Histoire du Bas-Empire. Tome 01
LIVRE VI.
I. Caractère des fils de Constantin. II. Massacre des frères et des neveux de Constantin. III. Autres massacres. IV. Crédit de l'eunuque Eusèbe. V. Suites de la mort de Delmatius et d'Hanniballianus. VI. Nouveau partage. VII. Rétablissement de saint Athanase. VIII. Rappel de saint Paul de Constantinople. IX. Constance retourne en Orient. X. Antiquités de Nisibe. XI. Sapor lève le siége de Nisibe. XII. Préparatifs pour la guerre de Perse. XIII. Première expédition de Constance. [XIV. Révolutions arrivées en Arménie.] XV. Troubles de l'arianisme. XVI. Mort d'Eusèbe de Césarée. XVII. Consulat d'Acyndinus et de Proculus. XVIII. Mort du jeune Constantin. XIX. Lois des trois princes. XX. Nouvelles calomnies contre saint Athanase. XXI. Concile d'Antioche. XXII. Grégoire intrus sur le siége d'Alexandrie. XXIII. Violences à l'arrivée de Grégoire. XXIV. Précaution pour cacher ces excès à l'empereur. XXV. Les catholiques maltraités par toute l'Égypte. XXVI. Violences exercées ailleurs. XXVII. Athanase va à Rome. XXVIII. Paul rétabli et chassé de nouveau. XXIX. Athanase va trouver Constant. XXX. Synode de Rome. XXXI. Amid fortifiée. XXXII. Terrible tremblement de terre. XXXIII. Courses des Francs. XXXIV. Ils sont réprimés par Constant. XXXV. Constant dans la Grande-Bretagne. XXXVI. Tremblements de terre. XXXVII. Conversion des Homérites. XXXVIII. Inquiétudes des Ariens. XXXIX. Marche de Constance vers la Perse. XL. Port de Séleucie. XLI. Sédition à Constantinople. XLII. Concile de Milan. XLIII. Concile de Sardique. XLIV. Les Ariens se séparent. XLV. Jugement du concile. XLVI. Faux concile de Sardique. XLVII. Concile de Milan. XLVIII. Députés envoyés à Constance. XLIX. Guerre des Perses. L. Bataille de Singara. LI. Nouveaux troubles des Donatistes apaisés en Afrique. LII. Violences des Ariens. LIII. Lettres de Constance à saint Athanase. LIV. Insigne fourberie d'Étienne, évêque d'Antioche. LV. Constance rappelle de nouveau saint Athanase. LVI. Athanase à Antioche. LVII. Retour d'Athanase à Alexandrie.
CONSTANTIN II, CONSTANCE, CONSTANT.
La mort de Constantin donnait lieu à de grandes inquiétudes. Plus il s'était acquis de gloire, plus on craignait que ses fils ne fussent pas en état de la soutenir. Les politiques observaient que, de tous les successeurs d'Auguste, Commode avait été le seul qui fût né d'un père déja empereur: et cet exemple, unique jusqu'aux enfants de Constantin, était pour ceux-ci de mauvais augure. Ils remarquaient encore, que la nature avait pour l'ordinaire fort mal servi l'empire: plusieurs de ceux que l'adoption avait placés sur le trône, s'en étaient montrés dignes; mais à l'exception de Titus et de Constantin lui-même, les Césars qui avaient succédé à leurs pères en avaient toujours dégénéré. A ces réflexions générales se joignaient celles que faisait naître le caractère particulier des nouveaux empereurs: ils n'avaient pas pleinement répondu à l'excellente éducation qu'ils avaient reçue. Constantin, l'aîné des trois, était celui qui ressemblait le plus à son père; il avait de la bonté et de la valeur; mais il était ambitieux, fougueux, imprudent. Constant le plus jeune laissait déja apercevoir un penchant pour les plaisirs, qui ne pouvait devenir que plus dangereux dans la puissance souveraine; et Constance était tout ensemble faible et présomptueux; fait pour être l'esclave de ses flatteurs, pourvu qu'ils voulussent bien lui laisser croire qu'il était le maître; se croyant grand capitaine, parce qu'il était adroit à tirer de l'arc, à monter à cheval, et qu'il réussissait dans tous les exercices militaires. La jeunesse de ces princes, dont l'aîné n'avait que vingt ans, et les contestations qui pouvaient naître du partage de l'empire, augmentaient encore les alarmes.
Le testament de Constantin fut remis, suivant ses ordres, entre les mains de Constance. Il appelait à la succession avec ses trois fils, ses deux neveux, Delmatius et Hanniballianus. Mais les armées, les peuples et le sénat de Rome ne voulaient reconnaître pour maîtres que ses enfants: ils les proclamèrent seuls Augustes. C'était donner l'exclusion à ses neveux. Ce zèle bizarre, qui prétendait honorer la mémoire de Constantin, en s'opposant à ses dernières volontés, se porta jusqu'à la fureur. Les soldats prirent les armes, et commencèrent les massacres par celui du jeune Delmatius, le plus aimable de tous les princes de cette famille; son frère le suivit de près. Delmatius leur père, surnommé le Censeur, était déja mort. Les meurtriers n'épargnèrent pas les deux autres frères de Constantin, Julius Constance et Hanniballianus. On égorgea encore cinq neveux du défunt empereur, dont on ignore les noms: l'un était le fils aîné de Julius Constance. Ses deux autres fils, Gallus âgé de onze à douze ans, et Julien âgé de six, allaient périr dans le sang de leur père et de leur frère; mais on ne crut pas qu'il fût besoin d'ôter la vie à Gallus, qui, étant malade, semblait près de mourir: Julien fut sauvé par Marc, évêque d'Aréthuse, qui le cacha dans le sanctuaire, sous l'autel même. On ne sait par quel moyen échappa Népotianus, fils d'Eutropia, sœur de Constantin. On n'a jamais reproché ces meurtres à Constant ni à Constantin le jeune. Plusieurs historiens les attribuent à Constance: d'autres l'accusent seulement de ne s'y être pas opposé. Saint Grégoire de Nazianze paraît en rejeter toute l'horreur sur les soldats. Constance lui-même s'en est reconnu coupable, s'il en faut croire Julien, qui rapporte sur le témoignage des courtisans de ce prince, qu'il s'en repentit, et qu'il pensait que la stérilité de ses femmes et les pertes qu'il essuya dans la guerre contre les Perses, en étaient la punition. Les trois princes délivrés de tous ceux dont ils pouvaient craindre la concurrence, prirent le titre d'Augustes le 3 septembre[87].
[87] Environ quatre mois après la mort de Constantin.—S.-M.
Les soldats se firent payer de ces forfaits par la liberté d'en commettre de nouveaux: ils se crurent en droit de donner la loi à leurs maîtres, et de réformer leur conseil. Ils massacrèrent les principaux courtisans de Constantin, dont quelques-uns avaient abusé de sa faveur, et les laissèrent sans sépulture. On distingue entre les autres le patrice Optatus, ce personnage célèbre, dont j'ai parlé sur l'année 334 où il fut consul, et Ablabius, préfet du prétoire: celui-ci s'était élevé de la plus basse naissance. On croit qu'il était chrétien, et les auteurs païens confirment cette opinion par leur acharnement à le décrier: ils lui imputent la mort de Sopater, que nous avons racontée. Il avait à Constantinople une maison qui égalait en magnificence celle de l'empereur, et qui fut dans la suite le palais de Placidie, fille du grand Théodose. Son caractère aigrissait encore l'envie: il était fier de son mérite et de ses services. Après avoir franchi l'espace immense qui se trouvait entre sa naissance et le rang qu'il occupait, il ne croyait rien au-dessus de lui, pas même la couronne impériale. Constantin, qui ne voyait que ses bonnes qualités, lui avait recommandé son fils Constance. Ablabius se regardait comme le tuteur du jeune prince, et presque comme son collègue; on s'étonnait même qu'il voulût bien se contenter du second rang. La jalousie du souverain, et la haine des soldats qui demandèrent son éloignement, renversèrent en un moment cet édifice de grandeur. Dépouillé de sa dignité il se retira en Bithynie, où il espérait se reposer sur les trésors qu'il avait accumulés. Mais peu de jours après, arrivèrent de Constantinople des officiers de l'armée, qui, selon les ordres de Constance, lui présentèrent à genoux des lettres, par lesquelles on lui donnait le titre d'Auguste. Cet homme vain, déja rempli de toute la fierté d'un empereur, demanda avec hauteur où était la pourpre. Ils répondirent que ceux qui étaient chargés de la lui présenter, attendaient ses ordres. Dès qu'il eut fait signe qu'on les fît entrer, les soldats qui étaient restés à la porte se jetèrent sur lui, et le mirent en pièces. Il laissait une fille en bas âge, nommée Olympias, déja fiancée à Constant. Ce prince ne l'abandonna pas après la mort de son père: il l'éleva pour en faire son épouse; et comme il mourut avant que d'avoir exécuté ce dessein, Constance la donna en mariage à Arsace, roi d'Arménie[88].
[88] Voyez ci-après, l. XI, § 23.
On aurait peut-être pardonné à Constance la mort d'Ablabius, s'il l'eût remplacé par le choix d'un bon ministre; mais celui qui succéda à la faveur de cet ambitieux, était un homme dont l'ambition fut le moindre vice. L'eunuque Eusèbe, grand-chambellan du prince, et peut-être l'auteur secret de tous ces massacres, s'éleva sur tant de ruines: il devint l'arbitre de la cour. On disait par raillerie, que Constance avait beaucoup de crédit auprès de son chambellan[89]: celui-ci était vain, fourbe, avare, injuste, cruel, et Arien passionné. Il remplit tout le palais d'Ariens et d'eunuques: et c'est du règne de Constance qu'on peut dater le commencement de l'énorme puissance de ces ministres de volupté, qui, destinés par la jalousie des Orientaux à garder les femmes, et formés aux plus basses intrigues, s'emparèrent de l'esprit des empereurs, et parvinrent à gouverner l'empire.
[89] Apud quem (si verè dici debeat) multa Constantius potuit, dit Ammien Marcellin.—S.-M.
La mort du jeune Delmatius et de son frère Hanniballianus troublait l'ordre établi par Constantin dans sa succession. La Thrace, la Macédoine, l'Achaïe, c'est-à-dire, la Grèce, qu'il avait données à Delmatius; la petite Arménie, le Pont et la Cappadoce, qui composaient le royaume d'Hanniballianus, restaient à distribuer entre les trois empereurs. L'année suivante, sous le consulat d'Ursus et de Polémius, ils se rendirent en Pannonie pour convenir d'un nouveau partage. M. de Tillemont suppose qu'il y eut deux entrevues entre ces princes: l'une à Constantinople, où la Thrace fut donnée à Constantin, qui selon la chronique d'Alexandrie, régna un an à Constantinople; l'autre en Pannonie, où ce partage fut changé. L'entrevue de Constantinople, fort embarrassante pour l'histoire, n'est fondée que sur le témoignage des nouveaux Grecs. Il me paraît plus convenable de rejeter ce témoignage, dont M. de Tillemont lui-même ne fait pas pour l'ordinaire plus de cas qu'il ne mérite, aussi-bien que celui de la chronique d'Alexandrie, qui n'est pas à beaucoup près exempte d'erreurs, et de s'en tenir au récit de Julien. Il doit avoir été le mieux instruit des événements de ces temps-là; et il ne dit pas un mot ni de la convention faite à Constantinople, ni de l'autorité du jeune Constantin dans cette ville[90]. Si l'on veut s'arrêter aux titres et aux dates des lois, qui ne sont pas non plus les monuments les plus certains de l'histoire, il faudra dire que Constantin le jeune avait fait un voyage à Thessalonique, dès la fin de l'année précédente, apparemment pour y conférer d'avance avec son frère Constant. Il devait, en effet, être le plus empressé à solliciter un nouvel arrangement, parce que les états devenus vacants par la mort de Delmatius et d'Hanniballianus confinaient avec ceux de ses frères et n'étaient nullement à sa bienséance.
