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Essais de Montaigne (self-édition) - Volume I

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The Project Gutenberg eBook of Essais de Montaigne (self-édition) - Volume I

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Title: Essais de Montaigne (self-édition) - Volume I

Author: Michel de Montaigne

Translator: Michaud

Release date: March 19, 2015 [eBook #48529]
Most recently updated: October 24, 2024

Language: French

Credits: Produced by Claudine Corbasson and the Online Distributed

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK ESSAIS DE MONTAIGNE (SELF-ÉDITION) - VOLUME I ***

Au lecteur

Table des Matières


ESSAIS DE MONTAIGNE


Planche I


Cet ouvrage se compose de quatre volumes, comprenant:

1er VOLUME.—Avertissement, table générale des chapitres, texte et traduction du commencement au chapitre 6 inclus du livre II.

2e VOLUME.—Texte et traduction du chapitre 7 inclus du livre II au chapitre 35 inclus de ce même livre.

3e VOLUME.—Texte et traduction du chapitre 36 du livre II jusqu'à la fin.

4e VOLUME *.—Notice sur Montaigne, etc.; sommaire des Essais, variantes, notes, lexique, etc.


ILLUSTRATIONS:

1er vol.—Portrait de l'auteur, armoiries et signature.

2e vol.—Plan du domaine et perspective du manoir de Montaigne.

3e vol.—Vue de la tour de Montaigne et plan des étages.

4e vol.—Fac-similé d'une page du manuscrit de Bordeaux.

Voir sur ces illustrations, la notice insérée à cet effet au quatrième volume, en tête des Notes.


* Ce volume, indépendant des autres, est susceptible par sa contexture d'être aisément utilisé avec n'importe quelle édition des Essais ancienne ou moderne, moyennant un simple tableau de concordance de pagination facile à établir soi-même.


AVERTISSEMENT.


La présente édition des Essais de Montaigne (self-édition) comprend: le texte original de cet ouvrage d'après l'édition de 1595 et sa traduction en langage de nos jours, avec sommaires intercalés; un ensemble de ces mêmes sommaires, les citations classées par ordre alphabétique, de très nombreuses notes hors texte inédites et autres; un glossaire; un lexique des noms propres, avec index analytique des principales matières, etc.; enfin, une notice sur l'auteur et sur son œuvre.

Montaigne se distingue entre tous par le sujet qu'il traite et la forme simple et humoristique qu'il y emploie: «Il a cela pour lui, dit Pascal, qu'un homme bête ne le comprendra jamais»; de son côté, Laboulaye le tient «comme le seul moraliste qu'on lise avec plaisir, quand on n'a plus quarante ans»; et il ajoute: «On peut ouvrir les Essais au hasard, toute page en est sérieuse et donne à réfléchir.»

Son sujet, c'est l'homme, qu'il étudie dans sa réalité, avec ses besoins, ses passions et les conditions en lesquelles il se trouve pour y satisfaire; et, pour plus de vérité, c'est lui-même qu'il analyse. Mais s'il parle de lui, c'est de manière à nous occuper de nous; et qui le lit, s'y reconnaît aujourd'hui comme il y a trois siècles, au temps où l'auteur écrivait, parce que ce qu'il a peint, ce n'est pas la société humaine qui, elle, change constamment, mais l'homme lui-même lequel, pour si «ondoyant et divers» qu'il soit, au fond demeure toujours le même.

Certainement Montaigne a vieilli; il émet bien des assertions qui, avec le progrès des mœurs, le développement des sciences, les idées nouvelles, les événements accomplis, ne sont plus exactes; sa lecture n'en demeure pas moins intéressante et profitable, parce que ces assertions, accompagnées d'observations sur la nature humaine, qui sont et seront toujours vraies, présentées d'une manière saisissante, éveillent en nous un retour inconscient sur nous-mêmes; l'humanité peut continuer à progresser, les Essais seront toujours d'actualité; et à qui, en ce siècle essentiellement utilitaire, demanderait à quoi aujourd'hui peut encore servir cette lecture, on peut, en toute assurance, répondre que nulle n'est plus propre à nous garder d'une présomption exagérée, à nous inspirer de l'indulgence pour autrui, nous maintenir en possession de nous-mêmes, amener en nous la résignation contre la souffrance ou la mauvaise fortune, et, quoi qu'il advienne, faire le calme en nos âmes.

Mais il n'en est pas de même de la langue que parle leur auteur; plus on s'éloigne de l'époque où il écrivait, moins elle demeure facilement intelligible, en raison des mots et des tournures de phrase hors d'usage qui s'y rencontrent parfois en grand nombre, surtout quand il disserte, II au lieu de raconter. Déjà, en 1790, un de ses éditeurs disait, sans cependant le réaliser, «qu'il fallait mettre les Essais à la portée de ceux auxquels manque le loisir de les déchiffrer». Ce qui était déjà vrai alors, l'est plus encore maintenant, où moins de gens qu'autrefois sont inoccupés, où les occupations de chacun se sont multipliées, et où le nombre de ceux qui s'adonnent aux études littéraires va diminuant constamment. C'est en raison de cet état de choses que la présente édition a été entreprise; son but est de faire que la lecture de cet ouvrage, si foncièrement profitable à quiconque vit ou a vécu tant soit peu de la vie agitée de ce monde, devienne aussi facile et intéressante aujourd'hui pour tous qu'elle l'était autrefois pour quelques-uns.

Les érudits y trouveront, conforme à l'édition de 1595, d'Abel Langelier, la meilleure qui ait été publiée, un texte auquel ils pourront s'en tenir. S'ils veulent pousser plus loin, les relevés des variantes de l'exemplaire manuscrit de Bordeaux et de l'édition de 1588 satisferont leur légitime désir, en même temps que la table des citations leur donnera possibilité de se reporter aisément à telle édition que ce soit. De plus, les sommaires placés en regard aideront leurs recherches et même leurs lectures, en précisant l'idée que le texte développe, aidant ainsi à sa compréhension, parfois difficile dans tout ouvrage philosophique, et même dans Montaigne, si peu semblable qu'il soit à cet égard à tous autres qui se sont occupés de ces questions.—Dans les passages les laissant indécis, ils auront encore la ressource de consulter la traduction en langage de nos jours qui accompagne le texte original; ils y trouveront une interprétation qu'ils seront toujours libres de ne pas accepter et même de critiquer.

Je crois cependant devoir faire observer à ceux chez lesquels cette prédisposition existe, que la différence est grande entre l'attention passagère permettant de relever les imperfections que, de-ci, de-là, peuvent présenter quelques membres de phrase et le travail de longue haleine qu'est l'expression, dans leur intégralité de la totalité des idées contenues dans un ouvrage aussi considérable; et que, de fait, une traduction de Montaigne présente de très réelles difficultés pour arriver à lui conserver, dans la mesure du possible, la concision et la délicatesse des nuances qui abondent en lui et rendre d'une façon compréhensible certains passages obscurs ou ambigus. Cette difficulté n'apparaît pas de prime abord: mais, pour s'en rendre compte, il suffit d'en lire à haute voix un fragment de quelque étendue, une page entière par exemple, la première venue; on verra de suite combien elle est aujourd'hui difficilement lisible et parfois même peu compréhensible; et si, ensuite, la plume à la main, on s'essaie à traduire cette même page, de manière que la lecture à haute voix en soit courante et nettement saisissable, on constatera combien malaisément on est arrivé à un résultat satisfaisant; c'est une épreuve à laquelle je convie nos critiques, avant qu'ils ne formulent leurs appréciations. Pourront-elles, du reste, être plus sévères que celles émises par anticipation par Naigeon, il y a cent ans passés: «Le projet de récrire les Essais dans notre langue, peut passer comme tant d'autres idées par la tête d'un ignorant et d'un sot, mais n'entrera jamais dans celle d'un lecteur judicieux, instruit et d'un goût délicat et sûr»; j'ai indiqué ci-dessus les raisons qui, nonobstant, nous ont fait passer outre. Du reste, envisageant cette traduction non plus au point de vue esthétique, mais sous le rapport utilitaire, G. Guizot n'a-t-il pas dit: «Pour bien saisir les idées de Montaigne et les juger à leur valeur, il faut se résigner à un travail III déplaisant; il faut les dépouiller de leur forme ancienne et originale et les traduire en langage d'aujourd'hui.»

Ceux auxquels le vieux français est moins familier, ne seront plus absolument privés d'entrer en connaissance de cette œuvre si pleine d'intérêt et d'originalité. La traduction, qui serre d'assez près le texte, leur procurera cette satisfaction, en même temps que les notes et le lexique leur donneront tous les renseignements qu'une curiosité, qui naîtra d'elle-même, leur fera désirer quand le temps ne les pressera pas trop.

Si exacte que puisse être une traduction de Montaigne, et le proverbe italien est ici, comme ailleurs, de toute vérité: «Traduttore traditore», elle ne saurait pourtant rendre «la précision, l'énergie, la hardiesse de son style, le naturel, qui en font un de ses principaux charmes et donnent à son ouvrage un caractère si particulier et si piquant; son parler en effet a une grâce qui ne se peut égaler en langage moderne». Pour suppléer à cette infériorité et ne pas faire tort à l'auteur, que notre intention est de vulgariser et non d'amoindrir, texte et traduction ont été juxtaposés: juxtaposition que nous tenons comme tellement juste et indispensable, que nous nous ferions un véritable scrupule de consentir, aujourd'hui et plus tard, à ce que cette traduction, dont du reste elle permet de juger de la fidélité, soit publiée séparément.

Dans les Essais, les en-tête des chapitres n'ont que rarement un rapport tel avec les sujets si divers qui y sont traités, qu'ils renseignent suffisamment; la table qui en a été faite et son annexe constituent un fil conducteur simple et utile, pour s'orienter dans ce fouillis inextricable par lui-même.—L'ensemble des sommaires ajoute à cette première facilité et la complète en faisant ressortir la liaison, toujours si difficile à saisir dans ce pêle-mêle de pensées ingénieuses, mais jetées le plus souvent sans ordre et au hasard; il rend possible à tous de se faire une idée précise de l'ouvrage et de s'y reconnaître à coup sûr; aussi sera-t-il fréquemment consulté, d'autant que des renvois, établis paragraphe par paragraphe, reportent, sans hésitation, au texte lui-même.

Il a semblé également intéressant de donner un relevé des passages des Essais les plus fréquemment cités, avec indication de l'endroit du texte où ils se trouvent; pouvant ainsi les replacer dans le cadre d'où ils ont été tirés, on sera à même, le cas échéant, de leur restituer leur véritable sens dont, assez souvent, ils sont détournés.

En outre des mots et locutions hors d'usage dont nous avons déjà parlé, des faits historiques peu connus, des allusions à des événements de l'époque, des indications à préciser, des erreurs même se rencontrent fréquemment dans Montaigne. Les notes qui accompagnent cette édition sont de toutes sortes; elles ont pour objet d'élucider ces divers points, et aussi de renseigner succinctement sur les principaux personnages mis en cause, signaler certains emprunts faits à notre auteur, ainsi que quelques-unes des appréciations émises par ses commentateurs, les sources où lui-même a puisé, enfin de consigner des rapprochements que la lecture de l'ouvrage fait naître spontanément.

C'est cet ensemble qui, donnant possibilité à chacun de lire les Essais avec intérêt et de les méditer à sa convenance, suivant l'instruction qu'il possède et le temps dont il dispose, fait que la présente édition justifie d'être à la portée de tous.

De ces diverses parties, seule la traduction en langage de nos jours IV qui, à la vérité, en dehors du texte original, en constitue le gros œuvre, est uniquement de nous; et encore y avons-nous inséré, à peu près telles quelles, les traductions des citations latines, grecques, etc., auxquelles ont successivement collaboré tous les éditeurs de Montaigne, depuis Mademoiselle de Gournay à laquelle en est due la presque totalité.

Les sommaires ont été relevés dans Amaury Duval; généralement, on s'est borné à les transcrire sans y rien changer, parfois cependant ils ont été complétés: dans les derniers chapitres notamment, modifications et additions sont assez fréquentes.

Les notes, toujours trop nombreuses pour les érudits, jamais assez pour les autres, ont, en raison de leur multiplicité et pour conserver au texte sa physionomie, été groupées dans un volume séparé. Pour la plupart d'entre elles, tous ceux qui jusqu'ici se sont particulièrement occupés de Montaigne, les Coste, Naigeon, Jamet, Leclerc, G. Guizot, Payen, Margerie, Bonnefon et autres, ainsi que les auteurs dont il s'est principalement inspiré: Hérodote, Cicéron, Sénèque, Pline, Tite-Live, Plutarque, Diogène Laerce, etc..., ont été largement mis à contribution; du reste la part contributive de chacun est mentionnée partout où elle s'est exercée.

Le lexique comprend tous les noms propres qui se rencontrent dans le texte.

L'index analytique des principales matières a été établi en s'aidant des éditions antérieures comme, du reste, toutes en ont agi avec celles qui les ont précédées.

Notes et lexique ont reçu une très notable extension, en vue de faire que l'ouvrage se suffise à lui-même.

Pour donner satisfaction à certains, il a été joint un glossaire que d'autres considèrent presque comme une superfétation, la traduction et les notes permettant en effet, la plupart du temps, de s'en passer.

Ce faisant, nous croyons avoir, avec l'aide de nos devanciers, ajouté à leur œuvre, sans nous dissimuler que les Essais se prêtent à tant de dissertations et de commentaires, que beaucoup demeure qui pourrait être fait; touchant même ce qui est, peut-être devrions-nous, avant de le livrer à la publicité, maintes fois encore «sur le métier remettre notre ouvrage», mais l'âge nous gagne.

Gal M.

Montgeron, août 1906.


