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Journal de Jean Héroard - Tome 1: Sur l'enfance et la jeunesse de Louis XIII (1601-1610)

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Le 6, jeudi, au Louvre.—La Reine le mène à la messe à Saint-Jean en Grève. A trois heures mené à l'Arsenal; il voit tout et goûte dans le cabinet. M. de Sully lui baille cent écus, cinquante à Madame et ving-cinq à Mlle de Vendôme, rien à MM. de Verneuil.

Le 7, vendredi.—A dix heures arrive le cavalier Guidi, secrétaire du Grand-Duc, pour résider près de Leurs Majestés; il apporte au Dauphin des lettres du grand-duc, de la grande-duchesse et du prince de Toscane, Côme.

Le 8, samedi, voyage.—Mené chez la Reine, il prend congé, et à douze heures trois quarts part pour aller à Fontainebleau; goûté à demi-chemin de Longboyau; il arrive à Ris à cinq heures et demie, s'en va au jardin.

Le 9, dimanche, voyage.—A une heure il part de Ris; goûté au Plessis dans son carrosse; il arrive à Melun à cinq heures et trois quarts.

Le 10, lundi, voyage.—Mené à Saint-Père, à la messe; on lui montre le tableau de la belle Agnès et celui d'Étienne Chevalier, qui le donna en ce temps-là[475]; il semble tout frais, pour avoir été bien conservé. A douze heures et demie il entre en carrosse, et part de Melun pour aller à Fontainebleau, où il arrive à trois heures et un quart. Goûté; il prend du coffre de son petit carrosse une petite truelle et une auge d'argent, qu'il y avoit enfermés à son partement, va sur la petite terrasse de sa chambre, se met sur la maçonnerie.

Le 11, mardi, à Fontainebleau.—Il donne gaiement un écu à chacun des valets de pied et à ceux de la Reine qui l'avoient servi (ils étoient quatre); un écu Mars
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à chacun des cochers (ils étoient deux), et demi-écu à un garçon du cocher qui avoit été blessé à une main dans la forêt. MM. de Souvré, de Béthune et de Saint-Géran, qui l'avoient accompagné, s'en retournent. Amusé sur la terrasse à sa maçonnerie.

Le 12, mercredi, à Fontainebleau.—Éveillé à sept heures et demie, il s'amuse (dans son lit) à polir et travailler un visage en cire. Quatre grands garçons et portefaix, qui avoient aidé à transporter les meubles[476] et bagages, viennent le supplier de leur donner quelque chose; il les regarde, puis demande: Où est Mamanga? Je lui dis qu'elle étoit en son cabinet; il y va, et, s'arrêtant sur le pas du degré de la terrasse, il se retourne demandant: Combien êtes-vous? ils lui répondent: «Quatre.»—Bon, bon, et il s'en va au cabinet: Mamanga, je vous prie, dounez-moi quatre écus pour douner à ces portefaix qui ont porté mes meubles; ils sont quatre.—«Monsieur, dit-elle, combien leur voulez-vous donner?»—Quatre écus, Mamanga.—«Monsieur, n'est ce pas assez de deux?»—Hé! non, Mamanga, ils sont pauvres! Elle lui donne les quatre écus; il leur en donne deux, puis se retournant à Mme de Montglat: Maman, je vous prie, ne soyez point fâchée si je leur doune encore ces deux écus; en serez-vous point fâchée?—«Non, Monsieur.»—J'en suis bien aise, tenez; et il leur donne les deux écus fort gaiement.

Le 13, jeudi.—Bigneux, page de Mme de Montglat, revient de Moret, où elle l'avoit envoyé pour visiter Mme la comtesse de Moret, et lui dit que M. de Moret, son frère, lui baisoit très-humblement les mains: Mon frère! il Mars
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est pas mon frère; vous êtes un sot, je vous fairai donner le fouet, et pour chaque mot vous aurez vingt coups de fouet
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Le 14, vendredi.—Il s'amuse à faire faire des couleurs par un jeune peintre, écrit son exemple. Mme la comtesse de Moret le vient voir; il est mené à la Coudre[477] par le grand jardin et le village, d'où il demande d'aller à la mi-voie; il ne veut point entrer dans le carrosse de Mme de Moret, veut aller à pied. Ramené, il danse aux chansons, chante en concert: Frère Ambroise, etc.

Le 15, samedi, à Fontainebleau.—Je lui dis que le Roi m'avoit commandé d'aller voir M. de Moret et s'il lui plaisoit me donner congé? Il me demande: Où est-il?—«Monsieur, il est à Moret.»—Je veux pas.—«Monsieur, le Roi me l'a commandé.»—Je veux pas; allez-vous-en, vous êtes un méchant homme, ne revenez plus. Je m'en allai en ma chambre; quand je lui dis que c'étoit pour aller à Moret, il devint rouge comme feu. A six heures et un quart soupé; il me reproche que je suis son médecin et que je suis allé voir le petit Moret.

Le 19, mercredi.—Mené promener au jardin des canaux et des fruitiers, où il mène Mme de Saint-Georges pour lui montrer les autruches, et va lui montrant tout, comme fait le Roi aux nouveaux venus.

Le 20, jeudi.—Il va en la galerie des Cerfs, reconnoît le Louvre[478]: Ha! velà le Louvre qui est à Paris, c'est Paris qui est mon mignon; puis il reconnoît Saint-Germain-en-Laye avec allégresse. Il s'en va à la poterie; on lui demande ce qu'il veut: Attendez, j'y songe: Combien Mars
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vendez-vous cela?
dit-il en montrant la figure du Roi; on lui en demande trois écus; il commande de les bailler, prend l'effigie du Roi, l'embrasse, la donne à porter à sa nourrice, et revient à sa chambre[479]. M. Hubert, médecin du Roi, arriva pour M. de Verneuil, qui avoit la rougeole[480], le Dauphin me demanda ce qu'il venoit faire ici.—«Monsieur, lui dis-je, c'est pour me relever, il vient en ma place.» Rougissant et souriant, il se lève, me saute au col: Ha! vous vous moquez, je veux pas.

Le 22, samedi, à Fontainebleau.—Mme de Saint-Georges lui dit adieu, puis la petite Vitry, qui alloit avec elle; il la regardoit de bon œil en se souriant et étoit rouge. Il se fait presser de la baiser, le fait lui tendant la joue à son accoutumée, puis s'étant retiré il s'avance en sursaut et lui porte la main au sein. A six heures et un quart soupé; à sept heures il va au devant de la Reine, qui arrivoit, la rencontre au haut de l'escalier du donjon, la conduit en sa chambre, y est en attendant le Roi, qui étoit encore à la chasse du cerf, et le Roi ne venant point, il donne le bonsoir à la Reine.

Le 23, dimanche.—Il va donner le bonjour au Roi et Mars
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à la Reine, puis se va promener avec le Roi; dîné avec le Roi.

Le 24, lundi, à Fontainebleau.—Il va au jardin du Tibre y attendre le Roi, qui étoit allé se promener et voir ses ouvriers, va donner le bonjour à la Reine. Voulant donner un coup de chapeau à Soldat, l'un des chiens du Roi[481], le chien se jette sur lui, le surprenant; il en pleure. Le Roi le tance d'avoir eu peur, et lui dit qu'il ne faut avoir peur d'aucune chose; il lui répondit: C'est que je n'y pensois pas.

Le 25, mardi.—A six heures soupé avec le Roi; à dix heures dévêtu, mis au lit, il appelle la jeune Ventelet pour lui apprendre une chanson qu'elle savoit; il en apprend quelque chose. Soudain, elle lui dit: «Mon Dieu, Monsieur, quel esprit vous avez! Vous apprenez incontinent tout!» Il lui répond en se souriant: J'ai mon esprit fait comme les joues de Robert, le singe de papa; il fourre, il fourre tout dedans.

Le 26, mercredi.—Il va trouver le Roi en la chapelle basse du donjon[482], où il entend la messe, puis le suit en la chambre de la Reine, où, sous espérance de dîner avec elle, il demeura jusques à une heure, n'en voulant en aucune façon partir. Soupé avec le Roi.

Le 28, vendredi.—Éveillé à sept heures avec quelque inquiétude; il disoit avoir fait des songes qu'il ne vouloit pas dire, de peur de s'en souvenir et que cela ne l'empêchât de dormir la nuit suivante. En déjeunant Mars
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je lui demande ce qu'il avoit vu en songeant.—Un homme habillé de blanc.—«Monsieur, que vous a-t-il dit?»—Rien.—«Monsieur, que lui avez-vous dit?»—Qu'il étoit un sot, et n'en voulut dire autre chose.

Le 29 mars, samedi.—Il va trouver le Roi au jardin du Tibre, fait courir M. Birat après lui, tout à travers les parterres. Dîné avec le Roi; il va chez la Reine avec le Roi, puis en sa chambre. Mené par le bout de la galerie au jardin des canaux, il va après au grand Navarre, où il voit piquer des petits chevaux de M. de Vendôme; ramené, il va au jardin de l'étang, s'amuse à jardiner et à planter des pois; on ne l'en peut tirer. A cinq heures je dis à Mme de Montglat qu'il commençoit à faire froid: Ho! dit-il, je vois bien, mousseu Héroua n'est pas de mon côté? Ramené en sa chambre, il va peu après chez le Roi, y a soupé; bu du vin clairet du Roi, fort trempé; il avoit soif, il le trouve bon, mange du massepain, de celui du Roi, boit encore du vin clairet du Roi, un bon coup: Ha! qu'il est bon! il seroit bien meilleur s'il n'avoit point d'eau, qu'il fût bien rouge, bien rouge, dit-il avec action. Il y faudra prendre garde pour ce regard[483].

Le 30, dimanche, à Fontainebleau.—A dix heures et demie, M. le prince de Condé, MM. de Guise, de Joinville, d'Aiguillon le viennent prendre en sa chambre pour l'accompagner à la cérémonie des Rameaux, que le Roi voulut qu'il fît en sa place. Le tambour le prit au sortir de la chambre, à l'entrée de la terrasse; il marche en cérémonie et tenoit bien son rang, nullement étonné. Mis au lit, il veut que Bompar, son page, soit botté tous les matins pour aller apprendre à monter à cheval, au manége de M. Pluvinel; cela vient de son mouvement; il le menace du fouet s'il y fault.

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Le 31 mars, lundi.—Mené par le jardin des canaux au grand Navarre, voir piquer des chevaux, il fait monter son page à cheval; il rioit à plein poumon, et sur la fin Bompar étant sur le barbe de M. de Vendôme, il tomba à terre, dont le Dauphin se prit fort à rire. Ramené, il entend la messe en sa chambre, où M. de Giais[484] lui montre et lui donne un petit morceau de la mine d'argent trouvée, depuis six semaines ou deux mois, auprès de l'Islebourg en Écosse. M. le cardinal de la Rochefoucauld[485], qui le jour précédent avoit reçu le bonnet, assiste à sa messe.

Le 3 avril, jeudi saint, à Fontainebleau.—Il va chez le Roi, et l'accompagne au sermon et à la cérémonie du lavement des pieds, y sert le Roi et porte le pain; ce fut en la salle du bal[486]; puis le Roi le mène à la chapelle basse, à la messe.

Le 4, vendredi.—Il va au jardin des canaux, et revient à la grande source aux truites, où il s'amuse à regarder des poissons que le Comte Palatin avoit envoyés au Roi. Il va à la messe avec le Roi, porte à l'offrande l'écu du Roi, que M. le prince de Condé lui avoit apporté, puis le sien.

Le 5, samedi.—Mené à la salle du Cheval blanc, où il se confesse et entend la messe. Le Roi le mène au jardin de la Reine, où il court saute et tombe une fois, par la faute de sa robe, sans se blesser. A deux heures et demie il entre en carrosse, va à la chasse après le Roi, qui alloit au chevreuil, à la Vente au Diable. A souper il se prend à chanter: Qui veut ouïr une imparfaite, etc.

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Le 6, dimanche, jour de Pâques, à Fontainebleau.—Le Roi le mène à la messe; il le sert à la communion, qui lui fut administrée par M. le cardinal Du Perron; la messe achevée, le Roi allant toucher les malades[487] en la cour des Fontaines, le renvoie en sa chambre, d'où il regarde la cérémonie.

Le 7, lundi.—Il entre en carrosse pour suivre le Roi à la chasse au chevreuil, le voit prendre, est marri de le voir tuer aux chiens.

Le 11, vendredi.—Il va trouver le Roi, qui le mène au jardin des pins et des canaux, où il lui prend envie d'aller au grand Navarre voir piquer des chevaux, y voit courir la bague. Ramené aux jardins, il va ratteindre le Roi derrière le chenil; il montroit les jardins à M. de Joyeuse, dit Père Ange, capucin[488]; il ne veut retourner, suit le Roi au jardin du Tibre et à la salle du Cheval, ouïr la messe avec le Roi, puis va donner le bonjour à la Reine. M. de Joyeuse vient voir remuer M. le duc d'Orléans, lui donne sa chemise et prend congé du Dauphin pour s'en retourner à Rome. Il étoit père de Mme de Montpensier, mère de Mlle de Montpensier accordée à M. d'Orléans.

Le 12, samedi.—Il va à la chasse après le Roi, voit le cerf par deux fois. Mme la comtesse de Moret, étant dans son carrosse, sembloit venir à lui[489]; il dit soudain: Tournez, tournez, cocher! dret (droit) à Fontainebleau.

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Le 13, dimanche.—Dîné avec le Roi; ramené en sa chambre; à six heures et demie soupé. M. le cardinal Du Perron vient à son souper; il le fait asseoir; aussitôt que le Dauphin eut soupé il s'en va à la galerie; Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, vous n'avez pas dit adieu à M. le cardinal Du Perron.»—Vient-y pas?—«Non, Monsieur.»—C'est qu'il est comme une fille, il craint le serein. Un écuyer du Roi étoit demeuré avec ledit sieur cardinal, le Dauphin demande: Où est l'écuyer? il est une fille comme lui.—«Monsieur, lui répond Mme de Montglat, c'est son écuyer.»—Ho! ho! non, il est à papa, mais c'est que ses aumôniers sont ses écuyers.

Le 14, lundi, à Fontainebleau.—Il trouve sur la terrasse près de sa chambre un petit mercier, achète demi-douzaine d'agrafes de verre blanc lui ayant plu; il eût volontiers acheté toute la boîte. Il va chez le Roi, où il joue au hoc[490] contre Mme la princesse de Conty, qui se laisse perdre trois ou quatre écus.

Le 16, mercredi.—Il va en la galerie, se joue, vient où nous dînions, y prend un cornet d'oublie qu'il mange, puis s'en retourne en sa chambre pour y entretenir maître Guillaume Dubois, poëte de M. de Roquelaure (il n'étoit pas bien sage), et avant que partir prie Mme de Montglat de lui faire donner à dîner; il en avoit compassion, l'on ne y pensoit point.

