Histoire parlementaire de France, Volume 3.: Recueil complet des discours prononcés dans les chambres de 1819 à 1848
Continuation de la discussion de l'Adresse.—Affaires d'Orient.
—Chambre des députés.—Séance du 2 décembre 1840.—
M. Garnier-Pagès ayant dit, dans cette séance, que, dans l'état de la France et de son gouvernement à l'intérieur, la bonne politique extérieure leur était impossible, je lui répondis:
M. Guizot.—Messieurs. Je ne viens pas rentrer dans la discussion; je ne viens pas répondre aux faits personnels, aux récriminations qui ont été reproduites hier et aujourd'hui à cette tribune. J'en ai été tenté un moment; j'y renonce. Il s'agit de bien autre chose.
Vous venez d'entendre dire, vous avez entendu dire hier qu'il y avait, dans notre politique extérieure, des impossibilités, qu'il y avait des choses dont ceux-là même qui les avaient faites ne répondaient pas, ou ne répondaient qu'à moitié, qu'il y avait des choses que les ministres voulaient et ne pouvaient pas faire.
Qu'est-ce que cela veut dire, messieurs? (Mouvements divers.) Que signifient, je vous le demande, dans un gouvernement constitutionnel, ces attaques indirectes, ces insinuations? C'est le mal de la presse qui pénètre dans la Chambre... (Approbation aux centres.) C'est le tort que nous reprochons tous les jours à la presse qui envahit cette tribune... (Nouvelle adhésion.) Messieurs, dans le gouvernement constitutionnel tel que nous le pratiquons depuis dix ans, il n'y a que des ministres responsables assis sur ces bancs, et la Chambre ne peut pas souffrir qu'on parle d'autre chose à cette tribune. (Très-bien!) C'est violer la Charte même, c'est violer le principe de notre gouvernement, c'est manquer à ses règles élémentaires.
Une voix à droite.—Et la coalition! (Bruit.)
M. le ministre.—Il importe infiniment, messieurs, que la Chambre ne permette pas ces allusions, ces attaques indirectes. Elles se renouvellent tous les jours dans la presse, et si là elles ne peuvent être atteintes autant que le voudrait la sûreté du pays, au moins faut-il que la Chambre, ce grand jury national, ne les admette pas dans cette enceinte. (Très-bien!)
Messieurs, renfermons-nous dans les principes et dans les limites de notre Charte; que les discussions soient libres et complètes, que les actes appartiennent à ceux qui les ont faits, à ceux qui les ont signés.
Je suis sûr que les honorables membres du cabinet du 1er mars ne me démentiront pas. Tout à l'heure l'un d'entre eux, l'honorable M. de Rémusat, à cette tribune, acceptait complétement la responsabilité de ses actes. Je l'en honore et l'en remercie.
C'est là le gouvernement constitutionnel; ainsi tombent toutes les insinuations, toutes les attaques indirectes que je viens repousser en ce moment.
Savez-vous ce qu'il arrive de ces attaques? Comme vous l'avez entendu hier dans le discours de l'honorable M. Berryer, on commence par vous dire, «que les actes ne sont pas les actes des ministres;» et puis on vous dit: «Ce ne sont pas ceux de la France, ce n'est pas de la France qu'on parle, à la France qu'on pense.»
Messieurs, vous ne pouvez tolérer cela davantage. Vous êtes ici les représentants de la France; c'est en son nom que vous siégez ici; c'est de son droit que vous parlez; tout ce que font les deux Chambres, c'est la France qui le fait, c'est la France qui agit par elles, c'est la France qui parle par leur voix. Toute notre politique depuis dix ans, cette politique qu'on veut imputer à d'autres causes, à d'autres forces que les cabinets, c'est la France qui l'a approuvée, c'est la France qui l'a soutenue. Messieurs, la France, c'est vous, ce sont les Chambres de la Charte, c'est la majorité et l'opposition dans les Chambres; la France, c'est la lutte qui s'établit entre les opinions diverses; la France, c'est le résultat de cette lutte, c'est le vote qui proclame ce résultat. Tout ce qui se fait ainsi, la France l'a fait. Voilà ce qui se passe dans le cercle de nos institutions; là est notre droit, là est notre force, et personne ici, personne ne peut être admis à parler d'autre chose. (Au centre: Très-bien!)
C'est pour protester contre ce langage, contre cette pratique destructive et de la liberté et de la dignité de nos débats que je suis monté à cette tribune. Je ne rentrerai pas, je le répète, dans la question même; si elle se renouvelait dans l'examen des paragraphes, je reprendrais la parole; c'est uniquement pour couvrir ce qui doit être couvert, pour écarter ce qui doit être écarté, que je suis venu prononcer ici quelques mots. (Marques d'approbation.)
CII
Continuation de la discussion de l'Adresse.—Affaires d'Orient.
—Chambre des députés.—Séance du 4 décembre 1840.—
M. Odilon Barrot ayant proposé, sur le paragraphe de l'Adresse relatif aux affaires d'Orient et au traité du 15 juillet 1840, un amendement qui repoussait la politique adoptée et soutenue par le cabinet du 29 octobre, je le combattis immédiatement, et il fut rejeté.
M. Guizot.—Messieurs, j'ai peu de mots à dire pour faire comprendre à la Chambre toute la portée de l'amendement qui vient de lui être proposé.
Il porte sur un principe et un fait.
En principe, il refuse formellement, non pas seulement aux quatre, mais aux cinq, mais à toutes les puissances, le droit d'intervention dans les affaires de l'empire ottoman. Ce principe, c'est un démenti à toute la politique suivie depuis que la question a été élevée, non-seulement par le cabinet actuel, mais par tous les cabinets.
Une voix à gauche.—Il y a «sans la France» dans l'amendement.
M. le ministre des affaires étrangères.—Par tous les cabinets, il a été reconnu et pratiqué, depuis que la question est élevée, que, cette question intéressant la paix du monde, l'équilibre de l'Europe, il était impossible que les puissances intéressées n'y intervinssent pas.
Une voix.—Oui, mais toutes.
M. le ministre des affaires étrangères.—Et elles y sont intervenues en fait, quand elles ont interdit la continuation de la guerre entre le sultan et le pacha; elles ont usé alors du droit d'intervention. (Rumeurs.) C'est un fait tellement simple, messieurs, qu'il n'est pas contestable. Cela est évident de soi: le droit d'intervention dans l'intérêt de l'équilibre européen a été pratiqué depuis le commencement de la question.
Mais on dit: il est pratiqué maintenant par quatre puissances et non par cinq.
La réponse est très-simple; les quatre puissances ont offert à la France d'intervenir avec elles; elles n'ont pas entendu exclure la France de l'intervention; elles ne lui ont pas contesté le droit d'intervention qu'elles exerçaient elles-mêmes.
Les quatre puissances et la France n'ont pu s'accorder sur les conditions de l'intervention; elles n'ont pas voulu intervenir de la même manière et dans les mêmes limites. Mais, quant au droit, il n'a pas été contesté à la France; au contraire, elle a été constamment invitée à intervenir avec les autres, et si elle n'est pas intervenue, je le répète, c'est que les conditions et le mode de l'intervention ne lui ont pas convenu. C'est librement, c'est de son fait, c'est de sa propre volonté que la France n'est pas intervenue. Et c'est là ce qui rend pour elle la situation acceptable; croyez-vous que, si le principe que M. Barrot demande avait été admis par la France, elle n'aurait pas, dès le premier moment, protesté solennellement contre le traité du 15 juillet? Mais l'honorable M. Thiers sait bien qu'il n'a pas contesté le droit d'intervention aux quatre puissances; il a trouvé le traité dangereux, pourquoi?
M. Thiers.—Ce n'était plus l'intervention européenne.
M. le ministre des affaires étrangères.—Parce que le but du traité, et ce sont les termes mêmes du memorandum par lequel il a été répondu, parce que le but ne pouvait être atteint que par des moyens insuffisants ou dangereux. (Réclamations de M. Thiers.)
Il n'y a rien de si aisé que de mettre les paroles mêmes du memorandum du 24 juillet sous les yeux de la Chambre; elles les a entendues plusieurs fois; c'est l'acte qui contient la première et vraie pensée du cabinet sur le traité du 15 juillet; je suis prêt à le relire à la Chambre si elle le désire (Non! non!), mais je suis sûr que je le cite exactement.
Reste le second point. Je ne puis que me rappeler à peu près les paroles qui viennent d'être prononcées: «Ces armements seront maintenus et recevront tous les développements que pourront exiger la défense des droits que nous avons reconnus et la protection de nos intérêts en Orient.»
Mais, messieurs, c'est là engager absolument la France à la cause de Méhémet-Ali (Réclamations); ce sont les forces de la France vouées à la défense de ce qu'on appelle les droits de Méhémet-Ali.
Messieurs, permettez-moi, en finissant, au dernier terme de ce débat, d'entrer dans le vrai de la situation.
Toute notre politique, depuis que la question d'Orient est élevée, a eu pour base la supposition que le pacha opposerait une résistance énergique, efficace et prolongée. Quiconque lira tout ce qui a été dit et écrit dans cette grande question, quiconque en examinera tous les actes verra que c'est là l'idée qui a été la base de notre politique. Dans tous nos raisonnements, dans toutes nos pièces diplomatiques, qu'avons-nous dit? «Ce que vous entreprenez est très-difficile et très-périlleux; vous l'entreprenez avec des moyens insuffisants ou dangereux. Le pacha vous résistera de telle façon que vous mettrez en péril la paix de l'Orient et l'équilibre de l'Europe.»
Voilà la base de tous nos raisonnements; plus que la base de nos raisonnements, la base de nos actions, de notre politique.
Que faisait le cabinet du 1er mars quand il arrivait, quand il voulait développer les armements, dans la vue qu'au printemps il serait prêt à faire la guerre? Il agissait dans l'hypothèse que le pacha résisterait longtemps, énergiquement, efficacement, sans quoi la politique dans laquelle il entrait n'aurait pas été praticable.
Regardez à tout ce qui a été dit, regardez à tout ce qui a été fait, vous trouverez au fond la conviction de la résistance énergique et prolongée du pacha.
Eh bien, cette base de notre politique a manqué; c'est un fait qu'il est impossible de méconnaître. Voulez-vous continuer à parler et à agir comme si elle n'avait pas manqué, comme si le pacha avait résisté énergiquement, efficacement, longtemps? Voilà pourtant ce qu'on vous demande. (Dénégations.)
On vous demande de vous attacher à une cause qui n'a pas été soutenue par son propre maître. On vous demande de vouer les forces de la France à la défense d'autres forces étrangères qui se sont trouvées insuffisantes pour se protéger quelques semaines elles-mêmes.
Voilà la vraie situation. Voilà la vraie question. Il est impossible qu'on engage ainsi la France, quand la base de la politique a été une erreur évidente. Il est impossible qu'on ne tienne aucun compte des faits, et que l'on compromette les intérêts, la dignité, le sang de la France dans une cause qui a failli tout à coup. (Mouvements divers. Vive agitation.)
CIII
Discussion du projet de loi relatif aux secours à accorder aux réfugiés étrangers.—Relations de la France avec l'Espagne.
—Chambre des pairs.—Séance du 4 janvier 1841.—
Le gouvernement avait demandé un crédit de 700,000 francs pour secours aux réfugiés étrangers. Dans la discussion de ce projet de loi, M. le duc de Noailles s'éleva contre la politique adoptée dans nos relations avec l'Espagne depuis la mort de Ferdinand VII, et spécialement depuis que don Carlos avait été expulsé de la Péninsule. Je lui répondis:
M. Guizot.—Messieurs, la Chambre ne s'étonnera pas, j'en suis sûr, si, dans le discours de l'honorable préopinant, il y a des choses auxquelles je ne réponds point, sur lesquelles je n'exprime aucun avis, dont je ne parle même pas. Non-seulement il ne m'est pas permis de tout dire, mais il ne m'est pas permis de parler de tout. Il y a une foule de choses dans lesquelles la parole nuit d'avance à l'action. Quand on n'est pas obligé d'agir, quand on est simplement appelé à observer et à juger, on peut exprimer sans crainte et sans gêne toute sa pensée. Quand on est appelé à agir, et précisément pour agir, il faut savoir se taire.
Dans une occasion récente, j'ai eu l'honneur de dire à cette tribune que le projet du gouvernement était de ne pas intervenir activement dans les affaires intérieures de l'Espagne. Mais j'ai certes été bien loin de renier la part qu'il a prise dans les événements dont l'Espagne a été le théâtre...
M. le marquis de Brézé.—Je demande la parole.
M. le ministre.—Lorsque, à la mort de Ferdinand VII, l'Espagne a reçu, de la volonté même de son roi, un gouvernement qu'elle a aussitôt entouré et appuyé de la sanction nationale, la France l'a reconnu; elle s'est empressée de le reconnaître, comme le disait l'honorable préopinant, parce que c'était le gouvernement légitime de l'Espagne, le gouvernement proclamé par le droit légal et le vœu national; et après l'avoir reconnu, la France l'a soutenu. Lorsque ce gouvernement, établi par le testament de Ferdinand VII et par le vœu national, a été attaqué, lorsqu'il a été mis en question par la guerre civile, le gouvernement du roi s'est empressé de le soutenir et de lui donner un appui public et efficace. Oui, nous avons levé des troupes, nous avons conclu des traités, nous avons envoyé la légion étrangère, nous avons pris de grandes mesures qui ont eu pour objet de soutenir le trône d'Isabelle II. Certes, je suis loin de renier cette politique, convaincu, aujourd'hui comme il y a cinq ans, qu'elle est conforme au vœu de l'Espagne et aux intérêts de la France.
Mais là s'est bornée, messieurs, et là se bornera l'intervention, l'action du gouvernement du roi en Espagne. Soutenir le gouvernement d'Isabelle II, voilà la politique du gouvernement du roi. Après cela, respecter la liberté de l'Espagne et le gouvernement de la reine, l'entière liberté de l'administration intérieure de ce royaume, ne pas y entrer dans les querelles des partis, ne pas épouser tel ou tel parti, tel ou tel cabinet contre tel autre, ne pas engager la France dans les discussions intérieures de ce gouvernement de la reine que la France est décidée à soutenir dans son ensemble, voilà la règle que nous nous sommes imposée. Voilà ce que je voulais dire quand je disais que la France ne chercherait pas à exercer une influence active dans les affaires intérieures de l'Espagne. J'ai en même temps avoué, continué la politique du gouvernement du roi depuis sept ans, et j'en ai marqué la limite. Je prie la Chambre et l'honorable préopinant de bien remarquer cette limite, parce qu'en effet c'est la règle de la conduite du gouvernement. Si le gouvernement de la reine Isabelle II était menacé dans son existence, si la cause que la France a soutenue, en même temps que l'Espagne la soutenait et parce que l'Espagne la soutenait, si, dis-je, cette cause était en péril, le gouvernement verrait ce qu'il aurait à faire, et il ne déserterait pas la politique qu'il a suivie jusqu'à présent. Mais, pour ce qui regarde les luttes de partis, de cabinets, l'administration intérieure de l'Espagne, le gouvernement du roi continuera à ne point s'en mêler: il laissera à l'administration intérieure de l'Espagne toute la liberté à laquelle elle a droit.
J'arrive aux circonstances actuelles. La situation qu'elles nous ont faite et la politique qu'elles nous ont déterminé à adopter, l'honorable préopinant le disait tout à l'heure, ne sont point du fait de la France. La France a été entièrement étrangère à des événements que je puis me dispenser de juger, mais que je déplore, et qui ont amené en Espagne l'administration qui y préside aujourd'hui. Mais cette administration, messieurs, c'est toujours le gouvernement de la reine Isabelle II. Le trône de la reine Isabelle II est intact, et les hommes qui aujourd'hui administrent en son nom n'ont donné à personne le droit de dire qu'ils veulent séparer leurs intérêts des intérêts de la reine Isabelle II. Le gouvernement actuel de l'Espagne est le gouvernement de droit.
C'est en même temps le gouvernement de fait, et à ce titre aussi nous restons en rapport avec lui. Quand nous disons que nous respectons la liberté intérieure des nations, nous ne disons pas, messieurs, de vaines paroles; nous entendons régler effectivement notre conduite sur ce principe, quand même son application peut entraîner certains dangers. L'administration qui régit aujourd'hui l'Espagne est son gouvernement de fait; elle est reconnue par le pays tout entier; il n'y a aucune guerre civile en Espagne. Quant à présent nous n'avons aucune raison pour ne pas continuer avec cette administration les relations que nous avions avec le gouvernement de la reine dans les années précédentes.