TABLE GÉNÉRALE DES CHAPITRES
ET
ANNEXE ALPHABÉTIQUE


Nota.—Les en-tête des chapitres sont ceux du texte original; la traduction ne suit que si elle en diffère. Les indications entre parenthèses sont celles de l'idée principale qui est traitée dans le chapitre: elle n'est mentionnée que lorsque l'en-tête même ne la fait pas ressortir suffisamment; ces mêmes indications, classées par ordre alphabétique, sont reproduites après la présente table, dans une annexe.

Les chiffres romains indiquent le volume, à la table particulière duquel il y a lieu de se reporter pour avoir la page.


    Volume.
Av Lectevr.—L'auteur au lecteur I
LIVRE PREMIER
Ch. 1. Par diuers moyens l'on arriue à pareille fin.—(Moyens divers d'obtenir la commisération de ses ennemis). I
Ch. 2. De la tristesse. I
Ch. 3. Nos affections s'emportent au delà de nous.—Nous prolongeons nos affections et nos haines au delà de notre propre durée (Préoccupations continues que nous avons de ce qui peut advenir, après notre mort, des choses auxquelles nous nous intéressons pendant la vie; dans quelle mesure nous devons aux rois notre obéissance et notre estime; du soin de nos funérailles). I
Ch. 4. Comme l'ame descharge les passions sur les obiects faux, quand les vrais luy deffaillent.—L'âme exerce ses passions sur des objets auxquels elle s'attaque sans raison, quand ceux, cause de son délire, échappent à son action. I
Ch. 5. Si le chef d'vne place assiégée doit sortir pour parlementer.—Le commandant d'une place assiégée doit-il sortir de sa place pour parlementer? (Sur la bonne foi et la loyauté à la guerre; du danger que court le commandant d'une place assiégée, en sortant pour parlementer). I
Ch. 6. L'heure des Parlements dangereuse.—Le temps durant lequel on parlemente, est un moment dangereux (Pendant qu'on traite des conditions d'une capitulation, il faut être sur ses gardes et redoubler de vigilance). I
Ch. 7. Que l'intention iuge nos actions.—Nos actions sont à apprécier d'après nos intentions (Nos obligations s'étendent au delà de la mort). I
Ch. 8. De l'oisiueté. I
Ch. 9. Des menteurs.—(Sur la mémoire et le mensonge). I
Ch. 10. Du parler prompt ou tardif.—De ceux prompts à parler de prime saut et de ceux auxquels un certain temps est nécessaire pour s'y préparer (Sur l'éloquence). I
Ch. 11. Des prognostications.—Des pronostics (Sur l'astrologie et la prédiction de l'avenir). I
Ch. 12. De la constance.—(Du courage et de ses limites). I
Ch. 13. Cérémonie de l'entreueue des Rois.—Cérémonial dans les entrevues des rois (Sur la civilité, en particulier dans les visites des souverains). I
Ch. 14. On est puny pour s'opiniastrer à vne place sans raison.—On est punissable, quand on s'opiniâtre à défendre une place au delà de ce qui est raisonnable. I
Ch. 15. De la punition de la couardise.—Punition à infliger aux lâches. I
Ch. 16. Vn traict de quelques Ambassadeurs.—Façon de faire de quelques ambassadeurs (De l'obéissance à ses supérieurs; utilité de se renfermer dans ses aptitudes). I
Ch. 17. De la peur. I
Ch. 18. Qu'il ne faut iuger de nostre heur qu'apres la mort.—Ce n'est qu'après la mort, qu'on peut apprécier si, durant la vie, on a été heureux ou malheureux (Sur l'inconstance de la fortune). I
Ch. 19. Que philosopher c'est apprendre à mourir. I
Ch. 20. De la force de l'imagination.—(Des esprits forts). I
Ch. 21. Le profit de l'vn est dommage de l'autre.—Ce qui est profit pour l'un est dommage pour l'autre (Impossibilité de concilier les intérêts de tous). I
Ch. 22. De la coustume et de ne changer aysément une loy receue.—Des coutumes et de la circonspection à apporter dans les modifications à faire subir aux lois en vigueur (De la force de l'habitude; inconvénients de l'instabilité des lois). I
Ch. 23. Diuers euenemens de mesme conseil.—Une même ligne de conduite peut aboutir à des résultats dissemblables (Sur la clémence; part du hasard dans les événements humains). I
Ch. 24. Du pedantisme (ou faux savoir). I
Ch. 25. De l'institution des enfans.—De l'éducation des enfants. I
Ch. 26. C'est folie de rapporter le vray et le faux à nostre suffisance.—C'est folie de juger du vrai et du faux avec notre seule raison (Degré de croyance qu'on peut accorder aux récits extraordinaires). I
Ch. 27. De l'amitié.—(Éloge d'Étienne de la Boëtie). I
Ch. 28. Vint neuf sonnets d'Estienne de la Boetie.
Ch. 29. De la moderation.—(De la modération dans l'exercice même de la vertu et les jouissances des plaisirs licites). I
Ch. 30. Des Cannibales.—(Sur l'état des hommes vivant en dehors de la civilisation). I
Ch. 31. Qu'il faut sobrement se mesler de iuger des ordonnances diuines.—Il faut beaucoup de circonspection, quand on se mêle d'émettre un jugement sur les décrets de la Providence. I
Ch. 32. De fuir les voluptez, au prix de la vie.—Les voluptés sont à fuir, même au prix de la vie. I
Ch. 33. La fortune se rencontre souuent au train de la raison.—La fortune marche souvent de pair avec la raison (Part de la fortune dans les événements humains). I
Ch. 34. D'vn defaut de nos polices.—Une lacune de notre administration. I
Ch. 35. De l'vsage de se vestir.—(Sur l'usage des vêtements et la force de l'habitude). I
Ch. 36. Du ieune Caton.—Sur Caton le jeune ou d'Utique (Intérêts de nature à porter à des actes de vertu). I
Ch. 37. Comme nous pleurons et rions d'vne mesme chose.—(Sentiments opposés qui nous portent à pleurer et à rire d'une même chose). I
Ch. 38. De la solitude. I
Ch. 39. Considération sur Cicéron.—(Qualités qui conviennent à un homme du monde.) I
Ch. 40. Que le goust des biens et des maux despend en bonne partie de l'opinion que nous en auons.—Le bien et le mal qui nous arrivent ne sont souvent tels que par l'idée que nous nous en faisons. I
Ch. 41. De ne communiquer sa gloire.—L'homme n'est pas porté à abandonner à d'autres la gloire qu'il a acquise. I
Ch. 42. De l'inegalité qui est entre nous.—(Inégalités résultant des conditions de l'ordre social, différences entre les qualités de chacun; des soucis de la royauté). I
Ch. 43. Des loix somptuaires.—(Danger des innovations dans un état). I
Ch. 44. Du dormir.—(Sur la tranquillité d'âme dans les circonstances graves). I
Ch. 45. De la battaille de Dreux.—(Sur la conduite d'un général dans une bataille). I
Ch. 46. Des noms.—(De leur influence dans la vie). I
Ch. 47. De l'incertitude de nostre iugement.—(Sur l'art de la guerre; part de la fortune dans les événements). I
Ch. 48. Des destriers.—Des chevaux d'armes (Sur l'équitation et l'art de la guerre). I
Ch. 49. Des coustumes anciennes.—Des coutumes des anciens. I
Ch. 50. De Democritus et Heraclitus.—(De l'usage à faire des diverses qualités de l'esprit). I
Ch. 51. De la vanité des parolles. I
Ch. 52. De la parsimonie des anciens. I
Ch. 53. D'vn mot de Cæsar.—(Du souverain bien; des désirs insatiables de l'homme). I
Ch. 54. Des vaines subtilitez.—Inanité de certaines subtilités. I
Ch. 55. Des senteurs.—Des odeurs. I
Ch. 56. Des prieres. I
Ch. 57. De l'aage.—(De la jeunesse, de la vieillesse; sur l'époque de la maturité de l'esprit). I
LIVRE DEUXIEME
Ch. 1. De l'inconstance de nos actions.—(Variations dans le caractère et la conduite chez un même homme). I
Ch. 2. De l'iurongnerie.—(De l'ivrognerie et de l'enthousiasme). I
Ch. 3. Coustume de l'Isle de Cea.—(Sur le suicide). I
Ch. 4. A demain les affaires.—(Sur l'exactitude à apporter dans le maniement des affaires). I
Ch. 5. De la conscience.—(De la bonne conscience; sur le remords, la torture). I
Ch. 6. De l'exercitation.—De l'exercice (Sur le moyen de se familiariser avec la mort; sur la nécessité de se connaître). I
Ch. 7. Des recompenses d'honneur.—Des récompenses honorifiques. II
Ch. 8. De l'affection des peres aux enfants.—(Conduite à tenir à leur égard; situation de fortune à leur donner; affection que nous portons aux productions de notre esprit). II
Ch. 9. Des armes des Parthes. II
Ch. 10. Des liures.—(Jugement porté sur quelques auteurs de toutes époques). II
Ch. 11. De la cruauté.—(La difficulté est inhérente à la pratique de la vertu). II
Ch. 12. Apologie de Raimond de Sebonde.—(Sur les fondements de la foi chrétienne; l'instinct des animaux; les sectes philosophiques des anciens; la Divinité; l'âme humaine; l'incertitude des connaissances de l'homme, celle de ses sens; tout soumettre à l'examen de la raison conduit à bien des erreurs, notamment dans les questions de religion). II
Ch. 13. De iuger de la mort d'autruy.—(Réserve à apporter, quand nous jugeons de la mort d'autrui; sur le suicide). II
Ch. 14. Comme nostre esprit s'empesche soy-mesme.—(Par sa faiblesse, l'esprit humain se crée à lui-même bien des difficultés). II
Ch. 15. Que nostre desir s'accroist par la malaisance.—(Nos désirs s'accroissent par la difficulté de les satisfaire). II
Ch. 16. De la gloire. II
Ch. 17. De la presumption.—(Opinion de Montaigne sur lui-même; quelques appréciations sur les autres). II
Ch. 18. Du dementir.—Du fait de donner ou recevoir des démentis (Sur le mensonge, le point d'honneur). II
Ch. 19. De la liberté de conscience.—(Du zèle pour la religion; apologie de l'empereur Julien). II
Ch. 20. Nous ne goustons rien de pur.—(Mélange constant du bien et du mal). II
Ch. 21. Contre la faineantise.—(Considérations sur le but de la vie; activité nécessaire à un souverain). II
Ch. 22. Des postes. II
Ch. 23. Des mauuais moyens employez à bonne fin. II
Ch. 24. De la grandeur Romaine. II
Ch. 25. De ne contrefaire le malade.—(De la force de l'imagination). II
Ch. 26. Des poulces. II
Ch. 27. Couardise mere de cruauté.—La poltronnerie est mère de la cruauté (Du duel; des sévices exercés sur les suppliciés après leur mort). II
Ch. 28. Toutes choses ont leur saison.—Chaque chose en son temps (Sur la vieillesse). II
Ch. 29. De la vertu. II
Ch. 30. D'vn enfant monstrueux. II
Ch. 31. De la colere. II
Ch. 32. Deffence de Seneque et de Plutarque. II
Ch. 33. L'Histoire de Spurina.—(Le rôle essentiel de l'âme est de maîtriser les passions; particularités afférentes à Jules César). II
Ch. 34. Obseruations sur les moyens de faire la guerre de Iulius Cæsar. II
Ch. 35. De trois bonnes femmes.—(Sur le mariage et l'affection conjugale). II
Ch. 36. Des plus excellents hommes.—(Sur Homère, Alexandre et Epaminondas). III
Ch. 37. De la ressemblance des enfants aux peres.—(Sur les maux de la vieillesse, sur la médecine). III
LIVRE TROISIEME
Ch. 1. De l'vtile et de l'honneste. III
Ch. 2. Du repentir. III
Ch. 3. De trois commerces.—(De la société des hommes, des femmes et de celle des livres). III
Ch. 4. De la diuersion. III
Ch. 5. Sur des Vers de Virgile.—(De l'amour, de la jalousie; en ces matières, les reproches que s'adressent réciproquement les deux sexes se valent). III
Ch. 6. Des coches.—(Meilleur emploi à faire, par un roi, de ses richesses; sur le peu d'étendue des connaissances humaines). III
Ch. 7. De l'incommodité de la grandeur. III
Ch. 8. Sur l'art de conferer.—(La conversation forme le caractère, apprend à supporter la contradiction; difficulté de juger à bon escient, de discerner chez un auteur ce qui lui appartient en propre). III
Ch. 9. De la vanité.—(Danger des changements dans le gouvernement d'un état; des voyages; des soins du ménage). III
Ch. 10. De mesnager sa volonté.—Il faut contenir sa volonté (Réserve à apporter dans les services qu'on est tenté de rendre à autrui). III
Ch. 11. Des boyteux.—(Tendance de l'esprit humain pour le merveilleux). III
Ch. 12. De la physionomie.—(Combien mieux que tous les enseignements de la philosophie, la nature nous porte à la résignation). III
Ch. 13. De l'expérience.—(Sur l'obscurité et le peu d'équité des lois; l'incertitude de la médecine; le régime convenant le mieux à la santé; le meilleur usage de la vie, des plaisirs; sur la doctrine d'Épicure). III

ANNEXE.

CLASSIFICATION DES CHAPITRES
D'APRÈS L'ORDRE ALPHABÉTIQUE DES PRINCIPAUX SUJETS
QUI EN FONT L'OBJET.

