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Histoire du Consulat et de l'Empire, (Vol. 07 / 20): faisant suite à l'Histoire de la Révolution Française

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C'est de l'Italie que Napoléon tire ses principaux renforts en cavalerie.

C'est surtout à l'Italie que Napoléon imagina de recourir pour se procurer de la cavalerie. Nulle part elle n'était moins utile. À Naples, on n'avait affaire qu'à des montagnards calabrais, ou à des Anglais débarquant de leurs vaisseaux sans troupes à cheval. Il y avait à Naples seize régiments de cavalerie, dont quelques-uns de cuirassiers, et des plus beaux de l'armée. Napoléon en fit refluer dix vers la haute Italie. Il n'en laissa que six, qui étaient tous de cavalerie légère, et dont il put porter l'effectif à mille hommes chacun, grâce au grand nombre de conscrits envoyés au delà des Alpes. Ils devaient donc présenter une force de 6 mille hommes, fournissant 4 mille cavaliers toujours prêts à monter à cheval, et fort suffisants pour le service d'observation qu'on avait à faire dans le royaume de Naples.

Les plaines coupées de la Lombardie, dans lesquelles les canaux, les rivières, les longs rideaux d'arbres, rendent les mouvements de la cavalerie si difficiles, n'étaient pas non plus un pays où elle fût très-nécessaire. D'ailleurs dix régiments de cette arme, reportés du midi au nord de l'Italie, permettaient d'en détacher quelques-uns, pour les diriger sur la grande armée. Napoléon en tira une division de cuirassiers, formée de quatre régiments superbes, qui s'illustrèrent depuis sous le commandement du général d'Espagne. Il en tira de plus de la cavalerie légère, et fit partir successivement pour l'Allemagne, les 19e, 24e, 15e, 3e et 23e régiments de chasseurs, ce qui faisait, avec les quatre de cuirassiers, neuf régiments de cavalerie empruntés à l'Italie. C'était une force de 5 mille cavaliers au moins, voyageant partie avec leurs chevaux, partie à pied, ces derniers destinés à être montés en Allemagne.

Napoléon s'occupa en même temps de mettre l'armée d'Italie sur le pied de guerre. Il avait eu soin de lui envoyer 20 mille hommes sur la conscription de 1806, et il avait recommandé au prince Eugène d'apporter à leur instruction une attention continuelle. Prêt à s'enfoncer dans le Nord, laissant sur ses derrières l'Autriche plus épouvantée mais plus hostile depuis Iéna, il voulut qu'on procédât sans retard à la formation des divisions actives, de manière qu'elles fussent en mesure d'entrer immédiatement en campagne. Déjà il y avait en Frioul deux divisions tout organisées. Il ordonna de compléter leur artillerie à douze pièces par division. Il prescrivit de former tout de suite sur le pied de guerre une division à Vérone, une à Brescia, une troisième à Alexandrie, fortes chacune de 9 à 10 bataillons, de préparer leur artillerie, de composer leurs équipages, et de nommer leur état-major. Il en agit de même pour la cavalerie. Il enjoignit de porter au complet soit en hommes, soit en chevaux, les régiments de dragons tirés de Naples, de les pourvoir en outre d'une division d'artillerie légère. Ces cinq divisions comptaient ensemble 45 mille hommes d'infanterie, et 7 mille de cavalerie, en tout 52 mille, présents sous les armes. Cette force, accrue au besoin du corps de Marmont, et d'une partie de l'armée de Naples, devait suffire dans la main d'un homme comme Masséna, pour arrêter les Autrichiens, surtout en s'appuyant sur des places telles que Palma-Nova, Legnago, Venise, Mantoue, Alexandrie. Napoléon ordonna d'établir dans Venise les huit bataillons de dépôt de l'armée de Dalmatie, dans Osopo et Palma-Nova les sept du corps du Frioul, dans Peschiera, Legnago et Mantoue les quatorze de l'armée de Naples. Chacun de ces bataillons renfermait déjà plus de mille hommes, depuis le contingent de 1806, et allait en contenir onze ou douze cents par l'arrivée du contingent de 1807. Il deviendrait facile alors d'en extraire les compagnies de voltigeurs et de grenadiers, et de composer avec elles des divisions actives excellentes. Tel était le fruit d'une vigilance qui ne se ralentissait jamais. Napoléon prescrivit de plus d'achever sans délai l'approvisionnement des places de guerre.

Ainsi, en se bornant à développer le vaste plan de précautions adopté à son départ de Paris, Napoléon mettait la France à l'abri de toute insulte de la part des Anglais, garantissait l'Italie de toute hostilité soudaine de la part des Autrichiens, et, sans désorganiser les moyens de défense de l'une ni de l'autre, il tirait de la première sept régiments d'infanterie, de la seconde neuf régiments de cavalerie, indépendamment des régiments provisoires qui, partant sans cesse du Rhin, devaient assurer le recrutement de la grande armée et la sécurité de ses derrières.

Chiffre total des forces réunies par Napoléon.

On peut évaluer à cinquante mille hommes environ les renforts qui dans un mois allaient accroître la grande armée. Avec les corps qui l'avaient déjà rejointe depuis l'entrée en Prusse, et qui l'avaient portée à environ 190 mille hommes, avec ceux qui se préparaient à la rejoindre, avec les auxiliaires allemands, hollandais, italiens, elle devait s'élever à près de 300 mille hommes; et tel est l'inévitable éparpillement des forces, même sous la direction du général le plus habile, qu'en défalquant de ces 300 mille hommes, les blessés, les malades, devenus plus nombreux en hiver et sous des climats lointains, les détachements en marche, les garnisons laissées sur la route, les corps placés en observation, on ne pouvait pas se flatter de présenter plus de 150 mille hommes au feu! Tant il faut que les ressources dépassent les besoins prévus, pour suffire seulement aux besoins réels! Et si on étend cette observation à l'ensemble des forces de la France en 1806, on verra qu'avec une armée totale, qui allait s'élever pour tout l'empire à 580 mille hommes, à 650 mille avec les auxiliaires, 300 mille au plus pourraient être présents sur le théâtre de la guerre, entre le Rhin et la Vistule, 150 mille sur la Vistule même, et 80 mille peut-être sur les champs de bataille où devait se décider le sort du monde. Et cependant jamais tant d'hommes et de chevaux n'avaient marché, tant de canons n'avaient roulé, avec cette force d'agrégation, vers un même but!

Moyens financiers imaginés par Napoléon pour solder ses nouveaux armements.

Ce n'était pas tout que de réunir des soldats, il fallait encore des ressources financières, afin de les pourvoir de tout ce dont ils avaient besoin. Napoléon ayant réussi, comme on l'a vu, à porter à 700 millions (820 avec les frais de perception) son budget du temps de guerre, avait le moyen d'entretenir une armée de 450 mille hommes. Mais il devait bientôt en avoir 600 mille à solder. Il résolut de tirer des pays conquis les ressources qui lui étaient nécessaires, pour payer ses nouveaux armements. Possesseur de la Hesse, de la Westphalie, du Hanovre, des villes anséatiques, du Mecklembourg, de la Prusse enfin, il pouvait sans inhumanité frapper des contributions sur ces divers pays. M. Daru est chargé de l'administration des finances prussiennes. Il avait laissé exister partout les autorités prussiennes, et mis à leur tête le général Clarke pour l'administration politique du pays, M. Daru pour l'administration financière. Ce dernier, capable, appliqué, intègre, s'était saisi de toutes les affaires financières, et les connaissait aussi bien que les meilleurs employés prussiens. État des finances de la Prusse en 1806. La monarchie de Frédéric-Guillaume, composée à cette époque de la Prusse orientale, qui s'étendait de Kœnigsberg à Stettin, de la Pologne prussienne, de la Silésie, du Brandebourg, des provinces à la gauche de l'Elbe, de la Westphalie, des enclaves situées en Franconie, pouvait rapporter à son gouvernement environ 120 millions de francs, les frais de perception acquittés sur les produits mêmes, la plupart des besoins de l'armée satisfaits au moyen de redevances locales, l'entretien des routes assuré par certaines prestations imposées aux fermiers des domaines de la couronne. Dans ces 120 millions de revenu, la contribution foncière figurait pour 35 ou 36 millions, le fermage des domaines de la couronne pour 18, le produit de l'accise, qui consistait en droits sur les boissons et sur le transit des marchandises, pour 50, le monopole du sel pour 9 ou 10. Divers impôts accessoires fournissaient le complément des 120 millions. Des employés, réunis en commissions provinciales, sous le nom de chambres des domaines et de guerre, administraient ces impôts et revenus, veillaient à leur assiette, à leur perception, et au fermage des nombreux domaines de la couronne.

Napoléon laisse exister l'administration prussienne, et s'en sert pour percevoir à son profit les revenus du pays.

Napoléon décida qu'on laisserait exister cette administration, même avec ses abus, que M. Daru eut bientôt découverts, et qu'il signala au gouvernement prussien lui-même pour l'aider à les corriger; qu'auprès de chaque administration provinciale il y aurait un agent français chargé de tenir la main à la perception des revenus, et à leur versement dans la caisse centrale de l'armée française. M. Daru devait veiller sur ces agents, et centraliser leurs opérations. Ainsi les finances de la Prusse allaient être administrées pour le compte de Napoléon, et à son profit. Toutefois on prévoyait que le produit annuel de 120 millions tomberait à 70 ou 80 par suite des circonstances présentes. Napoléon, usant de son droit de conquête, ne se contenta pas des impôts ordinaires; il décréta en outre une contribution de guerre, qui, pour la Prusse entière, pouvait s'élever à 200 millions. Elle devait être perçue peu à peu, pendant la durée de l'occupation, et en sus des impôts ordinaires. Napoléon leva aussi une contribution de guerre sur la Hesse, le Brunswick, le Hanovre et les villes anséatiques, indépendamment de la saisie des marchandises anglaises.

À ce prix, l'armée devait se nourrir elle-même, et ne rien consommer sans le payer. De nombreux achats de chevaux, d'immenses commandes en habillements, chaussures, harnachements, voitures d'artillerie, faites dans toutes les villes, mais plus particulièrement à Berlin, dans le but d'occuper les ouvriers, et de pourvoir aux besoins de l'armée française, furent acquittés sur le produit des contributions tant ordinaires qu'extraordinaires.

Ces contributions, fort pesantes sans doute, étaient cependant la moins vexatoire de toutes les manières d'exercer le droit de la guerre, qui autorise le vainqueur à vivre sur le pays vaincu, car, au gaspillage des soldats, on substituait la perception régulière de l'impôt. Du reste, la discipline la plus sévère, le respect le plus complet des propriétés privées, sauf les ravages du champ de bataille, heureusement réservés à bien peu de localités, compensaient ces inévitables rigueurs de la guerre. Et assurément, si on remonte dans le passé, on verra que jamais les armées ne s'étaient comportées avec moins de barbarie et autant d'humanité.

Paix avec la Saxe, et admission de cette cour allemande dans la confédération du Rhin.

Napoléon, disposé par politique à ménager la cour de Saxe, lui avait offert après Iéna un armistice et la paix. Cette cour, honnête et timide, avait accepté avec joie un pareil acte de clémence, et s'était livrée à la discrétion du vainqueur. Napoléon convint de l'admettre dans la nouvelle confédération rhénane, de changer en titre de roi le titre d'électeur que portait son souverain, à la condition d'un contingent militaire de 20 mille hommes, réduit pour cette fois à 6 mille, en considération des circonstances. Cette extension de la confédération du Rhin présentait de grands avantages, car elle assurait à nos armées le libre passage à travers l'Allemagne, et la possession en tout temps de la ligne de l'Elbe. Pour compenser les charges de l'occupation militaire qui furent épargnées à la Saxe par ce traité, elle promit de payer une contribution de 25 millions, acquittables en argent, ou en lettres de change à courte échéance.

Napoléon pouvait donc disposer, pour la durée de la guerre, de trois cents millions au moins. Poussant la prévoyance à son dernier terme, il ne permit pas que son ministre du trésor s'endormît sur la confiance des ressources trouvées en Allemagne. Il était dû à la grande armée 24 millions de solde arriérée. Napoléon exigea que cette somme fût déposée, partie à Strasbourg, partie à Paris, en espèces métalliques, parce qu'il ne voulait pas que, dans un moment pressant, on fût obligé de courir après des valeurs qui auraient été engagées pour un temps plus ou moins long. Il les laissa ainsi en dépôt à Paris et sur le Rhin, sauf à en user plus tard, et provisoirement il fit acquitter la solde arriérée sur les revenus du pays conquis, afin que ses soldats pussent se servir de leur prêt, pendant qu'ils étaient encore dans les villes de la Prusse, et qu'ils pouvaient se procurer les jouissances qu'on ne trouve qu'au milieu des grandes populations.

Toutes ces dispositions terminées, le général Clarke laissé à Berlin pour gouverner politiquement la Prusse, et M. Daru pour l'administrer financièrement, Napoléon ébranla ses colonnes pour entrer en Pologne.

Le roi de Prusse ayant refusé l'armistice proposé, la reprise des opérations devient imminente.

Le roi de Prusse n'avait point accepté l'armistice proposé, parce que les conditions en étaient trop rigoureuses, et aussi parce qu'on le lui avait trop fait attendre. Rejoint par Duroc à Osterode, dans la vieille Prusse, il répondit que malgré le plus sincère désir de suspendre le cours d'une guerre désastreuse, il ne pouvait consentir aux sacrifices exigés de lui; qu'en lui demandant, outre la partie de ses États déjà envahie, la province de Posen et la ligne de la Vistule, on le laissait sans territoire et sans ressources, on livrait surtout la Pologne à une insurrection inévitable; qu'il se résignait donc à continuer la guerre, qu'il agissait ainsi par nécessité, et aussi par fidélité à ses engagements, car ayant appelé les Russes, il lui était impossible de les renvoyer après l'appel qu'il leur avait adressé, et auquel ils avaient répondu avec le plus cordial empressement.

Vainement MM. d'Haugwitz et de Lucchesini, qui, après avoir partagé un instant le vertige général de la nation prussienne, avaient été ramenés à la raison par le malheur, réunirent-ils leurs efforts pour faire accepter l'armistice tel quel, en disant que ce qu'on refusait à Napoléon, il allait le conquérir en quinze jours, qu'on laissait échapper l'occasion d'arrêter la guerre et ses ravages, que si l'on traitait actuellement, on perdrait sans doute les provinces situées à la gauche de l'Elbe, mais que si on traitait plus tard, on perdrait avec ces provinces, la Pologne elle-même; vainement MM. d'Haugwitz et de Lucchesini donnèrent-ils ces conseils, leur sagesse tardive n'obtint aucun crédit. Retraite définitive de M. d'Haugwitz, et union plus intime de la Prusse avec la Russie. En se rendant à Kœnigsberg on s'était approché des influences russes; l'infortune qui avait calmé les gens sages, avait exalté au contraire les gens dénués de raison, et le parti de la guerre au lieu de s'imputer à lui-même les revers de la Prusse, les attribuait aux prétendues trahisons du parti de la paix. La reine, irritée par la douleur, insistait plus que jamais pour qu'on tentât de nouveau la fortune des armes avec ce qui restait de forces prussiennes, avec l'appui des Russes, et à la faveur des distances, qui étaient un grand avantage pour le vaincu, un grand désavantage pour le vainqueur. MM. d'Haugwitz et de Lucchesini, privés de toute autorité, poursuivis d'injustes accusations, quelquefois accablés d'outrages, demandèrent et obtinrent leur démission. Le roi, plus équitable que la cour, la leur accorda avec des égards infinis, surtout pour M. d'Haugwitz, dont il n'avait pas cessé d'apprécier les lumières, de reconnaître les longs services, et dont il déplorait de n'avoir pas toujours suivi les conseils.

Les Russes arrivaient en effet sur le Niémen. Un premier corps de cinquante mille hommes, commandé par le général Benningsen, avait passé le Niémen le 1er novembre, et s'avançait sur la Vistule. Un second, d'égale force, conduit par le général Buxhoewden, suivait le premier. Arrivée des Russes, sur la Vistule, au nombre de 120 mille hommes. Une réserve s'organisait sous le général Essen. Une partie des troupes du général Michelson remontait le Dniester pour accourir en Pologne. Toutefois la garde impériale n'avait pas encore quitté Saint-Pétersbourg. Une nuée de Cosaques, sortis de leurs déserts, précédaient les troupes régulières. Telles étaient les forces actuellement disponibles de ce vaste empire, qui, pour la seconde fois, montrait que ses ressources n'égalaient pas encore ses prétentions. Joints aux Prussiens, et en attendant la réserve du général Essen, les Russes pouvaient se présenter sur la Vistule au nombre de 120 mille hommes. Il n'y avait pas de quoi embarrasser Napoléon, si le climat ne venait apporter aux soldats du Nord un redoutable secours: et par le climat nous n'entendons pas seulement le froid, mais le sol, la difficulté de marcher et de vivre dans ces immenses plaines, alternativement boueuses ou sablonneuses, et plus couvertes de bois que de cultures.