De plus, jusqu'ici, cette administration ne nous a donné, à nous Français, à nous gouvernement du roi, aucun sujet sérieux de plainte. Elle a entretenu les relations telles qu'elles existaient auparavant. Elle se montre disposée à entretenir ces relations sur un pied de bienveillance et d'amitié. Elle se montre disposée en même temps à faire des efforts pour être un gouvernement régulier, pour effacer ce qu'il peut y avoir, dans la manière dont elle est arrivée au pouvoir, de contraire à un ordre de chose régulier et monarchique. Pourquoi, par nos paroles publiques, la découragerions-nous de cette voie où elle veut entrer? Pourquoi, au contraire, ne lui donnerions-nous pas des conseils de prudence, de modération? Pourquoi ne continuerions-nous pas à ne pas nous mêler de l'administration intérieure de l'Espagne, et à appuyer le gouvernement de la reine Isabelle II partout où nous la rencontrerons, et toutes les fois qu'il s'efforcera de se conduire en gouvernement régulier?
C'est ce que nous faisons; nous ne sommes pas obligés d'exprimer notre jugement sur des événements accomplis; nous ne songeons qu'à maintenir des relations pacifiques et à seconder les efforts qu'on voudra faire en Espagne pour rentrer dans les voies régulières du gouvernement.
Voilà l'attitude que nous avons prise. Nous sommes loin de vouloir associer notre responsabilité aux destinées de l'administration qui gouverne aujourd'hui en Espagne. Mais si nous avions des craintes, des inquiétudes, nous ne nous croirions pas obligés, je le répète, de les porter publiquement à cette tribune, nous demeurerions en observation.
Mais on nous dit, et c'est un des principaux reproches que nous faisait tout à l'heure l'honorable préopinant, on nous dit: «Vous abandonnez donc votre influence en Espagne. Vous la livrez à vos rivaux. Cette politique est une politique inerte et sans résultat.»
Messieurs, il y a quelques mois, quand un ministère d'une autre couleur, qu'on appelait le ministère modéré, existait en Espagne, on disait que l'influence de la France était tout en Espagne, que notre ambassadeur gouvernait l'Espagne, que cela excitait la colère des Espagnols et la jalousie de la Grande-Bretagne.
M. le duc de Noailles.—Ce n'est pas moi qui l'ai dit.
M. Guizot.—Je ne prétends pas que le noble duc l'ait dit lui-même; mais personne n'ignore que cela s'est beaucoup dit en Espagne, et que c'est même une des causes du mouvement qui s'y est opéré.
Le noble duc a suivi de trop près ces événements pour ne pas se rappeler que tel a été, en effet, pendant un certain temps, le langage qu'on tenait en Espagne et en France. Lorsque le cabinet modéré est tombé et a fait place au cabinet exalté, comme on dit en Espagne, on s'est regardé comme délivré de l'influence française.
Messieurs, ces influences qui s'en vont et qui reviennent, selon qu'un cabinet succède à un cabinet, ne sont donc pas si complétement détruites; elles ne périssent pas parce qu'elles paraissent un moment suspendues. Ce sont là des vicissitudes inévitables dans un pays qui est en proie aux agitations révolutionnaires.
Indépendamment des rivalités anciennes de la France et de l'Angleterre sur ce théâtre, il s'y est ajouté la rivalité des partis qui ont pris tel ou tel drapeau, qui se sont faits anglais ou français, beaucoup moins selon la réalité des choses que pour leur propre intérêt de parti, et pour avoir l'air de s'appuyer sur telle ou telle puissance étrangère. N'attachons pas à ces apparences et à ces vicissitudes d'influence et plus d'importance qu'elles n'en ont réellement. Oui, je suis prêt à en convenir, le parti qui gouverne aujourd'hui les affaires d'Espagne se dit attaché de préférence à l'influence anglaise; le parti qui les gouvernait, il y a peu de temps, se disait attaché de préférence à l'influence française. Mais ce sont là des faits trop superficiels, trop transitoires pour qu'on puisse en faire la règle de sa politique, pour qu'on puisse les considérer comme caractérisant véritablement la situation de la France vis-à-vis de l'Espagne.
Non certainement, nous ne sommes pas sans influence en Espagne. Permettez-moi de vous en faire à vous-mêmes la question: est-il possible que la France soit sans influence en Espagne, lorsque dans ce pays tous les regards sont tournés vers elle, quand en Espagne chacun se dit sans cesse: Que fera la France? que dira la France? Passez les divers partis en revue; vous les trouverez tous occupés de nous. Le parti modéré espère que l'influence française prédominera et le ramènera au pouvoir. Le parti exalté, je parle le langage de l'Espagne même et de ses journaux, le parti exalté craint l'influence française; ce parti compte beaucoup plus de personnes ennemies de l'influence française, je dirai plus, hostiles au gouvernement que la France possède. Pourquoi s'étonner de cela? Cela est inévitable: nos propres luttes, nos dissensions intestines ont là leur analogie, leur retentissement, leur écho. Il faut y bien regarder; mais il n'y a rien qui doive nous faire désespérer de notre influence. Si nous avons des adversaires, nous avons aussi des amis, des hommes qui ont besoin de nous, dans l'intérêt de leur propre cause. Nous n'épousons pas leurs querelles, mais nous profitons de leur appui quand l'occasion se présente de maintenir ou de retrouver l'influence que doit avoir la France en Espagne.
Regardez ce qui se passe en France même. Vous avez par milliers des réfugiés espagnols de tous les partis, non-seulement des réfugiés ordinaires, mais des têtes couronnées! Est-il possible qu'un pays qui offre un asile, des ressources à une si grande portion d'un peuple, aux hommes les plus animés des différents partis, aux têtes couronnées elles-mêmes qui représentent ces divers partis, est-il possible que ce pays soit sans influence sur l'Espagne? Il faudrait plus que de la maladresse pour ne pas profiter d'une telle situation, pour ne pas exercer, à un moment donné, dans une occasion véritablement utile, une influence efficace. Mais on n'agit pas tous les jours; il y a des époques d'action; il y a des époques d'inaction auxquelles il faut savoir se résigner. C'est là la politique.
Vous vous plaignez de l'inertie de la politique française. Eh bien, dans la situation, non pas d'indifférence comme on le dit, mais d'attente, où nous sommes, c'est la politique qu'il convient à la France d'adopter. La France, par la seule force des choses, par sa situation, par les rapports qui existent entre notre situation intérieure et celle de l'Espagne, la France a sur l'Espagne des moyens d'influence qui ne peuvent lui échapper, dont elle se servirait si elle en avait besoin. Mais, pour cela, il ne faut pas agir tous les jours et d'une manière inquiète. Il faut savoir attendre. Nous attendons que les événements se développent; nous respectons la liberté du peuple espagnol; nous respectons son action personnelle sur ses propres destinées; et le jour où l'occasion se présentera d'exercer, au nom de la France, dans l'intérêt de la France comme dans l'intérêt de l'Espagne, une influence utile, ce jour-là nous n'hésiterons pas.
Et ce jour-là, je ne craindrais pas, pour la cause de la péninsule, cet isolement auquel faisait allusion tout à l'heure le noble duc. Le fait a prouvé ce qui devait arriver en pareille circonstance. Malgré la rivalité d'influence, malgré les jalousies qui ont si longtemps existé entre l'Angleterre et la France, à la mort de Ferdinand VII, l'Angleterre a pensé comme nous, elle a agi comme nous. Il y a des intérêts supérieurs qui ont déterminé l'Angleterre à une conduite analogue à la nôtre; et quand le gouvernement espagnol s'est trouvé dans une situation difficile, quand il a eu besoin qu'une influence auxiliaire vînt le soutenir contre la guerre civile qui le dévorait, l'Angleterre s'est encore trouvée d'accord avec nous, et le traité de la quadruple alliance est intervenu. Ce traité, qu'on a bien souvent attaqué, parce qu'il n'a pas fait tout ce qu'on s'en était promis, parce qu'il n'a pas accompli tous les résultats qu'on a attachés à son nom, ce traité cependant a rendu à l'Espagne d'immenses services; il faut le compter parmi les causes les plus efficaces qui ont fait cesser la guerre civile en Espagne; et si pareille circonstance se renouvelait, si l'existence du gouvernement de la reine était mise en question, ne doutez pas que les mêmes faits ne se renouvelassent; ne doutez pas que, malgré la rivalité des influences, l'Angleterre et la France, engagées, quant à l'Espagne, dans un intérêt commun, dans une idée commune, ne fissent ce qu'elles ont fait une première fois. L'Angleterre, pas plus que la France, ne livrera jamais l'Espagne à des influences tout à fait étrangères, éloignées, et que leur position géographique n'appelle pas à jouer dans la péninsule le rôle qui appartient à l'Angleterre et à la France.
Je crois avoir mis sous les yeux de la Chambre les caractères essentiels de la politique du gouvernement du roi: maintenir, appuyer le gouvernement de la reine Isabelle II, qui est le gouvernement du droit et le gouvernement national de l'Espagne, rester étrangers à la lutte intérieure des partis, aux dissensions intestines, n'abandonner aucun des moyens d'influence légitime que cet état des partis et la position de l'Espagne donnent à la France, mais choisir, pour la manifestation et l'action de cette influence, le moment opportun: voilà notre politique; elle ne compromet rien dans le présent, et elle suffira, je l'espère, aux nécessités de l'avenir. (Marques d'approbation.)
CIII
Discussion du projet de loi relatif aux fortifications de Paris.
—Chambre des députés.—Séance du 25 janvier 1841.—
Le gouvernement présenta le 12 décembre 1840 un projet de loi relatif aux fortifications de Paris. M. Thiers, au nom de la commission chargée de l'examiner, en fit le rapport le 13 janvier 1841. Le débat s'ouvrit le 21 janvier. Je commençai à y prendre part le 25 janvier, en répondant à M. Janvier, député de Tarn-et-Garonne.
M. Guizot.—Messieurs, la discussion se prolonge, et, cependant, si je ne m'abuse, la perplexité de la Chambre continue. Avant-hier, un honorable membre, M. de Rémusat, attribuait cette perplexité à de bien petites causes, à des méfiances de personnes, à des misères parlementaires. Je crois qu'il se trompe, et que la disposition de beaucoup de bons esprits dans la Chambre a des causes plus sérieuses. La Chambre croit à l'utilité, à la nécessité de la mesure qu'elle discute; elle a des doutes, des inquiétudes sur ses résultats; elle n'en prévoit pas clairement la portée et les effets; elle craint que cette mesure ne devienne l'instrument d'une politique autre que celle qu'elle approuve et veut soutenir. Elle craint d'être entraînée dans une politique turbulente, belliqueuse, contraire à cette politique de paix, de civilisation tranquille et régulière qu'elle a proclamée et appuyée. Voilà la vraie cause de la perplexité et des inquiétudes de la Chambre. (Adhésion au centre.)
Si ces inquiétudes étaient fondées, messieurs, nous aurions, nous, un bien grand tort; car, nous voulons, comme la Chambre, la politique de paix, de civilisation tranquille et régulière. C'est au profit de cette politique et pour la servir, c'est autour de cette civilisation et pour la protéger, que nous voulons élever les fortifications que nous vous demandons. Nous serions impardonnables, si nous nous trompions en pareille matière. Mais nous sommes convaincus que le projet de loi, bien loin de contrarier la politique du cabinet et de la majorité de la Chambre, confirme, soutient, fortifie cette politique; c'est pour cela, et non pour aucun autre motif, que nous l'avons présenté et que nous l'appuyons.
Si dans ce projet, qu'on a appelé un héritage du cabinet précédent, nous eussions entrevu aucun des dangers, aucun des maux qu'on y a signalés, nous ne l'aurions pas accepté; nous savons répudier les héritages qui ne nous conviennent pas. Nous n'acceptons que les mesures conformes à notre politique. Celle-ci y rentre pleinement.
Messieurs, je n'hésite pas à l'affirmer, les fortifications de Paris sont, pour la France et pour l'Europe, une garantie de paix. Il est évident que c'est là de la politique défensive. Mais ce qu'on ne sait pas assez, c'est que quand cette mesure est née en France, quand elle y a été (je parle des temps modernes) sérieusement proposée et débattue, c'est dans un esprit de paix, au nom de la politique de la paix.
Elle apparut, pour la première fois, en 1818; c'est le maréchal Gouvion Saint-Cyr qui a institué la première grande commission pour la défense du territoire, commission qui a proposé la mesure que nous discutons.
C'est de 1818 à 1822 que cette commission a siégé, c'est-à-dire au moment où toute idée d'agression et de conquête était, à coup sûr, étrangère aux esprits, au moment où la seule défense du territoire les préoccupait.
La commission de défense remit, en 1822, à M. de Latour-Maubourg, alors ministre de la guerre, son projet de système général de la défense du royaume, il comprenait les fortifications de Lyon et celles de Paris. Ce projet resta quelque temps enfoui dans les cartons. M. de Clermont-Tonnerre, pendant son ministère, l'en tira et essaya de faire adopter, non pas la totalité du projet, mais une partie importante, les fortifications de Lyon. Elles furent proposées au conseil du roi; elles furent écartées: les deux ministres les plus influents de cette époque, M. de Villèle et M. de Corbière, s'y opposèrent. Un seul ministre, M. l'évêque d'Hermopolis se joignit à M. de Clermont-Tonnerre pour soutenir les fortifications. (Hilarité prolongée.)
La mesure n'eût donc aucune suite.
Elle fut reprise, en 1830, par M. le président du conseil, au moment où nous soutenions, dans cette enceinte, pour la politique de la paix, les luttes les plus violentes qui aient eu lieu de nos jours. C'est pendant que la politique de la paix prévalait complétement dans la Chambre que la défense et la fortification de Paris ont été commencées par M. le maréchal Soult.
Ainsi, vous le voyez, messieurs, la mesure, dans sa véritable origine, a eu le caractère pacifique, le caractère de la politique défensive, et les deux illustres maréchaux dont elle émane n'ont jamais pensé qu'à lui imprimer ce caractère.
Et ce n'est pas nous seuls, messieurs, c'est l'Europe qui, depuis 1814, a adopté le système de la politique défensive, et se conduit d'après cette vue.
Autour de vous, en Allemagne surtout, à toutes les portes de l'Allemagne, on se fortifie pour la défense et contre l'invasion. Toute la politique allemande est dirigée vers ce but. Aujourd'hui même, au milieu de l'émotion excitée par les derniers événements, les projets d'armement de la Confédération germanique, à quoi aboutissent-ils? À des mesures de politique préventive.
Quelques bruits ont été répandus de camps qui se formeraient sur le Rhin, de grands mouvements de troupes de la Confédération germanique: nous n'avons, je crois, à nous préoccuper d'aucune mesure semblable; ce sont des mesures défensives que l'Allemagne adopte.
Mais elle s'organise très-fortement dans ce système, elle ferme toutes ses portes, elle s'établit sur toutes les routes par lesquelles nous pourrions entrer chez elle.
Serons-nous moins prudents, moins fortement organisés pour la défense? Et dans une mesure qui n'a d'autre caractère que celui de la politique défensive, est-ce que nous ne persévérerons pas? Est-ce que nous ne la maintiendrons pas, parce qu'un moment elle aura eu un caractère moins rassurant pour l'Europe et pour nous-mêmes? L'honorable rapporteur me permettra de le dire; un moment la politique du 1er mars a pu faire croire à la France, je n'examine pas si c'est à tort ou à raison, que la mesure avait un autre but, qu'elle aurait d'autres effets; mais au fond, et aujourd'hui, il n'en est rien.
Oui, messieurs, le vrai caractère de la mesure, depuis son origine jusqu'à nos jours, c'est d'être un acte de politique défensive, d'une politique analogue à celle qui prévaut aujourd'hui dans toute l'Europe, à celle que l'Allemagne en particulier pratique sous nos yeux.
Il n'y a donc aucune raison de concevoir aucune des craintes qu'on a essayé, sous ce rapport, d'inspirer à la Chambre. (Très-bien!)
Voilà, messieurs, pour l'effet matériel de la mesure; voilà ce qu'elle est dans son rapport avec la défense générale du royaume.
Voyons son effet moral, son action sur les esprits.
Quels sont les obstacles, quels sont les dangers que rencontre et qui menacent, soit chez nous, soit en Europe, la politique de la paix? En France, le défaut de sécurité, de sécurité pour le territoire, pour Paris. Il est resté très-naturellement, à la suite des invasions, une inquiétude patriotique qui préoccupe fortement les imaginations.