Le 17, jeudi.—Mené chez le Roi; M. de Verneuil étoit près du Roi; il approche, et, le tirant par le bras, il lui dit: Otez-vous de là; c'étoit pour y faire approcher Madame. Le Roi l'en tança, y fait demeurer M. de Verneuil, et le chassa. Il se retire à l'écart, et se met à pleurer; M. le Grand fit la paix.

Le 20, dimanche.—Mené au jardin des pins, il y fait mener son petit carrosse rouge, et y fait mettre dedans Mistaudin, petit nain du jeune Liancourt, le fait tirer Avr
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par tout le jardin, par M. le Chevalier, et lui et M. de Verneuil sont les valets de pied. Mistaudin commande: Je veux aller à Paris ou autre part, et les nomme par leurs noms: valets de pied.

Le 22, mardi, à Fontainebleau.—On lui amena pour lui faire la révérence MM. de Mortemart[491], l'un âgé de sept ans et demi et l'autre de six ans et demi, et comme on lui dit que demain matin ils viendront à son lever, il dit: Non, il nous faut faire devant deux tours de galerie; c'étoit pour y courir et s'éprouver à la course. Il se mesure avec eux, se trouve plus grand, puis les mène à la galerie, où il les fait courir avec lui, et les gagna de beaucoup. Il va par la galerie au jardin des pins, revient par l'allée du chenil, regarde les compagnies entrer en garde, voit un goujat monté sur un bidet, lui demande: A qui est ce cheval? et lui ayant répondu que c'étoit à un soldat: Il ne faut pas que les soldats ayent de chevaux; c'est pour les capitaines. Dîné avec le Roi; il va chez la Reine, et se jouant à Soldat[492], un turquet du Roi, il en fut un peu mordu. Mené aux toiles, où il voit prendre un sanglier.

Le 24, jeudi.—M. de la Trimouille, âgé de quatre ans, lui fait la révérence, présenté par Madame sa mère[493]. Mme de Montpensier visite M. d'Orléans et lui mène sa fille, âgée d'environ trois ans. Il lui fait bonne chère[494], lui rit, Avr
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la baise, l'embrasse, et lui donne une petite nourrice de poterie[495] qu'il tenoit, le lui ayant dit.

Le 25, vendredi.—A sept heures trois quarts, la Reine commença à sentir les douleurs pour accoucher; j'en revenois, et lui demandai (au Dauphin): «Monsieur, voilà maman qui est en travail pour accoucher, qu'aimeriez-vous mieux, ou un frère, ou une sœur?»—Un frère.—«Monsieur, pourquoi?»—Parce que ce sera un autre serviteur pour papa, et puis on fera tant tirer le canon. A neuf heures et demie la Reine accouche de Mgr le duc d'Anjou[496], et fort heureusement, n'ayant eu qu'une seule tranchée de forte, et l'enfant grand, fort et bien nourri et ayant la voix fort grosse. Le Dauphin entend sur la fin de son déjeuner tirer des arquebusades, il se prend à sauter avec transport d'allégresse, disant: Ho! maman est accouchée! On lui demande: «Monsieur, que pensez-vous que c'est?»—Attendez! il y faut songer; ce est un frère, j'en suis bien aise, nous sommes à c'theure trois. Il va chez le Roi et au grand cabinet de la Reine, voit mondit Seigneur que l'on pansoit, met ses deux mains sur les flancs et le considère froidement; il ne le voulut baiser. Il va voir la Reine, puis va avec le Roi au Te Deum. Il regarde, des fenêtres de la galerie, courir la bague en la cour du Cheval. Mis au lit, il s'amuse à faire des empreintes de gravures[497], me demande la mienne, qui étoit d'un Hippocrate en cornaline antique; je lui en retire une en cire blanche, il me commande de lui en rogner les bords jusques au visage. Je Avr
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lui dis: «Monsieur, je gâterai tout.»—Ho! vous ne sauriez rien gâter, vous êtes bon sculpteur.

Le 26 avril, samedi, à Fontainebleau.—Il s'amuse à faire des empreintes de mon lion et de mon Hippocrate[498]; MM. de Mortemart entrevenant à son lever, il en est fâché, entre en mauvaise humeur et en querelle avec Mme de Montglat. Elle lui dit que sa mauvaise tête lui feroit donner le fouet: Je voudrois que vous eussiez ma mauvaise tête, et je vous donnerois le fouet. Levé, vêtu, il va à l'entrée de la galerie où étoient ses petits chiens d'Artois, et, les caressant, dit: Ha! je voudrois que vous peussiez manger Mamanga; mais ne lui dites pas, dit-il à M. de Ventelet et à son aumônier, qui l'avoient entendu. Il fait apporter ses armes, va en la galerie, fait sa compagnie comme il avoit fait d'autres fois, et fait armer MM. de Mortemart; M. le Chevalier étoit le capitaine. Il y étoit si attentif que Mme de Montglat ne l'en sut jamais divertir pour aller assister au baptême, sans les cérémonies, de Mgr le duc d'Anjou. Ce fut en sa chambre, proche de la terrasse de la galerie lambrissée qu'il fut baptisé par M. le révérendissime [cardinal de Bonzi] évêque de Béziers, grand aumônier de la Reine, à deux heures après midi, y étant Madame, Mme de Montpensier, Mme de Guiercheville, dame d'honneur de la Reine.

Le 27, dimanche.—Vêtu d'une saye[499] que la Reine lui fit faire, il ne veut point que l'on mette des plumes à son chapeau, y fait mettre une laisse. Le Roi le mène aux toiles, où il voit prendre une laie et une douzaine de marcassins presque tous en vie.

Le 30, mercredi.—Comme il alloit trouver le Roi, il rencontre M. le Grand, retourne arrière, et le mène Avr
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chez lui pour lui montrer ses chiens; c'étoient deux petits chiens d'Artois. Il leur fait courir le marcassin dans la galerie, va après courant, et toute cette noblesse qui étoit avec lui. Dîné avec le Roi.

Le 1er mai, jeudi, à Fontainebleau.—M. le Chevalier se moquoit de quelqu'un, et lui montroit le personnage; il lui dit: Taisez-vous, féfé Chevalier, il faut point regarder les personnes quand on se moque. A neuf heures et demie dévêtu, mis au lit, il s'amuse fort gentiment à entretenir des gentilshommes qui étoient à son coucher, raille avec eux sérieusement, gracieusement; comme s'il n'avoit jamais fait autre chose et toujours vécu privément avec eux.

Le 2, vendredi.—Le Roi le mène promener au jardin, où, lui montrant Mme la comtesse de Moret: «Mon fils, j'ai fait un enfant à cette belle dame, il sera votre frère;» il se retourne honteux, disant: C'est pas mon frère. Dévêtu, mis au lit, il s'amuse à entretenir la noblesse; entre autres il faisoit bonne chère au fils aîné de M. de Sourdéac[500], il l'appeloit: Petit jeune.

Le 3, samedi.—A huit heures et demie levé, il essaye un pourpoint et des grègues de satin, saute, gambade; il y a de la peine à lui faire quitter, tant qu'on lui dit qu'il y avoit quelque chose à raccoustrer. A onze heures et demie dîné; bu de la tisane de réglisse de M. de Vendôme, qu'il avoit fait tenir en sa chambre tout le long de son dîner, sans lui vouloir permettre d'aller avec Mlle de Vendôme[501]; aussitôt qu'il eut achevé, lui ôtant son chapeau: Allez, allez-vous-en dîner. Le Dauphin prend Mai
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son petit carrosse rouge, s'assied à la place du cocher, y attelle Bajordan, Villereau, Saint-Privat, pages du Roi en la grande écurie, et Décluseaux, et se fait traîner par la chambre.—Il y avoit quatre ou cinq jours qu'il lui fut donné deux petits chiens que l'on avoit trouvés; il les fit mettre, pour les nourrir, à sa fourrière et les aimoit fort. Celui qui les avoit perdus, l'ayant su, vint trouver le Dauphin, lui dit qu'il étoit fort aise que ces deux chiens lui avoient été donnés; qu'ils étoient à lui, qu'il les avoit perdus, qu'il les aimoit fort, mais que s'ils lui étoient agréables, il lui feroit beaucoup d'honneur de les recevoir en don. Le Dauphin l'écoute froidement, et ayant achevé, lui demande: Sont-ils à vous? Il répond que oui.—Qu'on les y rende, dit le Dauphin gravement, doucement, et n'en voulut plus. A six heures et demie il va chez la Reine[502].

Le 4, dimanche, à Fontainebleau.—Il va donner le bonsoir à la Reine, et prendre le mot pour le donner aux gardes. Avant que s'endormir il demanda à M. de Drouet, capitaine aux gardes, qui étoit venu prendre le mot: Où êtes-vous en garde?—«Monsieur, à la porte du donjon.»—Et l'autre compagnie?—«Monsieur, à la porte des cuisines.»—Qui est le capitaine?—«Monsieur, c'est Campagnols.»—Où est-il?—«Monsieur, il est à Boulogne, dont il est gouverneur.»—Et son lieutenant, est-il ici?—«Non, Monsieur, il est malade à la garnison.»—Et son enseigne?—«Monsieur, il est allé à sa maison.»—Et son sergent?—«Monsieur, il est ici.»—Pourquoi n'est-il venu prendre le mot? Il fit toutes ces demandes pour venir à cette dernière.—«Monsieur, les sergents ne le prennent point quand il y a des capitaines; je le leur donnerai à tous.» Il se contenta de cela.

Le 5, lundi.—Il fait son exemple; Beaugrand, écrivain du Roi, lui montre à écrire.

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Le 6, mardi, à Fontainebleau.—Il écrit une lettre au Roi, par commandement de la Reine, comme il s'ensuit, sans trace, mais entre deux lignes de règle et fort bien:

Papa, maman m'a commandé de vous escrire pour vous remercier en son nom de la peine que vous prenés de luy faire scauoir de vos nouuelles, maintenant qu'elle ne vous peut mander des siennes; elle se porte bien et se resiouit de ce qu'elle vous verra jeudy, et vous baise tres-humblement les mains et moy aussi, qui suis bien sage et tousiours, mon papa, vostre tres-humble et tres-obeissant fils et seruiteur.

Loys.

Et pour suscription: «à Papa».

Mené au jardin des pins, puis en celui des canaux, et voir le manége qui se faisoit au logis de Jamin, et après au jardin des fruitiers. Il va en son petit jardin, s'amuse à bêcher, baille des outils à d'autres, leur disant: Travaillez, ou je vous battrai. Ramené, il va chez la Reine; il fait lui demander de l'argent, car jamais il n'en vouloit demander; il craignoit le refus. La Reine l'appelle: «Mon fils, voulez-vous de l'argent?»—Oui, s'il vous plaît, maman. La Reine lui fait donner trois doublons, et lui demande: «Mon fils, qu'en ferez-vous?»—Je les dounerai à mon petit jardinier.—«Mais, mon fils, lui donnerez-vous tout?»—Oui, maman, car il faut une serrure à mon jardin, puis il y a un an qu'il travaille à mon jardin. Ramené à sept heures et un quart en sa chambre, soupé. Mme la princesse de Conty faisoit un ballet pour danser devant la Reine; il disoit en soupant: La femme du singe à papa est morte; je prendrai la peau, puis je m'en irai. Je monterai sur une fenêtre et puis je me jetterai dans le ballet, et puis ils seront bien étonnés. Il racontoit cela à Madame, sa sœur.

Le 7, mercredi.—Mme la princesse de Conty devoit danser un ballet en la chambre de la Reine, puis venir en la sienne; on lui propose de faire préparer une collation de petites pièces qu'il avoit prises en la poterie. Mai
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Attendant le ballet il se jouoit avec les filles de la Reine, surtout avec Mlle de Fonlebon, se jetoit sur elle à corps perdu, la couchoit à terre. Le ballet arrive; c'étoient: Mme la princesse de Conty, Mlle de Vendôme, Mme la comtesse de Moret, Mme de Vitry, fille de Mme de Montglat, Mlle de Liancourt, M. de Vendôme, M. le Chevalier et le fils de M. de Liancourt. Le ballet fini, on danse les branles, il ne veut point danser, et regarde; M. de Vendôme conduisoit le branle. Il lui prend une humeur de danser, se jette dans la danse au-dessous de M. de Vendôme, et prend Mme la comtesse de Moret à la main gauche; M. de Vendôme la menoit à sa droite; M. de Vendôme lui dit: «Monsieur, prenez votre rang.»—Mon rang est partout! Il mène Mme de Guise, qui fut suivie des autres du ballet, à sa collation, et de rire et de faire des exclamations: c'étoient des petits chiens, des renards, des blaireaux, des bœufs, des vaches, des écurieux, des anges jouant de la musette, de la flûte, des vielleurs[503], des chiens couchés, des moutons, un assez grand chien au milieu de la table, un dauphin au haut bout, un capucin au bas.

Le 9, vendredi, à Fontainebleau.—Il fait courir ses chiens après le Robert du Roi[504].

Le 10, samedi.—A onze heures mené au Roi, qui revient de Paris.

Le 14, mercredi.—Levé à huit heures et un quart, il s'assied à terre, disant: Je ne sais que j'ai, mais je suis pas malade, tâche de se jouer à son petit chien, qu'il se fait bailler. A huit heures et demie remis au lit, il se prend à vomir à deux diverses fois, et dit: Je suis guéri. La bonne couleur lui revient, la gaieté; il demande ses petits jouets d'argent, les fait nommer par M. du Buisson, Mai
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exempt des gardes, qui les nomme en bourguignon qu'il étoit; le Dauphin en rit à bon escient[505]. A sept heures (du soir) le Roi arrive, et l'éveille; il lui saute au col, en est tout réjoui. Le Roi lui dit: «Mettez-vous sur le cul que je le voie;» il se plante sur les deux bras, et montre tout le derrière du corps.

Le 15, jeudi.—Éveillé à sept heures, il s'entretient du loup que, sur les cinq heures, le Roi avoit pris dans le parc. A neuf heures et un quart il demande à faire son lit; levé, gai, peu après qu'il étoit assis auprès du feu, vomi. Remis au lit, M. le baron de Portes[506] le vient voir; le Dauphin dit gaiement: Ha! veci la porte de ma chambre; mais cela est bien étrange de voir parler une porte. A quatre heures et demie on lui parle de prendre un clystère; cela ne lui plaît point. On l'en presse, il tempête: J'aime mieux mourir. On le menace du Roi, qui venoit; il s'arrête. Enfin, un quart d'heure après toute contestation, M. d'Épernon arrive, qui lui dit: «Monsieur, voilà le Roi.» Soudain il se retourne: Hé! donnez-le moi, et le prend tout: et là-dessus le Roi entra, et y fut jusques à cinq heures et demie[507].

