Journal de Jean Héroard - Tome 1: Sur l'enfance et la jeunesse de Louis XIII (1601-1610)
Le dessein de l'auteur en cet œuvre a été divers et doit être diversement considéré: car son but étant de s'acquitter dignement du soin de la nourriture du Prince qui lui avoit été commise, il s'est principalement et particulièrement arrêté aux observations qu'il reconnoissoit, de jour en jour et d'heure à autre, nécessaires pour établir un solide jugement à l'avenir aux altérations et changemens auxquels, dès la naissance, la nature assujettit tous les hommes, et, par cette remarque sage, pénible, judicieuse et curieuse, prendre instruction et fondement pour conduire à bonne fin la charge de la santé du Prince pour laquelle le roi Henry le Grand avoit fait choix de sa personne, l'ayant considérée pour son expérience, pour son jugement et pour sa fidélité reconnue dès longtemps auparavant par Sa Majesté, par longs et signalés services. A quoi l'auteur se seroit porté avec tout le soin et diligence qui se pouvoit requérir, n'ayant laissé passer aucun accident, concernant la santé et infirmités du Prince, dont il n'aye fait les remarques, y joignant l'ordonnance et la sage application des remèdes, ensemble le récit et observation de ses inclinations et appétits particuliers; le tout si exactement et simplement décrit que l'on peut dire cet ouvrage sans exemple ni espérance d'un pareil à l'avenir. D'autre part l'auteur n'a point voulu donner à son ouvrage le titre d'histoire, ains seulement Journal et Registre particulier, d'autant que son but n'a point été de s'étendre plus avant dans l'histoire, comme il eût bien pu faire s'il eût voulu, ains il s'est tenu dans les limites de la vie particulière de son Prince et de son Maître, afin de ne rien prendre d'autrui et de ne mettre en avant que les choses qu'il auroit vues; imitant en quelque sorte ce qui étoit jadis usité par les anciens grands empereurs du Cathay, qui au bas de leur table tenoient toujours quatre secrétaires assis, qui mettoient en écrit tout ce que le Roi disoit, soit bien, soit mal; et de cet usage l'auteur n'a point été mauvais imitateur n'ayant laissé passer aucune parole ni action remarquable du Prince qui ne soit insérée en ce journal, ne faisant aussi en cela qu'obéir à son Prince qui lui commandoit expressément d'enregistrer les sentences et actions louables et vertueuses qu'il reconnoissoit dignes de lui: lequel commandement l'auteur faisoit souplement servir d'occasion pour réprimer les défauts de la jeunesse du Prince en le menaçant d'en charger son journal dont il étoit jaloux que cela ne fût point. Et de tout cet ouvrage non pareil et qui est comme une riche et agréable tapisserie de diverses matières et un chef-d'œuvre du soin d'un fidèle serviteur et sujet envers la personne de son Prince et de son Maître, il n'y a rien dont il soit fait mention en aucune histoire, et qui pourra servir de modèle et d'instruction à ceux qui ont ou auront à l'avenir la conduite de la santé et éducation des Princes, étant mêlé du médecin, du politique, du moral, même de méthode à tous pour l'éducation des enfans.
JOURNAL
DE
JEAN HÉROARD
SUR L'ENFANCE ET LA JEUNESSE
DE LOUIS XIII
ANNÉE 1601.
Héroard est nommé premier médecin du futur Dauphin; paroles que lui adresse Henri IV.—Naissance du Dauphin à Fontainebleau.—Témoins de l'accouchement.—Description du corps de l'enfant; remarque de la duchesse de Bar.—Le Roi annonce lui-même l'événement.—Départ des courriers.—Paris de Zamet avec le Roi et la Reine.—Première nourrice.—Le Roi manque de laisser tomber son fils.—Visites de grands personnages.—Première chemise; mot de la duchesse de Bar.—Avidité de l'enfant.—Seconde nourrice.—Le Dauphin transporté de Fontainebleau à Saint-Germain en Laye; son passage et sa réception à Melun et à Paris.—Visites à Saint-Germain; la Reine y vient avec Mme de Guise et la Concini.—Arrivée du Roi; il se joue avec son fils.—Premier mot de l'enfant à sa nourrice.—Arrivée des gardes du corps.—La marquise de Verneuil à Saint-Germain.—Jargon du Dauphin; il aime la musique.—Visite des nonces du Pape.—Remplacement de la première nourrice.
Le 15e jour de septembre 1601 je reçus lettre de Mme de Guiercheville[2], le 17e, celle de M. de la Rivière, premier médecin du Roi. Le 20e, dimanche, j'allai coucher à Fontainebleau.
Le 21e, sur les quatre heures du soir, à l'entrée du
jardin des canaux, je rencontrai le Roi qui revenoit de
la chasse, et m'appelant, me fit l'honneur de me dire:
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«Je vous ai choisi pour vous mettre près de mon fils le
Dauphin; servez-le bien.»
En l'année 1601, le 26e jour de septembre, Marie de
Médicis, reine de France et de Navarre, se trouvant à
Fontainebleau sur la fin du neuvième mois de sa grossesse,
environ les onze heures du soir, commença de
sentir quelques douleurs que l'on jugea pouvoir être d'enfantement.
Toute la nuit elles furent lentes, la reprenant
de loin à loin sans point de violence; continuèrent en
la même façon jusques sur les deux heures après midi
du jour suivant qu'il lui survint une colique venteuse
qui la traita bien fort cruellement l'espace de deux heures
et enfin s'apaisa par l'aide des remèdes qui furent faits;
et fut après cela une bonne heure sans douleur aucune.
Les premières la reprirent comme devant, mais aussi
avec plus de rigueur et moins de repos; passa jusques à
huit heures en cette sorte. Alors on la leva de son lit, où
elle avoit été toujours couchée, pour la mettre sur une
chaise faite exprès pour accoucher, estimant qu'elle y
pourroit être plus aisément délivrée. Au même temps les
douleurs la saisirent si vives et si pressantes que, sans
aucun ou fort peu de relâche, elles continuèrent jusques
à l'entier accouchement, qui fut d'un Dauphin, le 27e du
mois susdit, quatorze heures dans la lune nouvelle, à dix
heures et demie et demi quart, selon ma montre faite à
Abbeville par M. Plantard. L'enfant fut reçu par dame
Louise Bourgeois, dite Mme Boursier[3], sage-femme à
Paris, qui fut longtemps à couper le nombril de peur de
le blesser, d'autant qu'à tout propos il y entortilloit ses
mains et le tenoit de telle force qu'elle avoit peine de
l'en retirer. Et sur ces entrefaites la Reine demanda par
deux fois en ces termes: E maschio? A quoi ne lui étant
point répondu se leva en pied de la chaise où elle venoit
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d'accoucher pour voir ce qui en étoit. Le Roi ne l'en sut
empêcher, qui étoit tout debout derrière la chaise et d'où
il n'étoit parti depuis l'heure qu'elle y fut mise. François
de Bourbon, prince de Conty[4], Charles de Bourbon,
comte de Soissons[5], et Henri de Bourbon, duc de Montpensier[6],
furent présents à cet accouchement, auxquels
fut commandé par Sa Majesté de s'approcher de la sage-femme
et de se baisser pour voir l'enfant tenant à l'arrière-faix,
avant qu'elle en fît la séparation. Catherine de
Bourbon, duchesse de Bar[7], sœur du Roi, Anne d'Este,
duchesse de Nemours[8], et Antoinette de Pons, marquise
de Guiercheville[9], dame d'honneur de la Reine, la servirent
à cet accouchement. Durant cette longueur de
mal, et âpreté de tant de sortes de douleurs, la constance
et fermeté de la Reine fut merveilleuse et incroyable,
voire à ceux même qui ont eu l'honneur de la servir en
cette occasion, n'ayant en ses plus grandes douleurs,
sinon sur les dernières, haussé plus haut sa voix et son
Oimè je morio, qu'il se pût qu'à peine entendre d'un
bout de chambre à l'autre; et, la douleur passée, faisant
paroître sa face autant joyeuse comme en pleine
santé. Lors mêmement que le Roi (qui tout le long de son
travail alloit et venoit), arrivoit auprès d'elle, on la
voyoit revenir toute à soi, le recevant et l'entretenant de
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propos de personne contente, lâchant ce néanmoins
parmi ces gaietés des grosses larmes. Pendant le cours de
ces assauts, comme elle avoit un peu plus de repos, demandoit
quelquefois combien on tenoit de la lune, craignant
d'accoucher d'une fille, sur l'opinion vulgaire que
les femelles naissent sur le décours, et les mâles sur la
nouvelle lune. Étant donc entièrement délivrée et l'enfant
se trouvant foible, pour avoir longtemps séjourné en attendant
l'arrière-faix, il lui fut donné un peu de vin
par M. Guillemeau, chirurgien ordinaire du Roi; puis
étant élevé par la sage-femme, pris par Mlle de la Renoulière,
première femme de chambre de la Reine, à
laquelle le Roi lui commanda, disant: «Baillez-le à
Mme de Montglat[10],» qui le prit enveloppé et le porta
devant le feu, où il fut assez longtemps, pendant
que la sage-femme pansoit la Reine, qui alla sur ses
pieds, depuis sa chaise d'où elle venoit d'accoucher jusques
dedans son lit, sans l'aide de presque de personne.
Cependant je lui donnai (à l'enfant), dans sa cuiller, un
peu de mithridate détrempé avec du vin blanc, qu'il avala
fort bien et en suça ses lèvres comme si ç'eût été du lait.
Puis elle vint à monseigneur le Dauphin, où l'on put voir
alors un enfant grand de corps, gros d'ossements, fort
musculeux, bien nourri, fort poli, de couleur rougeâtre
et vigoureux tout ce que l'on peut penser pour cette
petite âge. Il avoit la tête bien formée, de bonne grosseur,
couverte de poil noirâtre, les yeux tannés, le nez un
peu enfoncé vers sa racine, épaté et relevé par le bout,
les oreilles de moyenne grandeur et bordées, la bouche
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très-belle, petite et fort relevée, ayant le dessus du
milieu de la lèvre haute par le dehors fort canelé, et
le milieu de la basse aussi; le menton fourchu, le tout
fait comme d'un trait, et le bas du visage fort arrondi;
le col gros et fort, et les épaules larges; la poitrine
bien relevée, les bras grands, les mains aussi et d'une
blancheur naïve (sic) par dessus l'ordinaire; les parties
génitales à l'avenant du corps; les jambes droites et les
pieds grands, fort larges par le bout, se rétrécissant en
un talon fort pointu, les orteils presque de pareille longueur,
les serrant en dedans, du gros au petit, comme
on feroit du bout de la main. Il porta sur lui ces marques:
entre les deux sourcils, mais plus proche du droit, se
trouva une tache rougeâtre ronde, de la grandeur d'un
petit denier; une autre au-dessus de la nuque, sous la
racine des cheveux, de pareille couleur et de même
figure, mais de grandeur semblable à un rouge double,
et une autre petite de la même couleur à l'entrée de la
narine gauche; et la dernière ce furent trois poils noirs
sur le sommet du cartilage de l'oreille gauche, et le
croupion tout velu. Les poils de l'oreille et la forme du
pied se trouvent être de même au Roi son père. Je lui
fis laver tout le corps de vin vermeil mêlé avec de l'huile,
et la tête de pareil vin et de l'huile rosat. Pendant tout
cela il cria fort peu, mais par son cri fit bien paroître la
force de ses poumons, ne criant point en enfant, qui est
une des choses plus remarquables en lui.
Mme la duchesse de Bar, sœur du Roi, qui considéroit les parties si bien formées de ce beau corps, ayant jeté sa vue sur celles qui le faisoient être Dauphin, se retournant vers Mme de Panjas, sa dame d'honneur, lui dit qu'il en étoit bien parti[11]. Ces mots furent reçus avec risée qui les porta aux oreilles du Roi, qui étoit près de la Reine.
Étant emmaillotté il fut porté sur le lit de la Reine et
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couché à sa main droite, où elle lâchoit parfois quelques
œillades. Un quart d'heure après il fut emporté par
Mme de Montglat dedans sa chambre et mis dans son berceau
entre minuit et une heure.
Aussitôt que Monseigneur le Dauphin fut né, le Roi apporta lui-même la nouvelle à la noblesse qui l'attendoit en son antichambre, laquelle fut si bien reçue qu'ils se jetoient tous en foule à ses jambes, avec telle ardeur qu'il ne pouvoit passer et faillit à être renversé. Ayant reçu Sa Majesté ce témoignage d'allégresse pour la bonne nouvelle: «Allons, dit-elle, rendre grâces à Dieu, et que chacun de vous se y prépare.» La Reine ayant été pansée et Monseigneur le Dauphin couché, il se y achemina. A son retour toute la cour flamboit des feux de joie et tout tonnoit des salves des arquebusades qui furent faites par les soldats des gardes; le Sr de Mansan, capitaine au régiment des gardes, étoit en garde.
A l'heure même de sa naissance, les courriers qui avoient demeuré bottés depuis que la Reine commença de se plaindre, montèrent à cheval pour France, Florence et Mantoue, sachant que c'étoit un Dauphin, «n'étant bottés, ce disoient-ils, pour une fille;» et de fait M. de Beaulieu-Ruzé, secrétaire d'État, avoit fait préparer double dépêche. Avant de partir, on fit voir la marque de Dauphin à ceux qui furent dépêchés pour l'Italie et quelques autres pour France. Le Sr de la Varenne[12] porta cette nouvelle à Paris, alla descendre chez le Sr Zamet qui y gagna mille écus, pour gageure faite d'un mâle contre le Roi, et de deux mille écus contre la Reine qu'elle accoucheroit dans le jeudi[13].