En Europe, la même cause a laissé des espérances, des idées d'invasion facile.
Au milieu de la prépondérance de la politique de la paix en Europe, il y a partout, messieurs, ne vous y trompez pas, un parti belliqueux, un parti qui désire la guerre.
Il est très-faible, j'en suis convaincu; il ne prévaudra pas. Mais enfin il existe, il faut bien en tenir compte.
C'est dans ce parti que le souvenir des invasions a laissé des espérances présomptueuses contre lesquelles il importe de se prémunir.
La mesure que vous discutez a pour effet de rassurer les imaginations en France, de les refroidir en Allemagne. (Très-bien!)
Elle a pour effet de donner à la France la sécurité qui lui manque dans sa mémoire, et d'ajouter pour l'Europe, à la guerre contre la France, des difficultés auxquelles l'Europe ne croit pas assez. Voilà, messieurs, le véritable effet moral de la mesure. Elle laissera les esprits en France et en Europe dans une disposition autre que celle où ils sont aujourd'hui. Elle nous tranquillisera, nous; elle fera tomber les souvenirs présomptueux des étrangers. (Très-bien!)
La mesure a quelque chose de plus important encore, quelque chose de plus grand, et qui la caractérise encore plus fortement comme politique de paix.
On a beaucoup parlé de guerres d'invasion. Messieurs, les guerres d'invasion, de nos jours, sont des guerres de révolution. (Mouvements divers.) C'est au nom de l'esprit et des tendances révolutionnaires que les guerres d'invasion ont lieu. Quand la Convention s'est trouvée en guerre avec l'Europe, pourquoi est-elle allée sur-le-champ dans les capitales, à Turin, à Rome, à Naples, à Bruxelles? Pour changer les gouvernements, pour faire de la propagande républicaine. Elle a bien compris qu'il fallait viser sur-le-champ à la tête des sociétés avec lesquelles elle était en guerre. Elle est allée dans les capitales pour renverser les gouvernements.
Par d'autres causes, l'Empire a continué le même système. Là où la Convention voulait ériger des républiques, l'Empire a voulu élever des trônes, des dynasties. Mais la guerre d'invasion a presque toujours été une guerre destructive des gouvernements, faite non dans l'intérêt de telle ou telle question de territoire, de tel ou tel avantage commercial, de tel ou tel intérêt national, mais comme une guerre à mort. Eh bien, messieurs, croyez-vous donc que ce soit une chose indifférente que de mettre un terme, ou du moins d'apporter de grands obstacles à ce caractère révolutionnaire et destructif des guerres modernes? Croyez-vous donc qu'il soit indifférent, en mettant les capitales hors de cause, de mettre pour ainsi dire les gouvernements hors de cause? Ce sera là cependant, ne vous y trompez pas, si la mesure réussit, si elle atteint complétement son but, si Paris est véritablement fortifié, ce sera là le grand résultat que vous obtiendrez: le gouvernement que vous avez fondé, le gouvernement de Juillet, vous l'aurez mis hors de cause en Europe; vous aurez enlevé à l'Europe jusqu'à l'idée de venir renouveler contre lui ces tentatives de destruction que vous avez vues chez vous.
Souvenez-vous, messieurs, que l'Europe nous a rendu ce que nous lui avions fait. (C'est vrai!) Souvenez-vous du langage que l'on tenait en 1814 et 1815. Ce n'était pas à la France, disait-on, que l'on faisait la guerre, c'était à son gouvernement. Langage habile, et qui peut bien aisément devenir trompeur! Mettez une fois pour toutes votre gouvernement hors de cause; vous aurez, non pas réussi complétement, mais vous aurez beaucoup fait pour atteindre ce but quand vous aurez mis Paris hors de cause dans la guerre. (Très-bien! très-bien!)
Vous le voyez, messieurs, sous quelque point de vue que vous la considériez, la mesure est une garantie de paix; et soyez sûrs qu'elle est jugée ainsi en Europe par les hommes véritablement clairvoyants, par les grands chefs de la politique des États. Aux yeux du vulgaire, à des regards superficiels, elle peut paraître un danger, une menace. Tenez pour certain qu'elle rassure les hommes clairvoyants qui veulent la paix en Europe, Français ou étrangers.
Et pourtant, en même temps qu'elle a ce caractère, en même temps qu'elle est une garantie de paix, la mesure est une preuve de force. Elle prouve que la France a la ferme résolution de maintenir son indépendance et sa dignité; c'est un acte d'énergie morale. Et d'autre part, elle prouve le développement des immenses ressources militaires et financières de la France; c'est un acte de puissance matérielle.
Messieurs, une mesure qui assure, ou du moins qui protége la paix, et qui est en même temps une preuve de force, un acte d'énergie, c'est une mesure salutaire, une mesure précieuse, une mesure qu'un peuple sage et fier doit s'empresser d'adopter. (Marques d'approbation.)
Aussi quand nous l'avons adoptée, quand nous avons présenté à la Chambre le projet de loi, nous nous sommes soigneusement appliqués à lui maintenir, je ne veux pas dire à lui rendre ce caractère. C'est une des raisons pour lesquelles nous avons demandé cinq ans pour l'exécution des travaux. Il y avait pour cela des raisons financières, des raisons de bonne exécution, et aussi des raisons politiques. Nous avons pensé que nous ne devions pas avoir l'air pressé. Nous ne nous croyons pas menacés actuellement en Europe; nous n'avons pas voulu en avoir l'air. Nous n'avons pas voulu non plus avoir l'air menaçant. (Très-bien!) Nous sommes convaincus que nous avons le temps, tout le temps d'exécuter tranquillement et raisonnablement ces travaux. La précipitation, la crainte, la menace, la simple inquiétude, nous n'avons pas voulu en accepter l'apparence. C'est là la raison politique qui nous a déterminés à étendre à cinq ans l'exécution des travaux. (Nouvelles marques d'adhésion.)
Messieurs, dans les circonstances actuelles, après ce qui s'est passé depuis un an en Europe, j'ai envie de répéter l'expression dont se servait tout à l'heure mon honorable ami M. de la Tournelle: «C'est une bonne fortune qu'une telle mesure à adopter.» (Mouvement.)
Je vous le disais tout à l'heure; l'Europe a besoin d'être rassurée sur les dispositions de la France quant à la paix; l'Europe se souvient de l'esprit belliqueux, conquérant, qui a régné si longtemps en France. L'Europe le redoute; elle a besoin d'être rassurée. Et en même temps, au moment où vous pratiquez la politique de la paix, où vous la pratiquez dans des circonstances difficiles, vous avez besoin, vous, de faire preuve de vigilance pour votre propre force, de soin pour votre propre dignité.
J'envie quelquefois les orateurs de l'opposition. Quand ils sont tristes, quand ils sympathisent vivement avec les sentiments nationaux, ils peuvent venir ici épancher librement leur tristesse, exprimer librement toutes leurs sympathies. Messieurs, des devoirs plus sévères sont imposés aux hommes qui ont l'honneur de gouverner leur pays. Quand le pays a besoin d'être calmé, il n'est pas permis aux hommes qui gouvernent de venir exciter en lui les bons sentiments qui l'irriteraient et le compromettraient. Quand le pays a besoin d'être rassuré, il faut parler à cette tribune avec fermeté et confiance. Il ne faut pas se laisser aller à des récriminations, à des regrets. Il y a des tristesses qu'il faut contenir pendant que d'autres ont le plaisir de les répandre. (Marques très-vives d'approbation.) Nous n'avons pas hésité, nous n'hésiterons jamais à accomplir ce devoir. Je ne sais ce que nous ferions si nous étions sur les bancs de l'opposition; mais ici, dans les circonstances actuelles, nous ne viendrions pas parler des passions patriotiques en même temps que des passions révolutionnaires. Nous honorons, messieurs, les passions patriotiques, mais nous ne croyons pas qu'elles soient le meilleur boulevard contre les passions révolutionnaires; c'est là un fait démenti par l'expérience de tous les temps et par la nôtre. Le vrai boulevard contre les passions révolutionnaires, messieurs, ce sont les principes de l'ordre, la bonne organisation du gouvernement, le pouvoir fort et réglé. Voilà les véritables garanties contre les passions révolutionnaires; les passions patriotiques ont droit au respect, et doivent trouver leur place dans les soins du gouvernement; il ne peut pas, il ne doit pas les mettre en tête de sa conduite. Les passions patriotiques abondaient au commencement de la Révolution française; elles ont marché en tête des passions révolutionnaires, et tout à coup elles se sont trouvées devancées, surmontées par celles-ci. (Très-bien!)
Elles se sont trouvées à la suite après avoir été d'abord à la tête. C'est là le danger... (Nouvelle approbation.)
M. Odilon Barrot.—Pourquoi? Parce que l'étranger a menacé la France.
M. le ministre des affaires étrangères.—L'esprit dans lequel nous soutenons le projet de loi que nous avons présenté, c'est donc l'esprit de gouvernement en même temps que l'esprit de paix. Nous entendons fortifier le pouvoir en même temps que donner des sûretés à la paix en Europe. Et voyez l'ensemble des mesures que nous vous avons proposées. Pendant que nous défendions, que nous proclamions la politique de la paix au milieu des circonstances les plus difficiles, nous sommes venus vous proposer le maintien des armements que nous avons trouvés à notre avénement, et la cessation de tout armement plus étendu. Nous sommes venus vous proposer la prolongation de la durée du service militaire, l'organisation de la réserve, les fortifications de Paris: voilà l'ensemble des mesures du cabinet, voilà la véritable expression, le véritable caractère de sa politique: d'une part, la paix; de l'autre, la forte organisation du pouvoir et de la sûreté publique. (Très-bien! très-bien!)
Il sortira de là, messieurs, la paix rétablie, ou plutôt fortement maintenue en Europe, et l'établissement militaire de la France régulièrement fortifié.
Messieurs, croyez-moi; cette politique et ses effets n'ont rien de menaçant ni pour les libertés publiques ni pour notre gouvernement. Si vous portez vos regards au dedans comme je viens de les promener au dehors, la mesure ne vous offrira pas de caractère plus inquiétant. Vous le voyez, ce n'est pas une mesure de parti, ce n'est pas le triomphe du parti de la paix sur celui de la guerre, de la conservation sur le mouvement, du pouvoir sur la liberté. Non, ce n'est pas une lutte de parti (Très-bien! très-bien!) Les opinions sont disséminées, divisées sur tous les bancs de la Chambre. Je ne m'en afflige pas; je serais profondément fâché qu'une mesure semblable fût une victoire des uns sur les autres. (Très-bien! très-bien!) Il faut, pour son efficacité comme pour notre honneur à tous, qu'elle soit au-dessus de nous tous; il faut qu'elle obtienne, je voudrais pouvoir dire l'unanimité, mais au moins une grande majorité dans cette Chambre; tenez pour certain, messieurs, que la paix sera d'autant plus assurée et la France d'autant plus respectée que la mesure que vous discutez sortira plus grande et plus unanime de cette Chambre. (Très-bien! très-bien!)
On dit qu'elle est gigantesque, tant mieux! je voudrais, s'il était possible, que nous eussions en ce moment deux, trois, quatre Paris à fortifier. (On rit.)
M. de Vatry.—Faites tout de suite les murailles de la Chine!
M. le ministre.—Je crois beaucoup à l'effet moral de la conduite des gouvernements sur les peuples qui les regardent; je crois beaucoup qu'un spectacle de résolution ferme, générale et tranquille, ne durât-il que huit jours, grandit et fortifie immensément notre patrie en Europe. (Mouvement.) Je désire donc passionnément que nous lui offrions ce spectacle; je désire que le sentiment du bien que la France retirera des fortifications de Paris soit assez puissant sur vous tous pour vous faire surmonter les difficultés d'exécution et de détail qui s'y rattachent. Que la question de l'utilité morale et politique soit énergiquement résolue par chacun de vous: que la conviction que je vous demande soit forte en vous tous, et les questions d'argent, et les questions de système descendront beaucoup à vos yeux. (Très-bien!)
Je sais la valeur de ces questions, mais je ne m'en effraye point. Les questions d'argent, quelque graves qu'elles soient, sont résolues dans le projet de M. le ministre des finances. Il a de quoi y pourvoir; sans cela nous n'aurions pas demandé les fortifications.
M. de Vatry.—Oui, en renonçant à toute espèce de travaux jusqu'en 1848. (Mouvement.)
M. le ministre.—Les questions de système! je déclare que je n'en suis pas juge, et que je me trouverais presque ridicule d'en parler; je n'y entends rien. Ce que je demande, c'est une manière efficace, la plus efficace, de fortifier Paris. Tout ce qui me présentera une fortification de Paris vraiment efficace, je le trouverai bon. (Très-bien! très-bien! Sensation prolongée.)
Un seul mot, et je finis. Un homme dont j'honore autant le caractère que j'admire son talent, M. de Lamartine (Mouvement) s'est vivement préoccupé, quant à la mesure que nous discutons, de l'approbation qu'elle lui a paru rencontrer dans les partis extrêmes; il en a conclu qu'elle devait tourner à leur profit, et que nous devions la repousser.
Je ne puis partager cette crainte: les partis extrêmes travaillent à s'emparer de tout; nous les rencontrons partout; nous les rencontrons dans les élections, dans la presse, dans la garde nationale, je ne veux pas dire à cette tribune.
M. Joly.—Pourquoi pas? (Hilarité.)
M. le ministre.—Je ne m'y refuse pas; c'est une preuve de plus à l'appui de ce que j'avais l'honneur de dire.
Nous les rencontrons partout. (On rit.) Partout ils travaillent à s'insinuer, à s'emparer de la force qui est devant eux. Est-ce une raison de nous méfier de tout? est-ce une raison de renoncer à tout, aux élections, à la tribune, à la garde nationale. (Non! non!)
Que les partis extrêmes s'efforcent autant qu'ils voudront, ils seront battus partout. (Marques d'approbation.) Toutes nos institutions, par leur libre et complet développement, toutes nos institutions tourneront contre eux. Ce qui se passe depuis dix ans m'en donne la complète assurance. Que les élections se fassent, que la presse écrive, que les fortifications de Paris s'élèvent, toutes ces forces tourneront contre les partis extrêmes. (Très-bien! très-bien!) Ils y trouveront peut-être des champs de bataille, mais certainement des défaites. (Très-bien!)
Les fortifications de Paris, vous croyez que les factions s'en empareront! Vous croyez qu'elles s'y enfermeront! Elles le tenteront peut-être, messieurs, et elles échoueront, comme elles ont partout échoué jusqu'ici.
J'ai encore plus de foi que l'honorable M. de Lamartine et dans nos institutions et dans le bon sens et l'énergie de mon pays. Je sais que c'est une condition laborieuse, rude; je sais qu'il en coûte d'avoir à se défendre sans cesse contre l'invasion des factions et des brouillons. Dans notre organisation sociale, il faut s'y résoudre, messieurs; c'est la liberté même; c'est à cette épreuve que les honnêtes gens, que les hommes sensés grandissent et deviennent les maîtres de leur pays.
Soyez tranquilles, messieurs, sur les fortifications de Paris, comme je le suis sur les élections, comme je le suis sur la garde nationale; elles seront défendues, elles seront possédées par ce même esprit de conservation et de paix, qui, depuis dix ans, à travers toutes nos luttes, a prévalu dans toute notre histoire, et qui a fait notre gloire comme notre sûreté. (Mouvement prolongé d'assentiment.)
Une longue agitation succède à ce discours, la séance reste suspendue. L'orateur qui succède à M. Guizot attend à la tribune que le silence se rétablisse.
CIV
Discussion du projet de loi relatif aux fortifications de Paris.
—Chambre des députés.—Séance du 30 janvier 1841.—
À diverses époques, spécialement en 1831, 1832 et 1833, le maréchal Soult, président du cabinet du 29 octobre 1840, avait exprimé, dans la question des fortifications de Paris, une opinion contraire au système de l'enceinte continue, et exclusivement favorable au système des forts détachés. En présentant, le 12 décembre 1840, le projet de loi où les deux systèmes étaient résumés et combinés, il fit, dans l'exposé des motifs, la réserve de son opinion précédente; mais, dans la discussion du projet de loi, cette réserve devint pour l'opposition une arme, et pour le maréchal Soult un embarras. Dans la séance du 27 janvier 1841, le général Schneider, qui passait pour avoir la confiance du maréchal, proposa un amendement qui écartait du projet de loi l'enceinte continue et le réduisait à un ensemble de forts détachés.
