grammaticale. Errata est maintenant employé au singulier par nos meilleurs écrivains.

«Depuis qu’on enseigne peu la langue latine en France, dit Feydel (Rem. sur le Dict. de l’Acad.), nous voyons souvent le mot erratum substitué au mot français errata, par des gazetiers et des imprimeurs qui veulent donner au public une idée magnifique de leur capacité. L’Académie française aurait dû prévoir cette ridicule innovation, et la condamner par un exemple.»


ERRES.

Prononc. vic. Voici les erres du marché.
Prononc. corr. Voici les arrhes du marché.

«Le peuple de Paris a changé arrhes en erres: des erres au coche; donnez-moi des erres. C’est une faute.»

Voltaire, à qui nous empruntons ce passage, a raison lorsqu’il dit que l’emploi du mot erres pour arrhes est une faute, mais il aurait dû ajouter maintenant; et surtout ne pas s’en prendre au peuple de Paris qui n’a rien changé ici, et qui, au contraire, se montre en cette circonstance, comme dans beaucoup d’autres, fidèle conservateur du langage de ses pères. Le mot erres pour arrhes se trouve dans nos vieux auteurs, dans le Trésor de Recherches de Borel, et dans le Dictionnaire de Trévoux, qui dit qu’on doit écrire et prononcer erres au propre, et arrhes seulement au figuré. Cette ridicule distinction a disparu; arrhes seul est resté.

Le substantif arrhes est féminin. Les premières arrhes que nous avons reçues.


ERRIÈRE.

Locut. vic. Faites trois pas en errière.
Locut. corr. Faites trois pas en arrière.

Errière est un barbarisme.


ENNOBLIR.

Locut. vic.   Le coq, dit un proverbe, ennoblit la poule.
Cet homme anoblissait son état.
 
Locut. corr.   Le coq, dit un proverbe, anoblit la poule.
Cet homme ennoblissait son état.

«Ennoblir c’est rendre plus considérable, plus noble, plus illustre. Anoblir, c’est faire noble, rendre noble, donner des lettres de noblesse.

«Anoblir exprime un changement d’état social; ennoblir, un changement d’état moral. Une belle action ennoblit un caractère. Il y a des charges qui anoblissent.

«Les anoblis ne sont pas toujours ennoblis aux yeux des hommes de sens; tous ceux qui se sont ennoblis par une conduite généreuse n’ont pas été anoblis.

«Anoblir exprime une métamorphose d’état, qui n’est souvent qu’un changement de nom, sans que celui qui l’obtient y ait contribué par son mérite: aussi peut-on être anobli par des crimes; la vertu seule peut ennoblir. (Guizot, Nouv. Dict. univ. des Synonymes.)


ENSEIGNER.

Locut. vic. Ces jeunes gens sont mal enseignés.
Locut. corr. Ces jeunes gens sont mal instruits.

Enseigner s’emploie au passif en parlant des choses: les mathématiques sont bien enseignées dans ce collège, et non des personnes, comme l’a fait Bossuet dans la phrase suivante: je ne refuserai jamais d’être enseigné du moindre de l’église.

L’Académie croit qu’on peut dire: enseigner les ignorans. Nous ne sommes pas de son avis. L’usage nous paraît vouloir que l’action du verbe enseigner tombe directement sur un nom de chose, et indirectement sur un nom de personne. Enseigner une chose à quelqu’un. Instruire s’emploie dans un sens contraire. Son action directe tombe sur la personne; son action indirecte sur la chose. Instruire quelqu’un de ou dans quelque chose. Pourquoi donc confondre les termes quand chacun d’eux a une signification qui lui est propre?


ÉPIDERME.

Locut. vic. Une épiderme épaisse.
Locut. corr. Un épiderme épais.

Trompé par l’étymologie sans doute, Molière a fait la faute que nous signalons ici.

La beauté du visage est un frêle ornement,
Une fleur passagère, un éclat d’un moment,
Et qui n’est attaché qu’à la simple épiderme.
(Femmes savantes.)

ÉPISODE.

Locut. vic. Cette épisode est attachante.
Locut. corr. Cet épisode est attachant.

Le genre de ce substantif était douteux du temps de Vaugelas (341e Rem.) mais le masculin a depuis longtemps prévalu, et madame de Staël n’est pas excusable d’avoir dit une charmante épisode.


ÉPITHALAME.

Locut. vic. Une longue épithalame.
Locut. corr. Un long épithalame.

Féminin autrefois, masculin aujourd’hui.


ÉQUESTRE.

Prononc. vic. Une statue ékestre.
Prononc. corr. Une statue équ-estre.

L’u doit également se faire sentir dans les mots suivans: équateur, équatorial, équation (écouateur, écouatorial, écouation), équiangle, équidistant, équilatéral, équilatère, équimultiple, équitation (écuiangle, écuidistant, etc.).


ESCLANDRE.

Locut. vic. Il m’a fait une belle esclandre!
Locut. corr. Il m’a fait un bel esclandre!
Le pauvre loup, dans cet esclandre,
Empêché par son hoqueton,
Ne put ni fuir, ni se défendre.
(La Fontaine, liv. III, fab. 3.)

Malgré cet exemple et l’autorité de l’Académie, on trouve quelquefois esclandre féminin, et même dans des dictionnaires, celui de Rivarol, entr’autres.

Quoi qu’il en soit, M. Scribe a fait une faute dans le vers suivant:

Condamnons par maintes esclandres, etc.
(Nouv. Pourceaugnac, sc. 3.)

ESPADRON.

Locut. vic. Ils se battirent à l’espadron.
Locut. corr. Ils se battirent à l’espadon.

Si l’on en croyait l’usage et une autre autorité plus éclairée, Feydel (Rem. sur le Dict. de l’Acad.), ce serait espadron qu’il faudrait dire. Mais l’opinion de Feydel n’est malheureusement pas plus développée que celle de l’usage, ou, pour mieux dire, ne l’est pas du tout, et dans notre impuissance d’apprécier les motifs qui l’ont amenée, nous croyons devoir nous en tenir à l’orthographe de l’Académie et de tous nos lexicographes. Pourquoi d’ailleurs le mot français espadon ne viendrait-il pas du mot espagnol espadon, augmentatif d’espada, épée? Cette étymologie n’en vaut-elle pas bien une autre?


ESPÉRER.