Les Anglais promettent de grands secours pour cette campagne.

Les Anglais, il est vrai, promettaient une puissante coopération en argent, en matériel, et même en hommes. Ils annonçaient des débarquements sur différents points des côtes de France et d'Allemagne, et notamment une expédition dans la Poméranie suédoise, sur les derrières de l'armée française. Ils avaient, effectivement, un pied-à-terre fort commode dans la place inondée de Stralsund, située sur les dernières langues de terre du continent allemand. Ce point était gardé par les Suédois, et tout préparé à recevoir les troupes anglaises dans un asile presque inviolable. Mais il était probable que l'empressement à s'emparer des riches colonies de la Hollande et de l'Espagne, mal défendues en ce moment, à cause des préoccupations de la guerre continentale, absorberait l'attention et les forces des Anglais. Une dernière ressource, beaucoup plus vaine encore que celle qu'on attendait des Anglais, formait le complément des moyens de la coalition, c'était l'intervention supposée de l'Autriche. On se flattait que, si un seul succès couronnait les efforts des Prussiens et des Russes, l'Autriche se déclarerait en leur faveur; et on comptait presque dans l'effectif des troupes belligérantes, les 80 mille Autrichiens, actuellement réunis en Bohême et en Gallicie.

Tout cela inquiétait peu Napoléon, qui n'avait jamais été plus rempli de confiance et d'orgueil. Le refus de l'armistice ne l'avait ni surpris, ni contrarié. «Votre Majesté, écrivit-il au roi de Prusse, m'a fait déclarer qu'elle s'était jetée dans les bras des Russes... l'avenir fera connaître si elle a choisi le meilleur parti, et le plus efficace... Elle a pris le cornet, et joué aux dés; les dés en décideront.»

Dispositions militaires de Napoléon pour entrer en Pologne.

Voici quelles furent les dispositions militaires de Napoléon pour pénétrer en Pologne. Il n'avait rien d'immédiat à redouter du côté des Autrichiens, ses préparatifs généraux en France comme en Italie, sa diplomatie en Orient, ayant paré à tout ce qu'on pouvait craindre de leur part. Les débarquements des Anglais et des Suédois en Poméranie, tendant à soulever sur ses derrières la Prusse souffrante, humiliée, présentaient un danger plus réel. Emploi du 8e corps pour couvrir le littoral de l'Allemagne. Toutefois il n'attachait pas même une grande importance à ce danger, car, écrivait-il à son frère Louis, qui l'importunait de ses alarmes, les Anglais ont bien autre chose à faire que de débarquer en France, en Hollande, en Poméranie. Ils aiment mieux piller les colonies de toutes les nations, que d'essayer des descentes, dont ils ne retirent d'autre avantage que celui d'être honteusement jetés à la mer.—Napoléon croyait tout au plus à une pointe des Suédois, qui avaient 12 ou 15 mille hommes à Stralsund. En tout cas le 8e corps confié au maréchal Mortier était chargé de pourvoir à ces éventualités. Ce corps, qui avait eu pour première mission d'occuper la Hesse, et de relier la grande armée avec le Rhin, devait, maintenant que la Hesse était désarmée, contenir la Prusse, et garder le littoral de l'Allemagne. Il était composé de quatre divisions: une hollandaise, devenue vacante par le retour du roi Louis en Hollande; une italienne, acheminée par la Hesse vers le Hanovre; deux françaises, qui allaient se compléter avec une partie des régiments nouvellement tirés de France. Une portion de ces troupes devait assiéger la place hanovrienne d'Hameln, restée aux mains des Prussiens, une autre occuper les villes anséatiques. Le surplus, établi vers Stralsund et Anklam, était destiné à ramener les Suédois dans Stralsund, s'ils en sortaient, ou à se porter sur Berlin, si un accès de désespoir s'emparait du peuple de la capitale.

Précautions pour la garde de Berlin.

Le général Clarke avait ordre de se concerter avec le maréchal Mortier pour parer à tous les accidents. On n'avait pas laissé un fusil dans Berlin, et on avait transporté à Spandau tout le matériel militaire. Seize cents bourgeois fournissaient la garde de Berlin avec huit cents fusils qu'ils se transmettaient, n'étant de garde que huit cents à la fois. Le général Clarke, s'il éclatait un mouvement de quelque importance, devait se retirer à Spandau, et y attendre le maréchal Mortier. Le vaste dépôt de cavalerie établi à Potsdam pouvait toujours fournir un millier de chevaux pour faire des patrouilles, et saisir les hommes isolés qui couraient la campagne, depuis la dispersion de l'armée prussienne. La prévoyance avait été poussée jusqu'à fouiller les bois, afin de recueillir les canons que les Prussiens avaient cachés en fuyant, et de les renfermer dans les places fortes.

Le corps du maréchal Davout acheminé le premier vers la Pologne.

Le corps du maréchal Davout, entré à Berlin avant tous les autres, avait eu le temps de s'y reposer. Napoléon l'achemina le premier sur Custrin, et de Custrin sur la capitale du grand-duché de Posen. Le maréchal Augereau acheminé le second. Le corps du maréchal Augereau, arrivé le second à Berlin, et suffisamment reposé aussi, fut envoyé par Custrin et Landsberg sur la Netze, route de la Vistule, avec la mission de marcher à gauche du maréchal Davout. Le maréchal Lannes acheminé le troisième. Plus à gauche encore le maréchal Lannes, établi à Stettin depuis la capitulation de Prenzlow, ayant un peu refait ses troupes dans cette résidence, renforcé du 28e léger, pourvu de capotes et de souliers, avait ordre de prendre des vivres pour huit jours, de franchir l'Oder, de passer par Stargard et Schneidmühl, et de se réunir à Augereau sur la Netze. Il est inutile d'ajouter qu'il ne devait pas quitter Stettin sans avoir mis cette place en état de défense. Murat chargé du commandement général des troupes qui s'avancent en Pologne. L'infatigable Murat enfin, laissant sa cavalerie revenir à petites journées de Lubeck, avait ordre de se transporter de sa personne à Berlin, d'y prendre le commandement des cuirassiers, lesquels avaient employé à se reposer le temps que les dragons avaient employé à courir après les Prussiens, de joindre aux cuirassiers les dragons de Beaumont et de Klein, lancés moins avant que les autres à la poursuite de l'ennemi, et remontés d'ailleurs avec des chevaux frais dans le dépôt de Potsdam; Murat, avec cette cavalerie, devait se réunir au maréchal Davout à Posen, le précéder à Varsovie, et se mettre à la tête de toutes les troupes dirigées sur la Pologne, en attendant que Napoléon vînt les commander lui-même. Les Russes étant encore fort éloignés de la Vistule, Napoléon se donnait le temps d'expédier à Berlin ses nombreuses affaires, et laissait à son beau-frère le soin de commencer le mouvement sur la Pologne, et de sonder les dispositions insurrectionnelles des Polonais. Personne n'était plus propre que Murat à exciter leur enthousiasme en le partageant.

Le prince Jérôme chargé avec les Allemands d'envahir la Silésie, d'en assiéger les places, et de couvrir la droite de l'armée qui marche sur la Pologne.

Tandis que l'armée française franchissant l'Oder allait s'avancer sur la Vistule, le prince Jérôme, ayant sous son commandement les Wurtembergeois et les Bavarois, secondé par un habile et vigoureux officier, le général Vandamme, devait envahir la Silésie, en assiéger les places, porter une partie de ses troupes jusqu'à Kalisch, et couvrir ainsi contre l'Autriche la droite du corps qui marcherait sur Posen.

Les troupes dirigées sur la Pologne pouvaient monter à environ 80 mille hommes, entre lesquels le corps du maréchal Davout figurait pour 23 mille, celui du maréchal Augereau pour 17, celui du maréchal Lannes pour 18, le détachement du prince Jérôme envoyé à Kalisch pour 14, enfin la réserve de cavalerie de Murat pour 9 à 10 mille. C'était plus qu'il n'en fallait pour faire face aux forces russes et prussiennes qu'on était exposé à rencontrer dans le premier moment.

Napoléon se réserve de suivre, avec une seconde armée de 80 mille hommes, la première armée de 80 mille acheminée sur la Vistule.

Dans cet intervalle, les corps des maréchaux Soult et Bernadotte étaient en marche de Lubeck sur Berlin. Ils devaient séjourner quelque temps dans cette capitale, s'y refaire, et s'y pourvoir de ce qui leur manquait. Le maréchal Ney s'y était rendu après la capitulation de Magdebourg, et il s'apprêtait à marcher sur l'Oder. Napoléon, avec la garde impériale, avec la division de grenadiers et voltigeurs du général Oudinot, avec le reste de la réserve de cavalerie qui se reposait à Berlin, avec les trois corps des maréchaux Soult, Bernadotte et Ney, pouvait disposer d'une seconde armée de 80 mille hommes, à la tête de laquelle il devait se transporter en Pologne, pour soutenir le mouvement de la première.

Napoléon en expédiant le maréchal Davout sur Posen, lui donne sa pensée à l'égard de la Pologne.

Le maréchal Davout, dirigé le premier sur Posen, était un homme ferme et réfléchi, duquel il n'y avait aucune imprudence à craindre. Il avait été initié à la véritable pensée de Napoléon relativement à la Pologne. Napoléon était franchement résolu à réparer le grave dommage que l'abolition de cet antique royaume avait causé à l'Europe; mais il ne se dissimulait pas l'immense difficulté de reconstituer un État détruit, surtout avec un peuple dont l'esprit anarchique était aussi renommé que la bravoure. Napoléon ne veut proclamer l'indépendance de la Pologne que si l'insurrection des Polonais est générale. Il ne voulait donc s'engager dans une telle entreprise, qu'à des conditions qui en rendissent la réussite, sinon certaine, au moins suffisamment probable. Il lui fallait d'abord d'éclatants triomphes en s'avançant dans ces plaines du Nord, où Charles XII avait trouvé sa ruine; il lui fallait ensuite un élan unanime de la part des Polonais, pour concourir à ces triomphes, et pour le rassurer sur la solidité du nouvel État qu'on allait fonder entre trois puissances ennemies, la Russie, la Prusse et l'Autriche.—Quand je verrai les Polonais tous sur pied, dit-il au maréchal Davout, alors je proclamerai leur indépendance, mais pas avant.—Il fit transporter à la suite des troupes françaises un convoi d'armes de toute espèce, afin d'armer l'insurrection, si, comme on l'annonçait, elle devenait générale.

Le maréchal Davout devançant les corps d'armée qui devaient partir de l'Oder, s'était mis en mouvement dès les premiers jours de novembre. Il marchait avec cet ordre, avec cette discipline sévère, qu'il avait coutume de maintenir parmi ses troupes. Le maréchal Davout, en entrant en Pologne, déploie un surcroît de sévérité pour le maintien de la discipline. Il avait annoncé à ses soldats qu'en entrant en Pologne on entrait dans un pays ami, et qu'il fallait le traiter comme tel. Ainsi que nous l'avons déjà dit, il s'était introduit une certaine indiscipline dans les rangs de la cavalerie légère, qui prend plus de part, et contribue davantage aux désordres de la guerre. Deux soldats de cette arme ayant commis quelques excès, le maréchal Davout les fit fusiller en présence du troisième corps.

Caractère du pays lorsqu'on approche de la Vistule et du Niémen.

Il s'avança sur Posen en trois divisions. Le pays entre l'Oder et la Vistule ressemble beaucoup à celui qui s'étend de l'Elbe à l'Oder. Le plus généralement on parcourt des plaines sablonneuses, au milieu desquelles le bois pousse assez facilement, surtout le bois résineux, particulièrement le sapin; et, comme au-dessous de la couche de sable se trouve une argile propre à la culture, tantôt noyée sous le sable même, tantôt surgissant à la surface, on rencontre au milieu des forêts de sapins de vastes clairières assez bien cultivées, à travers ces clairières une population rare, pauvre, mais robuste, abritée sous le bois et le chaume. Sur ce sol les transports sont d'une difficulté sans égale, car aux sables mouvants succède une glaise, dans laquelle on enfonce profondément dès qu'elle est pénétrée par les eaux, et qui se change après quelques jours de pluie en une vaste mer de boue. Les hommes y périssent si on ne vient les en arracher. Quant aux chevaux, canons, bagages, ils s'y abîment sans pouvoir être sauvés, même par les bras de toute une armée. Aussi la guerre n'est-elle possible dans cette portion de la plaine du Nord qu'en été, lorsque la terre est entièrement desséchée, ou dans l'hiver, lorsqu'une gelée de plusieurs degrés a donné au sol la consistance de la pierre. Mais toute saison intermédiaire est mortelle aux combinaisons militaires, surtout aux plus habiles, qui dépendent, comme on sait, de la rapidité des mouvements.

Direction des cours d'eau dans la plaine du nord de l'Europe.

Ces caractères physiques ne se montrent réunis qu'en approchant de la Vistule, et surtout plus loin entre la Vistule et le Niémen. Ils commencent toutefois à se faire voir après l'Oder. Un phénomène particulier à ces vastes plaines, que nous avons déjà signalé, et qui se retrouve ici, c'est que les sables relevés en dunes le long de la mer, rejettent les eaux vers l'intérieur du pays, où elles forment des lacs nombreux, se déchargent en petites rivières, puis se réunissent en plus grandes, jusqu'à ce qu'elles s'accumulent, et deviennent de vastes fleuves, comme l'Elbe, l'Oder, la Vistule, capables de s'ouvrir une issue à travers la barrière des sables. (Voir la carte no 36.) Aspect du pays entre l'Elbe et l'Oder. Dans le Brandebourg et le Mecklembourg, c'est-à-dire entre l'Elbe et l'Oder, pays qui avait été le théâtre de la poursuite des Prussiens par notre armée, on a déjà pu remarquer ces particularités de la nature. Elles deviennent plus frappantes entre l'Oder et la Vistule. (Voir la carte no 37.) Aspect du pays entre l'Oder et la Vistule. Les sables se relèvent, retiennent les eaux, qui, par la Netze et la Warta, vont chercher leur écoulement vers l'Oder. La Netze vient de gauche, la Warta de droite, pour qui marche de Berlin à Varsovie; et, après avoir circulé l'une et l'autre entre la Vistule et l'Oder, elles se réunissent en un seul lit, pour se jeter ensemble dans l'Oder, vers Custrin. Le pays le long de la mer forme ce qu'on appelle la Poméranie prussienne. Grand-duché de Posen. Il est allemand par les habitants et par l'esprit. L'intérieur, qu'arrosent la Netze et la Warta, est marécageux, argileux, assez cultivé, et slave par la race d'hommes qui l'habite. C'est la Posnanie, ou grand-duché de Posen, dont Posen est la capitale, ville d'une certaine importance, située sur la Warta elle-même.

État physique et moral de cette province polonaise.

Cette province était celle où l'esprit polonais éclatait avec le plus d'ardeur. Les Polonais devenus Prussiens semblaient supporter plus impatiemment que les autres le joug étranger. D'abord la race allemande et la race slave se rencontrant sur cette frontière de la Poméranie et du duché de Posen, avaient l'une pour l'autre une aversion instinctive, naturellement plus vive sur la limite où elles se touchaient. Indépendamment de cette aversion, suite ordinaire du voisinage, les Polonais n'oubliaient pas que les Prussiens avaient été sous le grand Frédéric les premiers auteurs du partage de la Pologne, que depuis ils avaient agi avec une noire perfidie, et achevé la ruine de leur patrie après en avoir favorisé l'insurrection. Enfin la vue de Varsovie dans les mains des Prussiens, rendait ceux-ci les plus odieux des copartageants. Ces sentiments de haine étaient poussés à ce point que les Polonais auraient presque regardé comme une délivrance d'échapper au roi de Prusse pour appartenir à un empereur de Russie, qui, réunissant sous le même sceptre toutes les provinces polonaises, se serait proclamé roi de Pologne. Le penchant à l'insurrection était donc plus prononcé dans le duché de Posen que dans aucune autre partie de la Pologne.

