Histoire des rats, pour servir à l'histoire universelle
VIII. LETTRE.
Sur les Pieces que je viens de produire contre les Rats, le Peuple a-t-il tort, Monsieur, de les prendre au criminel, ne doit-il pas les détester comme la peste des maisons & des campagnes, & les regarder consequemment par un retour sur la Divinité comme un fleau du Ciel ? L’Ecriture même autorise cette opinion par un exemple qu’on ne doit pas mettre dans l’ordre des effets naturels : C’est la plaïe dont les Philistins furent frappés après qu’ils eurent pris l’Arche-d’Alliance sur les Juifs, [121]leur Païs se trouva tout-à-coup inondé de Rats, la terre sembloit les jetter hors de son sein par milliers pour ravager les campagnes, & bien-tôt tout auroit été consumé, si les Prêtres des Philistins n’eussent reconnu que le Dieu d’Israël redemandoit l’Arche par ce châtiment. Ils conseillerent donc de la renvoyer au plus vîte, ils firent même fondre cinq Rats d’or qu’ils mirent dedans comme une offrande expiatoire ; en effet l’Arche renduë, les Rats se dissiperent comme ils étoient venus.
[121] Aggravata est manus Domini super Azotios & demolitus est eos, & percussit eos in secretiori parte natium… & ebullierunt villæ & agri… & nati sunt mures. Cap. 5. v. 6. Lib. 1. Reg.
Nolite dimittere eam vacuum… juxta numerum provinciarum Philistinorum quinque anos aureos facietis, & quinque mures aureos, &c. Ibid. Cap. 6. v. 3. & 5.
Cependant Philastre Evêque de [122]Brescia, qui vivoit du tems de saint Augustin, n’approuve point le present des Rats d’or, il en conclut même que [123]les Philistins adoroient les Rats, & leur assigne une place honorable parmi les premiers Heretiques, autant que ce nom peut convenir à des Payens. Philastre étoit un bon Prêtre, à qui les Heresies coûtoient peu, il en trouvoit sur les jours de la semaine, sur la pluralité des mondes, sur la division de la terre ; enfin dans tout ce qui choquoit ses préjugés.
[122] Ville d’Italie, autrefois Brixia, connuë par ces vers fameux.
[123] Catalog. Hær. p. 7. Musoritæ sunt quidam nomine qui sorices colunt, quique, &c.
Mais ce n’est point aux champs seulement, aux fruits, aux moissons que ces Rats vengeurs sont funestes ; ils punissent quelquefois les coupables en leurs personnes mêmes, ils châtient le crime jusques sur le thrône & sur l’Autel ; & les illustres scelerats pour lesquels il n’est point de Justice, ne peuvent leur échaper, témoin les Histoires Tragiques d’un [124]Poppiel II. Roi de Pologne, & [125]d’Hatton II. Archevêque de Mayence : Ce Poppiel, surnommé Sardanapale [126]fut devoré par une armée de Rats qui vinrent l’attaquer dans son Palais : on dit même, que pour rendre l’exemple plus terrible, cette affreuse catastrophe se passa dans un grand festin en presence de toute la Cour, qui ne put défendre le Roi. Son crime étoit le massacre de ses Oncles, sur lesquels il avoit usurpé la Couronne, il leur avoit même refusé la sépulture, & cet excès de cruauté inutile, lui devint fatal ; car les Rats se formerent de la pourriture des cadavres des Princes : ils outrerent à leur tour la vengeance, en l’étendant sur la femme & les enfans de Poppiel, suivant l’ancien usage de punir tout ce qui appartenoit au coupable. Ainsi ils allerent au-delà des bornes de la Justice, & peut-être de leur mission.
[124] Misson, voyage d’Allemagne, Tom. 1. p. 68.
[125] Idem ibid. p. 66, & 67.
[126] L’an 823.