Des deux nombres entre parenthèses, le premier en chiffres romains marque le livre; le second en chiffres arabes, le chapitre; celui, en chiffres romains, qui suit en dehors de la parenthèse, indique le volume:

  • Actions (De l'inconstance de nos),—(II, 1), I.
  • Administration publique (Lacune que présente notre),—(I, 34), I.
  • Affaires (Sur l'exactitude à apporter dans le maniement des affaires),—(II, 4), I.
  • Affection conjugale (Sur l'),—(II, 35), II.
  • Age (De l'),—(I, 57), I.
  • Aide mutuelle que les hommes se doivent,—(I, 34), I.
  • Alexandre le Grand (Sur),—(II, 34), II.
  • Ambassadeurs (Sur certains actes de quelques),—(I, 16), I.
  • Ame (De l'),—(II, 12), II.
  •   —  (Son rôle essentiel est de maîtriser nos passions),—(II, 33), II.
  • Amitié (De l'),—(I, 27), I.
  • Amour (Sur l'),—(III, 5), III.
  • Animaux (Instinct des),—(II, 12), II.
  • Aptitudes (De l'utilité de se renfermer dans ses),—(I, 16), I.
  • Armes (Des) des Parthes,—(II, 9), II.
  • Astrologie (Sur l') et la prédiction de l'avenir,—(I, 11), I.
  • Auteurs (Jugements portés sur quelques auteurs de toutes époques),—(II, 10), II.
  •   —  (Difficulté d'apprécier ce qui leur appartient en propre),—(III, 8), III.
  • Avarice (Sur l'),—(I, 40), I.

  • Bien (Du) et du mal, leur mélange constant en toutes choses,—(II, 20), II.
  •   —  (Sur le souverain),—(I, 53), I.
  • Biens (Les) et les maux ne sont souvent tels que par l'opinion que nous en avons,—(I, 40), I.
  • Boiteux (Des),—(III, 11), III.

  • Caractère (Sur les variations dans le) chez un même homme,—(II, 1), I.
  • Caton le jeune ou d'Utique,—(I, 36), I.
  • Céa (Coutume de l'île de),—(II, 3), I.
  • César (Particularités afférentes à),—(II, 33), II.
  •   —  (Observations sur la manière de faire la guerre de),—(II, 34), II.
  •   —  (A propos d'un mot de),—(I, 53), I.
  • Choses (Toutes) ont leur saison,—(II, 28), II.
  • Cicéron (Considérations sur),—(I, 39), I.
  • Civilisation (Sur l'état des hommes vivant en dehors de la),—(I, 30), I.
  • Civilité (Sur la), en particulier dans les visites de souverains,—(I, 13), I.
  • Clémence (Sur la),—(I, 23), I.
  • Coches (Des),—(III, 6), III.
  • Colère (De la),—(II, 31), II.
  • Commerces (Des trois): les hommes, les femmes et les livres,—(III, 3), III.
  • Commisération, moyens divers de l'obtenir de ses ennemis,—(I, 1), I.
  • Conduite (Sur les variations dans la) chez un même homme,—(II, 1), I.
  • Connaissances humaines (Incertitude des),—(II, 12), II.
  •   —  (Sur le peu d'étendue des),—(III, 6), III.
  • Conscience (De la),—(II, 5), I.
  •   —  (De la bonne),—(II, 5), I.
  • Contradiction. Il faut s'appliquer à savoir la supporter,—(III, 8), III.
  • Conversation (Sur l'art de la),—(III, 8), III.
  • Couardise (La), mère de la cruauté,—(II, 11), II.
  • Courage (Sur le véritable) et ses limites,—(I, 12), I.
  • Coutumes. Circonspection à apporter dans les modifications qu'on veut y introduire,—(I, 22), I.
  • Coutumes (Des) des anciens,—(I, 49), I.
  • Cruauté (De la),—(II, 11), II.

  • Démentis (Des),—(II, 18), II.
  • Démocrite (Sur) et Héraclite,—(I, 50), I.
  • Désirs insatiables de l'homme,—(I, 53), I.
  •   —  (Nos) s'accroissent par la difficulté de les satisfaire,—(II, 15), II.
  • Destriers (Des) ou chevaux d'armes,—(I, 48), I.
  • Diversion (De la),—(III, 4), III.
  • Divinité (De la),—(II, 12), II.
  • Dormir (Du),—(I, 44), I.
  • Douleur (Sur la),—(I, 40), I.
  • Dreux (De la bataille de),—(I, 45), I.
  • Duel (Du),—(II, 27), II.

  • Éducation des enfants (Sur l'),—(I, 25), I.
  • Éloquence (Sur l'),—(I, 10), I.
  • Enfant monstrueux (Au sujet d'un),—(II, 30), II.
  • Enfants (De l'affection des pères pour leurs),—(II, 8), II.
  •   —  (Rapports des pères avec leurs),—(II, 8), II.
  •   —  (Situation de fortune à leur donner),—(II, 8), II.
  •   —  (Sur la ressemblance des) aux pères,—(II, 37), III.
  • Enthousiasme (Sur l'),—(II, 2), I.
  • Epaminondas (Sur),—(II, 36), II.
  • Épicure (Sur la doctrine d'),—(III, 13), III.
  • Équitation (Sur l'),—(I, 48), I.
  • Esprit (Affection que nous portons aux productions de notre),—(II, 8), II.
  •   —  (De l'usage à faire des facultés de l'),—(I, 50), I.
  •   —  (Sur l'époque de la maturité de l'),—(I, 57), I.
  • Esprit humain; par sa faiblesse, il est souvent un obstacle à lui-même,—(II, 14), II.
  • Événements (Part du hasard dans les),—(I, 23), I.
  •   —  résultats opposés de déterminations semblables,—(I, 33), I.
  • Exercice (De l'),—(II, 6), I.
  • Expérience (De l'),—(III, 13), III.

  • Fainéantise (Sur la),—(I, 8), I.
  •   —  (Contre la),—(II, 21), II.
  • Faux (Du vrai et du), difficulté d'en juger,—(I, 26), I.
  • Femmes (Trois bonnes),—(II, 35), II.
  • Fin (Des mauvais moyens employés à bonne),—(II, 23), II.
  • Foi chrétienne (Sur les fondements de la),—(II, 12), II.
  • Fortune (Sur l'inconstance de la),—(I, 18; 33), I.
  •   —  (Part de la) dans les événements,—(I, 47), I.
  • Fréquentation (Sur la) des hommes,—(III, 3), III.
  •   —  (Sur la) des femmes,—(III, 3), III.
  • Funérailles (Du soin de nos),—(I, 3), I.

  • Général (Sur la conduite d'un) dans une bataille,—(I, 45), I.
  • Gloire, souci que l'on a de faire qu'elle ne soit pas partagée par autrui,—(I, 41), I.
  •   —  (De la),—(II, 16), II.
  • Gouvernement d'un état (Danger des changements dans le),—(III, 9), III.
  • Grandeur (De l'incommodité de la),—(III, 7), III.
  • Guerre (Sur la bonne foi et la loyauté à la),—(I, 5), I.
  •   —  (Sur l'art de la),—(I, 47; 48), I.
  •   —  (Sur la manière de César de faire la),—(II, 34), II.

  • Habitude (Sur la force de l'),—(I, 22; 35), I.
  • Hasard (Part du) dans les événements,—(I, 23), I.
  •   —  résultats opposés de déterminations semblables,—(I, 33), I.
  • Héraclite (Sur) et Démocrite,—(I, 50), I.
  • Homère (Sur),—(II, 36), III.
  • Homme du monde (Qualités convenables à un),—(I, 39), I.
  • Hommes (Différence entre les qualités des),—(I, 42), I.
  •   —  (Des plus excellents),—(II, 36), III.
  • Honnête (De l') et de l'utile,—(III, 1), III.
  • Honneur (Sur le point d'),—(II, 18), II.

  • Imagination (De la force de l'), des esprits forts,—(I, 20), I.
  •   —  (De la force de l'),—(II, 25), II.
  • Inégalités existant chez les hommes du fait des conditions de l'état social,—(I, 42), I.
  • Innovations (Danger des) dans un état,—(I, 43), I.
  • Intérêts particuliers de chacun, impossibilité de les concilier,—(I, 51), I.
  • Ivrognerie (De l'),—(II, 2), I.

  • Jalousie (Sur la),—(III, 5), III.
  • Jeunesse (Sur la),—(I, 57), I.
  • Jugement (Incertitude de notre),—(I, 47), I.
  • Julien (Apologie de l'empereur),—(II, 19), II.

  • La Boëtie (Éloge de),—(I, 27), I.
  • Lâcheté (Sur la),—(I, 15), I.
  • Lecteur (Au),—(»), I.
  • Lecture (Sur la),—(III, 3), III.
  • Liberté de conscience (De la),—(II, 19), II.
  • Libre arbitre (Sur le),—(II, 14), II.
  • Livres (Des),—(II, 10), II.
  • Lois, inconvénients de leur instabilité,—(I, 22), I.
  •   —  (Obscurité et peu d'équité des),—(III, 13), III.
  •   —  somptuaires (Des),—(I, 43), I.
  • Luxe (Sur le),—(I, 43), I.

  • Mal (Du bien et du), leur mélange constant,—(II, 20), II.
  • Malade (De ne contrefaire le),—(II, 25), II.
  • Mariage (Sur le),—(II, 35), II.
  • Maux (Les biens et les) ne sont souvent tels que par l'opinion que nous en avons,—(I, 40), I.
  • Médecine (Sur la),—(II, 37), III.
  •   —  (Sur l'incertitude de la),—(III, 13), III.
  • Mémoire (Sur la) et le mensonge,—(I, 9), I.
  • Ménage (Sur les soins du),—(III, 9), III.
  • Mensonge (Sur le),—(II, 18), II.
  • Menteurs (Des),—(I, 9), I.
  • Merveilleux (Tendance de l'esprit humain pour le),—(III, 11), III.
  • Modération (De la) dans l'exercice même de la vertu et les jouissances des plaisirs licites,—(I, 29), I.
  • Montaigne (Opinion de) sur lui-même,—(II, 17), II.
  • Mort (Sur nos obligations au delà de la mort),—(I, 7), I.
  •   —  (Ce n'est qu'après notre) qu'on peut juger du degré de félicité que nous avons eu durant notre vie,—(I, 28), I.
  •   —  (La) est-elle un bien ou un mal?—(I, 40), I.
  •   —  (Sur le moyen de se familiariser avec la),—(II, 6), I.
  •   —  d'autrui (Réserve à apporter quand nous jugeons de la),—(II, 13), I.
  • Moyens (Des mauvais) employés à bonne fin,—(II, 23), II.

  • Noms (Des), de leur influence dans la vie,—(I, 46), I.

  • Obéissance (De l') à ses supérieurs,—(I, 46), I.
  • Oisiveté (Sur l'),—(I, 8), I;—(II, 21), II.

  • Parcimonie (De la) des anciens,—(I, 52), I.
  • Parlementer (Du danger que court le commandant d'une place assiégée, en sortant pour),—(I, 5), I.
  •   —  est toujours un moment dangereux pour une place assiégée,—(I, 6), I.
  • Paroles (De la vanité des),—(I, 51), I.
  • Pédantisme (Sur le), ou faux savoir,—(I, 24), I.
  • Peur (De la),—(I, 17), I.
  • Philosopher, c'est apprendre à mourir,—(I, 19), I.
  • Philosophiques (Sectes) des anciens,—(II, 12), III.
  • Physionomie (De la),—(III, 12), III.
  • Place de guerre, danger pour le commandant d'une place assiégée d'en sortir pour parlementer,—(I, 5), I.
  •   —  le moment où l'on traite de la capitulation d'une place assiégée est toujours un moment dangereux,—(I, 6), I.
  •   —  Sur trop d'opiniâtreté dans la défense d'une place assiégée,—(I, 14), I.
  • Plaisirs (Sur le meilleur usage des),—(III, 13), III.
  • Plutarque (Défense de Sénèque et de),—(II, 32), II.
  • Postes (Des),—(II, 22), II.
  • Pouces (Des),—(II, 26), II.
  • Prédiction de l'avenir (Sur la) et l'astrologie,—(I, 11), I.
  • Préoccupations (Sur les) de ce qui peut survenir après nous, en ce qui touche ce qui nous intéresse notre vie durant,—(I, 3), I.
  • Présomption (De la),—(II, 17), II.
  • Prières (Des),—(I, 56), I.
  • Providence (Sur la) et ses desseins,—(I, 31), I.
  • Pur (Nous ne goûtons rien de),—(II, 20), II.

  • Raison (Tout soumettre à l'examen de la) conduit à bien des erreurs,—(II, 12), II.
  • Récits extraordinaires (Sur le peu de croyance qu'on peut accorder aux),—(I, 26), I.
  • Récompenses honorifiques (Des),—(II, 7), II.
  • Régime (Sur le) qui convient le mieux à la santé,—(III, 13), III.
  • Religion (Erreurs auxquelles conduit le libre examen dans les questions de),—(II, 12), II.
  •   —  (Du zèle pour la),—(II, 19), II.
  • Raimond de Sebonde (Apologie de),—(II, 12), II.
  • Remords (Sur le),—(II, 5), I.
  • Repentir (Du),—(III, 2), III.
  • Résignation; la nature nous y porte, mieux que tous les enseignements philosophiques,—(III, 12), II.
  • Roi; du meilleur emploi à faire de ses richesses,—(III, 6), III.
  • Rois; dans quelle mesure nous leur devons notre obéissance et notre affection,—(I, 3), I.
  • Romaine (De la grandeur),—(II, 24), II.
  • Royauté (Sur les soucis de la),—(I, 42), I.

  • Se connaître (Sur la nécessité de bien),—(II, 6), I.
  • Sénèque (Défense de Plutarque et de),—(II, 32), II.
  • Sens (Incertitude des) de l'homme,—(II, 12), II.
  • Senteurs (Des) ou odeurs,—(I, 55), I.
  • Sentiments opposés qui nous portent à pleurer et à rire tout à la fois d'une même chose,—(I, 37), I.
  • Services (Réserve à apporter dans les) qu'on rend à autrui,—(III, 10), III.
  • Société (Sur la manière d'être en),—(III, 8), III.
  • Solitude (De la),—(I, 38), I.
  • Sonnets (Vingt-neuf) de la Boétie,—(I, 28), I.
  • Souverain (Activité nécessaire à un),—(II, 21), II.
  • Spurina (Histoire de),—(II, 33), II.
  • Subtilités (Des vaines),—(I, 54), I.
  • Suicide (Sur le),—(II, 3), I;—(II, 13), II.
  • Suppliciés; des sévices exercés sur eux après leur mort,—(II, 27), II.