Les bonnes dispositions des Français en entrant en Pologne favorisées par l'accueil qu'ils reçoivent des habitants.

Tel était, sous les rapports physiques et moraux, le pays que les Français traversaient en ce moment. Transportés sous un climat si différent de leur climat natal, si différent surtout des climats d'Égypte et d'Italie, où ils avaient vécu si long-temps, ils étaient comme toujours, gais, confiants, et trouvaient dans la nouveauté même du pays qu'ils parcouraient le sujet de plaisanteries piquantes, plutôt que de plaintes amères. D'ailleurs le bon accueil des habitants les dédommageait de leurs peines, car, sur les routes et dans les villages, les paysans accouraient à leur rencontre, leur offrant les vivres et les boissons du pays.

Mais ce n'est pas dans les campagnes, c'est parmi les populations agglomérées, c'est-à-dire au sein des villes, qu'éclate avec le plus de force l'enthousiasme patriotique des peuples. Enthousiasme de la province de Posen. À Posen, les dispositions morales des Polonais se manifestèrent plus vivement que partout ailleurs. Cette ville, qui contenait ordinairement quinze mille âmes, en contint bientôt le double, par l'affluence des habitants des provinces voisines, accourus au-devant de leurs libérateurs. Ce fut dans les journées des 9, 10, 11 novembre, que les trois divisions du corps de Davout entrèrent dans Posen. Elles y furent reçues avec de tels transports d'enthousiasme que le grave maréchal en fut touché, et qu'il céda lui-même à l'idée du rétablissement de la Pologne; idée assez populaire dans la masse de l'armée française, mais très-peu parmi ses chefs. Aussi écrivit-il à l'Empereur des lettres fortement empreintes du sentiment qui venait d'éclater autour de lui.

Il dit aux Polonais que pour reconstituer leur patrie, il fallait à Napoléon la certitude d'un immense effort de leur part, d'abord pour l'aider à remporter de grands succès, succès sans lesquels il ne pourrait pas imposer à l'Europe le rétablissement de la Pologne, ensuite pour lui inspirer quelque confiance dans la durée de l'œuvre qu'il allait entreprendre, œuvre bien difficile, puisqu'il s'agissait de restaurer un État, détruit depuis quarante années, et dégénéré depuis plus d'un siècle. Les Polonais de Posen, plus enthousiastes que ceux même de Varsovie, promirent avec un entier abandon tout ce qu'on semblait désirer d'eux. Nobles, prêtres, peuple, souhaitaient avec ardeur qu'on les délivrât du joug allemand, antipathique à leur religion, à leurs mœurs, à leur race; et, à ce prix, il n'était rien qu'ils ne fussent prêts à faire. Le maréchal Davout n'avait encore que trois mille fusils à leur donner; ils se les distribuèrent sur-le-champ, demandant à en avoir des milliers, et affirmant que, quel qu'en fût le nombre, on trouverait des bras pour les porter. Le peuple forma des bataillons d'infanterie, les nobles et leurs vassaux des escadrons de cavalerie. Dans toutes les villes situées entre la haute Warta et le haut Oder, la population, à l'approche des troupes du prince Jérôme, chassa les autorités prussiennes, et ne leur fit grâce de la vie, que parce que les troupes françaises empêchèrent partout les violences et les excès. De Glogau à Kalisch, route du prince Jérôme, l'insurrection fut générale.

Création d'une autorité provisoire à Posen.

On établit à Posen une autorité provisoire, avec laquelle on convint des mesures nécessaires pour nourrir l'armée française à son passage. Il ne pouvait être question d'imposer à la Pologne des contributions de guerre. Il était entendu qu'on la tiendrait quitte des charges imposées aux pays conquis, à condition toutefois que ses bras se joindraient aux nôtres, et qu'elle nous céderait une partie des grains dont elle était si abondamment pourvue. La nouvelle autorité polonaise se concerta avec le maréchal Davout pour construire des fours, réunir des blés, des fourrages, du bétail. Le zèle du pays, quelques fonds saisis dans les caisses prussiennes, suffirent à ces premiers préparatifs. Tout fut ainsi disposé pour recevoir le gros de l'armée française, et surtout son chef, qu'on attendait avec une vive curiosité, et d'ardentes espérances.

Marche du maréchal Augereau entre la Posnamie et la Poméranie.

À peu près en même temps, le maréchal Augereau avait cheminé sur la lisière qui sépare la Posnanie de la Poméranie, laissant la Warta à droite, et se portant à gauche le long de la Netze. Il passa par Landsberg, Driesen, Schneidmühl (voir la carte no 37), à travers un pays triste, pauvre, médiocrement peuplé, qui ne pouvait donner des signes de vie fort expressifs. Le maréchal Augereau ne rencontra rien qui put exalter son imagination, eut beaucoup de peine à marcher, et aurait eu encore plus de peine à vivre, sans un convoi de caissons qui transportait le pain de ses troupes. Aux environs de Nackel les eaux cessent de couler vers l'Oder, et commencent à couler vers la Vistule. Un canal joignant la Netze avec la Vistule, part de Nackel, et aboutit à la ville de Bromberg, qui est l'entrepôt du commerce du pays. Le corps d'Augereau y trouva quelque soulagement à ses fatigues.

Marche du maréchal Lannes dans le même pays.

Le maréchal Lannes s'était avancé par Stettin, Stargard, Deutsch-Krone, Schneidmühl, Nackel, et Bromberg, flanquant la marche du corps d'Augereau, comme celui-ci flanquait la marche du corps de Davout. Il longeait, lui aussi, la limite du pays allemand et polonais, et parcourait un sol plus difficile, plus triste encore que celui qu'avait traversé le maréchal Augereau. Impressions qu'éprouve le maréchal Lannes en traversant le duché de Posen, et jugement qu'il porte à l'égard du rétablissement de la Pologne. Il voyait les Allemands hostiles, les Polonais timides, et, dominé par les impressions qu'il recevait d'un pays sauvage et désert, par les renseignements qu'il recueillait sur les Polonais, dans une contrée qui ne leur était pas favorable, il fut porté à regarder comme une œuvre téméraire, et même folle, le rétablissement de la Pologne. Nous avons déjà parlé de cet homme rare, de ses qualités, de ses défauts: il faudra en parler souvent encore, dans le récit d'une époque pendant laquelle il a tant prodigué sa noble vie. Lannes, impétueux dans ses sentiments, dès lors inégal de caractère, enclin à l'humeur, même envers son maître qu'il aimait, était de ceux que le soleil, en se cachant ou en se montrant, abattait ou relevait tour à tour. Mais, ne perdant jamais sa trempe héroïque, il retrouvait dans les dangers la force calme, que les souffrances et les contrariétés lui avaient enlevée un moment. On ne serait pas juste envers cet homme de guerre supérieur, si on n'ajoutait pas ici, qu'un grand fonds de bon sens se joignait chez lui à l'inégalité d'humeur, pour le porter à blâmer chez Napoléon un esprit d'entreprise immodéré, et à faire entendre souvent, au milieu de nos plus beaux triomphes, de sinistres prophéties. Après le succès de la guerre de Prusse, il aurait voulu qu'on s'arrêtât sur l'Oder, et ne s'était pas imposé la moindre contrainte dans l'expression de cette opinion. Parvenu à Bromberg à la suite d'une marche pénible, il écrivit à Napoléon qu'il venait de parcourir un pays sablonneux, stérile, sans habitants, comparable, sauf le ciel, au désert qu'on traverse pour aller d'Égypte en Syrie; que le soldat était triste, atteint de la fièvre, ce qui était dû à l'humidité du sol et de la saison; que les Polonais étaient peu disposés à s'insurger, et tremblants sous le joug de leurs maîtres; qu'il ne fallait pas juger de leurs dispositions d'après l'enthousiasme factice de quelques nobles attirés à Posen par l'amour du bruit et de la nouveauté; qu'au fond ils étaient toujours légers, divisés, anarchiques, et qu'en voulant les reconstituer en corps de nation, on épuiserait inutilement le sang de la France pour une œuvre sans solidité et sans durée.

Comment Napoléon apprécie les rapports contradictoires de ses lieutenants.

Napoléon, demeuré à Berlin jusqu'aux derniers jours de novembre, recevait, sans en être étonné, les rapports contradictoires de ses lieutenants, et attendait que le mouvement produit par la présence des Français eût éclaté dans toutes les provinces polonaises, pour se faire une opinion à l'égard du rétablissement de la Pologne, et se résoudre, ou à traverser cette contrée comme un champ de bataille, ou à élever sur son sol un grand édifice politique. Il fit partir Murat, après lui avoir spécifié de nouveau les conditions qu'il entendait mettre à la restauration de la Pologne, et les instructions qu'il voulait qu'on suivît en marchant sur Varsovie.

Les Russes étaient arrivés sur la Vistule, et avaient pris possession de Varsovie. Le dernier corps prussien qui restât au roi Frédéric-Guillaume, placé sous les ordres du général Lestocq, officier sage autant que brave, était établi à Thorn, ayant des garnisons à Graudenz et à Dantzig.

Instructions militaires de Napoléon à ses lieutenants, dans leur mouvement sur Varsovie.

Napoléon voulut qu'en s'approchant de Varsovie, les divers corps de l'armée française se serrassent les uns aux autres, afin qu'avec une masse de 80 mille hommes, force bien supérieure à tout ce que les Russes pouvaient réunir sur un même point, ses lieutenants fussent à l'abri de tout échec. Il leur recommanda de ne pas rechercher, de ne pas accepter de bataille, à moins qu'ils ne fussent en nombre très-supérieur à l'ennemi, de s'avancer avec beaucoup de précautions, et en appuyant tous à droite, pour se couvrir de la frontière autrichienne. À cette époque, la Pilica, sur la rive gauche de la Vistule, la Narew, sur la rive droite, toutes deux se jetant dans la Vistule près de Varsovie, formaient la frontière autrichienne. En appuyant donc à droite, à partir de Posen (voir la carte no 37), on se rapprochait de la Pilica et de la Narew, on était couvert de tous côtés par la neutralité de l'Autriche. Si les Russes voulaient prendre l'offensive, ils ne pouvaient le faire qu'en passant la Vistule sur notre gauche, aux environs de Thorn, et alors, en se rabattant à gauche, on obtenait l'un de ces trois résultats, ou de les rejeter dans la Vistule, ou de les acculer à la mer, ou de les pousser sur les baïonnettes de la seconde armée française en marche vers Posen. Il faut ajouter, du reste, que si Napoléon, contre son usage, ne se présentait pas cette fois en une seule masse devant l'ennemi, ce qui aurait coupé court à toutes les difficultés, c'est parce qu'il savait que les Russes n'étaient pas cinquante mille ensemble, et parce que la fatigue extrême d'une partie de ses troupes, ayant couru jusqu'à Prenzlow et jusqu'à Lubeck, l'obligeait à former deux armées, l'une composée de ceux qui pouvaient marcher immédiatement, l'autre de ceux qui avaient besoin de quelques jours de repos, avant de se remettre en route. C'est ainsi que les circonstances entraînent des variations dans l'application des principes les plus constants. C'est au tact du grand général à modifier cette application avec sûreté et à-propos.

Tous les corps français concentrés sur leur droite, pour se porter à Varsovie.

Napoléon enjoignit donc au maréchal Davout de se porter à droite, comme le commandait la route de Posen à Varsovie, de passer par Sempolno, Klodawa, Kutno, Sochaczew, Blonie, et d'envoyer ses dragons directement sur la Vistule à Kowal, pour donner la main aux maréchaux Lannes et Augereau. Lannes, après s'être dédommagé, au milieu de l'abondance de Bromberg, des privations d'une longue route à travers les sables, avait pris le pas sur Augereau. Il eut ordre de remonter la Vistule, et par sa droite de se porter de Bromberg à Inowraclaw, Brezesc, Kowal, défilant sous le canon de Thorn, et allant se lier au corps du maréchal Davout, dont il dut former la gauche. Le maréchal Augereau le suivit un peu après, et, parcourant la même route, vint faire la gauche de Lannes.

Le maréchal Davout et le prince Murat marchent sur Varsovie.

Le 16 novembre et les jours suivants, le maréchal Davout, précédé de Murat, se porta de Posen, où il avait tout laissé dans un ordre parfait, sur Sempolno, Klodawa, Kutno. Lannes, après avoir quitté Bromberg et défilé à la vue de Thorn, en se couvrant de la Vistule, se trouva de nouveau engagé dans les sables qui s'offrent généralement dans cette partie du cours de la Vistule, rencontra une seconde fois la stérilité, la disette, le désert, et n'en devint pas plus favorable à la guerre qu'on allait entreprendre. Il vint, par Kowal et Kutno, s'appuyer au corps du maréchal Davout. Augereau le suivait à la trace, partageant ses impressions comme il lui arrivait souvent; car il avait avec Lannes plus d'une analogie de caractère, quoique fort inférieur en talents et en énergie.

Murat et Davout, peu tentés de livrer une bataille sans l'Empereur, ayant ordre d'ailleurs de l'éviter, s'avancèrent avec beaucoup de précaution jusqu'aux environs de Varsovie. Le 27 novembre, leur cavalerie légère rejeta de Blonie un détachement ennemi, et se montra jusqu'aux portes mêmes de la capitale. Partout on avait trouvé les Russes en retraite, et occupés à détruire les vivres, ou à les transporter de la rive gauche sur la droite de la Vistule. En se retirant, ils ne firent que traverser Varsovie, qui ne leur semblait plus un lieu sûr, à mesure que l'approche des Français y faisait tressaillir tous les cœurs. Ils repassèrent donc la Vistule pour s'enfermer dans le faubourg de Praga, situé, comme on sait, sur l'autre bord du fleuve. En le repassant, ils détruisirent le pont de Praga, et coulèrent à fond, ou emmenèrent avec eux, toutes les barques qui pouvaient servir à créer des moyens de passage.

Entrée de Murat à Varsovie.

Le lendemain Murat, à la tête d'un régiment de chasseurs et des dragons de la division Beaumont, entra dans Varsovie. À partir de Posen, le peuple des petites villes et des campagnes avait paru moins démonstratif qu'à Posen, parce qu'il était comprimé par la présence des Russes. Mais chez une grande population, les élans sont proportionnés au sentiment de sa force. Tous les habitants de Varsovie étaient accourus hors des murs de la ville, à la rencontre des Français. Accueil que les Français reçoivent des Polonais. Depuis long-temps les Polonais, par un instinct secret, regardaient les victoires de la France comme étant les victoires de la Pologne elle-même. Ils avaient tressailli au bruit de la bataille d'Austerlitz, gagnée si près des frontières de la Gallicie; et celle d'Iéna, qui semblait gagnée sur la route même de Varsovie, l'entrée des Français dans Berlin, l'apparition de Davout sur l'Oder, les avaient remplis d'espérance. Ils voyaient enfin ces Français si renommés, si attendus, et à leur tête ce brillant général de cavalerie, aujourd'hui prince, demain roi, qui conduisait leur avant-garde avec tant d'audace et d'éclat. Ils applaudirent avec transport sa bonne mine, sa contenance héroïque à cheval, et le saluèrent des cris mille fois répétés de Vive l'Empereur! vivent les Français! Ce fut un délire général, dans toutes les classes de la population. Cette fois, on pouvait considérer la résurrection de la Pologne comme un peu moins chimérique, en voyant apparaître la grande armée, qui, sous le grand capitaine, avait vaincu toutes les armées de l'Europe. La joie fut vive, profonde, sans réserve, chez ce malheureux peuple, victime si long-temps de l'ambition des cours du Nord, de la mollesse des cours du Midi, et se disant qu'enfin l'heure était venue où l'empereur des Français allait réparer les faiblesses des rois de France! Les Russes avaient détruit partout les vivres; mais l'empressement des Polonais y suppléa. On se disputait les soldats et les officiers français pour les loger et les nourrir.

Entrée du maréchal Davout à Varsovie.

Deux jours après, l'infanterie du maréchal Davout, qui n'avait pu suivre la cavalerie d'un pas égal, entra dans Varsovie. Ce fut la même ivresse, ce furent les mêmes démonstrations, à l'aspect de ces vieilles bandes d'Awerstaedt, d'Austerlitz et de Marengo. Tout paraissait beau dans ce premier moment, où la prévoyance des difficultés était comme étouffée par la joie et l'espérance!

