Journal de Jean Héroard - Tome 1: Sur l'enfance et la jeunesse de Louis XIII (1601-1610)
1606
Le 10, samedi, à Saint-Germain.—A onze heures mené à la chapelle; étant sur son carreau, il se lève, va dire à M. de Verneuil: Féfé Vaneuil, priez Dieu pour papa, qui a failli se nayer, et se va remettre en sa place.—Mme de Montglat me disoit qu'écrivant au Roi elle avoit dit une petite menterie; elle vouloit dire que M. le Dauphin avoit pleuré, ayant su la nouvelle de son danger, bien qu'il fût vrai qu'il en demeura fort étonné. Lui, qui écoutoit toujours ce que l'on disoit, la regarde soudain premièrement sans dire mot, puis tout à coup lui dit: Ha! vous avez donc menti! Mené à la chapelle pour y faire chanter un Te Deum pour l'heureuse délivrance de Leurs Majestés.
Le 12, lundi.—Il dit la prière qui lui plaisoit fort et qu'il aimoit à dire: «Notre Seigneur Dieu et Père, veuille moi assister par ton saint Esprit et par icelui me gouverner et conduire à celle fin que ce que je ferai, dirai ou penserai, soit à ton honneur et gloire, au salut de mon âme et à l'édification des miens.»
Le 17, samedi.—Le Roi arrive de Paris; il va au devant du Roi, l'embrasse fort, l'accompagne au bâtiment neuf; il soupe avec le Roi, va en la cour avec lui[293].
Le 19, lundi.—Éveillé à huit heures, il est fouetté pour avoir fait le fâcheux à la chapelle, le jour précédent.
Le 21, mercredi.—Le Roi arrive de Paris; il va au devant du Roi, l'embrasse, le conduit en sa chambre.
Le 22, jeudi.—Il va trouver en sa chambre le Roi, qui
étoit parti pour aller au bâtiment neuf[294], court sur le
pavé au devant de lui; mené à la chapelle, dîné avec
Juin
1606
le Roi, qui part à deux heures et demie pour aller à
Paris.
Le 23 juin, vendredi, à Saint-Germain.—Il va mettre le feu au bûcher de la Saint-Jean, en la basse cour, puis va chez M. de Frontenac.
Le 25, dimanche.—J'arrive[295]; il court à moi gaiement; je lui donne un cheval noir et un gendarme dessus.
Le 26, lundi.—A cinq heures mené par le petit pont au devant du Roi revenant de la chasse; il est ramené dans la petite chambre de Mme de Montglat, où le Roi se met dans le lit, y fait mettre en chemise M. le Dauphin, qui se y joue fort privément [sic]. A six heures levé, à sept soupé avec le Roi; M. Groulard, premier président de Rouen, y vient; il lui donne sa main à baiser, par commandement du Roi. Le Roi s'en retourne à Paris à sept heures trois quarts, il le conduit et, en la cour, le Roi lui montrant M. le premier président et autres députés de Normandie, lui dit: «Voyez-vous ces gens-là, vous les commanderez après moi;» il répond froidement: Bien, papa; est fort privé avec le Roi, qu'il craint. Il conduit le Roi jusques au bâtiment neuf et, en la basse cour, le Roi lui disant: «Adieu, mon fils,» il (le Dauphin) devient rouge et la larme lui vient aux yeux. Le Roi le baise, l'embrasse, lui disant qu'il s'alloit promener et qu'il reviendroit incontinent; il s'apaise. Ramené il s'amuse sur le tapis, entretenu par Mmes de Vitry et de Saint-Georges, où il dit mots nouveaux et paroles honteuses et indignes de telle nourriture, disant que celle de papa est bien plus longue que la sienne, qu'elle est aussi longue que cela, montrant la moitié de son bras.
Le 27, mardi.—Mené en carrosse dans la forêt, à la
chasse aux toiles, il voit prendre deux sangliers et un
marcassin, et sauver une biche par-dessus les toiles; il ne
s'ennuie point, y prend plaisir froidement.—Il prend
Juin
1606
un petit violon, joue en concert avec Hindret, son joueur
de luth, nous fait chanter en concert: Hau! Guillaume,
Guillaume, puis: Maître Ambroise, ho! ho! d'où venez
vous, etc. Il baise sa nourrice, et lui dit: J'entrerai par
votre bouche, Doundoun, puis j'irai en votre ventre, vous
direz que vous êtes grosse et puis vous me fairez.
Le 28 juin, mercredi, à Saint-Germain.—Il s'amuse à son corselet neuf, dit qu'il veut être piquier. Vêtu, coiffé à bâtons rompus; pour le faire hâter, M. Birat lui dit que le Roi venoit. Le Dauphin, se retournant et souriant, dit tout bas à l'oreille de Mme de Montglat: Mamanga, voyez vous ce vieux penard qui me veut faire craire que papa vient. Descluseaux, soldat aux gardes, entre après le dîner du Dauphin, qui dit en le voyant: Hé! velà mon mignon, venez mon mignon Décuseaux; ce soldat avoit accoutumé de le faire jouer. Après souper il se joue en sa chambre, joue du violon en concert avec le luth, et chante: En m'en retournant, etc., puis danse le ballet des grenouilles, la morisque, fort joliment et en cadence, sans avoir été instruit.
Le 29, jeudi.—Il se fait armer, prend sa pique et sort en la cour, où l'on fait entrer la compagnie. Il se met à la tête, ayant à côté gauche M. de Verneuil, et M. de Liancourt au milieu, fait deux tours de la cour, puis il veut prêter le serment, lève la main, et lui étant demandé par le commissaire Faure s'il promettoit pas de bien servir le Roi, il répond: Oui, ayant premièrement ôté son chapeau et son gant de la main.
Le 30, vendredi.—Mené au jardin, il fait attacher son canon d'argent avec un jarretier, et le jarretier au derrière de la ceinture de son tablier, et se promène le faisant rouler après soi; il va ainsi jusques au palemail, se fâche de ce que les roues se crottent et la bouche aussi, s'en met en peine pour les faire nettoyer.
Le 1er juillet, samedi, à Saint-Germain.—Il s'amuse
à jouer de son petit sifflet d'ivoire et à entendre des
Juil
1606
contes de maître Guillaume[296]. Il sème des feuilles de
rose sur le banc où étoit assis Descluseaux, soldat aux
gardes qui le souloit faire jouer, et dit: C'est afin que
votre place sente bon; il aimoit ce soldat. M. de la Court,
exempt aux gardes, arrive; il le reconnoît et par son nom,
après avoir été un an et demi sans le voir.
Le 5, mercredi.—Mené à la chapelle, il ressort du chœur pour recevoir, dans la chapelle, l'ambassadeur de la Grande-Bretagne, accompagné du sieur Gandaloufin, gentilhomme de la chambre du roi de la Grande-Bretagne et de son jeune fils, échanson du prince de Galles, ayant charge de le voir de la part du prince de Galles; il lui répondit qu'il le remercioit de la souvenance qu'il avoit de lui et le prioit de l'assurer qu'il étoit à son service. Après souper il monte tout en haut de sa garde-robe, où il fait prendre ses armes toutes complètes, faites à Moulins, les fait porter en sa chambre avec la croix[297], les fait accommoder dessus, y travaille lui-même, va querir en son armoire son épée rouge et la y fait ceindre, puis fait apporter sa pique, la met lui même sous le brassal, toute droite comme s'il eût été en sentinelle.
Le 6, jeudi.—Il tenoit un chapelet de corail que le fils de M. de Montglat lui avoit envoyé de Florence; sa nourrice lui dit: «Monsieur, donnez-moi ce chapelet.» Il le lui refuse par plusieurs fois, elle lui dit: «Allez, vous êtes un gros chiche.»
Le 9, dimanche.—A dix heures il part pour loger au
bâtiment neuf[298]. Mlle de Ventelet lui dit: «Monsieur, il
faut être bien sage pour votre baptême, ou autrement maman
auroit un autre Dauphin, qu'elle feroit baptiser;» il
répond froidement: Et puis il m'en soucie bien, j'en serois
bien aise, j'irois où je voudrois, on me suivroit point. Il
Juil
1606
s'en va en la cour, le tambour se prend à battre pour
assembler, pensant qu'il dût sortir; il l'entend, et crie tout
haut: Je veux pas sortir, qu'on batte point, c'est que je
me joue.
Le 10, lundi, à Saint-Germain.—A cinq heures arriva au vieux château Mme la marquise de Verneuil.
Le 11, mardi.—Il se fait mettre au lit de sa nourrice, la baise partout où il peut, avec âpreté.—Il va faire un tour dans la galerie, où il faisoit faire un fort de briques dans lequel il faisoit loger toutes les armes qui étoient dans son armoire et mettre l'enseigne dans le donjon. Mis au lit, il demande à se jouer, se joue avec Mlle Mercier, m'appelle me disant que c'est Mercier qui a un conin qui est gros comme cela (montrant ses deux poings), et qu'il y a bien de l'eau dedans. Je lui demande: «Monsieur, comment le savez-vous?» Il répond qu'il a pissé sur maman Doundoun, et me dit: Écrivez cela dans votre registre; il rioit à outrance.
Le 13, jeudi.—Après dîner il range les noyaux de ses cerises sur l'assiette et me dit que c'est un moulin à vent. Je lui apprends là dessus le nom des vents, qu'il rumine, et les retient: Est, ouest, north, sud, les répète en lui-même pour les retenir. Après souper il range encore les noyaux sur le bord de son assiette, et nomme tout bas: Est, ouest, north, sud, puis m'appelle: Moucheu Héoua, velà les quatre vents, comment les appelez-vous en françois? Je les lui nomme: «Levant, ponant, tramontane, midi»; il les redit après moi.—Il va avec impatience en la cour pour voir deux chevaux que le jeune Montglat avoit emmenés d'Italie.
Le 16, dimanche.—A souper il demandoit sa gelée, Mme de Montglat lui dit: «Dites s'il vous plaît;» il répond: Papa dit pas s'il vous plaît, pource qu'elle lui disoit souvent qu'il falloit tout faire comme papa.
Le 17, lundi.—Il est fouetté pour avoir, le jour précédent,
fait le fâcheux à son habiller. A dix heures arrivent,
Juil
1606
conduits par M. le comte de Choisy, chevalier d'honneur
de la reine Marguerite, et de sa part, le président Savaron,
président à Clermont en Auvergne, et autres députés
avec lui, pour venir faire l'hommage d'obéissance et de
fidélité comme à leur seigneur, par la donation qui lui
en a été faite dudit comté par ladite Reine. Il les écoute
fort attentivement, froidement et la plupart du temps les
mains sur les côtés, par l'espace d'une demi-heure.—Il
s'amuse à faire une tour avec de la brique, trouve un ais,
dit qu'il en faut faire un pont-levis, commande d'aller
chez le menuisier qui travailloit aux offices pour avoir
un virebrequin, afin de faire des trous, dit-il, pour y
passer les cordons. On apporte le virebrequin, il en veut
travailler lui-même, et s'apercevant qu'il ne avançoit
pas beaucoup avant, pour ne tenir assez ferme, il donne
à tenir la main dessus et, lui, s'amuse à tourner.
Le 19, mercredi.—Mme de Montglat le fait prier Dieu puis dire des sentences; à celle-ci: «L'homme fol se fait connoître à ses propos,» le Dauphin dit: Velà pour maître Guillaume; et à celle-ci: «La folle femme fait toujours beaucoup de bruit»: Velà pour Mathurine.
Le 20, jeudi.—A midi, M. de Sully[299], revenant de
Rosny, le vient voir. Mme de Montglat fait ouvrir la
grande porte de la salle; M. le Dauphin y est mené en
attendant M. de Sully; comme il est au milieu de la
cour, elle le fait courir au devant de lui, pour l'embrasser
comme il faisoit au Roi. Il s'arme à l'accoutumée,
est piquier, fait armer la compagnie, entre en garde, va
à la charge, fait les exercices. M. de Sully lui donne cinquante
écus en quadruples, ses soldats les lui arrachent
des mains. Il n'eut presque pas le temps de les manier;
il ne lui en demeura qu'une pièce, qu'il tient ferme
contre Montailler, tailleur de Mme de Montglat, dont il s'écrie!
Juil
1606
Hé! maman, Montailler me l'arrache; elle y vient, la
prend et fait rendre les autres, qu'elle retient[300]. Il n'en
dit mot, ne s'en plaint point, mais peu après il dit: Mais
moi je suis soldat, et je n'ai point eu d'argent! M. de Sully
lui donne un doublon, puis s'en va.—Mme de Montglat
le tançant de ce qu'il étoit tout hâlé et noir dit que la
Reine en seroit bien courroucée, que pour le Roi il ne
s'en soucioit pas. «Ho! Monsieur, lui dit-elle, si vous continuez
à sortir comme vous faites, il vous faudra retenir,
vous seriez tout hâlé!» Il répond: C'est tout un, papa
veut bien que je sois noir.—Il avoit fort plu, comme il
fait fort mauvais temps depuis six semaines; M. de la
Court, exempt aux gardes, qui étoit en quartier, lui dit:
«N'allez pas à la cour, il n'y fait pas beau;» il lui répond
en souriant: Si fait, allons, allons, je m'en vas marcher
sur vous, puisque vous êtes la Cour. Il donne le mot à M. de
Belmont: Sainte-Barbe, puis dit à M. de la Court en souriant:
Sainte-Barbe la Cour, lui montrant sa barbe (la
barbe de M. de la Court).
Le 21, vendredi.—M. de Verneuil est revenu, qui avoit
été séparé pour la petite vérole et rougeole de sa sœur.—Il
y avoit environ six semaines qu'il ne se passa jamais
jour sans pleuvoir et faisoit une saison d'hiver, s'étant
fallu chauffer comme en hiver.—Mis au lit, il s'amuse
à railler, m'appelle et me dit d'écrire dans mon registre
que le conin de Doundoun est gros comme cela, dit-il, en
grossissant sa voix et élargissant ses poings; qu'il l'a
fouetté, qu'il est gras. Puis il me dit encore d'écrire que
le conin de sa mie Saint-Georges est grand comme cette
boîte (c'étoit celle où étoient ses jouets d'argent) et que
le conin de Dubois (damoiselle de Mme de Vitry) est grand
comme son ventre, que c'est un conin de bois. Je lui
Juil
1606
demande: «Monsieur, n'en avez-vous point?» Il répond
que non, qu'il a une cheville, qui est au milieu de son
ventre, mais que c'est Doundoun qui a un gros conin au
milieu des jambes. Enfin il prie Dieu, et s'endort à neuf
heures trois quarts.
Le 23, dimanche, à Saint-Germain.—L'on avoit séparé quelques-uns des petits enfants qui avoient accoutumé d'aller à la guerre avec lui, à cause des maladies de petite vérole, et de la peste de Paris; se jouant en la galerie et voyant ses armes dans son armoire, il dit à Descluseaux: Je veux vendre mes armes, astheure que toute ma compagnie s'en est allée.