Le 16, vendredi.—Il demande: Mamanga, je vous prie, envoyez-moi querir quelque petit mercier pour me jouer. M. Birat va au bourg, fait venir un Marseillois qui avoit un instrument fait à Nuremberg, en forme de cabinet, où il y avoit grand nombre de personnages faisant diverses actions, par le mouvement du sable au lieu de l'eau. L'instrument arrivé, il se y amuse, et incontinent comprend les moyens pour faire jouer le sable et le faire arrêter, en parle en mêmes termes qu'il avoit Mai
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ouï nommer au Marseillois, comme contrepès, pour contrepoids. M. de Ventadour et M. de Montespan[508] font tout ce qu'ils peuvent pour le persuader de l'envoyer montrer au Roi et le supplier de le lui donner. Il ne leur répond rien, d'autant qu'il avoit entendu que ce pauvre homme en gagnoit sa vie. Le désir de l'avoir, la crainte qu'il avoit d'en importuner le Roi et la charité envers ce pauvre homme combattoient en lui; enfin M. de Montespan, capitaine des gardes, le presse tant, et s'offre d'en aller supplier le Roi, qu'il dit oui, mais assez froidement et comme par contrainte. M. de Montespan en revient, et dit: «Monsieur, le Roi le vous donne.»—Est-il payé? Amusé fort gaiement à cet instrument, où étoient la prinse de Jérusalem et la Passion. Le Roi fait marchander et offrir six écus pour vingt-cinq; il envoie M. le Chevalier pour l'en dégoûter. La Reine l'envoie donner, et promet de les payer[509]. Le Dauphin eut pitié de ce pauvre homme: Mamanga, je vous prie, faites donner à ce pauvre homme la moitié d'une sole, la moitié d'une carpe, et un pain; il n'a point mangé d'aujourd'hui.

Le 17, lundi.—Il s'amuse à l'instrument du jour précédent, que la Reine lui avoit donné et payé vingt écus, dont le Roi fut fâché, disant qu'elle le gâtoit; il le montre à ceux qui le viennent voir et le conduit lui-même.—Mmes de Montpezat[510] et du Peschier[511] viennent à son souper. Mme du Peschier voyoit qu'il la regardoit fixement, et dit: «Je vois bien que Monsieur me fait l'honneur de m'aimer, puisqu'il me regarde ainsi.» Mai
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Le Dauphin dit tout bas à l'oreille de sa nourrice: C'est qu'elle ressemble à Robert, le singe à papa: elle avoit les épaules voûtées; puis quand elles furent parties, il le dit tout haut en la nommant. On lui demande: «Monsieur, à qui ressemble Mme de Montpezat?»—Au sapajou de maman, elle a une petite tête et un petit nez: il étoit vrai[512].

Le 18, dimanche, à Fontainebleau.—M. de Vic, gouverneur de Calais, le vient voir; il étoit botté et éperonné d'un côté, d'autant qu'il avoit une jambe de bois: Il vous faut mettre, lui dit-il, un petit éperon à cette petite jambe, tout au bout. Il va donner le bonjour à Leurs Majestés; ramené, il s'amuse à peindre, fait bien, judicieusement, se y arrête; il avoit fait venir un Allemand qui étoit au petit M. de Liancourt, pour lui montrer. A six heures et un quart il va en son cabinet; cependant qu'il est empêché, on heurte à la porte; il commande à Descluseaux de demander qui c'est: Vous l'entendrez bien à la voix, je veux que personne entre.—«Monsieur, ne voulez-vous pas que personne entre?»—Hé! oui, féfé Chevalier.—«Et M. de Vendôme?»—Non.—«Et pourquoi?»—Il n'est pas si cognu; il vouloit entendre si ordinaire auprès de lui. Descluseaux lui dit: «Mais, Monsieur, ils sont vos frères.»—Ho! c'est une autre race de chiens.—«Et M. de Verneuil?»—Ho! c'est encore une autre race de chiens.—«Monsieur, de quelle race?»—De madame la marquise de Verneuil; je suis d'une autre race, mon frère d'Orléans, mon frère d'Anjou et mes sœurs.—«Laquelle est la meilleure?»—C'est la mienne, puis celle de féfé Vendôme et féfé Chevalier, puis féfé Vaneuil et puis le petit Moret, qu'il ne voulut jamais appeler comte. C'est le dernier, il est après ma mede que je viens de faire. Dévêtu, mis au Mai
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lit, il raille avec des gentilshommes qui étoient à son coucher, leur donne des noms, demande à M. le baron de Portes: D'où êtes-vous? Il répond: «De Languedoc.»—De langue de chien.

Le 24 mai, samedi, à Fontainebleau.—L'ambassadeur d'Angleterre, M. Georges Cheruth, le vient voir pour lui dire adieu, ayant avec lui sa femme et un petit-fils nommé François, âgé de sept ans et demi, fort joli esprit, qui supplie Mgr le Dauphin qu'il pût être son soldat. Il le mène en la galerie où il le fait mettre debout sur le cul du petit carrosse, et lui fait le cocher assis et fait tirer le carrosse; il lui demande s'il étoit huguenot, sur ce que lui en venoit de dire M. de Verneuil. Il répond que M. le prince de Galles, son maître, étoit de la religion de ceux que l'on nommoit ainsi, et qu'il en étoit aussi.—En soupant il entretient M. de Vic, gouverneur de Calais, qui avoit une jambe de bois, lui demande: Pouquoi n'avez-vous fait faire un éperon à vote jambe?—«Monsieur, pource qu'il ne me serviroit de rien.»—Pouquoi?—«Monsieur, pource que ma jambe qui est de bois ne plie point.»—Il y faut mettre une cheville sous le genoil, et puis elle fera chac, faisant plier son doigt sur la table.

Le 25, dimanche.—Il va chez le Roi, qui le mène à la messe, puis, à onze heures et un quart, en la salle du bal; dîné avec lui; le Dauphin se jouant de la manche de sa robe avec Soldat, chien du Roi[513], le chien aboyant sur lui feint de le mordre; le Roi l'en tance pensant qu'il battoit le chien. Il pleure pour avoir déplu au Roi. Le Roi s'en fâche, et le mène par la main en sa chambre; il la quitte pour aller à Mme de Montglat; le Roi s'en fâche, le menace du fouet; tout soudain il se jette à genoux, demande pardon. Le Roi s'apaise.

Le 26, lundi.—Il dit à M. de Vic: Avez-vous fait faire une cheville à vote jambe pou la faire plier?—«Non, Mai
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Monsieur.»—Il y faut faire mettre une petite roue pour la faire plier, puis une cheville pour l'arrêter. Voulez-vous courir contre moi dans la galerie? Je vous donnerai cinquante pas. Il va dire adieu au Roi, qui alloit à la chasse, et puis en la chambre de la Reine.

Le 27 mai, mardi, à Fontainebleau.—En dînant il demanda à M. de Ventelet quand il mangeroit du poisson?—«Monsieur, ce sera après-demain.»—Et demain?—«Non, Monsieur, encore que ce soit les quatre-temps.»—Ho! ho! les quatre temps! est-ce pluie, est-ce l'éclair, est-ce tonnerre, est-ce la grêle? A six heures et demie soupé; il entend le tambour des gardes: Velà papa qui revient; il y va soudain, et le rencontre au bas de l'escalier de la cour des Fontaines, revenant de la chasse, et le mène en sa chambre.

Le 28, mercredi.—M. le maréchal de la Châtre le vient voir, lui donne sa chemise. A onze heures dîné; un fauconnier y vient portant un autour d'Inde, qui avoit une huppe noire sur la tête, envoyé d'Espagne par le sieur de Barrault, ambassadeur pour le Roi; il étoit gros et fort comme un aiglon. Le Dauphin dit: Il a la tête faite comme la jeune de Lisle, qui l'avoit grosse et carrée, et le nez long; il étoit ingénieux à ces rencontres. Il entretient en soupant maître Martin[514] de tous ses chiens, sait ou demande leurs noms, ce qu'ils savent faire, comme il dresse les jeunes; ce fut presque tout le long de son souper comme une grande personne bien entendue, parlant en termes propres et avec grâce. Mené à sept heures trois quarts chez le Roi, revenant de dîner à Villeroy.

Le 6 juin, vendredi, à Fontainebleau.—Il est vêtu d'un pourpoint et de chausses, quitte l'habillement d'enfance, prend le manteau et l'épée, c'étoit celle que feu M. de Lorraine lui avoit donnée. Son habillement étoit de satin incarnat avec du passement d'argent. Juin
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M. de Verneuil fut habillé de même. Il va ainsi habillé voir le Roi et la Reine.

Le 11 juin, mercredi.—Il va voir la Reine (le Roi étoit parti pour aller à Paris), prend congé d'elle (elle alloit rejoindre le Roi). Il écrit une lettre à M. de Sully pour avoir un cheval pour Descluseaux; on le faisoit écrire selon leur passion. A six heures le Roi est revenu, ramené par la chasse; soupé avec le Roi chez M. Zamet.

Le 16, lundi.—J'arrive de Vaugrigneuse[515]; il me mène pour me montrer son manteau et sa croix dessus. J'avois feint de ne le connoître avec son habillement.

Le 23, lundi, à Fontainebleau.—A quatre heures il entre en carrosse pour aller au-devant du Roi, qu'il rencontre au haut du pavé, à l'entrée de la forêt, et revient avec lui à cinq heures, lui donne sa chemise. Après souper il va en la basse-cour, y fait tirer des fusées, puis à huit heures et demie il a mis le feu au bûcher de la Saint-Jean; après il va au-devant de la Reine, la salue au pied de l'escalier du donjon, salue Mmes de Martigues, de Mercœur et Mlle de Mercœur; il va en la chambre de la Reine, où il se joue devant Leurs Majestés. Mis au lit il se fait entretenir, dit: Quand j'aurai quatorze ans, on parlera de me marier, pource qu'il avoit entendu dire que l'on parloit de marier M. de Vendôme avec Mlle de Mercœur[516], pource qu'il avoit quatorze ans. Là dessus nous lui parlons de l'Infante, lui en faisons des contes; il y prend plaisir, et entr'autres il dit: Faites-moi le conte des ambassadeurs. C'étoit un conte que l'on lui faisoit de l'Infante, qui jouant aux ambassadeurs qui venoient de toutes parts à elle faisoit la Reine; elle fit asseoir et couvrir celui du Dauphin.

Le 24, mardi.—Il va à la messe en la salle du Cheval, après va donner le bonjour à la Reine, qui lui donna un Juin
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laquais qu'elle avoit fait habiller; c'étoit un petit garçon gueux, que les laquais faisoient danser et en faisoient leur bouffon, plein de poux, natif d'Orléans; ce fut son premier laquais. Il essaye à ses chiens, Pataut et Lion, des harnois que M. Conchino lui avoit donnés pour leur faire tirer son petit carrosse. A six heures, en la salle du bal, soupé avec le Roi; il va chez la Reine avec le Roi.

Le 26 juin, jeudi.—Il demande ses armes, mousquet, bandoulière et tout l'équipage, fait armer toute sa compagnie, y joignant plusieurs pages de la petite écurie, marche ainsi sur la terrasse, le tambour battant, et va à la salle du bal; c'étoit le tambour de la compagnie qui étoit en garde. Ils se rangent en haie, puis marchent, vont à la charge; le Roi et la Reine y viennent pour les voir, M. de Sully et M. de Villeroy[517] avec eux. Après plusieurs revues et salves d'arquebusades[518], il s'adresse à M. de Sully, surintendant des finances, et lui demande de l'argent pour faire la paye de ses soldats; il lui donne un sol; le Dauphin le prend, et voyant qu'au lieu d'un doublon ce n'étoit qu'un sol, il le regarde en colère et jette le sol au loin, disant: Je veux paye royale. Il fait encore en présence de LL. MM. une revue et une salve, par commandement du Roi, puis se retire en bataille en sa chambre.

Le 27, vendredi.—La Reine lui demanda s'il seroit marri quand il ne seroit plus avec Mamanga, il répond: Non.

Le 2 juillet, mercredi, à Fontainebleau.—Bagot, artillier du Roi, étoit sur la petite terrasse jetant des fusées; il les regardoit à travers la vitre de sa chambre, monté sur un placet[519] sur lequel je le tenois, et se retournant Juil
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vers moi dit gaiement: Ha! Mousseu Héroua, que j'aime cette senteur: il aime l'odeur de la poudre.

Le 3, jeudi.—Mené à la salle du bal, aux comédiens entre lesquels étoit Colas, cet admirable sauteur, qui montoit sur une échelle droite, à niveau, sans l'appuyer, et tomboit tout du long à culbutes sans se blesser.

Le 5, samedi.—Il joue une comédie, au passage de l'entrée de la galerie, hardiment, avec M. le Chevalier et MM. de Mortemart. A trois heures goûté; il va jouer encore au même lieu une comédie; il fait le soldat françois.

Le 8, mardi, à Fontainebleau.—A onze heures dîné avec le Roi; il tonnoit et éclairoit; il en avoit peur, baissoit son chapeau du côté des fenêtres, faisoit des signes de croix, et, assurant tant qu'il pouvoit sa contenance, disoit que ce n'étoient que des flambeaux. A trois heures goûté, il va à la comédie.

Le 9, mercredi.—Il s'entretient de ses chiens, dit qu'il a six chiennes pleines et qu'il les a mariées. Je lui dis qu'il auroit bien des accouchées. Il appelle M. de Candale, et lui dit à l'oreille: J'ai un chien qui a fait un autre chien cocu; il a couché avec sa femme la chienne, mais ne le dites à personne; dites-le à mousseu Héroua, il n'y a point de danger.

Le 10, jeudi.—Il va en la galerie, où il se joue en diverses façons, fait brûler de la poudre, se jette dans la fumée pour la humer, dit que cette odeur lui plaît. A trois heures goûté, mené à la comédie.

Le 11, vendredi.—Il ne veut point aller à la comédie, ne s'y plaît point, ne aux bouffons.

Le 14, lundi.—Déjeuné à la fenêtre de la galerie, regardant courir la bague. M. de Vic, gouverneur de Calais, étoit à son souper; il raille avec lui, lui demande pourquoi il est botté, lui dit qu'il courroit avec lui s'il vouloit courir à cloche-pied[520].

Juil
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Le 15, mardi, à Fontainebleau.—Il va donner le bonjour à la Reine, où je la remerciai de ce que, le jour précédent, elle m'avoit fait l'honneur de faire résoudre au Roi que je demeurerois premier médecin de Monseigneur le Dauphin. Il va en sa chambre; l'on parloit de le retirer des mains des femmes et de lui ôter tous ses serviteurs; M. de Verneuil lui dit: «Mon maître, l'on dit que on veut faire prendre de la casse à tous vos serviteurs»; il répond: Paix! paix! sans le regarder ne faire semblant de l'entendre, avec un visage fâché.

Le 16, mercredi.—Soupé en la galerie; il va chez le Roi, où le contrat de mariage entre M. de Vendôme et Mlle de Mercœur fut signé et eux fiancés.