Le 28 septembre, vendredi, à Fontainebleau.—Sa nourrice
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fut damoiselle Marguerite Hotman[14], et reconnoissant
qu'il avoit peine à teter, il lui fut regardé dans la
bouche et vu que c'étoit le filet qui en étoit cause; sur
les cinq heures du soir il lui fut coupé à trois fois par
M. Guillemeau, chirurgien du Roi.
Le 30 septembre, dimanche, à Fontainebleau.—Messire Achille de Harlay, premier président à Paris, arrive de sa maison de Beaumont pour le voir.
Le lundi 1er octobre.—Porté à la chambre de la Reine; M. le cardinal de Gondi le vient voir.
Le 5, vendredi.—Porté chez la Reine; le Roi se y trouva, et le voulant rendre à la nourrice, couché sur un oreiller de velours ras, il l'a soulevé pour le baiser; l'enfant coule, et le Roi baise l'oreiller. Le Dauphin fût tombé sur les pieds à terre s'il n'eût été reçu par sa nourrice, qui l'empoigna. Dès lors on ajouta une pièce de velours audit oreiller, où l'on le mettoit quand on le vouloit porter hors de sa chambre, et depuis le Roi ne le porta plus et ne le prit entre ses bras.
Le 6, samedi.—Messire Jean de Nicolaï, premier président des Comptes à Paris, arrive pour le voir comme particulier.
Le 8, lundi.—M. Guyet, sieur de Charmeaux, président des Comptes et prévôt des marchands, arrive comme particulier et le vit remuer.
Le 9, mardi.—Porté chez la Reine.
Le 10, mercredi.—Mme la duchesse de Bar, sœur du
Roi, lui donne sa première chemise. La remueuse lui dit
qu'il falloit faire le signe de la croix. «Faites-le donc pour
moi, dit-elle en souriant, je ne le sais pas faire[15]».
Elle ne laisse pas pourtant de la lui donner.—Depuis le
lendemain de sa nativité, il avoit le cri fort et puissant,
ne ressentant aucunement le cri et le vagissement des
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enfants, ce qu'il n'a jamais fait; et quand il tetoit c'étoit
à si grandes gorgées, élevant sa mâchoire si haut, qu'il
en tiroit plus à une fois que les autres ne font en trois;
aussi sa nourrice étoit à toute heure presque à sec.
Le 11, jeudi, à Fontainebleau.—Porté chez la Reine; rapporté. La nourrice, au retour de la chambre de la Reine, a vomi tout son dîner; elle mangeoit beaucoup et plus qu'elle ne pouvoit, reconnoissant le défaut de son lait.
Le 12, vendredi.—Remué devant Messire Pomponne de Bellièvre, chancelier de France.
Le 13, samedi.—Manifeste défaut de lait en sa nourrice, qui avoit la mamelle petite et le lait clair et chaud.
Le 14, dimanche.—Porté chez la Reine; rapporté. Allouvi[16], point assouvi. On lui donne de la bouillie, ayant mis à sec les deux mamelles; il en prend et avidement.
Le 17, mercredi.—A cause de cette grande avidité, l'importunité des femmes lui fit donner du lard frais[17], bouilli, à frotter ses gencives; il en tronçonna un morceau qu'il faillit à avaler. Porté chez la Reine; teté avidement; rapporté.
Le 18, jeudi.—Remué, le Roi présent. Allouvi; mis à sec sa nourrice; bouillie.
Le 19, vendredi.—Sur le défaut de lait reconnu par plusieurs fois en sa nourrice par MM. de la Rivière, du Laurens, Vido et moi, assemblés par le commandement de LL. MM., il fut résolu que Mlle Hélin, femme Lemaire, seconde nourrice, donneroit le lait à Mgr le Dauphin pour secourir la première[18].
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Le 20, samedi, à Fontainebleau.—Allouvi à l'accoutumée; la nourrice à sec; la seconde nourrice, Mlle Hélin, lui a donné le lait; la Reine y est venue, puis le Roi.
Le 22, lundi.—M. de Mayenne[19] le vient visiter.
Le 23, mardi.—Remué en présence de la Reine.
Le 24, mercredi.—Peu de lait en la nourrice qui, de son collet, couvroit ses mamelles pour en cacher le défaut; il rit à la sage-femme.
Le 25, jeudi.—Porté chez la Reine; M. Groulard, premier président de Rouen, y arriva pour saluer la Reine et Mgr le Dauphin; il le voit remuer. Le Dauphin part de Fontainebleau à deux heures dans la litière de la Reine, dans un panier d'osier fait exprès[20]; il a dormi sans s'éveiller jusques à Melun. Arrivé à cinq heures à Melun, le lieutenant général, accompagné de six conseillers, lui viennent au-devant et font offre de leur service, parlant à Mme de Montglat, sa gouvernante; les quatre échevins portant un poêle de taffetas blanc en firent de même, et après mirent mondit Seigneur sous le poêle, et en cette façon fut conduit dans la ville, par la porte de Gâtinois, les rues tendues de blanc, jusques à la maison de M. de la Grange, où il coucha la nuit. M. de Mansan, gentilhomme gascon et capitaine aux gardes du Roi, et qui étoit en garde à Fontainebleau à sa naissance, fit la garde devant son logis. Il y eut beaucoup de personnes qui le virent remuer, et une femme d'assez moyenne qualité, qui, entre les autres, transportée d'affection, se jette à genoux à mon côté: «Mon Dieu, dit-elle, y auroit-il danger de le baiser», et ce disant fait contenance de le vouloir faire si je ne l'eusse retenue.
Le 26, vendredi.—Parti à huit heures de Melun pour
aller à Lourcine; arrivé à onze heures à Lourcine. Parti
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de Lourcine à deux heures et demie, il arrive à six
heures à Villeneuve-Saint-Georges. M. Gobelin, trésorier
de l'Épargne, sa femme, M. et Mlle du Mesnil le vinrent
voir, ainsi que M. et Mme de Mareuil du Val. Je le portai
de la litière en sa chambre.
Le 27 octobre, samedi, voyage.—M. le grand prévôt du Val, M. de Mareuil, son frère, sont partis avec le Dauphin à neuf heures. Arrivé à onze heures à Maisons, parti à deux heures et demie. En chemin, Messire Guyet, président des Comptes et prévôt des marchands à Paris, accompagné des échevins et autres officiers de la Ville, vêtus de leurs habits de magistrats, ayant avec eux tous les archers de la dite Ville, sortent au-devant de lui sur le chemin de Charenton, mille pas hors la porte. Étant arrivés près de la litière, ils mirent pied à terre, et le prévôt des marchands parla à Mme de Montglat qui étoit dedans, tenant sur les genoux Monseigneur le Dauphin dormant. Elle lui répondit, et les discours de l'un et de l'autre durèrent environ demi-heure, lesquels finis l'on commença à marcher, M. de Montglat d'un côté de la litière et moi de l'autre, et les archers aussi, pour empêcher que la grande multitude de peuple de tous âges et sexes, à pied, à cheval et en carrosse, ne se jetât sur la litière, comme il est vraisemblable qu'il fût advenu, pour le désir ardent que chacun avoit de le voir. Étant arrivé à la porte Saint-Antoine, le Dauphin fut reçu par les hautbois, cornets à bouquin et trompettes, qui étoient sur le bastion de main droite, et conduit enfin à la maison du sieur Sébastien Zamet, où il logea en la chambre du Roi, à quatre heures et demie.
Le 28, dimanche, à Paris.—Le Roi, la Reine, M. de Mayenne et tout ce qui étoit des princes et princesses à la Cour, le sont venus voir, à part ou avec la Reine.
Le 29, lundi.—Sur les six heures, parti de chez
M. Zamet, porté au Louvre, où le Roi et la Reine l'ont
vu et tenu bien une heure; de là aux Tuileries où le
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Roi, qui y étoit venu, le fit passer pour le voir derechef
et le montrer à plusieurs qui ne l'avoient encore vu; et
de là, partant entre midi et une heure, il alla à Saint-Cloud,
logea au petit logis de M. de Gondi, chevalier
d'honneur de la Reine. Parti de Saint-Cloud à trois heures
il arrive à six heures à Saint-Germain en Laye, lieu
choisi par le Roi pour y être nourri, accompagné de
messire [Robert] de Harlay, sieur de Montglat, de Françoise
de Longuejoue, dame de Montglat, sa gouvernante;
de moi Héroard, médecin ordinaire du Roi et premier
de Monseigneur le Dauphin; de Georges Birat, premier
huissier de sa chambre, et du sieur François de Marviller,
écuyer, sieur de Meninville en Beauce, capitaine
exempt des gardes du corps du Roi, sous la charge de
M. de Praslin; du sieur Daniel Prévost, sieur de Bragelongne
en Champagne; du sieur Jehan Dugué, Parisien;
du sieur Jacques de Lancelin, sieur de la Rouillère, de
Valence en Dauphiné; du sieur Guillaume de la Palisse,
de Messe en Gâtinois; du sieur Charles du Til, de Préaux
en Normandie; du sieur Isaac de Rives, sieur de la Rivière,
d'Aspreville en Normandie; du sieur Jacques du
Glasc, Écossois, tous archers des gardes du corps du
Roi, et de quatre Suisses de la garde. A bonne heure
nous prit la pluie qui arriva aussitôt comme il fut en
sa chambre. Il fut mis en celle de la Reine en attendant
que la sienne fût accommodée; le soin que l'on avoit
eu d'un si précieux trésor fut tel que l'on ne y avoit
trouvé aucune chose de prêt pour le recevoir. Il est à
présumer que l'on en doit blâmer ceux qui tiennent
les charges pour telles affaires. Peu de lait à la nourrice.
Le 3 novembre, samedi, à Saint-Germain en Laye.—Le
comte de Lindre, prince d'Espinoy, Flamand, ambassadeur
extraordinaire de la part de l'Archiduc devers
le Roi pour se réjouir de la naissance de Mgr le Dauphin,
le vient voir ce disoit-il, par commandement du
Roi. [Louis de Lorraine], abbé de Saint-Denis, et le chevalier
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de Lorraine, son frère, le sont venus visiter[21].
Le 4 novembre, à Saint-Germain.—Dormi, réveillé, etc.; frotté le ventre d'huile d'absinthe et le nombril de civette. M. Brulard, abbé de Léon, le vient visiter.
Le 5, lundi.—La Reine arriva à midi et demi à Saint-Germain, ayant en sa compagnie Mme de Guise et Mlle sa fille[22], Mme de Guiercheville, et la signora Conchino[23]. La Reine reçoit par Petit des lettres du Roi écrites à Verneuil[24]; elle fait réponse. La Reine part pour s'en retourner à Paris.
Le 6, mardi.—Mme de Villars, femme du sieur de Villars, gouverneur du Havre, le vient voir.
Le 7, mercredi.—Sa nourrice avoit peu de lait; mis de l'or battu au bout de sa mamelle pour les tranchées.
Le 8, jeudi.—Le clarissime Contareno, ambassadeur de Venise, le vient visiter, et ce même jour aussi M. de la Force, capitaine des gardes du corps du Roi.
Le 11, dimanche.—On lui a frotté la tête la première fois avec plaisir.
Le 12, lundi.—Le Roi et la Reine sont arrivés; il les a considérés.
Le 13, mardi.—Dormi, réveillé, rendormi au tétin, faute de lait. La Reine ne veut point que Mlle Lemaire donne le lait comme Mme de Montglat me le dît. Mlle la nourrice a la fièvre du poil. Mlle Lemaire donne le lait.
Le 17, samedi.—La Reine l'est venue voir; M. d'Andelot,
Mme de Gesvres le sont venus voir. On lui a frotté
le front et le visage avec du beurre frais et huile d'amandes
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douces, pour la crasse qui paroissoit y vouloir
venir.
Le 18 novembre, dimanche, à Saint-Germain.—Le Roi le fait porter en son cabinet, où il lui fait savourer deux gouttes de vin qu'il ne refusa point.
Le 19, lundi.—Amusé, le Roi et la Reine présents.
Le 20, mardi.—M. le connétable[25] le vient saluer, M. de Rohan aussi.
Le 21, mercredi.—M. Séguier, ambassadeur pour le Roi à Venise et président en la cour de Parlement à Paris, M. de Thémines, sénéchal de Quercy, le viennent saluer. Amusé et fort caressé du Roi.
Le 22, jeudi.—Amusé par le Roi.
Le 23, vendredi.—La Reine dit que la marque rouge qu'il a sur la nuque, à la racine des cheveux, pouvoit provenir d'une envie qu'elle eut de manger des betteraves, lesquelles on lui ôta et n'en voulut point demander. Le Roi et la Reine présents au remuer.
Le 24, samedi.—Le fils du marquis de Brandebourg le vient voir, la Reine aussi.
Le 25, dimanche.—La duchesse de Bar le vient voir avec la Reine.
Le 26, lundi.—Il lui a été mis un collier de grains de corail au col. Le Roi et la Reine le sont venus voir.
Le 27, mardi.—J'ai pris congé de la Reine, qui m'a recommandé el delphino e la norrizza. Le Roi et la Reine partent à une heure et demie pour s'en retourner à Paris.
Le 5 décembre, mercredi, à Saint-Germain.—Il écoute
fort attentivement à l'âtre, comme je lui disois qu'il
falloit être bon et juste, que Dieu l'avoit donné au monde
pour cet effet et pour être un bon roi; s'il le étoit que
Dieu l'aimeroit; il sourioit à ces paroles. Mlle sa nourrice
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le tenoit en son giron; lui ayant donné à teter aussitôt
qu'il fut remué et se jouant à lui, elle lui dit ces mots:
«Eh bien, Monsieur, quand je serai bien vieille et que je
irai avec un bâton, m'aimerez-vous plus?» Il la regarde
droit en la face et puis, comme y ayant pensé, répondit:
Non. J'étois tout contre qui le considérois pendant
qu'il tetoit, et fus entièrement étonné, aussi bien que
tous ceux qui y étoient présents, qui l'entendirent de l'autre
bout de la balustre.
