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Histoire du Bas-Empire. Tome 01

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LIII. Efforts d'Eusèbe pour faire recevoir Arius par Alexandre.
Socr. l. 1, c. 37.
Theod. l. 1, c. 14.
Soz. l. 2, c. 29.
Vit. Athan. apud. Phot. cod. 257.

Mais le grand ouvrage d'Eusèbe, ce qu'il avait le plus à cœur, c'était de forcer les catholiques à recevoir Arius. Après le concile de Jérusalem, cet hérésiarque était retourné à Alexandrie. Il se flattait que l'exil d'Athanase ferait tomber devant lui toutes les barrières: il trouva les esprits plus aigris que jamais. On le rebuta avec horreur. Déja les troubles se rallumaient, quand l'empereur le rappela à Constantinople. Sa présence augmenta l'insolence de ses partisans, et la fermeté des catholiques. Eusèbe pressait l'évêque Alexandre de l'admettre à sa communion, et sur son refus il le menaçait de déposition. L'évêque, mille fois plus attaché à la pureté de la foi qu'à sa dignité, n'était point ébranlé de ces menaces. L'empereur fatigué d'une contestation si opiniâtre, voulut la terminer: il fait venir devant lui Arius, et lui demande s'il adhère aux décrets de Nicée. Arius répond sans balancer qu'il y souscrit de cœur et d'esprit, et présente une profession de foi où l'erreur était adroitement couverte sous des termes de l'Écriture. L'empereur, pour plus grande assurance, l'oblige de jurer que ce sont là sans détour ses véritables sentiments. Il n'en fait aucune difficulté. Quelques auteurs prétendent que, tenant le symbole de Nicée entre ses mains, et la formule de sa croyance hérétique cachée sous son bras, il rapportait à celle-ci le serment qu'il paraissait prononcer sur l'autre. Mais Arius était apparemment trop habile pour user en pure perte d'une pareille ruse, et trop éclairé pour ignorer qu'une restriction mentale ne rabat rien d'un parjure. Constantin satisfait de sa soumission: Allez, lui dit-il, si votre foi s'accorde avec votre serment, vous êtes irrépréhensible: si elle n'y est pas conforme, que Dieu soit votre juge. En même temps il mande à Alexandre de ne pas différer d'admettre Arius à la communion. Eusèbe, porteur de cet ordre, conduit Arius devant Alexandre, et signifie à l'évêque la volonté du prince. L'évêque persiste dans son refus. Alors Eusèbe haussant la voix: Nous avons malgré vous, lui dit-il, fait rappeler Arius; nous saurons bien aussi malgré vous le faire entrer demain dans votre église. Ceci se passait le samedi; et le lendemain tous les fidèles étant réunis pour la célébration des saints mystères, le scandale en devait être plus horrible. Alexandre voyant les puissances de la terre déclarées contre lui, a recours au ciel: il y avait sept jours que, par le conseil de Jacques de Nisibe qui était alors à Constantinople, tous les catholiques étaient dans le jeûne et dans les prières; et Alexandre avait passé plusieurs jours et plusieurs nuits enfermé seul dans l'église de la Paix, prosterné et priant sans cesse. Frappé de ces dernières paroles d'Eusèbe, le saint vieillard accompagné de deux prêtres, dont l'un était Macarius d'Alexandrie, va se jeter au pied de l'autel; là, courbé vers la terre qu'il baignait de ses larmes, «Seigneur, dit-il d'une voix entrecoupée de sanglots, s'il faut qu'Arius soit demain reçu dans notre sainte assemblée, retirez du monde votre serviteur; ne perdez pas avec l'impie celui qui vous est fidèle. Mais si vous avez encore pitié de votre église, et je sais que vous en avez pitié, écoutez les paroles d'Eusèbe, et n'abandonnez pas votre héritage à la ruine et à l'opprobre. Faites disparaître Arius, de peur que s'il entre dans votre église, il ne semble que l'hérésie y soit entrée avec lui, et que le mensonge ne s'asseye dans la chaire de vérité».

LIV. Mort d'Arius.
Socr. l. 1, c. 38.
Theod. l. 1, c. 14.
Soz. l. 2, c. 29.

Tandis que cette prière d'Alexandre s'élevait au ciel avec ses soupirs, les partisans d'Arius promenaient celui-ci comme en triomphe dans la ville, pour le montrer au peuple. Lorsqu'il passait avec un nombreux cortége par la grande place auprès de la colonne de porphyre, il se sentit pressé d'un besoin naturel qui l'obligea de gagner un lieu public, tel qu'il y en avait alors dans toutes les grandes villes. Le domestique qu'il avait laissé au-dehors, voyant qu'il tardait beaucoup, craignit quelque accident; il entra et le trouva mort, renversé par terre, nageant dans son sang, et ses entrailles hors de son corps. L'horreur d'un tel spectacle fit d'abord trembler ses sectateurs; mais toujours endurcis, ils attribuèrent aux sortiléges d'Alexandre un châtiment si bien caractérisé par toutes les circonstances. Ce lieu cessa d'être fréquenté; on n'osait en approcher dans la suite, et on le montrait au doigt comme un monument de la vengeance divine. Long-temps après, un Arien riche et puissant acheta ce terrain, et y fit bâtir une maison afin d'effacer la mémoire de la mort funeste d'Arius.