Le crime de l’Archevêque Hatton, surnommé Bonose, n’étoit pas moins criant. Dans un tems [127]de famine il avoit fait brûler inhumainement un grand nombre de pauvres dans une grange, sous pretexte que c’étoient des bouches inutiles qu’il falloit sacrifier au salut des autres. Les Rats le punirent de sa barbare politique, il tomba malade dans une maison qui lui appartenoit sur le bord du Rhin, entre Bacharach & Rudisheim, les Rats vinrent l’y assieger en si grand nombre, que pour s’en délivrer, il fut obligé de se faire transporter dans une petite Isle que forme le Rhin, vis-à-vis la maison qu’il abandonnoit ; mais ces animaux opiniâtres passerent le Fleuve à la nage & dévorerent sa grandeur dans une tour quarrée qu’on appelle encore la Tour des Rats, & qui sera un monument éternel, ou du moins de longue durée, de la cruauté d’Hatton, de la récompense de son crime, & de la puissance redoutable des Rats, Ministres des vengeances Celestes : Ils en ont bien exercé d’autres, & je passe sous silence l’Histoire d’un soldat qu’ils mangerent aussi, parce qu’elle n’a pas le même brillant que celle d’un Roi & d’un Archevêque. Au reste je vous prie, Monsieur, toutes les fois que je parle de prodiges pareils, de penser que je les raconte sans en être caution : Equidem plura transcribo quam credo.
[127] L’an 967.
Tous ces traits justifient encore les Juifs d’avoir [128]detesté les Rats comme des animaux immondes & indignes de servir aux Sacrifices, outre que la Tribu de Levy n’auroit sçû que faire d’un semblable casuel. Cette aversion judaïque semble subsister encore aujourd’hui, on voit tous les jours des Gens fort raisonnables, sur toute autre chose, qui ne peuvent souffrir les Rats ; il y a même des femmes si délicates sur leur compte qu’elles ne peuvent sans frissonner entendre prononcer leur nom : mais on peut bien passer cette foiblesse à la tendre imagination des Dames, quand on a vû des hommes de guerre, bons Officiers d’ailleurs, s’évanoüir à la vûë d’une souris ; j’ai toujours soupçonné qu’ils ne s’évanouïssoient pas sincerement, parce que dans une campagne ils en auroient trouvé trop souvent l’occasion : Et qu’auroient-ils fait à la tête d’une armée, les ennemis n’auroient eû qu’à mener contre eux un bataillon de Rats, ou seulement en charger leurs drapeaux, pour les battre aussi facilement que les soldats de [129]Cambyse prirent Peluse en attachant sur leurs boucliers des Chats que les assiegés adoroient : Je sçai qu’on peut naître avec ces sortes d’antipathies violentes, mais quand on travaille à les détruire, on réüssit au moins à les affoiblir.
[128] Abominationem & Murem, Isaïe cap. 66.
[129] Histoire des Empires & des Republiques, &c. Tom. 1.
Je me lasse enfin, Monsieur, de dire du mal des Rats, & je croi aussi que tous les Memoires que j’avois ramassés contre eux sont épuisés. Je vous les ai peints comme la plus méchante race de tous les animaux. Voyons à present s’ils ne sont dans le monde absolument d’aucune utilité. On croit encore leur faire grace en les traitant de multitude inutile & vorace, selon l’application qu’on leur a faite d’un Vers Latin, [130]cependant dans tous les tems ils ont servi aux hommes à une infinité d’usages. [131]Les livres de Medecine sont pleins de leurs propriétés ; leur tête, leur cœur, leurs cendres, jusqu’à leurs excremens tout y a des effets admirables, comme de resserrer la vessie aux enfans, de rendre les hommes puissans, les femmes steriles, & mille autres qualités.
[131] Aldov. lib. 2. p. 434, & 435.
[132]Les peuples de Calicut mangent communément des Rats sans craindre que cette nourriture leur fasse perdre la memoire, [133]comme des Rabins ont écrit qu’elle l’ôtoit. Ils prétendoient par-là expliquer phisiquement pourquoi les Chats n’ont pas la fidelité & l’attachement des Chiens. Ces idées Rabiniques sont assez plaisantes, & il seroit à souhaiter qu’elles fussent vraies : on payeroit quelquefois bien cher un verre d’eau du Lethé[134], s’il étoit possible d’en avoir, & l’on n’en auroit plus besoin, si les Rats avoient la vertu de cette liqueur miraculeuse.
[132] Aldov. lib. 2. p. 434, & 435.
[133] Buxtorf & Arnaud de Villeneuve.
[134] Lethé, Fleuve d’Oubli.