Cette nuit, entre minuit et une heure, Canier[301] étoit en garde sur le perron des terrasses quand il vit, par le petit escalier à main droite, monter à lui un homme vêtu d'un pourpoint blanc, sans vouloir s'arrêter, quelque chose qu'il lui sût dire par la contrainte de descendre en bas pour l'arrêter et lui donner des coups d'épée qu'il rompit sur sa tête, sans dire mot que tout bas: «Hé! Monsieur!» Le voulant saisir au collet, il lui vient au nez une si puante odeur qu'il fut contraint de le lâcher, en étant avis être venue d'une boîte qu'il vit en sa main gauche et un linge autour du bras; quitte cet homme pour courir à sa pique, et, retournant à lui, le voit s'en retournant du côté du Pecq. L'on eut opinion que ce fut un graisseur; la peste étoit lors à Paris[302].
Le 24, lundi.—Il se ressouvient d'avoir ouï parler sur
Juil
1606
le jour[303] du sentinelle [sic] et de ce qui lui étoit arrivé
la nuit précédente, et ayant entendu de quelques-uns
que c'étoit un esprit, il dit: Si j'eusse été sentinelle, je
l'eusse tué cet esprit.
Le 25, mardi, à Saint-Germain.—On lui demande s'il est pas bien fâché de ce que M. le Chevalier s'en étoit allé (on l'avoit transporté au vieux château, à cause de la petite vérole qu'il avoit, sans fièvre); il répond: Non. Il s'amuse à faire des dessins avec du charbon, (représentant) des forges et des grottes.
Le 26, mercredi.—Il voit ses femmes s'en aller à la messe, y veut aller, y va; c'étoit le prêtre qui nourrissoit les petits oiseaux du Roi [qui la disoit]. Il fait quelque dessin; il avoit l'imagination du dessin de fontaine qu'il avoit fait en papier le soir précédent. Il s'amuse à voir faire un modèle de fontaine de terre de potier par M. Hindret, son joueur de luth. Il faisoit une journée froide comme en plein hiver et grand vent du nord; il y avoit plus de six semaines que la constitution de l'air étoit comme d'hiver.
Le 27, jeudi.—A souper il mange gaiement, et dit: Je sens la senteur des lapins qui sont dans ce fossé. Je lui dis: «Mais, Monsieur, ce ne sont pas des lapins, la fenêtre est fermée».—Je sais pas, mais je sens quéque chose qui pue; je pense c'est c'homme qui vouloit passer et qui potoit cette boîte; je pense qu'il est dans ce fossé.—«Monsieur, que sentoit cette boîte?»—Elle sentoit le safran.
Le 28, vendredi.—Il se fait mettre son corselet, son épée à sa ceinture, en écharpe, prend sa pique et se fait mettre en sentinelle par Descluseaux, soldat aux gardes, qui avoit accoutumé de le faire jouer et qu'il appeloit son mignon; mais il ne vouloit pas qu'il fût assis à table avec lui, pource que, disoit-il, il est pas gentilhomme.
1606
Le 29, samedi, à Saint-Germain.—Il est fouetté le matin, et prie Mme de Montglat de n'en rien dire. Il va au cabinet, où il regarde donner le fouet à Bigneux, page de Mme de Montglat, crie trois fois: Fouettez fort; soudain le cœur lui grossit, et il eut envie d'en pleurer, mais pour assurer sa contenance il se print à rire; il avoit beaucoup de peine à s'en garder. Mené au parterre et à la coudraie, il court, va aux vignes pour cueillir du verjus; montant la demi-lune, il m'aperçoit entrer au parterre pour monter par le degré par où, les jours précédents, voulut passer l'homme à la boîte. M. Birat le portoit; il s'avance et, avec soin et crainte que j'eusse du mal, rougit disant: Moucheu Hérouard, moucheu Hérouard, passez pas par là, c'est par où cet homme a passé; il me le dit plusieurs fois.
Le 30 juillet, dimanche.—Il donnoit de son pain à son petit chien; Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, il ne faut pas donner du pain aux chiens, il le faut donner aux pauvres.»—Les chiens sont-ils riches?—A neuf heures et demie dévêtu, pissé, il dit: Velà comme pisse papa; il montroit tout le ventre. Mis au lit, il parle de l'Orphée de la fontaine, qui joue de la lyre. Je lui demande de quoi étoient faites les cordes. Il répond: D'airain, ce qui étoit vrai. Je commençai à lui raconter qui étoit Orphée, comme il jouoit bien de la lyre, ce qu'il enseignoit aux hommes. Je lui représente la figure de la lyre antique; je lui dis que, après sa mort, sa lyre fut mise au ciel parmi les autres, il demande: Y a t'i point de violon?
Le 31, lundi.—Il va en la chambre de Mlle de Vendôme,
qui étoit au lit, fait déboutonner les boutons à
queue qui le tenoient ferme, disant: Déboutonnez tout;
sœu-sœu n'a point de plaisir. Il va en la chambre de sa
nourrice qui étoit au lit, lui saute au col, lui donne des
coups de poing sur les joues par caresses, disant: Je
t'aime tant que je te veux tuer, en mâchant sa grosse langue
Juil
1606
comme il avoit accoutumé de faire quand il faisoit quelque
chose avec grande ardeur.
Le 3 août, jeudi, à Saint-Germain.—En se couchant il dit à Mme de Montglat: Mamanga, me donnez pas le fouet demain matin[304]; elle lui répond: «Monsieur, je vous ai promis que vous ne l'aurez point.»—Ho! je sais bien que si; vous me fairez dire mes quadrains et puis vous direz: Ça troussons ce cu.
Le 4, vendredi, à Saint-Germain.—Ramené au vieux château, tambour battant à l'esquadre[305] de la compagnie, lui à la tête, ayant son haussecol.
Le 7, lundi.—Il se fait donner une enseigne de pierreries et de diamants que la Reine avoit baillée à mettre à son chapeau, s'en joue disant: Velà qui pèse neuf livres. Je lui dis qu'elle ne pesoit pas tant, et qu'il falloit envoyer querir les balances de M. Guérin, son apothicaire. Il répond: Oui, oui, Pierre (c'étoit le valet de chambre de M. de Ventelet). Venez ici, allez dire à Guérin qu'il m'appote ses petites balances pour peser mon enseigne, puis il me dit: Il pensera que c'est mon enseigne quand j'entre en garde. On lui met une petite coiffe de toile pour lui ôter le bonnet d'enfant et lui donner le chapeau. Je lui dis: «Monsieur, maintenant que l'on vous ôte le bonnet, vous ne serez plus enfant, vous commencerez à devenir homme; il ne faudra plus faire l'enfant.» Il m'écoute, et dit: Ho! je n'ai garde.—Il va au bâtiment neuf, entre dedans pour y voir les chambres tendues pour y recevoir Mme la duchesse de Mantoue.
Le 8, mardi.—Sur les deux heures, il vient au pied de
la vis, où il se tenoit pour le frais[306], et pour y entendre
Août
1606
une défense que Mme de Montglat fit faire à son de trompe
par Thomas le suisse et proclamée par Hugues Rabouyn,
huissier de salle, par laquelle, de par le Roi et Monseigneur
le Dauphin, il étoit enjoint à toutes personnes,
de quelque qualité, condition ou nation que ce fût, de
n'avoir à faire leurs ordures dans l'enclos du château,
sinon aux lieux destinés pour ce faire, à peine d'un quart
d'écu d'amende applicable: une moitié aux pauvres et
l'autre au dénonciateur des infracteurs, ou, à faute de ne
la pouvoir payer, de tenir prison au pain et à l'eau par
l'espace de vingt et quatre heures. Il y avoit en ce temps
ici de la peste à Paris et autres lieux circonvoisins.
Après le souper Mlle d'Agre surprend le Dauphin pissant
contre la muraille de la chambre basse où il étoit: «Ha!
Monsieur, dit-elle, je vous y prends! Vous payerez un
quart d'écu;» il se trouve surpris, rougit, ne sait que dire,
se reconnoissant avoir contrevenu.
Le 9, mercredi.—L'on vient dire que le Roi arrivoit, il
va en la cour, où le Roi arrive de Paris, pour le voir, court
au-devant, lui saute au col. Il va au palemail, par le petit
pont avec le Roi et un peu auparavant, en la salle du conseil,
arriva Don Ferdinand de Gonzague, fils puîné du duc
de Mantoue et chevalier de Malte, son cousin germain. Le
Roi le lui fait accoler, puis ils vont au palemail, où il joue
de grands coups jusques à la chapelle[307], où il entend la
messe avec le Roi. Dîné avec le Roi; peu après il a dansé
les branles et autres danses, puis il s'arme de son corselet
et de sa pique, fait armer sa compagnie; M. le Chevalier
étoit le capitaine; M. de Verneuil marchoit avec lui. Il
va en la cour, fait les exercices en la présence du Roi;
à la fin M. le Chevalier porta au Roi un papier où étoient
les noms des soldats de la compagnie pour le supplier de
Août
1606
faire ordonner le payement; le sieur de Saint-Aubin-Montglat[308]
se trouva là: le Roi lui bailla le papier, disant:
«Tenez, monsieur le commissaire, faites-leur faire
la monstre» (il étoit homme réputé pour être fort avaricieux).
Le Roi dit à M. le Chevalier qu'ils seroient payés
comme ils serviroient, puis, les voyant en bataille, il leur
dit qu'il ne falloit qu'un balai de verges pour faire fuir
toute cette compagnie[309]; à ces mots M. le Dauphin regarde
de côté, se souriant et rougissant. Le Roi s'en va au bâtiment
neuf, M. le Dauphin retourne en sa chambre;
il presse son goûter pour aller trouver le Roi, qui montroit
le bâtiment neuf au sieur don Ferdinand de Gonzague.
Le Roi part pour s'en retourner à Paris à quatre heures
et trois quarts.
Le 10, jeudi, à Saint-Germain.—Je lui demande: «Monsieur, qui a été le premier, la poule ou l'œuf?» il répond: La poule, après avoir tant soit peu songé. Je lui dis que je l'allois écrire en mon registre.
Le 12, samedi.—Il dit ses quatrains de Pibrac, en dit
quinze, et ses sentences; et en l'une, où il y avoit: «Celui
qui contient sa langue est sage,» il ajoute, du sien et
de son mouvement: Celui donc qui la lâche est fou.—A
quatre heures mené en carrosse, au bâtiment neuf, pour
y attendre la Reine, qui y arriva à quatre heures trois
quarts, menant Mme la duchesse de Mantoue, à laquelle il
fit grandes caresses; elle lui donna une écharpe de gaze
d'or et d'argent, où pendoit un poignard garni à l'antique,
et le lui mit au col. Il va en la galerie, où il court, joue
au palemail et envoie querir ses armes aux vieux château,
s'arme et toute sa compagnie, fait à l'accoutumée. A six
heures et demie, la Reine part pour s'en retourner à
Paris; les dames italiennes le baisèrent. Un quart d'heure
Août
1606
après, le Roi arrive, revenant de la chasse, le baise,
l'embrasse; à sept heures soupé avec le Roi. Pendant
qu'il mangeoit le Roi lui demandoit s'il lui vouloit donner
à coucher, et lui dit: «Si vous ne me couchez avec vous,
je coucherai avec maman Doundoun.»
Le 13, dimanche, à Saint-Germain.—On lui remet son bonnet par le commandement de la Reine, qui lui fit ôter sa coiffe à son arrivée. Mené au bâtiment neuf, au Roi, qui le mène à la chapelle, puis aux grottes de Neptune et d'Orphée. Ramené, il ne se veut point asseoir pour dîner que M. de Vendôme ne fût venu de chez le Roi, qui dînoit ayant en sa compagnie le sieur don Ferdinand de Gonzague, le prince d'Anhalt, M. de Bouillon et M. de Montbazon; enfin il se met à table sans vouloir manger tant que M. de Vendôme arrive: c'étoit par jalousie de ce qu'il ne y dînoit pas. A onze heures le Roi s'en retourne à Paris.
Le 16, mercredi.—Il fait assembler, entre les deux portes de la chambre et de la salle, tous ceux qu'il connoissoit savoir chanter et jouer des instruments, et leur commande de faire la musique; il étoit dans sa chambre, qui les écoutoit à travers la tapisserie avec transport.
Le 17, jeudi.—Il accommode son écritoire, la porte en sa chambre, disant qu'il veut étudier; Dumont, clerc de sa chapelle, lui apprenoit à lire et à écrire[310].
Le 20, dimanche.—Le sieur Francesco.....[311], peintre du sieur don Ferdinand, puîné de M. le duc de Mantoue, le pourtrait de son long; il s'amuse aussi à peindre et fait, dit-il, Mistaudin, petit garçon qui servoit le fils de M. de Liancourt, premier écuyer[312].
Le 21, lundi.—M. de Verneuil lui demande: «Mon
maître, vous plaît-il bien que je dîne avec vous?» Il répond:
Non, brusquement. Mme de Montglat lui demanda
Août
1606
pourquoi.—Pource qu'il en feroit coutume, et je veux pas.—«Monsieur,
mais papa le veut.»—Bien donc, je veux bien.
On le peignoit en dînant, et comme il voulut boire, je lui
dis: «Monsieur, on vous peindra le verre au poing;» il
s'arrête court, me regarde, se souriant et rougit; il ne vouloit
point boire tant que je l'eusse assuré que je l'avois dit à
petit semblant. Il perdoit patience à se laisser peindre;
le peintre l'amuse, disant qu'il avoit un petit oiseau dans
sa main.
Le 23, mercredi, à Saint-Germain.—Il va au sermon de M. de Saint Germain[313], a patience pour un quart d'heure, ne veut point entendre la messe. Mmes de Martigues et de Mercœur et Mlle de Mercœur le viennent voir; il s'arme de son corselet, prend sa pique et fait ses exercices devant ces dames. Mme de Rannes lui vouloit faire croire qu'elle étoit un vieil capitaine, mais qu'elle avoit fait couper sa barbe. Le Dauphin lui demande: Où est-elle?—«Je l'ai brûlée.»—Ho! ho! c'est que vous moquez de moi; vous êtes une femme. Mme de Saint-Georges lui dit: «Monsieur, où faut-il regarder si c'est un homme ou une femme?»—Entre les jambes.
Le 24, jeudi.—Il fait mettre un mouchoir sous les cordes du luth à Hindret, et lui commande de jouer le ballet des grenouilles. Il le danse sur le tapis en faisant les sauts en cadence.
Le 26, samedi.—Mme de Montglat lui fait dire son catéchisme
et, à la demande: «Pourquoi Dieu avoit condamné
Adam et Ève à la mort?» il répondit selon le sens
et non selon la lettre, et de soi-même: C'est pource que
ils avoient mangé de la pomme et Dieu l'avoit défendu. M. le
Chevalier et Mlle de Vendôme s'en alloient à Paris; il
faisoit paroître en avoir du déplaisir, et peu s'en falloit
qu'il n'en pleurât, disant: Ho! féfé Chevalier va bien voir
papa, et je n'y vas pas.—M. Birat lui disoit: «Monsieur, il
Août
1606
faudra, quand vous serez grand, que vous alliez prendre
Milan, que l'on a ôté à vos prédécesseurs[314].» Il répondit:
Oui, en s'animant.
Le 30 août, mercredi, à Saint-Germain.—Il va au devant de M. le cardinal de Joyeuse, légat pour le tenir à baptême, le trouve accompagné de M. le duc de Montbazon et de M. de Ragny; il ne faisoit que passer pour s'acheminer à Fontainebleau.