Dans la séance du 31 janvier, le maréchal Soult essaya de maintenir sa première opinion en expliquant pourquoi il avait accepté le nouveau projet; mais son explication confuse jeta la Chambre dans un grand trouble et fut sur le point de compromettre le sort du projet de loi et de la mesure. Je pris sur-le-champ la parole pour rétablir la vraie situation et le ferme dessein du cabinet, en expliquant la situation et la conduite de son président.
M. Guizot.—Messieurs, je tiens pour mon compte... (Exclamations à gauche.—Au centre: Très-bien! Écoutez! écoutez!) Je tiens pour mon compte à la clarté des situations encore plus qu'à celle des idées, et à la conséquence dans la conduite encore plus que dans le raisonnement. (Très-bien!)
Il y a quelques jours, je disais à cette tribune deux choses: l'une, que je voulais les fortifications de Paris réelles, efficaces; l'autre, que, sur la question de système, je n'avais pas d'avis personnel, que je ne me sentais pas en état d'en avoir un. (Mouvements divers.) Ces deux choses, messieurs, je les disais sincèrement, sérieusement; je les répète aujourd'hui. Cette longue discussion ne m'a point donné, sur la question de système, une conviction personnelle et arrêtée (Rumeurs); mais elle m'a confirmé dans la conviction que les fortifications de Paris devaient être efficaces, et que celles qui sont présentées dans le projet de loi étaient de beaucoup les plus efficaces. (Très-bien! très-bien!)
Je ne suis pas juge, je persiste à le dire, je ne suis pas juge compétent, éclairé, de la question de système (Écoutez! écoutez!); mais il m'est évident que le système proposé par le projet de loi est le plus efficace de tous. (Nouvelle approbation.) Je le maintiens donc tel que le gouvernement l'a proposé.
On lui a fait beaucoup d'objections sur lesquelles je ne m'arrêterai point. On l'a présenté comme dangereux pour l'ordre, dangereux pour la liberté, dangereux pour nos finances, dangereux pour Paris, en cas d'événements déplorables.
Il y a du vrai dans ces objections. (Mouvements divers.) Il y a une certaine part de vérité. Il n'y en a pas assez, à mon avis, pour détruire ces deux vérités que Paris doit être fortifié, et qu'il doit l'être d'une manière efficace.
S'il était vrai que le système proposé par le gouvernement fût radicalement, essentiellement dangereux pour l'ordre, pour la liberté, pour nos finances, je comprendrais toute la valeur qu'on attache à ces objections. Il n'en est pas ainsi. Il peut y avoir, dans certaines occurrences, quelques inconvénients pour l'ordre, quelques périls pour la liberté; il n'y en a pas assez pour détruire la nécessité de fortifier Paris et de le fortifier efficacement, le plus efficacement possible. (Nouvelles marques d'adhésion.)
S'il m'était démontré que l'amendement atteint le même but que le projet de loi, que c'est une fortification efficace, suffisante, je l'accepterais. Il a quelques inconvénients de moins que le projet. Il répond à quelques-unes des objections des adversaires du projet. Mais la discussion n'a élevé, dans mon esprit, que des doutes sur l'efficacité de l'amendement comme fortification de Paris.
À Dieu ne plaise que je me donne ici, à moi-même, le démenti et le ridicule de le discuter militairement! Je ne demande que la permission de récapituler les doutes que la discussion même a élevés, et laisse dans mon esprit.
Il me paraît évident que pour atteindre, par l'amendement et dans son système, le but de fortifier Paris, il faudrait un nombre de forts infiniment plus considérable, et, par conséquent, une dépense beaucoup plus étendue que l'amendement ne le propose... (C'est vrai!) Il me paraît évident également que la distance à laquelle les forts sont placés, dans le système de l'amendement, détruit ou du moins affaiblit beaucoup l'efficacité de la fortification... (Marques d'adhésion.) il me paraît enfin évident que le mur d'octroi ne répond à aucun usage réel pour la défense de Paris... (Nouvelle adhésion.) Voilà mes doutes sur la question technique.
Quant à la question politique, l'amendement détruit en partie l'effet moral, le grand effet moral de la mesure que nous discutons. (Très-bien!) Il faut que je redise encore ici ce que je disais la première fois que j'ai eu l'honneur de parler de cette mesure devant la Chambre. Un de ses grands mérites à mes yeux, c'est de n'être pas une mesure de parti (Assentiment)... de n'être pas votée à la suite d'une lutte des partis, de réunir dans cette Chambre un grand nombre de suffrages, et des suffrages appartenant à des opinions politiques différentes, de s'élever ainsi au-dessus de la politique. (Très-bien!)
Je maintiens que l'effet moral de cette mesure en dehors de nos frontières (Adhésion générale)... tient en grande partie à l'accomplissement de cette condition; l'amendement la fait perdre au projet. (Nouvelle adhésion.)
Je reste, messieurs, sur la question technique, ignorant comme au début de cette discussion; mais j'en ai assez entrevu pour comprendre que l'amendement ne résout pas cette question d'une manière aussi efficace, aussi incontestable que le projet de loi. (Très-bien!) Et quant à la question politique, dont il m'appartient de juger, je n'hésite pas à affirmer que l'amendement ne la résout pas du tout, et que le projet de loi la résolvait complétement. (Nouvelles marques d'assentiment.)
Je maintiens donc le projet de loi; je le maintiens dans les limites que je viens d'indiquer, avec le sens et le caractère d'une mesure qui garantit la paix en même temps qu'elle prouve la force de la France. (Très-bien! très-bien!)
C'est sous ce double caractère que j'ai présenté le projet à la Chambre; et il m'a paru que la Chambre comme la commission, comme le gouvernement, l'acceptait sous ce double caractère: je le maintiens donc.
D'où viennent donc les difficultés de la situation et le parti qu'on essaye d'en tirer?
Il faut que la Chambre me permette, sans que personne s'en offense, sans que personne s'en inquiète, de dire à ce sujet tout ce que je pense. (Écoutez! écoutez!) La situation est trop grave pour que je n'essaye pas de la mettre, dans sa gravité, dans sa nudité, sous les yeux de la Chambre: là seulement est le moyen d'en sortir. (Sensation.)
M. le président du conseil avait, il y a quelques années, exprimé sur cette question, sur les moyens de défendre Paris, une opinion qui a droit, plus que celle de personne au monde, au respect de la Chambre et de la France.
Personne ne peut présenter, sur une pareille question, ses idées avec autant d'autorité, avec autant de titres à la confiance du pays que M. le président du conseil. (Très-bien!)
Qu'a-t-il fait? Tout ce qu'il pouvait, tout ce qu'il devait faire en pareille situation. Il s'est rendu, dans le cabinet, à l'opinion de la majorité de ses collègues; il a présenté, au nom du gouvernement, le projet de loi que la majorité de ses collègues a jugé le meilleur dans la situation politique; et, en même temps, il a réservé l'expression libre, sincère, de son opinion personnelle, le respect de ses antécédents.
M. le président du conseil me permettra, j'en suis sûr, de le dire sans détour: il n'est pas étonnant qu'il n'apporte pas à cette tribune la même habitude, la même dextérité de tactique qu'il a si souvent déployée ailleurs. Il n'est pas étonnant qu'il ne soit pas aussi exercé ici qu'ailleurs à livrer et à gagner des batailles. (Mouvement.)
M. Maurat-Ballange.—Ce n'est pas de la dextérité qu'on doit apporter à la tribune; c'est de la franchise.
M. le ministre.—Ce que je dis là, messieurs, c'est l'expression simple de la situation, c'est le simple bon sens. Il est arrivé à des hommes qui avaient plus d'habitude de la tribune que M. le président du conseil, à des hommes qui avaient passé leur vie dans l'enceinte du Parlement, de se trouver dans la même situation où il vient de se trouver. M. Pitt, M. Canning ont plusieurs fois parlé contre des mesures proposées par le cabinet dont ils faisaient partie; je ne dis pas seulement qu'ils ont réservé leur opinion, ils ont combattu les mesures même de leur cabinet.
M. Pitt, M. Canning étaient des hommes de chambre, habiles à échapper aux difficultés d'une telle situation. M. le président du conseil a cherché et trouvé ailleurs sa gloire. (On n'entend pas.)
Je parle sérieusement, et il n'y a rien, dans ce que je dis, qui puisse exciter le moindre murmure, la moindre surprise légitime.
Une voix.—On ne murmure pas; on se plaint seulement de ne pas entendre.
M. le ministre.—Je me ferai entendre.
J'affirme donc que, dans cette circonstance délicate, M. le président du conseil a usé d'un droit, d'un droit consacré dans notre forme de gouvernement, d'un droit qui a été souvent exercé ailleurs, et dans des occasions aussi graves. Il n'y a rien que de parfaitement simple, de parfaitement légitime dans sa conduite; il a bien fait de maintenir son opinion, son passé, et d'apporter à la tribune ce qu'il regarde comme l'expression de la vérité, dans l'intérêt du pays. (Mouvement.)
Mais le projet de loi est resté entier; c'est le projet du gouvernement, le projet du cabinet; le cabinet le maintient; M. le président du conseil le maintient lui-même. Il vient de le répéter tout à l'heure à cette tribune, de le répéter formellement; personne n'a le droit de le démentir, personne n'a le droit d'élever le moindre doute sur la sincérité de son intention et de son langage. (Très-bien!)
Je poursuis, messieurs, car toute la difficulté de la situation n'était pas là, et quand j'ai dit ce que je viens de dire, je n'ai pas tout expliqué; le gouvernement a rencontré dans cette Chambre, sur vos bancs, une difficulté analogue et bien plus grave. (Mouvement.)
Messieurs, je crois pouvoir dire qu'il n'y a personne dans cette Chambre qui doute de mon sincère attachement, non seulement aux formes légales du gouvernement représentatif, écrites dans la Charte, mais aux principes vitaux qui doivent présider à la pratique de ce gouvernement.
Le premier de ces principes, messieurs, c'est la formation, l'action, l'influence journalière d'une majorité ferme, compacte, décidée, d'une majorité liée par la communauté des principes politiques, des sentiments et des intentions. Quand cette majorité existe, c'est son devoir de soutenir les hommes qui parlent pour elle et qui la défendent sur ces bancs. Quand ces hommes ont l'honneur d'être avoués par une telle majorité, c'est leur devoir de lui être étroitement fidèles, de soutenir et de défendre les maximes et la politique qu'elle professe et veut faire prévaloir. (Très-bien!)
Quand une telle majorité existe, messieurs, quand elle a subi de longues et véritables épreuves, oh! alors, malgré les difficultés toujours inhérentes au gouvernement, on peut dire qu'il est facile; l'impulsion décidée, le point d'appui sûr ne lui manquent pas. Mais, après tant de crises, après la dissolution tant de fois répétée de la majorité parlementaire, quand la grande œuvre, à laquelle le cabinet est appelé, est précisément de reformer cette majorité, de la faire rentrer dans les voies régulières du gouvernement, de lui rendre à elle-même sur le gouvernement l'influence qui lui appartient et qu'elle doit exercer, alors la situation est difficile. Alors on peut rencontrer des embarras dont il n'y a pas moyen d'éviter l'explosion, et qui viennent se révéler à cette tribune. (Rumeurs diverses.)
Eh bien, messieurs, la diversité des opinions, des intentions sur la mesure qui nous occupe, nous l'avons rencontrée dans la majorité politique qui nous soutient, et à laquelle nous sommes dévoués; nous n'avons pas trouvé dans son sein, sur cette grande question, le même ensemble, la même décision qu'elle a montrés ailleurs.
Croyez-vous, messieurs, que ce ne soit pas là un fait grave, un fait dont il a été impossible au gouvernement de ne pas porter le poids devant vous? Je vous réponds que si l'opinion de la majorité de cette Chambre sur la question qui nous occupe avait été aussi formée, aussi décidée, aussi unanime qu'elle l'était, il y a deux mois, dans la discussion de l'adresse, vous ne verriez pas le spectacle que vous voyez. (Mouvements divers.)—Rien de ce qui se passe ne se serait passé.
Et croyez-vous qu'il fût facile, qu'il fût possible au pouvoir d'imposer son opinion et sa volonté à cette majorité troublée et divisée? Messieurs, cela ne se peut pas. Il y a de la liberté au sein de la majorité; elle agit par conviction, selon sa volonté, et pour lui faire adopter une opinion, une volonté, il faut l'y amener, l'y amener librement par la discussion à cette tribune.
C'est là l'œuvre qui est imposée au cabinet; et jamais peut-être cette œuvre n'a été plus difficile que dans la situation où nous nous trouvons; jamais l'opinion au sein de la majorité n'a été plus diverse, plus difficile à rallier.
Qu'a dû faire, qu'a fait le cabinet? Il n'est pas venu braver la majorité; il n'est pas venu lui imposer avec arrogance son opinion, son intention, son intérêt. Il a fait la part des situations; il a fait la part des opinions diverses; il a écouté, il a attendu, disposé, comme c'était son devoir, à transiger, s'il le fallait absolument. (Mouvements divers.) Je ne dis rien là d'étrange. (Non! non!) C'est là l'effet ordinaire, l'effet continuel du gouvernement représentatif. Nous ne sommes pas venus ici, pas plus sur cette question que sur une autre, avec la prétention de tout emporter, de dicter la loi; nous sommes venus ici pour la faire en la débattant librement avec vous, et en transigeant, s'il le faut. (Très-bien!)
Et ce que nous faisons là, messieurs, c'est ce qui se fait tous les jours, partout, ce que l'honorable M. Thiers, il le sait bien, a fait vingt fois, comme nous, dans sa vie parlementaire.
Mais en même temps que nous avons senti et accepté cette nécessité de notre situation, en même temps que nous nous sommes montrés disposés à lui faire sa part, nous n'avons pas renoncé à l'espérance de ramener la majorité à notre opinion, de la rallier au projet de loi. Et la preuve que nous n'avons pas renoncé à cette espérance, c'est que je la poursuis en ce moment. (Très-bien!)
Je n'ai pas la prétention d'imposer mon opinion à la majorité; elle est libre; elle est libre comme le gouvernement; elle peut dire: je ne veux de ce que vous me proposez que dans telle mesure, jusqu'ici et non pas plus loin. C'est au gouvernement à voir alors s'il lui convient d'accepter cette transaction, et si, dans l'intérêt du pays, qui seul nous occupe, cette transaction serait assez efficace pour résoudre la grande question que nous discutons, pour lui faire faire au moins un grand pas. Je dis que c'était le devoir, le devoir élémentaire du gouvernement de se conduire comme il l'a fait dans cette occasion. (Mouvement d'approbation.) Et en même temps je persiste dans ce que je disais en montant à cette tribune: le gouvernement a présenté le projet de loi; il l'a présenté sincèrement, sérieusement, comme celui qui convenait le mieux pour résoudre la question elle-même; il le maintient. M. le président du conseil, après l'usage qu'il a fait de sa liberté, de son opinion, de ses réserves, M. le président du conseil le maintient comme le cabinet tout entier. C'est sur ce projet que la Chambre est appelée à délibérer; c'est à la majorité à voir si elle veut faire au cabinet, je dirai la concession d'accepter le projet tout entier, tel que le gouvernement et la commission en sont tombés d'accord, ou si elle veut lui imposer des transactions sur lesquelles le gouvernement ne refuse pas et ne refusera jamais de délibérer, car son devoir est d'écouter tout ce qui peut se dire à ce sujet, et d'accueillir, dans une certaine mesure, tout ce qui serait conciliable avec l'intérêt du pays. (Sensation et rumeurs diverses.)
Messieurs, encore un mot, je finis.
Je maintiens le projet de loi; je persiste à dire que, dans l'opinion du gouvernement, c'est la meilleure manière, la plus efficace techniquement, la seule efficace politiquement et moralement (Très-bien!), de résoudre la grande question sur laquelle nous délibérons.
M. Lacrosse.—Je demande la parole. (Bruit.)
M. le ministre.—Si le projet de loi n'est pas adopté, soyez-en sûrs, la question ne sera pas complétement résolue, et la Chambre n'obtiendra pas de sa délibération tous les bons effets qu'elle a droit d'en attendre et que nous cherchons. (Très-bien! Vive adhésion.)
CV
Discussion sur le traité conclu le 29 octobre 1840 entre la France et la République argentine.