Malgré le peu de foi que j’ai aux Voyageurs, je crois cependant celui [135]qui rapporte que dans un voyage au Bresil, les provisions ayant manqué, on ne se nourrit quelque-tems que de Rats qu’on payoit trois à quatre écus chacun ; le prix ne fait rien à la chose qui a dû arriver plus d’une fois sur mer : & dans de pareilles circonstances on ne se plaint point sûrement de l’incommodité des Rats.
[135] Lierius Burgundus apud Aldov. p. 434.
De quelle ressource ne sont-ils pas aussi dans les Siéges ? A celui de Cassilin [136]par Annibal, un Rat fut vendu deux cens écus, ce n’étoit point trop pour celui qui l’acheta, car il lui sauva la vie, au lieu que celui qui le vendit mourut de faim avec son argent. Ils n’étoient point à bon marché à Paris, lorsqu’Henri IV. l’assiégeoit, [137]témoin celui qui fut mieux payé qu’un morceau délicat par une femme de qualité. Au Siege de Melun sous Charles VI. on s’en régala de même, & on ne les rebuta pas [138]à celui de Calais par Edoüard Roi d’Angleterre. Toute l’horreur qu’en avoient les Juifs ne tint pas contre les extrêmités de la faim, qui les contraignit d’en manger au fameux Siége de Jerusalem, & à celui de Samarie ; enfin ils seront toujours pour les assiegés d’une ressource d’autant plus grande quelle est immanquable.
[136] Cassilinum obsidente Annibale murem CC. nummis væniisse annales tradunt, eumque qui vendiderat fame interiisse, emptorem vixisse. Pline.
[137] Felix Cornejo hist. de la Ligue & du siége de Paris.
[138] Histoire du Comte d’Oxfort par Madame de Gomez.
Croiriez-vous, Monsieur, que ces mêmes animaux ont contribué autrefois à Rome aux divertissemens publiques ? [139]L’Empereur Heliogabale en fit rassembler dix mille, pour figurer dans ce même Cirque, si fameux par les combats des Gladiateurs & des Bêtes feroces de toute espece. Si le Peuple de Rome ressembloit à celui de Paris, je suis sûr que jamais le Cirque n’a été si rempli ; cependant ce Spectacle étoit moins singulier dans une Ville où l’on voyoit communément dans les ruës des Rats [140]attelés à de petits Chariots ; car c’étoit un amusement aussi ordinaire aux enfans, que de faire des Maisonettes, & d’aller à cheval sur un bâton. Je suis surpris que les petits Habitans des Colleges qui n’ont pas manqué de faire leurs Réflexions sur ces Chariots pueriles, ne les ayent pas renouvellé des Romains, au moins pour montrer qu’ils ont profité de la lecture d’Horace ; ils les façonneroient aisément au carosse, puisqu’ils les rendent très-familiers, sur-tout ceux des champs ausquels ils apprennent mille gentillesses malgré [141]l’indocilité que Pline leur a prêtée ; ces Rats, [142]Danseurs de Corde, qu’on a promenés il n’y a pas si long-tems par toute l’Europe, & qu’on a admirés par-tout, ne prouvent rien moins que de l’indocilité, & [143]celui qu’on avoit dressé à servir de chandelier en tenant entre ses pattes une chandelle allumée assis sur son derriere, faisoit tout ce qu’on pourroit exiger d’un Singe.
[139] Lampride, cité par Aldovrand liv. 2. p. 434.
Hor. lib. 2. Sermon. Sat. 3.
[141] Notandum est autem hirundines è volucribus, & mures ex animalibus esse indociles. Plin. cap. de muribus.
[142] Guerres de Flandre, d’Espagne & d’Italie, ou Mémoires du Marquis, &c.
[143] Albertus.
Il faut bien compter, Monsieur, sur votre indulgence, pour vous faire de pareils détails, aussi ne vous les donnai-je pas pour être d’une grande importance ; cependant tous ces traits rassemblés prouvent qu’on peut tirer des Rats quelqu’amusement, & tout ce qui amuse est utile. Si les Rats, comme nous l’apprend Horace, amusoient les Enfans de Rome, ils occupoient serieusement le College des Augures, & souvent embarrassoient fort les Prêtres, le Senat, & les Generaux. Ils étoient regardés comme Prophetiques, aussi bien que les Corbeaux, & les sacrés Poulets : l’on étudioit religieusement les Signes favorables ou sinistres qu’ils pouvoient donner ; mais communément on les interpretoit en mauvaise part.