Le 4 septembre, lundi, à Saint-Germain.—Il y avoit deux soldats, Dufour et Harivet, qui étoient prisonniers pour s'être battus dans le quartier et contre les défenses; M. de Mansan les vouloit faire juger par les capitaines. Nous le voulons persuader (le Dauphin) de demander leur grâce, lui représentant qu'ils seroient arquebusés; cela le toucha, il rougit, et demande: Quand? demain?—«Non, Monsieur, lui dis-je, ce sera aujourd'hui;» il lui prend de l'inquiétude, et toutefois ne veut pas demander la grâce. Je lui dis: «Monsieur, vous demandez bien la grâce et faites donner la vie à des mouches et des petits oiseaux, et vous ne la voulez faire donner pour des braves soldats qui vous gardent?» Il répond: C'est qu'on me le fait dire; je le presse: Non, dit-il, je veux pas, et il eût voulu que ce fût fait; il en avoit de la peine. Je veux, dit-il, que ce sait Mamanga. Mme de Montglat arrive; il lui parle bas à l'oreille: Mamanga, un mot; dites à Taine qu'il[315] pardonne à ces soldats; il les veut faire passer par les armes. Il se retourne, rougit et cache sa face quand Mme de Montglat le demanda à M. de Mansan. On lui dit alors: «Monsieur, remerciez-en M. de Mansan;» il répond: Non, en étant fort aise et le témoignant par un honteux souris[316].
1606
Le 6, mercredi.—Un valet de pied de la Reine racontoit, comme à Fontainebleau, entre le logis de M. de Rosny, il y avoit soixante hommes artificiels et autant de diables qui se combattoient[317]: Hé! hé! dit-il en bégayant d'ardeur, il faut jeter dessus de l'eau bénite, en jeter à chacun sur la tête, puis il s'enfuiront en leur maison.
Le 8, vendredi, à Saint-Germain.—Je lui donne six muscardins[318], où il y entroit du bézoar, de la licorne, etc., sur la nouvelle de ce laquais qui étoit mort de peste en l'écurie de la reine Marguerite, et son compagnon qui l'avoit laissé malade étoit venu avec lui à Saint-Germain, avec la litière de la dite Reine qui devoit porter M. le Dauphin[319].
Le 9, samedi, voyage.—A douze heures et demie il est mis en litière et part de Saint-Germain en Laye pour son baptême; il arrive à Meudon à quatre heures et demie, est logé chez M. Garrault, trésorier de l'Extraordinaire. Il étoit conduit par M. de Souvré, accompagné de M. d'Oinville, maréchal des logis de sa compagnie, de M. de Courtenvaux, guidon, de M. d'Annerville, gendarme de sa compagnie, de M. de Champagne, lieutenant aux gardes du corps, de M. de la Court, exempt aux gardes du corps. Je lui disois qu'à Meudon il y avoit un beau château; il demande: Où est-il?—«Monsieur, il est tout là haut.»—Pourquoi m'y a-t-on pas logé?
1606
Le 10, dimanche, voyage.—A midi parti de Meudon en carrosse, ne voulant aller en litière; il arrive à trois heures à Chailly[320], près de Longjumeau.
Le 11, lundi, voyage.—On lui apporte un placet de la part d'un prisonnier qui étoit en la tour de Chailly; il en est si aise qu'il ne sait en quelle place mettre ce placet, délivre ce prisonnier qui s'étoit battu avec le curé. Mené à l'église, ramené en sa chambre, M. de la Court, exempt aux gardes, hausse la tapisserie pour lui faire voir le portrait de M. de Beaulieu-Ruzé, secrétaire d'État et seigneur de Chailly, étant armé à cheval comme il étoit à la bataille d'Ivry; peu après entrant en la salle, il en voit un autre tableau de son long, demande: Qui est cettui là? M. d'Angès répondit: «Monsieur, c'est M. de Beaulieu que vous avez vu là dedans à cheval.»—Il a donc mis pied à terre[321]? A midi parti en carrosse pour aller coucher à Villeroy, il arrive à trois heures et un quart, va aux jardins, aux fontaines, partout.
Le 12, mardi, voyage.—A douze heures et un quart, il part de Villeroy en carrosse, arrive à Fleury à quatre heures.
Le 13, mercredi, voyage.—Mené à la messe au prieuré,
il va aux jardins, fait pêcher au canal[322] qui est au-dessous
du parterre. A dîner Mlle d'Antragues se présente pour lui
baiser la main; il fait le honteux, rougit, se sourit et lui
Sept
1606
tourne le dos. Parti en carrosse à une heure pour aller
à Fontainebleau; à une lieue de Fontainebleau arrive
au devant de lui grande quantité de noblesse. Il arrive
à trois heures et demie à Fontainebleau, baise et embrasse
le Roi, la Reine, Mme la duchesse de Mantoue, va au jardin
de la Reine, joue à la paume sous la galerie. Soupé
avec le Roi. Mis au lit, il s'amuse à deviser avec MM. d'Épernon,
leur parle du canal que le Roi fait faire, qui va
jusques à la rivière.
Le 14, jeudi, à Fontainebleau.—A huit heures levé,
vêtu de son habit de satin blanc pour le baptême; à neuf
heures trois quarts déjeûné, mené chez le Roi et la Reine,
puis à la chapelle du Braquemard[323]; ramené à onze
heures trois quarts; dîné. Il veut voir sa chambre de parade,
y va, se y ennuie incontinent, craint de partir pour
le baptême craignant qu'on lui jetât de l'eau; le Roi lui
en avoit donné l'appréhension, on l'assure[324]. A quatre
heures parti de sa chambre avec les cérémonies et ordre
ici inséré[325], donné par M. de Rhodes, grand maître des
cérémonies. Il arrive sous le poële, où étoient les fonts;
à cinq heures et demie il est baptisé, nommé Louis; M. le
cardinal de Joyeuse parrain, Mme la duchesse de Mantoue
marraine. M. le cardinal de Gondi baptisa, c'est-à-dire fit
les restes des cérémonies. Il l'interrogea et répondit à propos,
ouvre sa poitrine pour y recevoir l'huile; M. de Montpensier
lui baissa le collet pour y recevoir le chrême sur
les épaules; il se prend à sourire, disant: Velà qu'est fraid.
Au sel il dit: Il est avalé, je le treuve bon. Cette cérémonie
dura près d'une heure[326], puis on le retire par la chambre
Sept
1606
de la Reine et celle du Roi en la sienne. Passant sur la
terrasse, il aperçoit dans la cour Descluseaux qui étoit
en la compagnie, et tout le régiment en la cour; il l'appelle:
Hé! mon mignon! Venez mon mignon! Il va en sa
chambre; il lui prend une humeur de vouloir entrer en
garde, se fait bailler sa pique, se fait mettre son hausse-col.
A sept heures et un quart soupé, à neuf heures trois
quarts dévêtu, mis au lit.
Le 15, vendredi, à Fontainebleau.—Mené au jardin des canaux, puis en carrosse à la maison des artifices à feu, il va chez le Roi et la Reine, est mené en la galerie du Roi d'où il regarde courir la bague en la basse-cour[327]. M. de Lorraine le vient voir à son souper; il se fait mettre à bas pour le saluer, le va embrasser; M. de Lorraine lui donne un fort beau canon. A huit heures et trois quarts le Roi envoya commander qu'on le menât au pavillon qui est au bout de la grande salle pour voir les artifices à feu, faits en forme de fort carré, défendu par des hommes et assailli par des diables. Il y est mené mais ne y pouvoit durer, s'en vouloit aller; on l'en divertit jusques à ce que le feu fût donné aux artifices; voyant les diables qui couroient autour du fort: Hé! mon Dieu, qu'il est joli! dit-il, cela dura longtemps. Ramené à dix heures en sa chambre.
Le 16, samedi.—Il va à la chapelle au bout de
la salle du bal, puis chez le Roi et la Reine, prend
congé de Mme la duchesse de Mantoue, puis s'en va au
grand jardin, où il voit faire des verres au fourneau
fait sous une des arcades de la terrasse[328]. Après dîner il
Sept
1606
va chez le Roi et la Reine leur dire adieu et, à deux
heures, il est parti de Fontainebleau en carrosse pour
aller coucher à Cély, maison appartenant à M. de Bonneuil
de Thou[329]. Il arrive à cinq heures, se joue au
jardin, va voir pêcher au canal. A six heures et demie
soupé en se jouant d'une sarbacane de verre qu'il avoit
fait faire à la verrerie.
Le 17, dimanche, à Cély.—Il va au jardin, où il se joue diversement, et à trois heures y fait porter sa collation et fait mettre sa serviette sur une bordure de buis qui étoit grande et épaisse.
Le 19, mercredi, à Cély.—Il est mené à Courance[330] dans mon carrosse, n'ayant point voulu entrer dans celui de M. de Fleury, le trouvant trop obscur. Il s'amuse à ramasser des cailloux au-dessous de la source du bois, monte à la grande source, goûte dans la salle des palissades, sur la table ronde d'ardoise, puis va voir conduire la nacelle sur le grand réservoir. Il est ramené et arrive à six heures à Cély.
Le 20, mercredi, à Cély.—Mené au parc, il y avoit une petite planche à passer, où M. de Souvré glissa et donna d'un pied dans l'eau. Mamanga, dit le Dauphin, gardez de tomber dedans. Il craignoit pour lui; on lui dit: «Monsieur, Birat vous portera, ne craignez point.»—Mais, dit-il, si Birat tombe dedans!
Le 21, jeudi, à Cély.—Je lui parlois des machines de
guerre et entre autres des échelles, lui disant qu'en haut
il y avoit des poulies revêtues de drap de peur du bruit,
coulant contre les murailles pour prendre les ennemis
Sept
1606
qui étoient dans les villes, et au bas des pointes de fer
de peur qu'elles ne glissent; il me demande: Papa
en avoit-il pour prendre Sedan. Il veut écrire au Roi qui
s'étoit un peu trouvé mal, écrit, moi ayant l'honneur de
lui conduire la main comme à toutes les autres qu'il
avoit écrites[331]; il m'envoya quérir à mon logis pour
cet office.
Papa, je suis bien marri de votre maladie; je voudrois bien être auprès de vous pour vous faire service et vous faire passer le temps, si vous le treuvez bon; mais j'aurai besoin de votre carrosse et de celle de maman, si vous plaît. Je sais faire de beaux jardins, j'en ai fait un en cette belle maison, vous le verrez un jour si vous y venez. J'ai fait aussi une belle petite fontaine; j'ai commencé une petite maison, mais c'est que je ne l'ai pu achever pource que mon valet Birat a oublié mon marteau et mon ciseau à Saint-Germain. J'ai peur de vous ennuyer, papa, je vous donne le bonsoir et à maman aussi; ma plume est bien pesante. Je suis et serai toujours, papa, votre très-humble et très-obéissant fils et serviteur,
Louis Daulphin.
Il me commanda de lui faire signer Louis; c'est la première fois qu'il a signé Louis[332]. Il s'amuse à griffonner sur un papier, fait un corbeau[333].
Le 22, vendredi, à Cély.—Il lui prend une humeur de vouloir écrire au Roi; il m'envoie quérir à mon logis par deux fois coup sur coup. Il écrit; je lui conduis la main:
Papa, je loue Dieu de ce que le petit Montglat m'a dit que vous
Sept
1606
étiez guéri; j'en ai fait trois petits sauts, j'en ferai six quand j'aurai
l'honneur d'être auprès de vous, et encore cent; j'en ai bien envie pour
vous faire très-humble service, parce que je suis votre petit valet; j'ai
retenu ici le petit souda avec son haussecou; il viendra avec moi s'il
vous plaît, papa; je m'en vas à la messe prier Dieu pour vous, papa,
et pour maman. Bonjour, papa, bonjour; bonjour, maman, je suis et
serai toujours, papa, votre très-humble très-obéissant fils et serviteur,
Louis Daulphin.
A quatre heures et demie il va à sa nourrice qui étoit au jardin et fait caca; elle, par faute de linge, l'essuie avec des feuilles. Le voilà à crier, à pleurer: Ha! la vilaine! Mme de Montglat arrive qui demande que c'est?—C'est Doundoun qui m'a torché le cul avec des feuilles, et se retournant vers elle: Ha! la vilaine, et il la frappe d'un petit bout de houssine. Achevé de nettoyer avec un linge par Mlle de Ventelet, n'ayant voulu permettre que ce fût la nourrice tant il étoit fâché[334].
Le 23, samedi, à Cély.—A neuf heures trois quarts
parti en carrosse pour aller à Chailly, sur le bord de la
forêt, dîner avec le Roi qui l'avoit mandé, y étant venu
à l'assemblée[335]. Il y arrive à onze heures. Dîné avec le
Roi, de la viande du Roi. Le Roi lui fait tâter le goût d'une
huître cuite: Bon, dit-il, j'en mangerai bien encore papa;
le Roi l'en refusa. A une heure et demie il part, va à Fleury,
voit toutes les avenues, va au grand canal où on lui avoit
fait mettre une roue de moulin pour lui donner du plaisir;
il faisoit hausser et baisser la bonde alternativement.
Ramené à Cély à quatre heures et un quart; il avoit porté
de Fleury une galère de jonchée, le voilà soudain au
canal pour la faire voguer.—M. de la Court lui dit:
«Monsieur, avez-vous pas bien entendu que papa vous a
dit qu'il vouloit que vous apprinssiez à vous laver les
Sept
1606
mains tout seul et à vous torcher le cul.—Oui.—«Que
ne lui disiez-vous qu'il ne le torchoit pas lui-même!»—Je
n'eusse osé, il m'eût donné le fouet[336].
Le 24, dimanche, à Cély.—A dix heures et demie il dit qu'il a faim; je lui demande s'il vouloit pas dîner: Non, dit-il, je veux attendre papa. Le Roi arriva à onze heures et demie; dîné avec le Roi. Il va en sa chambre, où le Roi se joue à lui. A deux heures et demie parti de Cély en carrosse, avec le Roi qui le mène à Fleury; amené au moulinet du canal. A quatre heures le Roi part pour aller à la chasse, et le Dauphin à Fontainebleau; il arrive à six heures et un quart, va chez la Reine, est ramené en sa chambre qui regarde l'étang, vers la grande galerie.
Le 25, lundi, à Fontainebleau.—A neuf heures mené
à la chapelle, puis au jardin de la Reine; monté en la
chambre du Roi et de la Reine, puis à onze heures il va
dîner avec le Roi en sa chambre. Il ne veut point de betterave,
y ayant tâté; le Roi lui donne du fenouil vert,
il dit qu'il le plantera dans son jardin. Il va chez la Reine,
puis en sa chambre, à une heure se met à la fenêtre du
cabinet, commande aux laquais: Ne faites point de mal
à cette femme, qui puisoit de l'eau, se ressouvenant y
avoir vu jeter une femme dans la fontaine par les laquais,
au dernier voyage[337]. A quatre heures et demie
mené au grand canal, puis au jardin des canaux, il va
voir l'autruche puis les gazelles; il s'amuse autour de
l'eau, voit les ombres dans l'eau de ceux qui étoient à
Sept
1606
l'opposite avoir la tête dedans et les pieds en haut, et
dit: Hé! velà les antipodes! Ramené à six heures, il rencontre
le Roi qui le ramène en la chambre de la Reine et
souper avec lui.