Locut. vic. Espérez-moi, nous partirons ensemble.
Locut. corr. Attendez-moi, nous partirons ensemble.

Ce verbe ne peut jamais avoir un nom de personne pour régime direct.


ESTOMAC.

Prononc. vic. Estomak.
Prononc. corr. Estoma.

On ne prononce estomak que devant un mot commençant par une voyelle ou un h muet. Son estomak est faible. Estomak habitué au jeûne.


ÉTAT (FAIRE).

Locut. vic. On fait peu d’état de ce magistrat.
Locut. corr. On fait peu de cas de ce magistrat.

Cette expression est quelquefois employée, en deux sens différens, dans des phrases qui ont aujourd’hui quelque chose de trop vague pour être tolérées. «Je fais beaucoup d’état de M. votre frère. Je fais état qu’il y a plus de cent mille ames à Lyon (Gattel). Dans la première de ces phrases d’exemple, je fais état est un archaïsme qui ne paraît pas fort important à renouveler. Dans la seconde, c’est une locution barbare et inadmissible.» (Ch. Nodier, Examen Crit. des Dict.)

M. Gattel aurait dû dire: Je fais beaucoup de cas de M. votre frère; et Je pense, je présume qu’il y a plus de cent mille ames à Lyon. Écrivons et parlons selon l’esprit de notre langue, c’est-à-dire avec netteté. Nous ne manquons pas d’équivalens pour remplacer les locutions proscrites par le goût ou par l’usage, qui, notons-le en passant, sont deux autorités tout-à-fait distinctes.


ÉTHIQUE.

Orth. vic. Un cheval éthique.
Orth. corr. Un cheval étique.

Éthique est un substantif féminin qui signifie morale: la logique, l’éthique, etc. Étique est un adjectif qui signifie maigre, desséché, etc.


ÊTRE.

Locut. vic.   Je fus le complimenter.
J’ai été le voir.
 
Locut. corr.   J’allai le complimenter.
Je suis allé le voir.

Je fus le complimenter est vicieux, en ce que le verbe être ne doit jamais avoir la signification du verbe aller. Quelqu’un qui dirait je suis le complimenter, ferait très-certainement, de l’avis de tout le monde, une faute grossière. Pourquoi serait-il donc permis d’employer au prétérit défini, dans un certain sens, un verbe qu’on ne pourrait employer dans le même sens au présent de l’indicatif? Voltaire s’est déjà élevé contre l’emploi vicieux du verbe être pour le verbe aller; nous allons citer ici un passage d’un écrivain distingué de nos jours qui nous a paru faire parfaitement ressortir le ridicule de cette locution, «Le verbe être, dit M. Ch. Nodier (Examen Crit. des Dict..) détermine un état; c’est même là sa fonction spéciale dans le langage. Il ne peut donc pas être suivi d’un infinitif qui en détermine un autre. Pour vous assurer de sa propriété, ramenez la phrase à l’infinitif être: cette règle est infaillible.

«Être à Paris est du très-bon français; être le voir est barbare. On dit: je suis allé le voir, j’ai été chez lui.

«La nuance de ces expressions, dans le cas même où elles peuvent être indifféremment employées sans faute grammaticale, est cependant très-importante à saisir, car c’est elle qui détermine la physionomie de l’idée. Quelqu’un qui dirait: j’ai été à Paris en poste ne dirait pas ce qu’il veut dire, s’il voulait faire entendre qu’il a pris la poste pour y aller. La logique et la langue exigent je suis allé. Il en serait de même, dans certains cas, pour cette dernière locution.

«Les beaux parleurs et les écrivains maniérés enchérissent ridiculement sur cette petite difficulté, en substituant l’aoriste au prétérit. C’est très-mal s’exprimer que de dire: nous y fûmes pour nous y allâmes, et il n’y a rien de plus commun. Quant à cet aoriste, même dans le sens de nous y avons été, il peut être fort bien en son lieu: le style a tant de secrets!»

On peut donc, en résumant tout ce qu’ont dit nos meilleurs grammairiens sur le verbe être substitué au verbe aller, conclure que cette substitution ne peut jamais avoir lieu à moins qu’à l’idée de marche, de mouvement, que présente le verbe aller, ne se joigne l’idée de séjour, de demeure, attachée au verbe être. Ainsi cette phrase: j’ai été à Paris en poste, citée par M. Ch. Nodier, est mauvaise; mais ôtez ce complément en poste, et dites j’ai été à Paris, et votre phrase deviendra bonne. Pourquoi? parce que dans le premier cas il ne s’agit que de mouvement, et que c’est le verbe aller qu’il faut employer là, et que, dans le second, il est question de séjour. La dernière phrase enfin équivaut à celle-ci: j’ai vécu, j’ai existé à Paris.


ÊTRE DE RIEN.

Locut. vic. Cette personne ne m’est de rien.
Locut. corr. Cette personne m’est étrangère.

Nous ne pensons pas qu’on puisse considérer comme française cette locution être de rien, malgré l’emploi qu’en ont fait quelques auteurs, Madame de Sévigné entr’autres: le beau temps ne vous est de rien, et malgré l’honneur que lui font nos dictionnaires de la faire figurer dans leurs colonnes. On pourrait, en supprimant la préposition de, en faire une expression familière dont l’analyse deviendrait au moins possible; mais on n’aura jamais, en la conservant, qu’un véritable galimathias.


EUCHARISTIE, EUCOLOGE, EUGÈNE, EUPHÉMIE, EUPHÉMISME, EUPHRATE, EURIPIDE, EUROPE, EUSÈBE, EUSTACHE, EUTERPE, etc.

Prononc. vic. Ucharistie, Ucologe, etc.
Prononc. corr. Œucharistie, Œucologe, etc.

EURE.

Prononc. vic. La rivière d’Ure.
Prononc. corr. La rivière d’Eure.

Voltaire peut avoir fait rimer Eure avec nature et structure (Henr.), et M. Philippon de la Magdeleine (Homonymes fr.), s’appuyant probablement sur cette autorité, peut avoir considéré ce nom propre comme un homonyme du substantif hure et du verbe eurent, sans que cependant il soit permis de lui donner une prononciation autre que celle de demeure, heure, beurre, etc. M. de Lanneau, dans son Dictionnaire des rimes, a aussi placé Eure parmi les mots terminés en ure, comme étamure, facture, etc. C’est une erreur qu’il corrigera probablement quelque jour. Qui pourrait s’empêcher de rire s’il entendait quelqu’un raconter un voyage qu’il viendrait de faire dans le département de l’Ure, et qui lui aurait fourni l’occasion de faire connaissance avec le vénérable M. Dupont de l’Ure? Ne croirait-on pas avoir affaire à un Gascon?