Difficultés inhérentes au rétablissement de la Pologne.

Napoléon songeait sincèrement, comme nous l'avons déjà dit, à restaurer la Pologne. C'était, dans sa pensée, l'une des manières les plus utiles, les mieux entendues, de renouveler cette Europe dont il voulait changer la face. Lorsqu'en effet il créait des royaumes nouveaux, pour en former les appuis de son jeune empire, rien n'était plus naturel que de relever le plus brillant, le plus regrettable des royaumes détruits. Mais, outre la difficulté d'arracher de grands sacrifices de territoire à la Russie et à la Prusse, sacrifices qu'il n'était possible de leur imposer qu'en les battant à outrance, il y avait cette autre difficulté d'enlever les Gallicies à l'Autriche, et si on laissait ces provinces en dehors, si on se contentait de refaire la nouvelle Pologne avec les deux tiers de l'ancienne, on courait encore le risque très-grave d'inspirer au cabinet de Vienne, par cette reconstitution de la Pologne, un redoublement de défiance, de haine, de mauvaise volonté, et d'amener peut-être une armée autrichienne sur les derrières de l'armée française. Napoléon ne voulait donc prendre avec les Polonais que des engagements conditionnels, et il était décidé à ne proclamer leur indépendance que lorsqu'ils l'auraient méritée par un élan unanime, par un grand zèle à le seconder, par la résolution énergique de défendre la nouvelle patrie qu'on leur aurait rendue. Dispositions des nobles polonais en 1806. Malheureusement la haute noblesse polonaise, moins entraînée que le peuple, découragée par les différentes insurrections qui avaient été essayées, craignant d'être abandonnée après s'être compromise, hésitait à se jeter dans les bras de Napoléon, et trouvait dans sa situation actuelle quelque chose de mieux à faire que de s'insurger, pour recevoir des Français une existence, indépendante, mais dénuée d'appui, exposée à tous les périls, entre la Prusse, l'Autriche et la Russie. Cette haute noblesse, tombée avec Varsovie elle-même sous le joug de la Prusse, éprouvait pour cette cour l'aversion que ressentaient tous les Polonais devenus Prussiens. La plupart des membres de la noblesse de Varsovie eussent regardé comme un heureux changement de fortune de devenir sujets d'Alexandre, à condition d'être reconstitués en corps de nation, et de jouer, sous l'empereur de Russie, le rôle que les Hongrois jouent sous l'empereur d'Autriche. Être réunis en un même peuple, et transmis d'un maître allemand à un maître slave, leur semblait un sort presque souhaitable, le seul du moins auquel il fallût aspirer dans les circonstances présentes. C'était, aux yeux de beaucoup d'entre eux, secrètement influencés par les intrigues russes, l'unique reconstitution de la Pologne qui fût praticable, car la Russie, disaient-ils, était près d'eux, et en mesure de soutenir son ouvrage, une fois entrepris, tandis que l'existence qu'on tiendrait de la France serait précaire, éphémère, et s'évanouirait dès que l'armée française se serait éloignée. Sans doute il y avait quelques raisons de prudence à faire valoir en faveur de cette idée d'une demi-reconstitution de la Pologne, née d'un demi-patriotisme: mais ceux qui formaient ce vœu oubliaient, que, si l'existence que la Pologne pouvait recevoir de la France, était exposée à périr lorsque les Français repasseraient le Rhin, celle que les Russes lui donneraient, était exposée à un autre danger, certain et prochain, au danger d'être absorbée dans le reste de l'empire, de subir en un mot l'assimilation complète, résultat auquel la Russie devait tendre sans cesse, et qu'elle ne manquerait pas de réaliser à la première occasion, ainsi que les événements l'ont prouvé depuis. Il fallait donc, ou renoncer à être Polonais, ou se dévouer à Napoléon, se dévouer à tout prix, à tout risque, avec toutes les incertitudes attachées à une telle entreprise, le jour où ce puissant réformateur de l'Europe paraissait à Varsovie. Un sentiment moins élevé agissait sur la portion de la noblesse qui accueillait avec froideur la délivrance de la Pologne par la main des Français, c'était la jalousie que lui inspiraient les généraux polonais formés dans nos armées, arrivant avec de la réputation, des prétentions et un sentiment exagéré de leur mérite. Ces divers motifs n'empêchaient pas cependant la généralité de la noblesse d'éprouver une vive joie à la vue des Français; seulement ils la rendaient plus prudente, et la portaient à faire des conditions à un homme auquel le patriotisme conseillait alors de n'en faire aucune. Mais les masses, plus unanimes, moins retenues par la réflexion, et en ce moment meilleures, car il est un instant, un seul, où la raison ne vaut pas l'entraînement des passions, c'est celui où le dévouement, même aveugle, est la condition nécessaire du salut d'un peuple, les masses, disons-nous, voulaient qu'on se jetât dans les bras des Français, et y poussaient tout le monde, peuple, nobles et prêtres.

Partagés entre ces sentiments contraires, les grands de Varsovie s'empressèrent autour de Murat, et vinrent lui soumettre leurs vœux, non pas à titre d'exigences, mais à titre de conseils, et dans le but, disaient-ils, de produire chez le peuple polonais un soulèvement universel. Vœux que la noblesse polonaise fait parvenir à Napoléon par l'intermédiaire de Murat. Ces vœux consistaient à demander que Napoléon proclamât immédiatement l'indépendance de la Pologne, ne se bornât pas à cet acte, mais choisît un roi dans sa propre famille, et le plaçât solennellement sur le trône de Sobieski. Cette double garantie leur étant donnée, ajoutaient-ils, les Polonais, ne doutant plus des intentions de Napoléon, de sa ferme résolution de soutenir son ouvrage, se livreraient à lui, corps et biens. Murat indiqué comme le roi qui conviendrait aux Polonais, tant par ses qualités militaires que par sa parenté impériale. Le roi à prendre dans la famille impériale était tout désigné, c'était ce vaillant général de cavalerie, si bien fait pour être le roi d'une nation à cheval, c'était Murat lui-même, qui, en effet, nourrissait dans son cœur le désir ardent d'une couronne, et particulièrement de celle qui s'offrait à lui en ce moment, car elle convenait autant à ses penchants héroïques, qu'à ses goûts frivoles et fastueux. Déjà même il avait accommodé son costume à ce nouveau rôle, et il avait apporté de Paris les vaines parures qui pouvaient donner à son uniforme français quelque ressemblance avec l'uniforme polonais.

La passion de régner, depuis qu'il avait épousé une sœur de Napoléon, dévorait Murat. Cette passion, qui plus tard devint fatale à sa gloire et à sa vie, avait redoublé grâce aux excitations de sa femme, encore plus ambitieuse que lui, et capable, pour atteindre le but de ses vœux, d'entraîner son mari aux actions les plus coupables. À l'aspect de ce trône vacant de la Pologne, Murat ne pouvait plus contenir son impatience. Il n'eut donc pas de peine à partager les idées de la noblesse polonaise, et se chargea de les communiquer à Napoléon. La commission cependant était difficile à remplir, car Napoléon, sans méconnaître les qualités brillantes et généreuses de son beau-frère, avait néanmoins de la légèreté de son caractère une défiance extrême, et se montrait souvent pour lui un maître sévère et dur.

Murat devinait bien quel accueil Napoléon ferait à des idées qui contrariaient sa politique, et qui auraient d'ailleurs l'apparence d'une proposition intéressée. Aussi se garda-t-il de parler du roi désigné par les Polonais; il se contenta d'exposer leurs idées d'une manière générale, et de faire connaître leur désir de voir l'indépendance de la Pologne immédiatement proclamée et garantie par un roi français de la famille Bonaparte.

Napoléon, pendant la marche de ses corps d'armée sur Varsovie, avait quitté Berlin de sa personne, et était arrivé le 25 novembre à Posen. C'est là qu'il reçut les lettres de Murat. Il n'avait pas besoin qu'on lui dît les choses pour les savoir. Même à travers la plus habile dissimulation, il surprenait le secret des âmes, et la dissimulation de Murat n'était pas de celles qu'on eût de la peine à pénétrer. Accueil fait par Napoléon aux idées des Polonais qui lui sont transmises par Murat. Il eut bientôt découvert l'ambition qui dévorait ce cœur, à la fois si vaillant et si faible. Il en éprouva autant de mécontentement contre lui que contre les Polonais. Il voyait dans ce qu'on lui proposait des calculs, des réserves, des conditions, un demi-élan, et, en ce qui le concernait, des engagements dangereux, sans l'équivalent d'une puissante coopération. Par un singulier concours de circonstances, il recevait le même jour des dépêches de Paris, relatives au célèbre Kosciusko, qu'il avait voulu tirer de France, pour le mettre à la tête de la nouvelle Pologne. Conduite mal entendue de Kosciusko. Ce patriote polonais, que de fausses directions d'esprit empêchèrent à cette époque de servir utilement sa patrie, vivait à Paris au milieu des mécontents, peu nombreux, qui n'avaient pas encore pardonné à Napoléon le 18 brumaire, le concordat, le rétablissement de la monarchie. Quelques sénateurs, quelques membres de l'ancien Tribunat, composaient cette société honnête et vaine. Kosciusko eut le tort d'opposer des contradictions intempestives au seul homme qui pût alors sauver sa patrie, et qui en eût véritablement l'intention. Outre les engagements préalables, réclamés par les nobles de Varsovie, et impossibles à prendre en face de l'Autriche, Kosciusko exigeait d'autres conditions politiques, tout à fait puériles, dans un moment où il s'agissait de relever la Pologne, avant de savoir quelle constitution on lui donnerait. Napoléon, se voyant contrarié à la fois par les Polonais devenus idéologues à Paris, et par les Polonais devenus russes à Saint-Pétersbourg, en conçut de la défiance et de la froideur.

Réponse de Napoléon aux Polonais.

En ce qui regardait Kosciusko, il répondit au ministre Fouché, qu'il avait chargé de lui faire des propositions: Kosciusko est un sot, qui n'a pas dans sa patrie toute l'importance qu'il croit avoir, et dont je me passerai fort bien pour rétablir la Pologne, si la fortune des armes me seconde.—Il adressa une lettre sèche et sévère à Murat. Dites aux Polonais, lui écrivit-il, que ce n'est pas avec ces calculs, avec ces précautions personnelles, qu'on affranchit sa patrie tombée sous le joug étranger; que c'est au contraire en se soulevant tous ensemble, aveuglément, sans réserve, et avec la résolution de sacrifier sa fortune et sa vie, qu'on peut avoir, non pas la certitude, mais la simple espérance de la délivrer. Je ne suis pas venu ici, ajoutait-il, mendier un trône pour ma famille, car je ne manque pas de trônes à donner; je suis venu dans l'intérêt de l'équilibre européen, tenter une entreprise des plus difficiles, à laquelle les Polonais ont plus à gagner que personne, puisque c'est de leur existence nationale qu'il s'agit, en même temps que des intérêts de l'Europe. Si à force de dévouement ils me secondent assez pour que je réussisse, je leur accorderai l'indépendance. Sinon, je ne ferai rien, et je les laisserai sous leurs maîtres prussiens et russes. Je ne rencontre pas ici, à Posen, dans la noblesse de province, toutes les vues méticuleuses de la noblesse de la capitale. J'y trouve franchise, élan, patriotisme, ce qu'il faut enfin pour sauver la Pologne, et tout ce que je cherche vainement chez les grands seigneurs de Varsovie.—

Napoléon mécontent, mais ne renonçant pas pour cela au projet de changer la face du nord de l'Europe par le rétablissement de la Pologne, prit la résolution de ne pas aller à Varsovie, et de rester à Posen, où il était l'objet d'un enthousiasme extraordinaire. Napoléon s'établit à Posen, et envoie M. Wibiski à Varsovie. Il se contenta d'envoyer à Varsovie un Polonais, dont il appréciait beaucoup l'esprit, M. Wibiski, gentilhomme plus versé dans la science des lois et de la politique que dans celle de la guerre, mais connaissant à fond son pays, et animé du plus sincère patriotisme. Napoléon lui exposa les difficultés de sa situation, en présence des trois anciens copartageants de la Pologne, dont deux étaient armés contre lui, et un troisième prêt à se déclarer; la nécessité où il était de garder de grands ménagements, et de trouver, dans un mouvement spontané et unanime des Polonais, tout à la fois un prétexte de proclamer leur indépendance, et un secours suffisant pour la soutenir. Son langage, parfaitement sensé et sincère, persuada M. Wibiski, qui se rendit à Varsovie, pour essayer de faire partager ses convictions à ses compatriotes les plus distingués par leur position et leurs lumières.

Déc. 1806.
Quel jugement il faut porter sur la conduite de Napoléon et des Polonais.

Ce singulier conflit entre les Polonais voulant que Napoléon commençât par proclamer leur indépendance, et Napoléon voulant qu'ils commençassent par la mériter, ne doit être un motif de blâme, ni pour eux ni pour lui, mais une preuve de la difficulté même de l'entreprise. Les Polonais avouaient ainsi qu'ils croyaient peu solide une existence placée à si grande distance du protecteur qui la leur aurait rendue, et lui demandaient pour se rassurer, outre un engagement solennel, les liens même du sang. Napoléon, de son côté, avouait qu'assez puissant pour prétendre changer la face de l'Europe, assez audacieux pour oser porter la guerre jusqu'à la Vistule, il hésitait à proclamer l'indépendance de la Pologne, ayant deux des trois copartageants en face, et le troisième sur ses derrières. Si toutefois il fallait absolument voir ici matière à reproche contre quelqu'un, ce serait contre les Polonais, du moins contre ceux qui calculaient de la sorte. Napoléon, en effet, ne devait rien aux Polonais, qu'en raison de ce qu'ils feraient pour l'Europe, dont il était le représentant, tandis qu'eux devaient tout à leur patrie, même une imprudente confiance, dût cette confiance entraîner l'aggravation de leurs maux. Quand Napoléon était prudent, il faisait son devoir: quand les Polonais prétendaient l'être, ils manquaient au leur: car, dans la situation où ils se trouvaient, leur devoir n'était pas d'être prudents, mais dévoués jusqu'à périr[13].

Napoléon resté de sa personne à Posen, y crée un grand établissement militaire.

Napoléon établi à Posen, au milieu de la noblesse du grand-duché, accourue tout entière autour de lui, s'occupait à y créer l'un de ces établissements militaires, dont il prenait l'habitude de jalonner sa route, à mesure qu'il portait la guerre à de plus grandes distances. Il achetait des grains, des fourrages, surtout des étoffes, car il y avait à Posen une importante manufacture de drap; il organisait des manutentions de vivres, des hôpitaux, tout ce qu'il fallait en un mot pour avoir une vaste place de dépôt au centre de la Pologne. Cette place, il est vrai, n'était pas fortifiée, comme Wittemberg ou Spandau; elle était ouverte comme Berlin. Mais elle avait pour défense l'affection des habitants, voués de cœur à la cause des Français.

Continuation des mouvements de l'armée en Pologne.

Napoléon dirigea ensuite les mouvements de l'armée conformément à son plan d'invasion. Le maréchal Ney était arrivé à Posen. Les maréchaux Soult et Bernadotte y marchaient à petites journées, après avoir pris à Berlin le repos dont leurs troupes avaient besoin. La garde et les grenadiers rendus à Posen y entouraient l'Empereur. Le prince Jérôme avait envoyé les Bavarois sur Kalisch, et, avec les Wurtembergeois, commençait par Glogau l'investissement des places de la Silésie.

Napoléon envoya le maréchal Ney de Posen à Thorn, pour qu'il tâchât de s'emparer de cette dernière place, et d'y surprendre le passage de la Vistule. (Voir la carte no 37.) Il prescrivit au maréchal Augereau de continuer son mouvement par la droite, en longeant la Vistule de Thorn à Varsovie. Il ordonna au maréchal Lannes, qui avait déjà exécuté ce même mouvement, d'entrer à Varsovie, d'y remplacer le maréchal Davout, dès que celui-ci aurait rétabli les ponts de la Vistule, qui unissent la ville de Varsovie avec le faubourg de Praga. En ordonnant aux maréchaux Ney et Davout de franchir le plus tôt possible la Vistule sur les deux points de Thorn et de Varsovie, il leur recommanda de s'en assurer le passage d'une manière permanente, en construisant de fortes têtes de pont. Il ajourna ses mouvements ultérieurs jusqu'au moment où ces deux bases d'opération seraient solidement établies, et en attendant il s'occupa de faire avancer, sans hâte et sans fatigue, les corps des maréchaux Soult et Bernadotte, afin d'entrer en ligne à la tête de toutes ses forces réunies.