  • Torture (Sur la),—(II, 5), I.
  • Tranquillité d'âme (Sur la) dans les circonstances graves,—(I, 44), I.
  • Tristesse (De la),—(I, 2), I.

  • Utile (De l'honnête et de l'),—(III, 1), III.

  • Vanité (De la),—(II, 17), II;—(III, 9), III.
  • Vertu (Intérêts de nature à porter à des actes de),—(I, 36), I.
  •   —  (La difficulté est inhérente à la pratique de la),—(II, 11), II.
  •   —  (De la),—(II, 29), II.
  • Vêtements (Sur l'usage des),—(I, 35), I.
  • Vie (Considérations sur le but de la),—(II, 21), II.
  •   —  (Sur le meilleur usage de la),—(III, 13), III.
  • Vieillesse (Sur la),—(I, 57), I;—(II, 26), II.
  •   —  (Sur les maux de la),—(II, 37), III.
  • Virgile (Sur des vers de),—(III, 5), III.
  • Volonté (Il faut ménager sa),—(III, 10), III.
  • Voluptés à fuir, même au prix de la vie,—(I, 32), I.
  • Voyages (Sur les),—(III, 9), III.
  • Vrai (Du) et du faux, difficulté d'en juger,—(I, 26), I.

ESSAIS

DE

MICHEL  SEIGNEVR

DE   MONTAIGNE


CIↃ  IↃ  XCV


TEXTE ET TRADUCTION


AV LECTEVR.    (TRADUCTION : L'AUTEUR AU LECTEUR)

C'est icy vn Liure de bonne foy, Lecteur. Il t'aduertit dés l'entree,
que ie ne m'y suis proposé aucune fin, que domestique et priuee:
ie n'y ay eu nulle consideration de ton seruice, ny de ma gloire:
mes forces ne sont pas capables d'vn tel dessein. Ie l'ay voué à la
commodité particuliere de mes parens et amis: à ce que m'ayans
perdu (ce qu'ils ont à faire bien tost) ils y puissent retrouuer aucuns
traicts de mes conditions et humeurs, et que par ce moyen ils
nourrissent plus entiere et plus vifue la connoissance qu'ils ont eu
de moy. Si c'eust esté pour rechercher la faueur du monde, ie me
fusse mieus paré et me presanterois en vne marche estudiee. Ie veux1
qu'on m'y voye en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans
contantion et artifice: car c'est moy que ie peins. Mes defauts
s'y liront au vif et ma forme naifue, autant que la reuerence publique
me l'a permis. Que si i'eusse esté entre ces nations qu'on dit
viure encore souz la douce liberté des premieres loix de nature, ie
t'asseure que ie m'y fusse tres-volontiers peint tout entier, et tout
nud.   Ainsi, Lecteur, ie suis moy-mesme la matiere de mon liure,
ce n'est pas raison que tu employes ton loisir en vn subiect si
friuole et si vain.   A Dieu donq.   De Montaigne, ce premier de
mars, mille cinq cens quattre vins.2



Nota.—Ce texte a été collationné sur l'exemplaire de l'édition de 1595 (éditée à Paris, à cette date, par Abel Langelier), appartenant à la Bibliothèque nationale, no 15 de la collection Payen.—En ce qui concerne spécialement l'avis au lecteur ci-dessus, se reporter aux Notes, I, 14, 1, Av Lectevr.


LIVRE  PREMIER.


CHAPITRE I.    (TRADUCTION LIV. I, CH. I.)
Par diuers moyens on arrive à pareille fin.

LA plus commune façon d'amollir les cœurs de ceux qu'on a offencez,
lors qu'ayans la vengeance en main, ils nous tiennent à
leur mercy, c'est de les esmouuoir par submission, à commiseration
et à pitié: toutesfois la brauerie, la constance, et la resolution,
moyens tous contraires, ont quelquesfois seruy à ce mesme
effect.   Edouard Prince de Galles, celuy qui regenta si long temps
nostre Guienne: personnage duquel les conditions et la fortune ont
beaucoup de notables parties de grandeur; ayant esté bien fort
offencé par les Limosins, et prenant leur ville par force, ne peut
estre arresté par les cris du peuple, et des femmes, et enfans1
abandonnez à la boucherie, luy criants mercy, et se iettans à ses
pieds: iusqu'à ce que passant tousiours outre dans la ville, il
apperçeut trois Gentilshommes François, qui d'vne hardiesse incroyable
soustenoient seuls l'effort de son armee victorieuse. La
consideration et le respect d'vne si notable vertu, reboucha premierement
la pointe de sa cholere: et commença par ces trois,
à faire misericorde à tous les autres habitans de la ville.   Scanderberch,
Prince de l'Epire, suyuant vn soldat des siens pour le
tuer, et ce soldat ayant essayé par toute espece d'humilité et de
supplication de l'appaiser, se resolut à toute extremité de l'attendre2
l'espee au poing: cette sienne resolution arresta sus bout
la furie de son maistre, qui pour luy auoir veu prendre vn si
honorable party, le reçeut en grace. Cet exemple pourra souffrir
autre interpretation de ceux, qui n'auront leu la prodigieuse force
et vaillance de ce Prince là.   L'Empereur Conrad troisiesme, ayant
assiegé Guelphe Duc de Bauieres, ne voulut condescendre à plus
douces conditions, quelques viles et lasches satisfactions qu'on luy
offrist, que de permettre seulement aux gentils-femmes qui estoient
assiegees auec le Duc, de sortir leur honneur sauue, à pied, auec
ce qu'elles pourroient emporter sur elles. Elles d'vn cœur magnanime,
s'aduiserent de charger sur leurs espaules leurs maris, leurs
enfans, et le Duc mesme. L'Empereur print si grand plaisir à voir la
gentillesse de leur courage, qu'il en pleura d'aise, et amortit toute
cette aigreur d'inimitié mortelle et capitale qu'il auoit portee contre
ce Duc: et dés lors en auant traita humainement luy et les siens.1
L'vn et l'autre de ces deux moyens m'emporteroit aysement:
car i'ay vne merueilleuse lascheté vers la misericorde et mansuetude:
tant y a, qu'à mon aduis, ie serois pour me rendre plus
naturellement à la compassion, qu'à l'estimation. Si est la pitié
passion vitieuse aux Stoiques: ils veulent qu'on secoure les affligez,
mais non pas qu'on flechisse et compatisse auec eux. Or
ces exemples me semblent plus à propos, d'autant qu'on voit ces
ames assaillies et essayees par ces deux moyens, en soustenir l'vn
sans s'esbranler, et courber sous l'autre. Il se peut dire, que de
rompre son cœur à la commiseration, c'est l'effet de la facilité,2
debonnaireté, et mollesse: d'où il aduient que les natures plus
foibles, comme celles des femmes, des enfans, et du vulgaire, y
sont plus subiettes: mais ayant eu à desdaing les larmes et les
pleurs, de se rendre à la seule reuerence de la saincte image de
la vertu, que c'est l'effect d'vne ame forte et imployable, ayant
en affection et en honneur vne vigueur masle, et obstinee.   Toutesfois
és ames moins genereuses, l'estonnement et l'admiration
peuuent faire naistre vn pareil effect: tesmoin le peuple Thebain,
lequel ayant mis en Iustice d'accusation capitale, ses Capitaines,
pour auoir continué leur charge outre le temps qui3
leur auoit esté prescript et preordonné, absolut à toute peine
Pelopidas, qui plioit sous le faix de telles obiections, et n'employoit
à se garantir que requestes et supplications: et au contraire
Epaminondas, qui vint à raconter magnifiquement les choses
par luy faites, et à les reprocher au peuple d'vne façon fiere et
arrogante, il n'eut pas le cœur de prendre seulement les balotes
en main, et se departit: l'assemblee louant grandement la hautesse
du courage de ce personnage.   Dionysius le vieil, apres des
longueurs et difficultés extremes, ayant prins la ville de Rege,
et en icelle le Capitaine Phyton, grand homme de bien, qui
l'auoit si obstinéement defendue, voulut en tirer vn tragique
exemple de vengeance. Il luy dict premierement, comment le iour
auant, il auoit faict noyer son fils, et tous ceux de sa parenté.
A quoy Phyton respondit seulement, qu'ils en estoient d'vn iour
plus heureux que luy. Apres il le fit despouiller, et saisir à des
Bourreaux, et le trainer par la ville, en le fouëttant tres ignominieusement
et cruellement: et en outre le chargeant de felonnes
parolles et contumelieuses. Mais il eut le courage tousiours constant,1
sans se perdre. Et d'vn visage ferme, alloit au contraire
ramenteuant à haute voix, l'honorable et glorieuse cause de sa
mort, pour n'auoir voulu rendre son païs entre les mains d'vn
tyran: le menaçant d'vne prochaine punition des dieux. Dionysius,
lisant dans les yeux de la commune de son armee, qu'au lieu de
s'animer des brauades de cet ennemy vaincu, au mespris de leur
chef, et de son triomphe, elle alloit s'amollissant par l'estonnement
d'vne si rare vertu, et marchandoit de se mutiner, et mesmes
d'arracher Phyton d'entre les mains de ses sergens, feit cesser
ce martyre: et à cachettes l'enuoya noyer en la mer.   Certes2
c'est vn subiect merueilleusement vain, diuers, et ondoyant, que
l'homme: il est malaisé d'y fonder iugement constant et vniforme.
Voyla Pompeius qui pardonna à toute la ville des Mamertins,
contre laquelle il estoit fort animé, en consideration de la vertu
et magnanimité du citoyen Zenon, qui se chargeoit seul de la
faute publique, et ne requeroit autre grace que d'en porter seul
la peine. Et l'hoste de Sylla, ayant vsé en la ville de Peruse de
semblable vertu, n'y gaigna rien, ny pour soy, ny pour les autres.
Et directement contre mes premiers exemples, le plus hardy
des hommes et si gratieux aux vaincus Alexandre, forçant apres3
beaucoup de grandes difficultez la ville de Gaza, rencontra Betis
qui y commandoit, de la valeur duquel il auoit, pendant ce siege,
senty des preuues merueilleuses, lors seul, abandonné des siens,
ses armes despecees, tout couuert de sang et de playes, combatant
encores au milieu de plusieurs Macedoniens, qui le chamailloient
de toutes parts: et luy dit, tout piqué d'vne si chere victoire:
car entre autres dommages, il auoit receu deux fresches blessures
sur sa personne: Tu ne mourras pas comme tu as voulu, Betis:
fais estat qu'il te faut souffrir toutes les sortes de tourmens qui
se pourront inuenter contre un captif. L'autre, d'vne mine non
seulement asseuree, mais rogue et altiere, se tint sans mot dire
à ces menaces. Lors Alexandre voyant l'obstination à se taire:
A il flechy vn genouil? luy est-il eschappé quelque voix suppliante?
Vrayement ie vainqueray ce silence: et si ie n'en puis arracher
parole, i'en arracheray au moins du gemissement. Et tournant sa
cholere en rage, commanda qu'on luy perçast les talons, et le
fit ainsi trainer tout vif, deschirer et desmembrer au cul d'vne
charrette. Seroit-ce que la force de courage luy fust si naturelle1
et commune, que pour ne l'admirer point, il la respectast moins?
ou qu'il l'estimast si proprement sienne, qu'en cette hauteur il ne
peust souffrir de la veoir en vn autre, sans le despit d'vne passion
enuieuse? ou que l'impetuosité naturelle de sa cholere fust incapable
d'opposition? De vray, si elle eust receu bride, il est à
croire, qu'en la prinse et desolation de la ville de Thebes elle
l'eust receue: à veoir cruellement mettre au fil de l'espee tant de
vaillans hommes, perdus, et n'ayans plus moyen de defence publique.
Car il en fut tué bien six mille, desquels nul ne fut veu
ny fuiant, ny demandant mercy: au rebours cerchans, qui çà,2
qui là, par les rues, à affronter les ennemis victorieux: les prouoquans
à les faire mourir d'vne mort honorable. Nul ne fut veu,
qui n'essaiast en son dernier souspir, de se venger encores: et à
tout les armes du desespoir consoler sa mort en la mort de quelque
ennemy. Si ne trouua l'affliction de leur vertu aucune pitié: et ne
suffit la longueur d'vn iour à assouuir sa vengeance. Ce carnage
dura iusques à la derniere goute de sang espandable: et ne s'arresta
qu'aux personnes desarmées, vieillards, femmes et enfants,
pour en tirer trente mille esclaues.

CHAPITRE II.    (TRADUCTION LIV. I, CH. II.)
De la tristesse.