LV. Constantin refuse de rappeler Athanase.
Ath. ad Monach. hist. Arian. t. I, p. 345 et 346.

Le bruit s'en répandit bientôt dans tout l'empire. Les Ariens en rougissaient de honte. Le lendemain, jour de dimanche, Alexandre à la tête de son peuple rendit à Dieu des actions de graces solennelles, non pas de ce qu'il avait fait périr Arius, dont il plaignait le malheureux sort, mais de ce qu'il avait daigné étendre son bras et repousser l'hérésie, qui marchait avec audace pour forcer l'entrée du sanctuaire. Constantin fut convaincu du parjure d'Arius; et cet événement le confirma dans son aversion pour l'arianisme, et dans son respect pour le concile de Nicée. Mais les Ariens, après la mort de leur chef, trouvant dans Eusèbe de Nicomédie autant de malice et encore plus de crédit, continuèrent de tendre des piéges à la bonne foi de l'empereur; et il ne cessa pas d'être la dupe de leur déguisement. Les habitants d'Alexandrie sollicitaient vivement le retour de leur évêque: on faisait dans la ville des prières publiques, pour obtenir de Dieu cette faveur; saint Antoine écrivit plusieurs fois à Constantin, pour lui ouvrir les yeux sur l'innocence d'Athanase et sur la fourberie des Mélétiens et des Ariens. Le prince fut inexorable. Il répondit aux Alexandrins par des reproches de leur opiniâtreté et de leur humeur turbulente; il imposa silence au clergé et aux vierges sacrées, et protesta qu'il ne rappellerait jamais Athanase; que c'était un séditieux, condamné par un jugement ecclésiastique. Il manda à saint Antoine qu'il ne pouvait se résoudre à mépriser le jugement d'un concile; qu'à la vérité la passion emportait quelquefois un petit nombre de juges, mais qu'on ne lui persuaderait pas qu'elle eût entraîné le suffrage d'un si grand nombre de prélats illustres et vertueux; qu'Athanase était un homme emporté, superbe, querelleur, intraitable: c'était en effet l'idée que les ennemis d'Athanase donnaient de lui à l'empereur, parce qu'ils connaissaient l'aversion de ce prince pour les hommes de ce caractère. Il ne pardonna pas même cet esprit de cabale à Jean le Mélétien, qui venait d'être si bien traité par le concile de Tyr. Ayant appris qu'il était le chef du parti opposé à Athanase, il l'arracha, pour ainsi dire, d'entre les bras des Mélétiens et des Ariens, et l'envoya en exil, sans vouloir écouter aucune sollicitation en sa faveur; toutefois, dans les derniers moments de sa vie, il revint de son injuste préjugé. Mais avant que de raconter la mort de ce prince, il est à propos de donner une idée des lois qu'il avait faites depuis le concile de Nicée.

LVI. Lois contre les hérétiques.
Cod. Th. lib. 16, t. 5.
Eus. vit. Const. l. 3, c. 63 et seq.
Soz. l. 2, c. 31 et 32.
Amm. l. 15, c. 13, et ibi Vales.

Dès le commencement du schisme des Donatistes, Constantin les avait exclus des graces qu'il répandait sur l'église d'Afrique. Il tint la même conduite à l'égard de tous ceux que le schisme ou l'hérésie séparait de la communion catholique: il déclara par une loi, que non-seulement ils n'auraient aucune part aux priviléges accordés à l'église, mais que leurs clercs seraient assujettis à toutes les charges municipales. Cependant il montra dans le même temps quelques égards pour les Novatiens. Comme on les inquiétait sur la propriété de leurs temples et de leurs cimetières, il ordonna qu'on leur laissât la libre possession de ces lieux, supposé qu'ils eussent été légitimement acquis, et non pas usurpés sur les catholiques. Vers la fin de sa vie il devint plus sévère: il publia contre les hérétiques un édit, dans lequel, à la suite d'une véhémente invective, il leur déclare, qu'après les avoir tolérés, comme il voit que sa patience ne sert qu'à donner à la contagion la liberté de s'étendre, il est résolu de couper le mal dans sa racine; en conséquence, il leur défend de s'assembler, soit dans les lieux publics, soit dans les maisons des particuliers; il leur ôte leurs temples et leurs oratoires, et les donne à l'église catholique. On fit la recherche de leurs livres; et comme on en trouva plusieurs qui traitaient de magie et de maléfices, on en arrêta les possesseurs, pour les punir selon les ordonnances. Cet édit fit revenir un grand nombre d'hérétiques: les uns de bonne foi, les autres par hypocrisie. Ceux qui demeurèrent obstinés, étant privés de la liberté de s'assembler, et de séduire par leurs instructions, laissèrent peu de successeurs; et ces plantes malheureuses se séchèrent insensiblement, et se perdirent enfin tout-à-fait, faute de culture et de semence. Les Novatiens, quoiqu'ils fussent nommés dans l'édit, furent encore traités avec indulgence: ils étaient moins éloignés que les autres des sentiments catholiques, et l'empereur aimait Acésius leur évêque. On laissa aussi subsister tranquillement ceux des Cataphrygiens, qui se renfermaient dans la Phrygie et dans les contrées voisines: c'était une espèce de Montanistes. L'édit ne parle point des Ariens: ils ne formaient pas encore de secte séparée; et, depuis leur rétractation simulée, l'empereur, loin de les regarder comme exclus de l'église, s'efforçait de les faire rentrer dans son sein. Il s'était fait instruire de la doctrine et des pratiques des diverses sectes par Stratégius, dont il changea le nom en celui de Musonianus. C'était un homme né à Antioche, qui fit fortune auprès de Constantin par son savoir et par son éloquence dans les deux langues. Il était attaché à l'arianisme, et parvint sous Constance à des honneurs qui mirent dans un grand jour ses bonnes et ses mauvaises qualités.

LVII. Loi sur la juridiction épiscopale.
Eus. vit. Const. l. 4, c. 27.
Soz. l. 1, c. 9.
Cod. Th. extra. leg. 1, et ibi God.
Till. not. 71, sur Constantin.

Eusèbe dit que Constantin se fit un devoir de confirmer par son autorité les sentences prononcées dans les conciles, et qu'il les faisait exécuter par les gouverneurs des provinces. Sozomène ajoute que, par un effet de son respect pour la religion, il permit à ceux qui avaient des procès de récuser les juges civils, et de porter leurs causes au jugement des évêques; qu'il voulut que les sentences des évêques fussent sans appel comme celles de l'empereur, et que les magistrats leur prêtassent le secours du bras séculier. Nous avons à la suite du Code Théodosien un titre sur la juridiction épiscopale, dont la première loi, attribuée à Constantin et adressée à Ablabius, préfet du prétoire, donne aux évêques une puissance suprême dans les jugements: elle ordonne que tout ce qui aura été décidé en quelque matière que ce soit par le jugement des évêques, soit regardé comme sacré, et sortisse irrévocablement son effet, même par rapport aux mineurs; que les préfets du prétoire et les autres magistrats tiennent la main à l'exécution; que si le demandeur ou le défendeur, soit au commencement de la procédure, soit après les délais expirés, soit à la dernière audience, soit même quand le juge a commencé à prononcer, en appelle à l'évêque, la cause y soit aussitôt portée, malgré l'opposition de la partie adverse; qu'on ne puisse appeler d'un jugement épiscopal; que le témoignage d'un seul évêque soit reçu sans difficulté dans tous les tribunaux, et qu'il fasse taire toute contradiction. L'authenticité de cette loi fait une grande question entre les critiques. Il ne m'appartient pas d'entrer dans cette contestation. Le lecteur jugera peut-être que ceux qui soutiennent la vérité de la loi font plus d'honneur aux évêques, et que ceux qui l'attaquent comme fausse et supposée en font plus à Constantin. Cujas justifie ici la sagesse de ce principe par le mérite éminent des évêques de ce temps-là, et par leur zèle pour la justice. Constantin vit à la vérité dans l'église ce qu'on y a vu dans tous les siècles, d'éclatantes lumières et de sublimes vertus: mais je doute que saint Eustathius, saint Athanase et Marcel d'Ancyre eussent été de l'avis de Cujas; du moins auraient-ils excepté des conciliabules fort nombreux.