Le cri aigu d’un Rat ou d’une Souris suffisoit pour rompre & annuller les auspices, lorsque les Augures tenoient leurs Comices. Il n’en falut pas davantage à [144]Fabius Maximus, pour abdiquer la dictature, & à Caïus Flaminius General de la Cavalerie pour se démettre de sa Charge, comme si ces animaux leur en eussent donné l’ordre exprès de la part de Jupiter Stator, Patron de la République. [145]Quelque tems avant la guerre des Marses, les Rats rongerent des Boucliers d’argent à Lanuvium, & l’on devina qu’ils vouloient par-là annoncer une guerre avec ces Etrangers, comme les insultes qu’ils firent à la chaussure du General [146]Carbon, furent prises pour les avant-coureurs de sa mort. [147]Le General Marcellus fut plus troublé avant sa derniere campagne de ce que les Rats avoient porté leurs dents sacriléges sur l’or du Temple de Jupiter, que de tous les autres Signes funestes qui l’avoient inquiété. Les Rats, comme vous voyez, Monsieur, étoient de grande consequence dans la Religion ; & les Romains excessivement dévots.
[144] Ælianus lib. 1. Varr. lib. 11. apud Aldov. p. 428.
[145] Ciceron liv. 2. de la Divination.
[146] Aldov. p. 428. titulo præsagia.
[147] Plutarque dans la vie de Marcellus.
Il est vrai qu’il y avoit à Rome des esprits forts, comme il y en a eû par tout, qui ne croyoient à la Religion, que par benefice d’inventaire, qui se moquoient des Dieux, & de la divination ; par consequent fort peu scrupuleux sur le compte des Rats : les Philosophes en general osoient même s’en moquer publiquement, au grand scandale sans doute des consciences délicates.
Ciceron, par exemple, en parle avec toute l’incredulité d’un Academicien : [148]« Nous sommes, dit-il, si legers & si imprudens, que si les Rats viennent à ronger quelque chose, quoique ce soit leur métier, nous en faisons un prodige : Avant la guerre des Marses, sur ce que les Rats avoient rongé des Boucliers à Lanuvium, les Aruspices prononcerent, que c’étoit un prodige horrible, comme s’il importoit beaucoup que les Rats qui rongent jour & nuit, rongent des Boucliers, ou des Cribles ; car si nous donnons là-dedans, il s’ensuit, que parce que les Rats ont rongé chez moi les Livres de la Republique de Platon, j’ai dû craindre pour la Republique, ou que s’ils venoient à ronger les Livres d’Epicure sur la Volupté, je devrois craindre la cherté des Vivres. »
[148] Ciceron liv. 2. de la Divination, cité de Monsieur Dacier.
Ciceron se moquoit sans doute des Rats avec beaucoup d’esprit ; mais il ne prévoyoit pas alors qu’un Octave, qu’un Antoine, qu’un Lepide renverseroient un jour cette liberté dont les Rats lui avoient peut-être pronostiqué la ruine, en rongeant les Livres de la Republique de Platon, & s’il avoit eû le bonheur d’être assez superstitieux pour ajoûter foi à ces avertissemens, il n’auroit point été dans la suite enveloppé dans les proscriptions des Triumvirs.
Le grave Caton s’égaïoit aussi sur les présages qu’on tiroit des Rats. [149]Consulté par des Gens qui le pressoient de leur expliquer ce que signifioient des Botines rongées par les Rats : Rien, leur répondit-il, qu’y a-t-il d’étonnant que des Rats mangent des Botines ? mais ce seroit un prodige inoüi si les Botines eussent mangé les Rats.
[149] Augustinus Niphus apud Aldov. Lib. 2. p. 428. & 429.