Le 17, jeudi.—Mené chez la Reine, là où le Roi lui baille son chapeau de castor, lui commandant de l'apporter à Armaignac, premier valet de chambre du Roi, et lui rapporter un chapeau de taffetas; le Dauphin y va courant avec ardeur, et ne veut point retourner[521] sans le chapeau de taffetas, qu'il apporta au Roi. Mené en la grande salle, à la comédie.

Le 18, samedi.—M. de Souvré lui dit que le fils du duc de Wittemberg le doit venir voir; il demande: Est-il plus que moi!—«Oui, Monsieur, car il est plus âgé que vous, c'est un prince d'Allemagne.» Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, il est prince comme vous». Le Dauphin mangeant une cerise, et ayant songé dit: Je suis plus que lui en France, et il est plus que moi en Allemagne. A trois heures trois quarts le prince de Wittemberg le vient saluer, revenant de Poitiers et en dessein d'aller après en Angleterre, pour s'en retourner après séjourner à Alençon, dont le duché étoit engagé à son frère.

Le 19, samedi.—Les violons viennent en sa chambre; Madame, Mlle de Vendôme et MM. de Mortemart dansent, il ne veut point danser, n'aime point la danse. Don Pedro Juil
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de Toledo[522] arrive sur les sept heures par la chaussée, traverse la cour du Donjon, et, par le jardin de la Reine, va loger à la Conciergerie.

Le 20 juillet, dimanche, à Fontainebleau.—Don Pedro de Toledo le vient saluer, lui baise la main, et lui dit qu'il est bien aise de voir qu'il est si beau et gentil prince, et prie Dieu qu'il le fasse prospérer. M. de Souvré, gouverneur du Dauphin, fit la réponse pour lui.

Le 21, lundi.—Soupé avec impatience pour aller aux toiles; à six heures et demie mené aux toiles: il étoit âpre à la chasse, où il vit tuer un sanglier.

Le 22, mardi.—Le sieur Jacob, ambassadeur du duc de Savoie, le vient saluer de la part de son maître, lui baise les mains et lui offrant, pour témoignage de l'affection que son maître avoit à le servir, sa personne et celle de ses enfants. Mené chez le Roi aux fiançailles de M. de Vendôme et de Mlle de Mercœur[523].

Le 25, vendredi.—A neuf heures et un quart, sur le parepied [sic] de la terrasse de la basse cour du Cheval blanc, déjeûné. Il va en sa chambre, fait dresser les toiles, dit à M. de Nangis, qui étoit capitaine des toiles: Vous serez aussi capitaine des toiles de ma chambre. Il y met des chiens de poterie, des blaireaux, des loups.

Le 30, mercredi.—Il se joue des marmousets de Mlle de Vendôme, et entre autres d'un marmouset fait en singe; le Roi le vient voir, lui dit que ce singe ressemble à M. de Guise; peu après M. de Guise arrive, et lui demande: «Monsieur, qu'est cela?»—C'est votre ressemblance.—«Comment le savez-vous?»—Papa le dit. A six heures le Roi et la Reine sont partis pour aller souper à Loursine et coucher à Paris.

Le 31, jeudi.—Il va en la chambre du grand pavillon, Juil
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où souloit loger M. le Grand; l'on y porte son lit, à cause de l'extrême chaleur. Il s'amuse à considérer les peintures en la galerie des chasses, les différences et les personnes qui y étoient peintes au naturel, des chefs principalement[524].

Le 2 août, samedi, à Fontainebleau.—Baigné pour la première fois, mis dans le bain et Madame avec lui; il se frottoit avec des feuilles de vigne.

Le 3, dimanche.—Il vient au jardin avec son petit carrosse, le mène en la chambre des statues, où j'étois logé. Mené au jardin des canaux: Allons, dit-il, au jardin des gazelles, cueillir des groseilles. Est-ce pas bien rimé?—Étant sur la terrasse, il voit beaucoup de femmes qui suivoient Madame, qui se retiroit en sa chambre; n'ayant auprès de lui que M. de la Court, M. de Ventelet et moi, il dit: Hé! velà tout plein de monde qui suit ma sœur, et n'y a personne avec moi.

Le 4, lundi.—Il vient en ma chambre, où il s'amuse, ne se peut mettre à l'écriture; enfin il se y met. Beaugrand, son écrivain, dit: «Silence.»—Hé! oui, silence; allez-vous en à Paris querir six lances.

Le 6, mercredi.—Pendant son dîner, M. d'Orléans s'engoua du bout d'un os; Mme de Montglat lui met le doigt en la bouche, et le fait un peu vomir. Il le voit: Allez laver vos mains. Elle y va, et revient.—Ne me touchez pas; elle touche à la manche de sa chemise: Fi! changez-moi de chemise, vilaine laide, n'approchez pas de moi, reculez ma chaise.—«Mais, lui dit Mme de Montglat, ne savez-vous pas bien que je suis sa gouvernante et qu'il faut que j'en aie le soin comme de vous?»—Je voudrois que vous fussiez morte; il ne s'en pouvoit apaiser.

Août
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Le 8, vendredi, à Fontainebleau.—Il ne se veut point laisser peigner, s'en coigne de colère le front à coups de poing, en est fouetté.

Le 10, dimanche.—Il lit son catéchisme, où le docteur demande et le disciple répond; Mme de Montglat l'interrogeoit par cœur: elle fut trop longue à demander, le Dauphin lui dit: Parlez, docteur, parlez, docteur de la Palestine. C'étoit un bouffon italien qui étoit en crédit à la Cour. A trois heures goûté; c'étoit l'heure de l'éclipse du soleil; il avoit fait porter, sur la terrasse, où il goûta, une pleine chaudière d'eau pour la voir.

Le 11, lundi.—Il avoit envie d'avoir un petit chariot à se jouer, qui étoit à Madame Christienne, Mme de Montglat lui dit qu'il le prenne: Mais, Mamanga, ma sœur y est pas; je veux qu'elle me le donne.—Mis au lit, il s'amuse à voir danser Madame, qui s'étoit vêtue de l'un de ses habits; il étoit incarnat, chamarré de passements d'argent, chausses et pourpoint. Elle danse les branles, la gaillarde, la sarabande; elle ressembloit fort à Mgr le Dauphin.

Le 12, mardi.—Il s'amuse à ranger en bataille sa compagnie de poterie. L'un des princes de Mantoue devoit ce jour-ci le venir voir; je lui demandai: «Monsieur, que lui montrerez-vous? sera-ce votre compagnie?»—Ho! non, dit-il, jugeant que c'étoit un jeu d'enfant. Il se va promener le long de la terrasse, par où l'on alloit à la salle du bal, trouve la salle des gardes fermée; c'étoient les soldats de la compagnie qui l'avoient fermée et jouoient. Il heurte, ils ouvrent; les trouvant jouant, il se tourne à M. de la Court, exempt des gardes servant près de lui: La Court, ils jouent ici! puis, s'adressant à eux, il leur dit doucement: Allez, allez jouer en votre corps de garde. Ils se voulurent excuser par trois ou quatre fois, et autant de fois il leur commanda doucement et souriant: Allez jouer au corps de garde. Il ne les vouloit pas mécontenter, et si leur vouloit faire connoître que ce n'étoit pas là où ils devoient être. A Août
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sept heures le sieur don Vincentio di Gonzaga, troisième fils du duc de Mantoue, son cousin germain, arrive venant pour le voir; il l'embrasse, le mène par la galerie au jardin des pins, à celui des canaux, lui montre la source, puis en celui des fruitiers, lui fait voir les autruches, et puis par l'allée de l'étang, le mène souper avec lui. Don Vincentio, à neuf heures et demie, prend congé de lui pour aller trouver le duc son père à Spa. Le Dauphin mis au lit demande, parlant de la duchesse de Mantoue, sœur de la Reine: A-t-elle été en un même ventre avec maman? Je lui dis que oui, mais en divers temps.—Maman est-elle pas l'aînée?—«Non, Monsieur.»—Elle n'est pas l'aînée! dit-il, comme le trouvant étrange, comme appelle-t-elle maman? l'appelle-t-elle pas ma sœur?—«Non, Monsieur, lui dis-je, elle l'appelle Madame.»—Pourquoi?—«Monsieur, pource qu'elle est Reine.»

Le 13, mercredi.—Il écrit au Roi sur la réception qu'il a faite au sieur Don Vincenzio, son cousin.

Le 15, vendredi, à Fontainebleau.—Il envoie querir ses bottes et ses éperons dorés, se fait botter, monte à cheval sur des placets[525], sur tout ce qu'il peut. A cinq heures mené par l'allée de l'étang et au bout monté à cheval sur la petite guilledine que M. de Vitry lui avoit donnée. Je n'ai jamais vu homme mieux planté à cheval, le corps droit, les jambes comme s'il eût été entièrement instruit. C'étoit la première fois. Ramené en sa chambre à huit heures trois quarts, il s'amuse et en conte: C'est, dit-il, un étrange homme que la Court, il m'accorde tout ce que je veux. Quand je demande est-il neuf heures, oui il est neuf heures. Quand je me mouille les pieds, oui Monsieur, velà qui est bon, cela vous rafraîchira: c'est un étrange homme. Il donne pour mot du guet: Colo, c'étoit le nom de l'un des comédiens[526].

Août
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Le 16, samedi, à Fontainebleau.—Il dit qu'il veut écrire, envoye querir Beaugrand; comme il est dans le cabinet et MM. de Mortemart avec lui, pendant qu'ils écrivent il ne fait rien, ne se peut mettre à l'écriture; y ayant demeuré un quart d'heure, il sort, et dit à M. de la Court, exempt des gardes: La Court, je ne sarai rien faire qui vaille, allons voir Fréminet, le peintre; c'étoit une excuse. Il vient en ma chambre, y joue à la paume, va à la galerie qui mène à la volière, puis s'en retourne à la chapelle y trouver Fréminet[527]; ce n'étoit que pour fuir l'école. Il monte à cheval en l'allée de l'étang, hardi et bien planté comme le jour précédent. Mis à terre il va en l'allée des ormes, où il s'amuse à dresser un fort de quatre bastions, élevé du sable de l'allée.

Le 17, dimanche.—Mené par l'allée de l'étang en celle des ormes, il fait un nouveau dessein de fortification. Mis au lit, il donne pour mot du guet: Doctor, personnage de la comédie.

Le 18, lundi.—Il voit entrer Beaugrand, son écrivain, et lui dit: Allez, allez vous-en, j'écris point ce matin.—«Monsieur, lui dis-je, voici un petit livre qui est à un gentilhomme allemand, qui vous prie de vouloir écrire quelque chose dedans. Cela se verra par toute l'Allemagne».—Je le veux bien; y a-t-il un empereur en Allemagne?—«Oui, Monsieur.» Le désir de gloire le fit écrire gaiement ces mots que je lui donnai, tirés du poëte Manile: Lancibus ut gentes tollatque prematque. Signé, Louis.—L'allemand s'appeloit Guillaume Friderich. Le prince de Galles y avoit écrit: Fax mentis honeste gloria. Signé, Henricus P. Le comte Maurice de Nassau y avoit écrit: Je maintiendrai. Le comte d'Essex, qui eut la tête Août
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tranchée en Angleterre: Virtutis comes invidiæ. Signé, Robertus comes Essexiæ; et, à la page d'après, son ennemi Cecil: Vana sine viribus ira. Signé, Guilielmus Cecilius.—Mis au lit il donne le mot Piombino, qui étoit un comédien.

Le 19, mardi, à Fontainebleau.—Il monte tout au haut de son pavillon, à la chambre de sa nourrice et à celle des peintures de M. de Franco, peintre du Roi[528]; y a goûté. Il voit la nourrice de M. d'Orléans, qui étoit une grosse et lourde paysanne, s'en moque et va dire à Mme de Montglat: Mamanga, c'est une méchante femme que la nourrice de mon frère d'Orléans; elle a un grand pied en France qui a deux toises de large et une de long. Il donne pour mot Stefanello, après s'être fait nommer tous ceux qu'il avoit donnés les jours précédents.

Le 20, mercredi.—Pour ne point écrire, il demande à jouer à la paume en ma chambre, y vient et joue en la petite galerie qui mène à la volière, revient à ma chambre pour y écrire, y trouve M. Fréminet, peintre du Roi, celui qui a fait les dessins et les peintures de la chapelle. Il est bien aise de trouver cette occasion, et demande à voir ce qu'il en avoit fait, y va, monte par un escalier de bois tenant à la garde-robe de M. d'Anjou, au bout de la galerie lambrissée, sur un échafaud près de la voûte de la chapelle, sans peur ne étonnement, se plaît à voir les peintures, y est assez longtemps; s'en retournant, il dit: Aussi vrai velà qui est bien fait; descendu, il s'en va voir les peintures qui étoient là où se mettent les musiciens, y monte par une petite échelle, y voit une Annonciation, et dit encore: Aussi vrai velà qui est bien fait. Il se fait descendre par un trou entre deux planches.

Le 22, vendredi.—Il est fouetté pour les fautes du jour Août
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précédent[529], étudie, dit son catéchisme, fait son exemple. Mené au jeu de paume, il me fait l'honneur, comme le jour précédent, de me donner l'une de ses raquettes pour jouer avec lui, joue avec jugement, avance, recule, coupe de l'arrière-main. A trois heures il vient en ma chambre, lit dans mon livre des Exercitations de Scaliger.

Le 23 août, samedi, à Fontainebleau.—Voyant passer un grand garçon bossu et mal habillé, il demande à M. de Ventelet: Est-ce pas lui qui garde les moutons de mon pourvoyeur? Il se trouva ainsi; il reconnoissoit tout par noms ou par fonctions; il s'informoit aussi de tout et retenoit jusques aux moindres choses.

Le 24, dimanche.—Mené au jardin du Tibre, où il s'amuse à voir danser une mariée de village.

Le 25, lundi.—Il avoit le cœur pour faire dresser la collation pour la fête de Saint-Louis et sur ce sujet ne veut point étudier; il s'en va en la galerie où la collation fut dressée, envoie prier Mesdames, Mlle de Vendôme et M. de Verneuil; à trois heures et trois quarts goûté, tarte, etc.[530]. Il va au jardin du Tibre; M. de Vendôme y arrive pour prendre congé de lui avant d'aller en Bretagne[531]. Le Dauphin veut aller au grand canal, il est arrêté pour avoir rencontré en la rue un chien enragé, que l'on avoit tué.

Le 28, jeudi.—Il écrit une lettre à Mlle de Mercœur. Mené par l'allée de l'étang à l'entour de celle des ormes, où il fait un nouveau dessin de bâtiment, envoie querir ses outils; il est le premier à la besogne.

Août
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Le 29 août, vendredi, à Fontainebleau.—Il achève d'écrire sa lettre à Mlle de Mercœur.

Le 31, dimanche.—Il va jouer à la paume au jeu découvert, se moque de M. de Verneuil et de Bompar, son page. En quittant le jeu il n'oublie point, comme il ne faisoit jamais, à dire à M. de Ventelet: Tetay, payez les balles. Il avoit toujours un soin merveilleux à faire payer ce qu'il devoit.