LVIII. Lois sur les mariages.
Cod. Th. lib. 9, t. 7.
Lib. 3, t. 16.
Cod. Just. lib. 5, t. 27.
Lib. 4, t. 39.

La religion et les mœurs se soutiennent mutuellement; aussi Constantin fut-il attentif à conserver la pureté des mœurs, surtout par rapport aux mariages. Dans ses ordonnances, il met toujours les adultères à côté des homicides et des empoisonneurs. Selon la jurisprudence romaine, qui avait suivi en ce point celle des Athéniens, les femmes qui tenaient cabaret, étaient mises au rang des femmes publiques; elles n'étaient point sujettes aux peines de l'adultère. Constantin leur ôta cette impunité infamante; mais par un reste d'abus, il laissa ce honteux privilége à leurs servantes; et il en apporte une raison qui n'est guère conforme à l'esprit du christianisme: C'est, dit-il, que la sévérité des jugements n'est pas faite pour des personnes que leur bassesse rend indignes de l'attention des lois. L'adultère était un crime public, c'est-à-dire, que toute personne était reçue à en intenter accusation: pour empêcher que la paix des mariages ne fût mal à propos troublée, Constantin ôta l'action d'adultère aux étrangers; il la réserva aux maris, aux frères, aux cousins-germains; et pour leur sauver le risque que couraient les accusateurs, il leur permit de se désister de l'accusation intentée, sans encourir la peine des calomniateurs. Il laissa aux maris la liberté que ses prédécesseurs leur avait accordée, d'accuser leurs femmes sur un simple soupçon, sans s'exposer à la peine de la calomnie, pourvu que ce fût dans le terme de soixante jours depuis le crime commis ou soupçonné. Les divorces étaient fréquents dans l'ancienne république; Auguste en avait diminué la licence; mais la discipline s'était bientôt relâchée sur ce point, et les causes les plus légères suffisaient pour rompre le lien conjugal. Constantin le resserra: il retrancha aux femmes la faculté de faire divorce, à moins qu'elles ne pussent convaincre leurs maris d'homicide, d'empoisonnement, ou d'avoir détruit des sépultures, espèce de sacrilége qui se mettait depuis quelque temps à la mode. Dans ces cas, la femme pouvait reprendre sa dot; mais si elle se séparait pour toute autre cause, elle était obligée de laisser à son mari jusqu'à une aiguille, dit la loi, et condamnée à un bannissement perpétuel. Le mari, de son côté, ne pouvait répudier sa femme et se remarier à une autre qu'en cas d'adultère, de poison, ou d'infâme commerce; autrement, il était forcé de lui rendre sa dot entière, sans pouvoir contracter un autre mariage: s'il se remariait, la première femme était en droit de s'emparer et de tous les biens du mari, et de la dot même de la seconde épouse. On voit que cette loi, toute rigoureuse qu'elle dût sembler alors, n'était pourtant pas encore conforme à celle de l'Évangile sur l'indissolubilité du mariage. Par une autre loi, Constantin voulut arrêter les mariages contraires à la bienséance publique. Il déclara que les pères, revêtus de quelque dignité ou de quelque charge honorable, ne pourraient légitimer les enfants venus d'un mariage contracté avec une femme abjecte et indigne de leur alliance: il met en ce rang les servantes, les affranchies, les comédiennes, les cabaretières, les revendeuses, et les filles de ces sortes de femmes, aussi-bien que les filles de ceux qui faisaient trafic de débauche ou qui combattaient dans l'amphithéâtre. Il ordonna que tous les dons, tous les achats faits en faveur de ces enfants, soit au nom du père, soit sous des noms empruntés, leur seraient retirés, pour être rendus aux héritiers légitimes; qu'il en serait de même des donations et des achats en faveur de ces épouses; qu'en cas qu'on pût soupçonner quelque distraction d'effets ou quelque fidéicommis, on mettrait à la question ces malheureuses enchanteresses; qu'au défaut des parents, s'ils étaient deux mois sans se présenter, le fisc s'emparerait des biens; et qu'après une recherche sévère, ceux qui seraient convaincus d'avoir détourné quelque partie de l'héritage, seraient condamnés à restituer le quadruple. En un mot, il prit toutes les précautions que la prudence lui suggéra pour arrêter le cours de ces libéralités, que la loi appelle des largesses impudiques. Il défendit sous peine de la vie de faire des eunuques dans toute l'étendue de l'empire; et ordonna que l'esclave qui aurait éprouvé cette violence serait adjugé au fisc, aussi-bien que la maison où elle aurait été commise, supposé que le maître de cette maison en eût été instruit.

LIX. Autres lois sur l'administration civile.
Cod. Th. lib. 2, t. 16.Lib. 14, tit. 4, 24. Lib. 8, t. 9. Lib. 1, t. 7. ib. 6, t. 37. Lib. 2, t. 25. Lib. 4, t. 4. Lib. 22, t. 6. Lib. 15, t. 2. Lib. 13, t. 4.
Cod. Just. lib. 11, t. 61. Lib. 2, t. 20. Lib. 1, t. 31. Lib. 3, tit. 27. Lib. 11, t. 62. Lib. 1, tit. 40. Lib. 11, t. 65. Lib. 3, tit. 19. Lib. 3, tit. 13. Lib. 7, tit. 16.