[90] Des autorités négatives ne sont pas, en général, d'une grande importance. Rien, en effet, ne s'oppose à ce que le fils aîné de Constantin ait obtenu la possession de la capitale de l'empire et qu'il y ait renoncé un an après, à cause de l'éloignement où elle se trouvait du reste de ses états. Gibbon (t. III, p. 460) admet ainsi que moi, le règne de Constantin II à Constantinople; autrement il est difficile de rendre raison de la loi, rejetée trop légèrement par Lebeau, et qui fait voir que ce prince était à Thessalonique vers la fin de l'an 337. Il est impossible de trouver dans la suite de son règne aucune circonstance qui ait pu le ramener dans cette ville.—S.-M.
Les trois princes s'étant donc assemblés vers le mois de juillet en Pannonie, partagèrent ainsi la nouvelle succession: Constance eut pour sa part tout ce qui avait été donné à Hanniballianus, en sorte qu'il posséda sans exception l'Asie entière et l'Égypte. Des états de Delmatius, il eut la Thrace et Constantinople, supposé que cette ville n'eût pas été dès auparavant détachée de la Thrace et donnée à Constance par Constantin même, comme il y a lieu de croire. Constant qui possédait déja l'Italie, l'Illyrie et l'Afrique, y joignit la Macédoine et la Grèce. Il paraît que Constantin fut celui qui gagna le moins dans ce partage. Il avait déja les Gaules, la Grande-Bretagne et l'Espagne, dont la Mauritanie Tingitane était alors considérée comme une dépendance: il ne remporta que des prétentions sur l'Italie, et des droits contestés sur l'Afrique, dont Constant lui cédait une partie et lui disputait l'autre. Ces différends entre les deux frères éclatèrent bientôt par une rupture funeste à l'un des deux.
On convint dans cette conférence du rappel des évêques catholiques, que Constantin abusé par les hérétiques avait exilés à la fin de sa vie. Constance était depuis long-temps livré aux Ariens: après la mort de son père, il s'était ouvertement déclaré en leur faveur. Ce prêtre suborneur, dont j'ai parlé, déja maître absolu de l'esprit de l'impératrice, s'était insinué bien avant dans la confiance du nouvel empereur: il n'avait pas manqué de lui faire valoir sa fidélité à lui remettre le testament de Constantin, dont le prince avait lieu d'être content. Les deux Eusèbes, l'évêque de Nicomédie, et l'eunuque, secondaient cet imposteur; et la cour, toujours esclave des favoris, n'osait penser autrement. Cependant le jeune Constantin vint à bout de rendre aux églises les évêques que la calomnie en avait chassés. Dès avant son départ de Trèves, il avait adressé au peuple catholique d'Alexandrie une lettre datée du 17 de juin, dans laquelle il supposait que son père n'avait relégué Athanase en Gaule, que pour le soustraire à la fureur de ses ennemis; il déclarait qu'il s'était efforcé d'adoucir l'exil de cet homme apostolique, en lui rendant les mêmes honneurs que le prélat aurait pu recevoir à Alexandrie; il admirait sa vertu, soutenue de la grace divine, et supérieure à toutes les adversités: Puisque mon père, ajoutait-il, avait formé le pieux dessein de vous rendre votre évêque, et qu'il ne lui a manqué que le temps de l'exécuter, j'ai cru qu'il était du devoir de son successeur de remplir ses intentions. Comme Alexandrie était dans le partage de Constance, le jeune Constantin, pour ne pas donner d'ombrage à son frère, ne prenait dans cette lettre que le titre de César. Il mena avec lui Athanase en Pannonie. Constant animé du même zèle le seconda par ses instances. Ils parlèrent avec fermeté, et forcèrent leur frère à consentir, malgré les favoris, au retour des exilés. Athanase se présenta à Constance dans la ville de Viminacum: il continua son voyage par Constantinople, où il s'arrêta quelques jours. En passant par la Cappadoce, il vit encore à Césarée Constance qui revenait de Pannonie en Syrie. Ce prince lui fit un accueil favorable; et le saint prélat, après deux ans et demi d'absence, fut reçu dans Alexandrie avec des acclamations de joie. Les autres évêques d'Égypte, que l'exil d'Athanase avait alarmés et dispersés, se rallièrent comme sous l'étendart de leur chef. Ce ne fut pas sans peine qu'Asclépas de Gaza et Marcel d'Ancyre se remirent en possession de leurs siéges, dont les Ariens s'étaient emparés.
Alexandre, évêque de Constantinople, était mort peu de temps avant Constantin, après avoir vécu quatre-vingt-dix-huit ans, et gouverné vingt-trois ans son église. Dans les derniers moments de sa vie, consulté par son clergé sur le choix de son successeur: S'il vous faut, dit-il, un prélat capable de vous édifier par son exemple, et de vous instruire par sa doctrine, choisissez Paul: mais si vous cherchez un homme habile dans la conduite des affaires, et propre à réussir dans le commerce des grands, ces talents sont ceux de Macédonius. Ces dernières paroles du saint évêque partagèrent les esprits. Ceux qui favorisaient l'arianisme nommèrent Macédonius: c'était un diacre déja avancé en âge, qui entretenait avec les Ariens une secrète intelligence. Il avait été brodeur dans sa jeunesse. Les autres en plus grand nombre élurent Paul: ils l'emportèrent, et Paul fut ordonné dans l'église de la Paix. Mais la division s'alluma dans la ville. Eusèbe de Nicomédie, qui regardait ce siége d'un œil d'envie, et qui désirait ardemment d'être l'évêque de la cour, profita de la discorde. Il réussit à noircir Paul dans l'esprit de l'empereur, comme il avait noirci Athanase: il le fit accuser par Macédonius. Celui-ci attaqua ses mœurs, quoiqu'elles fussent irréprochables; il représenta son élection comme une cabale, sous prétexte qu'il avait été installé sans la participation des évêques de Nicomédie et d'Héraclée, à qui il appartenait d'ordonner l'évêque de Constantinople: mais Eusèbe et Théodore d'Héraclée, livrés à l'arianisme, avaient refusé leur ministère. Constantin toujours trompé dans les derniers temps de sa vie, exila dans le Pont le nouveau prélat, sans consentir cependant à sa déposition. Athanase en passant par Constantinople fut témoin de son retour; il le fortifia de ses conseils contre la persécution qui ne tarda guère à se rallumer.
Constance, que la mort de son père avait rappelé de l'Orient, y retournait en diligence. Les Perses avaient passé le Tigre. Avant la mort de Constantin, Sapor était entré dans la Mésopotamie; mais sur la nouvelle de la marche de l'empereur, il s'était retiré dans ses états: il y demeura tranquille le reste de l'année. Dans l'été suivant, il se remit en campagne, pour profiter de l'éloignement de Constance, ou pour faire l'essai de la capacité du nouvel empereur. Il était secondé d'un puissant parti dans l'Arménie. Les Arméniens alors divisés, sans doute par les intrigues de Sapor, s'étaient révoltés contre leur roi[91], et l'avaient forcé à se sauver sur les terres de l'empire avec ceux qui lui étaient restés fidèles. Les rebelles, maîtres du pays, s'étaient déclarés pour les Perses, et faisaient des courses sur la frontière[92]. Sapor, de son côté, ravageait la Mésopotamie, et vint mettre le siége devant Nisibe.
[91] Τῆς χώρας ἐκείνης άρχοντι. Jul. or. 1, p. 20. Tillemont, t. IV, p. 319, et Lebeau, après lui, ont cru voir dans ces mots la mention d'un roi d'Arménie. Ce pays n'avait pas alors de souverain, son prince légitime était captif chez les Perses, comme on le verra ci-après § 14. Il est probable que par ces paroles un peu ambiguës, Julien n'a entendu désigner qu'un seigneur arménien, qui, en l'absence du roi, cherchait à défendre sa patrie contre les Perses.—S.-M.
[92] Les événements arrivés à cette époque en Arménie, ne nous sont connus que par quelques phrases assez obscures, du premier discours de Julien adressé à Constance. Tout ce qu'on y voit, c'est que ce royaume fut le sujet principal de la guerre que Constance fit aux Perses, dans le commencement de son règne, et que c'était sans doute le même motif qui avait déja fait prendre les armes à Constantin. Ce n'est pas assez, pour donner une idée suffisante des révolutions arrivées en Arménie et de la part que les Romains y prirent. Je placerai après le § XIII, un précis de tous ces événements, tiré des historiens arméniens.—S.-M.
Cette ville était située dans la partie septentrionale et la plus fertile de la Mésopotamie, à deux journées du Tigre, sur le fleuve Mygdonius, au pied du mont Masius. C'était, selon saint Jérôme, celle qui est nommée Achad dans la Genèse, une des plus anciennes villes du monde, bâtie par Nimrod en même-temps que Babylone et Edesse. Nisibe, en langage phénicien, signifiait colonnes ou monceau de pierres[93]. Les Macédoniens, qui transportaient aux pays conquis les noms de leur propre pays, donnèrent à cette contrée le nom de Mygdonie, et à Nisibe celui d'Antioche[94]. Elle s'appelle encore aujourd'hui Nesibin, dans le Diarbekr[95]. Elle était très-forte, environnée d'un double mur de briques très-épais, et d'un double fossé large et profond. Lucullus en fit le siége et s'en rendit maître par surprise. Elle fut rendue aux rois d'Arménie. Artaban[96], roi des Parthes, s'en étant emparé, en fit présent à Izatès roi de l'Adiabène[97], par qui il avait été rétabli dans son royaume. Elle fut reprise par Trajan, abandonnée par Hadrien, rendue aux Romains sous Marc Aurèle. Septime Sévère l'honora du titre de colonie[98]. C'était une digue, qui couvrait à la vérité la partie orientale de l'empire contre les invasions des Perses, mais qui coûtait aux Romains beaucoup de sang et de dépenses.
[93] Le premier de ces sens est donné par Philon écrivain cité dans Étienne de Byzance, et le second par Uranius, dans le même auteur. Ces deux interprétations différentes, sont confirmées également par les langues hébraïque et syriaque et par tous les autres idiomes de même origine.—S.-M.
[94] Totam eam (Adiabene) Macedones Mygdoniam cognominaverunt, a similitudine. Oppida; Alexandria, item Antiochia, quam Nisibin vocant. Plin. l. 6, c. 16.—S.-M.
[95] Voyez ce que j'ai dit sur cette ville, dans mes Mémoires historiques et géographiques sur l'Arménie, t. I, p. 161.—S.-M.
[96] Ce prince, contemporain de Caligula et de Claude, fut le troisième roi des Parthes du nom d'Artaban.—S.-M.
[97] C'est peut-être pour cette raison que Pline, l. 6, c. 16, au lieu de placer cette ville dans la Mésopotamie, où elle se trouve effectivement, la met dans l'Adiabène, province située à l'orient du Tigre.—S.-M.
[98] On voit par les médailles qu'elle prit alors le nom de Septimia.—S.-M.
Défendue par ses remparts, par une forte garnison, et par des habitants aguerris, elle résista aux attaques de Sapor. Mais dans les trois siéges qu'elle soutint contre ce prince, elle attribua surtout sa délivrance aux prières de Jacques son évêque, prélat fameux par sa sainteté et par ses miracles, et qui avait soutenu à Nicée et à Constantinople la foi attaquée par les Ariens. Sapor se retira après un siége de soixante et trois jours, et ramena en Perse son armée honteuse et fatiguée, que la famine et la peste achevèrent de détruire.
Cependant l'empereur arrivé à Antioche se disposait à marcher contre les Perses. Les circonstances ne lui promettaient pas de grands avantages. Il n'avait que le tiers des forces de son père; ses frères ne lui prêtaient aucun secours: les vieilles troupes regrettaient Constantin; elles méprisaient son fils: leur courage contre l'ennemi s'était tourné en mutinerie contre leur chef; elles prétendaient lui commander, parce qu'il ne savait pas s'en faire obéir. Ce fut un des plus grands défauts de Constance; et la principale source des mauvais succès qui ont déshonoré son règne et affaibli l'empire. En vain, pour gagner le cœur et la confiance des soldats, le prince faisait avec eux les exercices militaires, dans lesquels il excellait. La discipline semblait avoir été ensevelie avec Constantin, et Constance ne fut vaincu par les ennemis, qu'après s'être laissé vaincre par ses propres légions. Cette première campagne lui fut pourtant assez heureuse. Les Goths alliés l'aidèrent d'un renfort considérable, et continuèrent de lui rendre de bons services dans toute la suite de cette guerre. Il forma un corps de cavalerie semblable à celle des Perses, et dont les hommes et les chevaux étaient couverts de fer[99]; il mit à la tête le brave Hormisdas, qui en combattant pour les Romains, cherchait à venger sa propre querelle. Comme les fonds nécessaires manquaient pour la guerre, il augmenta les impositions, mais de peu, et pour peu de temps; et afin de rendre cette surcharge moins onéreuse en général, il ne voulut pas que ceux qui par leurs priviléges étaient exempts des impositions extraordinaires, fussent dispensés de celle-ci.