Au reste, les Philosophes n’ont jamais donné le ton nulle part, & malgré leurs plaisanteries on a toujours accordé aux Rats un pressentiment infaillible de l’avenir, il est même des cas où on peut le faire sans superstition. Par exemple, un peu avant [150]qu’Helice fût renversée par un tremblement de terre, les Rats en sortirent en foule, & les habitans qui ne sçavoient pas leurs raisons furent tous ensévelis sous les ruines de leur Ville ; on rapporte ce fait comme prodigieux, & il n’est que naturel, les Rats sans esprit de divination ne pouvoient-ils pas s’appercevoir les premiers du tremblement de terre & en craindre les suites. [151]Ils ont la sage coutume de déloger d’une maison dès qu’elle menace une ruine prochaine, & je m’en rapporterois mieux à eux qu’à tous les Experts du monde, parce que logés comme ils le sont, ils peuvent mieux juger si un mur travaille, s’il incline, enfin de l’état des poutres, & de tout l’édifice ; ainsi le danger pressant, ils vont chercher des habitations plus solides, l’instinct leur suffit pour cela : ils abandonnent aussi les maisons qu’on démolit, celles où ils ne trouvent plus à manger, & les lieux où il y a trop de chats, rien de plus simple ; c’est pourquoi la maison voisine s’en trouve quelquefois remplie depuis la cave jusqu’au grenier ; alors les bonnes femmes surprises de se voir tant de nouveaux hôtes sur les bras, au lieu de conjecturer les motifs naturels de leur migration, ne manquent pas de s’imaginer que c’est l’effet d’un sort qu’on leur a jetté, & de s’en prendre à tous ceux ou celles qui ont le malheur de leur déplaire.
[150] Ville de Grece ; ce fait est rapporté par Elien.
[151] Mures ruinis imminentibus præmigrant, Plin. de muribus.
Mais de tous les Aruspices qui ont annoncé des évenemens futurs sur l’autorité des Rats, aucun ne l’a fait aussi sûrement qu’un certain [152]Pierius Valerianus ; c’étoit un homme de Lettres qui faisoit ses délices d’Horace & de Pindare : malheureusement il trouva à Rome leurs ouvrages rongés par les Rats, & augura hardiment de ce prodige la décadence du bon goût à Rome ; il ne risquoit rien. Par tout où l’on verra les originaux des grands Maîtres, soit dans les belles Lettres, les Sciences, ou les Arts abandonnés à la merci des Rats, on pourra en bonne Myomancie faire la même prédiction que Valerianus.
[152] August. Niphus lib. de Auguriis.
Que vous dirai-je de plus, Monsieur, sur les usages qu’on a fait des Rats ? On leur donnoit des significations allegoriques dans les énigmes & les emblêmes, lorsque ces sortes de mystéres étoient à la mode : en voici deux exemples. [153]Les Scithes envoyerent par leurs Ambassadeurs un Rat entre-autres choses au premier Darius Roi de Perse qui leur avoit déclaré la guerre, & ce Rat signifioit, selon l’explication qu’en donna le Général Gabrias, que les Perses, à moins de se cacher sous terre comme les Rats, n’échaperoient pas aux fléches redoutables des Scithes. Voilà une terrible gasconade.
[153] Herodote liv. 4.
Le second exemple est d’une espece un peu differente : [154]en bâtissant la Ville d’Argilla en Thrace, on trouva des Rats qui se battoient, & ce prodige (car c’en étoit un assurément) fit augurer que les habitans d’Argilla seroient un jour une nation Belliqueuse & indomptable ; de même que la tête de cheval qu’on rencontra en creusant les fondemens du Capitole, annonça la gloire & la grandeur future des Romains. Quel rapport y a-t-il, me direz-vous, entre des Rats qui se battent, & la bravoure future d’un peuple qui n’existe pas encore ? C’est à vous, Monsieur, à faire vos observations sur ce que je rapporte simplement comme Narrateur : L’Histoire des Rats est si intimément liée avec celle de l’esprit humain, que nous pouvons par tout y trouver quelque chose pour nous, ou plutôt c’est moins l’Histoire des Rats que celle des hommes, de leurs mœurs, de leurs opinions, de leurs superstitions, &c. Cette reflexion feroit sans doute un effet admirable dans une Préface, parce qu’elle est toute morale, & peut-être ne vient-elle pas mal à propos à la conclusion de cet Ouvrage. Si mes Lettres, Monsieur, ne vous ont pas ennuyé, je me croirai fort heureux ; si elles vous ont amusé, j’aurai réussi au-delà de ce que je devois attendre, & je ne me repentirai jamais d’avoir exercé ma plume sur un sujet aussi bizarre que l’Histoire des Rats.
[154] Plin. de Muribus.
J’ai l’honneur d’être, &c.
FIN.