Emploi des négociants juifs pour nourrir l'armée.

Dans cet intervalle, Murat avec la réserve de cavalerie, le maréchal Davout avec son corps d'armée, s'étaient installés à Varsovie, et cherchaient à y exécuter les ordres de l'Empereur. Les Russes avaient employé le temps de leur séjour dans cette ville, à emporter les vivres ou à les détruire, à couler à fond toutes les barques, à ne laisser enfin ni moyen de subsistance, ni moyen de passage. Grâce au zèle des Polonais on suppléa en grande partie à tout ce qui manquait. D'après l'autorisation de Napoléon, qui ne ménageait pas l'argent dont il était pourvu, on conclut des marchés avec les commerçants juifs, qui se montraient fort adroits, fort habiles à tirer de ces vastes contrées les grains dont elles abondaient. Un cordon autrichien, répandu le long de la Gallicie, empêchait l'exportation des denrées alimentaires. Mais on chargea les juifs d'écarter la difficulté, en soudoyant richement les douaniers autrichiens; et moyennant l'argent qu'on leur donna, moyennant l'abandon qu'on leur fit de tous les sels trouvés dans les magasins prussiens, ils promirent de faire couler par la Pilica dans la Vistule, par la Vistule dans Varsovie, les blés et les avoines, d'y amener en outre une quantité considérable de viande sur pied.

Passage de la Vistule à Varsovie par les troupes du maréchal Davout.

On songea ensuite au passage du grand fleuve, qui coupait en deux la capitale. Le temps, alternativement pluvieux ou froid, restait incertain, ce qui était la pire des conditions atmosphériques dans un tel pays, car la Vistule sans être gelée, charriant d'énormes glaçons, ne permettait ni de jeter un pont, ni de passer sur la glace. On avait envoyé des détachements de cavalerie légère le long des rives du fleuve, pour s'emparer des barques, que l'ennemi n'avait pas eu le temps de couler, et de cette manière on en avait réuni un certain nombre à Varsovie. Ne pouvant pas encore jeter un pont à cause des glaces que le courant entraînait avec violence, on essaya de faire passer quelques détachements dans des bateaux. Il fallait la hardiesse que l'habitude du succès inspirait à nos soldats et à nos généraux, pour tenter de semblables opérations, car ces détachements transportés l'un après l'autre, auraient pu être enlevés, avant d'être assez nombreux pour se défendre. Mais le général russe qui commandait l'avant-garde, ayant vu ce commencement de passage, prit l'alarme, abandonna le faubourg de Praga, et se retira sur la Narew, ligne militaire dont nous ferons connaître tout à l'heure la direction, et qui se trouve à quelques lieues de Varsovie. On se hâta de profiter de cette circonstance, on transporta toute une division du corps de Davout au delà de la Vistule, on s'empara de Praga, et on s'avança jusqu'à Jablona. (Voir les cartes nos 37 et 38.) La Vistule paraissant un peu moins chargée de glaçons, on rétablit les ponts de bateaux, grâce à l'intrépidité des marins de la garde, et au zèle des bateliers polonais. Le maréchal Davout se porte sur la Narew. Le maréchal Lannes occupe Varsovie. Le maréchal Augereau se place le long de la Vistule, devant Modlin. En peu de jours la construction des ponts de bateaux étant achevée, le maréchal Davout put passer avec tout son corps sur la rive droite, s'établir à Praga, et même au delà dans une forte position sur la Narew. Le corps de Lannes vint se dédommager dans Varsovie des privations qu'il avait essuyées en remontant la Vistule. Le maréchal Augereau le remplaça, et prit position au-dessous de Varsovie, à Utrata, vis-à-vis de Modlin, c'est-à-dire vis-à-vis du confluent de la Narew et de la Vistule. Son corps y souffrait beaucoup, et n'avait à manger que le pain que Lannes et Murat lui envoyaient de Varsovie avec un zèle de bons camarades.

Audacieux passage de la Vistule à Thorn, par le corps du maréchal Ney.

Pendant que le passage de la Vistule s'opérait à Varsovie, le maréchal Ney s'était dirigé sur Thorn par Gnesen et Inowraclaw. Le corps prussien de Lestocq, gui restait fort de 15 mille hommes, après avoir fourni les garnisons de Graudenz et Dantzig, occupait Thorn par un détachement. Le maréchal Ney s'approcha de cette ville, qui, par une situation toute contraire à celle de Varsovie, se trouve sur la rive droite de la Vistule, et n'a sur la rive gauche qu'un simple faubourg. Un vaste pont reposant sur arches de bois, et appuyé sur une île, unissait les deux rives; mais l'ennemi l'avait presque détruit. Le maréchal Ney s'étant avancé avec une simple tête de colonne, fit en compagnie du colonel Savary, commandant le 14e de ligne, la reconnaissance des bords de la Vistule. Thorn est sur la frontière qui sépare le pays slave du pays allemand. Les deux populations, ennemies de tout temps, l'étaient bien davantage alors, et se montraient prêtes à en venir aux mains à l'arrivée des Français. Des bateliers polonais aidèrent les troupes du maréchal Ney, et lui amenèrent des barques en assez grand nombre pour transporter quelques centaines d'hommes. Le colonel Savary, avec un détachement de son régiment, avec quelques compagnies du 69e de ligne et du 6e léger, se plaça dans ces barques, et s'aventura sur le large lit de la Vistule, naviguant à travers d'énormes glaçons, et ayant en présence sur l'autre rive l'ennemi qui l'attendait. Quand il se fut approché, la fusillade commença, et devint d'autant plus incommode, que les glaçons, plus serrés sur les bords qu'au milieu du fleuve, ne permettaient guère aux barques d'aborder. Des bateliers allemands se disposaient à joindre leurs efforts à l'obstacle des lieux, pour empêcher le débarquement des Français. Mais à cet aspect, les bateliers polonais, plus hardis et plus nombreux que les bateliers allemands, se jetèrent sur ceux-ci, les repoussèrent, et entrant dans l'eau jusqu'à mi-corps, tirèrent les barques sur le rivage, sous le feu des Prussiens. Les quatre cents Français, s'élançant aussitôt à terre, coururent sur l'ennemi. Bientôt les barques, renvoyées de l'autre côté de la Vistule, amenèrent de nouveaux détachements, et les troupes de Ney furent assez nombreuses dans Thorn pour s'en rendre maîtresses.

Après cet acte d'audace, si heureusement accompli, le maréchal Ney s'occupa de faire son établissement à Thorn, pour lui et pour les corps qui viendraient le joindre. Grand établissement militaire créé à Thorn. Il s'empressa d'abord de réparer le pont, ce qui ne fut pas difficile, vu que la destruction n'en avait été que très-incomplète. Il découvrit des barques en grand nombre, parce que la navigation est plus active sur la basse Vistule, et il en réunit assez pour en expédier sur Varsovie, et sur les points intermédiaires, notamment à Utrata, où elles étaient fort nécessaires au maréchal Augereau, pour le transport de ses vivres. Puis il s'occupa de faire à Thorn ce qu'on avait déjà fait à Posen et à Varsovie, c'est-à-dire de créer des manutentions de vivres, des hôpitaux, des établissements de tout genre. Bromberg qui est situé sur le canal de Nackel, à peu de distance de Thorn, pouvait y verser une partie de ses vastes ressources, ce qui fut exécuté sans retard, au moyen de la navigation. Ney rangea ensuite les sept régiments de son corps d'armée autour de Thorn, les disposant comme des rayons autour d'un centre, et plaçant sa cavalerie légère à la circonférence, afin de se garantir des Cosaques, coureurs fort actifs et fort incommodes.

La Vistule étant passée, Napoléon arrête ses opérations pour la fin de la campagne.

Lorsque Napoléon apprit qu'il était, par le zèle et la hardiesse de ses lieutenants, maître du cours de la Vistule, sur les deux points principaux de Thorn et de Varsovie, il arrêta tout de suite son plan d'opération pour la fin de l'automne. Il connaissait assez l'état du pays et l'action des pluies sur ce sol argileux, pour se décider à prendre ses quartiers d'hiver. Mais auparavant il voulait frapper sur les Russes un coup, sinon décisif, au moins suffisant pour les rejeter jusqu'au Niémen, et lui permettre de prendre tranquillement ses quartiers d'hiver le long de la Vistule. Afin de bien saisir les mouvements qu'il méditait, il faut se faire une idée exacte des lieux, et de la position que l'ennemi y avait occupée. (Voir les cartes nos 37 et 38.)

Le roi de Prusse, repoussé de l'Oder, s'était porté sur la Vistule. Repoussé de la Vistule, il s'était retiré sur la Prégel, à Kœnigsberg. Arrivé à cette extrémité de son royaume, il lui restait à défendre, de concert avec les Russes, l'espace compris entre la Vistule et la Prégel. Description du pays situé entre la Vistule et la Prégel. Le sol présente ici les mêmes caractères qu'entre l'Elbe et l'Oder, entre l'Oder et la Vistule, c'est-à-dire une longue chaîne de dunes parallèles à la mer, retenant les eaux, et occasionnant une suite de lacs, qui s'étendent de la Vistule à la Prégel. Ces lacs trouvent leur écoulement, les uns directement vers la mer, par de petites rivières qui s'y jettent, et dont la principale est la Passarge; les autres dans l'intérieur du pays, par une multitude de cours d'eau, tels que l'Omulew, l'Orezyc, l'Ukra, qui se rendent dans la Narew, et par la Narew dans la Vistule. Ce pays singulier, compris entre la Vistule et la Prégel, a donc deux versants, un tourné vers la mer, qui est allemand, colonisé jadis par l'ordre Teutonique, et très-bien cultivé; l'autre tourné vers l'intérieur, peu habité, peu cultivé, couvert de forêts épaisses, et presque impénétrable en hiver. Tout est ressource en s'approchant de la mer, tout est obstacle, difficulté de vivre, quand on s'enfonce dans l'intérieur. Dantzig et Kœnigsberg. À l'embouchure de la Vistule et à celle de la Prégel, se rencontrent deux grandes villes commerçantes, Dantzig sur la première, Kœnigsberg sur la seconde, remplies, à l'époque dont nous parlons, de ressources immenses, tant celles qu'on avait tirées du pays, que celles que les Anglais y avaient apportées, et y apportaient tous les jours. Dantzig, puissamment fortifiée, pourvue d'une nombreuse garnison, ne pouvait tomber que devant un long siége. Elle était, pour les Russes et les Prussiens, un point d'appui d'une grande importance sur la basse Vistule, et rendait précaire notre établissement sur la haute Vistule, en permettant toujours à l'ennemi de passer ce fleuve sur notre gauche, et de menacer nos derrières. Kœnigsberg, mal fortifiée, mais défendue par la distance, renfermant les dernières ressources de la Prusse, en matériel, munitions, argent, soldats, officiers, était le principal dépôt de l'ennemi, et son moyen de communication avec les Anglais. Le Frische-Haff. Entre Dantzig et Kœnigsberg s'étend le Frische-Haff, vaste lagune, semblable aux lagunes de Venise et de Hollande, due à la cause qui a produit tous les phénomènes de ce sol, à l'accumulation des sables, lesquels, rangés en un long banc parallèle au rivage, séparent les eaux fluviales des eaux maritimes, et forment ainsi une mer intermédiaire. C'est le même phénomène qui se remarque à l'embouchure de l'Oder sous le nom de Grosse-Haff, et à l'embouchure du Niémen, sous le nom de Curische-Haff. Indépendamment de Dantzig et de Kœnigsberg, d'autres villes commerçantes, Marienbourg, Elbing, Braunsberg, situées autour du Frische-Haff, présentent une ceinture de cités riches et populeuses. C'était là le dernier débris de la monarchie prussienne, resté à Frédéric-Guillaume. Ce monarque, placé de sa personne à Kœnigsberg, avait ses troupes répandues entre Dantzig et Kœnigsberg, se liant aux Russes du côté de Thorn. Il défendait ainsi le versant maritime avec 30 mille hommes, garnisons comprises. Les Russes avec 100 mille, occupaient le versant intérieur, adossés à des forêts épaisses, et couverts par l'Ukra et la Narew, rivières qui en se réunissant avant de se jeter dans la Vistule, décrivent un angle dont le sommet vient s'appuyer sur ce grand fleuve, un peu au-dessous de Varsovie.

Deux combinaisons possibles de la part des Russes et des Prussiens.

Deux combinaisons étaient possibles de la part des coalisés. Ils pouvaient se réunir en masse vers la mer, pour profiter des nombreux points d'appui qu'ils possédaient sur le littoral, surtout de Dantzig, et, passant la basse Vistule, nous obliger à repasser la haute, si nous ne voulions pas être tournés. Ils pouvaient encore, abandonnant aux Prussiens le soin de garder la mer, et communiquant entre eux par quelques détachements placés sur la ligne des lacs, porter les Russes en avant de la région des forêts, dans l'angle décrit par l'Ukra et la Narew, former ainsi une sorte de coin, et en diriger la pointe sur Varsovie. Napoléon était prêt pour l'un et l'autre cas. Double manœuvre imaginée par Napoléon, en opposition aux deux combinaisons possibles de l'ennemi. Si les Prussiens et les Russes opéraient en masse vers la mer, son projet était de remonter la Narew, par les routes qui traversent la région intérieure, et puis, se rabattant à gauche, de jeter l'ennemi dans la mer ou dans la basse Vistule. Si, au contraire, laissant les Prussiens vers la mer, entre Dantzig et Kœnigsberg, les Russes s'avançaient le long de la Narew et de l'Ukra sur Varsovie, alors, perçant par Thorn, entre les uns et les autres, Napoléon était décidé à pivoter sur sa droite, dont l'extrémité poserait sur Varsovie, à s'élever par sa gauche, de manière à séparer par ce mouvement de conversion les Prussiens des Russes, et à refouler ceux-ci dans le chaos des bois et des marécages de l'intérieur. Il les privait ainsi des ressources de la mer, des secours de l'Angleterre, et les obligeait à fuir en désordre à travers un affreux labyrinthe. Cette séparation opérée, la région maritime, défendue par quelques mille Prussiens, était facile à conquérir, et avec elle on enlevait toutes les richesses matérielles de la coalition.

Entre les deux combinaisons que nous venons de décrire, les coalisés semblaient avoir adopté la seconde. Les Prussiens occupaient la région maritime, se liant aux Russes par un détachement placé aux environs de Thorn. Les Russes étaient rangés en masse dans la région intérieure, sur la Narew et ses affluents. Le général Benningsen, qui commandait la première armée russe, composée de quatre divisions, s'était replié de la Vistule sur la Narew, à l'approche des Français, et avait pris position dans l'intérieur de l'angle formé par l'Ukra et la Narew. Le général Buxhoewden, avec la seconde armée, forte aussi de quatre divisions, était en arrière, sur la haute Narew et l'Omulew, aux environs d'Ostrolenka. Le général Essen, avec les deux divisions de réserve, n'était point encore arrivé sur le théâtre de la guerre. Dans le désir de flatter les passions des vieux soldats russes, on leur avait donné pour les commander en chef le général Kamenski, ancien lieutenant de Suwarow, ayant la rudesse énergique de l'illustre guerrier moscovite, mais aucun de ses talents. Après avoir d'abord rétrogradé devant les Français, les Russes, regrettant le terrain perdu, avaient voulu se reporter en avant. Mais, à l'aspect de notre armée fort bien préparée à les recevoir, ils avaient repris leur position derrière l'Ukra et la Narew.