Le 1er septembre, lundi, à Fontainebleau.—La petite Louise, sa sœur de lait, lui faisoit de petites images de la cire des flambeaux; sa nourrice lui dit: «Monsieur, voyez comme la petite Louise fait bien de petites filles de cire»; il répond: Quand elle sera grande elle en fera bien de chair.

Le 2, mardi.—Il va à la poterie pour y acheter deux chevaux. Il arrive un valet de pied de la Reine portant commandement à Mme Montglat d'avertir Leurs Majestés du charroi et autres choses qui seroient nécessaires pour emmener Messeigneurs à Saint-Germain. Il ne se vit jamais une pareille allégresse à la sienne; il alla par toutes les chambres pour le dire avec transport de joie.

Le 5, vendredi.—Il va écrire une lettre à Mme la Grande-Duchesse, par M. Nicolini, gentilhomme servant de la Reine:

Madame ma bonne tante, je vous supplie de me bien aimer, car je vous aime et honore de tout mon cœur, étant comme je suis votre très-affectionné neveu à vous faire service.

Louis.

On lui dit que deux charrois étoient arrivés, le voilà à tressaillir de joie, et le dit à tout chacun.—Il saigne du nez, peu; l'on sut le lendemain au soir que le Roi se trouva mal d'un grand flux de ventre; nous avons remarqué plusieurs fois qu'il n'est jamais arrivé au Roi absent quelque accident signalé, qu'il ne lui soit advenu Sept
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(au Dauphin) quelque accident sans cause manifeste[532].

Le 7, dimanche, à Fontainebleau.—Mené pour voir le réservoir des eaux qui viennent de la Couldre[533], il s'amuse ensuite sur la terrasse de la cour des Fontaines, se fait mettre dans les niches, fait dire que ce sont statues que le Roi a envoyées, y fait mettre aussi MM. de Mortemart et M. de Verneuil, fait comme celui qui se tire l'épine du pied[534].

Le 8, lundi, voyage.—Il s'amuse lui-même à démonter son lit, impatient pour partir, va voir charger les mulets. Parti de Fontainebleau à douze heures un quart pour retourner à Saint-Germain en Laye, goûté au-dessous de la chapelle Saint-Louis, dans la forêt, Mesdames avec lui. Il arrive à Melun sur les trois heures, est logé en l'hôtel de Sens, maison de M. Renaud, procureur du Roi, près de la porte du Jars. Il demande d'aller se promener au jardin, puis sort hors de la ville, passe le pont et va en la prairie le long du ruisseau. MM. de la Ville lui viennent faire la révérence et lui font présent de tartes.

Le 9, mardi, voyage.—Mené à la messe à Saint-Aspés, il part de Melun à onze heures et un quart et arrive à Loursine à une heure et demie; goûté à deux heures. Il arrive pour coucher à Crosne sur les cinq heures, se promène aux jardins, passe dans le bateau et va en la prairie, fait donner un quart d'écu à un faucheur.

Le 10, mercredi, voyage.—A midi il part de Crosne; à deux heures il arrive à Charenton, chez M. Cenami; à quatre heures il entre par la porte Saint-Antoine à Paris; sortant par la porte Saint-Honoré, il arrive à Chaillot, maison de Mme la comtesse de Guichen[535], où la reine Marguerite le vient voir.

Sept
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Le 11, jeudi, à Chaillot.—Il se va promener au parc, puis par le dehors descend en bas et entre, par la grande porte, aux Bonshommes, voit le cloître et la librairie, puis à dix heures entend la messe. Au sortir, les Pères lui offrent deux plats de prunes et un de leurs pains. Ramené par le long de la rivière et par le jardin en sa chambre. Il vient grand nombre de dames et de damoiselles de la Cour et de Paris, M. le président de Thou, M. le président Nicolaï pour le voir. Les violons du Roi arrivent, jouent; il ne veut point danser. On lui dit que Montauban[536], autrefois tailleur et maintenant payeur des rentes de la Ville, lui donneroit une belle collation de confitures en sa maison de Ruel: Une collation, dit-il, ai-je pas la mienne! Amusé d'un petit sifflet d'ivoire que ma femme lui avoit apporté de Dieppe avec des coquilles.

Le 12, vendredi.—Parti de Chaillot à onze heures et demie, il passe par Saint-Cloud et, à une heure trois quarts, arrive à Ruel, où M. Montauban avoit fait apprêter une magnifique collation de fruits et de confitures; il y goûte, puis se va promener au jardin et partout. Parti à deux heures trois quarts, il est arrivé à quatre heures à Saint-Germain-en-Laye, logé en la chambre du Roi; il demande à s'aller promener au bâtiment neuf[537].

Le 13, samedi, à Saint-Germain.—M. de Souvré, qui l'avoit conduit, prend congé de lui. A huit heures déjeuné sur la terrasse de sa chambre d'hiver. Il se fâche contre le marquis de Mortemart de ce qu'il avoit baillé quelque chose à Bompar contre sa défense, va au précepteur Sept
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du marquis, et lui dit: La Martinière, c'est le marquis qui veut faire le compagnon. Mené par le pont de la chapelle au bâtiment neuf et aux grottes, il va en celle d'Andromède, non encore achevée, considère froidement tout, en demande la raison, se plaît à voir plusieurs sortes de moulins; celui qui scie le marbre lui plaît le plus. Mis au lit, il demande du papier et de l'encre, disant: Je veux faire quelque chose que j'ai en mon esprit.—«Monsieur, lui dis-je, où est votre esprit?»—Dans la tête.

Le 14, dimanche, à Saint-Germain.—Il me montre sa peinture du soir précédent, me dit ce qu'il lui reste à faire pour parachever son dessin. Mené sur la terrasse de Mercure, il s'amuse à maçonner une maison, porte lui-même les pierres, avec le marquis de Mortemart, sur une civière qu'il inventa tout à l'heure; c'étoit deux bâtons et de la grosse ficelle qui les joignoit lâchement au milieu.

Le 15, lundi.—Éveillé à sept heures et demie; à huit heures il a pris de la dragée de rhubarbe; il avoit voulu que Betouzay, l'une de ses femmes de chambre, la lui vît prendre. Il l'envoie querir plusieurs fois avec impatience, et ne vouloit point la manger tant qu'elle y fût; enfin on lui dit qu'elle étoit allée p....., et qu'avant qu'elle fût venue il auroit bien mangé sa dragée. Il le fait, elle vient, et il lui dit à l'arrivée: Zezai, allez vous-en astheure ch... puisque vous avez été si longtemps à p.....—Amusé jusques à neuf heures après des couleurs et peintures, il demande à boire, reprend ses crayons, et entend la messe en sa chambre à dix heures trois quarts. Levé, vêtu, à onze heures et un quart dîné, il se fait porter ce qu'il avoit crayonné; Mlle de Vendôme lui demande: «Monsieur, tireriez-vous bien une personne»? (pour dire peindriez).—Oui-dà.—«Monsieur, me tireriez-vous bien»?—Oui-dà, avec une corde, dit-il froidement, et il reprend sa besogne. Goûté d'une grappe de maroquin; c'est du raisin noir, apporté de Montpellier par le sieur Anchès, contrôleur chez la Reine, qui le lui avoit donné Sept
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à Chaillot. Il s'amuse à des petits jouets de poterie, va en la salle des gardes, où il voit des épousées qui y vinrent l'une après l'autre danser devant lui.

Le 18, jeudi, à Saint-Germain.—Mené au cabinet[538], aux fiançailles de Betouzay, l'une de ses femmes de chambre, il signe au contrat.

Le 20, samedi.—A trois heures, goûté, joué, écrit; Mme de Montglat lui demande: «Monsieur, voulez-vous mander quelque chose au Pape?»—Et quoi?—«Que vous lui baisez les pieds.»—Fi! fi! non ferai.—«Eh bien! la pantoufle.»—Non, non, il ne faut pas.

Le 23, mardi.—Mis au lit, il m'entretient de la fontaine que le sieur Francino lui avoit faite, où étoit toute la représentation du bâtiment neuf, m'en disoit tous les secrets et les mouvements, ne les ayant ouï dire qu'une fois, puis s'endort; il s'éveille en sursaut par frayeur, son tailleur, qui avoit servi feu M. de Montpensier, lui ayant fait des contes de son maître, comme il mourut, comme il fut habillé après sa mort[539]; il ne put être assuré tant qu'il fût couché avec sa nourrice.

Le 24, mercredi.—A cinq heures et demie le Roi arrive, il lui va au-devant, au pied de l'escalier; va chez le Roi à son souper.

Le 25, jeudi.—Le Roi est parti à cinq heures après minuit. Le Dauphin rencontre un porte-panier qu'il fait venir en sa chambre, achète un horloge de sable, une paire de couteaux et la gaine, et deux étuis à barbier, en disant: Ce sera pour mettre mes couleurs.

Le 27, samedi.—Mené en l'église entendre le Te Deum, pour le jour de sa nativité[540]. En soupant l'on parloit des abbesses, sur le sujet de l'une des filles de Mme de Sept
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Frontenac, abbesse d'Argensol; le Dauphin demande: Est-elle jeune? je lui dis que oui.—Et madame de Poissy est-elle jeune?—«Non, Monsieur. Monsieur, quel vaut le mieux que les abbesses soient jeunes ou vieilles?»—Il vaut mieux qu'elles soient jeunes, elles dureront plus longtemps, répond-il promptement.

Le 28 septembre, dimanche, à Saint-Germain.—Il va en la chambre du Roi, où il danse et fait danser, à cause de la mariée Betouzay. Ses femmes dansoient la danse des femmes, sa nourrice dit qu'il ne faut pas que les garçons y dansent: Non, çà tous les garçons; il les ramasse tous, danse et fait beau bruit. Comme Mme de Montglat dînoit et Mme de Frontenac avec elle, il y vient; Mme de Frontenac lui dit: «Monsieur, faites la guerre à la mariée, elle a couché avec les hommes;» il lui répond promptement: Vous y couchez bien. A son goûter il écoute la musique de deux voix et un luth, y est si attentif qu'il en demeure immobile. On lui demande lequel des deux chantoit le mieux?—C'est celui qui n'a point de luth. Il disoit vrai; il chantoit la basse.

Le 29, lundi.—Il s'amuse à peindre. Pendant son dîner il entend la musique du soir précédent avec ravissement, fait chanter plusieurs fois une chanson espagnole qui lui plaisoit fort, où il y avoit ces vers: Esta escondido onde voste meste esta. A douze heures et un quart, M. de Nevers[541] arrive qui venoit prendre congé de lui, s'en allant à Rome; il lui demande s'il lui plaisoit qu'il dît au Pape de sa part qu'il lui baisoit les pieds; il répond: Ho! non, ils sont pas bien lavés.—«Et la pantoufle?»—Ho! non.—«Monsieur, le Roi m'a commandé de lui dire de sa part qu'il lui baisoit les pieds, vous plaît-il pas que je lui en die autant de la vôtre?»—Bien donc! je le Sept
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veux bien.
Le duc de Nevers part à une heure et demie, et emporte de son écriture et la peinture qu'il avoit faite le matin, pour la montrer au Pape.

Le 30 septembre, mardi.—L'on racontoit à M. de Frontenac ce qu'il avoit dit à M. de Nevers quand il le pressa de dire de sa part au Pape qu'il lui baisoit les pieds: C'étoit, dit le Dauphin, afin qu'il s'en allât. M. de Nevers y avoit été à son gré trop longtemps et empêchoit sa liberté. M. de Souvré arrive pour recevoir l'ambassadeur de Venise, qui devoit venir voir Mgr le Dauphin; l'on disoit que l'ambassadeur demeuroit longtemps à venir: Je voudrois qu'il fût déjà venu et qu'il s'en fût allé, c'est qu'il désiroit sa liberté. Mené à la salle du bal, où il voit danser une mariée du bourg, il y danse lui-même ainsi que Mesdames. A six heures et demie soupé; il va en la chambre du Roi, où il avoit fait venir les violons de la mariée, voit danser, danse lui-même plusieurs danses, entre autres: Ils sont à Saint-Jean des choux.

Le 1er octobre, mercredi, à Saint-Germain.—La Reine arrive à cinq heures trois quarts et le Roi à sept heures. M. le duc de Mantoue[542], qui accompagnoit le Roi, broncha un peu voulant saluer Mgr le Dauphin, et faillit tomber sur lui. A huit heures soupé avec le Roi et la Reine; après souper il va chez la Reine; M. le duc de Mantoue étoit en la ruelle, assis près de la Reine et couvert: Ho! ho! dit le Dauphin, ce monsieur est couvert auprès de maman, et je suis ici toujours découvert!

Le 2, jeudi.—Mené au bâtiment neuf, il descend sur les terrasses et va aux grottes avec le Roi, qui y menoit M. de Mantoue. Remonté à dix heures et demie à la messe, en la chapelle de la terrasse; le Dauphin se promenoit sur la terrasse; le magot du Roi couroit après lui; qui, se retirant, va rencontrer le pommeau de l'épée de M. de Mantoue, où il se blesse et meurtrit le dessus Oct
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de l'œil gauche. Il va chez la Reine puis, à douze heures et demie, dîné avec LL. MM.; ramené en sa chambre, il se met aux fenêtres du préau; il y avoit des châssis de verre; comme l'un vint à tomber, il retira promptement la main et eut le doigt indice de la main droite écorché; s'il n'eût retiré sa main il y a de l'apparence que, de la pesanteur, il en eût eu la main écrasée. A deux heures trois quarts goûté; il reçoit l'ambassadeur pour les Vénitiens s'en allant en Angleterre. A trois heures et demie il entre en carrosse, et s'en va à la forêt après la Reine, qui étoit allée pour voir passer la chasse, le Roi y ayant mené M. le duc de Mantoue; il voit la chasse par cinq fois, et arrive à la mort du cerf. Ramené, à six heures trois quarts soupé; il s'amuse à peindre en crayon.

Le 3, vendredi, à Saint-Germain.—Il s'amuse à ses peintures, ne veut point déjeuner, tant il y est attentif. Le Roi vient au château[543] pour le faire voir à M. le duc de Mantoue, qu'il promène par les chambres de Messieurs et de Mesdames jusques au-dessus de la voûte. Sorti avec le Roi par le petit pont, goûté en cheminant, ramené au vieux château, il commande à son page Bompar d'aller dire à M. de Ventelet qu'il fît porter son souper au bâtiment neuf, et qu'il souperoit avec papa. L'huissier de la salle vient où il étoit pour le savoir, auquel il en dit autant; l'huissier répond: «Monsieur, c'est M. de Ventelet qui m'a envoyé ici pour le savoir, pource qu'il ne le croit pas.» Le Dauphin, reprenant hautement ce mot: Il ne le croit pas? Allez lui dire qu'il vienne parler à moi, allez, dit-il, avec une action fort impérieuse. Papa s'en ira demain, et je le verrai plus. A huit heures soupé avec le Roi et la Reine.