IE suis des plus exempts de cette passion, et ne l'ayme ny3
l'estime: quoy que le monde ayt entrepris, comme à prix faict,
de l'honorer de faueur particuliere. Ils en habillent la sagesse,
la vertu, la conscience. Sot et vilain ornement. Les Italiens ont
plus sortablement baptisé de son nom la malignité. Car c'est vne
qualité tousiours nuisible, tousiours folle: et comme tousiours
couarde et basse, les Stoïciens en defendent le sentiment à leurs
sages.   Mais le conte dit que Psammenitus Roy d'Ægypte, ayant
esté deffait et pris par Cambysez Roy de Perse, voyant passer
deuant luy sa fille prisonniere habillee en seruante, qu'on enuoyoit
puiser de l'eau, tous ses amis pleurans et lamentans autour de
luy, se tint coy sans mot dire, les yeux fichez en terre: et voyant
encore tantost qu'on menoit son fils à la mort, se maintint en1
cette mesme contenance: mais qu'ayant apperçeu vn de ses
domestiques conduit entre les captifs, il se mit à battre sa teste,
et mener vn dueil extreme.   Cecy se pourroit apparier à ce qu'on
vid dernierement d'vn Prince des nostres, qui ayant ouy à Trente,
où il estoit, nouuelles de la mort de son frere aisné, mais vn frere
en qui consistoit l'appuy et l'honneur de toute sa maison, et
bien tost apres d'vn puisné, sa seconde esperance, et ayant soustenu
ces deux charges d'vne constance exemplaire, comme quelques
iours apres vn de ses gens vint à mourir, il se laissa emporter
à ce dernier accident; et quitant sa resolution, s'abandonna2
au dueil et aux regrets; en maniere qu'aucuns en prindrene
argument, qu'il n'auoit esté touché au vif que de cette derniere
secousse: mais à la verité ce fut, qu'estant d'ailleurs plein et
comblé de tristesse, la moindre sur-charge brisa les barrieres
de la patience. Il s'en pourroit, di-ie, autant iuger de nostre
histoire, n'estoit qu'elle adiouste, que Cambyses s'enquerant à
Psammenitus, pourquoy ne s'estant esmeu au malheur de son filz
et de sa fille, il portoit si impatiemment celuy de ses amis:
C'est, respondit-il, que ce seul dernier desplaisir se peut signifier
par larmes, les deux premiers surpassans de bien loin tout moyen3
de se pouuoir exprimer.   A l'auenture reuiendroit à ce propos
l'inuention de cet ancien peintre, lequel ayant à representer au
sacrifice de Iphigenia le dueil des assistans, selon les degrez de
l'interest que chacun apportoit à la mort de cette belle fille innocente,
ayant espuisé les derniers efforts de son art, quand ce
vint au pere de la vierge, il le peignit le visage couuert, comme
si nulle contenance ne pouuoit rapporter ce degré de dueil. Voyla
pourquoy les Poëtes feignent cette miserable mere Niobé, ayant
perdu premierement sept filz, et puis de suite autant de filles,
sur-chargee de pertes, auoir esté en fin transmuee en rocher,4

diriguisse malis:

pour exprimer cette morne, muette et sourde stupidité, qui nous
transsit, lors que les accidens nous accablent surpassans nostre
portee. De vray, l'effort d'vn desplaisir, pour estre extreme, doit
estonner toute l'ame, et luy empescher la liberté de ses actions:
comme il nous aduient à la chaude alarme d'vne bien mauuaise
nouuelle, de nous sentir saisis, transis, et comme perclus de tous
mouuemens: de façon que l'ame se relaschant apres aux larmes et
aux plaintes, semble se desprendre, se desmeller, et se mettre plus
au large, et à son aise.

Et via vix tandem voci laxata dolore est.
En la guerre que le Roy Ferdinand mena contre la veufue du
Roy Iean de Hongrie, autour de Bude, vn gendarme fut particulierement1
remerqué de chacun, pour auoir excessiuement bien faict
de sa personne, en certaine meslee: et incognu, hautement loué,
et plaint y estant demeuré: mais de nul tant que de Raiscïac
Seigneur Allemand, esprins d'vne si rare vertu: le corps estant
rapporté, cetuicy d'vne commune curiosité, s'approcha pour voir
qui c'estoit: et les armes ostees au trespassé, il reconut son fils.
Cela augmenta la compassion aux assistans: luy seul, sans rien
dire, sans siller les yeux, se tint debout, contemplant fixement
le corps de son fils: iusques à ce que la vehemence de la tristesse,
aiant accablé ses esprits vitaux, le porta roide mort par2
terre.

Chi puo dir com' egli arde è in picciol fuoco,

disent les amoureux, qui veulent representer vne passion
insupportable.

misero quod omnes
Eripit sensu mihi. Nam simul te
Lesbia aspexi, nihil est superîm
Quod loquar amens.
Lingua sed torpet, tenuis sub artus
Flamma dimanat, sonitu suopte3
Tinniunt aures, gemina teguntur
Lumina nocte.

Aussi n'est ce pas en la viue, et plus cuysante chaleur de l'accés,
que nous sommes propres à desployer nos plaintes et nos persuasions:
l'ame est lors aggrauee de profondes pensees, et le corps
abbatu et languissant d'amour: et de là s'engendre par fois la defaillance
fortuite, qui surprent les amoureux si hors de saison; et
cette glace qui les saisit par la force d'vne ardeur extreme, au giron
mesme de la iouïssance. Toutes passions qui se laissent gouster,
et digerer, ne sont que mediocres,4

Curæ leues loquuntur, ingentes stupent.
La surprise d'un plaisir inesperé nous estonne de mesme.

Vt me conspexit venientem, et Troïa circum
Arma amens vidit, magnis exterrita monstris,
Diriguit visu in medio, calor ossa reliquit,
Labitur, et longo vix tandem tempore fatur.

Outre la femme Romaine, qui mourut surprise d'aise de voir
son fils reuenu de la routte de Cannes: Sophocles et Denis le
Tyran, qui trespasserent d'aise: et Talua qui mourut en Corsegue,
lisant les nouuelles des honneurs que le Senat de Rome luy auoit
decernez; nous tenons en nostre siecle, que le Pape Leon dixiesme
ayant esté aduerty de la prinse de Milan, qu'il auoit extremement
souhaittee, entra en tel excez de ioye, que la fieure l'en print, et
en mourut. Et pour vn plus notable tesmoignage de l'imbecillité
humaine, il a esté remerqué par les anciens, que Diodorus le
Dialecticien mourut sur le champ, espris d'vne extreme passion
de honte, pour en son escole, et en public, ne se pouuoir desuelopper1
d'vn argument qu'on luy auoit faict. Ie suis peu en prise
de ces violentes passions: i'ay l'apprehension naturellement dure;
et l'encrouste et espessis tous les iours par discours.

CHAPITRE III.    (TRADUCTION LIV. I, CH. III.)
Nos affections s'emportent au delà de nous.

CEVX qui accusent les hommes d'aller tousiours beant apres les
choses futures, et nous apprennent à nous saisir des biens presens,
et nous rassoir en ceux-là, comme n'ayants aucune prise sur
ce qui est à venir, voire assez moins que nous n'auons sur ce qui
est passé, touchent la plus commune des humaines erreurs: s'ils
osent appeller erreur, chose à quoy nature mesme nous achemine
pour le seruice de la continuation de son ouurage, nous imprimant,2
comme assez d'autres, cette imagination fausse, plus ialouse de
nostre action, que de nostre science. Nous ne sommes iamais chez
nous, nous sommes tousiours au delà. La crainte, le desir, l'esperance,
nous eslancent vers l'aduenir: et nous desrobent le sentiment
et la consideration de ce qui est, pour nous amuser à ce qui sera,
voire quand nous ne serons plus. Calamitosus est animus futuri
anxius.   Ce grand precepte est souuent allegué en Platon, Fay ton
faict, et te congnoy. Chascun de ces deux membres enueloppe generallement
tout nostre deuoir: et semblablement enueloppe son
compagnon. Qui auroit à faire son faict, verroit que sa premiere3
leçon, c'est cognoistre ce qu'il est, et ce qui luy est propre. Et qui
se cognoist, ne prend plus l'estranger faict pour le sien: s'ayme,
et se cultiue auant toute autre chose: refuse les occupations superflues,
et les pensees, et propositions inutiles. Comme la folie
quand on luy octroyera ce qu'elle desire, ne sera pas contente:
aussi est la sagesse contente de ce qui est present, ne se desplait
iamais de soy. Epicurus dispense son sage de la preuoyance
et soucy de l'aduenir.   Entre les loix qui regardent les trespassez,
celle icy me semble autant solide, qui oblige les actions des
Princes à estre examinees apres leur mort: ils sont compagnons,
sinon maistres des loix: ce que la Iustice n'a peu sur leurs testes,
c'est raison qu'elle l'ayt sur leur reputation, et biens de leurs
successeurs: choses que souuent nous preferons à la vie. C'est
vne vsance qui apporte des commoditez singulieres aux nations où1
elle est obseruee, et desirable à tous bons Princes: qui ont à se
plaindre de ce, qu'on traitte la memoire des meschants comme la
leur. Nous deuons la subiection et obeïssance egalement à tous
Rois: car elle regarde leur office: mais l'estimation, non plus que
l'affection, nous ne la deuons qu'à leur vertu. Donnons à l'ordre
politique de les souffrir patiemment, indignes: de celer leurs
vices: d'aider de nostre recommandation leurs actions indifferentes,
pendant que leur auctorité a besoin de nostre appuy. Mais
nostre commerce finy, ce n'est pas raison de refuser à la Iustice,
et à nostre liberté, l'expression de noz vrays ressentiments: et2
nommément de refuser aux bons subiects, la gloire d'auoir reueremment
et fidellement serui vn maistre, les imperfections duquel
leur estoient si bien cognues: frustrant la posterité d'vn si vtile
exemple. Et ceux, qui, par respect de quelque obligation priuee
espousent iniquement la memoire d'vn Prince mesloüable, font iustice
particuliere aux despends de la Iustice publique. Titus Liuius
dict vray, que le langage des hommes nourris sous la Royauté, est
tousiours plein de vaines ostentations et faux tesmoignages: chascun
esleuant indifferemment son Roy, à l'extreme ligne de valeur
et grandeur souueraine. On peult reprouuer la magnanimité de3
ces deux soldats, qui respondirent à Neron, à sa barbe, l'vn enquis
de luy, pourquoy il luy vouloit mal: Ie t'aimoy quand tu le valois:
mais despuis que tu és deuenu parricide, boutefeu, basteleur, cochier,
ie te hay, comme tu merites. L'autre, pourquoy il le vouloit
tuer; Par ce que ie ne trouue autre remede à tes continuels
malefices. Mais les publics et vniuersels tesmoignages, qui apres
sa mort ont esté rendus, et le seront à tout iamais, à luy, et à tous
meschans comme luy, de ses tiranniques et vilains deportements,
qui de sain entendement les peut reprouuer?   Il me desplaist,
qu'en vne si saincte police que la Lacedemonienne, se fust meslée
vne si feinte ceremonie à la mort des Roys. Tous les confederez et
voysins, et tous les Ilotes, hommes, femmes, pesle-mesle, se descoupoient
le front, pour tesmoignage de deuil: et disoient en leurs
cris et lamentations, Que celuy la, quel qu'il eust esté, estoit le
meilleur Roy de tous les leurs: attribuants au reng, le los qui appartenoit
au merite; et, qui appartient au premier merite, au postreme
et dernier reng.   Aristote, qui remue toutes choses, s'enquiert
sur le mot de Solon, Que nul auant mourir ne peut estre
dict heureux, Si celuy la mesme, qui a vescu, et qui est mort à souhait,1
peut estre dict, heureux, si sa renommee va mal, si sa posterité
est miserable. Pendant que nous nous remuons, nous nous
portons par preoccupation où il nous plaist: mais estant hors de
l'estre, nous n'auons aucune communication auec ce qui est. Et
seroit meilleur de dire à Solon, que iamais homme n'est donc heureux,
puis qu'il ne l'est qu'apres qu'il n'est plus.