—Chambre des pairs.—Séance du 8 février 1841.—
Dans la séance du 8 février 1841, le marquis de Brézé interpella le cabinet sur le traité conclu à Buenos-Ayres, le 29 octobre 1840, par l'amiral de Mackau, et d'après les instructions du cabinet précédent, avec le général Rosas, dictateur de la République argentine, et aussi sur la question de savoir si le nouveau cabinet avait l'intention de ratifier ou non ce traité. Je lui répondis:
M. Guizot, ministre des affaires étrangères.—Messieurs, je pourrais dire, comme le reconnaissait tout à l'heure l'honorable préopinant, que je suis désintéressé dans cette question, car j'ai été complétement étranger aux actes qui ont amené le traité et au traité lui-même. Il a été signé le 29 octobre, le jour même où se formait le cabinet dont j'ai l'honneur de faire partie. Mais je ne me prévaudrai point de ce moyen échappatoire. Quelque diverse que puisse être la politique de deux cabinets, il y a certaines affaires, certaines portions du gouvernement qui passent solidairement de l'un à l'autre. Si je pensais, si le cabinet pensait que le traité dont il s'agit fût peu honorable ou nuisible à la France, il devrait lui refuser sa ratification. Ce serait grave, messieurs. En principe, dans le droit public régulier, quand un négociateur n'a pas dépassé ses instructions, la ratification est due au traité qu'il a conclu; car, sans cela, que signifieraient les pouvoirs donnés à un négociateur? Il faut, ou que le négociateur ait dépassé ses instructions, ou qu'il soit survenu, depuis que les instructions lui ont été données, quelqu'un de ces grands événements qui changent complétement la face des choses, pour que le gouvernement ait le droit de refuser la ratification.
Je crois que, dans l'occasion dont il s'agit, il n'y a rien eu de semblable. L'honorable M. de Mackau a agi dans les limites de ses instructions; il les a non-seulement accomplies, mais, comme j'espère le prouver à la Chambre, il a fait mieux que ses instructions ne lui prescrivaient: il n'a rien fait qui ne soit juste en soi, utile pour la France; le traité doit être ratifié, et l'intention du gouvernement du roi est de le ratifier.
Et d'abord, messieurs, avant le traité, dans les préliminaires de la négociation, M. de Mackau a mis tout le soin nécessaire pour que la dignité et l'honneur de la France fussent parfaitement à couvert. Envoyé avec ordre de négocier, il a commencé par s'assurer que les négociations seraient, non-seulement acceptées, mais proposées, ouvertes en quelque sorte par le gouvernement argentin lui-même; et ce n'est qu'après avoir acquis cette certitude qu'il est entré en négociation. Arrivé devant Buenos-Ayres, il a eu soin que les négociations se passassent sous le drapeau français, à bord d'un bâtiment français; il a témoigné une vive susceptibilité nationale. Et cette susceptibilité a été acceptée. C'est sous le pavillon français, à bord d'un bâtiment français, que la négociation a eu lieu. Enfin, poussant jusqu'au scrupule une fierté délicate, il a attendu que le ministre anglais, M. Mandeville vint lui faire à son bord la première visite, avant de profiter des offres que cet honorable agent diplomatique lui avait faites de s'entremettre entre lui et le gouvernement argentin.
Et, à cette occasion, je suis bien aise de dire que le gouvernement du roi, et M. de Mackau en particulier, ont à se louer et des instructions données au ministre anglais par le gouvernement britannique, et de la manière dont M. Mandeville a exécuté ses instructions.
Les préliminaires du traité ainsi connus, les soins apportés par M. de Mackau dans la négociation ainsi bien expliqués, j'entre dans l'examen du traité en lui-même, et je l'examine d'abord dans ses rapports avec les instructions que M. de Mackau avait reçues.
Les instructions du cabinet du 1er mars sont de deux dates; les unes du 15 mai 1840, adressées à M. Buchet de Martigny, les autres du 21 juillet de la même année, adressées à M. de Mackau. Ces instructions sont entièrement conformes aux instructions données par les cabinets précédents. Depuis l'origine, la France a fait porter ses réclamations à Buenos-Ayres sur deux points principaux: une indemnité pour les Français qui avaient souffert, et le traitement de la nation la plus favorisée, quant aux propriétés et aux personnes, pour les Français résidant sur le territoire de la république. C'est sur ces deux points que les cabinets du 15 avril et du 12 mai, comme celui du 1er mars, ont toujours insisté. Voici les termes des instructions. M. le ministre des affaires étrangères du cabinet du 1er mars écrivait le 15 mai, à M. Buchet de Martigny:
«Je n'ai pas besoin de vous dire que notre résolution bien arrêtée est d'obtenir la satisfaction qui nous est due, et que cette satisfaction doit reposer sur les deux bases suivantes: la concession à nos nationaux, pour leurs personnes et leurs propriétés, du traitement de la nation la plus favorisée, jusqu'à la conclusion d'un traité définitif; et, en faveur de ceux d'entre eux qui ont éprouvé des dommages par suite des actes arbitraires des autorités locales, l'admission du principe d'une indemnité modérée dont on réglerait plus tard la quotité par voie d'arbitrage. Ces deux bases, nous les avons depuis longtemps posées, et par cela même que, dès le premier moment, nous avons restreint nos demandes aux plus strictes exigences de notre dignité et de nos intérêts essentiels, il ne nous est pas possible de les réduire.»
Le 21 juillet suivant, les mêmes instructions étaient données à M. de Mackau en ces termes:
«Nous ferez part, soit aux agents anglais, soit à tous les agents des nations maritimes amies de la France et neutres dans cette querelle, vous leur ferez part des dispositions du gouvernement du roi; vous leur annoncerez qu'il est prêt à traiter, qu'il veut la paix, la paix immédiate, mais honorable, et toujours aux conditions si modérées que nous avons déjà posées. Bien que les hostilités se soient prolongées, que les dépenses de la France se soient accrues, elle n'ajoute rien à ses prétentions, elle se borne toujours à demander:
«1o Le traitement de la nation la plus favorisée pour les Français habitant la République argentine, sous le rapport seul des personnes et des propriétés;
«2o Le principe d'une indemnité pécuniaire pour ceux de nos nationaux qui ont souffert les mauvais traitements pour lesquels nous sommes en réclamation.
«Si vous pouvez obtenir que cette indemnité soit nominative, et que le chiffre total en soit approximativement fixé, sauf une liquidation ultérieure, cela vaudra mieux, car les difficultés seront moindres quand il faudra exiger définitivement cette indemnité. Toutefois, comme ces conditions secondaires n'étaient pas comprises dans notre ancien ultimatum, il ne faudrait pas y tenir péremptoirement, et vous en finiriez sur ce point, à la simple condition d'une indemnité, posée en principe dans le traité que vous aurez à souscrire.»
Voilà quelles étaient les instructions données à M. de Mackau. Je prends le traité même:
«Article 1er. Sont reconnues par le gouvernement de Buenos-Ayres les indemnités dues aux Français qui ont éprouvé des pertes ou souffert des dommages dans la République argentine; et le chiffre de ces indemnités, qui reste seul à déterminer, sera réglé dans le délai de six mois, par la voix de six arbitres nommés d'un commun accord, et trois pour chaque partie, entre les deux plénipotentiaires.
«En cas de dissentiment, le règlement desdites indemnités sera déféré à l'arbitrage d'une tierce puissance qui sera désignée par le gouvernement français.»
La Chambre voit que les instructions ont été scrupuleusement accomplies quant au principe de l'indemnité, et que M. de Mackau a fait mieux, puisqu'il a obtenu que l'arbitrage fût déféré en définitive, si l'on ne s'entendait pas, à un septième arbitre au choix du gouvernement français.
Sur le point de l'indemnité donc, les instructions ont été, non-seulement accomplies, mais améliorées.
J'en viens à ce qui regarde le traitement des personnes: le traité porte:
«Art. 5. Bien que les droits et avantages dont les étrangers jouissent actuellement sur le territoire de la Confédération argentine, en ce qui concerne leurs personnes et leurs propriétés, soient communs aux citoyens et sujets de toutes et de chacune des nations amies et neutres, le gouvernement de S. M. le roi des Français et celui de la province de Buenos-Ayres, chargé des relations extérieures de la Confédération argentine, déclarent qu'en attendant la conclusion d'un traité de commerce et de navigation entre la France et la Confédération argentine, les citoyens français sur le territoire argentin et les citoyens argentins sur le territoire français, seront considérés et traités, sur l'un et l'autre territoire, en ce qui concerne leurs personnes et leurs propriétés, comme le sont ou pourront l'être les sujets et citoyens de toutes et de chacune des autres nations, même les plus favorisées.»
Voilà donc, à ce sujet, les instructions scrupuleusement accomplies. Ce qui jusqu'ici avait toujours été refusé, c'est-à-dire le traitement de la nation la plus favorisée, est accordé aux Français quant aux personnes et aux propriétés.
L'honorable M. de Brézé parlait tout à l'heure d'avantages plus considérables obtenus par les Anglais. M. de Brézé n'a pas remarqué que les Anglais ont un traité de commerce conclu avec la République argentine. Quant à nous, nous ne l'avons pas encore; on le négociera bientôt. Ce qui regarde les relations commerciales de la France avec la République argentine n'est pas encore réglé. Il n'y avait en question, et il n'y a eu de réglé par le traité que ce qui concernait les personnes et les propriétés. Rien ne prouve (et j'ai lieu de supposer le contraire), rien ne prouve que, quand ces négociations seront mises à fin, nous n'aurons pas les mêmes avantages commerciaux dont jouissent les Anglais. Mais en ce qui touche les personnes et les propriétés, la situation de la France est absolument la même que celle des nations les plus favorisées, celle de l'Angleterre par exemple, dans la République argentine.
Maintenant voici l'art. 6 auquel M. de Brézé faisait allusion:
«Art. 6. Nonobstant ce qui est stipulé dans l'article précédent, si le gouvernement de la Confédération argentine accordait, aux citoyens de tous ou partie des États de l'Amérique du Sud, des droits spéciaux, civils ou politiques, plus étendus que ceux dont jouissent actuellement les sujets de toutes ou de chacune des nations amies et neutres, même les plus favorisées, ces droits ne pourraient être étendus aux citoyens français établis sur le territoire de la république, ni être réclamés par eux.»
La Chambre, je crois, comprendra sans peine la restriction.
Les États de l'Amérique du Sud se considèrent comme formant chez eux une sorte de ligue et pouvant accorder les uns chez les autres, à leurs citoyens, des droits civils et politiques, par exemple, le droit de voter dans les élections; mais ces droits n'ont jamais été concédés, non-seulement à aucun sujet des nations européennes, mais même à aucun Américain du Nord. Dans aucun des États de l'Amérique du Sud, les Américains du Nord ne jouissent de ces droits, ni les Anglais non plus. Cet article ne prive donc les Français, dans la République argentine, d'aucun droit qui soit possédé ou puisse l'être par des sujets de nations européennes, ou de l'Amérique du Nord; il n'a pour objet que de leur interdire toute ingérence dans le gouvernement et la politique des États de l'Amérique du Sud. En fait, je crois que cet article ne peut avoir que des avantages pour la France. Les Français qui se trouvent dans l'Amérique du Sud ne sont que trop disposés à intervenir dans la politique de ces pays, et c'est peut-être à cette disposition que nous devons les plus grands embarras que nous ayons rencontrés dans cette affaire. L'article ne fait donc qu'interdire à nos nationaux ce qui ne serait d'aucune utilité pour la France, ce qui, au contraire, lui serait nuisible.
Voilà quelle est la valeur réelle des restrictions apportées, pour nous, au traitement de la nation la plus favorisée.
La Chambre voit qu'en ce qui concerne les rapports de la France avec la République argentine, M. de Mackau a non-seulement obtenu ce qu'il était chargé de demander, mais mieux, à certains égards, et mieux qu'on n'avait espéré jusque-là. Je vais en donner une preuve qui frappera certainement la Chambre.
Les hommes qui avaient conduit nos affaires dans la République argentine d'après une politique tout autre que celle qui a présidé au traité, les hommes qui avaient lié les affaires de la France à celles de la république de Montevideo et à celle des insurgés de Buenos-Ayres, avaient d'avance posé, avec ces divers partis, les bases de la convention à intervenir entre la France et eux, si ces partis venaient à triompher et si le dictateur Rosas était renversé. Il y avait eu une espèce de convention préalable entre M. Buchet de Martigny et quelques-uns des chefs de l'insurrection argentine, convention destinée à régler les rapports de la France avec cette république quand l'insurrection aurait triomphé et amené le renversement de Rosas.
M. de Brézé.—Cela regarde le ministère de M. Molé.
M. le ministre des affaires étrangères.—Cela n'a eu aucune suite... C'est une conférence tenue le 22 juin 1840, sous le ministère du 1er mars, et où M. Buchet de Martigny réglait les relations futures de la France avec la république de Buenos-Ayres quand le gouvernement serait changé. On stipulait en ces termes:
«Le gouvernement de Buenos-Ayres, voulant répondre à la générosité de la déclaration en date du... qui lui a été faite par M. le chargé d'affaires et plénipotentiaire de France, voulant aussi donner à cette nation une preuve de son amitié et de sa reconnaissance pour les secours efficaces qu'elle a prêtés, dans ces dernières circonstances, à la cause argentine;
«Considérant aussi la justice avec laquelle le gouvernement de S. M. le roi des Français a réclamé des indemnités en faveur de ceux de ses nationaux qui ont été victimes des actes cruels et arbitraires du tyran de Buenos-Ayres, don Juan Manuel de Rosas;
«A décrété et décrète ce qui suit, savoir:
«Art. 1er. En attendant la conclusion d'une convention d'amitié, de commerce, de navigation entre S. M. le roi des Français et la province de Buenos-Ayres, les citoyens français établis sur le territoire de la république seront traités, pour leurs personnes et leurs propriétés, comme le sont ceux de la nation la plus favorisée.
«Art. 2. Est reconnu le principe des indemnités réclamées par le gouvernement de Sa Majesté en faveur de ceux de ses nationaux qui ont eu à souffrir, soit avant, soit depuis la mise du blocus, des mesures iniques et arbitraires du dernier gouvernement de Buenos-Ayres ou de ses délégués. M. Buchet de Martigny sera invité par ce gouvernement à s'entendre avec lui pour faire déterminer, dans un bref délai, le montant de ces indemnités, par des arbitres choisis en nombre égal de part et d'autre, et qui, en cas de partage, auront la faculté de s'adjoindre un surarbitre nommé par eux à la majorité des voix.»
Voilà la convention préalable qui avait été conclue entre les agents de la France et le gouvernement futur de la république argentine. La Chambre voit que cette convention était exactement conforme à ce qu'a fait l'amiral de Mackau, et que même, s'il y a quelque avantage, c'est en faveur du traité signé par M. de Mackau; car l'arbitrage définitif est remis à la discrétion de la France. Les personnes qui avaient conclu d'avance cette convention auraient donc mauvaise grâce à se plaindre aujourd'hui de celle que M. de Mackau a signée.
Voilà pour ce qui regarde la France et la manière dont ses relations avec la république argentine ont été réglées par le traité.
Mais, comme le disait tout à l'heure l'honorable M. de Brézé, la France n'était pas seule en cause; elle avait, non pas des alliés, le mot n'est pas exact: on s'est servi du mot auxiliaires, et avec grande raison. Voici quelles instructions ont été données à l'amiral de Mackau à ce sujet, et je montrerai aussi, sous ce rapport, qu'il a accompli fidèlement ses instructions, et qu'il les a même améliorées à certains égards.
Il y avait deux classes d'auxiliaires: les républiques de Montevideo et de l'Uruguay, et les insurgés de Buenos-Ayres. La situation des uns et des autres était différente, et il y a eu des conditions différentes à obtenir.
Voici quelles étaient les instructions:
«Ce sujet m'amène à vous parler de nos rapports présents et futurs avec les auxiliaires que nous avons trouvés sur les bords de la Plata. Ces rapports sont d'une nature délicate, et mériteront de votre part la plus grande attention. Il ne faudrait pas, si nous traitons avec leur ennemi Rosas, qu'ils pussent nous accuser de déloyauté et d'abandon. S'ils n'ont pas réussi, ou s'ils ne sont pas très-près de réussir (auquel cas il vous est enjoint de traiter), vous serez en présence d'auxiliaires qui n'auront pas voulu ou n'auront pas pu tenir leurs promesses. Pour le premier cas, vous ne leur devez rien; pour le second, vous leur devez de l'intérêt, de bons offices, des secours même pour les arracher aux périls qui pourraient les menacer...; mais ils ne peuvent exiger de vous que vous poursuiviez indéfiniment, à cause d'eux, une lutte où nous ne les avons pas engagés, dans laquelle ils se sont spontanément et volontairement engagés eux-mêmes, et pour le succès de laquelle ils ont demandé et obtenu nos secours, sans nous rendre, à beaucoup près, autant de services qu'ils en ont reçu de nous. Toutefois, si vous parvenez à négocier avec le président Rosas, vous aurez à vous mettre en communication avec eux, à les avertir de vos démarches, à leur offrir votre intervention amicale, à les sauver, en un mot, autant que possible, des conséquences de la guerre civile par eux provoquée.»