ÉVANGILE.

Locut. vic. Cette évangile est longue.
Locut. corr. Cet évangile est long.

Évangile est neutre en grec et en latin. Il doit être masculin en français d’après son étymologie. Comme il était féminin autrefois, ce genre lui est encore conservé par quelques personnes qui feraient beaucoup mieux de se conformer à l’usage actuel.

L’évangile au chrétien ne dit en aucun lieu,
Sois dévot; elle dit: sois doux, simple, équitable.
(Boileau, Sat. XI.)

ÉVANTAIL.

Locut. et Orth. vic. Une évantail.
Locut. et Orth. corr. Un éventail.

L’orthographe bien constatée du radical vent, à la famille duquel appartient certainement le mot éventail, nous dispense d’entrer dans plus de développemens pour faire voir que l’auteur des Omnibus du langage a eu tort d’écrire évantail par un a.


ÉVITER.

Locut. vic. Vous m’ayez évité des désagrémens.
Locut. corr. Vous m’avez épargné des désagrémens.

Éviter quelque chose à quelqu’un est un solécisme, comme observer, remarquer quelque chose à quelqu’un. Vous pouvez éviter quelque chose, mais non l’éviter à quelqu’un. Vous ne pouvez que le lui faire éviter. Quelques-uns de nos bons écrivains ont fait cette faute grave, blâmée par l’élite de nos grammairiens. «Le lapin, dit Buffon, évite par là à ses petits les inconvéniens du bas âge.—Je veux, dit Marmontel, vous éviter l’ennui de trouver cet homme maussade.» Féraud, qui rapporte ces deux exemples, paraît s’étonner que l’Académie n’ait pas consacré l’emploi d’éviter dans le sens d’épargner. «Ce peut être, dit-il, un oubli.» Comment! l’Académie commet un oubli quand elle fait bien! Mais, M. Féraud, c’est une épigramme.


EXACT.

Prononc. vic. C’est exa.
Prononc. corr. C’est exacte.

Quelques grammairiens veulent que le c et le t de ce mot soient nuls dans la prononciation; d’autres, parmi lesquels se trouve Laveaux, recommandent de les faire sentir. Nous adoptons cette dernière opinion que la raison et l’usage sanctionnent.


EXAMEN.

Prononc. vic. Il a passé un éxamenne.
Prononc. corr. Il a passé un examein.

Ne vaut-il pas beaucoup mieux soumettre à notre prononciation nationale tout mot étranger qui passe dans notre langue, que d’aller laborieusement rechercher la prononciation de ce mot dans l’idiôme auquel on l’emprunte? Dix, vingt, trente personnes, enchantées du vernis de savoir que cette prononciation exotique pourra répandre sur elles, se hâteront sans doute de l’adopter; mais la masse de la nation saura toujours, n’en doutons pas, repousser un pédantisme ridicule qui ne se plaît qu’à augmenter le nombre des difficultés d’une langue qu’elle ne parle à peu près bien qu’avec tant de peine, grâce à mille fantaisies de grammatistes.

Examen a éprouvé le sort de vermicelle, club, violoncelle, etc., qu’on a voulu nous faire prononcer vermichelle, clob, violonchelle, etc., et qui ne se sont définitivement naturalisés parmi nous qu’en se francisant tout-à-fait.

Le Trévoux, imité à tort par beaucoup de personnes, écrit éxamen. On ne doit jamais accentuer un e suivi d’un x.


EXCELLENT.

Locut. vic. Celui-ci est plus excellent.
Locut. corr. Celui-ci est meilleur.

Cette phrase de Vaugelas: un de nos plus excellens écrivains modernes, etc. (262e Rem.), est vicieuse, en ce que le mot excellent est un superlatif absolu qui ne peut être modifié par un adverbe. Ce qui est excellent ne peut l’être ni plus ni moins. Il est impossible d’alléguer ici en faveur du célèbre grammairien l’usage de son temps, car la logique est de tous les temps, et cette expression est évidemment contre la logique; aussi est-elle blâmée par tous nos grammairiens modernes.


EXCUSE (Voy. DEMANDER).


EXÉCRABLE.

Prononc. vic. Ec-cécrable.
Prononc. corr. Eg-zécrable.

Ex, suivi d’une voyelle, se prononce egz; suivi d’une consonne, ec.


EXEMPLE.

Locut. vic. Cet exemple d’écriture est mal fait.
Locut. corr. Cette exemple d’écriture est mal faite.

Dans ses autres acceptions, exemple est toujours masculin.


FACE (EN).

Locut. vic. L’escalier est en face la porte.
Locut. corr. L’escalier est en face de la porte.

En face, sans la préposition de, est un adverbe, regardez en face, la porte en face, et ne peut avoir de complément.


FACHÉ.

Locut. vic. Je suis fâché avec lui.
Locut. corr. Je suis fâché contre lui.

L’Académie ne donne, dans son Dictionnaire (1802), que la seconde de ces locutions, d’où l’on peut sans doute inférer qu’elle ne reconnaît pas la première.


FAÇONNEUR.

Locut. vic. Ne faites pas le façonneur.
Locut. corr. Ne faites pas le façonnier.

FAC-SIMILE.

Prononc. vic. Voici un fac simil de son écriture.
Prononc. corr. Voici un fac similé de son écriture.

Fac simile est latin, et les mots de cette langue ont le privilège immémorial dans beaucoup de langues, et particulièrement dans la nôtre, de ne pas être soumis aux règles de la prononciation nationale. Il faut donc prononcer fac similé, qu’on écrit sans accent, parce qu’en latin tous les e sont fermés.


FAIGNIANT.

Locut. vic. C’est un faigniant.
Locut. corr. C’est un fainéant.

Des deux mots faire et néant a été formée l’expression fainéant, c’est-à-dire fait-rien.


FAIM (MANGER SA). Voy. SOIF.


FAINGALE, FRINGALE.

Locut. vic. Il a la faingale, la fringale.
Locut. corr. Il a la faim-vale.