Attentif à toutes les parties de l'administration civile, il ne perdit jamais de vue les intérêts des mineurs, exposés aux fraudes d'un tuteur infidèle, ou d'une mère capable de les sacrifier à une nouvelle passion. Il voulut que la négligence des tuteurs à payer les droits du fisc, ne fût préjudiciable qu'à eux-mêmes. En quittant Rome, il prit soin de veiller aux approvisionnements de cette grande ville; il ne diminua rien des distributions qu'y avaient établies ses prédécesseurs. Les concussions palliées sous le prétexte d'achat de la part des officiers des provinces furent punies par la perte et de la chose achetée, et de l'argent donné pour cet achat. Il réprima l'avidité de certains officiers qui entreprenaient sur les fonctions des autres: il régla l'ordre de leur promotion, et voulut connaître, par lui-même, ceux dont la capacité et la probité méritaient les premières places. Il arrêta les concussions des receveurs du fisc, et les usurpations des fermiers du domaine. Mais une preuve, plus forte que tous les témoignages des historiens, et de la corruption des officiers de ce prince, et de l'horreur qu'il avait de leurs rapines, c'est l'édit qu'il adressa de Constantinople à toutes les provinces de l'empire: il mérite d'être rapporté en entier; l'indignation dont il porte le caractère, fait honneur à ce bon prince; mais ce ton de colère est peut-être en même temps une marque de la violence qu'il se faisait pour menacer, et de la répugnance qu'il sentait à exécuter ses menaces. Que nos officiers, dit-il, cessent donc enfin, qu'ils cessent d'épuiser nos sujets; si cet avis ne suffit pas, le glaive fera le reste. Qu'on ne profane plus par un infâme commerce le sanctuaire de la justice; qu'on ne fasse plus acheter les audiences, les approches, la vue même du président. Que les oreilles du juge soient également ouvertes pour les plus pauvres et pour les riches. Que l'audiencier ne fasse plus un trafic de ses fonctions, et que ses subalternes cessent de mettre à contribution les plaideurs. Qu'on réprime l'audace des ministres inférieurs, qui tirent indifféremment des grands et des petits; et qu'on arrête l'avidité insatiable des commis qui délivrent les sentences: c'est le devoir du supérieur de veiller à empêcher tous ces officiers de rien exiger des plaideurs. S'ils persistent à se créer eux-mêmes des droits imaginaires, je leur ferai trancher la tête: nous permettons à tous ceux qui auront éprouvé ces vexations d'en instruire le magistrat; s'il tarde d'y mettre ordre, nous vous invitons à porter vos plaintes aux comtes des provinces, ou au préfet du prétoire, s'il est plus proche; afin que sur le rapport qu'ils nous feront de ces brigandages, nous imposions aux coupables la punition qu'ils méritent. Par un autre édit, ou peut-être par une autre partie du même édit, ce prince, sans doute pour intimider les juges corrompus et s'épargner la peine de les punir, permet aux habitants des provinces d'honorer par leurs acclamations les magistrats intègres et vigilants, quand ils paraissent en public, et de se plaindre à haute voix de ceux qui sont malfaisants et injustes: il promet de se faire rendre compte de ces divers suffrages publics par les gouverneurs et les préfets du prétoire, et d'en examiner les motifs. Les priviléges attachés aux titres honorables furent supprimés à l'égard de ceux qui avaient acquis ces titres par intrigue ou par argent, sans avoir les qualités requises. Il assura aux particuliers la possession des biens qu'ils achetaient du fisc, et déclara qu'ils en jouiraient paisiblement, eux et leur postérité, sans crainte qu'on les retirât jamais de leurs mains. Un trait qui prouve que les plus petits objets n'échappaient pas à Constantin quand l'humanité y était intéressée, c'est qu'il ordonna par une loi, que dans les différentes répartitions qui se faisaient des terres du prince lors des nouvelles adjudications, on eût soin de mettre ensemble sous un même fermier les esclaves du domaine qui composaient une même famille: C'est, dit-il, une cruauté de séparer les enfants de leurs pères, les frères de leurs sœurs, et les maris de leurs femmes. Il fit aussi plusieurs réglements sur les testaments; sur l'état des enfants quand la liberté de leur mère était contestée; sur l'ordre judiciaire, pour empêcher les injustices et les chicanes, pour éclaircir et abréger les procédures. Les propriétaires des fonds par lesquels passaient les aquéducs, furent chargés de les nettoyer; ils étaient en récompense exempts des taxes extraordinaires; mais la terre devait être confisquée, si l'aquéduc périssait par leur négligence. La quantité d'édifices que Constantin élevait à Constantinople, et d'églises qu'on bâtissait par son ordre dans toutes les provinces, demandait un grand nombre d'architectes: il se plaint de n'en pas trouver assez, et ordonne à Félix, préfet du prétoire d'Italie, d'encourager l'étude de cet art, en y engageant le plus qu'il sera possible de jeunes Africains de dix-huit ans, qui aient quelque teinture des belles-lettres. Afin de les y attirer plus aisément, il leur donne exemption de charges personnelles pour eux, pour leurs pères et pour leurs mères; et il veut qu'on assure aux professeurs un honoraire convenable. Il est remarquable qu'il choisit par préférence des Africains, comme les jugeant plus propres à réussir dans les arts. Par une autre loi adressée au préfet du prétoire des Gaules, il accorde la même exemption aux ouvriers de toute espèce, qui sont employés à la construction ou à la décoration des édifices; afin qu'ils puissent sans distraction se perfectionner dans leurs arts et y instruire leurs enfants.

An 337.
LX. Les Perses rompent la paix.
Eus. vit. Const. l. 4, c. 53, 56, 57.
Eutrop. l. 10.
Aurel. Vict. de Cæs. p. 177.
Chron. Alex, vel Paschal. p. 286.