Le 4, samedi.—Mené au lever du Roi, il lui donne sa chemise, et à neuf heures et trois quarts le Roi part pour Oct
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aller dîner à Ruel, y mène M. le duc de Mantoue, qui dit adieu à Mgr le Dauphin, lequel l'embrasse, puis est revenu au vieux château. Mené chez la Reine à l'issue de son dîner; la Reine s'en retourne et part à deux heures.

Le 6, lundi.—Il va en la chambre de M. d'Orléans puis en celle de Mlle de Vendôme, la trouve au lit, lui donne le fouet de la main avec un peu de honte.—Mis au lit, il se met en colère de ce que l'on avoit apporté en sa chambre une chaudronnée d'eau avec des herbes, pour laver les jambes de Mme de Montglat; il la fait emporter.

Le 7, mardi.—A une heure et demie il entre en carrosse et va à Poissy, où il arrive à deux heures et demie, est reçu par Mme de Gondi, abbesse. Mené en la galerie, de là au jardin, puis par le même chemin, ramené en la salle, où il a goûté à trois heures, puis va en l'église, au salut des religieuses, par le petit passage qui est près de l'entrée du logis de l'abbesse, il écouta et regarda tout fort patiemment. Parti à quatre heures, et arrivé au château à quatre heures trois quarts. Henri du Plessis[544], âgé de six ans, fils de M. de Liancourt, premier écuyer du Roi, arrive ce soir pour être nourri auprès de Mgr le Dauphin. Mis au lit il donne le mot genitrix, et se rit de ce que Dupré, exempt des gardes, ne l'entendoit pas.

Le 8, mercredi.—Il s'amuse avec ses chevaux et ses charrettes de cartes; M. de la Croix, gouverneur de MM. de Mortemart, se met à l'entretenir et lui dit: «Monsieur, il ne vous faut plus amuser à ces petits jouets, ne à plus faire le charretier; vous êtes grand, vous n'êtes plus enfant.»—Mais je ne sais à quoi.—«Monsieur, il vous en faut apprendre d'autres dignes de vous.»—Mais Oct
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je n'ai personne pour m'apprendre.
Mis au lit il est entretenu par Montalier, son tailleur, et Champagne.

Le 9, jeudi, à Saint-Germain.—Déjeuné aux fenêtres du côté du préau; en mangeant il considère le pays des environs, remarque le chemin à aller à Noisy, et dit: Ho! que velà bien une plus belle vue qu'à Fontainebleau; on ne y voit rien que des rochers. Son tailleur, nommé Archambault, étoit fort camus; il dit: Quand Archambault rit, il rit comme Robert; c'étoit le magot du Roi.—Mis au lit, il s'amuse à un livre de chasses, en taille-douce.

Le 10, vendredi.—Il écrit au Roi par M. de Frontenac:

Papa, je n'ai point voulu laisser partir M. de Frontenac sans vous donner le bonjour et vous prier me faire l'honneur de m'envoyer querir pour la foire Saint-Germain, et cependant j'emploierai si bien le temps que vous en recevrez du contentement et maman aussi. Je suis, papa, votre très-humble et très-obéissant fils et serviteur.

Louis.

Et pour suscription: A Papa.

Il vient un mercier qui portoit des besognes d'ambre jaune; il y avoit un cordon incarnat avec des grains d'ambre entre deux. Il l'essaye à son chapeau, et dit gaiement: Il est bon à mon chapeau, combien en voulez-vous?—«Monsieur, dix écus; je l'ai fait exprès pour vous.» Mme de Montglat survient: Mamanga, velà un cordon qu'il a fait exprès pour moi; il n'en demande que dix écus.—«Monsieur, c'est beaucoup.»—Hé! Mamanga, je demanderai à mousseu de Sully cent écus, et je vous les baillerai.—«Bien, Monsieur, prenez-le.»—Ho! non, Mamanga, je veux qu'on le paye devant, je le prendrai pas qui ne soit payé. Le marquis de Mortemart lui demande: «Monseigneur, qui aimez-vous mieux, de M. de Liancourt ou moi?» il répond promptement: Je vous aime bien tous deux; mettez-vous là, et vous là Liancourt.

Le 11, samedi.—Il fait son exemple, écrit sur du papier rouge avec de l'encre argentée. M. le comte de la Oct
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Voute arrive cette après-dînée pour demeurer auprès de lui.

Le 12, dimanche.—Jouant avec les petits marquis et comte de Mortemart, les comtes de Torigny et de la Voute, et le petit Liancourt, il dit à Mme de Montglat: Mamanga, je vous prie que j'aille en votre chambre, et j'équirai. Ils ne font que m'importuner: l'un me tire, l'autre me pousse, l'autre me parle à l'oreille; je ne sais où me mettre.

Le 13, lundi.—Il va jouer en la salle du bal; Mme de Fontaine-Martel y amène son fils, âgé d'environ dix ans. Mené au jardin, il s'amuse à paver lui-même un chemin, porte le pavé, le met en œuvre; Mlle de Vaux, veuve de M. de Montholon et belle damoiselle, lui demanda: «Monsieur, vous plaît-il que j'en porte?»—Ho! non, vous n'y êtes pas propre; comment le porteriez-vous?—«Monsieur, là dessus,» dit-elle en montrant son vertugadin.—Non, vous vous gâteriez toute.

Le 14, mardi, à Saint-Germain.—A huit heures et demie dragée de rhubarbe, deux onces; levé, vêtu, il entend la messe, puis s'amuse à tirer de l'arc que M. de Brèves lui avoit apporté de Turquie. Mme de Montglat envoyoit savoir des nouvelles de M. de Frontenac, qui avoit pris médecine, le Dauphin dit: Et moi aussi dites-lui que j'ai prins médecine; le page étant revenu, le Dauphin lui dit de son mouvement: Allez-vous-en savoir comme il s'en porte par le cu.

Le 15, mercredi.—Il s'amuse à faire faire des chevaux de carte par son tailleur; lui, avec la plume et l'encre, leur fait les yeux, le crin, la queue. Mené au jardin, il y fait porter son arc turquois, va le long des palissades tirer aux petits oiseaux.

Le 17, vendredi.—Mis en carrosse pour aller à la garenne, goûté dans le bac en passant, il va à main gauche de la garenne, où il voit prendre quatre lapins en deux divers endroits. Mme la comtesse de Chaligny, qui le venoit voir, le salue en la garenne. Ramené au Pecq, il Oct
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voit pêcher; il ne se prend que deux bien petits poissons, dont il fait donner un quart d'écu au pêcheur. Étant dans le bac, en revenant, le Dauphin entend dire que l'on avoit défendu l'entrée à un nommé Godin, de Blois, égaré de son entendement, étant devenu amoureux de Mlle de Vendôme et maintenant de Madame; il défend qu'on ne lui fasse point de mal, et dit: Hé! mon Dieu! les loups le mangeront! qu'on le laisse entrer, qu'on le laisse entrer.

Le 18, samedi.—Il écrit son exemple, puis va à la messe en la petite salle, après au jardin, où il se met dans son petit chariot que M. de Verneuil lui avoit donné, fait le conducteur, une grande houssine à la main et le fait tirer par quatre pages et suivre par les sieurs comtes de la Voute, de Torigny, les sieurs de Liancourt et de Fontaine-Martel, fait plusieurs fois les allées du jardin. Ramené à onze heures et demie; Mme la comtesse de Mansfeld le vient saluer. Dîné; Mme la comtesse de Mansfeld lui donne douze chiens, et lui dit qu'ils sont beaux: Je m'en soucie pas qu'ils soient laids, mais qu'ils soient bons. Amusé jusques à trois heures, il va par le pont de la chapelle aux grottes, y mène cette comtesse, descend au parterre, puis va bien avant aux vignes, par le sentier qui va à Carrières. M. le comte de Torigny en se jouant heurta à la tête M. de Fontaine-Martel; le Dauphin le voit, et commande à son précepteur: Donnez le fouet au comte de Torigny; vous aurez le fouet, comte de Torigny, dit-il avec action sérieuse, et, quelque prière qu'on lui sût faire, il ne voulut jamais révoquer ce commandement. Ramené à cinq heures, pendant qu'il étoit sur la chaise percée, je lui dis: «Monsieur, ne pardonnez-vous pas à M. le comte de Torigny? Ç'a été sans y penser ce qu'il a fait.»—Ho! non, mousseu Héroua; excusez-moi, il lui a jeté sur la tête.—«Mais, Monsieur, vous commanderez à son précepteur de ne le fouetter pas, à la charge qu'il ne le fera plus?»—Astheure, astheure, Oct
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mousseu Héroua, mais je le fais afin qu'il n'y retourne plus.
—«Monsieur, s'il avoit été fouetté, il n'aimeroit jamais monsieur de Fontaine-Martel, l'ayant été à son occasion, et puis quand ils seroient grands ils se battroient et tueroient. Vous êtes leur maître: quand ils feront faute, il faut que vous les repreniez, et, pour les bien châtier, dites-leur que vous ne les aimerez plus s'ils ne sont sages. Le Roi les a mis ici auprès de vous afin qu'ils apprennent à vous aimer et à vous servir; ils sont tous de grande et riche maison.»—Qui est le plus riche? On les mit à l'égalité.

Le 19, dimanche, à Saint-Germain.—Il est allé par le parc à Maisons, où M. de Longueil, seigneur de Maisons[545], lui donna la collation.

Le 20, lundi.—Levé, vêtu, il se met à sa peinture, n'en peut partir. Il se fâche de ce que M. le comte de Torigny avoit suivi au jardin M. de Longueville, qui tenoit compagnie à Mlle de Vendôme, croyant que ce fût elle qu'il eût suivie, et dit à M. le comte de la Voute: Dites à Torigny que c'est une fille, et qu'il ne vienne plus avec moi. Peu après on lui en parla pour l'induire à lui pardonner, et à la fin il consent: Bien donc, je lui pardonne, à la charge qu'il s'habillera en fille. Il étoit jaloux des siens et l'avoit toujours été, pour si petit qu'il fût.

Le 21, mardi.—Sa nourrice lui demande s'il étoit pas amoureux, il répond: Non, je fuis l'amour; je lui demande: «Mais, Monsieur, fuyez-vous l'Infante?»—Non, et se reprenant soudain: Ha! si fait, si fait! Mis au lit, il se met à peindre et crayonner.

Le 27, lundi.—Il est vêtu de sa robe pour recevoir les députés de la Religion venant de Jargeau; il les a reçus fort à leur contentement.

Oct
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Le 29 octobre, mercredi.—La rougeole lui paroît[546].

Le 31, vendredi.—J'arrive de Vaugrigneuse; l'on ne me donna jamais avis qu'il eût aucune fièvre, mais un simple rhume; je le trouve avec la fièvre, le pouls plein, égal, hâté, chaud, tout couvert de rougeurs, avec inquiétude tant pour la fièvre que pour le grand feu qui se faisoit dans sa chambre, dont il se plaignoit et l'on ne le plaignoit pas, étouffant à demi dans son lit pour être entouré encore d'un tour de serge et lui fort couvert. Il s'en plaint à moi. Il fut levé, et son lit fut refait.

Le 1er novembre, samedi, à Saint-Germain.—Il s'amuse à ses crayons, entend la messe à neuf heures et demie, ne peut souffrir la clarté, se remet à la peinture, à broyer et travailler en peintre. Il se joue avec Madame, qui parloit à lui par le trou qui alloit d'une chambre à l'autre.

Le 5, mercredi.—M. de Liancourt, premier écuyer, le vient voir de la part du Roi, et s'en retourne incontinent; après dîner le précepteur du fils de M. de Liancourt[547], nommé le sieur du Vernay, vient voir le Dauphin, qui lui demande: Mousseu de Liancourt est-il parti?—«Oui, Monsieur, et s'en va fort content, ayant vu que vous devenez si sage tous les jours».—Ho! je crois bien, je vieillis aussi[548].

Le 6, jeudi.—Il est vêtu de ses chausses et de son pourpoint, ce dont il est extrêmement content et joyeux, ne veut point mettre sa robe[549], et dit: Elle ressemble à Nov
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la robe de maître Guillaume
, le fol du Roi; il quitte son bonnet de nuit et prend son chapeau lui-même. Il se met à sa peinture, raille en besognant (c'étoit un visage de Jeanne, reine de Sicile, dont il faisoit la copie); il fait une grande bouche: Ho! dit-il, que velà une grande coquine de bouche! M. de Ris, premier président de Rouen, le vient voir. A trois heures et demie goûté; il se remet à la peinture. A six heures soupé, amusé et joué jusques à huit heures, il se met à la peinture, y porte tout son esprit, y est jusques à dix heures.

Le 7, vendredi, à Saint-Germain.—Il prend une lime, s'amuse à limer une clef attachée à un petit étau, puis se remet à la peinture[550].

Le 9, dimanche.—Il va à la messe à la petite salle, puis va se jouer à la salle du bal. Il me somme de la promesse que le matin je lui avois faite de le faire sortir; sorti au jardin.

Le 16, dimanche.—Il s'amuse avec plume et encre à faire des maisons sur le papier[551]. En dînant il parle de faire la monstre de sa compagnie, dit: Féfé Chevalier c'est le capitaine; le lieutenant c'est mousseu de Momorency (qui étoit là présent); je suis caporal, il y trois ans que j'étois cadet. A deux heures, il prend sa bandoulière, son épée, arme sa compagnie (c'étoient MM. de Mortemart, de la Voute, de Liancourt, de Pressy, de la Roche-d'Anjou, de Fontaine-Martel, de Torigny et lui qui marchoit au premier rang, ayant M. de Verneuil à son côté); il va prendre le tambour de M. de Mansan et marche en bataille.

Le 18, mardi.—Il s'amuse à la peinture. Mis au lit, il s'amuse à entretenir M. du Tost, qui avoit les oiseaux Nov
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de la chambre du Roi, sur ce qui étoit de la nourriture et traitement des oiseaux, en parle en termes propres et avec action de personne entendue et qui y prend plaisir.

Le 20 novembre, jeudi.—Il est vêtu d'un habit d'écarlate; M. de Frontenac arrive, et lui dit: «Monsieur, vous voilà maintenant habillé en chasseur»; il lui répond: C'est pour chasser le froid; il faisoit froid aussi.

Le 21, vendredi.—Il va au bâtiment neuf pour y attendre le Roi; à quatre heures le Roi arrive, et le reçoit au bout du parterre. A cinq heures, en la chambre, dansé en branle devant le Roi. Soupé avec le Roi, il mange du potage à l'oignon, de celui du Roi, huîtres crues, sole en pâté, et prend une cuillerée de la poudre digestive du Roi. Il va avec le Roi chez M. d'Anjou.