Le 26, mardi, à Fontainebleau.—Il va par le long du canal de l'étang au grand jardin, s'amuse à la fontaine du Tibre à faire donner et arrêter l'eau. Mené chez la Reine lui donner le bonjour, puis retourné en sa chambre. Amusé jusqu'à trois heures et demie à peindre, ayant fait apporter des couleurs.—M. de Sillery, garde des sceaux, le vient voir.
Le 27, mercredi.—Mené à neuf heures trois quarts au jardin des canaux où il trouve le Roi, il lui donne le bonjour et se y joue jusqu'à dix heures et un quart. Ramené par le grand jardin à la messe, puis chez la Reine. Il lui donne le bonjour et, à onze heures et trois quarts, en sa chambre, dîné.
Le 28, jeudi.—Se jouant avec un fouet de postillon, il le va passer sur de la fumée de genièvre et dit: C'est parce qu'il vient de Paris, je le passe pardessus le feu. La peste étoit à Paris.—M. de Souvré le vient voir et lui dit: «Monsieur, vous aurez aujourd'hui cinq ans, il ne faut plus être opiniâtre;» il répond gaiement et souriant: J'ai tout laissé à Saint-Germain, dans mon cabinet des armes.—A midi dîné en la salle du bal avec le Roi.
Le 29, vendredi.—Mené au jardin des canaux, où le Roi faisoit pêcher des truites. Il va chez la Reine, s'amuse à écrire disant: Je ferai bien d'un o un a, et il le faisoit.
Le 30, samedi.—Il prie Dieu, dit ses quatrains de Pibrac
et, à celui où il y a que Dieu, d'un souffle de sa bouche,
nous peut emporter, Mme de Montglat lui remontre
que, s'il n'étoit sage, que Dieu l'emporteroit bien loin,
d'un coup de son souffle. Eh! dit-il, je m'en retournerois
dans le ventre à maman.—Le Roi lui donne un
barbet, il demande: Papa, que sait-il faire? Comment
s'appelle-t-il? le Roi lui répond: «Il s'appelle Lion.» Il
Sept
1606
l'embrasse et le baise. Mme de Montglat l'en reprend et lui
dit qu'il ne faut point de chiens, qu'il est si laid.—J'aime,
dit-il, tout ce qui vient de papa.—Soupé avec le
Roi. Il va avec le Roi en la chambre de la Reine, laquelle
lui donne deux pièces de monnoie d'or; ramené en sa
chambre, querelle pour ces pièces d'or entre Mme de
Montglat et sa nourrice, lui bien empêché pour les contenter
toutes deux; et ses larmes et cris voyant pleurer
sa nourrice[sic]; enfin apaisé[338].
Le 1er octobre, dimanche, à Fontainebleau.—Mené au jardin des canaux, au Roi, où M. de Vitry emmena la meute de chiens que le prince de Galles avoit, depuis quelques mois, envoyée à M. le Dauphin[339]; le Roi lui demande: «Mon fils, que lui envoyerez-vous en récompense de ces chiens?»—De petits chevaux, mais que ma petite jument les ait faits.—Il vouloit aller au rut avec le Roi et la Reine; il en est diverti, est mené au chenil.—Mené au cabinet de la Reine, où il s'amuse à jouer aux cartes, au hoc; le petit More[340] l'appelle coquin, il lui jette ses cartes au visage.
Le 2, lundi.—A neuf heures déjeuné; M. de Lesdiguières
y étoit présent qui lui promet des armes de Milan.
Mené au jardin des canaux, Ange Cappel, sieur du
Luat, lui fait la révérence, lui dit qu'il est son très-humble
serviteur; le Dauphin l'ayant vu un peu retiré
dit: Mamanga, il ressemble à maître Guillaume[341], le voyant
chauve et la barbe rase[342]. La Reine le mène en carrosse
Oct
1606
dans la forêt au devant du Roi qui étoit allé à la chasse
du chevreuil.
Le 3, mardi, à Fontainebleau.—Éveillé à une heure après minuit, en sursaut, avec un cri haut extrêmement, et effroyable. Sa nourrice et Mlle de Ventelet vont à lui, demandant ce qu'il avoit: Hé! c'est que papa s'en va sans moi, pleurant et fondant en larmes; hé! je veux aller avec papa, attendez-moi, papa! Il le songeoit et s'en éveille; il aimoit fort et craignoit le Roi; il se rendort à peine ayant le cœur saisi. Éveillé à sept heures, sa nourrice lui a demandé: «Monsieur, qu'aviez à songer et à crier cette nuit?»—Doundoun, c'est que je songeois que j'étois à la chasse avec papa, j'ai vu un grand, grand loup qui vouloit manger papa et un autre qui me vouloit manger, et j'ai tiré mon épée, puis je les ai tués tous deux[343].—A huit heures trois quarts dévêtu. On lui a lavé les jambes dans de l'eau tiède, au bassin de la Reine; c'est la première fois.
Le 4, mercredi.—Il va courant jusqu'en la chambre de M. de Guise pour donner le bonjour au Roi, qui s'en alloit à la chasse. Mené chez le Roi au retour de la chasse.
Le 5, jeudi.—Il va au jardin des canaux, est ramené avec le Roi, qu'il ne veut point quitter pour dîner avec lui.
Le 6, vendredi.—Mené au grand canal où étoit le Roi
qui se promenoit sur la chaussée, parlant à un capitaine
espagnol tout seul; Mme de Montglat le lui dit, il répond:
S'il vouloit faire mal à papa, je le battrois bien.—Dîné
avec le Roi; il prend plaisir à ouïr maître Guillaume.—Mené
chez le Roi et la Reine au cabinet, il s'amuse à
faire des châteaux de cartes; M. de Verneuil lui demande:
«Mon maître, cette maison est-elle à vous?»—Non,
je n'en ai point, elle est à papa.—«J'en ai une,
moi.»—Qui est-elle?—«Verneuil.»—Vous êtes un menteur,
elle est pas à vous, elle est à votre maman.—Soupé
Oct
1606
avec le Roi qui lui fit servir de la viande; il voulut demander
au Roi du poisson[344], le Roi lui dit un peu brusquement
qu'il l'envoyeroit souper en sa chambre s'il ne
mangeoit sa viande; il se tut tout court et ne demanda
plus rien, et mangea du mouton bouilli (deux nœuds
de la queue).
Le 7, samedi, à Fontainebleau.—Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, vous pleurerez bien quand vous ne serez plus avec moi et que vous irez avec M. de Souvré.» Il lui répond: Mamanga, ne parlons point de cela.—Il va avec la Reine au devant du Roi revenant de la chasse.
Le 8, dimanche.—Il va au jardin des canaux, puis en celui où étoient les gazels (sic), les fait courir et son chien après eux. Dîné avec le Roi.
Le 9, lundi.—La Reine le mène en son carrosse jusques à la route de Moret, pensant rencontrer le Roi revenant de la chasse.
Le 10, mardi.—Mis en carrosse avec LL. MM. pour aller aux toiles, hors de la forêt, au commencement du chemin de Melun. Il voit prendre quinze ou seize sangliers.
Le 13, vendredi.—Le Roi venoit de jouer et avoit perdu, et le baisant lui dit: «Mon fils je viens de jouer tout votre bien.»—Excusez-moi, papa, il n'est pas à moi, il est à vous, papa. Il va donner le bonsoir à LL. MM. puis revient en sa chambre où il se joue encore, fait prendre à Boileau, son violon, un petit fagot de paille entre les jambes, chantant: «Vous ne me sauriez bouteur, bouter, etc.;» lui, avec le flambeau, le suit partout et y mit le feu par deux fois.
Le 14, samedi.—Mené au lever de la Reine et de là
en carrosse pour aller trouver le Roi au grand canal, il
le rencontre en chemin; le Roi le ramène et le mène au
parterre du Tibre, où, par les sentiers des compartiments,
Oct
1606
le Roi court après lui, faisant semblant de lui vouloir
prendre son chapeau sur la tête, puis il court après le
Roi qui se laisse surprendre.—A six heures et demie
soupé; il y avoit un page de la chambre auquel il demanda:
Comment vous appelez-vous?—«Monsieur, je
m'appelle Des Ars.»—Vous êtes donc un arc? il vous faut
attacher une corde au nez et au bout des jambes, et puis y
mettre une flèche et tirer. Il dit d'un autre page de la
chambre qui se nommoit Racan[345]: Mamanga, velà l'arc
en ciel, pour ce qu'il tournoit le nom en son entendement
imaginant Arcan, et ajoutoit ciel en sa petite
fantaisie; il avoit et se plaisoit à des pareilles rencontres.
Le 15, dimanche, à Fontainebleau.—A neuf heures et demie déjeûné. Il flatte Mme de Montglat, lui baise les mains, la robe, lui saute au col; c'étoit instruction, non de son naturel. Dîné avec le Roi. A six heures et demie soupé; il demande à un page de la Reine qui étoit Italien: Comment vous appelez-vous?—«Monsieur, je m'appelle Pettrousse[346].»—Vous appelez donc Troussepet, dit-il soudain.
Le 16, lundi.—Il va chez le Roi en son cabinet, prend congé de lui; le Roi s'en alloit à Nemours[347] et de là voir le canal de Briare. Mené chez la Reine, il prend congé d'elle; la Reine part.
Le 18, mercredi.—Il va à la volière et de là chez M. de Roquelaure, où il voit manier[348] sa petite mule, qui même passoit par-dessus un cerceau, à quoi il prenoit un extrême plaisir.
Le 20, vendredi.—Mené voir Mme la comtesse de Moret.
Le 24, mardi.—Mené à la messe; M. Birat le portoit
Oct
1606
ayant la tête nue et M. de Belmont marchoit auprès, la
tête couverte; il dit à M. Birat: Mettez votre chapeau.—«Monsieur,
je suis bien.»—Non, non, mettez votre chapeau,
vous êtes vieil; ôtez votre chapeau>, Belmont.
Le 25, mercredi.—Il est mené à la messe, puis a voulu monter à l'horloge y voir le Vulcain Jacquemard[349]. Mené chez Mme la comtesse de Moret, puis au jardin des Mathurins et de là en la chambre de M. Héroard[350].
Le 27 octobre, vendredi, à Fontainebleau.—Je parlois du Blond[351], peintre, disant qu'il faisoit bien les visages, il demande: Et pour le reste?
Le 28, samedi.—Mené par le jardin de la Reine en la conciergerie, voir Mme la comtesse de Moret.
Le 29, dimanche.—Mené à la messe, à la chapelle de la salle du bal, il se dépêche de y aller afin que Madame ne les autres petits ne y soient pas comme lui. Mené au jardin du Tibre, il y court le cerf; c'étoit M. Birat puis son page Bompar, puis il se fait le cerf. Il donne à manger aux cygnes, va par-dessous la terrasse au logis neuf de M. Zamet, et de là, par la conciergerie et le jardin de la Reine, en sa chambre. Mené au jardin des canaux; il va voir les autruches et après va voir manier la petite mule de M. de Roquelaure qui passoit dans un cercle, sautoit sur le bâton, se mettoit à genoux, marchoit dessus avec un singe dessus; le Dauphin y faisoit monter des laquais et prenoit plaisir à les voir tomber. A six heures et un quart soupé; les pages de la chambre du Roi y viennent, le font jouer aux cloches d'ivoire et le moine dessous, puis aux piliers où l'on demande: La compagnie vous plaît-elle? (jeu d'enfants de douze à quinze ans). Il y jouoit, entendoit le jeu.
1606
Le 30 octobre, lundi, à Fontainebleau.—M. de Gramont, écuyer de M. de Roquelaure, lui demande: «Monsieur, connoissez-vous M. de Roquelaure?»—Oui.—«A quoi le connoissez-vous?»—C'est qu'il est borgne[352]; et il se prend à rire, mais d'un rire d'hôtelier, car il n'étoit pas grand rieur. A onze heures trois quarts il dit sa leçon; il y a bien de la peine à le y faire résoudre; auparavant il s'amusoit à chasser des mouches. A six heures et un quart soupé; les pages de la chambre du Roi arrivent, se mettent à jouer à La compagnie vous plaît-elle? puis à Bis cum bis etc.; il fait le maître aucunes fois, et quand il ne sait pas dire quelque chose qu'il faut, il le demande; il joue à ces jeux ici comme s'il avoit quinze ans, joue à faire allumer la chandelle les yeux bouchés.
Le 31, mardi.—Un homme qu'il avoit fait mettre hors de prison[353], le vient remercier; il lui dit: Soyez homme de bien à l'avenir. Sa partie y étoit: Soyez gens de bien tous deux et ne vous demandez plus rien, et priez Dieu pour papa et pour maman.
Le 1er novembre, mercredi, à Fontainebleau.—Mené à la chapelle de la salle du bal, il se confesse à son aumônier pour la première fois.
Le 4, samedi.—Vêtu, peigné paisiblement; M. Zamet y étoit, ce qui le retenoit, craignant qu'il ne dît à la Reine s'il faisoit le fâcheux.—Il se joue à divers jeux, les pages de la chambre avec lui; ils dansent le branle: Ils sont à Saint-Jean des choux, et se donnent du pied au cul; il le dansoit et faisoit comme eux.
1606
Le 5, dimanche, à Fontainebleau.—Il joue aux barres et entend le jeu et les termes du jeu. A cinq heures le Roi arrive, revenant de Montargis; il lui va au devant courageusement[354] et toujours courant jusques au pied de l'escalier de la basse-cour, va en la chambre du Roi, où il se joue jusques à six heures que la Reine arrive; l'ayant saluée, peu après il s'en va en sa chambre.
Le 6, lundi.—Il sort avec le Roi, qui s'en alloit promener; il pleuvoit, le Roi lui dit: «Mon fils, il pleut; allez-vous-en.»—Non, s'il vous plaît, papa; je crains pas la pluie.—«Mais je crains que vous ne deveniez malade.»—Je le serai pas, papa, et il le suit. C'étoit d'amour qu'il avoit au Roi, car il craignoit d'aller à la pluie. Ramené en la chambre de la Reine, il s'en va en la chambre du Roi, le y attendant pour dîner; M. le prince de Condé prend la serviette, la lui présente pour la servir au Roi, le Dauphin lui dit: Attendez que papa soit venu; gardez-la, puis je la prendrai; dîné avec le Roi.—Le Roi lui fait la guerre, lui disant qu'il est amoureux de la Tornaboni, l'une des filles de la Reine; il en est honteux et en eût volontiers pleuré; cela lui fait prendre envie de revenir en sa chambre.—Mené chez le Roi pour lui donner le bonsoir, le Roi le voulant asseoir sur le lit vert du cabinet lui dit: «Mon fils, mettez-vous ici entre maman et moi.»—Excusez-moi, papa, je me mettrai bien là derrière, dit-il par respect.
Le 7, mardi.—Il s'amuse à mettre en bataille, file à file, toute sa compagnie de pièces de poterie, et le Dauphin[355] étoit à la tête.—Mené chez le Roi au cabinet, où il s'amuse, avec de l'encre et une plume, à faire des oiseaux; il joue à trois dés, M. de Bassompierre contre lui, en lui apprenant le jeu.
1606
Le 8, mercredi.—Il dit vingt-cinq quatrains de Pibrac. Mené chez le Roi, le Roi lui dit qu'il veut que le petit More[356] couche avec lui.—Il noirciroit les draps, papa, n'ayant point voulu dire qu'il ne le vouloit pas.