L’Académie et Trévoux écrivent faim-vale. Nous avons préféré cette orthographe, délaissée par M. Ch. Nodier, parce que nous la croyons plus ancienne, plus étymologique, et au moins aussi usitée que les deux autres. On trouve dans Baïf:

Tout l’été chanta la cigale:
Et l’hiver elle eust la faim-vale.
(Mimes et enseignemens.)

FAIRE DE LA PLUIE, DU VENT, etc.

Locut. vic. Il fait de la pluie, du vent, etc.
Locut. corr. Il tombe de la pluie, il vente.

«Sur les bords de la Garonne, on dit il fait du brouillard, du serein, de la rosée, de la pluie, etc. Il faut dire: il tombe, etc.» (Desgrouais, Gasconismes corrigés.)

Faire ne doit s’employer pour indiquer la constitution du temps que lorsqu’il n’y a pas possibilité de le remplacer par un autre verbe. Ainsi dans ces phrases il fait chaud, il fait beau, il fait froid, le verbe faire est le seul dont on puisse se servir, à moins d’avoir recours à des périphrases assez longues. Mais dans ces autres exemples: il fait de la pluie, etc. du vent, du tonnerre, etc., rien n’est certainement plus facile que de faire usage d’autres manières de parler, comme il pleut ou il tombe de la pluie, etc., il vente, il tonne, etc., qui ont le double avantage d’être plus logiques et d’être préférées par nos bons écrivains.


FAIRE LUMIÈRE.

Locut. vic. Faites-nous lumière dans l’escalier.
Locut. corr. Éclairez-nous dans l’escalier.

«Un académicien qui était allé voir Fontenelle, se plaignait, en se retirant à la nuit, de ce que la domestique ne lui faisait pas lumière. Excusez-la, lui dit Fontenelle, elle n’entend que le français.» (Chapsal, Nouv. Dict. gramm.)


FAIRE UNE MALADIE.

Locut. vic. Il a fait une longue maladie.
Locut. corr. Il a eu une longue maladie.

Faire une maladie est une expression absurde. Ne faudrait-il pas avoir réellement le diable au corps pour s’amuser à faire des maladies pour soi ou pour les autres?


FAIT MOURIR.

Locut. vic. Ce brigand a été fait mourir.
Locut. corr. Ce brigand a été exécuté.

Beaucoup de personnes emploient passivement le participe passé du verbe composé faire mourir, comme dans l’exemple que nous venons de citer. On doit éviter avec soin cette vicieuse locution, indice assez général d’une instruction fort négligée.

On lit dans Vaugelas (Remarque 245e) «Cette façon de parler est toute commune le long de la rivière de la Loire, et dans les provinces voisines, pour dire: fut exécuté à mort. La noblesse du pays l’a apportée à la cour, où plusieurs le disent aussi, et M. Coeffeteau, qui était de la province du Maine, en a usé toutes les fois que l’occasion s’en est présentée. Les Italiens ont cette même phrase, et le cardinal Bentivoglio, l’un des plus exacts et des plus élégans écrivains de toute l’Italie, s’en est servi en son histoire de la guerre de Flandres, au quatrième livre. Lo strale, dit-il, già borgomastro d’Anversa, e che tanto haveva fomentate le seditioni di quella città, fu fatto morire en Vilvorde.»

Nous ferons une remarque sur celle de Vaugelas; c’est que, de nos jours, lorsqu’on dit qu’un homme a été exécuté, il est inutile d’ajouter à mort. Le verbe exécuter n’a toutefois cette énergique valeur qu’en matière criminelle, car tout le monde sait fort bien qu’exécuter quelqu’un, en termes de pratique, signifie saisir ce qu’il possède pour payer ce qu’il doit. Mais on dit plus généralement en ce sens, exécuter chez quelqu’un, exécuter les meubles de quelqu’un, et bien plus généralement encore: saisir chez quelqu’un.


FALLOIR.

Locut. vic. Il faut mieux prendre ce parti.
Locut. corr. Il vaut mieux prendre ce parti.

Le verbe falloir exprime une nécessité, et toute nécessité est absolue. Falloir ne peut donc souffrir après lui aucun adverbe qui le modifie, et doit être remplacé, dans la phrase que nous avons citée, par le verbe valoir.


FAMEUX.

Locut. vic. Il avait une fameuse soif.
Locut. corr. Il avait une ardente soif.

La soif de Tantale est réellement fameuse; mais cet adjectif n’est, dans notre exemple, qu’une hyperbole ridicule.


FARBALA, FALBANA.

Locut. vic. C’est une robe à farbala, à falbana.
Locut. corr. C’est une robe à falbala.

«On attribue à ce mot, dit M. Ch. Nodier, une singulière étymologie, qu’il faut recueillir pour éviter des tortures aux Ménages à venir. Un prince, étonné de l’assurance avec laquelle une marchande de modes se flattait d’avoir dans son magasin tout ce qui peut servir à la parure des femmes, s’avisa de lui demander des falbalas, mariant au hasard les premières syllabes qui se présentèrent à son esprit. On lui apporta sans hésiter cette espèce d’ornement qui en a conservé le nom.» (Exam. crit. des Dict.).


FARCE.

Locut. vic. Votre ami est farce.
Locut. corr. Votre ami est farceur.

Farce est un substantif, faire une farce, et non un adjectif, quoique M. Raymond ait cru pouvoir le placer comme tel dans son dictionnaire, contrairement à l’avis de presque tous nos grammairiens.


FATIGUER.

Locut. vic. Cet homme fatigue beaucoup.
Locut. corr. Cet homme se fatigue beaucoup.

L’Académie et plusieurs grammairiens distingués approuvent l’emploi de fatiguer, comme verbe neutre, avec un nom de personne pour sujet. L’usage est contraire à cette manière de parler, et, à quelques exceptions près, on ne trouve, dans nos bons auteurs, le verbe fatiguer employé, en parlant des personnes, que comme verbe actif. Le neutre est réservé pour les choses. C’est une richesse de notre langue qui nous permet de comprendre, lorsqu’on dit elle fatigue beaucoup, qu’il est question d’une chose, d’une poutre par exemple, et non d’une femme, parce qu’il aurait fallu dire, dans ce dernier cas, elle se fatigue beaucoup. Notre langue ne doit pas dédaigner ses richesses; on ne l’a jamais accusée d’en avoir trop.