Le 22, samedi, à Saint-Germain.—Il va entendre la messe au bâtiment neuf, et fait mener un petit nouveau chariot par un petit mulet que M. de Courtenvaux lui avoit donnés. A onze heures et demie dîné; il se remet à la peinture. A deux heures mené en carrosse jusques auprès de Herbelay, au devant du Roi revenant de la chasse. Soupé avec le Roi; peu après le Roi vient en la chambre de M. d'Anjou, fait railler Messieurs ses enfants. Mlle de Verneuil dit qu'elle est fée et fille d'une fée, et ils se mettent à deviner. Mgr le Dauphin lui dit: Je gage que vous aurez demain le nez de même que vous l'avez astheure. Elle lui dit: «Je gage que vous l'aurez aussi de même que vous l'avez.»—Ho! j'en ai un autre plus long, je le change quand je veux. A huit heures et un quart il donne le bonsoir au Roi, est ramené en sa chambre, s'amuse à la peinture.

Le 23, dimanche.—Il entend la messe à la chapelle avec le Roi[552]; s'amuse auprès du Roi en la galerie jusques à une heure et demie que le Roi s'en retourne.

Nov
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Le 26 novembre, mercredi.—Il va à Poissy, à la profession de l'une des filles de M. de Frontenac, mène à la messe la petite fille qui devoit être religieuse, la mène à l'offrande, voit froidement la cérémonie. Ramené à Saint-Germain il s'amuse à peindre avec la plume, fait des chevaux tirant des charrettes. Mis au lit, comme je tenois mon Hippostologie[553], il en avise le titre, le lit; il lui en faut rendre raison et de toutes les figures.

Le 28, vendredi.—Il écrit son exemple et fait, ce dit-il, un livre pour le faire imprimer et le donner à papa, à ses étrennes.

Le 29, samedi.—Il envoie querir ma petite nièce du Val, la fait habiller en épousée, la marie avec M. le comte de la Voute, va à Mme de Montglat, lui demande à souper pour l'épousée, lui apporte le couvert et puis ce qu'on lui donnoit, et à la fin à boire, et tout lui-même.

Le 1er décembre, lundi, à Saint-Germain.—Il dit à Mme de Montglat: Mamanga, j'ai composé une sentence: «Celui qui sert bien Dieu, Dieu lui aidera.» Je la veux équire de peur de l'oublier.

Le 2, mardi.—Il va à la messe en la chapelle, se fait monter sur la chaise, dit qu'il veut prêcher et commence: In nomine patris et filii et spiritus sancti, Amen. Les hommes qui couchent avec les femmes....[554]. Il écrit une lettre à la Reine par M. Du Vernet, précepteur de M. de Liancourt.

Le 3, mercredi.—A neuf heures et demie le Roi arrive de Paris; dîné avec le Roi; le Roi va à la chasse. A deux heures le Dauphin va en la chapelle, où lui et Madame Christienne tinrent à baptême la fille de M. Talon, mari Déc
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de la nourrice de Madame Christienne; il la nomma Louise, et jamais ne la voulut nommer Christienne, disant: Elle aura plus d'honneur d'être appelée de mon nom que de celui de ma sœur. Il s'amuse à sa peinture, va en la chambre du Roi qui revenoit de la chasse.

Le 5, vendredi, à Saint-Germain.—Il entre en carrosse avec le Roi qui le mène aux toiles près de Poissy, où il voit prendre quatre sangliers. Ramené il monte en sa chambre où il s'amuse à ses peintures.

Le 6, samedi.—Il entretient M. de Liancourt, premier écuyer, des juments du carrosse du Roi, où il avoit été le jour précédent, lui dit qu'il y avoit une des juments qui étoit borgne, que le cocher disoit que c'étoit la meilleure. M. de Liancourt n'en savoit rien.

Le 7, dimanche.—Il s'amuse à peindre sur du papier avec la plume et l'encre, fait la chasse du sanglier dans la cour, fort bien. Il va chez le Roi, puis à la messe et au jardin, et à dix heures dîne avec le Roi. A onze heures trois quarts il conduit le Roi hors de l'escalier, il étoit triste; le Roi lui dit: «Mon fils, quoi! vous ne me dites mot! Vous ne m'embrassez pas quand je m'en vais?» Le Dauphin se prend à pleurer sans éclater, tâchant de cacher ses larmes tant qu'il pouvoit, devant si grande compagnie. Lors le Roi, changeant de couleur et à peu près pleurant, le prend, le baise, l'embrasse, lui disant: «Je dirai comme Dieu dit dans l'Écriture sainte: Mon fils, je suis bien aise de voir ces larmes, je y aurai égard;» puis entre en carrosse pour s'en retourner à Paris, et Monseigneur le Dauphin gagne vîtement l'escalier pour s'en retourner aussi, de peur que l'on le vît pleurer. Comme il fut en sa chambre, peu de temps après, je lui demandai ce que le Roi lui avoit dit en partant; les larmes lui viennent aux yeux et, changeant de propos, il me dit: Il m'a dit que je tirasse de la harquebuse. Je le presse une fois ou deux, il tient ferme; je le quitte, il pleure abondamment et de cœur. Il va Déc
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en son cabinet où il s'amuse à peindre; on le vient appeler pour souper, il s'en fâche; M. le baron de Montglat[555] s'en veut aller, il ne le veut pas, et d'un petit bâton lui frappe sur les doigts; Mme de Montglat en est fâchée, il la frappe aussi; le voilà en colère, il lui dit des injures: Vilaine! la chienne! Mlle Piolant lui dit: «Monsieur, il faut que vous ne soyez pas fâché contre elle, n'ayant pas à être longtemps céans avec elle.» Il lui répond: J'en voudrois être déjà dehors; et appelant Mlle de Vendôme, il lui dit, parlant bas à son oreille: Sœu-sœu Dôme, j'aurai un bâton qui sera creux, je le remplirai tout de poudre, et puis avec du charbon j'allumerai la poudre qui lui brûlera tout le cul. M. Guérin lui dit: «Monsieur, ne savez-vous pas que papa vous a dit que vous ne seriez pas longtemps avec elle; il ne la faut pas fâcher.»—Ho! dit-il, c'est qu'elle veut retenir toute ma vaisselle d'argent[556]. Il étoit vrai; il en entendoit parler et le couvoit sans le dire. La paix se fait; à six heures et demie soupé. En soupant il fait tout ce qu'il peut pour s'entretenir et déployer son déplaisir [sic]; il advint que le sieur de Dorelle, gouverneur du jeune Fontaine-Martel, vient en la chambre et dit que, passant par la salle des gardes, deux hommes lui avoient voulu ôter son manteau. L'on s'en émut; je dis: «Monsieur, ce sont quelques-uns qui se jouent.»—Ce n'est pas beau, c'est un jeu de voleur. Il commande qu'on aille au corps de garde dire qu'on ne laisse sortir personne, qu'on aye des lanternes pour regarder ceux qui voudront sortir.

Le 15, lundi, à Saint-Germain.—Il écrit au Roi et à la Reine, se va promener en carrosse vers la Muette, envoie à Carrière, chez M. de la Salle, pour avoir des confitures, et en revenant en a goûté.

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Le 21 décembre, dimanche, à Saint-Germain.—Mis au lit, il se fâche contre ses gentilshommes, veut qu'ils aient le fouet. Mme de Montglat lui dit qu'il leur falloit pardonner et que le Roi pardonnoit à tout le monde: A tout le monde! dit-il, il n'a pas pardonné au maréchal de Biron.

Le 30, mardi.—Il fait fendre de la glace avec une pelle à feu, en sa chambre, la vend par morceaux, pour avoir, dit-il, de l'argent à donner aux pauvres.—J'arrive de Paris[557]; il étoit sur le point de se mettre à table, court au-devant de moi: Ha! velà mousseu Héroua! et me fait l'honneur de me sauter au collet, me serrant bien fort.

Le 31, vendredi.—Il se plaint et pleure de ce qu'on lui avoit pris, dans la pochette de ses chausses, sept sols provenus de la vente de la glace, et de ce qu'il ne les y avoit point trouvés, ayant voulu donner l'aumône à des pauvres qu'il avoit rencontrés. Il veut voir ce que ma femme lui veut donner pour ses étrennes; ce fut une boîte de très-beaux abricots. Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, ce sera pour vous, je m'en vais les serrer.»—Ho! velà! je ne les verrai jamais, elle sarre tout ce qu'on me donne, puis elle en entame un, y tâte pour lui donner le demeurant. Ho! voyez, elle l'a rompu pour en manger un et elle sarre tout; elle dit: C'est tout pour moi; et je vois jamais rien.

ANNÉE 1609.

Le livre De l'Institution du Prince.—Le gâteau des Rois.—Farces et comédies.—Le Dauphin copie le portrait du Roi.—La gravure de Jupiter.—La Vénerie de Du Fouilloux.—Départ de Saint-Germain pour Paris.—Le Dauphin remis entre les mains des hommes.—Usage des mouches pour les femmes.—Première justice du Dauphin; ses petits gentilshommes.—Ballet de la Reine.—Présent de M. de Sully.—La foire Saint-Germain.—Visite de Mme de Montglat.—Présent de la reine Marguerite.—Travaux de la galerie du Louvre.—Le maître d'armes du Dauphin.—Chasses et visites dans Paris.—Mort du Grand-Duc.—Mariage du prince de Condé.—La première leçon de Des Yveteaux.—Armes de Milan.—Collation chez M. de Mayenne.—Visite à Saint-Germain.—Dîner à Ruel.—Départ pour Fontainebleau.—Les moulins d'Essonne.—Cérémonie de la Cène.—Le grand canal de Fontainebleau.—Le Dauphin fouetté de verges.—La Bradamante.Le musicien Pradel.—Les maquereaux.—Passage à Moret.—Le vin et la tisane.—Le fou du Roi.—Mlle de Fonlebon.—Le maréchal d'Ornano.—Le Dauphin entre au conseil pour la première fois.—Fêtes du mariage de M. de Vendôme.—Bijou donné par Mme de Mercœur.—Le fou Des Viètes.—Départ de Fontainebleau.—Passage à Brie-Comte-Robert.—Vers faits par Héroard sur l'ordre du Dauphin.—Passage à Creteil.—Arrivée au Louvre.—Le jeu de paume du Verdelet.—Bain de rivière.—Service de Catherine de Médicis à Saint-Denis; le trésor, les tombeaux.—L'hôpital des pestiférés.—Sully et la reine Marguerite.—Séjour à Saint-Maur.—Ballet des Sauvages.—Nouvel habillement.—Absences de Des Yveteaux.—Présent du marquis de Brandebourg.—Visite à Chaillot.—Mot sur Mucius Scévola.—Départ pour Fontainebleau.—Leçon de grammaire.—Le Dauphin entre dans sa neuvième année; souhait du Roi.—Chasse avec le Roi.—Lettres à la reine d'Angleterre et au prince de Galles.—M. de Souvré et M. Dupont.—Retour à Paris.—Habitude du Dauphin.—Antipathie pour Sully.—Nouveau logis au Louvre; les chapons de la Reine.—Naissance de Madame Henriette.—Goût du Dauphin pour le vin.—Les contes de La Clavelle.—Bégayement du Dauphin.—Le comte de Chalais.—Lettres à la famille royale d'Angleterre.—Compliment à l'ambassadeur de Venise.

Le 1er janvier, jeudi, à Saint-Germain.—Levé à huit heures et un quart, il se plaint de ce que l'on ne l'avoit Janv
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pas voulu lever plus tôt, pource que l'on lui avoit dit que s'il se levoit tard il seroit paresseux toute l'année. Je lui donne mon livre De l'Institution du prince[558] fait pour lui.

Le 3, samedi, à Saint-Germain.—L'on parloit du jour des Rois, il dit: Je veux pas être le Roi; sa nourrice lui demande pourquoi.—Je veux pas l'être.—«Si vous l'êtes vous payerez quelque chose, si Madame l'est aussi, ou Mlle de Vendôme?» Il appelle M. de Ventelet, et lui dit tout bas à l'oreille: N'y faites point mettre de fève, afin qu'il n'y aye point de Roi.—«Monsieur, lui dit sa nourrice, si Dieu est Roi, il faudra que vous teniez sa place.»—Je veux pas moi.—«Comment, Monsieur, dit un chacun, refusez-vous à tenir la place de Dieu?»—Il s'arrête avec crainte: Hé! c'est à papa!—«Monsieur, il faut que ce soit vous qui la tienne ici.»—Hé! je veux bien.

Le 4, dimanche.—Il va en la chambre de M. de Liancourt, où il s'amuse à peindre; ramené en sa chambre, et à six heures soupé, il se prépare pour faire jouer une comédie, la voit jouer, consent que M. de la Voute en seroit, pourvu qu'il s'habille en fille, et ne veut permettre que M. de Liancourt s'habille qu'en garçon. Il la voit jouer, elle dure jusques à neuf heures et demie. Mis au lit, il se débarbouille le menton qu'il avoit tout noirci avec de la fumée du flambeau et fait barbouiller les autres.

Le 5, lundi.—Mme de Libertat, veuve de feu M. de Libertat, celui qui délivra Marseille sur la Ligue[559], le Janv
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vient voir.—A souper il fait couper le gâteau des Rois, Madame est faite la Reine. Elle donnoit les charges; elle le fait son grand écuyer: Non, dit-il, je veux être valet de pied, je cours bien. Mlle Piolant lui dit: «Monsieur, vous serez donc le premier valet de pied.»—Ho! non, dit-il, honteux. Amusé à jouer et à voir jouer une comédie par des valets de M. de Verneuil et Verdelet, valet de pied du Roi.

Le 6, mardi à Saint-Germain.—Mené jouer au jeu de paume, il se moque de M. de Verneuil qui jouoit foiblement: Velà féfé Veneuil, c'est miracle quand il frappe un coup, il faut faire sonner la trompette. A huit heures mené en la chambre de M. de Verneuil, où il voit jouer une comédie par les gens de M. de Verneuil et autres.

Le 7, mercredi.—On lui apporte une lettre de la part de Mlle de Mercœur, il l'ouvre, et sur ce que Mlle de Vendôme lui dit, voyant qu'il jetoit la poudre de Chypre qui étoit dedans: «Hé! Monsieur, ne la jetez pas, il la faut serrer.»—Ho! je la veux jeter moi; je l'aime point, j'aime mieux la poudre des canons.—Il va chez M. de Verneuil pour y voir jouer une comédie par ses gens.

Le 8, jeudi.—Mené promener, il fait tirer par son petit mulet sa petite charrette portant les ornements de sa chapelle à celle du bâtiment neuf, où il entend la messe.

Le 9, vendredi.—Il monte en ma chambre, et me dit: Mousseu Héroua, montrez-moi ce que vous avez écrit de moi; c'étoit mon journal. Il vouloit voir ses premières années, je l'avois à Paris. Il se met à écrire, et me dit: J'écris bien de la minute françoise, et peu après: Mousseu Héroua, il faut que je m'en aille achever un pourtrait que j'ai commencé. Il descend soudain, et va à sa peinture Janv
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dans son cabinet; il copie en huile le portrait du Roi qui étoit devant lui; il étoit fort reconnoissable: il s'amuse à peindre fort attentivement.