Le 9, jeudi, à Fontainebleau.—Mené chez le Roi, qui étoit encore au lit, le Roi le met dessus, lui disant: «Vous êtes un petit veau.»—Excusez-moi, papa, si vous aviez vu comme je saute, vous diriez pas que je sois veau.—Il va chez M. de Rosny, au bout du parterre, est ramené chez la Reine, puis du balcon de l'escalier il regarde M. de Créquy et autres qui jouoient au ballon en la cour.—Le Roi l'envoie querir pour souper, puis il retourne en sa chambre pour faire habiller tous ces petits qui étoient avec lui, avec Madame et Mlle de Vendôme, pour un ballet. Il n'en veut point être, dit: J'en fairai demain un tout de garçons, retourne chez le Roi, où il voit danser ce ballet.
Le 10, vendredi.—Mené chez le Roi et la Reine; la Reine lui demande s'il veut dîner avec elle, il s'en réjouit, n'en peut être dissuadé. Il va à la messe avec la Reine, et revient avec elle; dîné avec elle à douze heures et demie.
Le 11, samedi.—Mené chez le Roi, où il trouve la
Reine. Le Roi lui dit: «Mon fils, je m'en vais à Saint-Germain,
voulez-vous venir avec moi?»—Oui, papa. La
Reine lui dit: «Mais papa va en poste.»—C'est tout un,
j'irai à pied, je courrai tant que je pourrai, et s'il va trop
fort je m'arrêterai, et puis je m'en retournerai. Le Roi
lui dit: «Mon fils, me servirez-vous bien?»—Oui, papa.—«Me
donnerez-vous bien ma chemise, mon collet, mon
mouchoir?»—Oui, papa.—«Mais vous ne me sauriez
donner mes bottes?»—Excusez-moi, papa, je ferai tout,
dit-il gaiement. La Reine lui dit: «Mais je veux aussi
que vous me serviez.»—Je le veux bien, maman.—«Mais
vous ne me sauriez coiffer.»—Excusez-moi, maman;
Nov
1606
puis, reconnoissant qu'il s'étoit mépris, et y ayant songé,
il s'en va droit à la Reine: Maman, ce sera ma sœur.
Le 12, dimanche.—Les députés du Dauphiné lui viennent faire la révérence en corps, lui témoignant leur fidélité et affection, et le suppliant de les conduire devers le Roi pour le supplier d'accorder leur demande, à laquelle il avoit intérêt (c'étoit pour réunir au Dauphiné la Bresse, donnée en récompense du marquisat de Saluces). Il les remercia de leur bonne volonté, leur promit la sienne selon les occasions, mais [leur dit] pour ce sujet que tout étoit à papa. M. de Lesdiguières les conduisit.—Il va chez la Reine, puis à la volière, de là chez M. Zamet, d'où il voit, en la cour, courir deux renards; il étoit à la fenêtre d'où il commande: Maître Martin, lâchez ce chien blanc, puis celui-ci ou celui-là, les nommant par leur nom; il commandoit magistralement et à propos.
Le 13, lundi, à Fontainebleau.—Mené chez le Roi et chez la Reine, puis à la chapelle de la salle du bal; il va de là au grand jardin, où il joue au ballon, du poing: M. de Bassompierre le lui avoit donné; dîné avec le Roi.—Il causoit avec Mathurine[357], lui dit que si elle étoit morte il la feroit mettre en terre; M. l'aumônier lui dit: «Monsieur, vous en ferez donc des reliques?»—Ho! dit-il en souriant, une belle relique de folle.
Le 14, mardi.—Il voit Boileau, son violon, qui caressoit Joron, l'une de ses femmes de chambre, de laquelle Boileau étoit amoureux; elle étoit couchée au lit de sa nourrice: Boileau, venez ici, venez çà, venez à moi, dit-il, impérieusement; et comme il se fut approché: Qui vous fait si hardi de vous jouer à mes femmes de chambre? et devant moi! Il s'amuse à ses animaux de poterie, qu'il met en bataille, l'appelle sa compagnie.
Le 15, mercredi.—Mené chez la Reine; soupé avec le Roi.
1606
Le 16, jeudi, à Fontainebleau.—A onze heures et un quart dîné; il entretient Engoulevent, prince des sots[358]; il lui demande: Que vous est papa? pource qu'il disoit que le Roi le suivoit et qu'il étoit prince des sots.—Il prend sa bandoulière et son mousquet, fait armer sa compagnie; M. de Verneuil, arquebusier, marche auprès de lui, M. le Chevalier est le capitaine, et il s'en va ainsi, par la terrasse des deux cours, trouver dans son cabinet la Reine, qui alloit au devant du Roi revenant de la chasse. Il fait tous les exercices devant elle, prête serment de bien servir le Roi, puis sort en bataille en l'antichambre, où il fait haie et battre le tambour pendant que la Reine passe, puis se désarme et est mené chez M. de Rosny, au pavillon qui est au bout du parterre; il le rencontre, puis est mené en la chambre pour y voir Mme de Rosny. Il va chez le Roi, veut souper avec lui; le Roi se met à jouer, le renvoie souper en sa chambre.
Le 18, samedi.—Il fait chanter deux jeunes enfants de la musique de la Reine, lui assis, les écoutant attentivement comme immobile, tant il aimoit la musique.—M. de Vendôme arrive revenant de la chasse avec le Roi; il racontoit comme le Roi étoit encore dans la forêt et que comme, lui (M. de Vendôme), est arrivé dans la basse-cour, les gardes ont commencé à prendre les armes et à battre le tambour; il entend cela, et, se retournant vers lui, demande: Ont-ils pris leurs armes pour vous?
Le 19, dimanche.—Mené au Roi en la salle du bal,
pour y voir combattre les dogues contre les ours et
le taureau; un ours ayant mis sous lui un des dogues,
il se prend à crier: Tuez l'ours, tuez l'ours.—Mené
chez la Reine, où, à neuf heures, il assista aux fiançailles
de M. le prince d'Orange avec Mlle de Bourbon[359]. Ramené
Nov
1606
à neuf heures trois quarts, il ne se veut point coucher,
se fait mettre sa cotte, se fait tenir par la lisière
pour imiter les dogues qu'il avoit vus tirant la laisse
pour se jeter contre les ours.
Le 20, lundi, à Fontainebleau.—Mené sur les terrasses de la chambre de la Reine pour voir combattre des dogues, puis mené en la chambre du Roi, où se trouva M. de Rosny, autrement M. de Sully[360]. Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, l'on dit que vous êtes avaricieux[361], demandez à M. de Sully de l'argent pour donner.» Il ne dit mot, et ne veut point; il ne demandoit pas aisément, de peur d'être refusé; il s'en offensoit. Mme de Montglat l'en presse, et sur cela il entend que M. de Sully disoit: «Il n'est pas encore temps;» il se retourne soudain, comme dépité, disant: C'est pas du sien, c'est de celui à papa, et s'en va. Mme de Montglat le retire vers M. de Sully: «Monsieur, dit-elle, dites à M. de Sully qu'il fasse pour moi ce que je lui demanderai.»—Qu'est-ce?—«Monsieur, dites-lui seulement cela.» Il demanda toujours ce que c'étoit, et enfin, fort pressé, dit par acquit et se retournant: Faites cela pour Mamanga, et s'en va tout dépité.
Le 22, mercredi.—Il commence à apprendre à danser,
apprenant la sarabande, le branle gai. Il chasse Engoulevent,
bouffon; il haïssoit naturellement les plaisants et
bouffons. M. le prince d'Orange prend congé de lui, s'en
allant à Valery se marier à Mlle de Bourbon; Engoulevent
étoit rentré en sa chambre, il le chasse, lui donne des
coups de pied.—Mené chez le Roi, il le suit au jardin
de la Reine; le Roi lui commandant de l'attendre là
Nov
1606
pendant qu'il entre en la galerie des cerfs pour parler
d'affaires, il va dans la volière, fait jouer les robinets,
rentre au jardin. Mme de Montglat le veut mener au lever
de la Reine, il s'en défend; elle le presse: Mais papa
m'a commandé de ne bouger d'ici; elle le veut forcer,
le tire, il résiste disant: Je le veux aller demander à
papa; elle le y mène par force, y va; le Roi le mène
à la messe, puis à midi il a dîné avec le Roi.
Le 23, jeudi.—Il s'amuse à voir faire un habillement à la matelote, chausses et jupe pour conduire le ballet que faisoient M. le Chevalier et Mlle de Vendôme; vêtu de chausses à la matelote et d'une jupe de gaze, il est extrêmement content, se fait mettre son épée au côté en bandoulière, à huit heures est mené chez le Roi.
Le 24, vendredi.—L'ambassadeur du duc de Saxe le vient visiter de la part de son maître, lui disant en avoir commandement et qu'il prioit Dieu qu'il fût un jour un grand prince; M. le Dauphin lui donne sa main à baiser et l'embrasse, le remercie, dit qu'il est à son service et qu'il le servira toujours envers le Roi pour le tenir toujours en son amitié et bonne intelligence.
Le 26, dimanche, à Fontainebleau.—M. de Roquelaure se jouant à lui l'appelle: Maître Louis; il repart soudain: Maître borgne; il l'étoit. M. de Bassompierre se jouant à lui l'appeloit: Maître badin; il repart sérieusement et sans rire: Maître sot. Le Roi dit au Dauphin et à M. de Roquelaure: «Qui voudra être le mignon de papa il faut qu'il mouche ce flambeau»; il y saute soudain tout le premier, le mouche net et se brûle au bout du doigt indice, sans s'en plaindre qu'en souriant.
Le 27, lundi.—Mené chez le Roi, M. de Roquelaure
l'appelle: Sergent Louis; il lui répond: Sergent borgne.—Il
entretient M. de Mansan, lui demande les noms
des capitaines qui doivent entrer en garde, de ceux qui
les relèvent et du lieu où ils entrent en garde; sur le
nom du sieur de Drouët, il dit: Son tambour est gaucher;
Nov
1606
il étoit vrai, et si il y avoit longtemps qu'il ne l'avoit vu.
Il joue au jeu: Je vous éveille, et ne s'éveille que pour
le Roi et pour la Reine, pour Mme de Montglat et son fils.
Le 28 novembre, mardi.—Mme la princesse d'Orange de Coligny[362] le vient voir; il entend que l'on lui ramentevoit comme le soir précédent le Roi et la Reine lui faisoient la guerre, et que le Roi la frappant, elle dit comme elle fut contrainte de se revenger et le frapper. Comment, lui dit le Dauphin, vous avez battu papa! Si j'y eusse été je vous eusse porté par terre, et il se jette sur elle pour le faire, et dit animeusement: Je suis bien fort. Elle lui répond qu'il ne l'étoit pas assez tout seul; J'envoyerai querir féfé Vaneuil. Il le fait, et l'attendant il se jette sur elle, tâche de lui donner la jambe[363]. M. de Verneuil arrive, il le tire à part, lui raconte tout bas ce qu'elle avoit fait, ce qu'ils ont à faire, puis soudain partant du bout de la chambre: Suivez-moi, et il se prend à courir droit à elle, se jette sur elle, qui feint de plier.
Le 30, jeudi.—Il ne se veut point coucher que la plus petite Panjas, qu'il avoit envoyé querir, ne soit arrivée; on lui demande s'il veut pas que la petite Panjas couche avec lui; il répond: Elle est pas princesse. Je lui demande: «Monsieur, ne coucherez-vous jamais qu'avec des princesses?»—Non. Elle arrive, il la baise, elle lui tendant sa joue, la considère froidement, puis peu à peu entre en discours avec elle: le jeu commence à lui plaire; elle, s'en retournant, lui donne le bonsoir; il s'avance et la baise en la bouche, ce qu'il ne faisoit à personne. On demande à la petite Panjas si elle vouloit bien coucher avec M. le Dauphin, elle répond oui; lui, souriant, dit: Vous êtes donc une garçonnière.
Le 1er décembre, vendredi, à Fontainebleau.—Mené à
la galerie lambrissée, ayant une épée; le Roi y vient, et
Déc
1606
lui dit: «Quoi, mon fils, vous avez une épée; est-ce contre
moi?»—Ho! ho! Jésus! non, papa. A quatre heures mené
chez le Roi et la Reine revenant de la chasse.—Arrivent
deux lieutenants du régiment des gardes; l'un il l'appelle
Croquant et l'autre Harlequin, par raillerie; il se familiarisoit
de son mouvement avec les soldats plutôt qu'avec
toute autre sorte de personnes, faisant du pair et compagnon
avec eux.
Le 2, samedi, à Fontainebleau.—A sept heures et demie levé, vêtu[364], peigné, coiffé paisiblement pour le desir qu'il avoit d'aller dire adieu au Roi, qui devoit partir pour aller à Paris et partit sur les neuf heures. Mené chez le Roi, qui lui demanda quand il vouloit qu'il l'envoyât querir?—Quand il vous plaira, papa. Il étoit triste de ce départ; le Roi le rassura, lui disoit que dans peu de jours, il le renvoyeroit querir, et lui commanda d'avoir soin de son ménage. Il prend congé du Roi, bien aise d'avoir été seul et d'avoir surpris les autres petits. La Reine part à une heure après midi.
Le 4, lundi.—M. d'Arquien le vient voir, revenant de Metz. Il joue aux poules pour enfermer le renard, avec patience et froideur, demande: Doundoun, que faut-il jouer? et chante en jouant comme une grande personne qui ne laisse pas de regarder et de considérer son jeu: Maintenant que nos cœurs sont pleins d'amour et que chacun, etc., avec l'air. Il lui prend une humeur d'étudier, demande son livre pour étudier, appelle Madame pour lui faire dire sa leçon; elle y vient à regret et pleurant, et parloit en pleurant. Sans pouvoir entendre ce qu'elle disoit le Dauphin dit: Je pense qu'elle parle suisse.
Le 5, mardi.—Mme de Montglat demandoit si le comte
de la Roche étoit encore à la Bastille; il demande: Qui
Déc
1606
est-il?—«Monsieur, c'est le comte de la Roche.»—Qu'a-t-il
fait? Je lui réponds qu'il avoit été opiniâtre.—Mais je
l'ai vu à la Bastille, croyant que ce fût le comte d'Auvergne.—«Monsieur,
vous parlez de M. le comte d'Auvergne,
mais Mamanga parle de M. le comte de la Roche.»—Est-il
encore à la Bastille le comte d'Auvergne?—«Oui.»—Pourquoi?—«Pource
qu'il avoit été fort opiniâtre.»—C'est
pas cela, dit-il court et résolûment.—«Monsieur,
pardonnez-moi.»—C'est pas cela.—«Monsieur, pourquoi
donc?»—Je veux pas dire.—«Il n'y a pas de danger
de le dire.» Il y songe, puis dit froidement: C'est
parce qu'il avoit voulu faire la guerre à papa.—«Mais,
Monsieur, il n'est qu'un homme seul, comment lui eût-il
pu faire la guerre?»—Avec cinquante mille hommes.—«Qui
le vous a dit?»—Je sais bien; il n'en voulut
jamais dire davantage. L'on parloit d'aller à Saint-Germain,
il dit: J'en suis bien aise, puisque papa est pas
ici. Je lui demandai là-dessus: «Monsieur, où aimez-vous
mieux être, à Saint-Germain, à Paris ou à Fontainebleau?»
Il répond soudain: A Paris, papa y est; il aimoit
fort le Roi, et sans contrainte.