FAUTE.

Locut. vic. Ce n’est qu’une faute d’inattention.
Locut. corr. Ce n’est qu’une faute d’attention.

Une faute d’attention est une faute commise par l’attention, c’est-à-dire une inattention; mais si vous dites: vous avez fait une faute d’inattention, c’est comme si vous disiez: votre inattention a fait une faute, ou, en d’autres termes, vous avez eu de l’attention. Or, ce n’est pas là ce qu’on veut exprimer; cette manière de parler est donc défectueuse.


FER A CHEVAL, FER DE CHEVAL.

Locut. vic.   Ce fer à cheval est mal forgé.
La table était faite en fer de cheval.
 
Locut. corr.   Ce fer de cheval est mal forgé.
La table était faite en fer à cheval.

La distinction que nous venons d’établir nous paraît bien minutieuse, et il ne faut rien moins que l’autorité du Dictionnaire de l’Académie pour nous engager à appuyer cette ridicule fantaisie de puriste. Conçoit-on qu’on doive dire qu’une table qui a la forme d’un fer de cheval est faite en fer à cheval? ne vaudrait-il pas mieux dire, comme le veut l’usage, un fer à cheval, au propre et au figuré?


FERMER.

Locut. vic. Pourquoi nous a-t-on fermés dans cette chambre?
Locut. corr. Pourquoi nous a-t-on enfermés dans cette chambre?

«Fermer pour enfermer est un gasconisme. Fermez vos livres dans cette armoire; et aussi se fermer pour s’enfermer; se fermer dans sa chambre, dans un cloître.» (Desgrouais, Gasc. corr.)


FÊTE DE DIEU.

Locut. vic. Le jour de la fête de Dieu.
Locut. corr. Le jour de la Fête-Dieu.

L’expression de Fête-Dieu est fort ancienne. A l’époque où elle prit naissance, l’usage permettait de joindre deux mots, dont l’un était en génitif, sans que ce rapport fût marqué par la préposition de. Plusieurs expressions, que nous avons encore, ont été formées de cette manière, telles que Hôtel-Dieu, Apport-Paris, etc. Le génie de notre langue s’est modifié depuis, mais nous avons conservé ces vieux mots, débris du moyen âge, qui ne sont plus pour nous, après tout, que de véritables anomalies, et contre lesquels il n’est pas étonnant que le bon sens populaire proteste quelquefois.


FEU.

Mon feu, mes feux, sont des expressions ridicules, dont nos poètes se sont long-temps servis pour dire: mon amour, et qui ne devraient plus être employées maintenant. Ce serait du classicisme outré dont les romantiques auraient raison de se moquer. Il est temps d’abandonner toutes ces vieilles métaphores, usées par un emploi immodéré, pour ne parler, autant que possible, que le langage de la nature. Les vers suivans ne sont-ils pas tout à fait risibles aujourd’hui?

Tout allume des feux que je voudrais éteindre.
(Baour-Lormian, Mahomet II, act. 2.)
Son cœur brûle des mêmes feux.
(Viennet, Clovis, act. 2.)
Des feux que dans mon cœur vous avez allumés.
(Liadières, Conradin et Frédéric, act. 2.)

FEU.

Orth. vic.   Feue la reine.
La feu reine.
 
Orth. corr.   Feu la reine.
La feue reine.

«Ce mot n’a point de pluriel, et même il n’a pas de féminin lorsqu’il est placé avant l’article ou avant le pronom personnel.» (Acad.) Feu ma tante, ma feue tante.


FIBRE.

Locut. vic. De longs fibres.
Locut. corr. De longues fibres.

Le genre de ce substantif, resté long-temps douteux, ne l’est plus aujourd’hui. Le féminin a prévalu.


FILS.

Locut. vic. Le fils Durand est parti.
Locut. corr. Durand fils est parti.

Le père Michaud, la mère Roger, sont des personnes d’un âge mûr, qu’on nomme ainsi seulement à cause de leur âge, et qui peuvent ne pas avoir d’enfans. Michaud père, madame Roger mère, sont vraiment un père et une mère, et si l’on ajoute à leurs noms ces mots père et mère, c’est afin de les distinguer de leurs enfans. C’est par analogie avec ces deux dernières locutions que l’on doit dire Durand fils, puisque fils est ici un véritable titre de relation, qui ne peut recevoir l’acception détournée qu’on attribue aux mots père et mère dans ces locutions, le père Michaud, la mère Roger.

Prononcez fi partout ailleurs que devant un mot commençant par une voyelle. Dites un fi reconnaissant et un fi zingrat.


FIXER.

Locut. vic. Vous le fixez assez long-temps pour le reconnaître.
Locut. corr. Vous le regardez assez long-temps pour le reconnaître.

Si ce verbe, dans le sens de regarder fixement, n’est pas reçu dans la langue, ce n’est cependant pas un de ces mots que frappe une réprobation universelle. Les grammairiens n’en veulent pas, il est vrai, mais en revanche il compte dans la littérature quelques protecteurs, au nombre desquels nous citerons Crébillon fils, Fréron, madame de Genlis, Delille, etc. M. Charles Nodier, qui assure que cent autres auteurs s’en sont servis, a voulu aussi prêter son patronage à ce verbe que l’Académie a toujours repoussé jusqu’à présent, et qui ne nous paraît réellement pas avoir des droits suffisans pour être admis dans la langue. Et cependant, comme le dit M. Ch. Nodier, il est certain que cette acception nouvelle du verbe fixer ne manque pas d’énergie.

Voltaire dit à ce sujet (Quest. Encyclop.): «Quelques Gascons hasardèrent de dire: j’ai fixé cette dame, pour je l’ai regardée fixement, j’ai fixé mes yeux sur elle. De là est venue la mode de dire fixer une personne. Alors vous ne savez point si on entend par ce mot: j’ai rendu cette personne moins volage, ou je l’ai observée, j’ai fixé mes regards sur elle. Voilà une nouvelle source d’équivoques;» et voilà pourquoi, ajouterons-nous, il est nécessaire de bannir cette expression.


FLAMME.

Ce mot, comme celui de feu, dans le sens d’amour, est devenu si trivial, qu’on ne l’entend guère maintenant sans éprouver quelque envie de rire. Comment se fait-il que nos poètes modernes s’en servent encore si souvent?