quisquam
Vix radicitus è vita se tollit, et eiicit:
Sed facit esse sui quiddam super inscius ipse,
Nec remouet satis à proiecto corpore sese, et2
Vindicat.
Bertrand du Glesquin mourut au siege du Chasteau de Rancon,
pres du Puy en Auuergne: les assiegez s'estans rendus apres, furent
obligez de porter les clefs de la place sur le corps du trespassé. Barthelemy
d'Aluiane, General de l'armee des Venitiens, estant mort
au seruice de leurs guerres en la Bresse, et son corps ayant esté
rapporté à Venise par le Veronois, terre ennemie; la pluspart de
ceux de l'armee estoient d'aduis, qu'on demandast sauf-conduit
pour le passage à ceux de Veronne: mais Theodore Triuulce y contredit;
et choisit plustost de le passer par viue force, au hazard du3
combat: N'estant conuenable, disoit-il, que celuy qui en sa vie
n'auoit iamais eu peur de ses ennemis, estant mort fist demonstration
de les craindre. De vray, en chose voisine, par les loix Grecques,
celuy qui demandoit à l'ennemy vn corps pour l'inhumer,
renonçoit à la victoire, et ne lui estoit plus loisible d'en dresser
trophee: à celuy qui en estoit requis, c'estoit tiltre de gain. Ainsi
perdit Nicias l'auantage qu'il auoit nettement gaigné sur les Corinthiens:
et au rebours, Agesilaus asseura celuy qui luy estoit bien
doubteusement acquis sur les Bœotiens.   Ces traits se pourroient
trouuer estranges, s'il n'estoit receu de tout temps, non seulement4
d'estendre le soing de nous, au delà cette vie, mais encore de
croire, que bien souuent les faueurs celestes nous accompaignent
au tombeau, et continuent à nos reliques. Dequoy il y a tant
d'exemples anciens, laissant à part les nostres, qu'il n'est besoing
que ie m'y estende. Edouard premier Roy d'Angleterre, ayant essayé
aux longues guerres d'entre luy et Robert Roy d'Escosse,
combien sa presence donnoit d'aduantage à ses affaires, rapportant
tousiours la victoire de ce qu'il entreprenoit en personne;
mourant, obligea son fils par solennel serment, à ce qu'estant trespassé,
il fist bouillir son corps pour desprendre sa chair d'auec
les os, laquelle il fit enterrer: et quant aux os, qu'il les reseruast
pour les porter auec luy, et en son armee, toutes les fois qu'il luy
aduiendroit d'auoir guerre contre les Escossois: comme si la destinee1
auoit fatalement attaché la victoire à ses membres. Iean
Zischa, qui troubla la Boheme pour la deffence des erreurs de
VViclef, voulut qu'on l'escorchast apres sa mort, et de sa peau
qu'on fist vn tabourin à porter à la guerre contre ses ennemis:
estimant que cela ayderoit à continuer les aduantages qu'il auoit
eus aux guerres, par luy conduictes contre eux. Certains Indiens
portoient ainsin au combat contre les Espaignols, les ossemens
d'vn de leurs Capitaines, en consideration de l'heur qu'il auoit
eu en viuant. Et d'autres peuples en ce mesme monde, trainent à la
guerre les corps des vaillans hommes, qui sont morts en leurs2
batailles, pour leur seruir de bonne fortune et d'encouragement.
Les premiers exemples ne reseruent au tombeau, que la reputation
acquise par leurs actions passees: mais ceux-cy y veulent encore
mesler la puissance d'agir.   Le faict du Capitaine Bayard est de
meilleure composition, lequel se sentant blessé à mort d'vne harquebusade
dans le corps, conseillé de se retirer de la meslee,
respondit qu'il ne commenceroit point sur sa fin à tourner le dos
à l'ennemy: et ayant combatu autant qu'il eut de force, se sentant
defaillir, et eschapper du cheual, commanda à son maistre d'hostel,
de le coucher au pied d'vn arbre: mais que ce fust en façon qu'il3
mourust le visage tourné vers l'ennemy: comme il fit.   Il me faut
adiouster cet autre exemple aussi remarquable pour cette consideration,
que nul des precedens. L'Empereur Maximilian bisayeul
du Roy Philippes, qui est à present, estoit Prince doué de tout
plein de grandes qualitez, et entre autres d'vne beauté de corps singuliere:
mais parmy ces humeurs, il auoit ceste cy bien contraire
à celle des Princes, qui pour despescher les plus importants affaires,
font leur throsne de leur chaire percee: c'est qu'il n'eut
iamais valet de chambre, si priué, à qui il permist de le voir en sa
garderobbe: il se desroboit pour tomber de l'eau, aussi religieux4
qu'vne pucelle à ne descouurir ny à Medecin ny à qui que ce fust
les parties qu'on a accoustumé de tenir cachees. Moy qui ay la
bouche si effrontée, suis pourtant par complexion touché de cette
honte: si ce n'est à vne grande suasion de la necessité ou de la
volupté, ie ne communique gueres aux yeux de personne, les membres
et actions, que nostre coustume ordonne estre couuertes: i'y
souffre plus de contrainte que ie n'estime bien seant à vn homme,
et sur tout à vn homme de ma profession: mais luy en vint à telle
superstition, qu'il ordonna par parolles expresses de son testament,
qu'on luy attachast des calessons, quand il seroit mort. Il
deuoit adiouster par codicille, que celuy qui les luy monteroit eust
les yeux bandez. L'ordonnance que Cyrus faict à ses enfans, que
ny eux, ny autre, ne voye et touche son corps, apres que l'ame en1
sera separee: ie l'attribue à quelque sienne deuotion: car et son
Historien et luy, entre leurs grandes qualitez, ont semé par tout le
cours de leur vie, vn singulier soin et reuerence à la religion.   Ce
conte me despleut, qu'vn grand me fit d'vn mien allié, homme
assez cogneu et en paix et en guerre. C'est que mourant bien vieil
en sa cour, tourmenté de douleurs extremes de la pierre, il amusa
toutes ses heures dernieres auec vn soing vehement, à disposer
l'honneur et la ceremonie de son enterrement: et somma toute la
noblesse qui le visitoit, de luy donner parolle d'assister à son
conuoy. A ce Prince mesme, qui le vid sur ces derniers traits, il fit2
vne instante supplication que sa maison fust commandee de s'y
trouuer; employant plusieurs exemples et raisons, à prouuer que
c'estoit chose qui appartenoit à vn homme de sa sorte: et sembla
expirer content ayant retiré cette promesse, et ordonné à son gré la
distribution, et ordre de sa montre. Ie n'ay guere veu de vanité si
perseuerante.   Cette autre curiosité contraire, en laquelle ie n'ay
point aussi faute d'exemple domestique, me semble germaine à
ceste-cy: d'aller se soignant et passionnant à ce dernier poinct,
à regler son conuoy, à quelque particuliere et inusitee parsimonie,
à vn seruiteur et vne lanterne. Ie voy louer cett'humeur, et l'ordonnance3
de Marcus Æmylius Lepidus, qui deffendit à ses heritiers
d'employer pour luy les ceremonies qu'on auoit accoustumé en telles
choses. Est-ce encore temperance et frugalité, d'euiter la despence
et la volupté, desquelles l'vsage et la cognoissance nous est imperceptible?
Voila vne aisee reformation et de peu de coust. S'il estoit
besoin d'en ordonner, ie seroy d'aduis, qu'en celle là, comme en
toutes actions de la vie, chascun en rapportast la regle, au degré de
sa fortune. Et le Philosophe Lycon prescrit sagement à ses amis,
de mettre son corps où ils aduiseront pour le mieux: et quant aux
funerailles, de les faire ny superflues ny mechaniques. Ie lairrois
purement la coustume ordonner de cette ceremonie, et m'en remettray
à la discretion des premiers à qui ie tomberay en charge.
Totus hic locus est contemnendus in nobis, non negligendus in nostris.
Et est sainctement dict à vn sainct: Curatio funeris, conditio
sepulturæ, pompa exequiarum, magis sunt viuorum solatia, quàm
subsidia mortuorum. Pourtant Socrates à Criton, qui sur l'heure de
sa fin luy demande, comment il veut estre enterré: Comme vous
voudrez, respond-il. Si i'auois à m'en empescher plus auant, ie1
trouuerois plus galand, d'imiter ceux qui entreprennent viuans et
respirans, iouyr de l'ordre et honneur de leur sepulture: et qui se
plaisent de voir en marbre leur morte contenance. Heureux qui
sachent resiouyr et gratifier leur sens par l'insensibilité, et viure de
leur mort!   A peu, que ie n'entre en haine irreconciliable contre
toute domination populaire: quoy qu'elle me semble la plus naturelle
et equitable: quand il me souuient de cette inhumaine iniustice
du peuple Athenien: de faire mourir sans remission, et sans
les vouloir seulement ouïr en leurs defenses, ces braues Capitaines,
venants de gaigner contre les Lacedemoniens la bataille naualle2
pres les Isles Arginenses: la plus contestee, la plus forte bataille,
que les Grecs aient onques donnee en mer de leurs forces: par ce
qu'apres la victoire, ils auoient suiuy les occasions que la loy de
la guerre leur presentoit, plustost que de s'arrester à recueillir
et inhumer leurs morts. Et rend cette execution plus odieuse, le
faict de Diomedon. Cettuy cy est l'vn des condamnez, homme de
notable vertu, et militaire et politique: lequel se tirant auant pour
parler, apres auoir ouy l'arrest de leur condemnation, et trouuant
seulement lors temps de paisible audience, au lieu de s'en seruir au
bien de sa cause, et à descouurir l'euidente iniquité d'vne si cruelle3
conclusion, ne representa qu'vn soin de la conseruation de ses
iuges: priant les Dieux de tourner ce iugement à leur bien: et à
fin que, par faute de rendre les vœux que luy et ses compagnons
auoient voué, en recognoissance d'vne si illustre fortune, ils n'attirassent
l'ire des Dieux sur eux, les aduertissant quels vœux c'estoient.
Et sans dire autre chose, et sans marchander, s'achemina
de ce pas courageusement au supplice.   La fortune quelques
annees apres les punit de mesme pain souppe. Car Chabrias
Capitaine general de leur armee de mer, ayant eu le dessus du
combat contre Pollis Admiral de Sparte, en l'isle de Naxe, perdit
le fruict tout net et content de sa victoire, tres-important à leurs
affaires, pour n'encourir le malheur de cet exemple, et pour ne
perdre peu de corps morts de ses amis, qui flottoyent en mer,
laissa voguer en sauueté vn monde d'ennemis viuants, qui depuis
leur feirent bien acheter cette importune superstition.

Quæris, quo iaceas, post obitum, loco?
Quo non nata iacent.1

Cet autre redonne le sentiment du repos, à vn corps sans ame,

Neque sepulcrum, quo recipiat, habeat portum corporis:
Vbi, remissa humana vita, corpus requiescat à malis.

Tout ainsi que nature nous faict voir, que plusieurs choses mortes
ont encore des relations occultes à la vie. Le vin s'altere aux caues,
selon aucunes mutations des saisons de sa vigne. Et la chair de
venaison change d'estat aux saloirs et de goust, selon les loix de la
chair viue, à ce qu'on dit.

CHAPITRE IIII.    (TRADUCTION LIV. I, CH. IV.)
Comme l'ame descharge ses passions sur des obiects
faux, quand les vrais luy defaillent.

VN Gentil-homme des nostres merueilleusement subiect à la
goutte, estant pressé par les Medecins de laisser du tout l'vsage2
des viandes salees, auoit accoustumé de respondre plaisamment,
que sur les efforts et tourments du mal, il vouloit auoir à qui s'en
prendre; et que s'escriant et maudissant tantost le ceruelat, tantost
la langue de bœuf et le iambon, il s'en sentoit d'autant allegé.
Mais en bon escient, comme le bras estant haussé pour frapper,
il nous deult si le coup ne rencontre, et qu'il aille au vent: aussi
que pour rendre vne veuë plaisante, il ne faut pas qu'elle soit perduë
et escartee dans le vague de l'air, ains qu'elle ayt butte pour la
soustenir à raisonnable distance.

Ventus vt amittit vires, nisi robore densæ3
Occurrant siluæ spatio diffusus inani.

De mesme il semble que l'ame esbranlee et esmeuë se perde en
soy-mesme, si on ne luy donne prinse: et faut tousiours luy fournir
d'obiect où elle s'abutte et agisse.   Plutarque dit à propos de ceux
qui s'affectionnent aux guenons et petits chiens, que la partie
amoureuse qui est en nous, à faute de prise legitime, plustost que
de demeurer en vain, s'en forge ainsin vne faulce et friuole. Et nous
voyons que l'ame en ses passions se pipe plustost elle mesme, se
dressant vn faux subiect et fantastique, voire contre sa propre
creance, que de n'agir contre quelque chose. Ainsin emporte les
bestes leur rage à s'attaquer à la pierre et au fer, qui les a
blessees: et à se venger à belles dents sur soy-mesmes du mal1
qu'elles sentent.

Pannonis haud aliter post ictum sæuior vrsa
Cui iaculum parua Lybis amentauit habena,
Se rotat in vulnus, telumque irata receptum
Impetit, et secum fugientem circuit hastam.
Quelles causes n'inuentons nous des malheurs qui nous aduiennent?
à quoy ne nous prenons nous à tort ou à droit, pour auoir
où nous escrimer? Ce ne sont pas ces tresses blondes, que tu deschires,
ny la blancheur de cette poictrine, que despitée tu bats si
cruellement, qui ont perdu d'vn malheureux plomb ce frere bien2
aymé: prens t'en ailleurs. Liuius parlant de l'armee Romaine
en Espaigne, apres la perte des deux freres ses grands Capitaines,
Flere omnes repente, et offensare capita: c'est vn vsage commun. Et
le Philosophe Bion, de ce Roy, qui de dueil s'arrachoit le poil, fut
plaisant, Cetuy-cy pense-il que la pelade soulage le dueil? Qui n'a
veu mascher et engloutir les cartes, se gorger d'vne bale de dez,
pour auoir où se venger de la perte de son argent? Xerxes foita
la mer, et escriuit vn cartel de deffi au mont Athos: et Cyrus
amusa toute vne armee plusieurs iours à se venger de la riuiere de
Gyndus, pour la peur qu'il auoit eu en la passant: et Caligula3
ruina vne tresbelle maison, pour le plaisir que sa mere y auoit eu.
Le peuple disoit en ma ieunesse, qu'vn Roy de noz voysins, ayant
receu de Dieu vne bastonade, iura de s'en venger: ordonnant que
de dix ans on ne le priast, ny parlast de luy, ny autant qu'il estoit
en son auctorité, qu'on ne creust en luy. Par où on vouloit peindre
non tant la sottise, que la gloire naturelle à la nation, dequoy estoit
le compte. Ce sont vices tousiours conioincts: mais telles actions
tiennent, à la verité, vn peu plus encore d'outrecuidance, que de
bestise. Augustus Cesar ayant esté battu de la tempeste sur mer, se
print à deffier le Dieu Neptunus, et en la pompe des ieux Circenses
fist oster son image du reng où elle estoit parmy les autres Dieux,
pour se venger de luy. Enquoy il est encore moins excusable, que
les precedens, et moins qu'il ne fut depuis, lors qu'ayant perdu vne1
bataille sous Quintilius Varus en Allemaigne, il alloit de colere et
de desespoir, choquant sa teste contre la muraille, en s'escriant,
Varus rens moy mes soldats: car ceux la surpassent toute follie,
d'autant que l'impieté y est ioincte, qui s'en adressent à Dieu mesmes,
ou à la fortune, comme si elle auoit des oreilles subiectes à
nostre batterie. A l'exemple des Thraces, qui, quand il tonne ou
esclaire, se mettent à tirer contre le ciel d'vne vengeance Titanienne,
pour renger Dieu à raison, à coups de fleche. Or, comme
dit cet ancien Poëte chez Plutarque,

Point ne se faut courroucer aux affaires.2
Il ne leur chaut de toutes nos choleres.

Mais nous ne dirons iamais assez d'iniures au desreglement de
nostre esprit.

CHAPITRE V.    (TRADUCTION LIV. I, CH. V.)
Si le chef d'vne place assiegee, doit sortir
pour parlementer.