Le 6, jeudi, à Saint-Germain.—M. de Gondrin, chevalier de l'Ordre, le vient voir. Les quatre archers des gardes du corps et un exempt, avec quatre Suisses des Cent de la garde du Roi, arrivent.
Le 7, vendredi.—M. le duc de Vendatour le vient voir. La Reine arrive, amenant avec elle le cavalier Juigny, maître général de la garde-robe et gentilhomme de la chambre du Grand-Duc, ambassadeur ordinaire vers le Roi, pour se réjouir de la naissance de Monseigneur le Dauphin. Le cavalier prend congé de lui, l'appelle Sire. La Reine part.
Le 8, samedi.—Éveillé, etc., Mme de Gondi, abbesse de Poissy, et Mme de Vieuxpont le viennent voir.
Le 10, lundi.—La marquise de Verneuil[26] le vient voir; il la regarde attentivement, et lui rit gracieusement. Elle demeura, ce disoit-elle, fort contente de l'honneur qu'il lui faisoit; la marquise soupa. Il a toujours ri avec joie incroyable à la marquise parlant à lui.
Le 12, mercredi.—Il commence à reconnoître et à
nommer en son jargon, et lui étant demandé de moi par
la remueuse: «Qui est cet homme-là?» répond en jargonnant
et aisément: Eouad. On reconnoît manifestement
que son corps ne se nourrit point; les muscles de la
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poitrine étoient tout consumés, et le gros rempli qu'il
avoit sur le col n'étoit que peau. Il aime et se plaît à ouïr
la musique.
Le 14, vendredi, à Saint-Germain.—Ce jourd'hui je commençai à coucher au château pour les flegmes.
Le 16, dimanche.—Éveillé, etc.; M. le maréchal de Bois-Dauphin le vient voir.
Le 18, mardi.—MM. de Châteauvieux, de Roquelaure et d'Inteville le viennent voir.
Le 20, jeudi.—Mme de Lairs, du pays d'Agenois, demande de le tenir afin qu'elle puisse s'en vanter, et laisse son manchon pour le prendre. La nourrice se recule disant qu'il le falloit demander à Mme de Montglat, qui lui répondit que personne ne l'avoit encore pris; ce qu'elle ne fit point.
Le 21, vendredi.—Le Roi l'a éveillé; fort causé avec lui et fort paisiblement dans son berceau; fort raillé, rossignolé. Sa nourrice lui demande: «Êtes-vous pas le mignon de papa?» Il dit: Oui, MM. de Villeroy, d'Alincourt, du Laurens et plusieurs autres étant présents. Montré son corps à LL. MM. qui s'en sont retournés à Paris fort contents.
Le 23, dimanche.—Coiffé d'un bonnet de satin et pris des manches de même. L'illustrissime monsignor del Buffalo, évêque de Camerino, nonce ordinaire, et l'illustrissime et révérendissime monsignor Barberino, clerc de la chambre de S. S., nonce extraordinaire, le viennent saluer. Le nonce ordinaire a demandé à le baiser; ils l'ont fait, l'extraordinaire a commencé. Ils ont donné un chapelet et un Agnus Dei au bout à Mme de Montglat et un chapelet à Mlle la nourrice. Ils étoient conduits par M. de Luxembourg, ont dîné à midi aux dépens du Roi. La Parisière, maître d'hôtel servant, a dîné avec eux; M. Fleureteau, maître de la chambre aux deniers, a fait la charge.
Le 24, lundi.—M. le prince d'Orange est venu, qui l'a
Déc
 1601
vu dans son berceau; Mme la princesse d'Orange, M. d'Andelot,
le comte de Warambon l'ont vu remuer.
Le 27 décembre, jeudi, à Saint-Germain.—Mme de Montglat montre une lettre du Roi du 22 décembre 1601[27], lui commandant de faire donner le lait par Mlle Galand, femme de maître Charles Butel, barbier chirurgien à Paris, et de l'ôter à Catherine Hotman; Mlle Galand donne à teter. Remué en présence du sieur Lussan, capitaine des gardes du corps, et du sieur de Saint-Angel, gouverneur de Mâcon. Mlle Hotman fait merveille de se plaindre, se ressouvient du non de monseigneur le Dauphin en lui disant adieu. Il n'a jamais teté Hotman qu'il ne se soit mis en colère.
ANNÉE 1602.
Le Roi et la Reine à Saint-Germain.—Premier portrait du Dauphin fait en crayon par Decourt.—Départ de la seconde nourrice.—La marquise de Verneuil.—Première sortie.—Autre portrait du Dauphin.—M. de Rosny.—Les enfants de Gabrielle d'Estrées, élevés avec le Dauphin, ont la petite vérole.—Premières caresses de la Reine.—Portrait fait par Quesnel.—Réception d'ambassadeurs.—Premier instinct de la chasse.—Première dent.—M. de Mansan.—Projet de mariage avec l'infante d'Espagne.—Lettre du maréchal de Biron à Mme de Montglat.—Émotion d'un vieil officier général.—M. de Mayenne.—Le comte d'Auvergne.—Mme Boursier.—Premier vêtement.—Concini.—Mot du Roi sur la bouillie.—Tienette Clergeon.—Second portrait fait par Decourt.—Singulières habitudes données à l'enfant.—Le Roi joue à cache-cache avec son fils, lui fait voir la curée du cerf.—Exécution de Biron et chute du Roi.—La fête de Saint-Louis.—Nouvelle grossesse de la Reine.—Le Dauphin entre dans sa deuxième année.—Mœurs singulières.—Présents des députés du Dauphiné.—Audience des ambassadeurs suisses.—Singulier hommage des courtisans.—Le prince de Condé.—Naissance de Madame à Fontainebleau; son arrivée à Saint-Germain.
Le 12 janvier, samedi, à Saint-Germain.—Porté à la chambre de Mme de Montglat pour éventer la chambre et son berceau, et le parfumer de bois de genièvre. M. de la Tuillerie, maître d'hôtel du Roi, arrive, attendant le Roi venant de Verneuil; ce pendant la Reine arrive. Elle a été longtemps dans le parquet, se chauffant, accompagnée de Mme la marquise de Guiercheville, sa dame d'honneur, et de Mme de Montglat. Le Roi arrive demi-heure après; elle lui va au-devant à la porte de la chambre, où elle le rencontre; mines [sic]. Ils vont ensemble voir le Dauphin au berceau; le Roi lui a manié et considéré les pieds[28].
1602
Le 13, dimanche, à Saint-Germain.—LL. MM. le viennent voir, oyent la messe en sa chambre puis s'en vont dîner; LL. MM. sont parties à une heure et demie. La Reine avoit, le jour de devant, amené Antoinette Joron pour nourrice, l'autre n'ayant point été trouvée propre.
Le 16, mercredi.—Le cavalier Juigny, ambassadeur du Grand-Duc, l'est venu voir pour lui dire adieu; et, par commandement de la Reine, Decourt, peintre du Roi[29], en tire un crayon pour l'envoyer à Florence.
Le 18, vendredi.—Achevé de peindre par M. Decourt.
Le 20, dimanche.—Le chevalier de Sancy le vient voir.
Le 21, lundi.—Je lui donne le bonjour et pars à onze heures pour aller à Paris, en compagnie de Mlle Lemaire, sa seconde nourrice, qui se retire pour n'avoir point été agréable à la Reine, par la persuasion de quelques personnes qui étoient près de Sa Majesté. C'étoit une très-honnête femme, fort douce, qui avoit beaucoup de lait et fort bon; et plût à Dieu que Monseigneur le Dauphin en eût été nourri au lieu de la première. Il en eût été mieux pour sa santé, et je crois qu'il eût été nourri seulement d'un lait. Dieu le veuille pardonner à ceux qui en sont cause.
Le 28, lundi.—Le Roi et la Reine arrivent.
Le 29, mardi.—La Reine le vient voir à trois heures; le Roi et la Reine le viennent voir à cinq heures.
Le 30, mercredi.—Le Roi et la Reine y sont venus à une heure, le Roi et la marquise de Verneuil à cinq heures; il leur a fort ri et s'est joué avec eux.
Le 1er février, vendredi.—Le Roi et la Reine ont été présents depuis quatre heures et demie jusqu'à cinq heures.
Le 2, samedi, à Saint-Germain.—Joué, amusé, le Roi et la marquise de Verneuil présents.
1602
Le 5 février, mardi, à Saint-Germain.—Remué, le Roi et la Reine présents.
Le 8, vendredi.—A cinq heures le Roi arrive; remué en sa présence. Il est porté à la salle où le Roi soupoit.
Le 15, vendredi.—Il prend la bouillie avec la cuiller; Mme de Montglat la lui donne dorénavant, auparavant c'étoit la remueuse.
Le 19, mardi, jour de carême prenant[30].—Il faisoit fort beau temps; il fait sa première sortie par le pont de la chapelle, ayant son chapeau de paille; porté par Mlle Lecœur, l'une de ses femmes de chambre.
Le 21, jeudi.—Un peintre flamand est venu de la part de M. de Noailles, pour le peindre en huile et l'envoyer en Guyenne, par permission du Roi. Il a fait beau jeu au peintre durant deux heures, autant qu'il eût su désirer.
Le 23, samedi.—Le Roi et la Reine arrivent de Paris, l'ont amusé et fait longtemps causer dans le berceau.
Le 27, mercredi.—M. de Rosny le voit remuer.
Le 1er mars, vendredi.—Porté au jardin; à deux heures le comte Hercole Tasson, ambassadeur pour le duc de Modène devers LL. MM., le vient voir.
Le 2, samedi.—A dix heures le comte de Sulmo, ambassadeur de l'Électeur Palatin, arrive avec une douzaine de gentilshommes; à trois heures et demie Mme la présidente Dudrach, avec sa grande troupe.
Le 3, dimanche, à Saint-Germain.—M. de Ventelet l'entretient, lui dit qu'il n'avoit que Dieu pour maître; il répond en souriant: Oui. M. de Saint-Germain (de Saintonge) et M. de Lauzeré, premier valet de chambre de Roi, M. Bovier, gentilhomme des ordinaires du Roi, le viennent voir. Il danse fort gaiement au son du violon.
Le 6, mercredi.—La petite vérole paroît à Alexandre Monsieur, et à Mlle de Vendôme[31].
1602
Le 7, jeudi, à Saint-Germain.—A une heure Mme de Beuvron le vient voir; à huit heures et demie arrive un courrier de la part du Roi pour aller au bâtiment neuf[32].
Le 9, samedi.—Il est porté au château neuf pour y loger.
Le 12, mardi.—Il commence à tendre les mains à ce qui lui est présenté; ce fut un livre que je lui montrois. Le livre étoit les Psalmes de David, de la version de M. de Bourges, que j'avois donné à Mme de Montglat.
Le 17, dimanche.—La Reine arrive à douze heures et demie, on le lui porte couvert de son chapeau de taffetas; elle le trouve grand, blanchi et lui a fort plu. A cinq heures et demie le Roi arrive de Verneuil avec la Reine, qui étoit allée au-devant de lui jusques à Herbelay, où il avoit dîné. Il est porté devant le Roi; S. M. en est satisfaite et de sa santé.
Le 18, lundi.—A huit heures le Roi arrive et l'a fort caressé; à deux heures Mme de Nemours le vient voir.
Le 19, mardi.—LL. MM. le font porter au cabinet, l'ont fort caressé, la Reine particulièrement, ce qu'elle n'avoit encore fait.
Le 20, mercredi.—A une heure trois quarts M. Zamet; à six le Roi en la galerie avec MM. les secrétaires, la Reine y entre.
Le 21, jeudi.—M. de Souvré et Mme de Montglat parlent au Dauphin; il est porté sur la terrasse au Roi et à la Reine.
Le 22, vendredi.—Il caresse le Roi, qui part à dix
Mars
 1602
heures pour aller à Paris, la Reine pareillement, et de là
à Fontainebleau, puis à Poitiers. Le Roi revient à quatre
heures trois quarts, ramené par la chasse et accompagné
de M. le prince de Conty, de M. le Grand[33], des
sieurs de Termes, de Frontenac et de Nançay; il retourne
à Paris dans le carrosse de M. de Frontenac.
Le 27 mars, mercredi, à Saint-Germain.—A onze heures est arrivé le comte Henri de Saint-Georges, ambassadeur extraordinaire du duc de Mantoue, accompagné du sieur de la Brosse, agent pour ledit duc, et du sieur Braccio, écuyer ordinaire de la Reine. Ils ont mené le peintre du Quesnel[34], qui l'a tiré tout de son long; il avoit deux pieds et demi. Ils ont dîné aux dépens de Mme de Montglat.
Le 29, vendredi.—A onze heures est arrivé le sieur de Schomberg, grand chambellan de l'Empereur, ambassadeur extraordinaire vers LL. MM. pour la naissance de Monseigneur le Dauphin, accompagné des sieurs de Souvré, de Bois-Dauphin et du jeune Schomberg. Cet ambassadeur est neveu de feu le sieur Diétrich Schomberg, qui fut tué pour le service du Roi à la bataille d'Ivry. Il a baisé les mains, le chapeau au poing, et fait une révérence à Monseigneur le Dauphin; à douze heures et demie il est allé dîner à la salle, accompagné desdits sieurs, aux dépens du Roi. L'ambassadeur revenu lui a demandé s'il vouloit mander quelque chose à l'Empereur son oncle; il a répondu en souriant en son jargon: Dré. L'ambassadeur, de joie, lui a baisé les mains, est allé aux fontaines, et de là à Paris.