L'empereur commençait la soixante et quatrième année de sa vie, et malgré ses travaux continuels, malgré les chagrins mortels qu'il avait essuyés, et la délicatesse de son tempérament, il devait à sa frugalité et à l'éloignement de toute espèce de débauche, une santé qui ne s'était jamais démentie. Il avait conservé toutes les graces de son extérieur; et les approches de la vieillesse ne lui avaient rien dérobé de ses forces. Il montrait encore la même vigueur, et dans tous les exercices militaires, on le voyait avec la même facilité monter à cheval, marcher à pied, lancer le javelot. Il crut avoir besoin d'en faire une nouvelle épreuve contre les Perses. Sapor, âgé de vingt-sept ans, étincelant de courage et de jeunesse, pensa qu'il était temps de mettre en œuvre les grands préparatifs que la Perse faisait depuis quarante ans. Il envoya redemander à Constantin les cinq provinces[83] que Narsès, vaincu, avait été contraint d'abandonner aux Romains à l'occident du Tigre[84]. L'empereur lui fit dire qu'il allait en personne lui porter sa réponse; en même temps il se prépara à marcher, disant hautement qu'il ne manquait à sa gloire que de triompher des Perses. Il fit donc assembler ses troupes, et il prit des mesures pour ne pas interrompre ses pratiques de religion, au milieu du tumulte de la guerre. Les évêques qui se trouvaient à sa cour, s'offrirent tous avec zèle à l'accompagner, et à combattre pour lui par leurs prières. Il accepta ce secours, sur lequel il comptait plus encore que sur ses armes, et les instruisit de la route qu'il devait suivre. Il fit préparer un oratoire magnifique, où il devait avec les évêques présenter ses vœux à l'arbitre des victoires; et se mettant à la tête de son armée, il arriva à Nicomédie. Sapor avait déja passé le Tigre et ravageait la Mésopotamie, lorsque, ayant appris la marche de Constantin, soit qu'il fût étonné de sa promptitude, soit qu'il voulût l'amuser par un traité, il lui envoya des ambassadeurs pour demander la paix avec une soumission apparente. Il est incertain si elle fut accordée; mais les Perses se retirèrent des terres de l'empire, pour n'y rentrer que l'année suivante sous le règne de Constance[85].

[83] Ces cinq provinces sont nommées dans les extraits des ambassades du patrice Pierre (p. 30), l'Intélène, la Sophène, l'Arzacène, la Corduène et la Zabdicène. C'étaient cinq petits cantons, situés sur les bords du Tigre au nord de Ninive, dans les environs d'Amid, entre l'Arménie et l'Osrhoëne. On varie un peu sur leurs noms, qui ne nous ont pas été transmis avec toute l'exactitude désirable par le patrice Pierre. Je crois qu'au lieu de l'Intélène, il faut lire l'Ingélème, nom d'une petite province d'Arménie, vers les sources du Tigre, mentionnée dans saint Épiphane (heres. 60) et dans les auteurs arméniens et syriens. Pour le nom inconnu de l'Arzacène, je n'hésite pas à le remplacer par celui de l'Arzanène, province bien connue, dont il sera souvent question dans la suite. Ammien (l. 25, c. 7) remplace la Sophène et l'Intélène, par la Moxoène et la Réhimène. Il ne paraît pas malgré cette cession que ces provinces aient fait partie intégrante de l'empire romain; des garnisons romaines y remplacèrent des troupes persanes, mais la souveraineté y appartenait à de petits princes feudataires de l'Arménie. Il sera question, sous le règne de Julien, d'un prince de la Corduène, allié ou dépendant de l'empire et qui portait le nom romain de Jovianus.—S.-M.

[84] Lebeau se conforme ici à l'opinion de Tillemont, qui n'a fait lui-même que reproduire celle de Henri de Valois. Ces savants pensaient que le nom de Transtigritains, donné aux peuples orientaux qui devinrent, sous le règne de Dioclétien, dépendants de l'empire romain, indiquait leur position par rapport à la Perse et non pour les Romains. C'est une erreur. Elle a été produite par le peu de connaissance, qu'on avait de leur temps, de la disposition géographique des pays dont il s'agit. Il est certain, au contraire, que toutes ces régions étaient situées à l'orient du Tigre, par conséquent au-delà de ce fleuve par rapport aux Romains.—S.-M.

[85] Je ferai connaître dans le § 14 du livre VI, les véritables motifs qui avaient décidé Constantin à porter ses armes dans l'Orient, contre les Perses, et qui obligèrent son successeur à leur faire la guerre.—S.-M.

LXI. Maladie de Constantin.
Eus. vit. Const. l. 4, c. 22, 55 et seq.
Socr. l. 1, c. 39.
Theod. l. 1, c. 32.
Soz. l. 2, c. 34.
Vales. not. ad Eus. vit. l. 4, c. 61.
Concil. Neocæs. Can. 12.

La fête de Pâques qui tombait cette année au 3 avril, trouva Constantin à Nicomédie. Il passa la nuit de la fête en prières au milieu des fidèles. Il avait toujours honoré ces saints jours par un culte très-solennel; c'était sa coutume de faire allumer la nuit de Pâques, dans la ville où il se trouvait, des flambeaux de cire et des lampes, ce qui rendait cette nuit aussi brillante que le plus beau jour; et dès le matin il faisait distribuer en son nom des aumônes abondantes dans tout l'empire. Peu de jours avant sa maladie, il prononça dans son palais un long discours sur l'immortalité de l'ame, et sur l'état des bons et des méchants dans l'autre vie. Après l'avoir prononcé, il arrêta un de ses courtisans qu'il soupçonnait d'incrédulité, et lui demanda son avis sur ce qu'il venait d'entendre. Il est presque inutile d'ajouter, ce que Constantin aurait bien dû prévoir, que celui-ci, quoi qu'il en pensât, n'épargna pas les éloges. L'église des Apôtres qu'il destinait à sa sépulture, venait d'être achevée à Constantinople; il donna ordre d'en faire la dédicace, sans attendre son retour, comme s'il eût prévu sa mort prochaine. En effet, peu après la fête de Pâques il sentit d'abord quelque légère indisposition; ensuite étant tombé sérieusement malade, il se fit transporter à des sources d'eaux chaudes près d'Hélénopolis. Il n'y trouva aucun soulagement. Etant entré dans cette ville, que la mémoire de sa mère lui faisait aimer, il resta long-temps en prières dans l'église de Saint-Lucien; et sentant que sa fin approchait, il crut qu'il était temps d'avoir recours à un bain plus salutaire, et de laver dans le baptême toutes les taches de sa vie passée. C'était un usage trop commun de différer le baptême jusqu'aux approches de la mort. Les conciles et les saints Pères se sont souvent élevés contre cet abus dangereux. L'empereur qui s'était exposé au risque de mourir sans la grace du baptême, alors rempli de sentiments de pénitence, prosterné en terre demanda pardon à Dieu, confessa ses fautes et reçut l'imposition des mains.

LXII. Son baptême.
Eus. vit. Const. l. 4, c. 61 et seq.
Socr. l. 1, c. 39.
Theod. l. 1, c. 32.
Soz. l. 2, c. 34.
Hier. Chron.
Chron. Alex. vel Paschal. p. 286.

S'étant fait reporter au voisinage de Nicomédie dans le château d'Achyron qui appartenait aux empereurs, il fit assembler les évêques et leur tint ce discours: «Le voici enfin ce jour heureux, auquel j'aspirais avec ardeur. Je vais recevoir le sceau de l'immortalité. J'avais dessein de laver mes péchés dans les eaux du Jourdain, que notre Sauveur a rendues si salutaires en daignant s'y baigner lui-même. Dieu qui sait mieux que nous ce qui nous est avantageux, me retient ici; il veut me faire ici cette faveur. Ne tardons plus. Si le souverain arbitre de la vie et de la mort juge à propos de me laisser vivre, s'il me permet encore de me joindre aux fidèles pour participer à leurs prières dans leurs saintes assemblées, je suis résolu de me prescrire des règles de vie, qui soient dignes d'un enfant de Dieu.» Quand il eut achevé ces paroles, les évêques lui conférèrent le baptême selon les cérémonies de l'église, et le rendirent participant des saints mystères. Le prince reçut ce sacrement avec joie et reconnaissance; il se sentit comme renouvelé et éclairé d'une lumière divine. On le revêtit d'habits blancs; son lit fut couvert d'étoffes de même couleur, et dès ce moment il ne voulut plus toucher à la pourpre. Il remercia Dieu à haute voix de la grace qu'il venait de recevoir, et ajouta: C'est maintenant que je suis vraiment heureux, vraiment digne d'une vie immortelle. Quel éclat de lumière luit à mes yeux! Que je plains ceux qui sont privés de ces biens! Comme les principaux officiers de ses troupes venaient fondants en larmes lui témoigner leur douleur de ce qu'il les laissait orphelins, et qu'ils priaient le ciel de lui prolonger la vie: Mes amis, leur dit-il, la vie où je vais entrer est la véritable vie: je connais les biens que je viens d'acquérir, et ceux qui m'attendent encore. Je me hâte d'aller à Dieu.

LΧΙΙΙ. Vérité de cette histoire.
Athan. de Synod. t. 1, p. 723.
Ambros. orat. in fun. Theod. § 40, t. 2, p. 1209.
Hier. Chron.
Socr. l. 1, c. 39.
Theod. l. 1, c. 32.
Soz. l. 2, c. 34.
Till. not. 65, sur Constantin.
Cyrill. Alex. l. 7, contra Julian. p. 245-247, ed. Spanh.

C'est ainsi qu'Eusèbe qui écrivait sous les yeux mêmes des fils de Constantin et de tout l'empire, deux ou trois ans après cet événement, raconte le baptême de ce prince, et ce témoignage est au-dessus de toute exception. Il est confirmé par ceux de saint Ambroise, de saint Prosper, de Socrate, de Théodoret, de Sozomène, d'Évagrius, de Gelasius de Cyzique, de saint Isidore et de la Chronique d'Alexandrie. Tant d'autorités ne sont contredites que par les faux actes de saint Silvestre, et par quelques autres pièces de même valeur. Aussi la lèpre de Constantin et les fables qu'elle amène, le baptême donné dans Rome à ce prince avant le concile de Nicée par le pape Silvestre, sa guérison miraculeuse, ne trouvent plus de croyance que dans l'esprit de ceux qui s'obstinent à défendre la donation de Constantin, pour le soutien de laquelle ce roman a été inventé. Il ne l'était pas encore, lorsque peu d'années après la mort de ce prince, Julien d'un côté insultait les chrétiens en leur disant que leur baptême ne guérissait pas de la lèpre, et que de l'autre, saint Cyrille occupé à le confondre, ne disait pas en si belle occasion un seul mot ni de la lèpre ni de la guérison de Constantin.

LXIV. Mort de Constantin.
Liban. Basil, t. 2, p. 113, ed. Morel.
Ath. apol. contr. Arian. t. 1, p. 203, et ad monach. hist. Arian. t. I, p. 349.
Theod. l. 1, c. 32-34 et l. 2, c. 2.
Soz. l. 3, c. 2.
Acta. Mart. p. 667.
Philost. l. 2, c. 16 et 17.
Cedren. t. I, p. 296 et 297.
Zonar. l. 13, t. 2, p. 10.
Till. art. 78.
Rufin. l. 10, c. 11.

Ce grand prince, régénéré pour le ciel, ne songea plus aux choses de la terre, qu'autant qu'il fallait pour laisser ses enfants et ses sujets heureux. Il légua à Rome et à Constantinople des sommes considérables pour faire en son nom des largesses annuelles. Il fit un testament par lequel il confirma le partage qu'il avait fait entre ses enfants et ses neveux, et le mit entre les mains de ce prêtre hypocrite, qui avait procuré le rappel d'Arius; il lui fit promettre avec serment qu'il ne le remettrait qu'à son fils Constance. Il voulut que ses soldats jurassent qu'ils n'entreprendraient rien contre ses enfants ni contre l'église. Malgré Eusèbe de Nicomédie, qui toujours déguisé ne l'abandonnait pas sans doute dans ces derniers moments, il se délivra du scrupule que lui causait l'exil d'Athanase, et ordonna qu'il fût renvoyé à Alexandrie. Ce saint prélat incapable de ressentiment, et plein de respect pour la mémoire de ce prince, quelque sujet qu'il eût de s'en plaindre, voulut bien l'excuser dans la suite, et se persuada que Constantin ne l'avait pas proprement exilé; mais que pour le sauver des mains de ses ennemis, il l'avait mis comme en dépôt en celles de son fils aîné qui le chérissait. Quelques auteurs ont prétendu que Constantin avait été empoisonné par ses frères, et qu'en étant instruit il avait recommandé à ses enfants de venger sa mort. C'est un mensonge inventé par les Ariens, pour justifier, aux dépens de ce prince, leur protecteur Constance qui fit périr ses oncles. Constantin mourut le 22 mai, jour de la Pentecôte, à midi, sous le consulat de Félicianus et de Titianus; ayant régné trente ans, neuf mois, vingt-sept jours, et vécu soixante-trois ans, deux mois et vingt-cinq jours.

LXV. Deuil à sa mort.
Euseb. vit. Const. l. 4, c. 65.

Dès qu'il eut rendu le dernier soupir, ses gardes donnèrent des marques de la plus vive douleur: ils déchiraient leurs habits, se jetaient à terre et se frappaient la tête. Au milieu de leurs sanglots et de leurs cris lamentables, ils l'appelaient leur maître, leur empereur, leur père. Les tribuns, les centurions, les soldats si souvent témoins de sa valeur dans les batailles, semblaient vouloir encore le suivre au tombeau. Cette perte leur était plus sensible que la plus sanglante défaite. Les habitants de Nicomédie couraient tous confusément par les rues, mêlant leurs gémissements et leurs larmes. C'était un deuil particulier pour chaque famille; et chacun, pleurant son prince, pleurait son propre malheur.

LXVI. Ses funérailles.
Euseb. vit.
Const. l. 4, c. 66-67.

Son corps fut porté à Constantinople dans un cercueil d'or couvert de pourpre. Les soldats dans un morne silence précédaient le corps et marchaient à la suite. On le déposa orné de la pourpre et du diadème dans le principal appartement du palais, sur une estrade élevée, au milieu d'un grand nombre de flambeaux portés par des chandeliers d'or. Ses gardes l'environnaient jour et nuit. Les généraux, les comtes et les grands officiers venaient chaque jour, comme s'il eût été encore vivant, lui rendre leurs devoirs aux heures marquées, et le saluaient en fléchissant le genou. Les sénateurs et les magistrats entraient ensuite à leur tour; et après eux une foule de peuple de tout âge et de tout sexe. Les officiers de sa maison se rendaient auprès de lui comme pour leur service ordinaire. Ces lugubres cérémonies durèrent jusqu'à l'arrivée de Constance.

LXVII. Fidélité des légions.
Euseb. vit. Const. l. 4, c. 68.

Les tribuns ayant choisi entre les soldats ceux qui avaient été les plus chéris de l'empereur, les dépêchèrent aux trois Césars, pour leur porter cette triste nouvelle. Les légions répandues dans les diverses parties de l'empire, n'eurent pas plutôt appris la mort de leur prince, qu'animées encore de son esprit, elles résolurent, comme de concert, de ne reconnaître pour maîtres que ses enfants. Peu de temps après elles les proclamèrent Augustes, et se communiquèrent mutuellement par des courriers cet accord unanime.

LXVIII. Inhumation de Constantin.
Euseb. vit. Const. l. 4, c. 70, 71.
Soz. l. 2, c. 34.
Joan. Chrysost. in 2 ad Corinth. hom. 26, t. X, p. 625.
Cedren. t. I, p. 296.
Hist. misc. l. 11. apud Muratori, t. I, p. 74.
Gyll. Topog. Constantinop. l. 4, c. 2.

Cependant Constance, moins éloigné que les deux autres Césars, arriva à Constantinople. Il fit transporter le corps de son père à l'église des Apôtres. Il conduisait lui-même le convoi: à sa suite marchait l'armée en bon ordre; les gardes entouraient le cercueil, suivi d'un peuple innombrable. Quand on fut arrivé à l'église, Constance qui n'était encore que catéchumène, se retira avec les soldats, et on célébra les saints mystères. Le corps fut déposé dans un tombeau de porphyre qui n'était pas dans l'église même, mais dans le vestibule. Saint Jean Chrysostôme dit que Constance crut faire un honneur distingué à son père en le plaçant à l'entrée du palais des Apôtres. Vingt ans après, comme on fut obligé de rétablir cet édifice qui tombait déja en ruine, on fit transférer le corps dans l'église de Saint-Acacius; mais on le rapporta ensuite dans celle des Apôtres. Gilles, savant voyageur du seizième siècle, dit qu'on lui montra à Constantinople, près du lieu où avait été cette église, un tombeau de porphyre, vide et découvert, long de dix pieds et haut de cinq et demi, que les Turcs disaient être celui de Constantin.

LXIX. Deuil à Rome.
Euseb. vit. Const. l. 4, c. 69 et 73.
Aurel. Vict. de Cæs. p. 178.
Jul. or. 1, p. 16. ed. Spanh.
Eunap. in Proœr. p. 91. ed. Boiss.
Grut. p. 178, no 1.
[Eckhel. Doct. num. vet. t. VIII, p. 92 et 93.]

Tout l'empire pleura ce grand prince. Ses conquêtes, ses lois, les superbes édifices dont il avait décoré toutes les provinces, Constantinople elle-même qui toute entière était un magnifique monument érigé à sa gloire, lui avaient attiré l'admiration: ses libéralités et son amour pour ses peuples lui avaient acquis leur tendresse. Il aimait la ville de Rheims; et c'est à lui sans doute plutôt qu'à son fils, qu'on doit attribuer d'y avoir fait construire des thermes à ses dépens: l'éloge pompeux que porte l'inscription de ces thermes ne peut convenir qu'au père[86]. Il avait déchargé Tripoli en Afrique et Nicée en Bithynie de certaines contributions onéreuses, auxquelles les empereurs précédents avaient assujetti ces villes depuis plus d'un siècle. Il avait accepté le titre de stratège ou de préteur d'Athènes, dignité devenue, depuis Gallien, supérieure à celle d'archonte; il y faisait distribuer tous les ans une grande quantité de blé; et cette largesse était établie à perpétuité. Rome se signala entre les autres villes par l'excès de sa douleur. Elle se reprochait d'avoir causé à ce bon prince des déplaisirs amers, et de l'avoir forcé à préférer Byzance: pénétrée de regret elle se faisait à elle-même un crime de l'élévation de sa nouvelle rivale. On ferma les bains et les marchés; on défendit les spectacles et tous les divertissements publics. On ne s'entretenait que de la perte qu'on avait faite. Le peuple déclarait hautement qu'il ne voulait avoir pour empereurs que les enfants de Constantin. Il demandait à grands cris qu'on lui envoyât le corps de son empereur; et la douleur augmenta quand on sut qu'il restait à Constantinople. On rendait honneur à ses images, dans lesquelles on le représentait assis dans le ciel. L'idolâtrie toujours bizarre le plaça au nombre de ces mêmes dieux qu'il avait abattus; et par un mélange ridicule, plusieurs de ses médailles portent le titre de Dieu avec le monogramme du Christ. Les cabinets des antiquaires en conservent d'autres telles que les décrit Eusèbe: on y voit Constantin assis dans un char attelé de quatre chevaux; il paraît être attiré au ciel par une main qui sort des nues.

[86] Lebeau se trompe à ce que je crois. L'inscription dont il parle ne peut laisser de doute sur le fondateur de ce monument. On va en juger:

IMP. CAES. FL. CONSTANTINVS. MAX. AVG. SEMPI
TERNVS. DIVI. CONSTANTINI. AVG. F. TOTO
ORBE. VICTORIIS. SVIS. SEMPER. AC. FELICITER
CELEBRANDVS. THERMAS. FISCI. SVI. SVMPTV
A. FVNDAMENTIS. CEPTAS. AC. PERACTAS
CIVITATI. SVAE. REMORVM. PRO. SOLITA
LIBERALITATE. LARGITVS. EST.