Messieurs, la première prétention des auxiliaires dont je parle a été que nous ne traitassions pas sans eux, qu'ils fissent partie de la négociation: ils l'ont formellement demandé. Cela leur a été refusé, je crois, avec pleine raison. La France avait certainement le droit de traiter pour son propre compte et seule, car c'était de ses propres affaires qu'il s'agissait. De plus, les instructions prescrivaient à l'amiral de Mackau de traiter seul et pour le compte de la France.
Mais que demandait Montevideo? J'ai ici le procès-verbal d'une conférence tenue à Montevideo le 6 novembre 1840 entre l'amiral de Mackau et M. Vidal, ministre des affaires étrangères de la république de l'Uruguay; elle finit par ces mots de M. Vidal, qu'il devait faire partie du traité et avait le droit d'intervenir dans la négociation, «afin que l'indépendance et l'intégrité de l'État oriental fussent comprises dans l'arrangement à intervenir entre Buenos-Ayres et la France.»
Le but de la prétention était donc de faire consacrer de nouveau, par la république de Buenos-Ayres, l'indépendance et l'intégrité de Montevideo. L'amiral de Mackau ne voulait pas, avec raison, admettre la république de Montevideo dans la négociation; mais il lui a fait obtenir ce qu'elle demandait, ce qui était le motif pour lequel elle voulait intervenir.
L'article 4 du traité porte:
«Art. 4. Il est entendu que le gouvernement de Buenos-Ayres continuera à considérer en état de parfaite et absolue indépendance la république orientale de l'Uruguay, de la manière qu'il l'a stipulé dans la convention préliminaire de paix, conclue le 29 août 1828 avec l'empire du Brésil, sans préjudice de ses droits naturels, toutes les fois que le demanderont la justice, l'honneur et la sécurité de la Confédération argentine.»
On dit que la république de Buenos-Ayres avait déjà violé cette convention de 1828. Ce n'est pas la première fois qu'il arrive à un État de violer une convention et puis de la consacrer de nouveau. C'est précisément parce que cette convention avait été violée que la république de Montevideo tenait à ce qu'elle fût de nouveau consacrée. C'est là le service que M. de Mackau a rendu à la république de l'Uruguay; il a fait insérer dans le traité une reconnaissance nouvelle, une consécration répétée de l'absolue et parfaite indépendance de la république de l'Uruguay.
Ainsi, en ce qui concerne l'Uruguay, il n'est pas exact de dire que la France l'a abandonné: au contraire, la France a fait consacrer dans le traité ce que la république demandait.
M. le vicomte Dubouchage.—Mais il y a une restriction à la fin de l'article.
M. le ministre des affaires étrangères.—Cette restriction est sans importance. Elle veut dire que la république de Buenos-Ayres se réserve le droit de faire la guerre à la république de Montevideo, sans préjudice, dit-elle, de ses droits naturels en tant que le demanderont la justice, l'honneur et la sécurité de la fédération argentine.
M. le marquis de Brézé.—La restriction est étrange.
M. le ministre des affaires étrangères.—Les termes de la restriction n'ont rien d'étrange. C'est l'annonce de la possibilité d'une guerre. Or, personne ne peut prétendre que, entre deux États qui proclament leur parfaite indépendance, le droit de faire la guerre ne puisse pas exister.
Je passe à la seconde classe des auxiliaires, aux insurgés de Buenos-Ayres, aux proscrits. Vous avez vu quelles étaient les instructions données à l'amiral de Mackau. Voici l'article du traité:
«Art. 9. Si, dans le délai d'un mois, à partir de ladite ratification, les Argentins qui ont été proscrits de leur pays natal à diverses époques, depuis le 1er décembre 1828, abandonnent, tous ou partie d'entre eux, l'attitude hostile dans laquelle ils se trouvent actuellement contre le gouvernement de la province de Buenos-Ayres chargé des relations extérieures de la Confédération argentine, ledit gouvernement, admettant dès aujourd'hui, pour ce cas, l'interposition amiable de la France relativement aux personnes de ces individus, s'offre à accorder la permission de l'entrer sur le territoire de leur patrie à tous ceux dont la présence sur ce territoire ne sera pas incompatible avec l'ordre et la sécurité publique, de telle sorte que les personnes à qui cette permission aura été accordée ne soient molestées ni poursuivies pour leur conduite antérieure.
«Quant à ceux qui se trouvent les armes à la main sur le territoire de la Confédération argentine, le présent article n'aura son effet qu'en faveur de ceux qui les auront déposées dans un délai de huit jours, à dater de la communication officielle de la présente convention qui sera faite à leurs chefs, par l'intermédiaire d'un agent français et d'un agent argentin, spécialement chargés de cette mission.
«Ne sont pas compris dans le présent article les généraux et les chefs de corps, excepté ceux qui, par leurs actes ultérieurs, se rendront dignes de la clémence et de l'indulgence de Buenos-Ayres.»
Je prie la Chambre de remarquer la date insérée dans cet article (1828). Notre querelle avec la République argentine n'a commencé qu'en 1837; par conséquent les seuls proscrits auxquels nous fussions intéressés, pour ainsi dire, qui fussent venus à nous, c'étaient les proscrits depuis 1837; eh bien, M. de Mackau a eu le soin de faire remonter l'amnistie, le pardon, ce qu'on voudra, je ne qualifie pas, mais enfin la faveur qu'il obtenait, jusqu'en 1828, de telle sorte qu'elle fut applicable à tous les proscrits de l'État de Buenos-Ayres.
Je ne prétends en aucune façon exagérer la valeur de cet article; je ne prétends pas l'appeler une amnistie selon nos idées de justice et d'humanité européennes; je dis que c'est la permission de rentrer dans leur pays accordée à des émigrés; ce n'est certes pas une amnistie complète, c'est une amélioration dans leur condition. M. de Mackau, après beaucoup d'efforts, n'a pas cru pouvoir obtenir davantage. Et j'ajoute que le ministre de la république argentine avec lequel il traitait, et de la sagesse duquel il a eu beaucoup à se louer, n'a pas cru pouvoir en sûreté accorder davantage aux proscrits argentins. Il disait à M. de Mackau: «Vous voyez l'état de notre pays; nous sommes en révolution; si les proscrits rentrent tous, il y a tels d'entre eux que nous ne pourrons protéger efficacement; malgré nous, sous nos propres yeux, il leur arrivera quelqu'un de ces malheurs dont vous vous plaignez; pour leur propre sûreté, il vaut mieux qu'ils restent encore hors du territoire.»
Messieurs, la question des proscrits a été traitée entre M. de Mackau et le ministre plénipotentiaire de la république argentine, avec bonne foi, dans des intentions sincères et humaines, et, de part et d'autre, on a fait ce qui était possible. En voici une preuve qui ne se trouve pas dans les pièces de la négociation, mais qui est un fait éclatant. M. de Mackau, le traité une fois signé, a dit; «Il faudrait à présent quelque mesure qui fût un heureux signal de la réconciliation de la France et de Buenos-Ayres, un signe apparent du retour de la justice et de l'humanité.» Eh bien, le jour même où M. de Mackau est entré dans Buenos-Ayres, le président Rosas a fait sortir des prisons 673 personnes enfermées pour délits politiques ou pour soupçons: et la plupart de ces personnes appartenaient à la classe des ennemis les plus acharnés de Rosas, aux familles les plus considérables du parti unitaire; de sorte que la signature du traité et la rentrée de la France dans Buenos-Ayres ont été signalées par la libération de 673 individus.
C'est là sans doute une preuve de l'insistance et du zèle que M. de Mackau a mis à servir la cause des proscrits.
La Chambre voit donc qu'en ce qui regarde la cause des proscrits argentins comme pour celle de la république de l'Uruguay, il est inexact de dire que la France a négligé les devoirs qui lui étaient imposés et a abandonné ses auxiliaires. Elle a couvert la république de l'Uruguay, elle a protégé autant que possible les proscrits argentins. Il y avait des proscrits éloignés, très-compromis. C'était le général Lavalle lui-même avec son armée; M. de Mackau ne les a pas oubliés non plus. Je voudrais pouvoir vous dire les instructions qu'il a données à cet égard; mais ce ne serait pas prudent, et je ne le ferai pas; je me bornerai à dire qu'il a envoyé le meilleur de ses bateaux à vapeur, avec un officier qu'il savait parfaitement lié avec le général Lavalle. Il a dit à cet officier: «Remontez le Parana et allez trouver le général Lavalle; expliquez-lui la situation; dites-lui que j'ai traité, que cela était de mon devoir, que mes instructions me l'ordonnaient, que j'ai obtenu des conditions que la France réclamait depuis longtemps; dites-lui ce que j'ai fait pour la république de l'Uruguay et pour les proscrits argentins; et, après cela, dites-lui que, soit pour lui-même, soit pour ses compagnons qui ne croiront pas pouvoir on ne voudront pas rentrer à Buenos-Ayres, je leur offre, non-seulement un asile en France, mais tous les moyens de supporter leur mauvaise fortune.»
Je ne puis à ce sujet, messieurs, entrer dans tous les détails que je voudrais donner à la Chambre; mais soyez assurés que M. de Mackau a pris, pour la sûreté et l'avenir du général Lavalle et des chefs de son armée, toutes les précautions, et leur a offert tous les avantages qu'il était en son pouvoir de leur offrir.
Voilà quel a été le traité, voilà comment il a pourvu à toutes les difficultés de la situation.
Maintenant, oublions un moment les instructions; voyons les choses seules; consultons l'état de l'Amérique du Sud, et recherchons si en lui-même le traité est bon ou mauvais.
Il y a, dans les États de l'Amérique du Sud, deux grands partis, le parti européen et le parti américain, partis qui, tous deux, furent également compromis dans la cause de l'indépendance, qui luttèrent tous deux contre la métropole et pour l'affranchissement de l'Amérique. L'Amérique affranchie, les deux partis se séparèrent. Le parti européen, le moins nombreux, comprend les hommes les plus éclairés, les plus accoutumés aux idées de la civilisation européenne. Ces hommes se sont empressés de lier avec l'Europe des relations. Ils ont voulu assimiler l'Amérique à l'Europe, les faire entrer dans des relations fréquentes et suivies. Mais il y avait en Amérique un autre parti plus attaché au sol, imprégné d'idées purement américaines; c'était le parti des campagnes. Ce parti a été tout à fait opposé au parti européen. Il a voulu que la société se développât d'elle-même, à sa façon, sans emprunts, sans relations avec l'Europe. L'animosité s'est promptement établie entre les deux partis. Les idées des uns et des autres se sont exagérées par le simple cours des faits; et la domination est tombée, dans presque tous les États, au parti américain, purement national, au parti des campagnes contre celui des villes.
Le triomphe du général Rosas, depuis onze ans, dans la république de Buenos-Ayres, n'est que l'expression de ce fait. Le général Rosas est le chef du parti des campagnes et l'ennemi du parti européen.
Nous avons eu sous les yeux en Europe, et presque à nos portes, un fait propre à nous faire comprendre celui-là. Vous avez vu en Espagne les joséphins, parti opposé au parti des cortès, au parti proprement national. Les joséphins étaient un parti d'hommes très-éclairés, qui, à beaucoup d'égards, étaient plus avancés que leurs compatriotes. Mais ils s'étaient détachés des habitudes, des croyances, des mœurs nationales; ils n'étaient pas, en un mot, le parti national en Espagne, malgré la supériorité de leurs lumières. Cela a fait la faiblesse de ce parti.
Il en a été de même dans la république argentine; le parti éclairé s'est trouvé le plus faible, et le pouvoir est tombé entre les mains du parti américain. Quelle est l'idée dominante dans la conduite de ce gouvernement vis-à-vis de l'Europe? Il n'a pas voulu avoir de relations écrites, réglées avec les puissances européennes, il a éludé toute espèce de conclusion de traité. L'Angleterre a forcé la république de Buenos-Ayres à traiter avec elle. Mais depuis que ce traité existe, vingt fois la république de Buenos-Ayres a cherché les occasions d'y échapper. S'il lui avait été possible de le rompre, elle n'y aurait pas manqué. Elle n'a pas de traité avec les États-Unis, il n'existe entre les deux pays que des conventions, des promesses verbales.
En présence d'un tel parti, vainqueur depuis onze ans à Buenos-Ayres, vainqueur tyranniquement, révolutionnairement, je ne le conteste pas, mais vainqueur; en présence d'un tel parti qui se refusait à traiter, croyez-vous que ce n'ait pas été quelque chose de considérable que de l'amener à traiter avec nous, à s'engager dans les termes mêmes que la France demandait, dans des termes conformes à ceux de ses traités avec l'Angleterre, par exemple, et aux conventions verbales qui existent entre la république argentine et les États-Unis?
Voilà le résultat du traité conclu par M. de Mackau; voilà comment il est quelque chose de considérable. C'est presque le premier pas fait dans l'Amérique du Sud par le parti américain, pour contracter avec les nations européennes des relations régulières, pour entrer dans la grande famille civilisée du monde. Sous ce rapport, le traité a beaucoup d'importance; et quand même les conditions n'en seraient pas aussi exactement conformes qu'elles le sont en effet aux instructions données, la Chambre devrait le considérer comme un grand pas dans la carrière de nos relations avec l'Amérique du Sud.
Je n'entrerai pas, messieurs, dans la discussion de la conduite des divers agents français, ni des faits qui ont précédé le traité; la Chambre en comprendra la raison. Nous nous sommes trouvés là dans une situation très-difficile; nous faisions un blocus, ce qui n'est pas la guerre complète et déclarée. Nous nous sommes, par le simple entraînement des personnes et des choses, trouvés engagés dans une guerre étrangère, dans la guerre de Montevideo avec Buenos-Ayres, dans une guerre civile, la guerre des proscrits argentins avec le gouvernement de leur pays. Il était difficile de sortir de cette situation; nous en sommes sortis par un traité, le premier de ce genre, avec un grand État de l'Amérique du Sud. Je ne fais aucun doute que le secours prêté par nos agents, soit à la république de Montevideo, soit aux proscrits argentins, n'ait puissamment contribué à amener ce traité. Il ne faut donc pas reprocher sévèrement aux agents leur conduite à cet égard, car nous en avons profité; c'est parce que Rosas se trouvait menacé par la république de Montevideo et par l'insurrection argentine qu'il a cédé. Ainsi, les deux systèmes de conduite, quoique très-différents, ont concouru au même résultat. À tout prendre, je crois que ce résultat est bon, et je crois avoir prouvé à la Chambre qu'il ne contient rien que d'honorable pour la France, rien que d'utile pour ses relations, pour son avenir et pour sa gloire. (Marques générales d'assentiment.)
CVI
Discussion sur le traité conclu avec le dictateur de la République argentine et sur les affaires de la Plata.
—Chambre des députés.—Séance du 20 février 1841.—
Le débat qui avait eu lieu, le 8 février, dans la Chambre des pairs, sur les interpellations de M. le marquis de Brézé, au sujet des affaires de la Plata, se renouvela le 20 dans la Chambre des députés, sur les interpellations de M. Mermilliod, député de la Seine-Inférieure. J'y pris part en ces termes:
M. Guizot.—Messieurs, je prie la Chambre de ne pas s'effrayer de cet énorme paquet de papiers. (On rit.) Je serai fort court, et je tâcherai de réduire à des termes très-simples les explications que j'ai à donner. J'ai déjà eu l'honneur de les produire dans une autre enceinte, et j'espère qu'une partie de ce que j'ai pu dire est présent à l'esprit des honorables membres qui m'écoutent. Je n'y reviendrai pas.
J'ai besoin de soumettre à la Chambre deux observations préliminaires. La première, c'est que les réclamations que vous venez d'entendre, la pétition présentée à la Chambre par un certain nombre de Français résidant à Montevideo, ont été complétement inconnues du gouvernement; il n'en a pas entendu parler; rien ne lui est directement parvenu. Cependant, puisque la ratification n'était pas consommée, puisque je n'avais pas encore exprimé, il y a quelques jours, les intentions du gouvernement, c'était à lui que les réclamations devaient d'abord être adressées. Sans aucun doute, les personnes qui ont agi ainsi avaient parfaitement le droit de s'adresser à la Chambre seule; je fais une simple remarque. On a présumé les intentions du gouvernement; on les a présumées, quoique le cabinet qui siége sur ces bancs ne fût pas le même que celui qui avait donné les instructions.
Ma seconde observation est celle-ci: c'est un simple fait que je veux mettre sous les yeux de la Chambre sans en tirer les conséquences, et pour que la Chambre les tire elle-même. Je crois que le fait parle assez haut par le simple énoncé.
Avant le blocus de Buenos-Ayres, en 1835 et 1836, la valeur des importations à Montevideo, d'après l'évaluation des douanes, s'élevait à environ 15 à 20 millions par an; c'était la valeur annuelle du commerce de Montevideo avant le blocus.
Pendant le blocus de Buenos-Ayres, la valeur, non plus annuelle, mais mensuelle, du commerce de Montevideo, s'est élevée à 15 ou 16 millions: ce sont là les faits relevés sur les états de la douane même de Montevideo.
Il en résulte clairement pour tout le monde que Montevideo trouvait, dans le blocus de Buenos-Ayres, un avantage énorme. L'État de Montevideo et les négociants établis dans cette ville profitaient tous du blocus de Buenos-Ayres, à un degré prodigieux. Ils avaient donc au maintien de ce blocus un intérêt personnel considérable. Je n'en tire aucune conséquence spéciale. Je mets le fait sous les yeux de la Chambre.
Les intérêts personnels ont parfaitement droit de s'exprimer, de se défendre; seulement il faut qu'on sache qu'ils existent et qu'on les appelle par leur nom.
Ces deux observations préliminaires présentées à la Chambre, j'entre dans la question.
M. l'amiral de Mackau a agi en vertu des instructions qui lui avaient été données par le cabinet du 1er mars. Il faut que la Chambre sache que ces instructions n'ont rien eu de particulier, qu'elles ont été conformes à toutes celles qui avaient été données précédemment. L'affaire a passé par les mains de trois cabinets différents: elle est née sous le cabinet du 12 mai, et le cabinet du 1er mars l'a accueillie. Tous les trois ont arrêté le même ultimatum et donné à nos négociateurs, quels qu'ils fussent, les mêmes instructions.
Je vais, pour que la Chambre n'ait à cet égard aucun doute, mettre sous ses yeux les instructions des trois cabinets.
Le 12 octobre 1838, le cabinet du 15 avril, sous lequel l'affaire était née, terminait des instructions adressées à M. Buchet de Martigny en ces termes:
«Je ne puis, monsieur, que vous engager de nouveau à hâter de tous vos efforts la solution de nos différends avec Buenos-Ayres. Certes, je ne veux pas dire qu'il faille renoncer, dans ce but, à obtenir les justes satisfactions que réclament la dignité de la France et l'intérêt de nos nationaux. Je sais assez quelles seraient les conséquences d'un tel abandon pour l'avenir de nos relations avec l'Amérique du Sud. Mais il faut aussi calculer que les populations de ce continent ne ressemblent point à la plupart de celles des autres contrées, qu'habituées à l'anarchie et à tous ses maux, elles offrent beaucoup moins de prise que les Européens à l'action des privations et de la contrainte, et qu'un blocus maritime (le seul moyen de coercition que nous puissions raisonnablement employer contre elles, et surtout contre Buenos-Ayres), est plus exposé peut-être, au fur et à mesure qu'il se prolonge, à perdre de son effet moral qu'à le voir augmenter et s'étendre.
«J'ajouterai que ces considérations ne sont pas les seules dont nous ayons à tenir compte, et que nous ne saurions nous dispenser non plus de vouer une attention très-sérieuse aux raisons fondées sur le grave préjudice qu'imposerait aux neutres la prolongation, sans terme à peu près certain, de l'état présent des choses.
«De tout cela, je conclus, monsieur, que vous devrez, si vous ne l'avez déjà fait au moment où vous recevrez cette dépêche, entrer immédiatement en communication avec le gouvernement argentin, et lui proposer un arrangement sur des bases et dans des formes telles qu'il en ressorte clairement aux yeux de tous que, loin de vouloir humilier la république et lui imposer des conditions incompatibles avec son indépendance, nous ne lui demandons que ce que le droit des gens nous autorise à réclamer d'elle: une équitable indemnité en faveur de la famille du malheureux Bacle; l'engagement d'indemniser en outre, après une vérification sincère et consciencieuse, ceux des autres Français qui auraient eu également à souffrir des actes arbitraires ou de la violence des autorités argentines; celui de faire exécuter sans retard les décisions judiciaires rendues en faveur de nos nationaux; leur exemption de tout service militaire; enfin une clause ou déclaration conçue dans le sens que j'ai indiqué plus haut: tels sont les points que la république ne saurait guère se refuser à nous accorder, à moins de se placer elle-même, pour ainsi dire, hors de la loi des nations.»
Le 6 mars 1839, le même cabinet adressait à M. Buchet de Martigny les instructions suivantes:
«Le gouvernement du roi, sans désapprouver l'expédition de Martin-Garcia, du moment que l'occupation de ce point devenait un complément nécessaire du blocus, a vivement regretté que cette expédition n'ait pas conservé un caractère exclusivement français, et qu'un détachement des troupes de Fructuoso Ribera y ait coopéré. Cette association d'entreprises militaires contre Buenos-Ayres, entre le commandant de nos forces navales et un général qui n'était encore qu'un chef d'insurgés, constituait un fait d'une nature fort grave un elle-même, et pouvait entraîner les conséquences les plus sérieuses. Il importait, en effet, dans une opération du genre de celle que nous employons en ce moment contre le gouvernement argentin, que des mesures purement coercitives ne prissent point ce caractère agressif, hostile, qui permet à peine de les distinguer de l'état de guerre ouverte. Il n'importait pas moins d'éviter toute ingérence positive dans les affaires intérieures des républiques de Montevideo et de Buenos-Ayres, comme dans les querelles qu'elles pouvaient avoir entre elles. Le seul but de la France, en adoptant les mesures rigoureuses qu'elle emploie contre certains gouvernements de l'Amérique, ne peut, ne doit être que de se faire justice à elle-même, que d'obtenir la satisfaction qui lui est due, la réparation qu'exigent ses justes griefs. Elle n'a à se mêler que de ses propres affaires et non de celles des autres. L'oubli de ce principe pourrait l'entraîner dans des embarras de plus d'un genre et de la nature la plus grave. Si elle n'évite pas, par tous les moyens, que son action en Amérique ne s'étende sur les relations d'État à État, que la présence de ses forces, que son influence ne soit exploitée par les ambitions et les rivalités, si elle sort, en un mot, du cercle où son rôle doit être contenu, non-seulement elle risque de compromettre l'avenir de ses relations avec les différents États de l'Amérique, mais elle s'expose en Europe à des soupçons, à des méfiances qu'il importe avant tout à sa dignité comme à son repos de ne point éveiller. Déjà cette affaire de Martin-Garcia, sur laquelle le cabinet de Londres doit être interpellé dans le Parlement, nous a mis dans le cas de donner des explications qui seront sans doute regardées comme suffisantes, mais qui n'en laissent pas moins subsister tout l'inconvénient attaché à la nécessité d'avoir à les produire.
«Outre ces dangers généraux, l'alliance des forces françaises avec celles de Ribera pouvait encore amener de grands embarras dans la marche des affaires à Buenos-Ayres même. Indépendamment de l'effet qu'elle risquait de produire dans un sens peu favorable à notre dignité, elle tendait encore à aggraver notre position à l'égard du gouvernement argentin, à fournir à ce dernier de nouveaux prétextes de résistance à nos légitimes réclamations, et peut-être à discréditer notre cause aux yeux des Argentins eux-mêmes.»
Voilà pour le cabinet du 15 avril. Vous le voyez, trois choses sont recommandées: 1o la reconnaissance du principe de l'indemnité pour les Français qui ont souffert, sans aucune fixation de quotité; 2o le traitement de la nation la plus favorisée; 3o éviter de se compromettre dans les querelles particulières des deux républiques.
Le 21 octobre 1839, le cabinet du 12 mai adressait les instructions que voici:
«Le gouvernement du roi désire sincèrement la fin de ses démêlés avec Buenos-Ayres; mais il la veut telle qu'il convient à la dignité et aux intérêts de la France, telle que la demande l'avenir de nos rapports avec l'Amérique. D'un autre côté, nous ne pouvons oublier que notre position, à l'égard du gouvernement argentin, se complique de la question non moins grave des neutres, que leur navigation et leur commerce ont grandement à souffrir de l'existence de nos différends avec Buenos-Ayres, et que, si cette querelle doit se prolonger sans qu'on puisse en entrevoir le terme, il importe de prouver, jusqu'à la dernière évidence, que la responsabilité ne saurait, à aucun titre et sous aucun prétexte, nous en être imputée. Dès lors, monsieur, l'intention positive du gouvernement du roi est qu'à l'arrivée de M. le contre-amiral Dupotet vous adressiez au gouvernement argentin une communication officielle pour lui annoncer que, la France ayant à cœur de faire cesser une situation préjudiciable à tant d'intérêts, vous êtes autorisé à traiter sur les bases indiquées dans la lettre si remarquable que vous avez écrite au commodore Nicholson, le 29 avril dernier, à savoir: 1o qu'en attendant la conclusion d'un traité de commerce et de navigation entre la France et la confédération des provinces unies du Rio de la Plata, les Français résidant sur le territoire de la république jouiront, quant à leurs personnes et à leurs propriétés, du traitement de la nation la plus favorisée; 2o que les indemnités dues à la famille de Bacle, à Lavie et aux autres familles françaises qui ont eu à souffrir des dommages par le fait du gouvernement ou de ses délégués, seront expressément reconnues, sauf à en régler le chiffre par voie d'arbitrage. Après renonciation que vous-même avez faite de ces conditions, après la publicité qui leur a été donnée, et dans le désir où il est de continuer à mettre la modération de son côté comme il a déjà pour lui le bon droit, le gouvernement de Sa Majesté ne croit pas pouvoir montrer plus d'exigence, d'autant plus que les clauses en question sont, en réalité, les seuls points essentiels à obtenir, puisque la première surtout aurait pour effet de nous assurer, à Buenos-Ayres et dans toute la république argentine les avantages dont les Anglais y jouissent, en vertu de leur traité de 1825. Mais ces conditions doivent être regardées comme invariables et c'est ainsi que vous devez les présenter, en concluant par l'annonce positive de l'inébranlable résolution où nous sommes de maintenir le blocus avec la plus grande vigueur, jusqu'à ce qu'il ait été donné satisfaction à nos justes demandes.»
Vous voyez que le cabinet du 12 mai donnait les mêmes instructions que celui du 15 avril.
Je ne relirai pas celles du cabinet du 1er mars; elles sont les mêmes; la même latitude est laissée au négociateur; il a la faculté de conclure en adoptant le principe de l'indemnité et celui du traitement de la nation la plus favorisée; ces deux conditions sont les seules qui doivent être regardées comme un ultimatum.
M. Mermilliod.—Et l'indemnité nominative?
M. le ministre.—J'en demande pardon à l'honorable M. Mermilliod; il a parlé d'une indemnité nominative; les instructions de l'honorable M. Thiers, s'il les avait lues tout entières, prévoient cette objection; elles disent:
«Si vous pouvez obtenir que cette indemnité soit nominative, et que le chiffre total en soit approximativement fixé, sauf une liquidation ultérieure, cela vaudra mieux, car les difficultés seront moindres quand il faudra exiger définitivement cette indemnité. Toutefois, comme ces conditions secondaires n'étaient pas comprises dans notre ancien ultimatum, il ne faudrait pas y tenir péremptoirement, et vous en finiriez sur ce point à la simple condition d'une indemnité posée en principe dans le traité que vous aurez à souscrire.»
Et ailleurs, les instructions données par l'honorable M. Thiers à M. Buchet de Martigny s'exprimaient en ces termes:
«Je n'ai pas besoin de vous dire que notre résolution bien arrêtée est d'obtenir la satisfaction qui nous est due, et que cette satisfaction doit reposer sur les deux bases suivantes: la concession à nos nationaux, pour leurs personnes et leurs propriétés, du traitement de la nation la plus favorisée, jusqu'à la conclusion d'un traité définitif; et, en faveur de ceux d'entre eux qui ont éprouvé des dommages par suite des actes arbitraires des autorités locales, l'admission du principe d'une indemnité modérée dont on réglerait plus tard la quotité par voie d'arbitrage. Ces deux bases, nous les avons depuis longtemps posées, et par cela même que, dès le premier moment, nous avons restreint nos demandes aux plus strictes exigences de notre dignité et de nos intérêts essentiels, il ne nous est pas possible de les réduire.»
Messieurs, j'ai uniquement à cœur de bien établir que tous les cabinets successifs ont donné au fond les mêmes instructions, et que M. de Mackau, en les faisant réussir, a bien accompli la mission que tous avaient donnée.
Je ne rentrerai pas à cet égard dans les détails que j'ai présentés devant l'autre Chambre; mais on a soulevé ici une question nouvelle; on a soutenu qu'il ne fallait pas traiter avec Rosas. La pétition et toutes les réclamations qui arrivent de Montevideo portent ce caractère qu'elles demandent toutes que la France ne traite jamais avec Rosas, et ne s'arrête pas dans la guerre jusqu'à ce que le gouvernement de Rosas soit renversé. Elles ne s'élèvent pas contre telle ou telle disposition du traite; ce n'est pas de cela qu'elles se préoccupent; ce qu'elles demandent, c'est la guerre jusqu'à ce que le gouvernement de Rosas n'existe plus.
Comment vouliez-vous que M. l'amiral de Mackau se conduisit d'après ces idées? Il était envoyé précisément pour négocier. Ses instructions portaient: «Vous négocierez pour peu que vous trouviez accès à la négociation.» C'était là sa mission. Il a trouvé accès à la négociation et d'une manière honorable, après une première ouverture de Rosas, après avoir reçu une première visite du ministre anglais qui servait d'intermédiaire, en s'établissant sous pavillon français. À de tels termes, il était impossible qu'il se refusât à négocier.
Du reste, messieurs, ce droit de négocier, de négocier avec Rosas indépendamment des alliés, non-seulement il résultait de toutes les instructions, de celles des cabinets du 15 avril, du 12 mai et du 1er mars; mais il avait été expressément réservé par les agents français eux-mêmes qui ont suivi là une politique différente de celle qu'ont suivie les agents qui ont cru devoir nous engager dans les querelles des deux républiques, et se servir de la république de Montevideo et des insurgés de Buenos-Ayres pour triompher de Rosas. Ils avaient si bien senti qu'il était impossible de lier la cause de la France à celle de la république de Montevideo et des proscrits argentins, qu'ils avaient fait la réserve expresse du droit du gouvernement français de traiter sans eux; voici en quels termes écrivait l'honorable M. Buchet de Martigny, dans une dépêche du 20 novembre 1833, au moment même, ou très-peu de temps après son arrivée à Montevideo, et lorsqu'il entrait dans le système d'intervention au milieu des débats des deux républiques:
«MM. Roger et Baradère m'avaient fait connaître qu'en leur offrant sa coopération, par une lettre du 2 du courant, le chef de l'Uruguay semblait y mettre deux conditions: 1o que la France déclarerait Rosas hors de la civilisation, et proclamerait que la guerre qu'elle allait faire dans la Plata était dirigée seulement contre sa personne; 2o que nous conviendrions dès à présent d'une transaction sur notre différend avec Buenos-Ayres, dans le cas où une nouvelle administration viendrait à remplacer celle de Rosas.
«Au sujet de la première de ces conditions, mon avis bien positif fut que nous ne pouvions y souscrire, parce qu'aucun de nous n'avait mission pour le faire; parce que la déclaration qu'on nous demandait avait évidemment pour but de nous enchaîner sans retour à la république orientale, dans la lutte qu'elle allait entreprendre contre Rosas, et, par conséquent, de rendre tout arrangement impossible avec lui, ce qui était contraire à l'esprit de nos instructions; parce qu'enfin la position qu'on voulait nous faire prendre semblait nous présenter aux yeux du monde comme les protecteurs d'un État, d'un parti contre un autre, comme nous mêlant des différends, des divisions intestines des peuples de l'Amérique, ce qui n'était ni dans l'intérêt bien entendu de la France, ni dans la manière de voir du gouvernement du roi, si je l'avais bien comprise; que la prudence nous faisait un devoir, au contraire, de demeurer entièrement libres de nos mouvements dans notre lutte contre Rosas; et conséquemment de ne rien promettre, ni même dire, qui pût nous obliger à rester liés un instant de plus que nous ne le voudrions avec l'État oriental.»