C’est donc toi qui, brûlant d’une flamme insolente.
(Viennet, Clovis, act. 2.)
Sa sœur, crédule et vaine, encourage ma flamme.
(Ancelot, Fiesque, act. 2.)

Supposez (et la supposition ne doit pas coûter beaucoup) qu’un acteur un peu froid ait souvent à débiter cette chaleureuse expression de flamme, variée de temps en temps par celle de feu, qui n’est pas moins chaude, et l’effet de ce contraste sera certainement tel, que si vous, auteur, vous n’avez pas eu le dessein d’exciter l’hilarité, vous aurez obtenu un résultat fort opposé à celui que vous vous promettiez.


FLANQUETTE.

Locut. vic. C’est à la bonne flanquette.
Locut. corr. C’est à la bonne franquette.

Il est aisé de voir que franquette a pour racine le mot franc; à la bonne franquette signifie donc: tout franchement; flanquette ne signifierait rien.


FIN.

Locut. vic. Prenez cette bille fine.
Locut. corr. Prenez cette bille fin.

Fin est ici un adverbe, comme l’est le mot dru dans ces phrases: les balles tombent dru, ces blés sont semés dru. Fin et dru ne qualifient pas les substantifs, ils modifient les verbes, et signifient conséquemment avec finesse, d’une manière drue.


FLANQUÉ.

Locut. vic.   Il m’a flaqué un coup de poing.
Il m’a flanqué de l’eau sur la tête.
 
Locut. corr.   Il m’a flanqué un coup de poing.
Il m’a flaqué de l’eau sur la tête.

Pourquoi l’Académie décide-t-elle qu’on ne doit pas dire: flanquer un soufflet, mais flaquer un soufflet? Cette locution se trouve non seulement dans le Dictionnaire de Trévoux, il lui a flanqué un bon soufflet, un coup de pied, mais encore dans plusieurs dictionnaires, et notamment dans celui des onomatopées de M. Charles Nodier. «Du bruit d’un coup violent, dit-il, le peuple a fait le mot factice flan pour le représenter, et le verbe flanquer pour donner un coup dont le son est exprimé par flan

Flaquer, ne peut s’employer que pour signifier jeter, appliquer avec vivacité un liquide contre quelqu’un ou contre quelque chose, comme on peut le voir par cet exemple tiré de Labruyère: «S’il trouve qu’on lui a donné trop de vin, il en flaque plus de la moitié au visage de celui qui est à sa droite, et boit le reste tranquillement.»

Flanquer signifie appliquer avec force un corps solide sur un autre, comme flanquer un soufflet, un coup de pied, un coup de poing.—Flaquer vient de l’onomatopée flac; flanquer de l’onomatopée flan.


FLEUR D’ORANGE.

Locut. vic.   Un bouquet de fleur d’orange.
Boire de la fleur d’orange.
 
Locut. corr.   Un bouquet de fleurs d’oranger.
Boire de la fleur d’oranger.

Il faut dire fleur d’oranger, en parlant de fleur de l’arbre nommé oranger, puisque l’on dit fleur d’abricotier, fleur de prunier, fleur de cerisier, etc.; il faut encore dire fleur d’oranger en parlant de la liqueur connue sous le nom de fleur d’orange, puisque cette liqueur se fait avec la fleur de l’oranger et non avec l’orange.

Nous mettons un s à cette locution un bouquet de fleurs d’oranger, parce que, selon la remarque d’un grammairien, un bouquet étant composé de plusieurs fleurs, ce mot doit être suivi d’un pluriel.


FLEUR, FLEURER.

Locut. vic.   Ce chien n’a pas de fleur.
Ce chien a fleuré le gibier.
 
Locut. corr.   Ce chien n’a pas de flair.
Ce chien a flairé le gibier.

Fleur, dans l’acception qu’on lui trouve ici, est un barbarisme.

—On employait indifféremment, il y a moins d’un siècle, fleurer pour flairer et flairer pour fleurer. La différence entre ces deux verbes est maintenant bien établie; flairer, c’est aspirer une odeur, flairez cette rose; fleurer, c’est au contraire l’exhaler, cela fleure comme baume. On flaire enfin ce qui fleure.


FLEURAISON.

Locut. vic. La gelée a retardé la fleuraison.
Locut. corr. La gelée a retardé la floraison.

«Quelques jardiniers prononcent fleuraison; mais le mot français est floraison.» (Rem. sur le Dict. de l’Acad.)

L’Académie (1802) donne aussi floraison, mais en renvoyant à fleuraison.


FLEURIR.

Locut. vic.   Le commerce fleurissait.
Cet arbre florissait au printemps.
L’empire est fleurissant.
Voyez ces florissantes prairies.
 
Locut. corr.   Le commerce florissait.
Cet arbre fleurissait au printemps.
L’empire est florissant.
Voyez ces fleurissantes prairies.

Au propre, le verbe fleurir est régulier dans tous ses temps; au figuré, il a l’imparfait de l’indicatif et le participe présent irréguliers, il florissait, florissant, malgré quelques exemples contraires trouvés dans certains auteurs.


FOIS.

Locut. vic.   La fois que vous êtes venu me voir.
Les fois que nous avons joué ensemble.
La fois précédente nous l’avions vu.
 
Locut. corr.   Cette fois que vous êtes venu me voir.
Toutes les fois que nous avons joué ensemble.
La précédente fois nous l’avions vu.

Le substantif fois ne peut jamais être employé avec l’article, sans qu’il y ait un adjectif entre ces deux mots. L’adjectif tout est le seul qui ne se mette pas à cette place. On le met devant l’article.—Les phrases suivantes doivent donc être condamnées: songez aux fois où il vous a battu. Je suis des fois obligé de me fâcher. Il faut: Songez aux nombreuses fois où il vous a battu. Je suis certaines fois obligé de me fâcher.


FOND, FONDS.

Orthog. vic.   La pièce d’or tomba au fonds du puits.
Voici un beau fond de commerce.
 
Orthog. corr.   La pièce d’or tomba au fond du puits.
Voici un beau fonds de commerce.

«Fond et fonds sont deux choses différentes: le premier est le fundum des Latins, c’est la partie la plus basse de ce qui contient ou peut contenir quelque chose, le fond d’un tonneau, d’un sac, etc.; l’autre est le fundus des Latins. Dans le propre, c’est la terre qui produit les fruits; dans le figuré c’est tout ce qui rapporte du profit: fonds de terre, faire fonds sur; etc.» (Féraud, Dict. crit.)