Informé de la situation des Prussiens et des Russes, les premiers établis le long de la mer, les seconds accumulés dans la région intérieure, les uns et les autres faiblement liés entre eux vers Thorn, Napoléon résolut de leur opposer la manœuvre imaginée pour ce cas, c'est-à-dire de déboucher de Thorn avec sa gauche renforcée, de séparer les Prussiens des Russes, et de jeter ceux-ci dans les inextricables difficultés de l'intérieur. Il avait déjà dirigé le maréchal Ney sur Thorn; il y achemina encore le maréchal Bernadotte avec le premier corps, et la division Dupont. Il porta le corps du maréchal Soult intermédiairement, par Sempolno sur Plock, lui prescrivit de passer la Vistule entre Varsovie et Thorn, et lui recommanda de se lier, par sa gauche avec les maréchaux Ney et Bernadotte, par sa droite avec le maréchal Augereau. Les dragons montés à Potsdam ayant rejoint l'armée, Napoléon les réunit à la portion de la grosse cavalerie qui s'était reposée à Berlin, et en composa une seconde réserve de troupes à cheval, qu'il confia au maréchal Bessières, enlevé pour un instant au commandement de la garde impériale. Il envoya cette seconde réserve à Thorn. C'était un rassemblement de 7 à 8 mille chevaux, lequel, joint aux corps des maréchaux Ney et Bernadotte, devait composer à l'extrême gauche de l'armée française, une colonne de 40 à 45 mille hommes, bien suffisante pour opérer le mouvement de conversion projeté. Le maréchal Soult, à la tête de 25 mille hommes, formait le centre; les maréchaux Augereau, Davout, Lannes, formaient la droite, destinée à s'appuyer sur Varsovie. Tous ces corps étaient assez rapprochés pour coopérer les uns avec les autres, et présenter, en quelques heures, 70 mille hommes rassemblés sur le point, quel qu'il fût, où l'on rencontrerait l'ennemi en force. Napoléon supposait donc que sa gauche s'avançant à marches rapides tandis que sa droite pivoterait lentement, il pourrait ramasser les Russes chemin faisant, et, après les avoir séparés des Prussiens, les refouler de l'Ukra sur la Narew, de la Narew sur le Bug, loin de la mer, perdus dans l'intérieur de la Pologne. Si le temps, favorisant de tels projets, rendait les marches faciles, il était possible que les Russes fussent repoussés si loin de leur base d'opération, et du pays où ils vivaient, que leur déroute devint un véritable désastre.

Ouvrages ordonnés par Napoléon sur la Vistule.

Voulant pivoter sur Varsovie, mais voulant aussi pouvoir s'en éloigner au besoin, s'il était obligé de suivre le mouvement de sa gauche et de s'élever avec elle, Napoléon fit exécuter de grands travaux au faubourg de Praga. Il ordonna de le fortifier au moyen d'ouvrages en terre, pourvus d'un revêtement en bois, revêtement qui vaudrait une escarpe en maçonnerie. Ce faubourg, ainsi fortifié, devait servir de tête de pont à Varsovie. Napoléon prescrivit au maréchal Davout, qui s'était porté de la Vistule sur la Narew, d'établir un pont sur cette dernière rivière, et de le mettre en état de défense. Il prescrivit au maréchal Augereau, qui se préparait à passer la Vistule à Modlin, d'y établir également un pont à demeure, et de le rendre inattaquable sur les deux rives. Il chargea le général Chasseloup du tracé des ouvrages ordonnés. Il lui recommanda d'y employer exclusivement la terre et le bois, d'y placer la grosse artillerie enlevée à l'ennemi, d'y attirer à prix d'argent, et en grand nombre, les ouvriers polonais. Napoléon désirait que ces fortifications en terre et en bois, élevées jusqu'à la valeur d'une fortification permanente, pussent, en y laissant les Polonais de nouvelle levée et quelques détachements français, se suffire à elles-mêmes, pendant que l'armée se porterait en avant, si la conséquence des opérations entreprises venait à l'exiger.

Difficulté de se procurer des bras pour travailler aux ouvrages ordonnés par Napoléon.

Les ordres de Napoléon étaient toujours ponctuellement exécutés, à moins d'impossibilité absolue, parce qu'il veillait à leur exécution avec une attention soutenue, et une insistance opiniâtre. Le général Chasseloup fit travailler très-activement aux ouvrages prescrits; mais il avait de la peine à se procurer des ouvriers. Les violences exercées par les Russes, la crainte de violences semblables de la part des Français, avaient porté les paysans à s'enfuir avec leurs familles, leurs bestiaux, et leurs moyens de transport sur le territoire de la Pologne autrichienne, dont la frontière extrêmement rapprochée, et fermée aux deux armées belligérantes, présentait un asile voisin et sûr. Des villages entiers avaient fui, leurs prêtres en tête, afin de se soustraire aux horreurs de la guerre. Même avec beaucoup d'argent on ne pouvait pas se procurer des bras. On en avait bien quelques-uns à Varsovie, mais la construction des fours, l'organisation des établissements militaires qu'il fallait proportionner à une armée de 200 mille hommes, les absorbaient presque tous. Il n'en restait point pour les employer ailleurs. On y suppléait avec des soldats. Malheureusement ceux-ci commençaient à se ressentir des fatigues, et surtout des influences de la saison, jusqu'ici plus humide que froide. Ils souffraient aussi des privations. Difficulté de vivre. Les provisions commandées en Gallicie se faisaient attendre, et même à Varsovie on éprouvait quelque difficulté à vivre. Le maréchal Lannes y était campé avec ses deux divisions. Le maréchal Davout était campé au delà, c'est-à-dire au bord de la Narew, qui tombe dans la Vistule un peu au-dessous de Varsovie. Il y avait de Varsovie à la Narew environ huit lieues, beaucoup de landes, peu de cultures et d'habitations. Les soldats du corps de Davout réduits à manger du porc, à défaut de bœuf ou de mouton, étaient atteints de dyssenterie. Ils n'avaient de pain que celui qu'on leur envoyait chaque jour. Le maréchal Davout avait son quartier général à Jablona, et sa tête de colonne au bord même de la Narew, vers Okunin, vis-à-vis du confluent de l'Ukra et de la Narew. (Voir les cartes nos 38 et 39.) Le maréchal Davout, malgré les avant-gardes russes, avait passé la Narew, jeté un pont sur cette rivière, à l'aide de quelques barques qu'on avait recueillies, et faisait travailler à des ouvrages défensifs aux deux extrémités de ce pont. Il pouvait donc manœuvrer sur l'une et l'autre rive de la Narew. Cependant il l'avait franchie au-dessous du point où l'Ukra se réunit à elle, et il lui restait à la franchir plus haut, ou à franchir l'Ukra elle-même, pour pénétrer dans l'angle occupé par les Russes. Mais ils y étaient nombreux, et solidement retranchés sur un terrain élevé, boisé, armé d'artillerie. On ne pouvait aller les attaquer qu'en passant l'Ukra de vive force. Le tenter c'était engager la lutte qu'on ne devait entreprendre que sous les yeux de Napoléon.

Situation des divers corps d'armée sur la Vistule.

Les travailleurs du maréchal Davout donnaient presque la main à ceux du maréchal Augereau, qui s'occupait activement de son établissement sur la Vistule, vers Modlin, au point où la Vistule et la Narew se confondent. (Voir la carte no 38.) Mais il était privé des moyens nécessaires, les Russes ayant tout détruit en se retirant. Douze barques, ramassées au-dessus et au-dessous de Modlin, lui avaient servi à passer le fleuve, un détachement après l'autre. Il travaillait à construire un vaste pont à Modlin, avec ouvrages défensifs sur les deux rives. Ses troupes, au milieu des sables qui règnent dans cette partie du pays, vivaient encore plus mal que celles du maréchal Davout. Il avait hâte de se porter à Plonsk, au delà de la Vistule, vis-à-vis de l'Ukra, dans une contrée plus fertile. Le maréchal Soult avait exécuté les marches ordonnées par l'Empereur, et avait commencé à passer à Plock, d'où il était en mesure, ou de rejoindre le maréchal Augereau à Plonsk, ou de rejoindre les maréchaux Ney et Bernadotte à Biezun, suivant les circonstances. Quant aux corps qui avaient Thorn pour base d'opération, ceux-là ne manquaient de rien.

Ces vainqueurs rapides, qui avaient si promptement envahi l'Autriche l'année précédente, et la Prusse le mois dernier, se trouvaient tout à coup ralentis dans leur marche triomphale, par un climat humide et sombre, par un sol mouvant, alternativement sablonneux ou fangeux, par la disette des vivres devenant plus rares à mesure que la population et la culture disparaissaient. Ils en étaient surpris, point abattus, tenaient mille propos railleurs sur l'attachement des Polonais pour une telle patrie, et ne demandaient qu'à rencontrer l'ennemi d'Austerlitz, pour se venger sur lui des disgrâces du sol et du ciel.

En voyant les Russes s'avancer et rétrograder tour à tour, puis se retirer une dernière fois avec toutes les apparences d'une retraite définitive, Napoléon crut qu'ils se repliaient sur la Prégel, pour y prendre leurs quartiers d'hiver. Il ordonna donc à Murat et à Bessières de les poursuivre à la tête de vingt-cinq mille chevaux, l'un débouchant de Varsovie avec la première réserve de cavalerie, l'autre débouchant de Thorn avec la seconde. Mais bientôt les rapports plus exacts du maréchal Davout, qui, placé au confluent de la Narew et de l'Ukra, voyait les Russes solidement établis derrière ces deux rivières, les rapports conformes du maréchal Augereau, du maréchal Ney surtout qui avait l'habitude d'observer l'ennemi de très-près, le détrompèrent, et lui prouvèrent qu'il était temps de marcher sur les Russes, qu'il le fallait même, si on ne voulait pas les laisser hiverner dans une position trop voisine de l'armée française. D'ailleurs les ponts sur la Vistule, dont il se proposait de faire ses points d'appui, étaient achevés, pourvus d'un commencement d'ouvrages défensifs, et capables d'une suffisante résistance, moyennant qu'on y plaçât quelques troupes.

Napoléon quitte Posen pour se rendre à Varsovie.

Napoléon partit donc de Posen dans la nuit du 15 au 16 décembre, après y être demeuré dix-neuf jours, passa par Kutno et Lowicz, commanda partout des vivres, des ambulances, pour le cas d'un mouvement rétrograde, peu probable, mais toujours prévu par sa prudence, veilla enfin à la marche de ses colonnes sur Varsovie, et s'occupa surtout d'y faire arriver la garde et les grenadiers d'Oudinot[14].

Il entra la nuit dans la capitale de la Pologne, pour éviter les démonstrations bruyantes, car il ne lui convenait pas de payer quelques acclamations populaires par des engagements imprudents. Le Polonais Wibiski l'avait précédé, et avait employé tout son esprit à persuader à ses compatriotes qu'ils devaient se dévouer à Napoléon, avant d'exiger qu'il se dévouât à eux. Beaucoup d'entre eux s'étaient rendus aux bonnes raisons qu'il leur donnait. Le prince Poniatowski, neveu du dernier roi, prince jeune, brillant et brave, espèce de héros endormi dans la mollesse, mais prêt à s'éveiller au premier bruit des armes, était du nombre de ceux qui s'étaient offerts pour seconder les projets de Napoléon. Le comte Potoki, le vieux Malakouski, maréchal de l'une des dernières diètes, et d'autres venus à Varsovie, s'étaient réunis autour des autorités françaises, pour concourir à former un gouvernement. On avait composé une administration provisoire, et tout commençait à marcher, sauf les tiraillements inévitables, entre gens peu expérimentés, et fort enclins à la jalousie. On levait des hommes, on organisait des bataillons, soit à Varsovie, soit à Posen. Napoléon, afin de venir en aide au nouveau gouvernement polonais, l'avait tenu quitte de toute contribution, moyennant la fourniture des vivres d'urgence. Du reste, la haute société de Varsovie montrait pour lui un empressement extraordinaire. Toute la noblesse polonaise avait quitté ses châteaux, pressée qu'elle était de voir, de saluer le grand homme, autant que le libérateur de la Pologne.

Arrivé dans la nuit du 18 au 19, Napoléon voulait monter à cheval le 19 au matin pour aller reconnaître lui-même la situation du maréchal Davout sur la Narew. Mais un brouillard épais l'en empêcha. Napoléon fixe au 22 ou 23 décembre l'attaque générale contre les Russes. Il fit ses dispositions pour attaquer l'ennemi du 22 au 23 décembre.—Il est temps, écrivait-il au maréchal Davout, de prendre nos quartiers d'hiver; mais cela ne peut avoir lieu qu'après avoir repoussé les Russes.—

Position des quatre divisions du général Benningsen.

Les quatre divisions du général Benningsen se présentaient les premières. (Voir la carte no 38.) La division du comte Tolstoy, postée à Czarnowo, occupait le sommet de l'angle formé par la réunion de l'Ukra et de la Narew. La division du général Sedmaratzki, placée en arrière vers Zebroszki, gardait les bords de la Narew. Celle du général Saken, placée aussi en arrière vers Lopaczym, gardait les bords de l'Ukra. La division du prince Gallitzin était en réserve à Pultusk. Les quatre divisions du général Buxhoewden se trouvaient à grande distance de celles du général Benningsen, et peu en mesure de les soutenir. Deux cantonnées à Popowo observaient le pays entre la Narew et le Bug; deux autres campaient plus loin encore, à Makow et Ostrolenka. Les Prussiens, repoussés de Thorn, étaient sur le cours supérieur de l'Ukra, vers Soldau, liant les Russes à la mer. Comme nous l'avons dit, les deux divisions de réserve du général Essen n'étaient pas encore arrivées. La masse totale des coalisés destinée à entrer en action était de 115 mille hommes.

Il est facile de reconnaître que la distribution des corps russes n'était pas heureusement combinée dans l'angle de l'Ukra et de la Narew, et qu'ils y avaient trop peu concentré leurs forces. Si au lieu d'avoir une seule division à la pointe de l'angle, et une sur chaque côté à trop grande distance de la première, enfin cinq hors de portée, ils s'étaient distribués avec intelligence sur ce sol si favorable à la défensive, qu'ils eussent occupé fortement le confluent d'abord, puis les deux rivières, la Narew de Czarnowo à Pultusk, l'Ukra de Pomichowo à Kolozomb, qu'ils eussent placé en réserve dans une position centrale, à Nasielsk par exemple, une masse principale prête à courir au point menacé, ils auraient pu nous disputer le terrain avec avantage. Mais les généraux Benningsen et Buxhoewden ne s'aimaient guère, ne cherchaient pas le voisinage l'un de l'autre, et le vieux Kamenski, arrivé de la veille, n'avait ni l'esprit ni la volonté nécessaires, pour leur prescrire d'autres dispositions que celles qu'ils avaient adoptées, en suivant chacun leur goût.

Dernières dispositions de Napoléon pour l'attaque de la position des Russes.

Napoléon, qui ne voyait la position des Russes que du dehors, jugea bien qu'ils étaient retranchés derrière la Narew et l'Ukra pour en garder les bords, mais sans savoir comment ils y étaient établis et distribués. Il pensa qu'il fallait d'abord leur enlever le confluent, où il était probable qu'ils se défendraient avec énergie, et, ce point emporté, procéder à l'exécution de son plan, qui consistait à jeter, par un mouvement de conversion de gauche à droite, les Russes dans le pays marécageux et boisé de l'intérieur de la Pologne. En conséquence, après avoir réitéré aux maréchaux Ney, Bernadotte et Bessières, formant sa gauche, l'ordre de se porter rapidement de Thorn à Biezun sur le cours supérieur de l'Ukra, aux maréchaux Soult et Augereau, formant son centre, l'ordre de partir de Plock et de Modlin pour se réunir à Plonsk sur l'Ukra, il se mit lui-même à la tête de sa droite, composée du corps de Davout, du corps de Lannes, de la garde et des réserves, et résolut de forcer tout de suite la position des Russes au confluent de l'Ukra et de la Narew. Il laissa dans les ouvrages de Praga les Polonais de nouvelle levée, avec une division de dragons, force suffisante pour parer à tout accident, l'armée ne devant pas s'éloigner beaucoup de Varsovie.

Napoléon se transporte à Okunin pour diriger lui-même le passage de l'Ukra et l'attaque de Czarnowo.

Arrivé dans la matinée du 23 décembre à Okunin sur la Narew, par un temps humide, par des routes fangeuses et presque impraticables, Napoléon mit pied à terre, pour veiller de sa personne aux dispositions d'attaque. Ce général qui, suivant quelques critiques, tout en dirigeant des armées de trois cent mille hommes, ne savait pas mener une brigade au feu, alla lui-même faire la reconnaissance des positions ennemies, et placer sur le terrain jusqu'à des compagnies de voltigeurs.