Il est évident que le gouvernement français a toujours conservé le droit de traiter avec Buenos-Ayres, indépendamment de la république de Montevideo et des proscrits argentins, qu'il ne s'est jamais considéré comme lié à leur cause, et qu'il l'a toujours hautement proclamé.
Après le point de droit reste le point de fait que je tiens à éclaircir complétement devant la Chambre.
Les instructions de l'honorable M. Thiers à M. de Mackau lui disaient: «Les propositions du gouvernement argentin qui nous ont été transmises récemment par l'amiral Dupotet, ainsi que plusieurs circonstances accessoires, nous conduisent à penser que le président Rosas est enfin disposé à traiter.
«Il faut profiter de cette disposition pour mettre fin à ce long différend. Négocier avec le gouvernement de Rosas est donc votre premier soin en arrivant dans le Rio de la Plata.
«Toutefois, il y a deux cas dans lesquels vous seriez dispensé d'en agir ainsi. Le premier est celui où, le parti de Lavalle et Ribera ayant triomphé de Rosas, vous ne seriez plus en présence que de nos alliés victorieux; c'est avec eux alors que vous auriez à traiter, et la chose ne devrait plus présenter de difficultés. Le second cas est celui où le général Lavalle, avec ou sans Ribera, serait si près du but qu'il y aurait presque certitude du succès.»
Il est clair qu'au moment où M. l'amiral de Mackau est arrivé, Lavalle n'avait pas triomphé, et qu'il n'était pas près d'atteindre le but; il en était bien loin, car il avait abandonné la province de Buenos-Ayres, dans laquelle il était entré avec l'espoir d'y exciter une prompte insurrection, et de triompher facilement de Rosas. L'insurrection n'avait pas eu lieu, Lavalle n'avait pu livrer bataille à Rosas, il avait été obligé de s'éloigner de Buenos-Ayres à plus de cent lieues vers le nord. M. l'amiral de Mackau ne trouvait donc pas les affaires près de leur solution au profit de Lavalle. Il n'y en a pas de meilleure preuve que la lettre que Lavalle lui-même écrivait à M. de Martigny le 17 août 1840:
«Mon estimable ami, de San Pedro l'armée s'est dirigée sur la villa de Arrecifes, dans l'intention de se bien monter et de grossir ses rangs. Là elle s'est divisée en deux corps principaux et deux forts détachements, et a exécuté ensuite une marche divergente jusqu'à la hauteur d'Areco, et convergente à partir de ce point jusqu'au quartier général actuel, où elle s'est réunie tout entière ce soir, après s'être bien remontée et avoir augmenté sa cavalerie de plus de 400 hommes.
«Je me proposais de commencer demain une opération décisive; mais une heure avant que tous les corps d'armée se fussent réunis, j'ai reçu une lettre de Montevideo, en date du 11, dans laquelle on annonce l'arrivée de l'amiral Baudin avec 2,000 ou 3,000 hommes d'infanterie. Ce nombre me porte à croire que ces troupes sont uniquement destinées à coopérer avec mon armée...
«Rosas a une infanterie quadruple de la mienne, et le double ou le triple d'artillerie; si l'événement ne répondait pas aux espérances de tous et aux miennes, mon nom serait maudit pour n'avoir pas attendu la jonction des troupes françaises. Je m'empresse donc de vous faire connaître d'avance mon opinion sur le moyen de les réunir à mon armée dans le cas où leur arrivée serait un fait positif, et j'espère de votre bonté qu'elle me fera savoir le plus tôt possible ce qui en est, car rien ne serait plus fâcheux pour moi qu'une longue incertitude.
«J'établis deux hypothèses. Dans la première, l'amiral Baudin ne peut mettre cette infanterie sous mes ordres et voudra la faire opérer séparément. En ce cas, elle ne pourrait agir efficacement que dans la capitale même, dont elle pourrait s'emparer, à l'aide des Français qui y sont établis, et de l'armée libératrice qui s'en approcherait. L'occupation même d'un quartier (barrio) serait suffisante. Mais vous ne méconnaîtrez pas les inconvénients de ce plan, dont le plus grave est que, pour que les troupes françaises pussent compter sur la coopération de l'armée libératrice, il faudrait que celle-ci se fût mise d'abord à portée de l'armée de Rosas, avec laquelle une bataille, où elle ne serait pas immédiatement secondée par les Français, serait inévitable. Pour résumer toutes les observations à faire sur l'hypothèse que je discute en ce moment, le résultat est que l'armée libératrice et la colonne française ne se prêteraient un mutuel secours qu'en ce qu'elles multiplieraient les embarras de Rosas. Vous conviendrez donc que tout l'avantage est du côté de la seconde hypothèse que je vais établir, parce qu'elle résout la question en quelques heures.
«Cette hypothèse est celle de l'incorporation des troupes françaises dans l'armée libératrice.»
Vous voyez qu'avant l'arrivée de M. de Mackau, Lavalle lui-même ne se croyait pas en état d'entreprendre une lutte sérieuse contre Rosas, de lui livrer bataille, s'il n'avait pas des troupes françaises de débarquement, et si ces troupes françaises n'étaient pas incorporées dans son armée.
Quand M. de Mackau est arrivé, il n'avait pas de troupes de débarquement, Lavalle n'était plus près de Buenos-Ayres, il avait été obligé de se retirer à plus de cent lieues vers le nord. Le deuxième cas, dans lequel M. Thiers avait prescrit de ne pas négocier, ne se présentait donc pas. Aux termes de ses instructions, et par les simples inductions du bon sens, M. de Mackau a donc dû négocier. Il a négocié comme ses instructions le prescrivaient, il a même atteint plus que ses instructions ne prescrivaient. Il est impossible de lui adresser un reproche fondé, un reproche sérieux, à moins qu'on ne soutienne, comme les Français de Montevideo, qu'il ne fallait en finir que par le renversement de la dictature de Rosas.
Voilà, messieurs, à quelle situation le traité a mis un terme. Il nous a fait obtenir les conditions que tous les cabinets qui se sont occupés de cette affaire avaient demandées comme définitives. Il a fait cesser un état de choses défavorable, non-seulement au commerce français, mais à nos relations avec les neutres; un état de choses qui donnait lieu à des réclamations incessantes de la part de la Grande-Bretagne, des États-Unis, de toutes les puissances qui négociaient avec Buenos-Ayres. Il a mis fin à une expédition qui coûtait chaque année des sommes énormes. Enfin, il nous a fait sortir d'une lutte dans laquelle nous nous étions imprudemment engagés, d'une guerre étrangère qui ne nous regardait pas complétement, d'une guerre civile qui ne nous regardait pas du tout.
La Chambre n'attend pas de moi que je qualifie ici les différents partis qui se disputent le pouvoir dans l'Amérique du Sud; que je donne à l'un le nom de légitime, de sage, de modéré; à l'autre, le nom de tyrannique, de violent, de sanguinaire, en dehors de la civilisation. Étrangers, ce n'est pas à nous à qualifier ainsi les étrangers. (C'est vrai!)
M. Desmousseaux de Givré.—C'est pourtant ce qu'a fait le traité.
M. le ministre des affaires étrangères.—Il y a en Amérique des gouvernements de fait, avec lesquels nous traitons quand ils nous accordent les conditions que nous demandons et qu'ils les exécutent. Nous n'avons pas à nous occuper de ce qui se passe entre eux; nous n'avons pas à prendre parti pour les uns contre les autres. C'est surtout ici le cas d'appliquer le principe de non-intervention dans toute sa rigueur. À de telles distances, dans l'ignorance où nous sommes des véritables causes des événements, de la véritable force des partis, il y a plus que de l'imprudence, permettez-moi de le dire, il y a un orgueil aveugle à prétendre démêler où est le droit, lequel est modéré, lequel est violent, à prendre parti pour les uns contre les autres, et à engager la France dans des affaires qui ne sont pas les siennes, dans des intérêts où elle n'a aucune part.
Si le gouvernement de Rosas ne respecte pas les conditions qu'il a acceptées, si la convention conclue avec lui ne nous assure pas les avantages auxquels nous avons droit, nous réclamerons, et même par la force, s'il le fallait. Mais, en attendant, M. de Mackau a mis fin à une situation onéreuse, embarrassante, compromettante. Nous avons obtenu ce que nous demandions; nous sommes sortis d'une guerre étrangère et d'une guerre civile dans lesquelles nous n'avions rien à voir.
Je conçois que les intérêts personnels qui ont eu à souffrir se soient adressés à la Chambre; mais ce ne sont pas là des considérations qui puissent dicter les résolutions de la Chambre ni celles du gouvernement du roi. Le traité sera ratifié, attendu qu'il me paraît conforme aux intérêts de la France, aux intérêts des neutres, et aux bonnes relations que nous devons chercher à entretenir avec l'Amérique du Sud. (Marques générales d'assentiment.—Aux voix! aux voix!)
CVII
Débat sur les fonds secrets complémentaires demandés pour l'exercice 1841.
—Chambre des députés.—Séance du 25 février 1841.—
Dans la séance du 2 février, le comte Duchâtel, ministre de l'intérieur, avait demandé un crédit d'un million pour complément des dépenses secrètes de cet exercice. Dans le rapport fait à la Chambre, le 18 février, sur ce projet de loi, la commission, par l'organe de M. Jouffroy, son rapporteur, conclut, à l'unanimité, à l'adoption du projet. Les idées développées dans ce rapport, sur l'état des partis, furent attaquées par l'opposition, et M. Portalis, député de Seine-et-Marne, demanda au cabinet s'il les adoptait. Je lui répondis:
M. Guizot, ministre des affaires étrangères.—Il n'est, je crois, jamais arrivé qu'un cabinet fût sommé de s'expliquer pour savoir s'il donnait ou s'il refusait son adhésion à un rapport.(Mouvement.) Le gouvernement présente à la Chambre des projets de loi et les soutient; les commissions donnent leur avis sur ces projets de loi et sur les motifs qui les ont fait proposer. Ce sont les projets et la politique du gouvernement qui sont en discussion, non pas les rapports et les exposés des motifs.
M. Billault.—Je demande la parole. (Rumeur.)
M. le ministre des affaires étrangères.—Je ne dis pas cela, et je suis sûr que la Chambre me rend d'avance la justice de le croire, je ne dis pas cela pour éluder de m'expliquer sur la situation; je veux rétablir les véritables principes de la discussion dans cette Chambre.
Depuis l'origine de la session, une idée dominante a préoccupé le cabinet: reconstituer dans cette Chambre une majorité de gouvernement depuis trop longtemps désunie ou flottante.
Le cabinet est convaincu, et il l'a dit dès les premiers jours, que la réorganisation d'une vraie majorité de gouvernement est en ce moment le plus pressant intérêt du pays, de la Chambre, de la couronne, de l'honneur de nos institutions. Sous ce point de vue, l'honorable M. Jouffroy n'a fait que répéter les intentions et les opinions du gouvernement. (Rires ironiques aux extrémités.)
Y a-t-il quelqu'un dans cette Chambre, sur quelque banc que ce soit, qui pense que la réorganisation d'une majorité de gouvernement, la constitution des deux grands éléments d'action dans la Chambre, la majorité et l'opposition, ne soient pas très-désirables?
Y a-t-il quelqu'un qui croie que la confusion, la désunion, l'éparpillement des opinions et des partis soient une bonne chose pour le gouvernement, pour l'honneur de la Chambre et la dignité de nos institutions? Personne ne le pense. C'est là une idée si simple qu'elle est devenue un lieu commun, et qu'il n'y a pas un banc dans cette Chambre sur lequel elle n'ait été exprimée. Il n'y a donc rien de nouveau ni dans ce qu'a dit à ce sujet l'honorable M. Jouffroy, ni dans ce que pense et répète le gouvernement.
Toute majorité, messieurs, de tout temps, dans tous les pays, toute majorité a des nuances. Il n'y a aucune majorité dont toutes les parties aient la même origine, pensent exactement la même chose. Cela n'est jamais arrivé: et à l'instant même, sous nos yeux, dans un pays voisin, ne voyez-vous pas que le parti conservateur en Angleterre est composé d'hommes qui ont approuvé et soutenu vivement le bill de réforme, et d'hommes qui l'ont combattu? Est-ce que sir Robert Peel ne siége pas à côté de lord Stanley?... Est-ce qu'ils ne pourraient pas se reprocher l'un à l'autre leurs antécédents, leur origine diverse, les opinions diverses qu'ils ont professées à telle ou telle époque? Ils ont le bon sens de ne pas le faire. Ils comprennent très-bien que, lorsque sur les questions présentes, sur la politique pratique, réelle, des hommes sont sincèrement et loyalement d'accord, ils n'ont point à s'inquiéter de leur origine, ni des idées diverses qui les ont autrefois séparés. (Très-bien!)
C'est à cette condition, c'est en se respectant ainsi les uns les autres dans le passé, lorsqu'on est uni dans le présent, que les majorités sont possibles. (Marques d'approbation.) C'est à cette condition qu'elles se réorganisent. Il faut que tous leurs éléments puissent y concourir avec honneur. Ce qui importe, c'est que les convictions qui les unissent dans le présent, sur la politique pratique, soient loyales et sincères; ce qui importe, c'est que leur rapprochement n'ait pas été le résultat de faiblesses réciproques, qu'ils ne se soient pas fait des concessions aux dépens de leurs opinions et de leur honneur. (Marques d'assentiment.) Mais quand il en est ainsi, messieurs, et personne, je pense, ne peut contester qu'il n'en soit ainsi pour la majorité qui s'est manifestée à l'ouverture de la session, alors il ne faut plus tenir aucun compte des nuances; il ne faut plus reporter la politique dans le passé ou dans un avenir lointain; il faut savoir se renfermer dans les questions actuelles, dans la politique véritable.
C'est là ce que le cabinet s'est appliqué à faire, ce qu'il fera toujours; c'est sous ce point de vue qu'il considère la majorité, et il est convaincu que, sur tous les bancs de cette Chambre, les divers éléments de cette majorité sont animés des mêmes sentiments, que tous ces éléments ont les mêmes desseins et restent loyalement unis, parce qu'ils pensent et veulent les mêmes choses sur les questions qui occupent actuellement la Chambre.
Quand cette majorité s'est produite dans le débat de l'adresse, est-ce que toutes les questions n'ont pas été traitées? Les questions extérieures, les questions intérieures n'étaient-elles pas posées dans le discours de la couronne? Est-ce qu'elles ne l'ont pas été dans l'adresse de la Chambre? Qu'est-il arrivé depuis? Qu'y a-t-il de changé? Quelles questions nouvelles ont surgi, sur lesquelles la majorité ait pu se désunir? Quels événements sont survenus qui aient pu donner une autre direction à cette majorité, lui conseiller une autre conduite? Rien de pareil n'est arrivé: nous sommes exactement aujourd'hui dans la situation où nous étions pendant le débat de l'adresse; la majorité qui s'est produite alors, c'est la même qui existe aujourd'hui; elle est composée des mêmes éléments; elle est également sincère, également unie. Permettez-moi de vous le dire; il y aurait de sa part quelque chose de peu sensé, de peu sérieux à venir rechercher aujourd'hui d'anciens dissentiments qu'elle n'a pas recherchés il y a trois mois. Pourquoi n'aurait-on pas dit, il y a trois mois, ce qu'on dit aujourd'hui? Pourquoi n'aurait-on pas également rappelé la diversité des origines et des opinions sur tel ou tel point de la politique passée? On ne l'a pas fait; on n'en a tenu aucun compte; nous sommes aujourd'hui dans la même situation. Il n'y a pas de raison d'aller réveiller ces dissentiments; il n'y a pas de raison d'aller jeter, au sein de la majorité, qui importe tant au pays, des éléments de division qu'elle ne provoque pas elle-même.
Voilà comment le cabinet considère la majorité, comment il considère l'opposition; il n'entrera donc pas dans des questions inutiles; il n'ira pas lui-même au-devant des dissidences qui ne se produisent pas naturellement; il se renfermera dans la politique pratique; il discutera le projet qu'il a présenté, les motifs de confiance que la majorité ou l'opposition peuvent avoir ou ne pas avoir dans sa politique. Voilà ce qui est réellement en discussion; voilà le seul point sur lequel nous ayons réellement à répondre. (Marques nombreuses d'approbation.)