[99] Ce corps, dont les soldats se nommaient Cataphractaires (en grec κατάφρακτος, armé de pied en cap), était composé d'Arméniens, de Mèdes, d'Arabes et d'autres Orientaux, au service des Romains.—S.-M.
Étant parti d'Antioche au mois d'octobre[100], il arriva le 28 à Emèse, passa par Laodicée et par Heliopolis. En approchant de l'Euphrate, il engagea au service des Romains quelques tribus des Sarrazins. Les Perses s'étaient déja retirés. Constance avança sans coup férir jusque sur leurs frontières. La seule crainte de ses armes pacifia l'Arménie. Les rebelles rentrèrent dans le devoir, renoncèrent à l'alliance des Perses, et reçurent leur roi qu'ils avaient chassé[101]. On ne sait si ce n'est pas à cette première expédition, qu'il faut rapporter ce que Libanius raconte d'une ville de Perse. Elle fut prise d'emblée: Constance fit grace aux habitants; mais il les obligea de quitter le pays, et les envoya en Thrace dans un lieu sauvage et inhabité, où ils s'établirent. L'auteur ne marque le nom ni de la ville prise, ni de celle qui fut fondée en Thrace. L'empereur ramena son armée à Antioche vers la fin de décembre[102], et prit le consulat pour la seconde fois avec son frère Constant.
[100] Il était dans cette ville le 11 de ce mois.—S.-M.
[101] Voyez la note ajoutée ci-devant § IX, p. 402, et ci-après § XIV.—S.-M.
[102] On connaît une loi de Constance, datée de cette ville, le 27 décembre 338. Il était à Laodicée le 1er février 339; à Héliopolis le 12 mars; à Antioche le 31, et à Constantinople le 13 août.—S.-M.
—[Pour mieux faire connaître toute l'importance et les véritables motifs de la guerre que Constance eut à soutenir contre le roi de Perse, il est nécessaire d'exposer l'état intérieur de l'Arménie, qui en fut, à ce qu'il paraît, la principale cause. Tiridate, le premier roi chrétien de ce pays, avait cessé de vivre en l'an 314, après un règne de cinquante-six ans[103]. A l'imitation de ses prédécesseurs, il fut l'allié des Romains, en ménageant cependant les rois de Perse, qui l'entraînèrent plusieurs fois dans des alliances passagères[104]. Son fils, Chosroès II, fut placé sur le trône par les Romains[105], qui lui fournirent une armée commandée par un certain Antiochus[106]. Il suivit une politique à peu près semblable: tranquille du côté de l'empire, pour l'être également du côté de l'orient, il se soumit à payer un tribut à la Perse. Cette soumission honteuse ne lui procura cependant pas le repos qu'il cherchait; il fut constamment harcelé par les Alains, les Massagètes et les autres Barbares du Nord, excités sous main par les Perses, et qui franchirent plusieurs fois le mont Caucase, pour faire des irruptions dans l'Arménie. Chosroès prit enfin le parti de rompre avec de perfides alliés, et d'implorer contre eux le secours des Romains. Il mourut alors, après un règne de neuf ans, et il laissa la couronne à son fils Diran, qui monta sur le trône en la dix-septième année de Constantin, en l'an 322. Arschavir, de la race de Camsar[107], le plus illustre des princes arméniens, le premier en dignité après le roi, saisit les rènes du gouvernement et conserva la couronne à Diran, qui, soutenu par les Romains, battit les Perses et les chassa de l'Arménie. Ce nouveau roi imita la conduite de son prédécesseur; en payant également tribut aux Romains et aux Perses, il chercha à garder la neutralité entre les deux empires. Il fut la victime de cette politique insensée.
[103] On voit que Gibbon (t. 2, p. 161 et 349-356, et 368; t. 3, p. 463) a cherché à faire usage dans son histoire, des renseignements fournis par Moïse de Khoren, le seul des historiens arméniens qui ait été traduit en latin (Lond. 1736, 1 vol. in-4o). Gibbon ne s'est pas aperçu de toutes les difficultés chronologiques que présentent les récits de cet écrivain. Il n'a pas songé à toutes les discussions critiques, que son texte devait subir, avant que de le combiner avec les récits des auteurs occidentaux. Faute d'une telle attention, Gibbon a rendu les renseignements qu'il y a puisés, plus fautifs qu'ils ne le sont dans l'original. Ce jugement s'applique même à tout ce que l'historien anglais a tiré de l'auteur arménien. L'histoire de Moïse de Khoren a été pour moi l'objet d'un travail particulier, dans lequel j'ai discuté son texte de tout point; et c'est avec confiance que je présente les résultats que je place ici, et ceux qui entreront dans la suite de mon travail supplémentaire. Pour faire juger de la différence, qui existe sur ce point, entre moi et Gibbon, je me contenterai de remarquer, qu'il a commis presque partout un anachronisme d'une trentaine d'années, d'où il s'ensuit qu'il rapporte au règne de Constance beaucoup d'événements, arrivés du temps de Constantin. Il n'a donc pu reconnaître la liaison véritable qui existe entre l'histoire romaine et celle d'Arménie, ni se faire une juste idée des raisons qui portèrent Constantin, vers la fin de sa vie, à faire la guerre aux Perses, non plus que des motifs qui retinrent si long-temps Constance dans l'Orient. Il n'en a même fait aucune mention.—S.-M.
[104] On sait que Tiridate fut obligé, vers la fin de son règne, de soutenir une guerre contre Maximin, à cause de son attachement pour le christianisme. Voyez ci-devant, l. 1, p. 76 et 77. Il paraît que, antérieurement, il avait, comme allié des Perses, soutenu plusieurs guerres contre les Romains; nous en avons pour preuve le surnom d'Armeniacus Maximus, que Galérius prenait pour la sixième fois, eu l'an 311, comme on le voit par l'édit qu'il publia au sujet des chrétiens. Voyez Euseb. Hist. eccl., l. 8, c. 17.—S.-M.
[105] Selon l'historien Moïse de Khoren (l. 2, c. 76), Tiridate, son père, aurait eu, avant son avénement, des relations intimes avec Licinius; on pourrait croire alors que ce fut cet empereur, qui rendit à Chosroès la couronne de ses aïeux. Licinius, depuis la mort de Maximin, arrivée au mois d'août de l'an 313, était le maître de tout l'Orient, et par conséquent en mesure de secourir les Arméniens.—S.-M.
[106] Il est question dans le Code Théodosien (l. 3, de inf. his quœ sub tyr.), d'un Antiochus qui vivait à la même époque, et qui était, en 326, préfet des veilles à Rome, præfectus vigilum. On voit dans un fragment du même ouvrage récemment découvert par M. Amédée Peyron, et inséré dans le t. 28 des Mémoires de l'académie de Turin, que cet Antiochus occupait déja les mêmes fonctions en l'an 319. Il se pourrait qu'il eût été antérieurement envoyé en Arménie.—S.-M.
[107] Les princes de la famille Camsaracane descendaient de la branche des Arsacides, qui régnait dans la Bactriane. Ils se réfugièrent en Arménie, sous le règne de Tiridate pour fuir les persécutions des Perses; ils y reçurent de ce prince les provinces d'Arscharouni et de Schirag, dans l'Arménie centrale, sur les bords de l'Araxes. Ils en conservèrent la possession jusqu'au huitième siècle. Voyez ce que j'ai dit à ce sujet, dans mes Mémoires historiques et géographiques sur l'Arménie, t. 1, p. 109, 111 et 112 et passim. Voyez aussi un article que j'ai inséré dans la Biographie universelle, t. 33, p. 324.—S.-M.
—Diran était dépourvu des qualités nécessaires à un roi, et l'Arménie ne fut sous son gouvernement qu'un théâtre de troubles. Plusieurs familles puissantes persécutées par lui embrassèrent secrètement le parti du roi de Perse, et favorisèrent les projets qu'il avait contre l'Arménie. Un traître nommé Phisak, chambellan du prince arménien, s'entendit avec Varaz-schahpour, gouverneur[108] de l'Atropatène[109], pour livrer son maître au roi de Perse. Excité par leurs sourdes manœuvres, celui-ci ne tarda pas à montrer des intentions hostiles, prétendant que Diran avait manifesté le désir de chasser de la Perse la race de Sasan, pour y replacer sa famille qui y avait régné autrefois. Le gouverneur de l'Atropatène, qui était d'accord avec le traître Phisak, sollicita une entrevue avec le roi d'Arménie, sous le prétexte de lui demander une explication: elle lui fut accordée. Varaz-schahpour entra alors en Arménie suivi de trois mille Perses, et il parvint dans le canton d'Abahouni[110], non loin des sources du Tigre et de l'Euphrate; là, au milieu d'une partie de chasse, secondé par ses infâmes auxiliaires, il surprend le roi sans défense, et il l'emmène prisonnier avec sa femme et le prince Arsace son fils. Diran fut à peine en la puissance de son ravisseur, que ce barbare le priva de la vue en lui faisant passer un charbon ardent sur les yeux; il le conduisit ensuite dans l'Assyrie où se trouvait Sapor. Les Arméniens, avertis trop tard du malheur de leur souverain, se mirent à la poursuite du général persan; mais ils ne purent l'atteindre, et quelques ravages commis sur le territoire ennemi furent la seule satisfaction qu'ils obtinrent. Tous les princes et les grands de l'Arménie, fidèles à la cause de leur patrie, s'assemblèrent pour aviser aux moyens de sauver l'état des malheurs qui le menaçaient. Ils résolurent d'un commun accord d'implorer l'assistance des Romains; Arschavir prince de Schirag, et Antiochus prince de Siounie[111], furent envoyés à Constantinople, pour y demander du secours. C'est en l'an 337 que cette révolution arriva. Il est facile de voir qu'elle fut la principale cause de la déclaration de guerre que Constantin fit aux Perses, et de l'expédition qu'il entreprit contre eux cette même année. Elle fut interrompue par sa mort, qui arriva dans ces circonstances; mais elle fut continuée par Constance, qui était à Antioche quand son père cessa de vivre. Il y avait seize ans que Diran régnait, quand il fut aveuglé par le perfide Varaz-schahpour.
[108] Les auteurs arméniens lui donnent le titre de Marzban, c'est-à-dire, commandant de frontière. C'était une des plus grandes dignités de la Perse. Voyez mes Mémoires historiques et géographiques sur l'Arménie, t. 1, p. 320.—S.-M.
[109] Ce pays nommé Aderbadagan par les Arméniens et par les anciens Perses, répond à l'Aderbaïdjan des modernes, il comprenait toute la partie montagneuse de la Médie, limitrophe de l'Arménie. Voyez Mémoires histor. et géogr. sur l'Arménie, t. I, p. 128 et 129.—S.-M.
[110] Voyez Mémoires sur l'Arménie, t. I, p. 100.—S.-M.
[111] La Siounie était une des provinces de l'Arménie orientale; elle formait une principauté particulière, qui se conserva dans la même famille, jusqu'à la fin du douzième siècle. Voyez Mémoires sur l'Arménie, t. I, p. 142 et 143.—S.-M.