On avait déjà franchi la Narew à Okunin, au-dessous du confluent de l'Ukra et de la Narew. (Voir la carte no 39.) Pour pénétrer dans l'angle formé par ces deux rivières, il fallait passer ou la Narew, ou l'Ukra, au-dessus de leur point de réunion. Passage de l'Ukra, et combat de Czarnowo. L'Ukra étant moins large, on aima mieux essayer de franchir celle-ci. On avait profité d'une île qui la divisait en deux bras, près de son embouchure, afin de diminuer la difficulté. On s'était établi dans cette île, et il restait à passer le second bras, pour aborder à la pointe de terre qu'occupaient les Russes, entre l'Ukra et la Narew. Cette pointe de terre, couverte de bois, de taillis, de marécages, offrait un fourré très-épais. Au delà, ce fourré s'éclaircissait un peu, puis le terrain se relevait, et présentait un escarpement, qui s'étendait de la Narew à l'Ukra. À droite de ce retranchement naturel, se voyait le village de Czarnowo sur la Narew, à gauche le village de Pomichowo sur l'Ukra. Les Russes avaient des avant-gardes de tirailleurs dans le fourré, sept bataillons et une nombreuse artillerie sur la partie élevée du terrain, deux bataillons en réserve, et toute leur cavalerie en arrière. Napoléon, rendu dans l'île, monta au moyen d'une échelle sur le toit d'une grange, étudia avec une lunette la position des Russes, et ordonna sur-le-champ les dispositions suivantes. Il répandit une grande quantité de tirailleurs tout le long de l'Ukra, et fort au-dessus du point de passage. Il leur prescrivit de tirailler vivement, et d'allumer de grands feux avec de la paille humide, pour couvrir le lit de la rivière d'un nuage de fumée, et faire craindre aux Russes une attaque au-dessus du confluent vers Pomichowo. Il dirigea même de ce côté la brigade Gauthier, du corps de Davout, afin d'y attirer davantage l'attention de l'ennemi. Tandis que ces ordres s'exécutaient, il réunit à la chute du jour toutes les compagnies de voltigeurs de la division Morand, sur le point projeté du passage, et leur ordonna de tirer d'une rive à l'autre, à travers les touffes de bois, pour écarter les postes ennemis, tandis que les marins de la garde remonteraient les barques réunies dans la Narew. Le 17e de ligne et le 13e léger étaient en colonne, prêts à s'embarquer par détachement, et le reste de la division Morand était massé en arrière, afin de passer quand le pont serait établi. Les autres divisions du corps de Davout attendaient au pont d'Okunin le moment d'agir. Lannes s'avançait à grands pas de Varsovie sur Okunin.

Bientôt les marins de la garde amenèrent quelques barques, à l'aide desquelles on transporta plusieurs détachements de voltigeurs d'une rive à l'autre. Ceux-ci s'enfonçant dans le fourré en écartèrent l'ennemi, pendant que les officiers pontonniers et les marins de la garde étaient occupés à jeter en toute hâte un pont de bateaux. À sept heures du soir, le pont étant devenu praticable, la division Morand le franchit en colonnes serrées, et marcha en avant précédée par le 17e de ligne, par le 13e léger, et par une nuée de tirailleurs. On s'avançait couvert par la nuit et les bois. Les sapeurs des régiments frayaient dans l'épaisseur du fourré un passage à l'infanterie. À peine eut-on franchi ces premiers obstacles, qu'on se trouva à découvert, en présence du plateau élevé, qui régnait de la Narew à l'Ukra, et qui était défendu soit par des abatis, soit par une nombreuse artillerie. Les Russes, à travers l'obscurité de la nuit, ouvrirent sur nos colonnes un feu nourri de mitraille et de mousqueterie, qui nous fit quelque mal. Tandis que les voltigeurs de la division Morand et le 13e léger s'approchaient en tirailleurs, le colonel Lanusse à la tête du 17e de ligne, se forma en colonne d'attaque sur la droite, pour enlever les batteries russes. Il en avait déjà emporté une, lorsque les Russes se dirigeant en masse sur son flanc gauche, l'obligèrent à rétrograder. Mais le reste de la division Morand arrivait au soutien de ses deux premiers régiments. Le 13e léger ayant épuisé ses cartouches, fut remplacé par le 30e, et on marcha de nouveau par la droite à l'attaque du village de Czarnowo, tandis que vers la gauche le général Petit se portait avec 400 hommes d'élite à l'attaque des retranchements russes, placés contre l'Ukra, vis-à-vis de Pomichowo. Malgré la nuit, on manœuvrait avec le plus grand ordre. Deux bataillons du 30e et un du 17e attaquèrent Czarnowo, l'un en longeant le bord de la Narew, les deux autres en gravissant directement le plateau sur lequel ce village est assis. Ces trois bataillons emportèrent Czarnowo, et, suivis par les 51e et 61e régiments, débouchèrent sur le plateau, en repoussant les Russes dans la plaine qui s'étend au delà. Au même instant le général Petit avait assailli l'extrémité des retranchements ennemis vers l'Ukra, et, secondé par le feu de l'artillerie que la brigade Gauthier faisait de l'autre rive, les avait enlevés. À minuit, on était maître de la position des Russes de la Narew à l'Ukra. Mais à la lenteur de leur retraite, qu'il était possible de discerner à travers l'obscurité, on devait croire qu'ils reviendraient à la charge, et, par ce motif, le maréchal Davout envoya au secours du général Petit, qui était le plus exposé, la seconde brigade de la division Gudin. Comme on l'avait prévu, les Russes pendant la nuit revinrent trois fois à la charge dans l'intention de reprendre la position qu'ils avaient perdue, et de jeter les Français à bas du plateau, vers cette pointe de terre boisée et marécageuse sur laquelle ils avaient débarqué. Trois fois on les laissa s'approcher jusqu'à trente pas, et trois fois répondant à leur attaque par un feu à bout portant, on les arrêta sur place; puis on les joignit à la baïonnette, et on les repoussa. Enfin la nuit étant fort avancée, ils se mirent en pleine retraite sur Nasielsk. Jamais combat de nuit ne s'était livré avec plus d'ordre, de précision et d'audace. Les Russes nous laissèrent en morts, blessés, prisonniers, environ 1,800 hommes, et beaucoup d'artillerie. Nous avions eu de notre côté 600 blessés et une centaine de morts.

Napoléon, qui n'avait pas quitté le lieu du combat, félicita le général Morand et le maréchal Davout de leur belle conduite, et se hâta ensuite de tirer les conséquences du passage de l'Ukra, en donnant les ordres qu'exigeait la circonstance. Les Russes privés du point d'appui qu'ils possédaient au confluent de l'Ukra et de la Narew, ne devaient pas être tentés de défendre l'Ukra, dont la ligne venait d'être forcée à son embouchure. Mais, dans l'ignorance où l'on se trouvait de leur vraie situation, on pouvait craindre qu'ils ne fussent en force au pont de Kolozomb, sur l'Ukra, vis-à-vis de Plonsk, point vers lequel devaient se rencontrer les corps des maréchaux Soult et Augereau. (Voir la carte no 38.) Napoléon prescrivit à la réserve de cavalerie, que le général Nansouty commandait en l'absence de Murat, tombé malade à Varsovie, de remonter l'Ukra sur les deux rives, d'en battre les bords jusqu'à Kolozomb, pour tendre la main aux maréchaux Augereau et Soult, pour les aider à passer l'Ukra s'ils éprouvaient des difficultés, pour les lier enfin avec le maréchal Davout qui allait marcher en avant, traversant par son milieu le pays compris entre l'Ukra et la Narew. Il ordonna au maréchal Davout de se porter directement sur Nasielsk, et le fit appuyer par la garde et la réserve. Enfin il donna pour instruction au maréchal Lannes de franchir l'Ukra, là même où l'on venait d'en forcer le passage, et de s'élever à la droite du corps de Davout, en longeant la Narew jusqu'à Pultusk. Cette ville devenait un point d'une grande importance, car les Russes, rejetés de l'Ukra sur la Narew, n'avaient que les ponts de Pultusk pour passer cette dernière rivière. L'ordre déjà expédié aux maréchaux Soult et Augereau de se diriger sur Plonsk pour y franchir l'Ukra, aux maréchaux Ney, Bernadotte et Bessières, de s'avancer rapidement sur Biezun, vers les sources de l'Ukra, fut naturellement confirmé.

Marche sur Nasielsk.

Napoléon, continuant de se tenir auprès du maréchal Davout, voulut marcher le matin même du 24 sur Nasielsk, malgré les fatigues de la nuit. On eut seulement la précaution de placer en tête la division Friant, pour procurer quelques heures de repos à la division Morand, fatiguée du combat de Czarnowo. On arriva vers la fin du jour à Nasielsk, et on y trouva en position la division Tolstoy, la même qui avait été chassée de Czarnowo. Elle annonçait l'intention de nous opposer quelque résistance, afin de donner aux détachements postés sur l'Ukra le temps de la rejoindre.

Nous avons dit que les quatre divisions du général Benningsen étaient, la division Tolstoy à Czarnowo pour défendre le confluent des deux rivières, la division Saken à Lopaczym pour veiller sur l'Ukra, la division Sedmaratzki à Zebroszki pour garder la Narew, enfin la division Gallitzin à Pultusk pour y servir de réserve, celle-ci, quoique fort loin de l'Ukra, ayant aussi sur cette rivière une forte avant-garde, commandée par le général Barklay de Tolly: disposition mêlée et confuse, qui dénotait une bien faible direction dans les opérations de l'armée russe. Le mouvement naturel de ces divisions surprises par une vigoureuse attaque sur l'Ukra, était de replier leurs détachements pour se retirer sur la Narew. Ce fut en effet le mouvement auquel elles cédèrent, et que leur général en chef laissa exécuter plutôt qu'il ne le prescrivit.

Le comte Tolstoy, commandant la division repliée sur Nasielsk, y tint bon jusqu'au moment où il vit revenir le détachement préposé à la garde de l'Ukra vers Borkowo, lequel était poursuivi par la réserve de cavalerie. Cependant le général Friant, ayant déployé sa division en face des Russes et ayant marché à eux, les obligea de se retirer en toute hâte. Les dragons se lancèrent à leur suite: on leur tua ou prit quelques centaines d'hommes; on ramassa du canon et des bagages.

Augereau force l'Ukra vers Kolozomb et Sochoczin.

Dans cette journée du 24, le maréchal Augereau étant arrivé sur les bords de l'Ukra, voulut en forcer le passage. Il fit attaquer à la fois les ponts de Kolozomb et de Sochoczin. Le 14e de ligne, sous son colonel Savary, le même qui avait franchi la Vistule à Thorn le 6 décembre[15], se jeta sur les débris à peine réparés du pont de Kolozomb, et passa héroïquement à travers un horrible feu de mousqueterie. Ce brave colonel tomba sur l'autre rive, percé de plusieurs coups de lance. À Sochoczin, l'attaque du pont n'ayant pu réussir, on se dirigea vers un gué voisin, et on opéra le passage. Le corps d'Augereau se trouvait donc transporté dans la journée du 24 sur l'autre rive de l'Ukra, et s'avançait en poussant devant lui les détachements des diverses divisions russes, laissés à la garde de cette rivière. La réserve de cavalerie, aux ordres du général Nansouty, les poursuivait également. On marchait sur Nowemiasto, dans la direction de l'Ukra à la Narew, de manière à se lier avec le corps du maréchal Davout. À la gauche du corps d'Augereau, le maréchal Soult se disposait à passer l'Ukra vers Sochoczin. La gauche, sous Ney, Bernadotte et Bessières, continuait à s'élever par un mouvement rapide de Thorn sur Biezun et Soldau.

Le dégel change le sol en une boue dans laquelle il est impossible de marcher.

Le 25 au matin, Napoléon dirigea ses colonnes sur Strezegocin. Le temps était devenu affreux pour une armée qui avait à manœuvrer, et surtout à exécuter de nombreuses reconnaissances, afin de découvrir les projets de l'ennemi. Un dégel complet, accompagné de neige fondante et de pluie, avait tellement détrempé les terres, que dans certains endroits on enfonçait jusqu'aux genoux. Des hommes même avaient été trouvés à moitié ensevelis dans ce sol subitement changé en marécage. Il fallait doubler les attelages de l'artillerie pour réussir à traîner quelques pièces. On y gagnait, il est vrai, de capturer à chaque pas le canon et le bagage des Russes, beaucoup de traînards et de blessés, et enfin bon nombre de déserteurs polonais, qui restaient volontairement en arrière pour se livrer à l'armée française. Mais on y perdait l'avantage inappréciable de la célérité, le concours de l'artillerie qu'on ne pouvait plus mener avec soi, et les moyens d'information qui sont toujours proportionnés à la facilité de communiquer. Qu'on se figure d'immenses plaines, tour à tour couvertes de boue ou de forêts épaisses, ordinairement très-mal peuplées, plus mal encore depuis l'émigration générale des habitants, des armées se cherchant ou se fuyant dans ce désert fangeux, et on aura une idée à peine exacte du spectacle que les Français et les Russes offraient en ce moment dans cette partie de la Pologne.

Difficulté de discerner la marche de l'ennemi.

Napoléon, discernant mal à travers ce pays plat et boisé les mouvements de l'ennemi, ne pouvant suppléer à ce qu'il ne voyait pas au moyen de reconnaissances multipliées, était plongé dans l'incertitude la plus embarrassante. Il lui semblait bien que les colonnes russes en retraite se dirigeaient de sa gauche à sa droite, de l'Ukra vers la Narew. Aussi avait-il envoyé Lannes vers Pultusk, et, ayant cru apercevoir une troupe ennemie qui se portait à la suite de Lannes, il avait détaché la division Gudin du corps de Davout, pour suivre cette troupe, et empêcher qu'elle n'assaillît Lannes par derrière. Mais un gros rassemblement se montrait devant lui, dans la direction de Golymin. On annonçait la présence de forces nombreuses, venues sur ce point des derrières de l'armée russe. On disait qu'un corps de 20 mille hommes se retirait de l'Ukra sur Ciechanow et Golymin. Dans l'incertitude, Napoléon dirige le gros de ses forces sur Golymin, et ne dirige sur Pultusk que Lannes renforcé de la division Gudin. Au milieu de ce chaos, Napoléon, voulant aller tout de suite à l'ennemi le plus rapproché, vers lequel d'ailleurs semblaient converger tous les autres, laissa Lannes escorté par la division Gudin marcher à droite sur Pultusk, et quant à lui il se porta directement sur Golymin, avec deux des trois divisions de Davout, avec le corps d'Augereau tout entier, avec la garde et la réserve de cavalerie. Il ordonna de plus au maréchal Soult, qui avait passé l'Ukra, de se rendre à Ciechanow même. Il prescrivit aux maréchaux Ney, Bernadotte et Bessières, partis de Thorn, de continuer leur mouvement de conversion par Biezun, Soldau et Mlawa, ce qui les portait sur le flanc et presque sur les derrières des Russes.

On marcha ainsi avec la plus grande peine, toute la journée du 25 et la matinée du 26, employant deux heures, quelquefois trois, pour parcourir une lieue.

Véritable direction des divers corps de l'armée russe.

Cependant les divers corps de l'armée russe n'avaient pas pris exactement la direction que Napoléon avait supposée. Les quatre divisions du général Benningsen s'étaient presque en entier repliées sur Pultusk. La division Tolstoy, repoussée de Czarnowo à Nasielsk, de Nasielsk à Strezegocin, avait suivi la route qui coupe par le milieu le pays entre l'Ukra et la Narew. Arrivée à Strezegocin, elle s'était rejetée à droite, vers Pultusk, dès qu'elle avait pu rallier ses détachements épars. La division Sedmaratzki, placée les jours précédents à Zebroszki au bord de la Narew, n'ayant que quelques pas à faire pour gagner Pultusk, s'y était rendue immédiatement. La division Gallitzin, qui tout en ayant son quartier général à Pultusk, avait des postes sur l'Ukra, s'était concentrée sur Pultusk. Mais les détachements de cette division qui gardaient l'Ukra, coupés par notre cavalerie, avaient cherché un refuge à Golymin. Enfin la division Saken, qui gardait particulièrement l'Ukra et avait son quartier général à Lopaczym, poursuivie par la cavalerie française, s'était retirée, partie à Golymin, partie à Pultusk. Ainsi les deux divisions Tolstoy et Sedmaratzki en entier, les deux divisions Gallitzin et Saken en partie, se trouvaient le 26 à Pultusk. Les restes des divisions Gallitzin et Saken réfugiés à Golymin, avaient rencontré l'une des divisions de Buxhoewden, la division Doctorow, laquelle s'était portée en avant, et avait ainsi donné lieu au bruit d'un rassemblement de troupes sur les derrières de l'armée russe. Enfin les Prussiens, en fuite devant les maréchaux Ney, Bernadotte et Bessières, avaient abandonné l'Ukra, et se retiraient par Soldau sur Mlawa, cherchant toujours dans leur retraite à se lier aux Russes.