Ménage, Th. Corneille et Dumarsais, dédaignant cette distinction, veulent qu’on écrive fond sans s dans tous les cas possibles. Cette opinion nous paraît assez raisonnable; et nous sommes persuadé qu’elle sera un jour adoptée; mais nous devons, en attendant, prévenir le lecteur que l’orthographe indiquée par Féraud est encore aujourd’hui généralement suivie.


FORMES.

Locut. vic. Cet homme a les formes rudes.
Locut. corr. Cet homme a les manières rudes.

Formes, dans le sens qu’on lui voit ici, est un néologisme inutile et ridicule que nos lexicographes ont fort bien fait de ne pas accueillir. Qui pourrait garder son sérieux en entendant une dame dire d’un homme: Ce Monsieur a les formes polies? Moins on fournit d’aliment aux jeux de mots, plus on embellit une langue.


FORT.

Locut. vic.   Cette femme se fait forte d’obtenir sa grâce.
C’est un fort homme.
 
Locut. corr.   Cette femme se fait fort d’obtenir sa grâce.
C’est un homme fort.

—Dans le verbe composé se faire fort, fort doit rester invariable parce que c’est un adverbe.

Fort, adjectif ne doit pas se placer devant le substantif homme, car il faudrait alors ou prononcer le t, ce qui serait fort désagréable à l’oreille et ferait croire qu’il est question d’un fort volume (fort tome) ou ne pas le prononcer, et dire en ce cas for homme, ce qui ferait penser au forum des Romains. Le mieux est donc de placer homme avant fort.


FORT DE.

Locut. vic. Fort de son droit, il a intenté le procès.
Locut. corr. Sûr de son droit, il a intenté le procès.

Voici une expression fort en vogue aujourd’hui, mais si l’on en croit quelques critiques, dont nous partageons au reste le sentiment, il vaudrait beaucoup mieux ne pas s’en servir. M. Laveaux, (Dict. des diff.) tolère l’emploi de fort de dans la conversation seulement, et M. Ch. Nodier (Examen crit. des Dict.), le traite de «locution emphatique qui a passé du néologisme du barreau au néologisme des brochures, des journaux et de la tribune. Notre temps, ajoute-t-il, est celui des discours forts de choses, et il n’est personne entre nous qui n’ait eu le bonheur d’entendre quelque part des avocats forts de la vérité de leurs moyens, et des orateurs forts de la pureté de leur conscience. Ce style n’est pas fort.»

Cent ans avant M. Nodier, l’abbé Desfontaines avait aussi signalé cette expression comme un néologisme, et en citant ces deux phrases: voilà qui est fort de café, cette liqueur est forte d’eau-de-vie, il avait ajouté ironiquement: On peut dire que le style de cet auteur est fort d’esprit.


FORTUNÉ.

Locut. vic. Ce luxe convient aux gens fortunés.
Locut. corr. Ce luxe convient aux gens riches.

«Bien traité de la fortune ou du sort; et comme cela signifie riche, dans la logique du peuple, un homme fortuné signifie nécessairement un homme riche dans sa grammaire. C’est un barbarisme très-commun dans la langue, et qui provient d’une erreur très-commune dans la morale.» (Ch. Nodier, Examen critique des Dict.)

Le Dictionnaire des quatre professeurs tolère, dans le genre familier, l’emploi de fortuné pour riche. Nous n’aimons pas cette tolérance. Qu’on se serve dans le style négligé d’expressions qui ne seraient pas assez élégantes pour un style soutenu, rien de plus naturel; mais qu’on puisse se permettre des barbarismes dans certains cas, c’est une doctrine qui nous semble, en vérité, quelque peu absurde.


FOSSAYEUR.

Locut. vic. C’est un fossayeur.
Locut. corr. C’est un fossoyeur.

On dit aussi fossoyer et non fossayer.


FOUCADE.

Locut. vic. Je le reconnais à cette foucade.
Locut. corr. Je le reconnais à cette fougade.

Une fougade, dit l’Académie, est une espèce de petite mine. La fougade joua et fit sauter les soldats. C’est par allusion à cette mine, qu’on nomme probablement fougade un accès de gaieté, de colère, de tristesse, qui vient à quelqu’un subitement et comme par explosion.

Le Dictionnaire de Trévoux donne aussi foucade, mais il renvoie à fougade.—Fougade appartient à la famille de fougue.


FOUDRE.

Locut. vic.   Le foudre de l’Éternel l’écrasa.
Les foudres de l’Église sont souvent impuissantes.
 
Locut. corr.   La foudre de l’Éternel l’écrasa.
Les foudres de l’Église sont souvent impuissans.

Foudre est ordinairement féminin au propre, et masculin au figuré. L’inobservation de cette règle ne se trouve guère que chez les poètes, dont la liberté d’expression va, comme on le sait, jusqu’à la licence, et qu’il ne faut pas généralement choisir pour guides dans la carrière grammaticale, quand on craint de s’égarer.


FOUET.

Locut. vic.   Vous aurez le foua.
On l’a fouaté.
 
Locut. corr.   Vous aurez le fouè.
On l’a fouèté.

L’usage, nous le reconnaissons, veut que l’on prononce foua, mais comme il veut aussi que l’on prononce fouèter, et qu’il y a ici une contradiction choquante, nous croyons, pour la faire disparaître, devoir adopter le sentiment de Wailly, de Féraud et de plusieurs autres grammairiens, qui auront sans doute pensé que les deux lettres et prenant le son de l’a, étaient une anomalie à l’introduction de laquelle il fallait s’opposer.


FRAICHE (A LA).

Locut. vic. Nous marcherons à la fraîche.
Locut. corr. Nous marcherons au frais.

A la fraîche est un barbarisme de marchand de coco.


FRANC.

Locut. vic.   J’ai reçu votre lettre franc de port.
L’ordre de la franc-maçonnerie.
 
Locut. corr.   J’ai reçu votre lettre franche de port.
L’ordre de la franche-maçonnerie.