LVCIVS Marcius Legat des Romains, en la guerre contre Perseus
Roy de Macedoine, voulant gaigner le temps qu'il luy falloit encore
à mettre en point son armee, sema des entregets d'accord, desquels
le Roy endormy accorda trefue pour quelques iours: fournissant
par ce moyen son ennemy d'opportunité et loisir pour s'armer:
d'où le Roy encourut sa derniere ruine. Si est-ce, que les vieux du
Senat, memoratifs des mœurs de leurs Peres, accuserent cette prattique,3
comme ennemie de leur stile ancien: qui fut, disoient-ils,
combattre de vertu, non de finesse, ny par surprinses et rencontres
de nuict, ny par fuittes apostees, et recharges inopinees: n'entreprenans
guerre, qu'apres l'auoir denoncee, et souuent apres auoir
assigné l'heure et lieu de la bataille. De cette conscience ils renuoierent
à Pyrrhus son traistre Medecin, et aux Phalisques leur desloyal
maistre d'escole. C'estoient les formes vrayement Romaines,
non de la Grecque subtilité et astuce Punique, où le vaincre par
force est moins glorieux que par fraude. Le tromper peut seruir
pour le coup: mais celuy seul se tient pour surmonté, qui scait
l'auoir esté ny par ruse, ny de sort, mais par vaillance de troupe à
troupe, en vne franche et iuste guerre. Il appert bien par ce langage
de ces bonnes gents, qu'ils n'auoient encore receu cette belle1
sentence,

dolus an virtus quis in hoste requirat?
Les Achaïens, dit Polybe, detestoient toute voye de tromperie en
leurs guerres, n'estimants victoire, sinon où les courages des ennemis
sont abbatus. Eam vir sanctus et sapiens sciet veram esse victoriam,
quæ salua fide, et integra dignitate parabitur, dit vn autre:

Vos ne velit, an me regnare hera: quidue ferat fors
Virtute experiamur.
Au Royaume de Ternate, parmy ces nations que si à pleine bouche
nous appelons Barbares, la coustume porte, qu'ils n'entreprennent2
guerre sans l'auoir denoncee: y adioustans ample declaration des
moiens qu'ils ont à y emploier, quels, combien d'hommes, quelles
munitions, quelles armes, offensiues et defensiues. Mais aussi cela
faict, ils se donnent loy de se seruir à leur guerre, sans reproche,
de tout ce qui aide à vaincre.   Les anciens Florentins estoient si
esloignés de vouloir gaigner aduantage sur leurs ennemis par surprise,
qu'ils les aduertissoient vn mois auant que de mettre leur
exercite aux champs, par le continuel son de la cloche qu'ils nommoient,
Martinella.   Quant à nous moins superstitieux, qui tenons
celuy auoir l'honneur de la guerre, qui en a le profit, et qui apres3
Lysander, disons que, Où la peau du Lyon ne peut suffire, il y faut
coudre vn lopin de celle du Regnard, les plus ordinaires occasions
de surprise se tirent de cette praticque: et n'est heure, disons nous,
où vn chef doiue auoir plus l'œil au guet, que celle des parlemens
et traités d'accord. Et pour cette cause, c'est vne regle en la
bouche de tous les hommes de guerre de nostre temps, Qu'il ne faut
iamais que le Gouuerneur en vne place assiegee sorte luy mesmes
pour parlementer.   Du temps de nos peres cela fut reproché
aux Seigneurs de Montmord et de l'Assigni, deffendans Mouson
contre le Comte de Nansau. Mais aussi à ce conte, celuy la seroit
excusable, qui sortiroit en telle façon, que la seureté et l'audantage
demeurast de son costé: comme fit en la ville de Regge, le Comte1
Guy de Rangon (s'il en faut croire du Bellay, car Guicciardin dit
que ce fut luy mesmes) lors que le Seigneur de l'Escut s'en approcha
pour parlementer: car il abandonna de si peu son fort, qu'vn
trouble s'estant esmeu pendant ce parlement, non seulement Monsieur
de l'Escut et sa trouppe, qui estoit approchee auec luy, se
trouua le plus foible, de façon qu'Alexandre Triuulce y fut tué,
mais luy mesme fut contrainct, pour le plus seur, de suiure le
Comte, et se ietter sur sa foy à l'abri des coups dans la ville.   Eumenes
en la ville de Nora pressé par Antigonus qui l'assiegeoit, de
sortir pour luy parler, alleguant que c'estoit raison qu'il vinst2
deuers luy, attendu qu'il estoit le plus grand et le plus fort: apres
auoir faict cette noble responce: Ie n'estimeray iamais homme plus
grand que moy, tant que i'auray mon espee en ma puissance, n'y
consentit, qu'Antigonus ne luy eust donné Ptolemæus son propre nepueu
ostage, comme il demandoit.   Si est ce qu'encores en y a-il,
qui se sont tresbien trouuez de sortir sur la parole de l'assaillant:
tesmoing Henry de Vaux, Cheualier Champenois, lequel estant
assiegé dans le Chasteau de Commercy par les Anglois, et Barthelemy
de Bonnes, qui commandoit au siege, ayant par dehors faict
sapper la plus part du Chasteau, si qu'il ne restoit que le feu pour3
accabler les assiegez sous les ruines, somma ledit Henry de sortir à
parlementer pour son profict, comme il fit luy quatriesme; et son
euidente ruyne luy ayant esté montree à l'œil, il s'en sentit singulierement
obligé à l'ennemy: à la discretion duquel apres qu'il se
fut rendu et sa trouppe, le feu estant mis à la mine, les estansons
de bois venus à faillir, le Chasteau fut emporté de fons en comble.
Ie me fie aysement à la foy d'autruy: mais mal-aysement le
feroi-ie, lors que ie donrois à iuger l'auoir plustost faict par desespoir
et faute de cœur, que par franchise et fiance de sa loyauté.

CHAPITRE VI.    (TRADUCTION LIV. I, CH. VI.)
L'heure des parlemens dangereuse.

TOVTES-FOIS ie vis dernierement en mon voysinage de Mussidan, que
ceux qui en furent délogez à force par nostre armee, et autres
de leur party, crioyent comme de trahison, de ce que pendant les entremises
d'accord, et le traicté se continuant encores, on les auoit
surpris et mis en pieces. Chose qui eust eu à l'auanture apparence
en autre siecle; mais, comme ie viens de dire, nos façons sont entierement
esloignées de ces regles: et ne se doit attendre fiance des
vns aux autres, que le dernier seau d'obligation n'y soit passé: encores1
y a il lors assés affaire.   Et a tousiours esté conseil hazardeux,
de fier à la licence d'vne armee victorieuse l'obseruation
de la foy, qu'on a donnee à vne ville, qui vient de se rendre par
douce et fauorable composition, et d'en laisser sur la chaude, l'entree
libre aux soldats. L. Æmylius Regillus Preteur Romain, ayant
perdu son temps à essayer de prendre la ville de Phocees à force,
pour la singuliere proüesse des habitants à se bien defendre, feit
pache auec eux, de les receuoir pour amis du peuple Romain, et
d'y entrer comme en ville confederee: leur ostant toute crainte
d'action hostile. Mais y ayant quand et luy introduict son armee,2
pour s'y faire voir en plus de pompe, il ne fut en sa puissance,
quelque effort qu'il y employast, de tenir la bride à ses gents: et
veit deuant ses yeux fourrager bonne partie de la ville: les droicts
de l'auarice et de la vengeance suppeditant ceux de son autorité et
de la discipline militaire.   Cleomenes disoit, Que quelque mal
qu'on peust faire aux ennemis en guerre, cela estoit par-dessus
la Iustice, et non subiect à icelle, tant enuers les Dieux, qu'enuers
les hommes: et ayant faict treue auec les Argiens pour sept iours,
la troisiesme nuict apres il les alla charger tous endormis, et les
défict, alleguant qu'en sa treue il n'auoit pas esté parlé des nuicts:3
mais les Dieux vengerent ceste perfide subtilité.   Pendant le parlement,
et qu'ils musoient sur leurs seurtez, la ville de Casilinum
fust saisie par surprinse. Et cela pourtant au siecle et des plus
iustes Capitaines et de la plus parfaicte milice Romaine: car il
n'est pas dict, qu'en temps et lieu il ne soit permis de nous preualoir
de la sottise de noz ennemis, comme nous faisons de leur
lascheté. Et certes la guerre a naturellement beaucoup de priuileges
raisonnables au preiudice de la raison. Et icy faut la regle, neminem
id agere, vt ex alterius prædetur inscitia. Mais ie m'estonne de
l'estendue que Xenophon leur donne, et par les propos, et par
diuers exploicts de son parfaict Empereur: autheur de merueilleux1
poids en telles choses, comme grand Capitaine et Philosophe des
premiers disciples de Socrates; et ne consens pas à la mesure de
sa dispense en tout et par tout.   Monsieur d'Aubigny assiegeant
Cappoüe, et apres y auoir fait vne furieuse baterie, le Seigneur
Fabrice Colonne, Capitaine de la ville, ayant commencé à parlementer
de dessus vn bastion, et ses gens faisants plus molle garde,
les nostres s'en emparerent, et mirent tout en pieces. Et de plus
fresche memoire à Yuoy, le Seigneur Iulian Rommero, ayant fait
ce pas de clerc de sortir pour parlementer auec Monsieur le Connestable,
trouua au retour sa place saisie. Mais afin que nous ne2
nous en allions pas sans reuanche, le Marquis de Pesquaire assiegeant
Genes, où le Duc Octauian Fregose commandoit soubs
nostre protection, et l'accord entre eux ayant esté poussé si auant,
qu'on le tenoit pour fait, sur le point de la conclusion, les Espagnols
s'estans coullés dedans, en vserent comme en vne victoire
planiere: et depuis à Ligny en Barrois, où le Comte de Brienne
commandoit, l'Empereur l'ayant assiegé en personne, et Bertheuille
Lieutenant dudict Comte estant sorty pour parlementer, pendant le
parlement la ville se trouue saisie.

Fù il vincer sempre mai laudabil cosa,3
Vinca si ò per fortuna ò per ingegno,

disent-ils: mais le Philosophe Chrysippus n'eust pas esté de cet
aduis: et moy aussi peu. Car il disoit que ceux qui courent à
l'enuy, doiuent bien employer toutes leurs forces à la vistesse, mais
il ne leur est pourtant aucunement loisible de mettre la main sur
leur aduersaire pour l'arrester: ny de luy tendre la iambe, pour le
faire cheoir. Et plus genereusement encore ce grand Alexandre, à
Polypercon, qui luy suadoit de se seruir de l'auantage que l'obscurité
de la nuict luy donnoit pour assaillir Darius: Point, dit-il, ce
n'est pas à moy de chercher des victoires desrobees: malo me fortunæ
pœniteat, quàm victoriæ pudeat.

Atque idem fugientem haud est dignatus Orodem
Sternere, nec iacta cæcum dare cuspide vulnus:
Obuius, aduersóque occurrit, séque viro vir
Contulit, haud furto melior, sed fortibus armis.

CHAPITRE VII.    (TRADUCTION LIV. I, CH. VII.)
Que l'intention iuge nos actions.

LA mort, dit-on, nous acquitte de toutes nos obligations. I'en sçay
qui l'ont prins en diuerse façon. Henry septiesme Roy d'Angleterre
fit composition auec Dom Philippe fils de l'Empereur
Maximilian, ou pour le confronter plus honnorablement, pere de1
l'Empereur Charles cinquiesme, que ledict Philippe remettoit entre
ses mains le Duc de Suffolc de la Rose blanche, son ennemy, lequel
s'en estoit fuy et retiré au pays bas, moyennant qu'il promettoit de
n'attenter rien sur la vie dudict Duc: toutesfois venant à mourir, il
commanda par son testament à son fils, de le faire mourir, soudain
apres qu'il seroit decedé. Dernierement en cette tragedie que
le Duc d'Albe nous fit voir à Bruxelles és Contes de Horne et d'Aiguemond,
il y eut tout plein de choses remerquables: et entre
autres que ledict Comte d'Aiguemond, soubs la foy et asseurance
duquel le Comte de Horne s'estoit venu rendre au Duc d'Albe,2
requit auec grande instance, qu'on le fist mourir le premier: affin
que sa mort l'affranchist de l'obligation qu'il auoit audict Comte
de Horne. Il semble que la mort n'ayt point deschargé le premier de
sa foy donnee, et que le second en estoit quitte, mesmes sans mourir.
Nous ne pouuons estre tenus au delà de nos forces et de nos
moyens. A cette cause, par ce que les effects et executions ne sont
aucunement en nostre puissance, et qu'il n'y a rien en bon escient
en nostre puissance, que la volonté: en celle là se fondent par necessité
et s'establissent toutes les regles du deuoir de l'homme. Par
ainsi le Comte d'Aiguemond tenant son ame et volonté endebtee à3
sa promesse, bien que la puissance de l'effectuer ne fust pas en ses
mains, estoit sans doute absous de son deuoir, quand il eust
suruescu le Comte de Horne. Mais le Roy d'Angleterre faillant à sa
parolle par son intention, ne se peut excuser pour auoir retardé
iusques apres sa mort l'execution de sa desloyauté: non plus que le
masson de Herodote, lequel ayant loyallement conserué durant sa
vie le secret des thresors du Roy d'Egypte son maistre, mourant les
descouurit à ses enfans.   I'ay veu plusieurs de mon temps conuaincus
par leur conscience retenir de l'autruy, se disposer à y
satisfaire par leur testament, et apres leur decés. Ils ne font rien
qui vaille. Ny de prendre terme à chose si pressante, ny de vouloir
restablir vne iniure auec si peu de leur ressentiment et interest.
Ils doiuent du plus leur. Et d'autant qu'ils payent plus poisamment,
et incommodéement: d'autant en est leur satisfaction plus1
iuste et meritoire. La penitence demande à charger. Ceux la font
encore pis, qui reseruent la declaration de quelque haineuse volonté
enuers le proche à leur derniere volonté, l'ayants cachee
pendant la vie. Et monstrent auoir peu de soin du propre honneur,
irritans l'offencé à l'encontre de leur memoire: et moins
de leur conscience, n'ayants pour le respect de la mort mesme, sceu
faire mourir leur maltalent: et en estendant la vie outre la leur.
Iniques iuges, qui remettent à iuger alors qu'ils n'ont plus cognoissance
de cause. Ie me garderay, si ie puis, que ma mort die
chose, que ma vie n'ayt premierement dit et apertement.2

CHAPITRE VIII.    (TRADUCTION LIV. I, CH. VIII.)
De l'oysiueté.

COMME nous voyons des terres oysiues, si elles sont grasses et fertilles,
foisonner en cent mille sortes d'herbes sauuages et inutiles
et que pour les tenir en office, il les faut assubiectir et employer à
certaines semences, pour nostre seruice. Et comme nous voyons,
que les femmes produisent bien toutes seules, des amas et pieces
de chair informes, mais que pour faire vne generation bonne et
naturelle, il les faut embesongner d'vne autre semence: ainsin est-il
des esprits; si on ne les occupe à certain subiect, qui les bride
et contraigne, ils se iettent desreiglez, par-cy par-là, dans le vague
champ des imaginations.3

Sicut aquæ tremulum labris vbi lumen ahenis
Sole repercussum, aut radiantis imagine Lunæ,
Omnia peruolitat latè loca, iámque sub auras
Erigitur, summique ferit laquearia tecti.

Et n'est folie ny réuerie, qu'ils ne produisent en cette agitation,

velut ægri somnia, vanæ
Finguntur species.

L'ame qui n'a point de but estably, elle se perd: Car comme on
dit, c'est n'estre en aucun lieu, que d'estre par tout.

Quisquis vbique habitat, Maxime, nusquam habitat.1
Dernierement que ie me retiray chez moy, deliberé autant que ie
pourroy, ne me mesler d'autre chose, que de passer en repos, et à
part, ce peu qui me reste de vie, il me sembloit ne pouuoir faire
plus grande faueur à mon esprit, que de le laisser en pleine oysiueté,
s'entretenir soy-mesmes, et s'arrester et rasseoir en soy: ce
que i'esperois qu'il peust meshuy faire plus aysément, deuenu auec
le temps, plus poisant, et plus meur; mais ie trouue,

variam semper dant otia mentem,

qu'au rebours faisant le cheual eschappé, il se donne cent fois
plus de carriere à soy-mesmes, qu'il ne prenoit pour autruy: et2
m'enfante tant de chimeres et monstres fantasques les vns sur les
autres, sans ordre, et sans propos, que pour en contempler à mon
ayse l'ineptie et l'estrangeté, i'ay commencé de les mettre en rolle:
esperant auec le temps, luy en faire honte à luy mesmes.

CHAPITRE IX.    (TRADUCTION LIV. I, CH. IX.)
Des menteurs.

IL n'est homme à qui il siese si mal de se mesler de parler de memoire.
Car ie n'en recognoy quasi trace en moy: et ne pense qu'il
y en ayt au monde, vne autre si merueilleuse en defaillance. I'ay
toutes mes autres parties viles et communes, mais en cette-là ie
pense estre singulier et tres-rare, et digne de gaigner nom et reputation.
Outre l'inconuenient naturel que i'en souffre: car certes,3
veu sa necessité, Platon a raison de la nommer vne grande et puissante
deesse: si en mon pays on veut dire qu'vn homme n'a point de
sens, ils disent, qu'il n'a point de memoire: et quand ie me plains
du defaut de la mienne, ils me reprennent et mescroient, comme
si ie m'accusois d'estre insensé: ils ne voyent pas de chois entre
memoire et entendement. C'est bien empirer mon marché: mais ils
me font tort: car il se voit par experience plustost au rebours,
que les memoires excellentes se ioignent volontiers aux iugemens
debiles. Ils me font tort aussi en cecy, qui ne sçay rien si bien faire
qu'estre amy, que les mesmes paroles qui accusent ma maladie,
representent l'ingratitude. On se prend de mon affection à ma memoire,
et d'vn defaut naturel, on en fait vn defaut de conscience.
Il a oublié, dict-on, cette priere ou cette promesse: il ne se souuient
point de ses amys: il ne s'est point souuenu de dire, ou faire,
ou taire cela, pour l'amour de moy. Certes ie puis aysément oublier:
mais de mettre à nonchalloir la charge que mon amy m'a1
donnee, ie ne le fay pas. Qu'on se contente de ma misere, sans en
faire vne espece de malice: et de la malice autant ennemye de
mon humeur.   Ie me console aucunement. Premierement sur ce,
que c'est vn mal duquel principallement i'ay tiré la raison de corriger
vn mal pire, qui se fust facilement produit en moy: sçauoir
est l'ambition, car cette deffaillance est insuportable à qui s'empestre
des negotiations du monde. Que comme disent plusieurs
pareils exemples du progres de nature, elle a volontiers fortifié
d'autres facultés en moy, à mesure que cette-cy s'est affoiblie, et
irois facilement couchant et allanguissant mon esprit et mon iugement,2
sur les traces d'autruy, sans exercer leurs propres forces, si
les inuentions et opinions estrangieres m'estoient presentes par le
benefice de la memoire. Que mon parler en est plus court: car le
magasin de la memoire, est volontiers plus fourny de matiere, que
n'est celuy de l'inuention. Si elle m'eust tenu bon, i'eusse assourdi
tous mes amys de babil: les subiects esueillans cette telle quelle
faculté que i'ay de les manier et employer, eschauffant et attirant
mes discours. C'est pitié: ie l'essaye par la preuue d'aucuns de
mes priuez amys: à mesure que la memoire leur fournit la chose
entiere et presente, ils reculent si arriere leur narration, et la chargent3
de tant de vaines circonstances, que si le conte est bon, ils en
estouffent la bonté: s'il ne l'est pas, vous estes à maudire ou
l'heur de leur memoire, ou le malheur de leur iugement. Et c'est
chose difficile, de fermer vn propos, et de le coupper despuis qu'on
est arroutté. Et n'est rien, où la force d'vn cheual se cognoisse
plus, qu'à faire vn arrest rond et net. Entre les pertinents mesmes,
i'en voy qui veulent et ne se peuuent deffaire de leur course. Ce
pendant qu'ils cerchent le point de clorre le pas, ils s'en vont baliuernant
et trainant comme des hommes qui deffaillent de foiblesse.
Sur tout les vieillards sont dangereux, à qui la souuenance4
des choses passees demeure, et ont perdu la souuenance de leurs
redites. I'ay veu des recits bien plaisants, deuenir tres-ennuyeux,
en la bouche d'vn Seigneur, chascun de l'assistance en ayant esté
abbreuué cent fois.   Secondement qu'il me souuient moins des
offences receuës, ainsi que disoit cet ancien: il me faudroit vn protocolle,
comme Darius, pour n'oublier l'offense qu'il auoit receue
des Atheniens, faisoit qu'vn page à touts les coups qu'il se mettoit
à table, luy vinst rechanter par trois fois à l'oreille, Sire,
souuienne vous des Atheniens: et que les lieux et les liures que
ie reuoy, me rient tousiours d'vne fresche nouuelleté.   Ce n'est1
pas sans raison qu'on dit, que qui ne se sent point assez ferme de
memoire, ne se doit pas mesler d'estre menteur. Ie sçay bien que
les grammairiens font difference, entre dire mensonge, et mentir:
et disent que dire mensonge, c'est dire chose fausse, mais qu'on a
pris pour vraye, et que la definition du mot de mentir en Latin,
d'où nostre François est party, porte autant comme aller contre
sa conscience: et que par consequent cela ne touche que ceux
qui disent contre ce qu'ils sçauent, desquels ie parle. Or ceux
icy, ou ils inuentent marc et tout, ou ils déguisent et alterent vn
fons veritable. Lors qu'ils déguisent et changent, à les remettre2
souuent en ce mesme conte, il est mal-aisé qu'ils ne se desferrent:
par ce que la chose, comme elle est, s'estant logée la premiere
dans la memoire, et s'y estant empreincte, par la voye de la connoissance
et de la science, il est mal-aisé qu'elle ne se represente
à l'imagination, délogeant la fausceté, qui n'y peut auoir le pied
si ferme, ny si rassis: et que les circonstances du premier aprentissage,
se coulant à tous coups dans l'esprit, ne facent perdre le
souuenir des pieces raportées faulses ou abastardies. En ce qu'ils
inuentent tout à faict, d'autant qu'il n'y a nulle impression contraire,
qui choque leur fausceté, ils semblent auoir d'autant moins3
à craindre de se mesconter. Toutefois encore cecy, par ce que c'est
vn corps vain, et sans prise, eschappe volontiers à la memoire, si
elle n'est bien asseuree. Dequoy i'ay souuent veu l'experience, et
plaisamment, aux despens de ceux qui font profession de ne former
autrement leur parole, que selon qu'il sert aux affaires qu'ils
negotient, et qu'il plaist aux grands à qui ils parlent. Car ces circonstances
à quoy ils veulent asseruir leur foy et leur conscience,
estans subiettes à plusieurs changements, il faut que leur parole se
diuersifie quand et quand: d'où il aduient que de mesme chose,
ils disent, tantost gris, tantost iaune: à tel homme d'vne sorte, à4
tel d'vne autre: et si par fortune ces hommes rapportent en butin
leurs instructions si contraires, que deuient ce bel art? Outre ce
qu'imprudemment ils se desferrent eux-mesmes si souuent: car
quelle memoire leur pourroit suffire à se souuenir de tant de diuerses
formes, qu'ils ont forgées en vn mesme subiect? I'ay veu
plusieurs de mon temps, enuier la reputation de cette belle sorte
de prudence: qui ne voyent pas, que si la reputation y est, l'effect
n'y peut estre.   En verité le mentir est vn maudit vice. Nous ne
sommes hommes, et ne nous tenons les vns aux autres que par la
parole. Si nous en connoissions l'horreur et le poids, nous le poursuiurions
à feu, plus iustement que d'autres crimes. Ie trouue qu'on1
s'amuse ordinairement à chastier aux enfans des erreurs innocentes,
tres mal à propos, et qu'on les tourmente pour des actions temeraires,
qui n'ont ny impression ny suitte. La menterie seule, et vn peu au
dessous, l'opiniastreté, me semblent estre celles desquelles on
deuroit à toute instance combattre la naissance et le progrez, elles
croissent quand et eux: et depuis qu'on a donné ce faux train à la
langue, c'est merueille combien il est impossible de l'en retirer.
Par où il aduient, que nous voyons des honnestes hommes d'ailleurs,
y estre subiects et asseruis. I'ay vn bon garçon de tailleur, à
qui ie n'ouy iamais dire vne verité, non pas quand elle s'offre pour2
luy seruir vtilement. Si comme la verité, le mensonge n'auoit qu'vn
visage, nous serions en meilleurs termes: car nous prendrions
pour certain l'opposé de ce que diroit le menteur. Mais le reuers
de la verité a cent mille figures, et vn champ indefiny. Les Pythagoriens
font le bien certain et finy, le mal infiny et incertain. Mille
routtes desuoyent du blanc: vne y va. Certes ie ne m'asseure pas,
que ie peusse venir à bout de moy, à guarentir vn danger euident
et extresme, par vne effrontee et solenne mensonge. Vn ancien
pere dit, que nous sommes mieux en la compagnie d'vn chien
cognu, qu'en celle d'vn homme, duquel le langage nous est inconnu.3
Vt externus alieno non sit hominis vice. Et de combien est le
langage faux moins sociable que le silence?   Le Roy François premier,
se vantoit d'auoir mis au rouet par ce moyen, Francisque
Tauerna, Ambassadeur de François Sforce Duc de Milan, homme
tres-fameux en science de parlerie. Cettuy-cy auoit esté despesché
pour excuser son maistre enuers sa Maiesté, d'vn fait de grande
consequence; qui estoit tel. Le Roy pour maintenir tousiours quelques
intelligences en Italie, d'où il auoit esté dernierement chassé,
mesme au Duché de Milan, auoit aduisé d'y tenir pres du Duc vn
Gentilhomme de sa part, Ambassadeur par effect, mais par apparence
homme priué, qui fist la mine d'y estre pour ses affaires
particulieres: d'autant que le Duc, qui dependoit beaucoup plus1
de l'Empereur, lors principallement qu'il estoit en traicté de mariage
auec sa niepce, fille du Roy de Dannemarc, qui est à present
douairiere de Lorraine, ne pouuoit descouurir auoir aucune praticque
et conference auecques nous, sans son grand interest. A
cette commission, se trouua propre vn Gentil-homme Milannois,
escuyer d'escurie chez le Roy, nommé Merueille. Cettuy-cy despesché
auecques lettres secrettes de creance, et instructions d'Ambassadeur,
et auec d'autres lettres de recommendation enuers le Duc,
en faueur de ses affaires particulieres, pour le masque et la montre,
fut si long temps aupres du Duc, qu'il en vint quelque ressentiment2
à l'Empereur: qui donna cause à ce qui s'ensuiuit apres,
comme nous pensons: ce fut, que soubs couleur de quelque meurtre,
voila le Duc qui luy faict trancher la teste de belle nuict, et
son proces faict en deux iours. Messire Francisque estant venu
prest d'vne longue deduction contrefaicte de cette histoire; car le
Roy s'en estoit adressé, pour demander raison, à tous les Princes
de Chrestienté, et au Duc mesmes: fut ouy aux affaires du matin,
et ayant estably pour le fondement de sa cause, et dressé à cette
fin, plusieurs belles apparences du faict: Que son maistre n'auoit
iamais pris nostre homme, que pour Gentil-homme priué, et sien3
subiect, qui estoit venu faire ses affaires à Milan, et qui n'auoit
iamais vescu là soubs autre visage: desaduouant mesme auoir sçeu
qu'il fust en estat de la maison du Roy, ny connu de luy, tant s'en
faut qu'il le prist pour Ambassadeur. Le Roy à son tour le pressant
de diuerses obiections et demandes, et le chargeant de toutes pars,
l'acculla en fin sur le point de l'execution faicte de nuict, et
comme à la desrobée. A quoy le pauure homme embarrassé, respondit,
pour faire l'honneste, que pour le respect de sa Maiesté,
le Duc eust esté bien marry, que telle execution se fust faicte de
iour. Chacun peut penser, comme il fut releué, s'estant si lourdement4
couppé, à l'endroit d'vn tel nez que celuy du Roy François.
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