Bataille de Pultusk livrée par le corps de Lannes et la division Gudin à l'armée russe de Benningsen.

Le 26 au matin, Lannes arriva en vue de Pultusk. Il y découvrit une masse de forces bien supérieure à celle dont il pouvait disposer. Les quatre divisions russes, quoique deux fussent incomplètes, ne comptaient pas moins de 43 mille hommes[16]. Lannes, avec les dragons du général Becker, n'en possédait guère que 17 ou 18 mille. Il en arrivait sur sa gauche 5 à 6 mille, avec la division Gudin. Mais Lannes n'en était que très-confusément averti, et dans l'état des routes, ce renfort, bien qu'à une distance peu considérable de Pultusk, ne pouvait parvenir que fort tard sur le champ de bataille. Lannes n'était pas homme à s'intimider. Ni lui, ni ses soldats ne craignaient d'affronter les Russes, quel que fût leur nombre, quelque éprouvée que fût leur bravoure. Lannes rangea sa petite armée en bataille, ayant soin d'envoyer un avis au maréchal Davout, pour l'informer de la rencontre imprévue qu'il venait de faire à Pultusk, et qui l'exposait à une situation des plus critiques.

Description du terrain sur lequel allait se livrer la bataille de Pultusk.

Une vaste forêt couvrait les environs de Pultusk. (Voir la carte no 39.) En sortant de cette forêt, on trouvait un terrain découvert, parsemé çà et là de quelques bouquets de bois, détrempé par les pluies, comme tout le reste du pays, s'élevant peu à peu en forme de plateau, et puis se terminant tout à coup en pente brusque sur Pultusk et la Narew. Le général Benningsen avait rangé son armée sur ce terrain, ayant le dos tourné à la ville, l'une de ses ailes appuyée à la rivière et au pont qui la traverse, l'autre à un bouquet de bois. Une forte réserve servait de soutien à son centre. Sa cavalerie était placée dans les intervalles de sa ligne de bataille, et un peu en avant. Quoiqu'ils eussent perdu une partie de leur artillerie, les Russes en menaient avec eux une si grande quantité, depuis la campagne d'Austerlitz, qu'il leur en restait suffisamment pour couvrir leur front d'une ligne de bouches à feu, et rendre l'accès de ce front extrêmement redoutable.

Lannes n'avait à leur opposer que quelques pièces d'un faible calibre, qu'on avait traînées à travers les boues avec de grands efforts, et en leur appliquant tous les attelages de l'artillerie. Il disposa la division Suchet en première ligne, et garda la division Gazan en réserve sur la lisière de la forêt, pour avoir de quoi faire face aux événements, qui menaçaient de devenir graves, dans l'incertitude où tout le monde était plongé. Peu d'hommes bien conduits pouvaient suffire pour enlever cette position, et avaient l'avantage de présenter moins de prise à la formidable artillerie des Russes. Lannes déboucha donc de la forêt avec la seule division Suchet, formée en trois colonnes, une à droite, sous le général Claparède, composée du 17e léger et de la cavalerie légère du général Treilhard, une au centre sous le général Vedel, composée du 64e de ligne et du premier bataillon du 88e, une à gauche, sous le général Reille, composée du second bataillon du 88e, du 34e de ligne et des dragons du général Becker. Le projet de Lannes était d'attaquer par sa droite et vers la Narew, car s'il parvenait à percer jusqu'à la ville, il faisait tomber d'un coup la position des Russes, et les plaçait même dans une situation désastreuse.

Il porta ses trois petites colonnes en avant, sortant audacieusement des bois, et gravissant le plateau sous une pluie de mitraille. Malheureusement le sol détrempé et glissant ne permettait guère l'impétuosité d'attaque, qui aurait pu racheter le désavantage du nombre et de la position. Néanmoins, tout en avançant avec peine, on joignit l'ennemi, et on le repoussa vers les pentes abruptes qui terminaient le terrain en une espèce de chute du côté de la Narew et de Pultusk. On marchait avec ardeur, et on allait précipiter du plateau dans la rivière les troupes russes du général Bagowout, lorsque le général en chef Benningsen, envoyant en toute hâte une partie de sa réserve au secours du général Bagowout, fit aborder en flanc la brigade Claparède, qui formait la tête de notre attaque. Lannes, qui était au plus fort de la mêlée, répondit à cette manœuvre, en reportant de son centre vers sa droite la brigade Vedel, composée, comme nous venons de le dire, du 64e et du premier bataillon du 88e. Il prit lui-même en flanc les Russes venus au secours du général Bagowout, et, les poussant les uns sur les autres vers la Narew, il aurait terminé la lutte sur ce point, et peut-être la bataille, si, au milieu d'une bourrasque de neige, le bataillon du 88e surpris par la cavalerie russe avant d'avoir pu se former en carré, n'avait été rompu et renversé. Mais ce brave bataillon, rallié sur-le-champ par un de ces officiers dont le danger fait ressortir le caractère, le nommé Voisin, se releva immédiatement, et, profitant à son tour des embarras de la cavalerie russe, tua à coups de baïonnette ces cavaliers plongés comme nos fantassins dans une mer de boue.

Ainsi, à la droite et au centre, le combat, quoique moins décisif qu'il n'aurait pu l'être, tourna néanmoins à l'avantage des Français, qui laissèrent les Russes acculés à l'extrémité du plateau, et exposés à une chute dangereuse vers la ville et la rivière. À gauche, notre troisième colonne, composée du 34e de ligne, du second bataillon du 88e, et des dragons du général Becker, avait à disputer à l'ennemi le bouquet de bois auquel s'appuyait le centre des Russes. Le 34e, dirigé par le général Reille, et accueilli par des batteries démasquées à l'improviste, eut cruellement à souffrir. Il enleva le bois cependant, secondé par les charges des dragons du général Becker. Mais quelques bataillons du général Barklay de Tolly le reprirent. Les Français s'en rendirent maîtres de nouveau, et soutinrent pendant trois heures un combat acharné et inégal. Enfin sur ce point comme sur les autres, les Russes, obligés de plier, furent réduits à s'adosser de plus près à la ville. Lannes, débarrassé du combat à droite, s'était porté à gauche, pour encourager ses troupes de sa présence. Si dans ce moment il eût été moins incertain de ce qui se passait ailleurs, et plus assuré d'être soutenu, il aurait pu faire agir la division Gazan, et alors c'en était fait des Russes, qui auraient été précipités sur le revers du terrain, et noyés dans la Narew. Mais Lannes voyait par delà sa gauche, et à l'extrême droite des Russes, la division Tolstoy, bordant le ravin de Moczyn, et formant un crochet en arrière pour couvrir l'extrémité de la position. Il crut plus sage de ne pas engager toutes ses troupes, et, par son ordre, la brave division Gazan resta immobile à la lisière de la forêt, essuyant à trois cents pas les boulets de l'ennemi, mais rendant le service de contenir les Russes, et de les empêcher eux aussi de combattre avec toutes leurs forces.

La journée s'achevait lorsque la division Gudin arriva enfin sur notre gauche, cachée par des bois à notre armée, mais aperçue par les Cosaques, qui en avertirent aussitôt le général Benningsen. De toute son artillerie, la division Gudin n'amenait que deux pièces, péniblement traînées jusqu'au lieu du combat. Elle donna contre l'extrême droite des Russes, et sur la pointe de l'angle que présentait leur ligne repliée. Le général Daultanne, qui ce jour-là commandait la division Gudin, après quelques volées de canon, se forma en échelons par sa gauche, et marcha résolûment à l'ennemi, en prévenant le maréchal Lannes de son entrée en action. Son attaque obtint un effet décisif, et força les Russes à se replier. Mais cette division, déjà séparée par des bois du corps de Lannes, agrandit en s'avançant l'intervalle qui l'en séparait. Une rafale de vent qui portait la pluie et la neige au visage de nos soldats, soufflait en cet instant. Les Russes, par une superstition de peuple du Nord, qui leur fait voir dans la tempête un augure favorable, coururent en avant, avec des cris sauvages. Ils se jetèrent dans l'intervalle laissé entre la division Gudin et le corps de Lannes, ramenèrent l'une et débordèrent l'autre. Leur cavalerie se précipita dans la trouée, mais le 34e, du côté de la division Suchet, le 85e du côté de la division Gudin, se formèrent en carré, et arrêtèrent tout court cette charge, qui était plutôt de la part des Russes une démonstration pour couvrir leur retraite, qu'une attaque sérieuse.

Les Français avaient donc sur tous les points conquis le terrain qui domine Pultusk, et il ne leur restait plus qu'un dernier effort à faire pour précipiter les Russes dans la Narew, lorsque le général Benningsen, profitant de la nuit, déroba son armée, en la faisant passer par les ponts de Pultusk. Tandis qu'il donnait ses ordres de retraite, Lannes plein d'ardeur, rassuré par l'arrivée de la division Gudin, délibérait s'il fallait livrer immédiatement la seconde attaque, ou la remettre au lendemain. L'heure avancée, la difficulté de communiquer dans ce chaos de boue, de pluie, d'obscurité, décidèrent la remise du combat. Le lendemain la brusque retraite des Russes enleva aux Français le prix mérité de leur lutte audacieuse et opiniâtre.

Résultats de la bataille de Pultusk.

Ce combat acharné, où 18 mille hommes avaient été pendant toute une journée en présence de 43 mille, pouvait certainement être appelé une victoire. Grâce à leur petit nombre, à la supériorité de leur tactique, les Français avaient à peine perdu 1,500 hommes tués ou blessés. (Nous parlons d'après des états authentiques.) La perte des Russes, au contraire, s'élevait en morts ou blessés, à plus de 3 mille hommes. Ils nous laissèrent 2 mille prisonniers, et une immense quantité d'artillerie.

Récit de cette bataille par le général Benningsen.

Cependant le général Benningsen, rentré dans Pultusk, écrivit à son souverain qu'il venait de remporter une victoire signalée sur l'empereur Napoléon, commandant en personne trois corps d'armée, ceux des maréchaux Davout, Lannes et Suchet, plus la cavalerie du prince Murat. Or, il n'y avait pas, comme on a pu le voir, de corps d'armée du maréchal Suchet, puisque le général Suchet commandait simplement une division du maréchal Lannes; il y avait sur le terrain de Pultusk deux divisions du maréchal Lannes, une seule du maréchal Davout, pas de cavalerie du prince Murat, et encore moins d'empereur Napoléon commandant en personne.

On a souvent parlé des bulletins menteurs de l'Empire, plus vrais cependant qu'aucune des publications européennes de cette époque; mais que faut-il penser d'une telle manière de raconter ses propres actes? Les Russes assurément étaient assez braves pour être véridiques.

Combat de Golymin.

Dans cette même journée du 26, les deux divisions restées au maréchal Davout, ainsi que les deux divisions composant le corps du maréchal Augereau, arrivaient en face de Golymin. Ce village était entouré d'une ceinture de bois et de marécages, entremêlée de quelques hameaux, derrière laquelle les Russes étaient établis, avec une forte réserve au village même de Golymin. (Voir la carte no 39.)

Le maréchal Davout débouchant par la droite, c'est-à-dire par la route de Pultusk, fit attaquer les bois qui formaient de son côté l'obstacle à vaincre, pour pénétrer dans Golymin. Le maréchal Augereau débouchant par la gauche, c'est-à-dire par la route de Lopaczym, avait à traverser des marécages, semés de quelques bouquets de bois, et au milieu de ces marécages un village à emporter, celui de Ruskovo, par où passait la seule route praticable. La brave infanterie du maréchal Davout repoussa, non sans perte, l'infanterie russe des corps détachés de Saken et de Gallitzin. Après une vive fusillade, elle la joignit à la baïonnette, et la contraignit par des combats corps à corps, à lui abandonner les bois auxquels elle s'appuyait. À la droite de ces bois si disputés, le maréchal Davout forçait la route de Pultusk à Golymin, et lançait sur les Russes une partie de la réserve de cavalerie, confiée à Rapp, l'un de ces aides-de-camp intrépides que Napoléon tenait sous sa main pour les employer dans des occasions difficiles. Rapp culbuta l'infanterie russe, tourna les bois, et fit ainsi tomber l'obstacle qui couvrait Golymin. Mais exposé à un feu des plus vifs, il eut le bras cassé. À gauche Augereau franchissant les marécages, malgré les forces ennemies placées sur ce point, enleva le village de Ruskovo, et marcha de son côté sur Golymin, but commun de nos attaques concentriques. On y pénétra ainsi vers la fin du jour, et on s'en rendit maître, après un engagement des plus chauds avec la réserve de la division Doctorow. Comme à Pultusk on recueillit beaucoup d'artillerie, quelques prisonniers, et on joncha la terre de cadavres russes. En combattant contre eux on prenait moins d'ennemis, mais on en tuait davantage.

Dans cette journée du 26, nos colonnes étaient partout aux prises avec les colonnes russes, sur un espace de vingt-cinq lieues. Par un effet du hasard, impossible à prévenir quand les communications sont difficiles, tandis que Lannes avait trouvé devant lui deux ou trois fois plus de Russes qu'il n'avait de Français, les autres corps rencontraient à peine leur équivalent, comme les maréchaux Augereau et Davout à Golymin, ou aucun ennemi à combattre, comme le maréchal Soult dans sa marche sur Ciechanow, et le maréchal Bernadotte dans sa marche sur Biezun. Toutefois le maréchal Bessières, servant d'éclaireur à notre aile gauche avec la seconde réserve de cavalerie, avait joint les Prussiens à Biezun, et leur avait fait un bon nombre de prisonniers. Le maréchal Ney, qui formait l'extrême gauche de l'armée, avait marché de Strasbourg à Soldau et Mlawa, poussant devant lui le corps de Lestocq. Combat de Soldau. Arrivé le 26 à Soldau, au moment même où Lannes combattait à Pultusk, où les maréchaux Davout et Augereau combattaient à Golymin, il avait dirigé la division Marchand sur Mlawa, afin de tourner la position de Soldau, précaution nécessaire, car on pouvait y trouver d'insurmontables difficultés. En effet, le bourg de Soldau était situé au milieu d'un marais impraticable, qu'on ne traversait que par une seule chaussée, longue de sept à huit cents toises, reposant tantôt sur le sol, tantôt sur des ponts que l'ennemi avait eu soin de couper. (Voir la carte no 39.) Six mille Prussiens avec du canon gardaient cette chaussée. Une première batterie l'enfilait dans sa longueur; une seconde, établie sur un point bien choisi dans le marais, la battait en écharpe. Ney avec le 69e et le 76e, y marcha impétueusement. On jeta des madriers sur les coupures des ponts, on enleva les batteries au pas de course; on culbuta à la baïonnette l'infanterie qui était rangée en colonne sur la chaussée, et on entra pêle-mêle avec les fuyards dans le bourg de Soldau. Là une action des plus vives s'engagea avec les Prussiens. Il fallut leur enlever Soldau maison par maison. Nous n'y parvînmes qu'après des efforts inouïs, et à la chute du jour. Mais à ce moment le brave général Lestocq, ralliant ses colonnes en arrière de Soldau, fit jurer à ses soldats de reprendre le poste perdu. Les Prussiens, traités par les Russes depuis Iéna comme les Autrichiens l'avaient été depuis Ulm, voulaient venger leur honneur, et prouver qu'ils n'étaient inférieurs à personne en bravoure: ils tinrent parole. Quatre fois, depuis sept heures du soir jusqu'à minuit, ils attaquèrent Soldau à la baïonnette, et quatre fois ils furent repoussés. Leur courage avait toute la violence du désespoir. Ils finirent cependant par se retirer, après une perte immense en morts, blessés et prisonniers.

Ainsi dans cette journée, sur un espace de vingt-cinq lieues, depuis Pultusk jusqu'à Soldau, on s'était battu avec acharnement, et les Russes, défaits partout où ils avaient essayé de nous résister, ne s'étaient sauvés qu'en abandonnant leur artillerie et leurs bagages. Leur armée se trouvait affaiblie de près de 20 mille hommes sur 115 mille. Beaucoup d'entre eux étaient hors de combat ou prisonniers. Un grand nombre d'origine polonaise avaient déserté. Nous avions recueilli plus de 80 pièces de canon de gros calibre, et une quantité considérable de bagages. Nous n'avions perdu ni un prisonnier, ni un déserteur, mais le feu de l'ennemi nous avait enlevé 4 à 5 mille hommes, en morts ou blessés.

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