Le 6, mercredi, à Fontainebleau.—Il va par le grand jardin à la Mi-Voie, à pied, par le long du ruisseau; ramené en carrosse à six heures et un quart, il s'endormoit, demande à se coucher, dit qu'il est las[365].
Le 10, dimanche.—Mené à la galerie lambrissée, où il
envoie quêter le cerf, donne le département aux veneurs,
leur fait faire leur rapport, puis va au bois, conduit son
limier et fait donner les chiens; il prend plaisir à apprendre
Déc
1606
les termes de tout, les écoute attentivement de
M. de Ventelet.
Le 11, lundi.—M. de Souvré arrive, avec commandement du Roi de le conduire à Saint-Germain.
Le 12, mardi, à Fontainebleau.—Il est fort aise de voir tout remuer pour s'en aller à Paris voir papa; sur ces entrefaites arrive un courrier portant commandement de ne partir point; il ne le veut point croire, il en pleuroit. A la fin, lui étant dit que papa le vouloit, il se tut, et ne dit plus mot. Le contremandement fut une lettre que Mme la marquise de Guiercheville, par commandement de la Reine, avoit écrite à M. de Souvré, lui mandant qu'il n'eût point à faire partir messieurs les enfants, à cause de l'avis que le Roi lui avoit donné que la peste étoit en deux maisons, à Saint-Germain en Laye, où le Roi étoit alors.—Il s'amuse à un chandelier de poterie, dont il fait une fontaine, siffle d'un rossignol de poterie où il fait mettre de l'eau, s'amuse au buffet du Roi, fait du temps du roi François Ier, qui s'ouvroit par un marmouset.
Le 13, mercredi.—Mme de Montglat entre en la chambre, portant entre ses bras Madame Christienne; le voilà à crier: Otez-la, ôtez-la, ne voulant point qu'elle la portât. Mme de Montglat l'ayant laissée, le Dauphin lui dit: Lavez vos mains; elle les lave; lui-même verse de l'eau: Lavez vos bras. Là dessus elle le menace du fouet, il s'apaise.
Le 14, jeudi.—Il fut longtemps dans son lit, sans
dire mot, étant éveillé; il avoit peur du fouet pour l'opiniâtrise
du jour précédent. Il demande à Mme de Montglat
de ne l'avoir point, et que tout le jour je serai bien gentil,
je prierai Dieu, je dirai mes quadrains, je étudierai, je
peindrai, je vous fairai un beau petit chérubin.—«Ho!
lui dit Mme de Montglat, vous êtes un beau peintre! Vous ne
sauriez peindre le beau temps.»—Si fairai.—«Comment
ferez-vous?»—Je prendrai du blanc, puis des couleurs
de chair et du bleu.—«Mais vous ne sauriez faire le
soleil ne la lune.»—Si ferai.—«Comment ferez-vous
Déc
1606
le soleil?»—Je prendrai du jaune et du rouge, et je les
mêlerai.—«Et la lune?»—Je prendrai du blanc et du
jaune, je le mêlerai, puis j'y fairai un visage, puis ce sera
la lune. Pour flatter davantage Mme de Montglat, le Dauphin
lui demande: Je voudrois bien coucher auprès de
vous. Elle le fait coucher entre elle et son mari le sieur
de Montglat. Mené à la chapelle puis en sa chambre, où
il s'amuse à peindre; y ayant fait venir un peintre qui
lui apprend, il l'écoute et suit ce qu'il lui dit, maniant
aussi dextrement le pinceau que l'ouvrier, et tenant ses
couleurs au pouce[366], comme le peintre qui lui fait
tirer un visage.
Le 15, vendredi, à Fontainebleau.—Il envoie querir deux jeunes peintres, dit qu'il veut apprendre à peindre; étant arrivés, il prend les couleurs au pouce, peint des cerises après le crayon du peintre, demande: Que faut-il que je fasse? Faut-il du blanc, du rouge? et besogne dextrement et avec attention. Amusé jusques à onze heures et demie; M. de Montglat le prend en ses bras, le hausse, se fait accoler et le baise serré en la bouche[367], puis part pour s'en aller à Paris.
Le 16, samedi.—Mené à la galerie lambrissée et aux
chambres qui regardent la basse-cour, où il y avoit des
charpentiers qui mettoient des cloisons, il prend plaisir
à les regarder faire, tenant ses deux mains sur les côtés.
Il aimoit fort les œuvres mécaniques. Il demande à écrire;
Dumont, clerc de sa chapelle, lui montre à faire des a,
il suit l'impression que Dumont en fait sur le papier.—Il
chante des noëls, en fait chanter; Mlle de Ventelet
lui représentant le pauvre état auquel Jésus-Christ étoit
né, sans draps, dans une crèche, il se prend soudain à
dire avec élan et ardeur: Si j'y eusse été je lui eusse
Déc
1606
donné mon lit et mes draps? C'étoit une faveur singulière,
qu'il ne faisoit à personne, et il ne permettait qu'au Roi
de se mettre dessus son lit.
Le 17, dimanche, à Fontainebleau.—Mené au jardin des canaux; ramené par la cour du dragon en sa chambre, où il montre à M. Fréminet, peintre du Roi, excellent personnage, les peintures qu'il avoit faites les jours précédents: J'ai fait ces cerises, j'ai fait cette rose. M. Fréminet lui dit: «Monsieur, vous plaît-il que je vous fasse faire un oiseau, avec la plume?» Il lui répond gaiement: Oui; Mamanga, envoyez querir mon écritoire; il met son papier sur sa petite table, prend la plume, et lui-même commence à faire l'oiseau marqué A[368], commençant de droite à gauche; les taches noires du milieu, ce sont, dit-il, les plumes; puis l'autre oiseau marqué B il le fait, la main toujours conduite par le sieur Fréminet, qui sentoit comme M. le Dauphin poussoit à conduire la main. M. Fréminet lui fait le visage marqué C, disant: «Faites un visage comme celui-là.»—Ho, ho! dit-il en souriant, je ne sarois, et ne le voulut point entreprendre; il fait le visage marqué D, conduit toujours par le sieur Fréminet, et le visage aussi qui est dessous marqué E; puis, en l'autre face du papier, le visage marqué F est fait par le sieur Fréminet, auquel il donna une grosse poire.
Le 18, lundi.—M. Fréminet commença de le peindre, et pour s'amuser il demanda: Mamanga, je voudrois bien avoir des couleurs, mais je voudrois des siennes, elles sont plus belles. On lui en envoie querir au logis du sieur Fréminet, au jardin des canaux; il s'en amuse avec le pinceau. A six heures et un quart soupé; tout à coup il dit: Je suis las, demande à se coucher. Diverti il se joue à divers jeux comme: Votre place me plaît, à burlurette, avec des soldats, à frappe main.
1606
Le 20, mercredi, à Fontainebleau.—Sa nourrice le déshabillant lui tire tant soit peu un cheveu, il s'en prend à crier et plaindre fort dolentement; ma femme lui dit: «Mais, Monsieur, vous criez tant pour un cheveu, vous ne sauriez plus crier pour un coup d'épée.»—Je m'en soucie bien d'un coup d'épée! Ma femme réplique: «Monsieur, et pourquoi ne vous soucieriez-vous pas d'un coup d'épée?»—Pource que je serois mort, dit-il avec façon, comme ne se souciant et se déplaisant de la vie[369].
Le 21, jeudi.—M. de Saint-Antoine, gentilhomme françois, écuyer du prince de Galles, salue Madame de la part de son maître; elle en rougit et en fit la honteuse.—En allant à la chambre de Madame, M. de Verneuil éteint une chandelle que l'on laissoit dans le petit cabinet de la Reine, pour éclairer aux passants. M. le Dauphin n'en dit mot, mais étant dans la chambre suivante, où il y avoit de la clarté, il lui bailla un soufflet, ajoutant la raison: Pourquoi avez-vous éteint la chandelle?
Le 23, samedi.—M. Fréminet achevoit de le peindre, lui s'amusant à peindre, et il fit un oiseau sur de la toile avec de la craie.
Le 24, dimanche.—M. le prince d'Orange et Mme sa femme, fille de feu M. le prince de Condé, viennent prendre congé de lui, s'en allant à Orange.
Le 25, lundi.—Vêtu de sa robe de lames d'or et d'argent, et de soie brune, il dit: Ma robe me pèse plus derrière que devant; il ne y eut pas moyen de la raccoustrer à son gré: Otez-la moi, donnez-m'en une autre. Il fut dévêtu et revêtu de celle qu'il avoit le jour précédent, puis mené à la chapelle de la salle du bal. Après la messe il va à confesse, se confesse de tout ce qu'il avoit d'opiniâtrise ce matin.
Le 28, jeudi.—Il change de logis, fait déménager et
Déc
1606
porter son lit en la chambre du pavillon de la grande
galerie[370].
Le 30, samedi, à Fontainebleau.—Il s'amuse à faire le messager de Fontainebleau qui portoit de la marchandise à Paris, attache un jarretier à un placet[371], y met dessus ou un chapeau, ou un panier, ou quelque autre chose, le va traînant d'un bout de la chambre à l'autre où étoit son lit, décharge en la ruelle, puis s'en retourne faire nouvelle charge. M. le Chevalier en fait autant que lui, et le suivoit; Descluseaux les conduisoit. Puis le Dauphin le fait asseoir, et s'amuse à faire attacher deux flambeaux d'argent avec un petit chapelet.
Le 31, dimanche.—L'on faisoit la monstre de la compagnie sous la galerie basse de la terrasse; sa viande étoit servie; il sort de lui-même pour y aller, je cours après. Il alloit descendre la montée sans reconnoître[372], j'arrive à point nommé pour le prendre par la lisière. Il y descend, voit prêter le serment.
ANNÉE 1607.
Caractère moqueur du Dauphin.—Le gâteau des Rois.—Mme de Montglat et Mlle d'Agre.—Première signature du Dauphin.—Comment se tient le Roi.—Lettre au Roi.—La Saint-Jean des choux.—Lettre du Roi.—Dessins et peintures du Dauphin.—Présent de l'archiduchesse d'Autriche à Madame.—Oraison du Dauphin.—Présents que lui fait M. de Brèves.—Le Roi joue à la paume avec le Dauphin.—Le peintre Dehoey.—Première leçon de latin.—Lettre de l'Électeur palatin.—Le Dauphin à la cérémonie de la Cène.—M. de Guise.—Naissance du duc d'Orléans; son thème de nativité.—M. de Sully.—Apparition d'un aigle; geste du duc d'Orléans et augures que l'on en tire.—Les quatrains de Pibrac.—Goût croissant du Dauphin pour la musique et le dessin.—Decourt fait de nouveau son portrait.—Vêtement d'été.—Accouchement de la comtesse de Moret.—La reine Marguerite.—Relevailles de la Reine.—Antipathie pour les Espagnols.—Paillardise du Roi.—Produits de la poterie de Fontainebleau.—Portrait en cire et médaille du Dauphin par Paolo et Dupré.—Danse d'Égyptiens ou bohémiens.—Rancune du Dauphin contre son page.—Réception d'un ambassadeur turc.—Ordres du Roi pour donner le fouet au Dauphin.—Mort de M. de Montglat.—Le comte de Moret sauvé du tonnerre.—Départ pour Saint-Germain, passage à Melun, à Crosne, à Paris, à Saint-Cloud, arrivée à Saint-Germain.—Mme des Essars.—Familiarités du Dauphin.—La peste à Saint-Germain; départ pour Noisy.—Caractère dissimulé du Dauphin.—Le Roi à Villepreux.—Lettre et présent du prince de Galles.—Histoires tirées de la Bible.—Portrait du père du Roi.—Peu de goût du Dauphin pour la danse.—Il entre dans sa septième année.—Portrait de Louis XII.—Lettres de la famille ducale de Toscane.—Incendie à Noisy.—Services d'Héroard sous Henri III.—Premier seing valable du Dauphin.—Portrait de Du Guesclin.—Le duché de Milan.—Peu de goût du Dauphin pour l'étude.—Lettre au Roi.—Le ballet des lanterniers.—Retour à Saint-Germain.—Baptême de M. et de Mlle de Verneuil.—M. de Cési.—Le livre de Vitruve.
Le lundi, 1er janvier, à Fontainebleau.—Mené à la
chapelle de la salle du bal, il se moque d'une femme
de village qui étoit fort bossue, en ricane; sur la fin de
Janv
1607
la messe il va et revient, et retourne près de son aumônier
qui la disoit, le contrefait en riant.
Le 2, mardi.—A deux heures mené au delà du grand jardin, du côté de main gauche, environ cent pas allant à la Mi-Voie, pour y planter le premier arbre de ceux que le Roi y vouloit faire planter; c'étoit un tilleau.
Le 3, mercredi, à Fontainebleau.—En dînant il entretient, comme une grande personne, maître Martin, preneur des renards du Roi, sait le nom de ses chiens.
Le 4, jeudi.—M. le baron de la Châtre le vient voir, allant à la Cour. Après souper il joue aux poules et au renard contre M. de Belmont. En jouant M. le Chevalier appelle M. de Belmont son lieutenant. Il le regarde en colère, songe, puis le veut frapper, lui veut jeter les poules qu'il ramasse, puis l'échiquier. M. de Belmont, qui étoit lieutenant de M. de Mansan, lui dit: «Monsieur, pourquoi voulez-vous le frapper?»—C'est parce qu'il vous a appelé son lieutenant, et vous êtes à moi.—«Mais, Monsieur, il ne le faut pas battre pour cela.»—Ho! mais c'est qu'il veut tout!
Le 5, vendredi.—A six heures il se assied à table; on lui coupe un gâteau de massepain pour lui et pour Madame et Mme Christienne; il fut le roi pour la première fois. Il avoit envie de manger sa portion de gâteau et celle de Dieu; Mme de Montglat lui dit: «Si vous voulez manger celle de Dieu, il faut donner de l'argent.»—Bien, qu'on en donne, répond-il promptement; Tétai (M. de Ventelet), donnez de l'argent.—«Monsieur, combien?»—Il songe: Cinq écus. Il fut baillé cinq quarts d'écu à M. l'aumônier, qui furent après rendus. Bu à reposées, il prenoit plaisir à faire crier: Le Roi boit par Madame.
Le 6, samedi.—Il va aux petites fontaines, où il fait
rompre la glace, se y joue à la casser à coups de poing.
A six heures et un quart on lui coupe un gâteau, il est
fait le Roi; soupé de sa part de gâteau, il ne veut point
Janv
1607
que l'on crie: Le Roi boit, le fait défendre à M. de Verneuil.
Le 7, dimanche, à Fontainebleau.—Il prend un grand luth, fait que Indret met ses doigts sur les touches et lui il pince les cordes; il va aux cadences, joue et chante: Ils sont à Saint-Jean d'Anjou, les gen, les gen, les gendarmes, etc. Il touche la bergamasque, la sarabande, les cloches, puis se va jouer sur le tapis de pied, étendu parmi la chambre, feignant que le tapis fut la mer; M. le Chevalier faisoit comme lui.