Le 1er avril, lundi.—Mme de Vilette, M. Canaye-Branay et leur compagnie, la comtesse de Montgomery et les filles de son mari, le sont venus voir.
Le 2, mardi.—Mme de Souvré, Mme de Loménie le viennent visiter.
1602
Le 3, mercredi, à Saint-Germain.—M. de Soboles, gouverneur de Metz, Mme de Fervaques, veuve de M. de Laval, le viennent voir.
Le 4, jeudi.—M. le baron de la Châtre, Mme de Villegomblin le viennent voir.
Le 6, samedi.—A onze heures M. de Vitry, gendre de Mme de Montglat, arrive; M. de la Bastide, capitaine des gardes de M. de Lorraine, arrive de sa part; à deux heures M. de Chazeron.
Le dimanche 7, jour de Pâques.—Il considère à la messe toutes les actions de M. l'aumônier.
Le 8, lundi.—Il jargonne, danse au violon de Boileau, son joueur de violon. A trois heures après-midi M. Brulart, secrétaire d'État du feu Roi, arrive et M. de Cypierre aussi.
Le 9, mardi, à Saint-Germain.—A huit heures Mmes de Clermont d'Amboise, d'Abin et de Saint-Gelais; à onze heures M. d'Épernon, avec ses trois fils, qui lui baisèrent les mains. M. d'Épernon le loua fort et le considéra attentivement. A une heure et demie M. Puget, trésorier de l'Épargne, et sa compagnie. A deux heures M. d'Épernon, ses enfants et M. Puget le voient remuer, les trois enfants de M. d'Épernon étant dans la balustre. A quatre heures M. de la Nauve et M. Lecoq, conseillers en Parlement, et M. Martineau, qui est à M. de Montpensier, viennent pour le visiter.
Le 11, jeudi.—Promené; il prend plaisir à un levraut qui se vint rendre dans l'allée du palemail et fut pris à la main par M. Petit, archer des gardes du corps du Roi. Le Dauphin l'ayant vu le veut soudain, l'empoigne à deux mains, se jetant dessus avec ardeur. A six heures M. de Roissy, maître des requêtes, M. Vion, maître des Comptes, le sont venus voir.
Le 13, samedi.—Éveillé à minuit, teté, point dormi.
Mlle de Rumilly me vient appeler, me disant que Monseigneur
le Dauphin étoit malade du mal de dents. Je y arrive
Avr
 1602
incontinent après; il s'endort à peine jusqu'à cinq
heures. J'ai toujours demeuré debout, accoudé sur le bord
de son berceau, tenant sa main droite dedans la mienne.
Le 14, dimanche, à Saint-Germain.—A quatre heures trois quarts M. de Saint-Fussien, conseiller de la Cour, le vient voir.
Le 15, lundi.—Reconnu par la remueuse, qui lui mit le doigt dans la bouche, une dent percée; M. Guérin, son apothicaire, part pour en porter la nouvelle au Roi à Fontainebleau[35].
Le 16, mardi.—A midi et demi M. d'Épernon (qui a dit des louanges), ses trois fils, et M. d'Échaux, évêque de Bayonne.
Le 17, mercredi.—A midi Mme la princesse d'Orange, Mme de Bruzoles, Mlle Beringhen et sa mère le sont venues visiter.
Le 18, jeudi.—M. de Mansan, gentilhomme gascon, nourri et élevé par M. de Vic, gouverneur de Calais et capitaine aux gardes du Roi, arrive à Saint-Germain en Laye avec sa compagnie, pour la garde de Monseigneur le Dauphin, pendant que S. M. fait son voyage en Poitou.
Le 19, vendredi, à Saint-Germain.—A dix heures et demie M. d'Arquery le vient voir. A sept heures trois quarts, lettres du Roi par M. Guérin.
Le 20, samedi.—A midi M. du Passage, Mme de Fonlebon et ses filles; il a fort caressé la petite Charlotte de Fonlebon.
Le 21, dimanche.—A deux heures, M. de Bouqueron, président au parlement de Grenoble, M. de Chevrier, conseiller en ladite Cour, le viennent voir.
Le 22, lundi.—A neuf heures et demie, M. le duc de
Bouillon, M. de Salignac, M. de Sancy et le jeune Sardini
et son frère. A douze heures et demie, Hieronimo
Taxis, ambassadeur d'Espagne, tête nue, fait une grande
révérence et prend la main de monseigneur le Dauphin
Avr
 1602
sans la baiser; dit qu'il n'a pas voulu partir sans l'avoir
vu auparavant. Le Dauphin est remué en sa présence.
L'ambassadeur se tenoit tout debout, accompagné desdits
sieurs; sur ce qui lui fut dit par M. de Sancy[36] qu'il en
falloit faire un mariage, il répondit qu'il n'étoit rien qui
ne se pût faire, que la reine de France étoit grosse et
la leur aussi, qu'ils avoient une damoiselle et maintenant
ils auroient un fils et nous une fille, et puis que
l'on mettroit tout ensemble[37].
Le 24, mercredi, à Saint-Germain.—Il s'est fort joué à sa peinture[38], que je lui ai apportée de Paris.
Le 27, samedi.—A quatre heures M. le connétable l'envoie visiter; viennent aussi Mme Deschamps, Mlle de Ligny, Mlle d'Ouailly.
Le 28, dimanche.—M. le baron de Saint-Blancart, de
la part de M. de Biron[39], son beau-frère, avec lettre à
Mme de Montglat, copie ci-attachée[40].—M....., lieutenant
Avr
 1602
général[41] à Fontenay le Comte, âgé de quatre-vingts
ans, arrive en jupe, se met à genoux et à pleurer,
le voit remuer, et s'en retournant dit à Mme de Montglat
qu'il plût à Dieu de donner à Monseigneur le Dauphin
le bonheur de son père, la valeur de Charlemagne et la
piété de saint Louis; et s'étant retourné pour s'en aller,
étant au coin du grand pavillon, lève les mains au
ciel et dit: «Dieu m'appelle quand il lui plaira, j'ai vu
le salut du monde.» A trois heures M. de Sillery-Brulart
et sa femme, M. de Berny, son frère et sa femme.
Le 29, lundi, à Saint-Germain.—A sept heures, Messire Renaud de Beaune, archevêque de Bourges, le vient voir.
Le 30, mardi.—A onze heures viennent Mme et Mlle de Guise; dîné avec Mme de Montglat. Mme de Guise l'a porté et fait danser. A quatre heures MM. Archambaud, Corbonois et leurs femmes. A onze heures après midi, lettres du Roi, de Blois, du 28, faisant mention de sa fluxion sur le pied[42] et recommandation de son fils Alexandre et de Mademoiselle.
1602
Le 1er mai, mercredi, à Saint-Germain.—A neuf heures et demie, quatre députés de la ville de Metz viennent pour le visiter; à onze heures, M. et Mme de Sancy; à une heure, M. de Bois-Dauphin; à trois heures, M. le maréchal de Brissac et son fils.
Le 2, jeudi.—A onze heures, et demie M. de la Rivière-Dudrach et sa troupe; à deux heures et demie Mme de Nemours, M. de Rissay, Mme la procureuse générale La Guesle.
Le 3, vendredi.—A huit heures et un quart, un gentilhomme de la part de M. d'Antragues; à une heure, Mme la présidente Dudrach.
Le 4, samedi.—Le poil, de brun lui devient châtain clair. A une heure, M. Campagnol, gouverneur de Boulogne; à quatre heures, M. le prince de Condé et Mme sa mère, Mme la comtesse de Briqueil, sœur de feu M. de Humières; à six heures, Mme de Buisseau.
Le 5 mai, dimanche, à Saint-Germain.—Le Dauphin étant à la fenêtre du préau répondit: ghi à une bonne femme qui parloit à lui, sur le bord du fossé, l'appelant: «mon ami.» Arnoul, contrôleur chez la Reine, arrive.
Le 6, lundi.—A une heure, M. le duc de Mayenne, qui fait la révérence seulement. M. de Mayenne ne s'est jamais voulu asseoir, n'a jamais dit mot, sinon sur ce qu'on parloit de la grossesse de la Reine et des enfants qu'elle pourroit encore avoir, il a dit qu'il n'y en sauroit avoir trop. Aussitôt que M. le Dauphin a été remué il s'en est allé, et M. d'Aiguillon est venu et parti sans saluer Mme de Montglat.
Le 7, mardi.—A dix heures et demie, M. de Cachac, capitaine de la porte; M. Bioneau, secrétaire de M. le Grand; à quatre heures et demie, Mme de Montmeray, nièce de M. le maréchal de Retz, avec Mme de Montmeray, sœur de son mari, religieuse en l'abbaye de Saint-Avit près de Châteaudun.
Le 8, mercredi.—A midi et demi, Mme la comtesse de
Mai
 1602
Chaulnes, Mme de Chemerault, Mme de Poyane, Mme de Liancourt,
sa fille, M. d'Espois, M. Sevin, maître des requêtes.
Le 9, jeudi, à Saint-Germain.—A midi, M. l'archevêque de Tours et M. de La Guesle, procureur-général.
Le 10, vendredi.—A onze heures Mme de Larchant; à deux heures et demie le baron de Châteauneuf-Laubespine.
Le 11, samedi.—A onze heures, M. le duc d'Elbeuf, MM. le vidame de Chartres, Maligny, le baron des Ards en Provence; à deux heures, M. l'amiral de Montmorency et Mme sa femme.
Le 12, dimanche.—A dix heures et demie, les chevaliers de Sancy et de Saint-Mesmain; à quatre heures et un quart, le capitaine Maltais, le commissaire Lesage.
Le 13, lundi.—A huit heures, M. Fouquet, deuxième président en Bretagne; à douze heures et demie, M. l'évêque de Paris[43], Mme la marquise de Menelay, sa sœur, le lieutenant général de Mâcon, qui lui a souhaité des ans nestoriens et la lignée de Salomon.
Le 14, mardi.—A midi MM. de Gondi, le baron de la Tour; à trois heures et un quart M. de Marchaumont.
Le 15, mercredi, à Saint-Germain.—A dix heures M. de l'Isle, d'Orléans, M. de la Motte, M. de la Violete; à douze heures et demie le jeune comte de Montafié, Mme de Carnavalet, son petit-fils, aumônier de Monseigneur le Dauphin, Mlle de Bourdeilles.
Le 16, jeudi.—A douze heures et demie, M. de la Rocheposay, fils de feu M. d'Abin; à trois heures, Mme de Colignon, M. de Lorme, M. de Foucault, conseiller aux Aides, M. Damyn.
Le 17, vendredi.—A onze heures, M. de Bragelongne, conseiller, et Mlle de Luteau, sa sœur; à trois heures trois quarts M. d'Amanzay.
Le 18, samedi.—A trois heures et demie, M. le président
Mai
 1602
d'Assy et sa femme, M. Hennequin, sieur de Manœuvre.
Le 19 mai, dimanche, à Saint-Germain.—A trois heures et demie M. de Sancy, Mme la marquise de Pisani, sa fille, le vicomte du Mans, son gendre, Mme de Malissy, M. Petau, conseiller en Parlement; à quatre heures, M. de Pisani, la More de la Reine; à six heures, Mme la présidente Fayet, ma belle-sœur, et M. Laubigeois et sa femme.
Le 20, lundi.—Mme de Guise s'en allant à Eu et Mlle de Guise le viennent voir.
Le 21, mardi.—M. le comte d'Auvergne[44] arrive sur les trois heures, accompagné de deux hommes; il y a été une petite demi-heure, appuyé contre la balustre, son visage à demi couvert de son manteau, appuyé sur un pied; il tient à Mme de Montglat des propos confus et mal cousus.
Le 27, lundi.—Il arrive une vieille femme de Paris, comme une revendeuse; elle pleure en le voyant, l'appelle: «Mon fils, la petite courte à sa mère», et puis s'est prise à danser devant lui.
Le 31, vendredi.—Mme Boursier, sage-femme de la Reine, vient voir le Dauphin avec sa compagnie, dont en s'en retournant il se noya au bac de Neuilly une femme grosse et une fille de douze ans.
Le 2 juin, dimanche, à Saint-Germain.—Champagne, cordonnier, lui prend la mesure de ses souliers, qui fut d'un grand point.
Le 8, samedi.—Le baron de Treslon porta les souliers à
Monseigneur le Dauphin; à cinq heures il a été vêtu et
habillé d'un corset et d'un bas de soie, et au-dessus d'une
robe carrée, faite de satin blanc rayé d'argent. Mlle de Vendôme
lui a donné sa chemise. L'habillement lui étoit si
Juin
 1602
bien séant et convenable qu'il paroissoit avoir deux ans.
Le 9, dimanche, à Saint-Germain.—M. de Sève, président en premier la cour des Aides à Paris, M. de Rebours, président, et M. Barentin, conseiller en ladite Cour, sont venus de la part de leur compagnie et ont prié Mme de Montglat de le faire entendre au Roi.
Le 10, lundi.—Le sieur Concino[45] prie Mme de Montglat qu'il le puisse voir vêtir; il le voit coiffer, puis habiller, prend la mesure de sa longueur, de la grosseur du bras et de la longueur du soulier, puis est parti pour s'en retourner en Cour.
Le 14, vendredi.—Ses cheveux longs, châtain clair, ont trois grands doigts de travers en longueur; les sutures du sommet presque du tout serrées.
Le 16, dimanche.—M. le vicomte de Bourdeilles vient visiter le Dauphin; Mme de Montglat lui raconte les desseins et l'emprisonnement de M. de Biron.
Le 17, lundi.—A midi, le Roi arrive, le baise et se joue à lui; la Reine arrive à une heure et demie, trouve au pied des degrés Monseigneur le Dauphin, au grand escalier; elle devient soudain fort rouge et le baise à côté du front. On le remonte à la salle du Roi; LL. MM. se jouent un peu à lui, puis se mettent à table pour dîner, et s'en retournent.