Le 10, samedi, à Saint-Germain.—Il me dit: Mousseu Héroua, j'ai inventé une sentence.—«Monsieur, vous plaît-il de me la dire?»—Les enfants qui ne sont pas sages, Dieu les punit. J'en ai inventé une autre: Les enfants qui craignent bien Dieu, Dieu les aide. En soupant, Mme de Montglat lui dit qu'il étoit beau: Je suis pas beau, cela est bon pour les femmes. Soudain qu'il eut soupé il s'en va à sa peinture en son cabinet, là où M. Du Vernet, précepteur de M. de Liancourt, lui donna un Jupiter[560] entouré des Muses, en taille-douce, et lui en expliqua le sens: comme c'étoit un roi, roi de tout le monde, et qu'il faisoit chanter devant soi et jouer des instruments, et qu'il ne faisoit rien et qu'un jour il feroit ainsi: Comment, dit-il, ce roi ne fait rien! je ne veux pas faire ainsi; tenez, j'en veux point, et le lui rend. Il va en la salle des gardes, où il voit danser la Bohémienne par de ses gens. Mis au lit, il s'amuse et prend plaisir bien grand au livre des chasses du sieur Du Fouilloux[561], que M. de Frontenac venoit de lui donner; il s'apprend à dire en musique l'appel des chiens.

Le 11, dimanche.—Il entend que l'on disoit qu'il seroit en pension avec M. de Souvré comme chez Mme de Montglat, et s'en fâche; il demande à M. de la Valette: Féfé Vendôme y est-il?—«Non, Monsieur.»—Ho! il a tout plus que moi! il a six laquais, et j'en ai que deux! Il l'avoit ainsi entendu dire, et avoit toujours ses comparaisons sur M. de Vendôme.

Le 12, lundi.—A quatre heures il va chez M. de Frontenac, où le Roi arriva de Paris venant de l'assemblée[562] de Vaucresson; le Roi se mit sur le lit pour Janv
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reposer; il faisoit la garde autour du lit afin que l'on ne l'éveillât point.

Le 13, mardi.—A sept heures et demie il va au lever du Roi chez M. de Frontenac, y est jusques à huit heures que le Roi s'en retourna à Paris par Versailles[563], où il alloit dîner. Il va jouer à la paume; M. Sauvat, excellent joueur, lui montre.

Le 14, mercredi, à Saint-Germain.—Il s'amuse à peindre fort bien[564], s'amuse à lire le livre du sieur Du Fouilloux.

Le 24, samedi[565].—A sept heures trois quarts il entre en carrosse, l'œil sec, et part de Saint-Germain en Laye pour aller à la Cour, entrer aux mains de M. de Souvré; il va par Saint-Cloud, arrive à onze heures au Louvre, où étoient le Roi et la Reine. A onze heures trois quarts dîné avec le Roi; à une heure le Roi le mène en carrosse chez la reine Marguerite. A six heures et demie soupé, de la viande de la Reine; ç'a été la première fois qu'il a commencé à boire du vin pour continuer.

Le 25, dimanche, au Louvre.—On lui met une fraise; M. de Souvré le fait regarder dans un miroir: Je semble, dit-il, au petit ambassadeur d'Angleterre; c'en étoit le fils. Il va chez le Roi à son lever, lui sert sa chemise. Le Roi lui commande de l'appeler son père, le mène par la galerie aux Tuileries. Il entend la messe avec le Roi, puis, à onze heures et demie, dîné avec le Roi; il est servi, par derrière, par commandement du Roi. Le petit M. de Humières le servoit; il ne l'avoit jamais servi, ce qui fut cause que le Dauphin, de son mouvement, commanda à M. de Ventelet: Allez, allez avec lui, pou lui montrer comme il faut faire. Il va ensuite chez la Reine.

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Le 26 janvier, lundi.—Il avoit une petite enlevure au coin de la lèvre droite; je lui fis mettre un petit emplâtre, lui disant s'il lui plaisoit pas que je lui fisse mettre une petite mouche: Une mouche, dit-il, en raillant, ho! je veux pas être beau; c'est madame la princesse de Conty qui met à son visage des petites mouches pour se faire belle. Il va chez le Roi, qui le mène aux Tuileries et le ramène à onze heures à la messe, en Bourbon[566].

Le 27, mardi, au Louvre.—Les députés de Bretagne lui viennent offrir leur service au nom de la province.—Il s'amuse à regarder des étoffes, choisit le bleu pour un habit; il en aimoit naturellement la couleur. A deux heures mené à voir la verrerie, au faubourg Saint-Germain, il y fait faire des verres, des paniers, des cornets. Le jeune M. de la Boissière donna un démenti à M. le comte de Torigny; il l'entend, et l'accuse envers M. de Souvré et lui commande de le fouetter. Ramené à quatre heures, il fait fouetter M. de la Boissière par M. de Souvré; ce fut la première justice en sa chambre[567].

Le 29, jeudi.—Il a vu tirer des armes, a tiré lui-même avec grâce et disposition.

Le 30 janvier, vendredi, au Louvre.—M. de Longueville vient en son cabinet, et lui dit: «Monsieur, voulez-vous pas que je fouette vos enfants d'honneur et vos pages?»—Vous n'êtes pas mon écuyer, lui dit-il assez brusquement, et se retournant vers M. du Repaire il lui dit tout bas: Voyez qu'il est hardi! il n'est pas mon écuyer; c'étoit qu'il ne vouloit pas ouïr parler de faire mal aux siens.

Le 31, samedi.—Il veut lui-même écrire le rôle de ses petits gentilshommes[568] selon l'ordre qu'ils étoient Janv
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venus à lui. On lui met un habillement neuf pour aller après souper à l'Arsenal, y voir danser le ballet de la Reine[569].

Le 1er février, dimanche, au Louvre.—Il écrit par réponse à Madame, sa sœur, sur la minute de M. de Souvré. Sur l'après-dînée il se ressouvient que Mlle de Vendôme lui avoit écrit; il demande du papier et de l'encre pour lui faire réponse. M. de Souvré lui fait la minute, et la lui envoie; elle commençoit: «Ma sœur, etc.»; quand il voit ces mots: Ma sœur! elle est pas ma sœur; faut mettre ma sœur de Vendôme. On alla le demander à M. de Souvré, qui trouva qu'il avoit raison.

Le 2, lundi.—Mené à la messe et à la procession avec le Roi. Il reçoit des nouvelles de Mesdames[570].

Le 3, mardi.—Il joue en la galerie, là où M. le comte de Torigny dit à un de ses compagnons: «L'ase vous etc.» Cette sale parole est rapportée à M. de Souvré, qui le menace du fouet. Tout du long de son dîner, le Dauphin persécuta M. le comte de Torigny pour la mauvaise parole: Torigny, dites à votre cul qu'il s'arme. Torigny, dites à votre laquais qu'il vous interroge. Torigny, puisque vous voulez être laquais, je vous envoyerai demain porter des lettres à Saint-Germain; il avoit ouï M. de Souvré disant que c'étoit une parole de laquais et de palefrenier. Mené à l'Arsenal, il y voit tout, et puis va à la Bastille. M. de Sully lui baille deux cents écus au soleil, pour sa foire, lui demande s'il veut qu'il lui fasse faire des balles de sucre comme celles de canon; il lui répond: Oui, mais que vous me les tiriez dans la bouche.

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Le 4, mercredi.—Il a de l'impatience pour aller à la foire, où il demande d'aller, au lieu d'écrire son exemple. M. de Souvré lui porte cinquante écus pour employer à la foire; il dit: J'en ai encore pou trois fois. A une heure et demie mené en carrosse, à la foire, il y gagne un cachet d'or à la rafle, jouant avec lui Mlle de Rohan.

Le 5, jeudi, au Louvre.—Mené chez le Roi puis aux Tuileries, où il entend la messe. Il va tirer des armes, puis va chez la Reine, où il se joue à M. de Verneuil, qui avoit ce jourd'hui pris la soutane; le Dauphin se met à genoux, et va ainsi pour lui baiser le pied (à M. de Verneuil), ses petits gentilshommes en font autant. A quatre heures le sieur Don Pedro de Toledo le vient voir pour prendre congé de lui, s'en retournant en Espagne.

Le 6, vendredi.—Mené à la foire, ramené à onze heures, il va chez le Roi et après, à onze heures et demie, dîné.—M. de Souvré avoit fait emprisonner son laquais pour avoir donné un coup de bâton à la foire; l'on en parloit pour l'excuser. Je dis à M. de Souvré, assez bas, que Mgr le Dauphin ne seroit pas longtemps sans demander sa grâce. M. de Souvré répond: «Si y sera-t-il vingt-quatre heures.» Le Dauphin écoutoit en sournois, et répond tout bas: Je fairai bientôt sonner les vingt-quatre heures. Aussitôt qu'il eut achevé de dîner, il fait apporter sa montre sonnante, et les fait sonner, et dit aussitôt: Mousseu de Souvré, vingt-quatre heures ont sonné, faites s'il vous plaît sortir de prison votre laquais. Il va chez le Roi en la galerie, où il mène sa compagnie armée: il étoit mousquetaire; le Roi y prend un singulier plaisir; ils étoient plus de trente. Ramené en sa chambre, il joue au trou-madame.

Le 7, samedi.—Il écrit, lit, tire des armes. A cinq heures mené à l'Hôtel de Bourgogne, à la comédie; ce fut la première fois. Ramené à six heures et demie, il en récite beaucoup devant Leurs Majestés.

Le 8, dimanche.—Il écrit à Mme et à Mlle de Vendôme. Fév
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A trois heures trois quarts[571], mené à l'Hôtel de Bourgogne, il se met à rire avec éclat et dit: Mousseu de Souvré, je ris ainsi, afin qu'on pense que j'entens l'italien. Ramené à six heures et demie.

Le 9, lundi, au Louvre.—Mené chez le Roi puis à la messe aux Feuillants, par la galerie, il se promène aux Tuileries, revient par le même chemin, va chez la Reine. A souper il donne le demeurant d'un hachis de perdrix à MM. de Vendôme et le Chevalier, les appelle ses frères par commandement du Roi.

Le 10, mardi.—Mme de Montglat, qui l'étoit venue voir, pleuroit: Mamanga, vous pleurez; ne pleurez pas, vous n'avez qu'une dent; comme elle lui veut dire adieu, il lui saute au col; elle pleure, il ricane pour s'assurer; l'on lui ouvre la porte du cabinet: Mamanga, velà la porte ouverte, allez-vous-en. Ce ne fut point par mauvaise volonté, mais pource qu'il se sentoit touché de ses larmes. A deux heures mené aux Chartreux, c'est la première fois. Il va à la foire, y joue à la rafle, perd deux cachets. La reine Marguerite lui donne sa foire: une enseigne et un cordon de diamants le tout estimé à deux mille écus[572]; elle commanda à l'orfèvre de lui bailler tout ce qu'il demanderoit, promettant de le payer.

Le 11, mercredi.—Il est mené à la messe en Bourbon, puis se va promener au jardin du Louvre, va donner le bonjour à la Reine. Il s'entretient à dîner avec un fol nommé Des Vietes[573]. Il va chez le Roi, revenant de Saint-Germain, où il avoit couché.

Le 12, jeudi.—Il va en la grande galerie, où il s'amuse à voir les carreleurs, les fait travailler, y aide, puis va donner le bonjour à la Reine et après au Roi, que la Fév
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goutte avoit pris la nuit précédente. La Reine lui donne une petite montre couverte de diamants.

Le 13 février, vendredi, au Louvre.—Mené en carrosse au faubourg Saint-Jacques faire courir un lièvre, dans le clos du sieur de La Tour, où il court deux lièvres, emporte les queues et les met à son chapeau. Il reçoit Madame, arrivée à Paris; à souper elle buvoit du vin; il lui dit: Ma sœur, vous êtes trop jeune pou boire du vin; j'en bois astheure, mais j'ai un an plus que vous; maître Gilles[574], ne donnez point de vin à ma sœur, elle est trop jeune. Après le souper il lui dit: Ma sœur, me voulez-vous voir tirer des armes? Et il fait envoyer querir le sieur Jeronimo pour lui montrer, tire devant Madame, puis ils vont chez Leurs Majestés.

Le 14, samedi.—A quatre heures mené à l'Hôtel de Bourgogne, ramené à huit heures tout morfondu de froid.

Le 15, dimanche.—Mené hors du faubourg Saint-Honoré, à la Ville-l'Évêque, qui appartenoit à Mlle de Longueville; il y fait courir un lièvre dans le parc. A sept heures soupé, il va chez le Roi, est ramené à onze heures et demie, à cause du ballet.

Le 19, jeudi.—Mené chez la reine Marguerite, à la foire, chez M. Conchino et chez M. de Gondi.

Le 20, vendredi.—Lu, écrit, tiré des armes[575]; il rompt d'une avant-main, sur l'épée du sieur Jeronimo, son fleuret près de la poignée, tant il étoit fort; il ne y avoit point de fêlure au fleuret; il tâche, en tirant, à surprendre son maître. Il est mené à la Roquette puis chez M. de Roquelaure.

Le 22, dimanche.—A neuf heures déjeûné, écrit; il s'avise qu'il étoit dimanche, s'en veut dédire, y est retenu Fév
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par M. de Souvré. Il écrit à regret, et dit: Parce qu'il est dimanche, j'écris rien qui vaille; il tire des armes, et en dit autant, tirant avec négligence.—La Reine le mène jusqu'à Villejuif, au-devant du Roi revenant de Fontainebleau.

Le 24 février, mardi.—Ce matin arriva la nouvelle du duc de Florence[576] qui étoit décédé le 7me du mois.

Le 27, vendredi.—Mené chez M. de Roquelaure avec la Reine, il revient avec elle sur le pont au Change, chez La Haye, et de là sur le pont aux Marchands, où il demande le nom des oiseaux de toutes les enseignes, puis au bout du Pont-Neuf, où il joue à une blanque, y gagne un tableau d'une Lucrèce.

Le 28, samedi.—Madame prend congé de lui, pour s'en retourner à Saint-Germain-en-Laye; il est mené en un jardin, au faubourg Saint-Jacques, où il fait courir des lièvres.

Le 2 mars, lundi, au Louvre.—Il va en la galerie aux accordailles de Henri de Bourbon, prince de Condé, avec Mlle [Charlotte] de Montmorency, fille de M. le connétable. Il demande à M. de Souvré: Quel pays est-ce que querouage? Il y avoit six jours qu'il lui avoit ouï dire le mot.—«Monsieur, lui répond M. de Souvré, je ne sais, mais qu'est-ce?»—Je ne sais; et si, je sais bien que c'est; puisque me le voulez pas dire, je le demanderai aux dames.—Et à qui?»—A madame de Souvré. Enfin, il dit que querouage c'est aller faire l'amour. Je lui avois dit que c'étoit aller au serein, au clair de la lune: Hon! c'est pas cela; il ne voulut jamais confesser celui qui lui en avoit donné l'interprétation[577].

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