Le 8, lundi.—Il va à la salle du bal, où il avoit fait venir deux épousées du village, les regarde danser, se moquoit de leur danse. A dix heures et un quart, dévêtu; mis au lit, prié Dieu; il demande quand c'est qu'il aura un haut-de-chausses? Mme de Montglat lui dit que ce seroit quand il auroit huit ans.—Comme féfé Chevalier?—«Oui, Monsieur.»—Je suis vieux!—«Oui, Monsieur, vous avez six ans.»—Quand aurai-je huit ans?—«Dans deux ans et demi.»—Je suis plus vieux que ma sœur, je suis venu le premier, puis ma sœur, et ma petite sœur est venue à la queue.—«Et l'enfant qui viendra après, que vous sera-il?»—Ce sera mon frère.
Le 9, mardi.—Il se fâche contre sa nourrice, la frappe,
va prendre sa pique, la poursuit pour l'en frapper de la
pointe, en est après marri, est bien empêché à faire la
paix; il la fait enfin, et promet de ne la battre plus. A
huit heures trois quarts déjeûné; il ne veut point que l'on
fouette en sa présence deux garçons, Pierrot et Champagne:
Mamanga, jetez les verges au feu, elles sécheront.
Mené à la chapelle de la salle du bal, puis au jardin du
Tibre, le long des palissades hautes, il dit: Je n'ai jamais
passé ici. Il se fait entretenir des chiens que j'avois à
Vaugrigneuse, demande s'ils prennent bien le loup. A
deux heures monté en la chambre de sa nourrice, il va
voir M. de Verneuil, qui étoit enrhumé, puis descend en
la petite chambre du demi-pavillon qui étoit sur la terrasse,
Janv
1607
où étoit Mme de Montglat, où il a goûté. Puis il va
en ma chambre, regarde jouer à la paume, où il se prenoit
outrement à rire d'un qui jouoit, qui étoit fort laid
et ne portoit que des caleçons qui étoient justes aux
cuisses.
Le 10, mercredi, à Fontainebleau.—Il va à la poterie, fait prendre des pièces, est soigneux de les faire payer à mesure qu'il les prend.
Le 11, jeudi.—Peigné, coiffé dans le lit, à bâtons rompus par sa nourrice; Mme de Montglat, pour le faire hâter, y vient, et lui dit: «Je m'en vais chausser; si vous n'êtes peigné quand je reviendrai, vous aurez le fouet.» Elle revient, ce n'étoit pas fait; elle lui dit encore: «Je m'en vais pisser; si vous n'êtes peigné et coiffé quand je reviendrai, vous aurez le fouet.» Il dit tout bas: Ha! qu'elle est vilaine! elle dit devant tout le monde qu'elle va pisser; velà qui est bien honnête, fi! Ce monde c'étoit Montailler, tailleur de Mme de Montglat, et Champagne, l'un de ses laquais. Mlle d'Agre[373] parloit tout bas à l'oreille de Mme de Montglat, le Dauphin lui dit: D'Agre, que ne parlez-vous tout haut? Vous parlez bas comme si vous étiez malade, et vous parlez si gaiement! Comme il étoit vrai, elle parloit fort gaiement. Il étoit curieux de vouloir tout savoir, écoutoit tout, et bien souvent n'en faisant pas le semblant. Mis au lit, il se fait entretenir des chiens comme feroit un grand chasseur, parle en termes de chasse: Moucheu Héoua, parlez-moi de Miraude et de Lion qui prend tout seul les loups; c'étoit d'une chienne que j'avois, bonne aboyeuse, et d'un dogue extrêmement furieux, qui prenoit les loups seul à seul, dans les bois; il étoit à mon cousin, et je lui en avois parlé sur le jour.
Le 12, vendredi.—Il se joue à remuer ménage et à
transporter les meubles; il se plaisoit toujours à quelque
exercice pénible; M. de Verneuil lui aide. A six heures
Janv
1607
soupé; je lui dis: «Monsieur, faites souper Descluseaux
avec vous.»—Je ne veux pas.—«Vous ne l'aimez donc
pas comme vous dites?»—Si fait, non pas pour dîner.
Le 13, samedi, à Fontainebleau.—A onze heures trois quarts dîné; il danse dans sa chaise en mangeant au son du luth et du violon, boit de même, faisant branler son verre en buvant, s'amuse à tout ce qu'il voit faire, s'enquiert des choses et de leur usage. Il entretient M. du Tost, mari de la nourrice de Madame, des oiseaux et sur un tiercelet qu'il avoit sur le poing; il fouille en sa gibecière, y trouve deux sonnettes, et les fait tinter.
Le 14, dimanche.—Mené au jardin du Tibre, où il voit danser des épousées du village. Après souper il voit danser aux chansons d'un nommé Laforest[374], où il prenoit un extrême plaisir et surtout en celle qui disoit:
Le 15, lundi.—A douze heures et demie Madame s'en va dîner; soudain il lui prend une humeur: Je m'en vas servir ma sœur. Il y va en sa chambre, fait toute la cérémonie: M. le Chevalier étoit gentilhomme servant, qui mettoit la viande et recevoit les plats que l'on desservoit; il (le Dauphin) étoit page, et se faisoit nommer Faveroles, nom d'un page de la chambre du Roi, et il nomme M. de Verneuil, Pettruce, aussi page de la chambre.—Il vient des violons du bourg, il se met à danser à toutes danses.
Le 16, mardi.—Mené en la chapelle, puis en la salle
du bal, où il saute de la première marche du théâtre, de
plein saut, jusques au second carré, franchit le premier,
puis danse la sarabande fort gaiement, allant justement
à toutes les cadences du violon; puis il danse aux branles,
où dansoit Laforest, soldat qui lui donnoit beaucoup
Janv
1607
de plaisir par ses actions et contenances. Il vient en ma
chambre, et de l'escalier regarde jouer à la paume. A
six heures et demie soupé, dansé; il tance Madame, elle
en pleure. Mlle de Vendôme lui dit: «Monsieur, je m'en
vas le dire à Mme de Montglat que vous faites pleurer Madame;»
elle y vient, il s'excuse; Mme de Montglat s'en retourne,
et lui, tout soudain et froidement, prend la main
droite à Mlle de Vendôme et la lui mord bien serré.
Le 17, mercredi, à Fontainebleau.—Il joue à la balle à la raquette, fait de bons coups au bond, l'attend avec jugement, entend les termes du jeu: Trentain, le jeu, quarante-cinq, passons, velà une chasse, haussez la corde, en passant comme il avoit vu faire au jeu de paume.
Le 19, vendredi.—Indret, son joueur de luth, étoit en la ruelle du lit de sa nourrice où il fut longtemps à accorder son luth; l'impatience le prend: Indret, il y a trois jours que vous accordez votre luth! jouez! dit-il impérieusement, car il attendoit la musique, qu'il aimoit fort.—Madame étoit allée chez les tailleuses, qui étoient venues de Paris; on ne l'en pouvoit retirer jusques à ce que Mme de Montglat lui envoya dire qu'elle avoit à lui bailler une lettre de la part de M. le prince de Galles; elle part là-dessus tout aussitôt, descend en la chambre de M. le Dauphin, auquel Mme de Montglat avoit dit la fourbe. Elle tire de sa pochette une petite lettre; M. le Dauphin la demande, disant: Donnez-la-moi, Mamanga, je la lirai. Il la prend, l'ouvre et, feignant de lire, prononça haut ces paroles: Madame, je m'en vas en Espagne pour voir ma maîtresse, mais que je revienne je vous apporterai quelque chose de beau que je n'ai pas vu encore, et je le vous apporterai, car j'ai bien envie de vous voir.—Il apprend à faire ses lettres, écrit son nom: Loys; ce fut la première fois; il fut conduit par Dumont[375].
1607
Le 21, dimanche, à Fontainebleau.—Il est mené au préau, derrière le chenil, pour y voir lutter des Bretons, de ceux qui travailloient aux ouvrages du Roi.
Le 22, lundi.—Il étoit assis et tenoit un genou sur l'autre; Mme de Montglat l'en reprend, disant que cela le feroit devenir bossu. Il répond: Papa le fait bien. Je lui demande s'il vouloit faire tout ce que papa faisoit; il répond: Oui. Il écrit son exemple suivant l'impression faite sur le papier, la suit fort bien, y prend plaisir.
Le 24, mercredi.—Il écrit au Roi gaiement, se veut dépêcher, de peur, dit-il, que Guérin ne s'en aille; Dumont, clerc de sa chapelle, lui traça les lettres; il les suivit fort dextrement, et racoustroit là où il y défailloit quelque chose:
Papa, j'ay grande envie de vou voir, cependan je vou dirai qu'il y a beaucoup d'arbres plantés. Je sui, Papa, vote tes humbe et tes obeissan filz et seuiteu.—Daulphin.
Le 26, vendredi.—Il va à la poterie, prend quelques pièces, commande à Mme de Montglat que l'on les paye; il crioit après ceux qui s'approchoient près des pièces: Touchez pas là! ne prenez rien!—Il s'amuse froidement à voir jouer une farce où Laforest faisoit le badin mari, le baron de Montglat faisoit la femme garce, et Indret l'amoureux qui la débaucha.
Le 27, samedi.—Il commande au baron de Montglat
de masquer et faire une comédie, et lui dit: J'en veux
être.—«Mais, Monsieur, nous ne savons que jouer!»—Vous
direz que nous sommes vos petits enfants. Il se fait habiller
d'une robe de fille et coiffer du chaperon de Mme de
Montglat, et couvrir le visage d'un masque en velours. A
huit heures commence le jeu; il fait son entrée ayant
M. le Chevalier avec lui et deux autres; il danse fort gentiment,
hardiment et de bonne grâce, puis se retire, et
revient seulement quand il fallut comparoître. La farce
achevée, il se fait ôter la robe, et danse: Ils sont à Saint-Jean
Janv
1607
des choux, frappant du pied sur le cul de ses voisins.
Cette danse lui plaisoit.
Le 28 janvier, dimanche, à Fontainebleau.—Mené à la chapelle de la salle du bal, puis en la salle, où il court par acquit et ne voulut jamais danser devant des femmes du bourg; il ne se plaisoit point à donner plaisir à autrui. Après soupé il se fait habiller en fille comme le jour précédent, et coiffer d'un chaperon de sa nourrice; ils font une comédie qui fut l'entrée d'une sarabande, puis un petit festin de confitures. Mis au lit, il est entretenu par le baron de Montglat, qui devoit partir le lendemain pour aller en Espagne.
Le 29, lundi.—M. l'aumônier lui faisoit dire les commandements de Dieu, et quand il fut à dire: «Tu ne tueras point,» il dit: Ne les Espagnols? Ho, ho! je tuerai les Espagnols, qui sont ennemis de papa; je les épuceterai[376] bien. L'aumônier lui dit: «Monsieur, il ne faut pas tuer les Espagnols, ils sont chrétiens.»—Mais ils sont ennemis de papa.—«Mais ils sont chrétiens.»—J'irai donc tuer les Turcs. Il va en la salle du bal pour y voir une mariée du bourg, qu'il avoit envoyée querir pour complaire à Madame, car il ne l'avoit jamais voulu faire: Mais, Mamanga, je prens point plaisir à ces filles de village; velà un beau plaisir! Il y danse.
Le 31, mercredi.—Dîné en chantant, se jouant et
mouvant; il nomme les valets de nous tous. Je lui dis
qu'il ne savoit pas le nom du mien.—C'est Nicolas;
il étoit vrai.—«Comment s'appeloit celui que j'avois
auparavant?»—Grand nez; il le souloit ainsi nommer
à cause de son grand nez.—«Mais, Monsieur, il s'appeloit
Janv
1607
autrement?»—Légier; il étoit vrai, et y avoit trois
ans qu'il ne me servoit plus.—«Monsieur, comment
s'appelle le valet de Bompar?» (C'étoit le page du Dauphin).—Je
sais pas; puis tout à coup: C'est madame sa
personne, pource qu'il n'en avoit point. Je ne sais qui il
ne connoissoit point. A souper il se fait entretenir des
chiens de mon cousin, dont je lui avois parlé, qui étoient
trois dogues: Lion, Come et Grainbon, et Miraude qui
étoit à moi; il demande ce qu'ils savent faire et ce
qu'ils ont fait, et quand Miraude aura ses petits.
Le 2 février, vendredi, à Fontainebleau.—M. Guérin, apothicaire du Dauphin, arrive de Paris qui lui apporte une lettre du Roi, écrite et contrefaite de la main du Roi par M. de Loménie, secrétaire d'État et du cabinet, qui lui fut lue par Mme de Montglat en ces termes, faisant réponse à celle qu'il lui avoit écrite aussi par M. Guérin:
Mon fyls, Guerin me rendant une lettre ma dyt de vos nouuelles et que atandant ma venue uous aués byen du soyn de mes jardins et de mes plans, de quoy iay esté fort ayse. Je luy ay commandé en vous randant cete-cy de vous dyre des myennes et de maman la Roine; que iespere vous voyr yncontynant après la foyre Saynt-Germayn, en laquelle je feray achepter des petytes besongnes[377] pour vous iouer, lesquelles ie vous porteray quant et moy pourueu que vous maymyés byen et soyés byen sage. Bonsoyr, mon fyls. Ce dernyer de janyuer a Parys. Vre byen bon pere.—Henry.
Et au-dessus de la lettre: A mon fyls le Daufyn[378].
1607
Le 3, samedi, à Fontainebleau.—Il fait coucher avec lui la lettre que le Roi lui avoit écrite.
Le 4, dimanche.—Il se fait marquer une lettre pour écrire à la Reine. M. de Saint-Géran, prenant congé de lui, lui demande s'il lui plaît qu'il dise à papa qu'il lui envoie quelque chose, il répond: Ho! non, il faut rien demander à papa.
Le 5, lundi.—Mme de Montglat lui remontroit qu'il falloit bien recevoir les étrangers quand ils le viendroient voir, et commandoit que lorsque l'on en verroit à la basse-cour on les fît venir.—Qui? ces moines? qu'on fasse venir ces moines?—dit-il; c'étoient des moines de poterie dont il jouoit, et il disoit ceci en raillant[379]. Il chantoit; quelqu'un dit que le Savoyard de M. de Verneuil étoit bon basse-contre, le Dauphin répond: C'est un basse-contre de village. Je lui dis: «Monsieur, vous l'êtes donc aussi, car vous êtes né à Fontainebleau.» Il dit soudain et sec: Je suis né au château! Mené au jardin du Tibre, il se promène en la dernière allée, le long de la muraille. On l'amuse à voir nettoyer un pourceau; quand le boucher le voulut éventrer il s'en alla, et ne le y sut-on arrêter.
Le 6, mardi.—Il va au jeu de paume couvert pour y voir
courir un blaireau. Il fait faire la cornemuse au chien Pataut
par Indret[380], dont il rioit à outrance, lui qui n'étoit
pas grand rieur[381]. A neuf heures et demie mis au
lit, il se prend à en conter sur les peintures qu'il a faites,
d'un bois, d'une montagne, du ciel; qu'il n'avoit pas les
couleurs pour faire les ombrages du soleil et de la lune;
que demain il achèvera, peindra la chasse au blaireau
Fév
1607
pour la présenter à papa; il n'en pouvoit sortir tant il y
prenoit de plaisir.