Le 20, jeudi.—A six heures après midi M. le maréchal de Fervaques et M. de Laval le viennent voir. Le premier lui a baisé le pied et l'autre touché le bout de son tablier et baisé la main qui l'avoit touché.
Le 22, samedi.—Il se divertit à tout, fort agréablement,
fait une chère extraordinaire à la fille de chambre de sa
nourrice, lui rit. Le Roi arrive à dix heures et demie par
son petit pont. Le Roi s'est joué à lui et lui a vu prendre sa
bouillie. Le Roi a voulu prendre le demeurant et dit: «Si
l'on demande maintenant: Que fait le Roi? l'on peut
Juin
 1602
dire: Il mange sa bouillie.» Le Roi lui fait prendre sa
barbe à deux mains; il la tire bien fort et lui fait mal. Il
lui fait prendre celle de M. de Montigny; il la prend à
deux mains et se soulève tout le corps pour la tirer plus
fort; il a pris la moustache de M. le Grand. Mme la marquise
de Verneuil arrive à une heure, caresse fort M. le
Dauphin, mais, ce disoit-on, avec peine. Elle dîna, se
joua après fort à Monseigneur le Dauphin. On a fait
voir à S. M. les caresses qu'il avoit jà faites à Tienette
Clergeon, native de Lagny, fille de chambre de Mlle sa
nourrice, le Roi l'ayant lui-même fait approcher et la
lui présentant. Il l'a vue pleurer comme elle s'en alloit. Le
Roi est parti pour s'en retourner à Paris, à sept heures
et demie, et a fait prendre dans son carrosse Monseigneur
le Dauphin par Mme la marquise de Verneuil, qui l'a porté
jusques au bout de la cour. On l'a repris; le Roi est
parti.
Le 23 juin, dimanche, à Saint-Germain.—Porté à la salle du Roi; vu Tienette, fait les mêmes caresses, lui rit, lui empoigne la joue à pleine main.
Le 25, mardi.—Le sieur Decourt, par commandement de la Reine, en tire le crayon. A quatre heures trois quarts, la Reine arrive; on le lui porte au-devant. La Reine veut que l'on lui amène Tienette; il lui fait caresses. La Reine part fort contente à six heures et demie.
Le 28, vendredi.—M. de Rosny, revenant de Rosny, le voit dans son berceau.
Le 4 juillet, jeudi, à Saint-Germain.—Il a été peigné pour la première fois, y prend plaisir, et accommode sa tête selon les endroits qu'il lui démangeoit.
Le 10, mercredi.—A midi le Roi arrive, se joue à lui à diverses reprises, la Reine pareillement.
Le 11, jeudi.—A sept heures et demie après midi, le Roi et la Reine s'en retournent à Paris.
Le 17, mercredi.—Il lui a été mis des lisières à sa robe pour l'apprendre à marcher.
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Le 21, dimanche, à Saint-Germain.—La Reine arrive à dix heures, le Roi à dix heures et demie.
Le 22, lundi.—Vêtu d'une cotte neuve, du présent de la Reine, il est porté à huit heures au jardin, au Roi qui se promenoit, ayant pris de l'eau de Pougues[46]. La Reine le demande, on le lui apporte, il pleure; il le faut emporter, le Roi ne le peut apaiser. Porté chez la Reine, le Roi y étant; ils ont voulu voir sa tête, l'ont fait brosser, et en ont toute la journée eu leur agréable passe-temps.
Le 24, mercredi.—Vêtu à sept heures, il prend plaisir et se rit à plein poumon, quand la remueuse lui branle du bout du doigt sa guillery. A huit heures, porté à la chambre de la Reine, aux fiançailles du baron de Gondi et de la signora Polyxena Gonzaga, l'une des filles de la Reine. Le Roi lui continue toujours ses caresses.
Le 28, dimanche.—Le Dauphin, vêtu à sept heures, se promène, se tourne pour voir s'il a ses soldats, rencontre le Roi, le reconnoît en souriant. Le Roi se cache derrière moi et l'appelle; il le cherche, l'aperçoit enfin et se met à sourire. Mme d'Angoulême[47], Mme la princesse d'Orange[48] arrivent; la Reine lui donne une petite turquoise mise à son doigt.
Le 29, lundi.—Le Roi et la Reine arrivent de la
chasse, commandent de le leur porter. Le Roi lui fait
Juil
 1602
voir donner la curée du cerf pris au-dessus de Ruel; il
ne s'en étonne point.
Le 31 juillet, mercredi.—Impatient pour sortir; il rencontre le Roi; mené en carrosse dans la forêt à voir passer le cerf couru par le Roi, qui avoit dîné à Forqueil, où s'étoit faite l'assemblée. Porté au Roi, dedans son lit, blessé d'une chute, courant le cerf. Il tient un bâton; je prends un brin de fagot, j'en frappe contre son bâton pour escrimer; le jeu lui plaît, il me poursuit en riant par toute la chambre. Tout le reste du jour paisible et fort gai.—Ce jourd'hui, à cinq heures, le maréchal de Biron eut la tête tranchée à la Bastille[49].
Le 1er août, jeudi, à Saint-Germain.—Le poil lui éclaircit, la tête se nettoie. Promené; il rencontre le Roi, voit la Reine, caresses accoutumées.
Le 2, vendredi.—Promené il rencontre le Roi, lui rit et tend les bras; va en la chambre de la Reine. On lui fait chercher le Roi dans le lit de la Reine; ne le trouvant point il entre en grande colère. Il va en la chambre du Roi, qui le met coucher avec lui, avec infinies caresses.
Le 4, dimanche.—Allées et venues. M. de Rosny. Porté à la chambre du Roi, qui soupoit; il lui a fait prendre de la soupe, qu'il a fort bien mangée.
Le 7, mercredi.—Il rencontre le Roi, qui fait semblant
de ne le point voir; il crie; le Roi se retourne, va à
lui et l'embrasse. Au sortir de la messe, Engoulevent[50]
se met à chanter et le Dauphin aussi; le Roi y prend
plaisir pour un peu de temps. A cinq heures arrive
Bartholomæo Pusuynki, Polonois, clerc de la chambre
et nonce extraordinaire de Sa Sainteté vers le Roi, conduit
par M. de Sillery. Mme la comtesse de Guichen[51],
Août
 1602
lui envoye une épée par M. de Frontenac en présence du
nonce. Le Roi et la Reine en ont pris grand divertissement.
Le 9 août, vendredi, à Saint-Germain.—Au sortir du jardin il rencontre le Roi, qui entroit; caresses accoutumées, réciproques.
Le 10, samedi.—Le Roi, et la Reine partent et lui disent adieu, fort contents.
Le 21, mercredi.—A trois heures et demie mis dans le carrosse et porté au bâtiment neuf, pour l'éloigner de Messieurs, qui avoient eu la rougeole[52].
Le 22, jeudi.—A deux heures, le clarissimo Marino Cavalli, ambassadeur de Venise, entre en la balustre, ayant demandé permission à Mme de Montglat, le salue, baise sa main, et puis embouche (sic) la sienne, et peu après se couvre. On met au Dauphin son épée au côté et son chapeau en tête, qu'il enfonce en mauvais garçon; il bat fort et ferme le tambour avec les deux baguettes. L'ambassadeur prend congé de lui et baise sa main, puis embouche la sienne.
Le 25, dimanche.—Promené; mis aux fenêtres pour le faire voir à grand nombre de peuple venu pour le voir[53], dont la plus part s'est mis à genoux et plusieurs les larmes aux yeux.
Le 5, jeudi.—A douze heures trois quarts Mme de Longueville laisse à Saint-Germain M. son fils.
Le 6 septembre, vendredi, à Saint-Germain.—M. Pary, chevalier de la Jarretière, ambassadeur extraordinaire d'Angleterre devers le Roi, le vient voir, parle à Mme de Montglat, ayant fait une révérence de la tête, de loin, à M. le Dauphin, puis, s'approchant de lui, en fait une autre et se met à se promener avec la dite dame.
1602
Le 8 septembre, dimanche, à Saint-Germain.—On porte le pain bénit au Dauphin; il tenoit le goupillon, fait ses affaires à croupeton sur le tapis; le goupillon qu'il tenoit s'y mêle, et si l'aumônier n'y eût pris garde, en donnant de l'eau bénite il en eût donné.
Le 11, mercredi.—Il écoute les contes que lui fait Mlle de Ventelet touchant l'Infante[54], qu'il couchera avec elle; il en rit.
Le 12, jeudi.—Crié extrêmement; Mlle de Ventelet lui vient donner le bon jour de la part de l'Infante; il s'apaise soudain, et se prend à rire.
Le 15, dimanche.—A huit heures le page de M. de Longueville arrive pour savoir de ses nouvelles; ayant parlé à Mme de Montglat et s'en retournant, le Dauphin l'appelle d'un Hé! et se retrousse, lui montrant sa guillery. Il est porté au vieux château par le commandement du Roi, qui arrive à cinq heures. Porté au pied du degré au devant du Roi, l'obscurité et la foule des hommes fut cause qu'il eut peur. Le Roi le caresse; à sept heures et un quart la Reine arrive.
Le 16, jeudi.—Il montre sa guillery à M. d'Elbenne; porté chez la Reine, il voit la signora Passithea, en eut peur, à cause de la coiffure.
Le 17, mardi.—A quatre heures, porté chez la Reine; la marquise de Verneuil y arrive, au cabinet de la Reine; le Roi y arrive.
Le 18, mercredi.—Sur les dix heures et demie le Roi part pour aller dîner à Saint-Cloud et de là à Paris, pour conduire la Reine à Fontainebleau pour attendre ses couches.
Le 19, jeudi.—Il commence à cheminer avec fermeté, soutenu sous les bras.
Le 23, lundi.—Fort gai, émerillonné; il fait baiser
à chacun sa guillery. Le comte de Visé, du marquisat
Sept
 1602
de Saluces, ambassadeur extraordinaire du duc de Savoie,
et le comte de Hems, ambassadeur extraordinaire
d'Écosse, le viennent voir.
Le 25 septembre, mercredi, à Saint-Germain.—M. de Montpensier lui baise les mains au berceau et lui a donné la chemise.
Le 27, vendredi.—Il se joue à sa guillery, repousse son ventre en dedans, qui l'empêchoit de la voir. Il vient un gentilhomme flamand, du parti espagnol, pour le voir; il se y trouve un vieil Espagnol qui entrant et sortant lui donna sa bénédiction la larme à l'œil, en souhaitant le mariage de l'Infante[55].
Le 30, lundi.—A douze heures un quart le sieur de Bonières et sa fille, jeune; il lui a fort ri, se retrousse, lui montre sa guillery, mais surtout à sa fille, car alors la tenant et riant son petit rire il s'ébranloit tout le corps. On dit qu'il y entendoit finesse. A douze heures et demie le baron de Prunay; il y avoit en sa compagnie une petite damoiselle; il a retroussé sa cotte, lui montré sa guillery avec une telle ardeur qu'il en étoit tout hors de soi. Il se couchoit à la renverse pour la lui montrer.
Le 8 octobre, mardi, à Saint-Germain.—Le Roi arrive, se joue à lui; la Reine pareillement.
Le 9, mercredi.—Porté au Roi au jardin, où il faisoit bien froid; porté à la chambre de la Reine.
Le 11, vendredi.—Porté au Roi, à la galerie rouge, à une heure et demie un ambassadeur allemand; à six heures Mme la princesse d'Orange.
Le 12, samedi.—A deux heures et demie endormi;
le Roi arrive, qui l'éveille, le baise et s'en va pour retourner
à Paris. Sur les trois heures, comme il ne faisoit que
s'endormir, la Reine l'éveille, et s'en va soudain; comme
on le rendormoit, arrive M. le comte de Soissons, qui
conduit les députés généraux du pays de Dauphiné
Oct
 1602
pour rendre l'hommage, qu'ils firent à genoux, fors l'archevêque
de Vienne[56], qui porta la parole, M. le Dauphin
étant dans un berceau. Il leur tendit la main à
tous pour la baiser.
Le 13 octobre, dimanche.—Porté à la messe; les députés de Dauphiné y étoient. Lesdits députés ont donné des présents: à Mme de Montglat, un buffet d'argent de la valeur de trois cents écus; à Mlle Piolant, un bassin et une aiguière d'argent, valant environ cent écus; une chaîne d'or pesant quatre-vingts écus à Mlle la nourrice, et une de cinquante à la remueuse; et des pièces d'or et d'argent faites en mémoire de la naissance de M. le Dauphin à plusieurs du château et aux officiers de Mme de Montglat.
Le 17, jeudi.—Promené à la chambre du Roi, à dix heures, où il a vu les ambassadeurs de Suisse venus pour jurer et confirmer l'alliance avec le Roi; il leur a baillé sa main à baiser. Ils furent conduits par M. de Souvré et M. de Vic, ambassadeur pour le Roi vers les Cantons. Ils furent fort satisfaits de M. le Dauphin, qui sembloit avoir composé sa façon pour cet acte. Ils furent traités à dîner aux dépens du Roi, en la salle du Roi, et leurs officiers en la salle du bal, où ils étoient cent à table.
Le 24, jeudi.—Le Roi arrive à neuf heures et demie, revenant de la chasse, où il avoit été deux jours, et venoit découcher à Villepreux; il le trouve fort gentil, lui donne du sucre rosat. A douze heures et trois quarts, le Roi part et s'en retourne à Paris.
Le 5 novembre, mardi, à Saint-Germain.—A onze heures et demie, le Roi arrive de Fontainebleau; il voit le Roi, résolu. Le Roi va dîner; porté au dîner du Roi, il fait baiser sa guillery à M. de Souvré, à M. de Termes, à M. de Liancourt, à M. Zamet. Le Roi part à trois heures pour aller coucher à Paris.