—Cependant le roi de Perse n'avait pas perdu de temps pour entrer dans l'Arménie, secondé par les traîtres qui l'avaient appelé; il n'eut pas de peine à envahir tout le pays, et les princes fidèles n'eurent pas d'autre ressource que de se sauver sur le territoire romain, où ils trouvèrent un asile. Sapor prit des ôtages pour s'assurer de la soumission des princes, qui n'avaient pas quitté leur pays; puis il en confia le gouvernement à sa créature Vaghinag, parent du prince de Siounie, à qui il confia aussi le commandement de l'armée, chargée de défendre la frontière orientale de l'Arménie, et il en dépouilla le prince Amadounien[112] Vahan. Il porta ensuite ses armes sur les terres de l'empire[113]. Les Arméniens qui s'y étaient réfugiés rallièrent toutes leurs forces, et secondés par des troupes romaines, ils furent bientôt en mesure de reprendre l'offensive. L'empereur et les fugitifs arméniens vinrent camper à Satala[114], dans la partie septentrionale de la petite Arménie sur les bords de l'Euphrate, d'où ils se mirent en marche pour pénétrer dans la grande Arménie; arrivés dans la province de Pasen[115], au nord de l'Araxes, ils y rencontrèrent les Perses, qui furent complètement défaits auprès d'un bourg nommé Oskha. L'avantage fut si décisif, que les ennemis furent obligés d'abandonner toute l'Arménie. L'empereur en confia l'administration à Arschavir et à Antiochus[116]. Tous les princes qui s'étaient bien conduits furent comblés de présents, et magnifiquement récompensés par Constance.
[112] C'est le nom d'une famille de dynastes ou princes arméniens, qui passaient pour descendre d'une race juive venue de la Médie vers le premier siècle de notre ère. Voy. Moïse de Khoren, l. 2, c. 54.—S.-M.
[113] C'est à cette époque que les Arméniens, alliés de Sapor, firent sur le territoire romain les incursions dont parle Julien (orat. 1, p. 18 et 19, ed. Spanh.). Si l'on s'en rapportait au témoignage sans doute bien exagéré de l'historien arménien Moïse de Khoren (l. 3, c. 18), Sapor aurait à cette époque pénétré jusque dans la Bithynie.—S.-M.
[114] Cette ville se nomme en arménien Sadagh.—S.-M.
[115] Province de l'Arménie centrale, qui fut appelée Phasiane par les Grecs du moyen âge, et sur laquelle on peut voir les Mémoires historiques et géographiques sur l'Arménie, t. 1, p. 107.—S.-M.
[116] Voyez ci-devant p. 402 la note ajoutée au § IX.—S.-M.
—Ces revers, et sans doute le peu de succès qu'il obtenait du côté de la Mésopotamie et devant Nisibe, portèrent le roi de Perse à demander la paix, et à ajourner pour le moment ses desseins sur l'Arménie. L'empereur exigea avant tout la liberté de Diran et de ceux qui avaient été emmenés captifs avec lui. Sapor, pour montrer la sincérité de ses intentions, fit écorcher vif Varaz-schahpour, qui avait été la cause de la guerre, et Diran fut renvoyé avec honneur dans son royaume; mais ce prince, désormais incapable de régner par lui-même, refusa de reprendre la couronne. Son fils Arsace fut alors placé sur le trône par le roi de Perse[117]; pour Diran, il se retira dans une habitation qu'il avait choisie au pied du mont Arakadz[118], où il vécut encore long-temps. Quant à son fils, il suivit la politique versatile de ses prédécesseurs; son élévation, dont il était en partie redevable au roi de Perse, qui lui avait permis de rentrer en Arménie, le mit dans la dépendance de ce prince: il fut donc son tributaire. Par cette conduite il s'éloigna des Romains, dont la puissante assistance lui avait conservé la couronne. Il ne rompit cependant jamais entièrement avec eux. Toujours balotté entre les deux empires, toute la durée de son règne fut une longue série d'agitations et de troubles fomentés par Sapor, qui ne cessa de harceler l'Arménie qu'il convoitait. Après la victoire de Constance et la délivrance de ce royaume, par les troupes romaines, s'il consentit à laisser remonter Arsace sur le trône de ses aïeux, c'est qu'il sentit que, avec les pertes qu'il avait éprouvées, il fallait attendre une occasion plus favorable pour l'accomplissement de ses projets.]—S.-M.
[117] On pourrait même croire, d'après ce que dit Moïse de Khoren (l. 3, c. 18), qu'aussitôt après la prise et la mutilation de Diran, Sapor avait fait proclamer roi le fils de cet infortuné monarque; il serait possible qu'en effet Sapor en eût agi ainsi, pour faciliter ses succès, pendant qu'il retenait Arsace, dans ses états.—S.-M.
[118] Chaîne de montagnes dans la province d'Ararad au nord de l'Αraxes. Voyez Mém. sur l'Arménie, t. I, p. 47.—S.-M.
Sapor renfermé dans ses états s'occupa pendant les deux années suivantes à réparer ses pertes. C'était un temps précieux, dont Constance aurait pu profiter pour prendre ses avantages. Il pouvait se mettre en état d'entamer la Perse à son tour, ou du moins, par des mesures bien prises, obliger Sapor à se tenir sur la défensive. Mais ce prince imprudent ne portait pas ses vues dans l'avenir: au lieu de pourvoir à la sûreté de ses états, il passa ces deux années à brouiller les affaires de l'église, et à jeter les semences des troubles dont tout le reste de son règne fut agité. Il se transporte à Constantinople, et y fait tenir un concile où Paul est déposé. L'ambition d'Eusèbe fut enfin couronnée: il se vit installé sur le siége de la nouvelle capitale. Paul se réfugia à Trèves dans la cour de Constantin, qui servait d'asile aux prélats catholiques. Athanase n'était pas en repos à Alexandrie. Les Ariens y avaient donné un évêque à leur faction: c'était Pistus, autrefois chassé par Alexandre, et frappé d'anathème dans le concile de Nicée. Il fut ordonné évêque d'Alexandrie par Sécundus de Ptolémaïs; mais il n'en fit jamais les fonctions. Les ennemis d'Athanase mettaient tout en œuvre pour séduire le pontife romain, et les trois empereurs; mais leurs calomnies ne trouvaient de croyance, que dans l'esprit de Constance déja préoccupé. Il écrivit au saint prélat des lettres pleines de reproches, et n'eut aucun égard à ses réponses.
Tandis que la faction arienne dressait toutes ses batteries pour perdre Athanase, il fut délivré d'un de ses plus dangereux ennemis, parce que c'était peut-être le moins déclaré et le plus habile. Eusèbe de Césarée mourut. Il eut pour successeur son disciple Acacius, surnommé le Borgne; celui-ci ne fut guère moins savant, ni moins éloquent que son maître: mais il était plus entreprenant. Fier arien sous Constance, humble catholique sous Jovien, sa religion se plia toujours à ses intérêts.
Les consuls de l'année 340 méritent d'être connus: c'étaient Acyndinus et Proculus. Le premier, déja préfet d'Orient depuis deux ans, était un homme dur, mais assez équitable pour reconnaître ses fautes, et pour les réparer à ses propres dépens. Pendant qu'il était à Antioche, il condamna à la prison un habitant qui devait au fisc une livre d'or, et jura que s'il ne payait dans un certain terme, il le ferait mourir. Le terme approchait, et le débiteur était insolvable. Sa femme avait de la beauté. Un riche citoyen lui proposa d'acquitter sa dette, à condition qu'elle se prêterait à sa passion. Mais elle aimait son mari; elle ne voulut disposer du prix de sa délivrance qu'avec sa permission: le misérable y consentit. Ce honteux trafic eut la fin qu'il méritait. Le riche libertin ayant donné à cette infortunée un sac plein d'or, eut l'adresse de le reprendre et d'y substituer un sac rempli de terre. Retournée chez elle, dès quelle s'aperçut de la fraude, désespérée d'avoir commis un crime inutile, et résolue d'achever de perdre son honneur plutôt que son mari, à qui elle l'avait déja sacrifié, elle va porter sa plainte au préfet. Acyndinus jugea qu'il y avait quatre coupables; deux n'étaient que trop punis par leur honte et par leur malheur: il se chargea de punir les deux autres; c'étaient le riche perfide, et lui-même, dont les menaces cruelles avaient fait naître cette intrigue criminelle. Il prononça que la dette serait acquittée aux dépens d'Acyndinus, et que la femme serait mise en possession de la terre où le fourbe avait pris de quoi la tromper. Cet Acyndinus passa honorablement sa vieillesse à Baules en Campanie, où il avait une belle maison de campagne. L'autre consul Proculus était célèbre par sa naissance, par ses magistratures et par son mérite personnel. Il était fils de Q. Aradius [Rufinus] Valérius Proculus, qui avait été gouverneur de la Byzacène. Il fut élevé aux plus grands emplois[119]. Les inscriptions qui font mention de lui, disent qu'il était né pour tous les honneurs. Symmaque le fait descendre des anciens Valérius Publicola, et lui donne la gloire de soutenir cette illustre origine, par la dignité de ses mœurs, par sa franchise, sa constance, sa douceur sans faiblesse, et par sa piété envers les dieux: car il était païen, et revêtu des sacerdoces les plus distingués.
[119] Outre le gouvernement de la Byzacène, il avait été propréteur de Numidie, gouverneur de l'Europe, division de la Thrace, de la Sicile, et proconsul d'Afrique.—S.-M.
Ce fut sous ce consulat que le jeune Constantin se perdit par son imprudence. La querelle qui s'était élevée entre ce prince et Constant son frère, au sujet du nouveau partage, s'aigrissait de jour en jour. Un tribun, nommé Amphilochius, de Paphlagonie, ne cessait d'animer Constant, et le détournait de tout accommodement. Enfin, Constantin prit le parti de se faire justice par les armes, et passa les Alpes. Constant était en Dacie: il envoie ses généraux à la tête d'une armée, et se dispose à les suivre avec de plus grandes forces. Ses capitaines arrivés à la vue de l'ennemi près d'Aquilée, à la fin de mars ou au commencement d'avril[120], dressent une embuscade, et ayant engagé le combat feignent de prendre la fuite. Les soldats de Constantin s'abandonnent à la poursuite; et bientôt enfermés entre les troupes qui sortent de l'embuscade et les fuyards qui tournent visage, ils sont taillés en pièces. Constantin lui-même, renversé de son cheval, meurt percé de coups. On lui coupe la tête; on jette son corps dans le fleuve d'Alsa, qui passe près d'Aquilée. Il en fut apparemment retiré, puisqu'on montrait long-temps après son tombeau de porphyre à Constantinople, dans l'église des Saints-Apôtres. Il avait vécu près de vingt-cinq ans, et régné un peu plus de deux ans et demi depuis la mort de son père. Ayant perdu sa femme, il venait de contracter par députés un second mariage avec une Espagnole de noble origine, dont on ne dit ni le nom ni la famille. Constant profita seul de la dépouille de son frère: il devint maître de tout l'Occident. Constance moins ambitieux ou plus timide, se contenta de ce qu'il avait possédé jusqu'alors. Son empire se terminait au pas de Sucques: c'était un passage étroit entre le mont Hæmus et le mont Rhodope, qui séparait la Thrace de l'Illyrie. Le vainqueur déclara nulles les exemptions dont Constantin avait gratifié plusieurs personnes. La loi qu'il fit à ce sujet porte le caractère d'une haine dénaturée qui survivait à son frère: il le qualifie son ennemi et celui de l'état.
[120] On voit par une loi du code Théodosien que Constant était à Aquilée, le 9 avril, après la mort de Constantin.—S.-M.
Pendant le règne de Constantin, les trois princes avaient tantôt séparément, tantôt de concert établi plusieurs lois utiles. Nous allons en rapporter les principales, en y joignant celles qui ont été données sur les mêmes objets, jusqu'à la fin du règne de Constance. Constantin le Grand avait réprimé l'ambition de ceux qui se procuraient par argent ou par brigue des titres honorables. Cet abus subsistait, et ces titres avaient tellement multiplié les dispenses et les exemptions, que les fonctions municipales couraient risque d'être abandonnées. Les princes s'efforcèrent de remédier à ce désordre: ils réglèrent la forme et l'ordre de la nomination aux offices municipaux; ils n'en déclarèrent exempts que ceux qui ne possédaient pas vingt-cinq arpents de terre, ceux qui seraient entrés dans la cléricature avec le consentement de l'ordre municipal, et un petit nombre d'autres personnes distinguées par leurs emplois: ils enjoignirent aux décurions et aux magistrats, sous certaines peines, l'exactitude la plus scrupuleuse à s'acquitter de leurs obligations personnelles; ils prirent des mesures pour prévenir l'anéantissement du sénat des villes, et pour remplir les places vacantes; afin d'encourager ces utiles citoyens, ils renouvelèrent leurs priviléges. Les donations du prince prédécesseur, souvent attaquées sous un nouveau règne, furent confirmées, mais on soumit à l'examen les exemptions accordées par les gouverneurs. Le massacre de la famille impériale, et la confiscation des biens de ceux qu'on avait massacrés, faisaient naître mille accusations contre les personnes, mille chicanes sur les biens: les empereurs en arrêtèrent le cours par de sages lois; ce ne fut que dans les dix dernières années de la vie de Constance, que ce prince prêta l'oreille aux délateurs. Constantin avait proscrit les libelles anonymes; ses fils n'en témoignèrent pas moins d'horreur; ils défendirent aux juges d'y avoir égard: On doit, dit une loi de Constance, regarder comme innocent celui qui, ayant des ennemis, n'a point d'accusateur. Constance confirma les lois de son père contre l'adultère; il porta même encore plus loin la sévérité, en condamnant les coupables à être brûlés, ou cousus dans un sac et jetés dans la mer, comme les parricides; il ne leur laissa pas même la ressource de l'appel, quand ils étaient manifestement convaincus. Les formules de droit, dont l'exactitude syllabique rendait tous les actes épineux, furent abolies. Afin de ne pas laisser languir l'innocence dans les prisons, Constance ne donna aux juges que l'espace d'un mois pour instruire les procès des prisonniers, sous peine d'être eux-mêmes punis. On voit dans ce prince une grande attention à procurer au peuple de Constantinople les divertissements du théâtre et du cirque, et à en régler la dépense qui devait être faite par les préteurs. Julien lui reproche une haine déclarée contre les Juifs: en effet, il leur défendit sous peine de mort d'épouser des femmes chrétiennes; et il ordonna que les chrétiens qui se feraient Juifs, fussent punis par la confiscation de leurs biens. Mais une loi célèbre de Constance, datée de l'an 339, est celle par laquelle il défend, sous peine de mort, les mariages d'un oncle avec la fille du frère ou de la sœur, et tout commerce criminel entre ces mêmes personnes. Ces alliances étaient prohibées par les anciennes lois romaines. Mais lorsque l'empereur Claude voulut épouser Agrippine, fille de son frère Germanicus, le sénat, pour sauver l'infamie de l'inceste à ce prince stupide et voluptueux, avait déclaré par un arrêt qu'il serait permis d'épouser la fille d'un frère; et par une distinction bizarre, qui indiquait assez le motif du relâchement, on n'avait pas étendu cette permission à la fille de la sœur. Il ne tint qu'à Domitien de prendre pour femme la fille de Titus son frère; il aima mieux la laisser épouser à Sabinus, la corrompre ensuite, tuer son mari, vivre licentieusement avec elle, et lui procurer enfin la mort. Nerva rappela les anciennes lois; mais bientôt l'abus reprit le dessus, et se maintint jusqu'à l'établissement de la religion chrétienne. Sozomène dit en général, que Constantin défendit les unions contraires à l'honnêteté publique, qui étaient auparavant tolérées: mais nous n'avons de lui aucune loi précise contre les mariages des oncles et des nièces. Constance y attacha la peine de mort, qui fut modérée par l'empereur Arcadius. Ces alliances ont été depuis ce temps-là regardées comme incestueuses. Constance défendit aussi d'épouser la veuve d'un frère, ou la sœur d'une première femme, et déclara illégitimes les enfants sortis de ces mariages.
La mort du jeune Constantin privait Athanase de son plus zélé protecteur. Les Ariens renouvelèrent leurs efforts pour enlever encore au saint évêque l'appui de Constant: ils ne réussirent ni auprès de lui ni auprès du pape, qu'ils tâchèrent aussi d'ébranler. Silvestre était mort le dernier jour de l'année 335. Marc lui avait succédé, et n'avait vécu que jusqu'au mois d'octobre suivant. Jules, élu le 6 février 337, était alors assis sur la chaire de saint Pierre. C'était un pontife qui savait allier la douceur d'un pasteur avec la fermeté d'un chef de l'église; digne successeur de tant de saints et de tant de martyrs. Les Ariens lui députèrent un prêtre et deux diacres: ils lui envoyèrent les actes du concile de Tyr, comme un monument de leur triomphe; ils ajoutaient de nouvelles calomnies. L'évêque d'Alexandrie, instruit de leurs démarches, rassembla pour sa défense toutes les forces que l'église avait dans l'Égypte, dans la Pentapole et dans la Libye. Près de cent évêques se rendirent à Alexandrie: tous, d'un accord unanime, souscrivirent une lettre adressée au pape et à tous les évêques catholiques du monde. Athanase y était pleinement justifié contre toutes les accusations anciennes et nouvelles. Celles-ci roulaient sur trois chefs: il avait, disaient ses ennemis, violé les canons de l'église en rentrant dans son siége; déposé par un concile, il fallait un concile pour le rétablir; de plus, le peuple d'Alexandrie ne l'avait reçu qu'à regret; il ne s'était remis en possession que par la force et par le carnage; enfin il détournait à son profit les sommes que Constantin avait consacrées à la subsistance des pauvres de l'Égypte et de l'Afrique: cette dernière accusation était appuyée d'une lettre de Constance. Tels étaient les nouveaux reproches des Ariens. Le concile d'Alexandrie détruisait le premier chef, en faisant voir que le prétendu concile de Tyr n'avait été qu'un conventicule d'hérétiques, présidé par un comte, inspiré par la cabale, guidé par la violence: il donnait le démenti aux accusateurs sur les deux autres articles; les témoins du rétablissement d'Athanase déposaient de l'empressement et de la joie qui avaient éclaté à son retour; et sa fidélité dans la distribution des aumônes était prouvée par l'attestation des évêques qu'il avait employés à ce pieux ministère. Les députés du concile chargés de cette lettre eurent, en présence du pape, avec les envoyés des Ariens une conférence, dont ils remportèrent tout l'avantage. Les uns et les autres offrirent de s'en remettre à la décision d'un nouveau concile qui serait tenu à Rome, et auquel le pape présiderait. Jules accepta la proposition; il indiqua le concile; mais il refusa de donner audience à Pistus, que la cabale avait nommé évêque d'Alexandrie. Les députés d'Eusèbe n'espérant rien d'une affaire traitée dans les règles, et confus du peu de succès de leurs intrigues, partirent précipitamment de Rome. Le pape envoya à Athanase une copie des actes de Tyr, afin qu'il se préparât à se justifier.
Il n'était pas question d'apologie. Constance voulait qu'Athanase fût coupable; il rougissait secrètement d'avoir été forcé par ses frères de lui rendre justice; il prétendait s'en venger sur Athanase même; et la mort du jeune Constantin lui en laissait plus de liberté. L'année suivante, sous le consulat de Marcellinus et de Probinus, il assembla dans la ville d'Antioche un grand nombre de prélats, pour y célébrer la dédicace de la grande église, appelée l'Église d'or. Ce superbe édifice, commencé par le grand Constantin, était enfin achevé. Constance assista à cette brillante cérémonie avec plus de quatre-vingt-dix évêques, tous de ses états. La dédicace fut suivie d'un concile, qui fait encore aujourd'hui un sujet de dispute. Les canons qu'il composa, ont été reçus de toute l'Église: les trois professions de foi qui y furent dressées ne renferment rien que d'orthodoxe, quoique la première contienne quelques propositions équivoques, et que le terme de consubstantiel n'y soit pas exprimé, non plus que dans les deux autres. D'habiles critiques distinguent deux parties dans ce concile: il fut d'abord composé de tous les évêques qui étaient venus à Antioche, et dont la plupart étaient catholiques: les professions de foi, les canons et la lettre synodique sont leur ouvrage. Mais après le concile quarante prélats ariens, dévoués aux volontés de l'empereur, restèrent assemblés: c'était là dans l'intention de Constance le vrai concile; la cérémonie et la convocation des autres prélats n'avaient servi que de prétexte. Ils voulurent signaler la dédicace de l'église d'Antioche par la condamnation de leur plus redoutable adversaire, comme ils avaient six ans auparavant signalé la dédicace de l'église de Jérusalem par la réception d'Arius leur maître. La sentence de déposition prononcée à Tyr fut renouvelée. On avait déja nommé Pistus pour remplir le siége d'Alexandrie; mais il fut oublié comme incapable de soutenir un rôle si important. On jeta les yeux sur Eusèbe d'Édesse, homme savant, instruit par Eusèbe de Césarée, et Arien décidé. Il était trop habile pour accepter une place où il ne pouvait se flatter de réussir. Dans un voyage qu'il avait fait à Alexandrie, il avait été témoin de l'amour du peuple pour Athanase. Il refusa. On le fit dans la suite évêque d'Émèse; il passa pour un saint parmi ceux de sa secte; Constance le menait avec lui dans ses expéditions, et se conduisait par ses avis dans les choses qui regardaient l'église.
Au refus d'Eusèbe, on nomma Grégoire. Né en Cappadoce, il avait fait ses études à Alexandrie. La reconnaissance, s'il en eût été capable, l'aurait attaché à la personne d'Athanase, qui l'avait traité comme son fils. Mais ni les études d'Alexandrie, ni les bienfaits d'Athanase n'avaient adouci la rudesse de ses mœurs, et la grossièreté naturelle au pays de sa naissance. Personne n'était plus propre à seconder les desseins violents et sanguinaires de ceux qui l'avaient choisi. Il part, et Constance le fait accompagner de Philagrius qu'il nomme préfet d'Égypte une seconde fois, et de l'eunuque Arsace, avec une troupe de soldats. C'était ce même Philagrius, dont j'ai parlé au sujet des informations faites dans la Maréotique pendant le concile de Tyr: il était Cappadocien comme Grégoire; et sa cruauté armée des ordres du prince s'empressait d'éclater en faveur d'un compatriote[121]. Ils arrivèrent à la fin du carême de l'an 342. L'église d'Égypte était alors dans un calme profond, et les fidèles se préparaient à la fête de Pâques par les jeûnes et par les prières. Le préfet fait afficher un édit, qui déclare que Grégoire de Cappadoce est nommé successeur d'Athanase, et qui menace des plus rigoureux châtiments ceux qui oseront s'opposer à son installation. L'alarme se répand aussitôt: on s'étonne de l'irrégularité du procédé; on s'écrie que ni le peuple, ni le clergé, ni les évêques n'ont porté de plainte contre Athanase, que Grégoire n'amène avec lui que des Ariens, qu'il est arien lui-même et envoyé par l'arien Eusèbe. On s'adresse aux magistrats: toute la ville retentit de murmures, de protestations, de cris d'indignation.
[121] Saint Grégoire de Nazianze parle cependant (orat. 21, t. I, p. 390 et 391) en termes honorables de ce préfet.—S.-M.
Pendant ce tumulte, Grégoire entre comme dans une ville prise d'assaut. Les païens, les Juifs, les gens sans religion et sans honneur, attirés par Philagrius, se joignent aux soldats. Cette troupe insolente, armée d'épées et de massues, force l'église de Cyrinus, où les fidèles s'étaient réfugiés comme dans un asyle: on met le feu au baptistère; on le souille par les plus horribles abominations. On dépouille les vierges, on leur fait mille outrages; quelques-uns les traînent par les cheveux, et les forcent de renoncer à Jésus-Christ, ou les mettent en pièces. Les moines sont foulés aux pieds, meurtris de coups, massacrés, assommés. Grégoire pour récompenser le zèle des Juifs et des païens, leur abandonnait le pillage des églises; et ces impies non contents d'en enlever les vases et les meubles, profanaient la table sacrée par des oblations sacriléges. Ce n'était que blasphèmes, que feux allumés pour brûler les livres saints, qu'images affreuses de la mort. Les Ariens, au lieu d'arrêter ces excès, traînaient eux-mêmes les prêtres, les vierges, les laïcs devant les tribunaux qu'ils avaient établis pour servir leur fureur; on condamnait les uns à la prison, les autres à l'esclavage; d'autres étaient frappés de verges; on retranchait aux ministres de l'église le pain des distributions, et on les laissait mourir de faim. Le vendredi saint, Grégoire, accompagné d'un duc païen nommé Balacius, entre dans une église; irrité de voir que les fidèles ne le regardaient qu'avec horreur, il anime contre eux l'humeur barbare de ce duc, qui fait saisir et fouetter publiquement trente-quatre personnes, tant vierges que femmes mariées et hommes libres. Philagrius avait ordre de Constance de faire trancher la tête à Athanase; les Ariens se flattaient de le surprendre dans un lieu de retraite, où il avait coutume de passer une partie de ce saint temps: mais il s'était retiré ailleurs. La sainteté du jour de Pâques ne fut pas respectée; et tandis que le reste de l'église célébrait avec joie la rédemption du genre humain, celle d'Alexandrie éprouvait toutes les rigueurs de la plus dure captivité. Philagrius ayant pillé les églises, les livrait à Grégoire qui en prenait possession; et les fidèles étaient réduits à la nécessité de s'en interdire l'entrée, ou de communiquer avec les Ariens. On ne baptisait plus les catholiques; leurs malades expiraient sans consolation spirituelle: la privation des sacrements de l'église était pour eux plus affligeante que la mort même; mais ils aimaient mieux mourir sans ces secours salutaires, que de sentir sur leurs têtes les mains sacriléges et meurtrières des Ariens. Grégoire, altéré du sang d'Athanase, se vengea de sa fuite sur la tante de ce saint prélat, qu'il accabla de mauvais traitements. Elle ne put y survivre; il défendit qu'on l'enterrât; et elle serait restée sans sépulture, si des personnes animées d'un esprit de charité n'eussent dérobé son corps à ce persécuteur opiniâtre.
Il est vrai que Constance n'avait pas ordonné ces cruautés; mais il ne devait pas ignorer que les souverains sont heureux quand le bien qu'ils commandent est à demi exécuté, et que le mal qu'ils permettent est toujours porté fort au-delà de ce qu'ils ont permis. Grégoire et Philagrius en vinrent eux-mêmes à craindre que l'empereur ne condamnât de si étranges excès. Pour lui en ôter la connaissance, Grégoire d'un côté attribuait à Athanase tous les maux dont il était l'auteur; c'était sur ce ton qu'il écrivait à Constance; et le prince abusé par sa propre prévention ajoutait foi à ces mensonges. D'un autre côté, le préfet défendit sous les plus terribles menaces aux navigateurs qui partaient d'Alexandrie, de rien dire de ce qu'ils avaient vu; il les contraignit même de se charger de lettres, où la vérité était entièrement défigurée; et ceux qui refusèrent de se prêter à l'imposture, furent tourmentés et retenus dans les fers. Il supposa un décret du peuple d'Alexandrie conçu dans les termes les plus odieux, et adressé à l'empereur, par lequel il paraissait qu'Athanase avait mérité non pas l'exil, mais mille morts. Ce décret fut signé par des païens, par des Juifs, et par les Ariens qui les mettaient en œuvre.
Après s'être rendu maître de la capitale, le nouveau conquérant songea à réduire toute la province. Grégoire se mit en marche avec Philagrius et Balacius, pour faire la visite des églises d'Égypte. Environné d'un cortége brillant, il ne témoignait que du mépris aux ecclésiastiques; mais il prodiguait les égards aux officiers de l'empereur et aux magistrats. Assis sur un tribunal entre le duc et le préfet, il faisait traîner devant lui les évêques, les moines, les vierges; il les exhortait en deux mots, ou plutôt il leur ordonnait de communiquer avec lui. Sur leur refus, affectant la contenance d'un juge, cet hypocrite impitoyable les faisait, avec un sang-froid plus cruel que la colère, déchirer de verges et meurtrir de coups: les plus favorisés en étaient quittes pour la prison ou pour l'exil. L'évêque Potamon, célèbre confesseur, l'un des pères de Nicée, et qui avait perdu un œil dans la persécution de Maximin, fut frappé à coups de bâton sur le col jusqu'à être laissé pour mort; et il en mourut peu de jours après. Grégoire, ayant reçu une lettre de saint Antoine, qui le menaçait de la colère de Dieu, la donna avec mépris à Balacius; celui-ci la jeta par terre, cracha dessus, maltraita les envoyés du saint, et les chargea de dire à leur maître, qu'il allait incessamment lui rendre visite. Cinq jours après, Balacius, ayant été mordu par un de ses chevaux, mourut en trois jours. Cette persécution continua, mais avec moins de violence, pendant les cinq années que Grégoire occupa le siége d'Alexandrie.
L'Égypte n'était pas le seul théâtre de ces sanglantes tragédies. Marcel d'Ancyre, Asclepas de Gaza, Lucius d'Andrinople [Hadrianopolis] furent chassés de leurs siéges. Constance, à la requête d'Eusèbe, condamna à mort Théodule et Olympius, l'un évêque de Trajanopolis, l'autre d'Énos, villes de Thrace. Comme ils avaient pris la fuite, il ordonna qu'ils fussent exécutés partout où on les pourrait trouver; et l'on vit, dit un auteur judicieux, par une procédure si contraire à la liberté de l'église et aux sentiments de l'humanité, que les hérétiques ne respiraient que la mort et le sang de leurs frères. Ces deux évêques échappèrent à cette proscription cruelle.
Athanase, du fond de sa retraite, portait aux Ariens des coups mortels. Il écrivit à tous les évêques orthodoxes une lettre circulaire, pleine d'éloquence et de dignité. Elle commence par un trait sublime, qui seul peut faire sentir la beauté et la vigueur du génie de ce grand personnage. Il se compare à ce lévite qui, voyant le corps de sa femme, victime des plus horribles outrages, le coupa en douze parts et les envoya aux tribus d'Israël. Sa lettre n'excita pas moins d'indignation contre ces nouveaux Benjaminites, qui avaient souillé par tant de forfaits l'église d'Alexandrie. Le pape Jules, résolu de tenir le concile, que les députés d'Eusèbe avaient eux-mêmes proposé, manda Athanase, qui se rendit aussitôt à Rome. Eutropia, sœur du grand Constantin, le reçut avec honneur; et pendant dix-huit mois qu'il attendit ses accusateurs, il répandit dans l'Occident les premières semences de la vie monastique, qui fleurissait déja dans les déserts d'Égypte et de Syrie. Jules ouvrit les bras aux évêques persécutés, mais il rejeta l'arien Carponas et les autres députés, que lui envoyait Grégoire pour lui demander sa communion. Ces funestes divisions semblaient sur le point d'être terminées par le jugement du synode, auquel les deux partis avaient offert de se soumettre. Il ne manquait plus que les évêques d'Orient qui devaient comparaître en qualité d'accusateurs. Le pape les envoya inviter par les prêtres Elpidius et Philoxène. Mais ces prélats, faisant réflexion que ce concile serait un jugement purement ecclésiastique; qu'on n'y verrait ni comte, ni gouverneur, ni soldats; et que les décisions n'y seraient pas dictées par l'ordre du prince, refusèrent de s'y rendre. Ils prirent pour prétexte de leur refus la crainte qu'ils avaient des Perses; et ces prélats, qui feignaient de n'oser aller à Rome au-delà de la mer, où les Perses n'étaient nullement à craindre, couraient comme des furieux tout l'Orient, et allaient jusque sur la frontière de Perse chercher leurs adversaires, et les chasser de leurs églises. Afin d'éluder le concile, ils retinrent à Antioche les députés du pape, jusqu'après le terme de la convocation.
Dans cet intervalle mourut Eusèbe. Il n'avait joui que trois ans de la qualité d'évêque de Constantinople, qu'il avait achetée par tant d'années de crimes. Le parti arien faisait une grande perte; mais il trouvait encore des ressources dans l'opiniâtreté inflexible de Théognis de Nicée, de Maris de Chalcédoine, et de Théodore d'Héraclée. C'étaient des vieillards consommés dans les intrigues de l'hérésie, auxquels s'étaient joints depuis peu deux jeunes prélats, ignorants, mais bouillants et téméraires, Ursacius, évêque de Singidunum dans la haute Mésie, et Valens, évêque de Mursa dans la basse Pannonie[122]. Après la mort d'Eusèbe, la discorde se ralluma entre les partisans de Paul et ceux de Macédonius. Les catholiques prétendaient rétablir Paul injustement dépossédé. Les Ariens, ayant à leur tête Théognis et Théodore, installèrent Macédonius: les esprits s'échauffèrent; on en vint aux armes, et plusieurs citoyens périrent de part et d'autre. Constance était à Antioche[123]. Averti de ce désordre, il ordonna à Hermogène, général de la cavalerie qu'il envoyait en Thrace, de passer à Constantinople, et de chasser Paul de la ville. Hermogène, à la tête de ses cavaliers, va arracher Paul de l'église où il s'était retiré; le peuple se soulève, attaque les soldats; le général se sauve dans une maison; on y met le feu; on égorge Hermogène; on traîne son corps par les pieds dans les rues de la ville, et on le jette à la mer. A cette nouvelle, Constance enflammé de colère monte à cheval; c'était la saison de l'hiver; il accourt en diligence à Constantinople, malgré les pluies et les neiges; il ne respire que punition et que vengeance. Mais à son arrivée, touché de voir le sénat et le peuple fondants en larmes et prosternés à ses pieds, il fit grace de la vie à tous, et se contenta, pour châtier la ville, de lui retrancher la moitié des quatre-vingt mille mesures de blé, qu'on distribuait tous les jours au peuple en conséquence de l'établissement de Constantin. Il chassa Paul, mais sans confirmer l'élection de Macédonius, dont il était mécontent, parce qu'il avait eu part à la première sédition, et parce qu'il s'était fait ordonner évêque sans avoir pris l'agrément de l'empereur. Il lui permit cependant de faire les fonctions épiscopales dans l'église où il avait été ordonné, et repartit ensuite pour Antioche.
[122] Socrate place au contraire cette ville dans la haute Pannonie, Οὺάλης Μουρσῶν τῆς ἄνω Παννονίας; il est d'accord en cela avec l'auteur de l'Itinéraire de Bordeaux à Jérusalem, qui vivait vers la même époque. La Pannonie se divisait en deux provinces, distinguées en première et seconde; celle-ci, où se trouvaient les villes de Sirmium, de Cibalis et de Mursa, était ordinairement nommée Pannonie inférieure, mais quelques auteurs, comme on vient de le voir, l'appelaient supérieure, tandis qu'ils réservaient le nom d'inférieure à la première Pannonie. On peut consulter, à ce sujet, Henri de Valois, sur Ammien Marcellin, l. 16, cap. 10, et Wesseling, sur l'Itinéraire de Jérusalem (apud Itineraria Romanorum vetera, p. 561).—S.-M.
[123] Des lois de ce prince nous apprennent qu'il était à Antioche le 5 avril et le 11 mai 342.—S.-M.
Paul, exilé d'abord à Singara en Mésopotamie, eut la liberté de revenir à Thessalonique. Il alla bientôt chercher un asyle dans la cour de Constant. Les Ariens avaient inutilement tenté de gagner ce prince. Il chérissait Athanase, et respectait sa vertu héroïque et son grand savoir. Quoique peu réglé dans ses mœurs, il aimait la vérité; il la cherchait dans les livres saints, et il s'était adressé à l'évêque d'Alexandrie pour les avoir dans une forme commode, parce que les Égyptiens s'entendaient mieux que les autres à copier et à relier les livres. Athanase lui écrivit; il lui fit une peinture touchante de la guerre cruelle des Ariens contre l'Église; il lui rappela le grand concile de Nicée, et le zèle de son père qui avait formé cette sainte assemblée. Cette lettre fit verser des larmes au jeune prince, et ralluma dans son ame la même ardeur dont Constantin avait été embrasé pour la religion. Il écrivit à Constance; il l'exhortait à imiter la piété de leur père: Conservons-la, lui disait-il, comme la plus précieuse portion de son héritage; c'est sur ce fondement solide qu'il a établi son empire; c'est par elle qu'il a terrassé les tyrans et dompté tant de nations barbares. Il le priait de lui envoyer quelques évêques du parti d'Eusèbe, pour l'instruire des causes de la déposition de Paul et d'Athanase. Constance n'osa refuser à son frère ce qu'il demandait. Il fit partir, l'année suivante 343, Narcisse de Néronias[124], Maris de Chalcédoine, Théodore d'Héraclée et Marc d'Aréthuse. Pour se faire mieux écouter du jeune empereur, ils lui portèrent une nouvelle formule de foi, qui ne pouvait être suspecte que par le soin qu'ils avaient eu d'y éviter le mot consubstantiel. C'en fut assez à Constant pour la rejeter; éclairé par les conseils de Maximin, évêque de Trêves, il les renvoya avec mépris, et continua de protéger la foi et les évêques qui en étaient les défenseurs et les martyrs.
[124] Cette ville, qui était en Cilicie, se nommait aussi Irénopolis.—S.-M.
Les prélats ariens, après avoir long-temps retenu Elpidius et Philoxène, les renvoyèrent enfin chargés d'une lettre, qui ne s'accordait guère avec la première proposition qu'ils avaient faite de s'en rapporter au jugement d'un synode auquel le pape présiderait. Ils se plaignaient que Jules prétendît juger de nouveau un évêque condamné par le concile de Tyr: c'était, selon eux, un attentat contre l'Église entière, dont Jules s'érigeait en souverain; ils lui déclaraient qu'ils n'auraient point de communion avec lui, s'il n'adhérait à leurs décrets. Lorsque cette lettre fut rendue au pape, le synode de Rome, composé de cinquante évêques, était déja commencé. Jules avait inutilement attendu les évêques accusateurs. Enfin le terme étant depuis long-temps expiré, il avait fait l'ouverture du synode. Athanase y fut absous aussi-bien que Paul, Marcel, Asclépas et les autres prélats persécutés par la faction. Jules, après avoir encore pendant plusieurs jours tenu secrète la lettre des Orientaux, dans l'espérance de recevoir quelques députés de leur part, la communiqua enfin au concile. On le pria d'y répondre; et cette réponse pleine d'onction et de force, est un des plus beaux monuments de l'histoire de l'Église. Les reproches des Ariens y sont tournés contre eux-mêmes; tous leurs prétextes sont réfutés; il leur fait honte des violences exercées à Alexandrie et ailleurs; il réduit en poudre les accusations suscitées contre Athanase, Marcel et les autres orthodoxes; il y établit les règles solides des jugements ecclésiastiques. Le pape, en confondant les adversaires, les traite avec une charité digne du premier pasteur de l'Église. Il n'y avait point encore de rupture ouverte entre l'Orient et l'Occident; les partisans de l'arianisme dissimulaient et rejetaient encore de bouche la doctrine d'Arius: Jules ne croyait pas qu'il fût temps de les démasquer; il évitait de faire un schisme; il aimait mieux, s'il était possible, guérir la plaie de l'Église, que de la rendre incurable en la découvrant. La justification d'Athanase ne produisit aucun effet sur le cœur endurci de Constance. Le saint prélat resta en Occident jusqu'après le concile de Sardique. J'ai rapporté sans interruption toute la suite de cette affaire. Le concile de Rome ne se tint qu'en l'année 343, selon la nouvelle chronologie d'un habile critique d'Italie[125]. Je vais reprendre les autres événements de l'année 341.
[125] C'est du P. Mamachi que Lebeau veut parler.—S.-M.
Pendant que Constance, renfermé à Antioche avec des évêques, employait toute sa puissance à faire triompher la cabale arienne, les Perses ravageaient la Mésopotamie. Ce fut pour couvrir ce pays qu'il ajouta de nouvelles fortifications à la ville d'Amid[126]. Ce n'était qu'une petite bourgade, lorsque Constance, encore César, l'environna de tours et de murailles, pour servir de place de sûreté aux habitants du voisinage[127]. Il avait dans le même temps bâti ou réparé Antoninopolis, environ à trente lieues d'Amid vers le midi. Cette année il établit dans Amid un arsenal pour les machines de guerre: il en fit une forteresse redoutable aux Perses, et voulut même qu'elle portât son nom. Mais l'ancien nom prévalut. Elle était située au pied du mont Taurus, entre le Tigre qui fait un coude en cet endroit, et le fleuve Nymphéus qui, coulant au nord de la ville, allait à peu de distance se jeter dans le Tigre[128]. Elle avait à l'occident la Gumathène, pays fertile et cultivé, où était un bourg nommé Abarné, fameux par des sources d'eaux chaudes et minérales. Dans le centre même d'Amid, au pied de la citadelle, sortait à gros bouillons une fontaine, dont les eaux étaient ordinairement bonnes à boire, mais devenaient quelquefois infectées par des vapeurs brûlantes. L'empereur commit à la garde de cette ville la cinquième légion appelée Parthique, avec un corps considérable d'habitants du pays. Elle devint dans la suite métropole de la Mésopotamie, proprement dite, comme Édesse l'était de l'autre partie nommée l'Osrhoène.
[126] Dans mes Mémoires historiques et géographiques sur l'Arménie, t. 1, p. 166-173, je crois avoir démontré que cette ville, nommée encore par les Arméniens Dikranagerd, c'est-à-dire, la ville de Tigrane, est la même que la célèbre Tigranocerte, dont la position nous était resté inconnue.—S.-M.
[127] Il paraîtrait, d'après ce que disent les auteurs arméniens, qui parlent des siéges opiniâtres soutenus par Tigranocerte ou Amid, que cette ville n'avait pas cessé de faire partie de l'Arménie. Il est au moins constant, par le témoignage de Procope (de Bell. Pers. l. 1, c. 17), qu'elle était dans la partie de la Mésopotamie qu'on appelait Arménie. Si cette ville ne faisait pas partie intégrante de l'empire, et si elle n'était qu'une place d'Arménie occupée par une garnison romaine, ce serait une nouvelle raison en faveur de l'opinion que j'ai émise dans la note ajoutée, l. v, § 60.—S.-M.
[128] A latere quidem australi, geniculato Tigridis meatu subluitur propius emergentis; quà Euri opponitur flatibus Mesopotamiœ plana despectat. Unde Aquiloni obnoxia est, Nymphœo amni vicina, verticibus Taurinis umbratur, gentes Transtigritanas dirimentibus et Armeniam: spiranti Zephyro contraversus Gumathenam contingit, regionem uberem, cultu juxta fecundam. Amm. Marc. l. 18, c. 9.—S.-M.
On commença en ce temps-là à sentir en Orient des tremblements de terre, qui durèrent près de dix ans à plusieurs reprises. La terre trembla dans Antioche pendant une année entière: le péril fut grand surtout durant trois jours. Plusieurs autres villes furent ruinées. Saint Éphrem, diacre d'Édesse, qui parle des faits dont il a pu être témoin oculaire, dit que les montagnes d'Arménie, s'étant d'abord écartées l'une de l'autre, se heurtèrent ensuite avec un horrible fracas; qu'il en sortit des tourbillons de flamme et de fumée, et qu'après cette effrayante agitation elles se replacèrent sur leur base.
L'Occident n'était guère plus tranquille. Les Francs s'étaient jetés dans la Gaule; et le nom seul de cette nation ne répandait pas moins d'alarmes, que les fléaux les plus terribles. Voici le portrait qu'en fait un orateur du temps, à l'occasion de l'incursion dont je parle: «Ils sont, dit-il, redoutables par leur nombre, mais plus encore par leur valeur: ils bravent la mer et ses orages avec autant d'intrépidité, qu'ils marchent sur la terre; les frimas du Nord leur sont plus agréables que l'air le mieux tempéré: la paix est pour eux une calamité, une maladie; leur bonheur, leur élément naturel, c'est la guerre: vainqueurs, ils ne cessent de poursuivre; vaincus, ils cessent bientôt de fuir, et reviennent à la charge: incommodes à leurs voisins, ils ne leur laissent pas le temps de quitter le casque; rester dans le repos, c'est pour eux la plus dure captivité.» Constant essaya ses forces contre cette nation guerrière; il leur livra plusieurs combats, dont les succès furent balancés[129].
[129] Deux lois données le même jour nous font voir que Constant était à Lauriacum, dans la Pannonie (actuellement Lorch dans la Basse-Autriche), le 25 juin 341.—S.-M.
Il fut plus heureux l'année suivante, dans laquelle il fut consul pour la seconde fois, et Constance pour la troisième. Les Francs furent domptés, et obligés de repasser le Rhin, et de recevoir pour rois des princes attachés à l'empereur, qui surent, tant qu'il vécut, contenir ces esprits inquiets. Une expression d'Idatius donne cependant lieu de croire qu'on employa les négociations, ou même l'argent plutôt que la force; et un panégyriste flatteur, et par conséquent digne de foi dans ce qui lui échappe de peu favorable, convient que les Francs ne furent pas réduits par les armes.
La paix rétablie dans la Gaule laissa à Constant la liberté de passer dans la Grande-Bretagne, sous le consulat de Placidus[130] et de Romulus. Les Calédoniens menaçaient la province. L'empereur n'annonça son dessein que par un impôt extraordinaire, qu'il leva en ce temps-là pour armer une flotte. Voulant surprendre les ennemis, qui se croyaient en sûreté, du moins pendant l'hiver[131], il s'embarqua à Boulogne [Bononia] à la fin de janvier[132], et prit les devants accompagné seulement de cent soldats. On ignore le détail de cette expédition[133]. Si l'on s'en rapporte aux éloges donnés à Constant sur ses médailles, il terrassa les Barbares[134]. Mais ces monuments sont sujets à donner de l'éclat aux moindres succès, et le métal même sait flatter. On ne peut non plus rien conclure, en faveur de Constance, de ce que dit une chronique, qu'il triompha des Perses cette année. Un orateur qui ne lui a pas épargné les éloges pendant sa vie, lui a reproché après sa mort d'avoir souvent triomphé sans avoir vu l'ennemi, et même après avoir été vaincu[135].
[130] M. Mæcius Memmius Furius Balburius Cæcilianus Placidus et son collègue Flavius Pisidius Romulus.
[131] Ilyeme, quod nec factum est aliquando, nec fiat, tumentes ac sœvientes undas calcastis Oceani, dit Julius Firmicus Maternus, c. 29.—S.-M.
[132] On voit par une loi que Constant était à Boulogne, le 25 janvier 343. Il existe des médailles de ce prince qui portent au revers la légende BONONIA. OCEANEN. Elles furent sans doute frappées pendant son séjour à Boulogne, à l'occasion de son passage en Angleterre.—S.-M.
[133] Elle fut courte à ce qu'il paraît, d'après une loi de Constant, datée de Trèves, le 30 juin 343, sans doute après son retour.—S.-M.
[134] Beaucoup de médailles de Constant, portent la légende TRIUMFATOR ou TRIVMPHATOR GENTIVM BARBARARVM, en mémoire sans doute des victoires qu'il avait emportées sur les Francs et les Calédoniens.—S.-M.
[135] Il est certain cependant que Constance passa la plus grande partie de cette année dans l'Orient, probablement à cause de la guerre qu'il y faisait aux Perses, soit en personne, soit par ses généraux. Il était à Antioche le 18 février, et à Hiérapolis le 27 juin et le 4 juillet.—S.-M.
Il paraît cependant que l'année suivante, Léontius et Sallustius étant consuls, Constance remporta quelque avantage sur les Perses. On parle d'un combat où ceux-ci firent une grande perte. Mais ce qui rend cette année plus mémorable, c'est le désastre de Néocésarée, ville située dans le Pont sur le fleuve Lycus, et célèbre depuis un siècle par les miracles de son évêque saint Grégoire, surnommé le Thaumaturge. Un tremblement de terre avait, un an auparavant, ruiné une grande partie de la ville de Salamine, dans l'île de Cypre. Ce fléau, qui se communiquait aux diverses contrées de l'Orient, éclata à Néocésarée. La terre s'ouvrit; toute la ville fut abîmée, à la réserve de l'église et de la maison épiscopale. Ce fut le privilége de cette église, où le Thaumaturge était enterré, de rester entière lorsque le reste de la ville tombait en ruines; et l'histoire en fait la remarque en plusieurs occasions. Il n'échappa qu'un petit nombre d'habitants, qui se trouvèrent alors dans l'église avec l'évêque Théodule. Pour achever l'histoire de ces terribles secousses si ordinaires en ce temps-là, l'année suivante 345, l'île de Rhodes fut presque entièrement bouleversée; en 346, Dyrrachium, aujourd'hui Durazzo, sur les côtes de l'Albanie, tomba toute entière. Rome fut ébranlée pendant trois jours et trois nuits, et douze villes de Campanie furent ruinées; enfin, l'an 349, Baryte, une des principales villes de la Phénicie, renommée par son école de jurisprudence, fut en grande partie détruite. Théophane rapporte que la plupart des païens se réfugièrent dans l'église, promettant d'embrasser la religion chrétienne: mais que le péril étant passé, ils se crurent quittes de leur promesse, en s'assemblant en un lieu qu'ils appelèrent Oratoire, où ils contrefaisaient les cérémonies du christianisme, sans renoncer à leurs anciennes superstitions.
Constance ne manquait pas de zèle pour répandre chez les nations étrangères les semences de la foi; mais elles étaient mêlées d'ivraie; on y portait en même temps l'arianisme. Les Homérites habitaient l'Arabie Heureuse, vers la jonction du golfe Arabique et de l'Océan, près du royaume de Saba[136]. Leur capitale se nommait Taphar[137]. Outre plusieurs autres villes, il y avait deux ports: l'un sur la côte qu'on appelait dès-lors la côte d'Aden[138], fréquenté par les négociants romains; l'autre plus à l'Orient, ouvert aux vaisseaux des Perses. Cette nation était très-nombreuse; elle prétendait descendre d'Abraham par un fils de Cétura[139]. L'Évangile y avait été porté d'abord, à ce qu'on croit, par l'apôtre saint Barthélemi, et dans le siècle suivant par Panténus, prêtre d'Alexandrie. Mais la foi s'y étant éteinte, on y adorait alors le soleil, la lune et les dieux du pays. Il y avait beaucoup de Juifs: tout le peuple était circoncis, comme les Éthiopiens et les Troglodytes au-delà du golfe[140]. Constance ménageait cette nation, à cause de la guerre des Perses[141]. Dans le dessein de la convertir au christianisme, il y envoya une ambassade, dont le chef fut un Indien célèbre nommé Théophile[142]. Il était né dans l'île de Diu, qu'on croit être celle qui porte encore le même nom vers l'embouchure de l'Indus[143]. Envoyé à Constantin en ôtage par ceux de son pays dès sa première jeunesse, il tomba entre les mains d'Eusèbe de Nicomédie, qui lui inspira les principes de l'arianisme avec ceux de la religion chrétienne, et lui conféra le diaconat. Afin de lui donner plus d'autorité dans sa mission, les Ariens le firent évêque. L'empereur le chargea de riches présents pour les princes du pays, et de grandes sommes d'argent, qu'il devait employer à bâtir des églises. Il le fit accompagner de deux cents chevaux de Cappadoce, qu'il envoyait au roi de la contrée. Les chevaux de ce pays étaient les plus estimés de l'empire: on les réservait pour le service de l'empereur. Théophile réussit malgré l'opposition des Juifs[144]. Le roi des Homérites reçut le baptême; il fit bâtir trois églises, non pas des deniers envoyés par l'empereur, mais à ses propres dépens: l'une à Taphar, les deux autres dans les deux villes de commerce. L'évêque, après avoir jeté dans cette contrée les fondements de la foi, fit un voyage dans sa patrie et parcourut une partie de l'Inde, réformant les abus qui s'étaient glissés parmi les chrétiens, mais y répandant le poison d'Arius. Revenu en Arabie, il passa de l'autre côté du golfe à Axoum, métropole de l'Éthiopie. La nouvelle doctrine ne trouva pas sans doute beaucoup de crédit chez un peuple gouverné par le pieux évêque Frumentius, établi dans ce pays sous le règne de Constantin.
[136] Les peuples nommés Homérites et Sabéens, par les anciens, habitaient toute la partie méridionale de l'Arabie, qui porte actuellement le nom d'Yemen. Les premiers, appelés par les Arabes Himyar et Houmeïr, descendaient selon eux d'un personnage appelé Himyar, fils de Saba, père de toutes les tribus répandues dans cette partie de l'Arabie. On voit dans les auteurs orientaux, dont le témoignage est confirmé par les Grecs, que les Homérites formaient la plus puissante de ces tribus, puisqu'ils donnèrent leur nom à tout le pays.—S.-M.
[137] Cette ville est encore une des principales de l'Yemen. Les Arabes la nomment Dhafar.—S.-M.
[138] C'est Philostorge qui parle de cette ville, il la nomme Adane.—S.-M.
[139] C'est ce que dit Philostorge (l. 3, c. 4). Pour les Arabes eux-mêmes, ils se regardaient comme les descendants de Saba, fils de Kahthan, le même que le Yectan de l'Écriture, fils de Sem.—S.-M.
[140] Tous les Éthiopiens sont encore circoncis, malgré le christianisme qu'ils professent.—S.-M.
[141] On verra que sa conduite fut imitée par ses successeurs.—S.-M.
[142] Philostorge rapporte que ce Théophile était Indien, et qu'il avait été envoyé comme ôtage à Constance par les Dives, peuple de l'Inde. Cependant saint Grégoire de Nysse (Cont. Eunom. l. 1, t. 2, p. 294) l'appelle Blemmyen, Βλεμμυς. Les Blemmyes était un peuple barbare au midi de l'Égypte. Le nom de Théophile ferait croire qu'il était Grec et qu'il descendait de quelques-uns des Grecs attirés dans l'Inde par le commerce, et qui s'y étaient établis.—S.-M.
[143] C'est là une conjecture de Henri Valois (ad Amm. l. 22, c. 7); elle n'a aucun fondement, et n'est pas, même dans son énoncé, exempte d'erreur. L'île de Diu, qui n'a jamais eu d'autre célébrité que celle que les Portugais lui ont donnée par le siége qu'ils y soutinrent contre les Musulmans, en l'an 1545, est sur la côte du Guzarate fort loin des bouches de l'Indus. Philostorge est le premier qui ait parlé (l. 3, c. 4 et 15) des Dibènes τῶν Διβηνῶν habitants de l'île de Díu τὸν Διβοῦ νῆσον, et ce qu'il en dit ne suffit pas pour en indiquer la position. Le nom seul ferait voir qu'il s'agit d'une portion de l'Inde, car dans tous les idiomes de cette région, il existe un mot presque semblable de son, qui signifie île. Ammien Marcellin parle des mêmes peuples (l. 22, c. 7), en mentionnant les ambassades que reçut Constance. Inde nationibus Indicis certatim cum donis optimates mittentibus.... ab usque Divis et Serendivis. Comme le dernier nom ne peut s'appliquer qu'à l'île de Ceylan, qui, jusqu'à présent, a conservé chez les Arabes le nom de Serandib, on peut présumer avec assez de raison, que celui qui le précède, doit s'appliquer au groupe des îles Laquedives, situé en avant de Ceylan et du continent Indien, d'autant plus qu'en venant de l'Occident vers ces deux pays, il faut nécessairement reconnaître les îles dont je parle. Le nom rapporté par Philostorge et par Ammien Marcellin, est dérivé du Samskrit; et signifiant les Iles, il est tout-à-fait propre à les désigner.—S.-M.
[144] Les auteurs orientaux parlent souvent des Juifs établis à une époque très-ancienne dans l'Yemen et dans d'autres parties de l'Arabie. On voit par leurs récits que plusieurs des rois de l'Yemen, de la race d'Himyar, professèrent le judaïsme. Mais ils ne donnent pas assez de détails pour qu'on puisse déterminer d'une manière approximative la date de l'introduction de cette religion dans la partie méridionale de l'Arabie.—S.-M.
—[Au rapport de Philostorge, Théophile pénétra ensuite dans une île d'une assez grande étendue, située hors du golfe Arabique dans l'Océan indien. Nous la nommons Socotra; elle avait été appelée par les Grecs l'île de Dioscoride, en mémoire sans doute de quelqu'un de ces voyageurs envoyés autrefois dans ces parages par les rois Ptolémées, qui en avaient fait reconnaître les côtes pour y placer des colonies militaires et commerciales. Selon le même auteur, cette île était habitée par des Syriens, dont les ancêtres y étaient venus par les ordres d'Alexandre de Macédoine, et qui conservaient encore de son temps l'usage de la langue syrienne. Quoi qu'il en soit de cette histoire qui se retrouve dans les auteurs orientaux, quand les Portugais parurent au seizième siècle dans les mers de l'Inde, ils trouvèrent dans cette île des chrétiens qui, dans l'office divin, se servaient de la langue et de l'écriture syriennes. L'Arien Théophile fut aussi l'apôtre de cette région lointaine. Sa prédication n'y fut pas sans succès; le christianisme ne s'y éteignit pas après lui. Quand le moine Cosmas, surnommé Indicopleustes, visita cette île au milieu du sixième siècle, il y trouva des chrétiens en grand nombre. Ils parlaient grec[145]; et ils recevaient leur clergé de la Perse. Il en était encore de même plusieurs siècles après. On connaît les noms de divers évêques, envoyés à Socotra par les métropolites nestoriens de Perse. En l'an 1282, Cyriaque assista à l'ordination de Iaballaha III, patriarche des Syriens nestoriens. C'est peu après cette époque que le célèbre voyageur vénitien Marc Paul visita les chrétiens de cette île. Les Portugais les trouvèrent partagés entre les deux sectes des Nestoriens et des Jacobites. Il en est sans doute encore de même, si le christianisme y a résisté aux persécutions des Arabes musulmans qui dominent dans l'île. On voit par l'étendue et l'éloignement des pays qui furent visités par Théophile, que si ce propagateur de l'évangile ne fut pas recommandable par la pureté de sa doctrine, il le fut au moins par son zèle, et qu'il méritait sous certains rapports la considération dont il jouissait à la cour de Constance.]—S.-M.
[145] C'est ce qu'il dit deux fois, οἱ παροικοῦντες Ἐλληνιστὶ λαλοῦσι, et συνέτυχον δὲ ἀνδάσι τῶν ἐκεῖ Ἐλληνιστὶ λαλοῦσιν. Selon lui les habitants de cette île descendaient des colons envoyés par les rois Ptolémées; ce qui n'est pas dépourvu de vraisemblance. Πάροικοι τῶν Πτολεμαίων τῶν μετὰ Ἀλέξανδρον τὸν Μακεδόνα ὑπαρχόντων.—S.-M.
A son retour, ce zélé missionnaire de l'arianisme fut comblé d'honneurs par Constance; il porta toute sa vie le titre d'évêque, sans être attaché à aucun siége. Son parti l'admirait comme un conquérant évangéliste: on prétendait même qu'il faisait des miracles.
Ces succès étrangers ne satisfaisaient pas l'ambition des Ariens: ils voulaient dominer dans l'empire. Ce n'était de leur part qu'agitations et inquiétudes. Toujours enveloppés de nuages, hérissés d'équivoques, ils changeaient perpétuellement de langage. Feignant d'appuyer d'une main la foi de l'église, en se déclarant contre Arius, ils travaillaient de l'autre à la détruire en rejetant la consubstantialité. Pour éclipser le concile de Nicée, ils assemblaient sans cesse des conciles; ils multipliaient les professions de foi pour étouffer la véritable. Ils en dressèrent encore une à Antioche, où ils tinrent un nouveau synode, sous le consulat d'Amantius et d'Albinus. Elle fut appelée la longue formule, parce quelle était beaucoup plus étendue que les autres, sans en être moins obscure ni moins ambiguë: elle était même contradictoire; la foi et l'hérésie, tout s'y trouvait, excepté le terme de consubstantiel. Plusieurs d'entre eux furent chargés de la porter aux évêques d'Occident, pour obtenir leur souscription.