Les éloges qu'on a donnés dans cette inscription au jeune Constantin, sont un peu exagérés, il est vrai; mais n'en est-il pas toujours ainsi des dédicaces faites du vivant des fondateurs? Ceux-ci sont cependant justifiés par les victoires que ce prince avait remportées sur les Goths et les Sarmates. Les expressions toto orbe, victoriis suis, semper ac feliciter celebrandus, lui conviennent tout aussi bien qu'à son père. Il n'est guère probable d'ailleurs que Constantin, qui fit si peu de séjour dans les Gaules et qui était tout occupé de sa nouvelle capitale, ait songé à faire élever des thermes à Reims, tandis que rien n'était plus naturel pour son fils, qui résida presque toujours dans les Gaules, qui lui avaient été destinées par son père dès son enfance.—S.-M.

LXX. Honneurs rendus à sa mémoire par l'église.
Bolland. 21 maii.
Till. art. 78.
Theod. l. 1, c. 34.
Baron. ann. 324.
Pachym. in Mich. Palœol. l. 9, c. 1.

L'église lui a rendu des honneurs plus solides. Tandis que les païens en faisaient un dieu, les chrétiens en ont fait un saint. On célébrait sa fête en Orient avec celle d'Hélène, et son office, qui est fort ancien chez les Grecs, lui attribue des miracles et des guérisons. On bâtit à Constantinople un monastère sous le nom de Saint-Constantin. On rendait des honneurs extraordinaires à son tombeau et à sa statue placée sur la colonne de porphyre. Les Pères du concile de Chalcédoine crurent honorer Marcien, le plus religieux des princes, en le saluant du nom de nouveau Constantin. Au neuvième siècle on récitait encore à Rome son nom à la messe, avec celui de Théodose Ier et des autres princes les plus respectés. Il y avait sous son nom en Angleterre plusieurs églises et plusieurs autels. En Calabre est le bourg de Saint-Constantin, à quatre milles du mont Saint-Léon. A Prague, en Bohême, on a long-temps honoré sa mémoire, et l'on y conservait de ses reliques. Son culte et celui d'Hélène ont passé jusqu'en Moscovie; et les nouveaux Grecs lui donnent ordinairement le titre d'égal aux Apôtres.

LXXI. Caractère de Constantin.
Aurel. Vict. de Cæs. p. 178.
Eutrop. l. 10.

Les défauts de Constantin nous empêchent de souscrire à un éloge aussi hyperbolique. Les spectacles affreux de tant de captifs dévorés par les bêtes; la mort de son fils innocent, celle de sa femme, dont la punition trop précipitée prit la couleur de l'injustice, montrent que le sang des Barbares coulait encore dans ses veines; et que s'il était bon et clément par caractère, il devenait dur et impitoyable par emportement. Peut-être eut-il de justes raisons d'ôter la vie aux deux Licinius; mais la postérité a droit de condamner les princes, qui ne se sont pas mis en peine de se justifier à son tribunal. Il aima l'Église; elle lui doit sa liberté et sa splendeur; mais, facile à séduire, il l'affligea lorsqu'il croyait la servir; se fiant trop à ses propres lumières, et se reposant avec trop de crédulité sur la bonne foi des méchants qui l'environnaient, il livra à la persécution des prélats qui méritaient à plus juste titre d'être comparés aux Apôtres. L'exil et la déposition des défenseurs de la foi de Nicée, balancent au moins la gloire d'avoir convoqué ce fameux concile. Incapable lui-même de dissimulation, il fut trop aisément la dupe des hérétiques et des courtisans. Imitateur de Titus, d'Antonin et de Marc-Aurèle, il aimait ses peuples et voulait en être aimé; mais ce fonds même de bonté, qui les lui faisait chérir, les rendit malheureux; il ménagea jusqu'à ceux qui les pillaient: prompt et ardent à défendre les abus, lent et froid à les punir; avide de gloire, et peut-être un peu trop dans les petites choses. On lui reproche d'avoir été plus porté à la raillerie qu'il ne convient à un grand prince. Au reste il fut chaste, pieux, laborieux et infatigable, grand capitaine, heureux dans la guerre, et méritant ses succès par une valeur brillante et par les lumières de son génie; protégeant les arts et les encourageant par ses bienfaits. Si on le compare avec Auguste, on trouvera qu'il ruina l'idolâtrie avec les mêmes précautions et la même adresse que l'autre employa à détruire la liberté. Il fonda comme Auguste un nouvel empire; mais moins habile et moins politique, il ne sut pas lui donner la même solidité: il affaiblit le corps de l'état en y ajoutant, en quelque façon, une seconde tête par la fondation de Constantinople; et transportant le centre du mouvement et des forces trop près de l'extrémité orientale, il laissa sans chaleur et presque sans vie les parties de l'Occident, qui devinrent bientôt la proie des Barbares.

LXXII. Reproches mal fondés de la part des païens.
Eutr. l. 10.
Aur. Vict. epit. p. 224.

Les païens lui ont voulu trop de mal pour lui rendre justice. Eutrope dit que, dans la première partie de son règne, il fut comparable aux princes les plus accomplis, et dans la dernière aux plus médiocres. Le jeune Victor, qui lui donne plus de trente et un an de règne, prétend que dans les dix premières années ce fut un héros, dans les douze suivantes un ravisseur, et un dissipateur dans les dix dernières. Il est aisé de sentir que de ces deux reproches de Victor, l'un porte sur les richesses que Constantin enleva à l'idolâtrie, et l'autre sur celles dont il combla l'église.

LXXIII. Ses filles.
Ducange, Fam. Byz. p. 47.
Till. note 18, sur Constantin.

Outre ses trois fils il laissa deux filles: Constantine, mariée d'abord à Hanniballianus roi de Pont, ensuite à Gallus; et Hélène qui fut femme de Julien. Quelques auteurs en ajoutent une troisième qu'ils nomment Constantia: ils disent qu'ayant fait bâtir à Rome l'église et le monastère de Sainte-Agnès, elle s'y renferma après avoir fait vœu de virginité. Cette opinion ne porte sur aucun fondement solide.

FIN DU LIVRE CINQUIÈME.

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