Le 15, vendredi.—A trois heures M. le prince de
Nov
 1602
Condé[57], Mme sa mère, M. de Haucourt viennent voir le
Dauphin. Sa nourrice lui dit: «Monsieur, voyez votre petit
cousin qui vous vient voir.» Il se retourne, regardant tous
ceux qui étoient contre la balustre, le va choisir et lui
tend la main, que M. le Prince lui baisa alors. A l'entrée
M. d'Haucourt lui dit qu'il allât baiser la robe du Dauphin;
il se tourna, et lui dit qu'il ne le falloit pas faire.
Le 16, samedi, à Saint-Germain.—M. le prince de Condé prenant congé de lui, il le suit après, le regardant toujours, et se prend à pleurer; il faut que M. le Prince revienne pour partir sans être aperçu; Mme la princesse de Condé lui vient dire adieu.
Le 21, jeudi.—Porté au château neuf.
Le 22, vendredi.—Naissance de Madame[58], à Fontainebleau, environ les neuf heures du matin.
Le 23, samedi.—Nouvelles de la naissance de Madame, le jour précédent, sur les neuf heures du matin[59].
Le 28, jeudi.—A onze heures et un quart le colonel
Postech, de Berne, le sieur Ryech, député de Zurich, lui ont
Nov
 1602
baisé la main, qu'il leur a tendue; ils n'étoient pas venus à
Saint-Germain avec les autres. Ils lui ont dit qu'ils étoient
ses très-humbles serviteurs et alliés, lui ont derechef baisé
la main en s'en allant; le sieur Ryech avoit la larme
à l'œil d'aise en lui disant adieu.
Le 12 décembre, jeudi, à Saint-Germain.—A huit heures trois quarts joué à de petits jeux. On lui demande: «Où est le mignon de papa?» Il se montre, frappant sur son estomac. Je lui demande: «Où est le mignon de l'Infante?» Il met la main sur sa guillery.
Le 19, jeudi.—Rapporté au vieux château à une heure; à six heures le Roi et la Reine, accompagnés de M. le maréchal de la Châtre, arrivent en sa chambre; ils l'ont trouvé fort gentil.
Le 20, vendredi.—Le Roi et la Reine l'entendent jargonner, y prennent plaisir.
Le 21, samedi.—Le Roi oit la messe en sa chambre; le Dauphin est porté chez la Reine. A une heure, le Roi l'ayant baisé part pour s'en retourner à Paris, la Reine peu après.
Le 23, lundi.—Le Roi arrive à onze heures et demie
à l'assemblée[60]; le Dauphin est porté en la cour devant
lui, ne le salue point, sinon quand le Roi lui eut tiré le
chapeau; il ôte le sien, puis se recouvre quand le Roi lui
eut dit: «Couvrez-vous, Monsieur.» Porté au dîner du
Roi à onze heures et demie, mis au bout de la table, rêveur;
le Roi se joue à lui, le fait jargonner. Le Dauphin reconnoît
M. de Guise ne lui ayant été montré qu'une fois. A
cinq heures arrive M. de Rosny; le Roi revient de la
chasse, fait porter le Dauphin dans son cabinet. A six
heures, porté au bout de la table avec le Roi, qui lui fait
donner une cuillerée de vin fort trempé. Rapporté en sa
chambre, à sept heures trois quarts, le Roi y vient, il le
prend, le promène; le Dauphin danse en branle donnant
Déc
 1602
la main à Alexandre Monsieur, le Roi lui ayant commandé
de le faire. A huit heures et demie M. le comte de Soissons
lui donne sa chemise à brassière; le Roi le baise et
s'en va coucher.
Le 24, mardi, à Saint-Germain.—Le Roi arrive à neuf heures, va déjeuner à la petite salle; le Dauphin y est porté, regarde déjeuner le Roi attentivement. Le Roi s'en retourne à Paris, et part à dix heures.
Le 30, lundi.—Sur les quatre heures trois quarts, le Dauphin est porté en hâte au-devant de Madame, sa sœur, à laquelle heure Madame arrive, conduite par Mlle Piolant et MM. de Montglat et de Villeserin, écuyer servant de la Reine. M. le Dauphin, porté par sa nourrice, est descendu par la petite montée du côté de la chambre de Madame, et rencontre vis-à-vis de la porte de l'autre petite montée, à huit pas près, Madame, que l'on descendoit de la litière; prise et portée par M. de Villeserin. Il fut aise et sans dire mot de la voir, lui ayant été dit: «Monsieur, voilà votre sœur.»
Le 31, mardi.—Madame est portée en sa chambre; il la baise doucement. A douze heures et demie, le Roi arrive; le Dauphin, porté dans la chambre du Roi, y a été durant le dîner et a donné la serviette au Roi, qui la lui avoit demandée. Le Roi part pour aller à la chasse. A quatre heures et demie la Reine arrive, vient en la chambre de Madame, où j'étois, puis va en celle de M. le Dauphin. A cinq heures il est porté chez la Reine, à sept heures au souper du Roi, qui lui donne de la gelée, dont il étoit friand, et du vin.
ANNÉE 1603.
Premiers services rendus au Roi.—Répugnance du Dauphin pour son frère naturel.—Premières armes données par la duchesse de Bar.—Singuliers exemples donnés au Dauphin.—Mauvais vouloir pour Concini et sa femme.—Le Roi menace le Dauphin du fouet.—Charles Martin fait son portrait.—M. de Longueville vient demeurer à Saint-Germain.—La marquise de Verneuil et son fils; détails singuliers.—Serment de fidélité des magistrats de Paris.—Le Dauphin joue au mail.—Mme Héroard.—Première lettre au Roi.—Le P. Coton.—Mme de Verneuil et sa mouche.—Les enfants de MM. de Liancourt et d'Épernon.—Comment on l'entretient de l'infante d'Espagne.—Habitude de Henri IV.—La duchesse de Bar.—Départ du Roi et de la Reine pour la Normandie.—Le Dauphin apprend à parler.—Mlle de La Salle.—Mme Concini.—Mme de Verneuil.—Prière que récite le Dauphin.—Il boit à l'infante d'Espagne et danse en présence de l'ambassadeur.—Son caractère opiniâtre; il est fouetté pour la première fois.—Son amitié pour Héroard.—Le Dauphin est sevré.—Armes données par la ville de Moulins.—Mathurine la Folle.—Audience du connétable de Castille.
Le 1er janvier, mercredi, à Saint-Germain.—Porté en la chambre de la Reine, où le Roi est venu; le Dauphin voit que le Roi la baisoit; il la lui fait baiser plusieurs fois. A une heure porté au dîner du Roi.
Le 2, jeudi.—A dix heures et demie porté chez la Reine; porté au dîner du Roi, porté au dîner de la Reine; elle le fait mettre au bout de la table. A deux heures la Reine part. Le Roi revient de la chasse pour changer de chemise en son cabinet, où il commande que l'on apporte le Dauphin. Il ôte son chapeau au Roi, puis le remet. Le Roi part à deux heures pour s'en retourner à Paris.
Le 7, mardi.—A onze heures et demie le Roi arrive;
Janv
 1603
il est porté au-devant de lui; porté au dîner du Roi, il
lui donne sa serviette. A six heures porté chez le Roi, qui
étoit revenu blessé à un genou, courant à la chasse, et
étoit couché dans son lit.
Le 8 janvier, mercredi, à Saint-Germain.—Le Roi part sans le voir, et part en carrosse pour s'en retourner à Paris, se plaignant fort de sa douleur de reins.
Le 9, jeudi.—Il reconnoît mes cousins Pierre et Claude Héroard, qu'il avoit vus le soir auparavant.
Le 19, dimanche.—Les cheveux lui éclaircissent en blondeur.
Le 23, jeudi.—Alexandre Monsieur lui donne sa chemise, et soudain, l'ayant prise, il lui élance un coup de sa main pour le frapper; il ne le pouvoit souffrir.
Le 26, dimanche.—M. de Pardaillan-Panjas arrive, lui portant de la part de Mme la duchesse de Bar, sa tante, des armes complètes de la hauteur d'un demi-pied; il y prend plaisir.
Le 27, lundi.—A midi porté en la cour au Roi, qui
arriva à douze heures et demie. Porté au dîner du Roi,
assis au bout de la table; le Roi lui jette une orange, et
lui la renvoie au Roi; le Roi lui donne à tâter du vin. Le
Roi part pour s'en retourner à Paris à deux heures et
demie. Le Dauphin va après Mlle Mercier, qui glapissoit
pour ce que M. de Montglat lui bailloit de sa main sur
les fesses; il glapissoit de même aussi. Elle s'enfuit à la
ruelle, M. de Montglat la suit, et lui veut faire claquer la
fesse; elle s'écrie fort haut, le Dauphin l'entend, se prend
à glapir fort aussi, s'en réjouit et trépigne des pieds et
de tout le corps de joie, tournant sa vue vers ce côté-là,
les montre du doigt à chacun. Amusé, dansé aux branles,
étant par avant songeart et triste pour ne voir personne;
l'on fait venir ses femmes; il se prend à les faire danser,
se joue à la petite Marguerite, la baise, l'accole, la
renverse à bas, se jette sur elle avec trépignement de
tout le corps et grincement de dents. Amusé jusqu'à
Janv
 1603
neuf heures, gai, nous tire des arquebusades[61] et surtout
à Mlle Mercier, s'étant pris à rire aussitôt qu'il l'a
vue. Il s'efforce de la fouetter sur les fesses avec un brin
de verges; Mlle Bélier lui demande: «Monsieur, comment
est-ce que M. de Montglat a fait à Mercier? Il se prend
soudain à claquer de ses mains l'une contre l'autre avec
un doux sourire, et s'échauffe de telle sorte qu'il étoit
transporté d'aise, ayant été un bon demi-quart d'heure
riant et claquant de ses mains, et se jetant à corps perdu
sur elle, comme une personne qui eût entendu la raillerie.
Le 30 janvier, jeudi.—Il s'essaye à fouetter un sabot; mange et avale du canard, première viande qu'il a mangée; mange du chapon, trouve tout bon.
Le 1er février, samedi, à Saint-Germain.—Éveillé à neuf heures trois quarts, levé, gai, riant, bon visage. Le sieur dom Garcia, le sieur Conchino arrivent à l'heure de l'habiller. Il se jouoit à un carrosse du palais où il y avoit quatre poupées; l'une étoit la Reine, les autres Mme et Mlle de Guise et Mme de Guiercheville. On les lui faisoit montrer, les nommant par leurs noms; il les montroit du doigt. Le sieur Conchino lui va demander: «Monsieur, où est la place de ma femme?» En disant: Ah! il lui montre une avance qui étoit par dehors, au cul du carrosse. Il ne veut point prendre un grain de fenouil confit du sieur Conchino, à qui Mme de Montglat l'avoit baillé pour le lui donner, s'en recule du tout, le regardant, comme importuné. A douze heures et demie le baron Pophlech, saxon; il lui donne à baiser sa main.
Le 7, vendredi.—Bon visage mais gercé du grand froid[62].
1603
Le 12 février, mercredi, à Saint-Germain.—A cinq heures et un quart, le Roi, la Reine arrivent de Paris comme on achevoit de l'habiller; ils le baisent. Le Roi et la Reine vont chez Madame, et lui avec; porté à sept heures et un quart en la chambre du Roi pour y souper; rapporté en sa chambre. Le Roi et la Reine y viennent, se jouent à lui.
Le 13, jeudi.—Porté au Roi en la chapelle; porté en la chambre de la Reine; il se joue dans le lit avec elle et depuis en celle du Roi. A onze heures et demie il baise la serviette, et la donne au Roi; il veut crier, le Roi le menace du fouet, il s'apaise.
Le 14, vendredi.—Mme la comtesse de Guichen; le Roi et la Reine y prennent grand divertissement et, à deux heures, partent pour s'en retourner à Paris.
Le 25, mardi.—Amusé jusqu'à onze heures dans sa petite chaise, auprès du peintre nommé Charles Martin[63] demeurant à Paris, sur le pont Notre-Dame, près Saint-Denis de la Chartre.
Le 17 mars, lundi à Saint-Germain.—A une heure et un quart Mme de Luxembourg, Mlle de Luxembourg, sa belle-fille, M. Boulenger, son maître d'hôtel; il attend froidement et résolument, avec son chapeau vert sur la tête, Mme de Luxembourg, et la reçoit à six pas de la porte, lui tend la main, qu'il lui donne à baiser et à Mlle de Luxembourg.
Le 23, dimanche.—Il joue du violon et chante ensemble.
Le 24, lundi.—A une heure trois quarts, M. de
Longueville[64], qui vient pour demeurer à Saint-Germain,
Mars
 1603
le Sr Conchino, M. Poussin, médecin de M. de
Longueville.
Le 3 avril, jeudi, à Saint-Germain.—A cinq heures, Mme la marquise de Verneuil arrive à la porte du jardin, comme il étoit sur le point d'en sortir; elle lui demande à baiser sa main; il la refuse, se recule, la regarde de côté; enfin on lui dit de le faire, il la baille. On apporte M. de Verneuil[65], qui lui est présenté, il le regarde froidement, se retourne brusquement, fait bonne chère[66] à Mme la marquise, fait semblant de se cacher, puis la regarde en riant. Elle lui met une chaîne au col; il s'en glorifie, se regarde dans le miroir, lui met la main dans son sein, puis baise le bout de son doigt; elle le couvre de son mouchoir, il le découvre, et puis y touche comme auparavant. Il renverse la petite Marguerite, la baise, se jette sur elle, puis, étant relevé en fait le honteux et se va cacher. La marquise lui mettoit souvent la main sous sa cotte; il se fait mettre sur le lit de sa nourrice, où elle se joue à lui, mettant souvent la main sous sa cotte.