Le 7, mercredi, à Fontainebleau.—Il s'assied et accommode une petite toile carrée et la cloue sur un petit ais pour peindre dessus, ayant auprès de lui le petit-fils de l'un de ses jardiniers, qui savoit peindre et qui lui montre. Il le suit avec son pinceau froidement, attentivement, dextrement et avec vouloir et affection d'apprendre. Ce désir l'avoit fait lever plus matin que de coutume; il y avoit de l'inclination comme aux autres sortes de mécaniques. Ayant achevé son bocage, il dit au petit peintre: Faites l'acoustrer.—«Monsieur, lui dit le peintre, y ferai-je faire un châssis?»—Oui, oui.—«Monsieur, je n'ai point d'argent.»—Mamanga, donnez-moi de l'argent pour faire un châssis à mon petit tableau. Elle lui baille deux quarts d'écu; il va au peintre, et lui dit: Tenez, velà deux qua d'écu, gardez-en un pour en faire un autre. A quatre heures et demie arriva le sieur Pierre Pechius, ambassadeur de l'Archiduc et de l'Archiduchesse, infante d'Autriche, lui disant avoir charge et commandement de leur part de venir savoir des nouvelles de sa santé, de lui baiser les mains et lui dire qu'ils prioient Dieu pour sa conservation. Il en dit autant à Madame, et lui présenta de la part de la sérénissime Infante, sa marraine, un présent de reliques qui étoient des os de sainte Élisabeth[382], à laquelle elle avoit une particulière dévotion, et qu'en cette considération, et pour ce qu'elle avoit le même nom comme elle, la prioit d'y avoir une pareille dévotion. C'étoit une chaîne de diamants, où tenoit au bout une enseigne de diamants, en laquelle étoit la relique; le tout pouvoit valoir deux mille écus.
1607
Le 9, vendredi, à Fontainebleau.—Il dessine un jardin carré, fossoyé, dans une allée, l'ordonne, y fait planter des choux, arrache lui-même des troncs et les y porte. Ramené en sa chambre, il tire de son pupitre le paysage qu'il avoit fait avec le petit peintre; Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, il vous faut écrire.»—Non, Mamanga, qu'on aille queri le petit peintre; il aimoit la peinture.
Le 10, samedi.—Pendant la messe, le Dauphin montre à lire dans son livre à Madame, lui apprend et fait dire sa petite oraison, qu'il aimoit fort: «Seigneur Dieu et Père, je te supplie de m'assister par ton Saint-Esprit, et par icelui me conduire et gouverner tellement que tout ce que je ferai, dirai ou penserai, soit à ton honneur et gloire, au salut de mon âme et à l'édification des tiens.» Mené au jardin des pins, il s'amuse à remuer terre et bois pour faire un jardin et un pont. Après souper le sieur Outrebon, chantre du Roi, arrive portant nouvelle que le Roi arriveroit demain. Le Dauphin rougit et tressault de joie et de crainte de ce jardin qu'il avoit fait. Il faut l'aller ôter, dit-il, de peur que papa ne se fâche. Il fut volontiers parti tout à l'heure pour l'aller ôter.
Le 11, dimanche.—A deux heures trois quarts le Roi est arrivé; il court au-devant de lui, lui embrasse la cuisse, puis lui saute au cou; le Roi le mène à la conciergerie, où il alloit loger. Il s'est longtemps joué au Roi dans le cabinet. M. de Brèves, ambassadeur pour le Roi en Levant, donne au Dauphin un cimeterre avec la ceinture, valant huit cents ou mille écus, un vase de terre sigillée, un lapis-bézoard, un arc turquois et un trousseau de flèches.
Le 12, lundi.—Éveillé à six heures, mis dans le lit
de Mme de Montglat entre son mari et elle[383]. En priant
Dieu il dit de lui-même gaiement: Dieu doint bonne vie à
Fév
1607
papa, mon bon ami. A dix heures et demie mené par la
grande galerie au jardin des gazelles, au Roi; il court devant
lui après M. de Verneuil, à qui courra le mieux, saute
au saut de l'allemand. Le Roi lui dit: «Mon fils, dites à
M. de Souvré qu'il coure après vous.»—S'il vous plaît de
lui commander, papa, répond le Dauphin, doucement,
froidement, promptement. Le Roi le lui commande par
trois fois; il fit toujours la même réponse. A onze heures
il entend la messe avec le Roi, qui le mène en la conciergerie,
par le jardin, et, à midi, dîné avec lui. Ramené
en sa chambre à une heure et demie, il écrit le rôle
de sa compagnie: La Rose (M. le Chevalier), capitaine;
La Verdure (le Dauphin), mousquetaire; La Violette
(M. de Verneuil), harquebusier. A trois heures goûté;
on lui demande s'il veut pas voir danser la mariée?—Je
m'en soucie bien! belle mariée de village! Il va toutefois
à la salle du bal, où il la voit danser un quart d'heure,
puis va en la conciergerie, en la chambre du Roi, qui étoit
allé se promener au grand canal. A cinq heures le Roi revient
en sa chambre, il lui donne le bonsoir, le Roi le
renvoyant en sa chambre. A huit heures trois quarts dévêtu,
mis au lit, prié Dieu: Dieu doint bonne vie à mon
père, mon bon ami, à ma mère, ma bonne amie. Mme de
Montglat lui demande: «Aimez-vous bien papa?»—Oui.—«Comment
l'aimez-vous?»—Je l'aime plus que
Pataut (le chien de sa nourrice).—«Monsieur, il ne
faut pas dire ainsi; il faut dire plus que vous-même.»—Plus
que moi-même! eh! il ne faut pas aimer soi-même, il
faut aimer des hommes, mais pas soi-même.
Le 13, mardi.—Il va voir le Roi à la conciergerie;
dîné avec le Roi. Il joue à la paume avec le Roi, et
chaque fois qu'il servoit[384], il baisoit la balle. A six heures
trois quarts soupé avec le Roi; à sept heures trois quarts
ramené en sa chambre. A huit heures et demie le Roi
Fév
1607
y vient pour y voir jouer la comédie de quatre du bourg
(sic).
Le 14, mercredi, à Fontainebleau.—Mené par les étuves au Roi, en la conciergerie, il lui dit adieu; le Roi part pour s'en retourner à Paris à huit heures trois quarts.
Le 15, lundi.—Il est chaussé de chausses de serge jaune qui montoient jusques à la cuisse; c'est la première fois. A dix heures et demie mené à la chapelle puis joué en la salle, dansé par contrainte, pour ce qu'il y avoit deux hommes étrangers, et il disoit qu'il ne vouloit pas danser pour donner du plaisir, en est en mauvaise humeur, veut faire danser Mme de Montglat, la frappe, lui donne un grand coup de poing sur la poitrine. A onze heures trois quarts ramené en sa chambre, dîné; il dit à son page: Bompar, allez faire parler le perroquet tout le long du dîner. A trois heures et demie goûté. Ma femme arrive de Vaugrigneuse; il lui fait l'honneur de se lever de sa chaise, et lui porte au-devant sa main à baiser, lui demandant: Où est la petite Oriane? C'étoit une petite chienne; on l'envoie querir; il lui fait mille caresses. Il advient à M. le Chevalier de s'asseoir dans sa chaise; il le voit, et lui dit: Otez-vous de ma chaise, féfé. Il le dit deux ou trois fois; il n'en faisoit rien; il s'en va promptement à Mme de Montglat, et lui dit: Mamanga, j'aime mieux ma petite sœur que féfé Chevalier, parce qu'il n'a pas été dans le ventre à maman avec moi, comme elle, et il est assis dedans ma chaise.
Le 16, vendredi.—M. de Cressy disoit à la nourrice du Dauphin que M. Boquet, son mari, reviendroit de Sens, où il étoit allé, sur la mi-nuit; elle disoit que non.—C'est qu'il songe à la coignée, dit le Dauphin; le sieur Boquet lui avoit promis de lui rapporter une petite cognée à son retour de Sens.
Le 17, samedi.—Il danse avec Madame la volte, la
courante. A trois heures goûté; bu un bon coup dans
la coupe d'argent doré que Mme de Loménie lui avoit
Fév
1607
donnée. A cinq heures viennent les ambassadeurs des
villes Anséatiques et Teutonique, venant de la Cour et
s'en allant en Espagne.
Le 18, dimanche, à Fontainebleau.—Il se va promener en la galerie; Mme de Montglat lui montre la peinture d'un léopard, lui demande que c'est; il répond: Je sais pas.—«Monsieur, c'est un léopard.»—Il ressemble à de Hoey[385]. C'étoit un peintre; il étoit vrai. Il avoit l'imagination fort bonne. M. de Maleville lui montre une voile de navire, et lui demande: «Monsieur, à quoi sert une voile?»—C'est pour faire aller le navire, car le vent le pousse. Il y avoit des H peintes, Mme de Montglat lui demande: «Quelle lettre est cela?»—C'est un H; quand je serai grand je ferai mettre des L auprès.
Le 20, mercredi.—Il se fait habiller en chambrière picarde, masquée, se fait nommer Louise, suit Mlle de Vendôme coiffée en bourgeoise, qui dit que c'est sa chambrière, et se garde de parler de peur d'être reconnu. M. le Chevalier les conduit, disant que c'est de la marchandise qu'il emmène du Levant.
Le 21, mercredi.—Il écrit au Roi par moi[386], lui envoyant la petite Oriane, chienne de ma femme; en écrivant au Roi, il a demandé Si maman lui écriroit pas? On lui a répondu qu'elle n'écrivoit qu'au Roi.—Papa m'a dit que maman fait force pâtés, mais si elle m'écrit, encore qu'il y ait des pâtés, je garderai bien la lettre.
Le 22, jeudi.—Il commence à apprendre des mots latins, qui lui sont appris par M. Hubert, médecin du Roi, venu pendant mon absence.
Le 23, vendredi.—Il écrit au Roi. A six heures et demie soupé; il voit jouer une farce à Laforest.
Le 27, mardi.—A onze heures dîné; il se fait habiller
en bergère. A deux heures et demie goûté, dansé, joué;
Fév
1607
il entend le tonnerre, va à Mme de Montglat, et lui dit:
Mamanga, faites-moi prier Dieu.
Le 28 février, mercredi.—Mené à la chapelle de la salle du bal, il a pris des cendres.
Le 1er mars, jeudi, à Fontainebleau.—Il dit que quand il verra qu'il voudra être opiniâtre, il s'en ira mettre en un coin pour dire son Pater, afin de chasser incontinent le mauvais ange qui le fait être opiniâtre.
Le 2, vendredi.—Éveillé à six heures, amusé dans son lit jusqu'à sept heures et demie; fouetté comme je suis entré en la chambre. J'ai trouvé Mme de Montglat en colère contre lui et marrie de ce que j'ai rencontré la chambre ouverte. A onze heures dîné; il est venu un ambassadeur de la part de l'Électeur Palatin[387] qui lui a présenté une lettre de la part du comte Frédéric, comte Palatin, dont voici la copie:
Monsieur, je me persuade que vous ne l'aurés point desagréable si je prens la hardiesse de me servir d'une si bonne occasion pour vous representer la joye extrême que j'ay de vostre prospérité et vous donner les asseurances de ma très-humble devotion à voir fleurir vostre grandeur. C'est, Monsieur, tout mon desir que d'ensuivre les traces de mes prédécesseurs au bien et service de la corone de France, et d'esprouver un jour ceste protestation de mon zèle pour meriter l'honneur de vostre bienveillance et bonne grâce et demeurer à jamais, Monsieur, vostre plus humble et très-affectionné à vous faire service.
Friderich comte Palatin.
De Heydelberg, ce 19 de janvier 1607.
Le 7, mercredi.—Les députés de Bretagne le viennent voir.
Le 8, jeudi.—Il écrit au Roi une lettre en latin, faite par M. Hubert, une autre en françois à la Reine.
Le 30, vendredi.—Il s'est botté pour aller environ
une lieue au devant du Roi, qui le fait mettre dans son
Mars
1607
carrosse, où il le ramène au château. Après souper il va
voir le Roi et la Reine[388].
Le 31 mars, samedi.—Il va chez le Roi, lui donne sa chemise, puis va avec lui se promener au grand canal, puis à la chapelle. Mené chez M. Zamet, où dînoit le Roi.
Le 5 avril, jeudi, à Fontainebleau.—Mené à la chapelle, puis allé chez la Reine; le Roi revient de la chasse; dîné avec le Roi[389]. J'arrive à cinq heures[390]; il vient au devant de moi, me demande l'arbalète à jalet que je lui avois promise. Je la lui donne, il frétilloit après. A huit heures et demie mené chez LL. MM., il leur donne le bonsoir.
Le 6, vendredi.—Déjeuné d'un bouillon aux herbes avec un jaune d'œuf, Mme de Montglat m'ayant dit que le Roi avoit commandé que l'on lui fît manger maigre les vendredis, et qu'il le vouloit.
Le 11, mercredi.—Il fait des demandes à un fauconnier du Roi, qui portoit un faucon volant pour rivière, s'entretient avec lui. Mené chez le Roi, qui étoit malade de fièvre de rhume; à six heures il sert le Roi à souper. Il ne veut point ouïr parler de laver le lendemain les pieds aux pauvres, et dit: Je ne veux point, ils sont puants. Enfin il se surmonte peu à peu, le Roi lui ayant dit qu'il vouloit qu'il le fît en sa place, ne pouvant y aller.
Le 12, jeudi.—On lui demande s'il lavera bien les
pieds aux pauvres, il répond: Ho! que non! je les laverai
Avr
1607
bien aux filles, non pas aux garçons. Il ne y avoit point de
moyen pour le persuader à laver les pieds aux pauvres,
le jour de la Cène: Non, je ne veux point; ils ont les pieds
puants. A neuf heures déjeuné; mené chez le Roi, qui lui
demanda s'il feroit bien la cérémonie en sa place, il
répond: Oui, papa. A dix heures mené à la salle du bal,
où il entend le sermon de M. l'archevêque d'Embrun,
pendant lequel il s'amuse à piquer du papier avec une
épingle, figurant des oiseaux et autres animaux. Après
la cérémonie de l'absolution, il est conduit sur le
théâtre[391] pour laver les pieds aux pauvres, par force,
accompagné de MM. le prince de Condé, prince de Conty
et comte de Soissons, lesquels servirent à la cérémonie,
comme si le Roi y eût été présent. Quand il approcha
du premier pauvre, il reconnut son bassin, où
l'on vouloit verser l'eau pour le lavement; cela le confirma
en son humeur, et ne put jamais être forcé seulement
pour se baisser, reculant et pleurant. Les aumôniers
en firent l'office devant lui. Au servir de la viande,
il ne voulut jamais prendre ne toucher à aucun service
que l'on lui présentoit, mais bien aux bourses, et les
donnoit fort gaiement. Tout fini, il en fut fort réjoui[392].
Avr
1607
Mené chez le Roi, puis en sa chambre, et, à midi, dîné.
Il va jouer à la galerie, y fait courir un levrault par Pataut,
l'un de ses chiens, va chez le Roi. M. de Guise lui
montroit son épée, lui disant: «Monsieur, voilà une belle
épée.»—D'où l'avez-vous eue!—«Monsieur je l'ai achetée
en Turquie.»—Vous êtes un moqueur.—La Reine voulant
aller faire la Cène lui dit: «Mon fils, voulez-vous pas venir
laver les pieds aux pauvres?» Il va avec la Reine. Mme de
Montglat lui demandoit pourquoi il n'avoit pas voulu
le matin laver et baiser les pieds aux malades, et que le
Roi le faisoit bien, lui qui étoit le Roi; il répond: Mais je
suis pas le Roi!