L’adjectif franc est fort souvent employé sans aucun égard pour la règle de l’accord, et nous sommes étonné de voir que les grammairiens ne se soient pas plus occupés de relever cette faute. Il est cependant bien évident qu’une lettre ne peut être franc de port, mais franche de port, et que, dans le mot composé franche-maçonnerie, il est tout aussi nécessaire de mettre l’adjectif franc au féminin, parce qu’il qualifie un substantif féminin, qu’il l’est de mettre ce même adjectif au masculin pluriel, quand on dit les francs-maçons, parce que c’est à un substantif masculin pluriel qu’il se rapporte ici.


FRANCHIPANE.

Locut. vic. Aimez-vous la franchipane?
Locut. corr. Aimez-vous la frangipane?

Un marquis de Frangipani inventa, il y a quelques siècles, un parfum qui prit son nom, et dont la mode s’empara bientôt pour en saturer les gants des fashionables. Ce parfum entra ensuite dans la composition d’une espèce de pâtisserie qui est encore fort connue aujourd’hui.


FROID (PRENDRE).

Locut. vic. Prenez garde de prendre froid.
Locut. corr. Prenez garde d’avoir froid.

Cette expression, que nous n’avons pas trouvée dans nos bons auteurs, est principalement employée par les méridionaux.

On lit dans M. Defauconpret: «En leur exprimant son inquiétude qu’ils n’eussent pris froid.» (Fiancée de Lammmermoor, ch. XIII.) Il fallait: qu’ils n’eussent eu froid.


FROIDIR.

Locut. vic. Laissez froidir votre bouillon.
Locut. corr. Laissez refroidir votre bouillon.

«Froidir, né barbarisme, demeure barbarisme et mourra barbarisme.» (Rem. sur le Dict. de l’Acad.)


FROIDUREUX.

Locut. vic. Il est bien froidureux.
Locut. corr. Il est bien frileux.

«Froidureux est un barbarisme.» (Rem. sur le Dict. de l’Acad.)


GARANT.

Locut. vic. Cette dame sera garant de ma parole.
Locut. corr. Cette dame sera garante de ma parole.

M. Chapsal prétend que le substantif garant ne prend jamais le signe du féminin. Il est dans l’erreur. On lit dans le Dictionnaire de l’Académie cette phrase: la Suède s’est rendue garante du traité, précédée de cette remarque «dans le style de négociation quelques-uns ont employé garante au féminin.»

Rien, selon nous, n’est plus ridicule que ces distinctions capricieuses introduites par l’usage, et, dans le désir de contribuer à les faire disparaître, nous engageons beaucoup à donner ou à refuser (et surtout à donner) dans tous les cas possibles, au mot garant, la terminaison féminine.


GARE.

Locut. vic. Gare de devant.
Locut. corr. Gare devant.

Féraud dit gare de devant! L’Académie gare devant! Nous croyons cette dernière locution plus conforme à l’usage et à la grammaire. Gare est l’impératif du verbe garer; ainsi gare devant, gare derrière, sont mis pour (qu’on se) gare devant (moi); (qu’on se) gare derrière (moi). De ne peut s’employer avec le verbe garer que devant un nom de personne ou de chose à éviter: garez-le de sa colère; garez-vous des voitures; il faut se garer des fous.


GARNISAIRE.

Prononc. vic. Il a des garnissaires chez lui.
Prononc. corr. Il a des garnizaires chez lui.

L’analogie de ce mot avec garnison peut servir à en constater la prononciation.


GASTRIQUE.

Locut. vic. Il est malade d’une gastrique.
Locut. corr. Il est malade d’une gastrite.

Gastrique est un adjectif dont la signification est: qui appartient à l’estomac. Gastrite est un substantif qui veut dire: inflammation de l’estomac.


GATER.

Locut. vic. Il est allé gâter de l’eau.
Locut. corr. Il est allé uriner.

Gâter ne signifie pas répandre, et de l’urine n’est pas de l’eau. Le mot dont on se doit servir ici, le mot propre enfin, c’est uriner. Avant de songer à contenter la sotte susceptibilité d’une décence quintessenciée, il faut au moins songer à ne pas choquer le bon sens.


GAVIOT.

Locut. vic. Il en a plein le gaviot.
Locut. corr. Il en a plein le gavion.

Gavion est un mot assez trivial, employé pour signifier le gosier; mais comme plusieurs dictionnaires, celui de l’Académie entre autres, ont cru devoir l’accueillir, et qu’il appartient maintenant à la langue écrite, nous ne pouvons nous dispenser d’en indiquer la véritable orthographe.


GÉANE.

Locut. vic. C’est un géane.
Locut. corr. C’est une géante.

Le féminin de l’adjectif terminé en ant se forme en ajoutant un e muet au masculin. Béant, béante, bienséant, bienséante, etc.; géant doit donc faire au féminin géante.


GÉNIE.

Locut. vic. Il est officier d’artillerie ou de génie.
Locut. corr. Il est officier d’artillerie ou du génie.

Il est bien clair, puisqu’on dit un soldat, un officier d’artillerie, de marine, de cavalerie, etc., qu’on devrait dire, par analogie, un soldat, un officier de génie, et non du génie; mais, comme d’un autre côté, il est bien prouvé que tous les hommes appartenant à l’arme du génie ne sont malheureusement pas, et ne peuvent même pas être tous des hommes de génie, on a senti qu’il était nécessaire d’établir une différence entre des expressions qui rendaient des idées différentes. De là vient qu’on dit un officier du génie pour dire un officier qui appartient au corps du génie, et un officier de génie, pour dire un officier qui est doué de génie.


GENS.

Locut. vic. Les vieilles gens sont soupçonneuses.
Locut. corr. Les vieilles gens sont soupçonneux.

«Le substantif gens demande l’adjectif qui le précède au féminin, et au masculin l’adjectif qui le suit.

«Quand un adjectif de tout genre précède le mot gens, on met tous au masculin. Tous les honnêtes gens; tous les habiles gens. Lorsqu’un adjectif à terminaison féminine précède le substantif gens, on met toutes: toutes les vieilles gens; toutes les mauvaises gens.

«Qu’on ne pense pas, avec un grammairien, que ces irrégularités constituent en partie la beauté des langues; ce sont, au contraire, des taches, qu’un usage bizarre a rendues ineffaçables.»

(Chapsal, Nouv. Dict. gramm.)


GENTE.

Locut. vic. La gente irritable des poètes.
Locut. corr. La gent irritable des poètes.
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