Le 4, vendredi.—Mené en la chambre d'Alexandre
Monsieur, où étoit Mme la marquise et son fils. Aussitôt qu'il
a vu la troupe, il s'est retourné, court vers la porte en
criant, sans avoir jamais pu lui faire tourner la face; il
avoit accoutumé de s'y plaire. Mené en la chambre de
Mme la marquise, il se joue et rit avec elle en se cachant.
Amené en la chambre d'Alexandre Monsieur, où étoient
tous les enfans, il prend la poule[67] d'Alexandre Monsieur,
court par la chambre comme un désespéré, la
jetant devant lui, puis courant après, sans regarder en
façon du monde ces enfants et moins l'un que les autres.
Mme la marquise lui touche à ses cheveux; il la frappe et
Avr
 1603
s'en plaint; demande la serviette, qui lui est servie par
Mme la marquise, qui dit: «Je ne sais s'il la refusera de
moi, tant il est dédaigneux.» Il la prend sans la regarder,
s'en essuie lui-même. L'on y porte M. de Verneuil; il n'a
pas fait semblant de le voir. L'une des femmes de M. de
Verneuil demande à son maître[68]: «Monsieur, où est
M. le Dauphin?» Il se bat la poitrine en se montrant,
puis en étant repris, il montra M. le Dauphin. Mme la marquise
lui sert sa chemise à son coucher.
Le 20 avril, dimanche, à Saint-Germain.—A onze heures, M. le président de Bragelongne, prévôt des marchands, et MM. les échevins de Paris approchant de lui, il leur a tendu la main à tous pour la baiser; puis M. le prévôt a dit qu'ils étoient venus en corps, représentant la ville de Paris, pour le reconnoître pour fils naturel et légitime du Roi son père et le vrai successeur, après son décès, de ce royaume, lui faisant à cet effet serment de fidélité. Il le regardoit attentivement et portoit son doigt à un poreau rouge que ledit sieur prévôt a au côté du nez, puis leur a lui-même tendu la main pour la baiser. A sept heures la Reine arrive, le Roi un peu après.
Le 21, lundi.—Le Roi part pour s'en retourner à Paris. Le Dauphin, éveillé à sept heures, est porté au lever de la Reine; la Reine part à dix heures trois quarts.
Le 29, mardi.—A onze heures un quart j'arrive de retour de Paris; je le salue, lui disant: «Monsieur, Dieu vous donne le bon jour.» Il ne fait pas semblant de me voir, mais se prend à courir et se cacher deçà delà, me guignant des yeux pleins d'allégresse et en passant tout riant, il me tendoit la main pour la baiser. Il en faisoit ainsi à ceux qu'il aimoit.
Le 7 mai, mercredi, à Saint-Germain.—Le Dauphin
jouant au palemail[69] blessa d'un faux coup M. de Longueville
Mai
 1603
qui étoit près à lui, en l'encoignure gauche du
front. Le coup fait, il en demeure étonné et se retourne
court, comme s'enfuyant, n'osant presque regarder personne,
se laisse sans résistance ôter le palemail.
Le 11, dimanche, à Saint-Germain.—A quatre heures et demie M. de Montmorency[70], fils de M. le connétable, le voit dans son berceau; on le hausse pour baiser la main au Dauphin, qu'il lui tend et le regarde fort résolûment. A huit heures trois quarts M. de Longueville et Mlle de Vendôme débattoient à qui donneroit la chemise à M. le Dauphin; la remueuse lui demande: «Monsieur, qui vous donnera votre chemise?» Il répond: Mme de Montglat[71]. M. de Longueville la sert et l'arrache à Mlle de Vendôme; M. de Montmorency sert une bande (sic), M. de Longueville une autre.
Le 23, vendredi.—A cinq heures j'arrive[72]. Il cheminoit en la basse cour. Je me présente à lui; il me tend de lui-même sa main à baiser, puis à ma femme, et après s'en va au carrosse de M. Sabathier, sieur du Mesnil, où nous étions venus. Il le faut mettre dedans, se fait promener, résolu, assis à la portière auprès de Mme de Montglat; mené dans le château, il n'en veut point sortir et crie.
1603
Le 4 juin, mercredi, à Saint-Germain, il écrivit cette lettre au Roi, moi lui tenant la main, ayant eu la patience entière:
Papa, Dieu vous donne le bon jour et à maman, j'ay bien enuie de vous voir pour vous faire rire. Adieu, bon jour, je suis papa vostre tres humble et tres obeissant fils et serviteur. Daulphin, et au-dessus: A Papa.
Le 10, mardi.—A midi le Roi arrive; il le va recevoir à l'entrée de la salle, reconnoît le Roi, qui se joue à lui, fait la révérence à la Reine, lui ôte son chapeau; elle le baise.
Le 11, mercredi.—Le Roi se joue à lui; à trois heures et demie M. le prince de Conty donne la chemise au Dauphin.
Le 12, jeudi.—Il joue au palemail, s'opiniâtre contre le Roi. A douze heures et demie les ambassadeurs d'Espagne, Juan Baptiste Taxis et Hieronimo Taxis, extraordinaire, qui alloit en Angleterre, lui font une grande révérence à l'entrée de la chambre et lui baisent la main. Le Roi et la Reine vont au palemail, font porter le Dauphin; il bat le tambour de la compagnie qui étoit en garde.
Le 13, vendredi.—A quatre heures trois quarts M. le connétable le vient voir, lui baise la main, lui donne la chemise, lui mène le fils de M. le comte d'Auvergne. Le Dauphin, porté au Roi et à la Reine en la galerie, a soupé avec le Roi.
Le 14, samedi.—Mené en la chambre du Roi, il le baise, l'accole. Le Roi le mène en la chambre de la Reine; il en sort avec le Roi, joue au palemail, bien; il fait plusieurs gentillesses devant le Roi et la Reine, se retire en leur faisant la révérence.
Le 15, dimanche.—Porté à onze heures au Roi, en la
chapelle; mené en la galerie pendant le sermon du P. Coton,
jésuite. A deux heures et demie arrive M. d'Épernon;
il aime et se joue avec M. de Termes avec une inclination
naturelle. M. d'Épernon lui donne sa chemise. Le Dauphin
Juin
 1603
se joue de son tabourin, bat la batterie des Suisses.
Le 16, lundi, à Saint-Germain.—A onze heures arrive M. le prince d'Orange, qui lui baise la main. A cinq heures, porté au château neuf, en la chambre du Roi; il fait bonne chère au Roi, se cache devant la Reine. Il voit sur le nez de Mme la marquise de Verneuil une mouche de satin; «Monsieur, dit-elle, ôtez-moi cette mouche.» Il y va du doigt, et lui égratigne le nez. Le Roi et la Reine vont au parc; il les accompagne jusqu'à la porte du milieu du parc.
Le 17, mardi.—Porté à la chambre du Roi, il lui fait bonne chère, et se rit à la Reine. Le Roi se promenoit avec le P. Coton, jésuite; il va vers sa Majesté le prendre par la main pour le mener souper. A six heures soupé avec le Roi. Le Roi lui donne des cerises; le Roi donne du massepain dans un plat à M. de Vendôme et à M. son frère et à sa sœur; chacun se partageoit devant lui sans lui en donner; il jette hardiment la main au plat et en prend un morceau, qu'il mange à moitié, puis n'en veut plus.
Le 18, mercredi.—Le Roi part pour aller à Paris; le Dauphin est porté chez la Reine, se joue avec elle. La Reine part.
Le 23, lundi.—M. de Dangeau le vient voir.
Le 24, mardi.—A dix heures, Hans Trot, maréchal de Clèves, envoyé devers le Roi de la part du duc de Clèves et de Juliers et de la part du Roi pour voir M. le Dauphin. A sept heures arrivent les trois enfants de M. de Liancourt, premier écuyer.[73]
Le 25, mercredi.—Il donne sa main à baiser fort librement
aux enfants de M. le Premier, qui furent mis
Juin
 1603
autour de son berceau; l'aîné lui donna la chemise,
Mlle de Liancourt sa cotte, et le petit son ruban, où pendoit
un Agnus Dei. Il se joue familièrement avec eux, leur
baise les mains avec chaleur.
Le 28 juin, samedi.—A neuf heures arrivent les trois fils de M. d'Épernon[74]; il leur donne la main à baiser; le puîné, abbé de Grandselve, fait à dîner l'office d'aumônier; l'aîné comte de Candale, lui baille la chemise.
Le 29, dimanche.—En tetant il gratte sa marchandise, droite et dure comme du bois. Il se plaisoit ordinairement fort à la manier et à se y jouer du bout des doigts.
Le 13 juillet, dimanche, à Saint-Germain.—A une heure les ambassadeurs de Venise, ancien et nouveau, lui baisent la main, qu'il leur tend. Montagne, chevaucheur d'écurie, arrive de Villiers-Cotterets de la part du Roi[75].
Le 27, dimanche.—Mlle de Ventelet lui demande: «Monsieur, où est votre cœur?» Il bat sur son côté gauche. Il fait un rot, Mlle de Ventelet lui dit: «Monsieur, vous soupirez, où va ce soupir:» Il répondit: «En Espagne.»[76].
Le 29, mardi.—A onze heures le Roi arrive; il se
cache comme honteux, s'apprivoise incontinent. Le Roi
le prend en son carrosse; dîne avec le Roi, pleure voyant
partir le Roi. Le Roi, revenant de la chasse, va prendre
sa chemise chez M. de Frontenac, en la salle; on lui
Juil
 1603
mène le Dauphin, qui y entre battant de son tabourin.
Le Roi le caresse, le baise, lui baise la poitrine. Il sert à
boire au Roi dextrement. Le Roi le promène dans son
carrosse et à pied, lui tient toujours la main.
Le 2 août, samedi, à Saint-Germain.—A trois heures et demie, le Roi arrive de la chasse et se met pour se reposer dans le lit de Mme de Montglat. A quatre heures, le Roi va éveiller M. le Dauphin, lui fait prendre du sirop d'abricots, lequel ma femme avoit fait. Le Dauphin continue à battre sur son tabourin toutes sortes de batteries; le Roi le baise fort, et s'en va à cinq heures à Paris.
Le 4, lundi.—Porté au Roi, qui venoit d'arriver à cinq heures et demie avec la Reine; le Roi le baise, la Reine le caresse. Le Roi se va coucher, le fait dépouiller et mettre dans le lit auprès de lui; il gambade en liberté.
Le 6, mercredi.—Le Roi et la Reine le mettent en carrosse et vont au devant, au port de Chatou, pour recevoir Mme la duchesse de Bar, sœur du Roi, qui arrive. Il est honteux, puis s'apprivoise et l'accole.
Le 7, jeudi.—Mené à la chambre de Mme la duchesse de Bar par le Roi et la Reine, d'où il ramène le Roi par la main pour dîner.
Le 8, vendredi.—Porté au Roi en la chambre de la Reine; il va voir Mme la duchesse de Bar.
Le 11, lundi.—Porté au lever de la Reine, il baise la chemise et la lui donne; va chez Mme de Bar, en fait autant; revient chez la Reine comme elle se coiffe; chasse Alexandre Monsieur et Mlle de Vendôme d'autour de sa table.
Le 12, mardi.—Il va au dîner de la Reine, lui donne la serviette. A six heures, le Roi revient de Paris.
Le 13, mercredi.—Porté au château neuf, il se joue au Roi et à la Reine.
Le 14, jeudi.—Porté chez le Roi par le jardin; il le rencontre en chemin. Porté chez la Reine.
Le 15 août, vendredi, à Saint-Germain.—Porté au
Août
 1603
dîner de Mme de Bar; à deux heures et demie, en la chambre
de M. de Bar; le Roi lui fait battre sur le tabourin
qui étoit en garde.
Le 16, samedi.—Le Roi vient à sept heures, le trouve et le baise dormant, lui disant: «Adieu, mon mignon.» Le Roi part à l'heure pour aller en Normandie. La Reine va dîner, le fait porter et mettre au bout de sa table; il demanda du vin, de celui que la Reine venoit de boire; je lui en donne dans sa cuiller; puis il demande des confitures, qui étoient des prunes en pâté; je lui en donne par commandement de la Reine. La Reine s'en va pour le voyage de Normandie; il l'accompagne jusques à la porte de l'escalier, et à la portière du carrosse se met à pleurer amèrement.
Le 18, lundi.—On lui fait prononcer les syllabes à part, pour après dire les mots.
Le 21, jeudi.—A cinq heures et demie, mis en carrosse, mené par le parc à Carrière, première maison où il a été hors de Saint-Germain. Il reçoit sur le haut M. et Mlle de la Salle, qui étoit grosse de sept mois et demi et, depuis quatre mois, avoit une si grande passion de le baiser qu'elle en perdoit entièrement le dormir. A l'arrivée, comme elle le voit, elle en approche toute tremblante, lui baise la main par deux diverses fois; Mme de Montglat la lui fait accoler et baiser. Il la prenoit avec la main par dessous le menton; elle témoigna n'avoir jamais eu si grand contentement, et tel qu'il surpassoit le déplaisir qu'elle avoit souffert.
Le 25, lundi.—Arrive de la part du Grand Duc le comte de Montecucullo, qui alloit en Angleterre de la part de Son Altesse; il lui donne sa main à baiser.
Le 30, samedi.—A quatre heures, M. de Longueville revient pour demeurer à Saint-Germain.
Le 6 septembre, samedi, à Saint-Germain.—A quatre heures il va au devant de Madame, sœur du Roi, duchesse de Bar, jusque près d'Anemont.
1603
Le 17 septembre, mercredi, à Saint-Germain.—Il commence en ce mois à parler par discours[77].
Le 20, samedi.—A dix heures et demie la signora Conchino et la signora Gorini dînent avec Mme de Montglat; il baille sa main à baiser à Mme Conchino.
Le 22, lundi.—A onze heures M. le prince de Condé lui baille la serviette à dîner.
Le 25, jeudi.—A cinq heures le Roi arrive de Caen; il fait bonne chère au Roi, le baise, l'accole, et à la Reine aussi, qui arrive après.
Le 26, vendredi.—Amené chez le Roi et la Reine, il bat sur la table du Roi la françoise et la suisse, sur les vaisselles; trouve son tabourin, recommence ses batteries. Le Roi y prend grand plaisir.
Le 27, samedi.—Mené au souper du Roi[78].
Le 28, dimanche.—Il rencontre Mme la marquise de Verneuil, qui lui demande sa main à baiser, puis son teton; il refuse fièrement l'un et l'autre, jusques à ce que par plusieurs fois il lui ait été dit par Mme de Montglat de le faire; il s'y laisse aller comme par acquit. Mené au cabinet du Roi, il danse au son du violon toutes sortes de danses.
Le 29, lundi.—Il joue au palemail devant le Roi et frappe nettement un coup de cinquante-cinq pas. Mené au dîner du Roi et de la Reine, fort gentil; le Roi et la Reine partent à une heure et demie, fort contents.
Le 30, mardi.—Il avoit une merveilleuse inclination à aimer M. de Candale, reconnu dès le premier jour qu'il l'ait vu[79].
Le 2 octobre, jeudi, à Saint-Germain.—La prière
ordinaire que l'on lui commença à apprendre ce fut,
Oct
 1603
après le Pater, Ave: «Dieu donne bonne vie à papa, à
maman, au dauphin, à ma sœur, à ma tante, me donne
sa bénédiction et sa grâce, et me fasse homme de bien,
et me garde de tous mes ennemis, visibles et invisibles.»
A onze heures et un quart, il mangeoit le dernier aileron
d'un poulet, quand il arrive don Sanches de la Serta,
maître d'hôtel du roi d'Espagne, fils du feu duc de Medina-Cœli,
venant de la part du roi son maître pour voir
M. le Dauphin, lui s'en allant en Flandres. M. le Dauphin
quitte son poulet, Mme de Montglat lui essuie la
main, il la présente. Don Sanches la prend ayant baisé
la sienne, qu'il rebaise après; le sieur Hieronimo de
Taxis, ambassadeur ordinaire d'Espagne, ayant baisé
sa main prend celle de M. le Dauphin et la baise; ils
demeurent découverts un peu de temps, puis se couvrent.
Le Dauphin achève de dîner, demande à boire, boit
à l'Infante. Il voit le poignard au côté d'un Espagnol,
et, le montrant du doigt, dit: Ah, la petite épée! Ils
vont dîner aux dépens du Roi. Le Dauphin, mené à la
salle du bal, où avoient dîné les ambassadeurs, leur ôte son
chapeau, et fait la révérence, le pied en arrière, puis
va son chemin, eux suivent. Il branle la pique devant
eux, il joue au palemail, sec et sans faillir, il danse toutes
sortes de danses fort gentiment; il veut monter sur le
théâtre[80] pour y danser. Les ambassadeurs montent
les degrés pour dire adieu; don Sanches, baisant sa
main, prend celle de M. le Dauphin et la baise, Taxis en
fait autant, et il tend la main à baiser à tous les autres,
à la rangette. Au dîner de M. le Dauphin, M. de Souvré
dit au sieur Hieronimo Taxis: «Voilà un serviteur un
jour pour l'Infante.» Il répond. «A juger selon le
cours du monde; ils sont nés l'un pour l'autre.» Il
m'en dit autant.
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Le 9 octobre, jeudi, à Saint-Germain.—Éveillé à huit heures; il fait l'opiniâtre, est fouetté pour la première fois. A six heures, j'arrive de Paris, lui étant sur les terrasses, je le trouve assis. Il trémousse d'aise de me voir, mord sa serviette, me regarde, puis détourne sa vue, en fait autant à ma femme. Il nomme fort bien le nom de M. de Beringhen.
Le 30, jeudi.—Il clarissimo Dandolo, ambassadeur extraordinaire de Venise, arrive pour le voir en passant, lui baise la main, le chapeau au poing. Le Dauphin compose sa contenance et lui ôte le sien, le prie de se couvrir en mettant la main sur son bonnet. Il danse devant l'ambassadeur, joue du tabourin, branle la pique.
Le 3 novembre, lundi, à Saint-Germain.—En s'habillant on lui dit: «Monsieur, dépêchons nous, nous irons jouer au jardin.—Nenni, nous irons voir M. Hérouard en sa chambre[81].» J'arrive là-dessus; il se prend à crier et pleurer à chaudes larmes, disant qu'il étoit bien fâché de ce que j'étois descendu, et qu'il vouloit aller à ma chambre. Je m'en retourne pour écrire une lettre, il s'apaise. On lui demande «Monsieur, où aimez-vous mieux aller, ou au jardin ou à la chambre de M. Hérouard?» Il répond: à Hérouard. Il me fait l'honneur d'y venir, me trouve écrivant en mon étude, entre gaiement me tendant la main. Il est tiré par un peintre, de sa hauteur, qui étoit de deux pieds neuf pouces.
Le 7, vendredi.—Le Dauphin est sevré.
Le 22, samedi.—M. de Saint-Géran, sous-lieutenant
de sa compagnie[82], présente le président de Moulins
et un échevin, lui offrant une épée, une lance et une
paire d'armes complètes. Le président lui fait sa harangue
Nov
 1603
à genoux, lui offrant, de la part de MM. de Moulins,
les armes avec leur très-humble affection à son service.
Il les écoute, leur tend la main à baiser, prend
l'épée, qu'il manie fort adroitement.
Le 29 novembre, samedi.—M. le président de Paulo, deuxième président à Toulouse, MM. Chauvet, de Trelon et Saint-Jory, conseillers, députés de la cour de parlement de Toulouse, [viennent pendant le dîner du Dauphin]. Il s'arrête, ne mange plus, leur tend sa main à baiser, puis ils lui font leur harangue. Il leur donne derechef la main à baiser.
Le 4 décembre, jeudi, à Saint-Germain.—Le Roi arrive, la Reine aussi. Dîné avec le Roi; il lui donne la serviette.
Le 5, vendredi.—Porté au Roi et à la Reine dans leur lit; à onze heures, porté au dîner du Roi. Le Roi se lève pour aller à la chasse, le Dauphin va achever de dîner avec la Reine. Mathurine[83] arrive, il la considère froidement; elle se joue avec lui, il en rit; elle se retrousse, il lui voit un haut-de-chausses, il se prend à rire et s'en moque.
Le 6, samedi.—Porté au cabinet du Roi; à midi au dîner du Roi. Le Roi et la Reine s'en vont.
Le 11, jeudi.—A six heures, le Roi arrive; il y est porté. Le Roi l'embrasse; il soupe avec le Roi. Le Roi fait semblant de dormir, il vient tout bellement en souriant, et le va baiser. Le Roi se joue à lui.
Le 12, vendredi.—Mené au dîner du Roi; le Roi part pour aller à la chasse.
Le 14, dimanche.—Opiniâtre, fouetté.
Le 19, vendredi.—A deux heures, le Dauphin reçoit
le connétable de Castille, auquel il tend la main pour la
Déc
 1603
lui faire baiser. Le connétable la baise, puis dit en espagnol
qu'il avoit commandement exprès du Roi, son
seigneur, de le venir voir de sa part et de lui en faire
savoir des nouvelles fort particulièrement. M. le Dauphin
lui demande (lui étant dit à l'oreille): Comment
se porte l'Infante? Puis le Dauphin lui tendant la main
et l'ayant baisée, il va voir Madame dans son berceau.
Le duc d'Ossone ne voulut point voir M. le Dauphin. Un
Espagnol en s'en retournant et passant devant lui, fit le
signe de la croix. Le connétable coucha à Saint-Germain,
à cause du mauvais temps.
Le 22, lundi, à Saint-Germain.—Le Roi arrive à midi pour la chasse; il baise et accole le Roi; est porté à son dîner. Le Roi s'en va, il crie; colère, fouetté. Mené en la chambre et au souper du Roi.
Le 23, mardi.—Mené au Roi, qui s'en retourne.
ANNÉE 1604.
Étrennes du Dauphin.—Visite du Roi; journée orageuse.—Bégayement du Dauphin.—Chanson sur La Clavelle et Engoulevent.—Chasse du Roi à Versailles.—Les musiciens du Dauphin.—Il reçoit la croix du Saint-Esprit, premier présent du Roi.—Curiosité et dissimulation du Dauphin.—Le Roi le fait fouetter.—Le Dauphin fait l'essai des mets destinés au Roi.—Opiniâtretés et corrections.—Il voit danser un ballet.—Portrait fait au crayon par le fils de Dumonstier.—Caractère et éducation du Dauphin.—Il va à la Muette, à Croissy, à Poissy.—Singulier langage.—Accueil fait à M. de Rosny, à son présent et à sa lettre.—Lettre du Dauphin au Roi.—Jalousie envers les enfants naturels du Roi.—Dialogue avec le page Labarge.—Scènes avec le Roi et la Reine.—Comment on lui parle de son père; les fous de Cour.—Nouveau portrait peint par Charles Martin.—Le journal d'Héroard.—Scène avec le Roi.—Arrivée des enfants de Mme de Verneuil; dispositions du Dauphin pour eux.—Scène avec le Roi et la Reine; page fouetté à la place du Dauphin.—Les chats du feu de la Saint-Jean.—Le cantique de Siméon.—Mme de Verneuil.—Visite du duc de Lorraine et de ses fils.—Goût du Dauphin pour les armes et les instruments militaires.—M. de Rosny.—Singulier langage qu'on tient devant l'enfant, et ses résultats.—Nouveau portrait fait au crayon par Decourt.—Le livre de Gesner sur l'histoire naturelle; le siége d'Ostende.—Portraits en cire de la Reine et du Dauphin faits par Paolo.—Le Dauphin part de Saint-Germain; son passage à Paris, à Savigny, à Villeroy, à Fleury; son arrivée à Fontainebleau.—Scènes avec le Roi et la Reine.—La poterie de Fontainebleau.—Caractère impressionnable de Henri IV; il blémit d'aise en embrassant son fils et le fouette lui-même.—Lit donné par M. de Rosny.—Concini.—Le P. Coton.—Costume d'été.—Goût de plus en plus développé pour la musique.—Le fou du Roi.—Tragédie anglaise représentée à Fontainebleau.—Statue du Dauphin faite par Guillaume Dupré.—Le danseur de corde.—Portrait au crayon fait par Mallery.—Accès facile des pauvres dans les cours du château.—M. de Favas et sa jambe de bois.—Scène avec le Roi.—L'épinette de M. de Saint-Géran.—Envoi à l'infante d'Espagne.—M. de Rosny et le service d'argent doré.—Journée de colère et ses suites.—Mlle de Guise.—M. de Vendôme indispose le Roi contre le Dauphin.—Singulières conversations.—Continuation de la colère du Roi.—Le lit de la Reine.—Le masque de Mme de Montglat.—Départ de Fontainebleau; passage à Melun, retour à Saint-Germain.—Arrestation du comte d'Auvergne.—La marquise de Verneuil et la comtesse de Moret viennent l'une après l'autre à Saint-Germain.—Arrivée du Roi; souvenir de la scène de Fontainebleau.—Le branle des navets.—Le Dauphin recommence à bégayer.—Moyens dont on se sert pour le faire obéir.—Lutte entre le Roi et son fils.—Le Dauphin valet du Roi.—Historiette du fils de M. de la Fon.—Le Dauphin quitte les lisières.—Remarques sur les antiquités de Rome.—Joujoux de Noël.—Le mari de la nourrice.—Audience des états généraux de Normandie.—Un joujou d'Italie.
Le 2 janvier, vendredi, à Saint-Germain.—Il reçoit la bourse des jetons du Roi apportée par M. Plassin.
Le 7, mercredi.—Le Roi, le vient voir et se joue à lui gaiement. On met le Dauphin en si mauvaise humeur qu'il fault de crever à force de crier, et tout fut en si grande confusion jusques à six heures que je n'eus point le courage de remarquer ce qu'il fit, sinon qu'il vouloit battre tout le monde, criant à outrance; fouetté longtemps après.
Le 8, jeudi.—Il va voir le Roi à dix heures et demie et va à la chambre de la Reine; à douze heures et demie dîné avec la Reine.
Le 9, vendredi.—A onze heures mené au Roi; dîné à deux heures[84] debout sur un placet[85]. Le Roi l'envoye querir en la chambre de la Reine pour voir Mme de Montpensier.
Le 10, samedi.—Mené au Roi en son cabinet; soupé à six heures avec le Roi.
Le 11, dimanche.—A douze heures et demie mené en la chambre du Roi; dîné avec le Roi et la Reine. A deux heures le Roi et la Reine s'en vont. Le Dauphin n'est plus couché les après-dînées.
Le 12, lundi.—Le Dauphin bégaye en parlant[86]; on
remarque que ce a été depuis deux jours auparavant,
Janv
 1604
quand le Roi, couché dans le lit, prenoit plaisir à le
faire railler avec le petit Frontenac, qui bégayoit. Il se
fâche quand il ne peut prononcer promptement.
Le 14, mercredi, à Saint-Germain.—A une heure et demie arrive Juan Hieronimo de Taxis, ambassadeur du roi d'Espagne qui vient prendre congé de M. le Dauphin. A cinq heures le Roi arrive, revenant de la chasse; il jette ses bras au col du Roi. A six heures et un quart, soupé avec le Roi; à sept et demie, en sa chambre, il chante la chanson qu'on lui avoit apprise: