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Journal de Jean Héroard - Tome 1: Sur l'enfance et la jeunesse de Louis XIII (1601-1610)

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La Clavelle[87] a deux laquais
Qui savent porter poulets
Aux dames et aux damoiselles.
Hélas! le pauvre La Clavelle
La Clavelle et Engoulevent[88].

Le 15, jeudi.—Le Roi le vient voir; il l'accole; le Roi part pour aller à la chasse à Versailles[89].

Le 27, mardi.—Le Roi arrive à une heure, il accole le Roi, est porté au cabinet de la Reine, où le Roi dîne. A six heures et demie soupé avec le Roi.

Le 28, mercredi.—A trois heures et demie mené à la chambre du Roi; à six heures et demie soupé avec le Roi.

Le 29, jeudi.—A onze heures et demie mené au Roi revenant de la chasse; dîné avec le Roi; il donne la serviette au Roi, qui s'en va à la chasse à une heure et demie.

Janv
1604

Le 30 janvier, vendredi.—Le Roi s'en retourne à Paris. Le Dauphin ne veut point dire adieu à Alexandre Monsieur, qui part pour aller à Paris recevoir la croix[90] le dimanche ensuivant.

Le 3 février, mardi, à Saint-Germain.—Le Dauphin avoit pour violon et joueur de mandore Boileau, et pour joueur de luth Florent Hindret, d'Orléans, pour l'endormir.

Le 4, mercredi.—M. de Beauclerc, premier secrétaire du Dauphin, lui porte de la part du Roi, avec lettre, une croix du Saint-Esprit, premier présent que le Roi lui a fait; la croix tenue par un dauphin émaillé de bleu.

Le 9, lundi.—A six heures la Reine arrive; le Dauphin, porté au cabinet de la Reine, refuse de l'accoler; il le fait par crainte.

Le 10, mardi.—A onze heures le Roi arrive, qui avoit couché à Meudon; le Dauphin est porté en sa chambre, et dîne avec le Roi.

Le 11, mercredi.—Il va à la chambre du Roi, tabourin battant; le Roi étoit encore au lit. Le Roi et la Reine partent à deux heures pour aller à Paris.

Le 16, lundi.—Il fait tirer le capitaine Richard, qui, de son arquebuse, tue un pigeon; il dit: «A diré à papa» (Je le dirai à papa). M. de Mansan[91], oyant cela, dit que dorénavant il ne falloit rien faire devant lui et qu'il diroit tout, et qu'il écoutoit tout sans faire semblant de rien.

Le 18, mercredi.—A six heures et demie il va voir le Roi et la Reine venant de Paris au château neuf; s'endort dans le carrosse.

Le 19, jeudi.—A deux heures mené au château neuf, chez le Roi; il se joue sur le lit du Roi; qui avoit la goutte.

Fév
1604

Le 20 février, vendredi, à Saint-Germain.—Mené au Roi, il revient à onze heures et un quart; mené au dîner du Roi.

Le 22, dimanche.—Mené en la chambre du Roi; le Roi le menace du fouet, il s'opiniâtre, veut aller en sa chambre; mené en celle de la Reine, il continue. Le Roi commande qu'il soit fouetté; il est fouetté par Mme de Montglat, au cabinet. Il est apaisé par de la conserve que la Reine lui donne, mais non autrement, ayant voulu battre et égratigner la Reine. Mené à une heure au bâtiment neuf, il est malmené du Roi.

Le 23, lundi.—Mené à midi au Roi, au bâtiment neuf; il sert le Roi à table.

Le 24, mardi.—Mené au Roi, il le sert à son dîner, fort gentil; il fait les essais sur toutes les viandes; leur dit adieu lorsque le Roi et la Reine s'en sont retournés à Paris, fort contents de lui.

Le 4 mars, jeudi, à Saint-Germain.—A onze heures il veut dîner; le dîner porté il le fait ôter, puis rapporter. Fâcheux, fouetté fort bien; apaisé, il crie après le dîner, et dîne.

Le 5, vendredi.—A onze heures il est fouetté pour ne vouloir point dîner.

Le 7, dimanche.—Il va à la salle du Roi, voir danser le ballet.

Le 18, jeudi.—La Reine arrive de Paris, on le lui dit; il va à la chambre de la Reine, l'embrasse, la salue.

Le 19, vendredi.—Parti avec la Reine, à onze heures, pour aller trouver le Roi, qui dînoit à Laumosne, près de Maubuisson. Étant près de la Muette, il veut aller en sa chambre; la Reine lui montre la Muette, disant que c'étoit Saint-Germain; il répond: Non pas, faut tourner carrosse pour aller à Saint-Germain. La Reine le renvoie; il arrive à Saint-Germain à douze heures, est porté fort criant en sa chambre et fouetté longtemps. Le Roi arrive, venant de Merlou, à trois heures.

Mars
1604

Le 20 mars, samedi, à Saint-Germain.—Il voit le jeune Du Monstier, peintre[92], et lui dit: Équivé (écrivez). Je lui dis: «Monsieur, il veut écrire votre visage, votre nez, vos yeux.» Il lui dit: Équivé-moi; lui soutient doucement le portefeuille, et a peur de l'empêcher. Il va à la chambre du Roi, qui étoit couché; ramené à dix heures et demie, dîné; il se laisse peindre. Mené au dîner du Roi et de la Reine, il sert le Roi, fait l'essai des viandes et du breuvage dans le couvercle de verre. A cinq heures soupé; il sert le Roi à souper, à l'accoutumée.

Le 21, dimanche.—Mené au dîner du Roi, il le sert à l'accoutumée. A une heure le Roi part pour retourner à Paris; à deux heures la Reine part. Il s'amuse à ses échecs d'argent, pendant que le jeune Du Monstier tire son crayon.

Le 28, dimanche.—Il jure sa foi, je l'en reprends, lui disant: «Monsieur, vous jurez votre foi.» Il s'en prend à pleurer, s'en met en colère, s'en va à Mme de Montglat, et ne lui veut jamais dire pourquoi il étoit fâché.

Le 8 avril, jeudi, à Saint-Germain.—A onze heures dîné; fantasque, crie, pleure; un coup de verge sur la main, colère, s'apaise.

Le 21, mercredi.—En se promenant par la chambre, il s'arrête court, voyant M. de la Valette sans manteau, se chauffant dans la balustre, les mains derrière le dos, et lui dit: Ho! la Valette, vous chauffez comme moi, êtes-vous le Roi? ôtez de là, allez-vous-en. Peu après Mlle Bélier, sa remueuse, en l'entretenant lui dit: «Monsieur, quand vous serez grand on vous fera un haut de chausses où il y aura une belle petite brayette.» Il répond soudain: Fi! braguette, c'est pour les Suisses. A deux heures trois quarts goûté debout, car il faut noter que depuis le matin, qu'il Avr
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étoit levé jusques à ce qu'il s'endormoit pour être couché, il ne s'asseyoit qu'à dîner et à souper.

Le 23, vendredi, à Saint-Germain.—Promené à Vésinet.

Le 24, samedi.—Il se réjouit d'une robe neuve, la montre à chacun.

Le 27, mardi.—A sept heures déjeuné, fort gai, contrefait souvent l'ivrogne. A onze heures dîné; il lui prend humeur à contredire et de crier; fouetté.

Le 29, jeudi.—Éveillé à sept heures et demie, levé, déjeuné, colère mal à propos, fouetté très-bien.

Le 4 mai, mardi, à Saint-Germain.—Éveillé à sept heures et demie, levé, il se met en mauvaise humeur, crie, fouetté, crie plus fort, apaisé.

Le 7, vendredi.—A quatre heures et demie mis dans la litière de la Reine pour essayer; mené jusques auprès de la Muette[93], en revenant il veut entrer en carrosse.

Le 8, samedi.—Éveillé à six heures, il demande son déjeuner, en mauvaise humeur, chasse tous ceux qu'il voit. Levé, hoignard; à huit heures et demie déjeûné; opiniâtre, fouetté, se dépite, apaisé. A onze heures dîné. A trois heures il passe le bac au Pecq; mené à Croissy, goûté à Croissy, gai, il demande où est la cuisine. Remis en litière, il s'endort, arrive au château à cinq heures et demie.

Le 11, mardi.—A dix heures le Roi arrive, il lui fait bonne chère; dîné à onze heures trois quarts avec le Roi. A quatre heures le Roi s'en retourne; il l'accole, il lui baise la main.

Le 12, mercredi.—Mené à Poissy; le curé vient au-devant de lui avec la croix et la bannière. Il est reçu par Mme de Retz, abbesse, à l'entrée de la maison de l'abbaye.

Le 13, jeudi.—Levé à huit heures, il entre en mauvaise humeur, crie, est fouetté, porte la main au fessement, disant: Chatouillez-moi, chatouillez-moi, crie par Mai
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dépit, apaisé. A trois heures il entre en carrosse, est mené à Forqueux.

Le 15, samedi, à Saint-Germain.—A sept heures levé, déjeuné. J'avois nommé potage son bouillon, il me dit: Je pense vous rêvez, c'est pas du potage. A deux heures goûté; il se cache en mon étude, m'appelle: Moucheu Heoua, je suis en vote petite chambe. Il ne brouilloit jamais rien là où il alloit; s'il y a quelque désordre, il le fait remettre.

Le 17, lundi.—Dîné, mené à la salle du bal, il s'opiniâtre, est fouetté.

Le 20, jeudi.—Mené au palemail, ramené à onze heures pour dîner, il n'en veut point; fort crié, fouetté très-bien coup sur coup, par deux fois, ne se rend point, enfin dîné.

Le 23, dimanche.—A huit heures levé, bon visage, gai, vêtu; il avale[94] ses bas de chausses disant: Voyez la belle jambe. Mlle de Ventelet lui hausse le bas et l'attachoit d'un ruban bleu à son cotillon; il voit que le ruban tournoit un peu sur le derrière, il se prend à dire en souriant: Ho! ho! je pense vous voulez fai mon cu chevalier, puis le voyant encore plus en arrière: Ho! ho! mon cu est chevalier. A neuf heures et demie déjeuné sur la fenêtre du préau; il voit des hommes qui passent, leur crie: Bonjou, Messieurs, je m'en vais boire à vous. A six heures il voit en passant le petit Canada[95] à la fenêtre, malade, il lui fait porter de son potage.

Le 24, lundi.—M. de Rosny le vient voir, il lui baille froidement la main à baiser, joue au palemail à la salle Mai
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du bal. M. de Rosny lui veut baiser la main et s'en aller, il la refuse et ne le veut accoler; M. de Rosny s'en va, il est marri de l'avoir refusé, le dit à Mme de Montglat, lui donne la main.

Le 26 mai, mercredi, à Saint-Germain.—Il ne veut point saluer M. de la Chevalerie qui lui apporte un petit carrosse plein de poupées; il y avoit une lettre de M. de Rosny; il tend la main, et pour la lettre, dit: Je la jetterai par la fenêtre.

Le 27, jeudi.—A une heure, dans la tourelle de la chambre du Roi, il écrit, pour du sucre rosat, une lettre au Roi. Je lui tiens la main; il se fâchoit sur la fin, disant: Ma pume est to pesante. Il nommoit tous les mots après moi, qui lui conduisois la main:

Papa ie say ben equiué non pa enco lisé. Moucheu de Oni m'a anuoié un home amé et un beau caoche ou é ma maitesse l'infante, é une belle poupée à theu theu. I m'a pomi un beau gan li pou couché, ie ne sui pu peti anfan, iay ben chau dan mon bechau, iay beu a vote santé papa é a maman. Ma pume est fo pesante, ie ne pui pu équiué, ie vous baise te humbeman lé main papa é a ma bone maman é sui papa vote te humbe é te obéissan fi é cheuiteu. Daufin[96].

Le 31, lundi.—Levé contre son gré par Mme de Montglat; il tenoit des verges, lui en donne un bon coup sur le visage, ne veut point de Mme de Montglat, s'y opiniâtre, en est fouetté. Il envoie à dîner à Canada.

Le 1er juin, mardi, à Saint-Germain.—Il se fait promener dans son petit carrosse du comte de Permission[97].

Juin
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Le 3, jeudi, à Saint-Germain.—Éveillé à sept heures, levé; il prend sa chemise par jalousie de Labarge, page de Mme de Montglat. Il frappe à coups de pied M. le Chevalier et Mlle de Vendôme. Amusé, promené, il est toujours avec les soldats, fait mettre le feu à un pétard. Il fait fouetter Labarge, fait mettre le petit Frontenac à genoux, le fouette, lui fait baiser les verges, lui pardonne.

Le 4, vendredi.—Levé à neuf heures; le Roi arrive; fort gentil, l'embrasse, entre en colère de ce que le Roi avoit baisé un peu serré M. le Chevalier, en fait le dépité; diverti, fait bonne chère au Roi. M. le Prince lui donne sa chemise. Déjeuné, il va à la messe avec le Roi en la chapelle, veut faire ôter le Roi de sa place, s'y efforce, et dit: Il est en ma place, ôtez-vous de là. Le Roi s'ôte et laisse son chapeau: Otez le chapeau; il fut ôté. Mené partout avec le Roi. A onze heures dîné avec le Roi. La Reine arrive à midi; il la sert, se joue à elle. Mlle de Vendôme baise la main de la Reine; il s'en fâche, y court pour la frapper, frappe la Reine. A trois heures goûté en sa chambre, mené promener, il dit adieu au Roi et à la Reine; à six heures soupé, il fait exercice de guerre; à huit heures s'endort.

Le 5, samedi.—A huit heures et demie déjeuné; mené au Roi, il va jouer au palemail, puis au lever de la Reine. A dix heures et demie dîné en la salle avec le Roi; il ne veut point que M. le Chevalier et Mlle de Vendôme prennent dans le plat du Roi. A six heures trois quarts soupé; mené au Roi, il voit M. le Chevalier auprès du Roi, s'en va à la charge, le fait mettre derrière.

Le 6, dimanche.—A huit heures et demie déjeuné; le Roi y vient, le voit déjeuner; il fait le fâcheux, fait taire Hindret, joueur de luth. Promené au jardin, aux allées, il voit et regarde le Roi touchant les malades.

Le 8, mardi.—Levé, il ne veut point prendre sa chemise, et dit: Point ma chemise, je veux donner premièrement du lait de ma guilley; l'on tend la main, il fait comme s'il Juin
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en tiroit, et de sa bouche fait: fsss, fsss, nous en donne à tous, puis se laisse donner sa chemise. Vêtu, il se joue en paroles avec Labarge; Labarge lui dit qu'il est Monsieur le Dauphin; il lui répond: Vous êtes Dauphin de mede. Mené au palemail, M. de Lorraine avec lui, ramené chez la Reine; dîné avec la Reine à midi. «Mon fils, dit la Reine, où irons nous?» Il répond: A la chasse. A trois heures la Reine le met en son carrosse, le mène à la chasse aux toiles, au bois de Ponchi, près le parc de Sainte-Gemme. A quatre heures et demie goûté d'une rôtie à l'accoutumée; le Roi arrive de courir le cerf, prend de sa rôtie; il s'en met en colère. Le Roi le pressa trop et lui jette au visage l'eau dont la rôtie étoit trempée; il se met à pleurer, et eût été plus malmené sans M. de Lorraine. Porté sur un chariot, dans les toiles, il voit passer devant lui et s'en retourner le sanglier; le voyant, il remarque ses dents et dit: Il a de grandes dents.

Le 9, mercredi.—Mathurine[98] lui demande: «Viens çà; seras-tu aussi ribaud que ton père?» Il répond froidement, y ayant songé: Non. Il va chez la Reine à une heure et demie; à deux heures goûté; il entre en mauvaise humeur contre la Reine, il la frappe, elle en rit. On veut fouetter Labarge s'il ne demande pardon, il le demande. Madame le veut baiser, il lui fait baiser son pied.

Le 10, jeudi.—M. de Vendôme arrive, se met auprès de lui, à la main gauche; il le repousse par deux diverses fois de la main, disant: Allez plus loin. M. de Vendôme, de son mouvement, lui baise le dessus de la main et à l'impourvû. Ha! dit-il en faisant le fâché, vous baisez ma main, et la frotte contre sa robe. Promené au jardin, dîné, amené à la Reine, mis en carrosse. A deux heures goûté, amusé, ramené en la salle du Roi, il fait sortir un cul-de-jatte qui jouoit du flageolet, disant: Mettez dehors; qu'il joue, mais je ne le veux pas voir. Il ne veut Juin
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point voir Olyvette, folle de feu Mme de Bar, ne veut point voir maître Guillaume[99], n'aime point les fols de cette sorte. Soupé; il fait porter de la gelée au petit Canada, malade; s'amuse à voir les passants.

Le 11, vendredi, à Saint-Germain.—Il se fâche, frappe Mme de Montglat, fait ôter le bâton à M. de Courville, gouverneur des pages de la chambre. Mené au jardin, on ne le peut contenter; on est contraint de l'emporter; il crie, craignant le fouet; outré, un peu fouetté, il égratigne bien fort Mme de Montglat à la joue de deux grandes raflades. Apaisé, mené à la salle du Roi; à onze heures trois quarts dîné; fâcheux, il fait ôter Madame de table. Mesuré, il a trois pieds de long, moins demi-pouce[100].

Le 12, samedi.—A neuf heures déjeuné; il va à la chapelle, voit M. le Chevalier et Mlle de Vendôme à genoux sur leurs carreaux; il se prend à eux, disant: Otez, ôtez de là; priez Dieu à terre; ils sont contraints de les ôter. Mené chez la Reine, il entre en fâcheuse humeur, veut que la Reine ôte sa robe, qu'elle ôte sa chaîne. La Reine le frappe, il lui rend, demande pardon. Il fait le fâcheux, ne veut point dîner; enfin, sur la jalousie de Labarge, qui feignit vouloir manger le dîner, il dîne à onze heures et demie. Il prend plaisir aux discours de maître Guillaume, les redit. A deux heures et demie goûté; il va en la chambre de Madame; Mme de Montglat veut donner la chemise à Madame; il la prend, la jette à terre en colère. On la met à Madame, il crie plus fort; fouetté, outré de colère. Porté au Roi à sept heures et demie, ramené à huit.

Le 13, dimanche.—A neuf heures déjeuné; mené chez le Roi; le Roi lui veut faire prendre en la bouche, par force, une fraise; il entre en mauvaise humeur, jette la serviette du Roi par terre; porté en la chambre de la Juin
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Reine, fouetté. Mené au dîner du Roi, il mange tout ce que le Roi lui donne.

Le 14, lundi.—Mené au palemail, il court de loin au Roi, l'embrasse; le Roi le prend par la main. A onze heures mené en la salle du Roi; dîné; mené au Roi à deux heures, il se joue en la galerie.

Le 15, mardi.—A neuf heures déjeuné; peint par le sieur Martin[101]. Mené à la chapelle, M. le Chevalier et Mlle de Vendôme étoient sur leurs carreaux, il les en fait ôter. Mené à la Reine à trois heures; le Roi revient de la chasse; à trois heures trois quarts le Roi et la Reine partent pour aller à Paris.

Le 16, mercredi.—Il se jouoit d'une petite clef attachée à un cordon; je lui demande. «Monsieur, est-ce la clef de vos écus?» Il répond: Oui.—«Et qui les garde?»—Il répond: Moucheu de Rosny. A deux heures et demie goûté; il vient en ma chambre. Je tenois sur ma table la liasse de mon journalier pour le montrer à Mme de Panjas, qui étoit avec Mme de Montglat. «Ce livre, Monsieur, lui dis-je, c'est votre histoire pisseuse.» Il répond: Non.—«C'est votre histoire breneuse[102].» Il répond: Non.—«C'est l'histoire de vos armes.» Il répond: Oui. A huit heures le Roi et la Reine reviennent; mené vers LL. MM., il les embrasse, danse, court, va servir le Roi à table. Il demande une guine, le Roi la lui refuse, il s'en fâche; le Roi la lui veut donner, il n'en veut point, est en mauvaise humeur, continue voyant que le Roi baisoit M. le Chevalier. Le Roi se lève de table, le veut baiser, il Juin
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ne veut pas; le Roi lui prend la tête et le baise, et se sentant pressé, pour se défendre il rencontre la barbe du Roi (sic).

Le 17, jeudi.—Mené à la messe du Roi, qui le mène à la procession, ramené à la chapelle pour l'écu à l'offrande, qu'il ne vouloit point lâcher[103]. A onze heures trois quarts, mené en la salle du Roi; dîné en rêvant et battant le tambour de la voix, tirant des arquebusades. Il ne songe point à boire; on lui en présente sans en demander; il n'en fait compte, boit par coutume. Amusé jusques à trois heures, goûté; mené au palemail au Roi et à la Reine, il court, joue au palemail, frappe un coup en lieu plein, vers la chapelle, de quatre vingts pas, mesurés par le Roi. A six heures et demie soupé; en mangeant on lui dit: «Monsieur, voici un autre féfé qui vous vient voir.» Il répond: Enco un aute féfé! où est-i? M. et Mlle de Verneuil arrivent à sept heures et un quart; il les regarde fixement à l'entrée. On le met bas[104], il va au devant froidement pour recevoir M. de Verneuil, lequel se retire contre celui qui le tenoit et se retourne, hoignant, ne voulant point voir et approcher M. le Dauphin, qui suivoit froidement, sans s'émouvoir, pour le caresser. M. de Verneuil résiste à l'accoutumée; cependant M. le Dauphin se retourne, baise et accole par deux fois Mlle de Verneuil. Voyant que M. de Verneuil ne se vouloit point laisser accoler ni approcher, il retourne, court vers sa table et achève de manger. Il regardoit M. de Verneuil, tenant la tête baissée sur le côté droit et appuyé sur le bras de la chaise, du coude du même côté. Mené au Roi en la cour, le Roi le mène au jardin; tous ses enfants y étoient[105].

Juin
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Le 18, vendredi, à Saint-Germain.—Mené à la Reine, M. de Verneuil avec lui; la Reine leur fait bonne chère. A trois heures et un quart goûté; il donne des confitures à M. de Verneuil.

Le 19, samedi.—Il se joue à un petit canon qu'il dit lui avoir été donné par le sieur Constance, écuyer du Roi. A onze heures et demie dîné; il pousse son écuelle de cerises, et dit: Velà pou le petit Canada, qui étoit décédé le jour précédent. A cinq heures et demie mené au jardin, il se fait mettre dans le petit chariot vert avec Mme de Montglat, et à son côté M. de Verneuil, disant: Mettez, mettez-le là, après que M. de Verneuil lui eut demandé: «Mon maître, vous plaît-il que je sois là?» Mené au Roi et à la Reine revenant de la chasse.

Le 20, dimanche.—M. de Vendôme entre en sa chambre fort accompagné; il y avoit entre les autres un gentilhomme de Normandie, nommé le sieur de la Valée, qui se mêloit de prédire par horoscopes et nativités. Il s'adresse à lui parmi la troupe: Allez vous-en, et le presse si fort qu'il fallut sortir. A dix heures et demie porté au Roi en la chapelle; on lui demande: «Monsieur, qui est le papa de féfé Verneuil?» Il répond un mot controuvé, de son invention, comme quand il ne vouloit pas dire quelque chose. «Monsieur, lui dit-on, il est le fils du Roi.» Il répond court et soudain: C'est moi, se montrant et ayant la main sur sa poitrine.

Le 21, lundi.—Mené à la chapelle; le Roi lui jette de l'eau bénite au visage; il s'en met en colère, ne veut que personne sorte, fait fermer les portes. A deux heures et demie goûté; il s'amuse aux exercices de guerre. La Reine arrive, il se met en mauvaise humeur, ne veut point baiser la Reine, la veut frapper. L'on feint de Juin
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fouetter Labarge comme faisant la faute; il s'apaise et fouette lui-même Labarge. A six heures soupé; sa nourrice lui demande s'il veut teter, et lui présente le teton; il lui tourne le dos, lui disant froidement: Faites teter mon cu.

Le 22, mardi.—Il entre en mauvaise humeur contre Mme de Montglat, en fait autant à M. Concino, puis fait la paix moyennant un petit carrosse et une charrette pour Labarge. Il va au jeu de paume, donne le bonjour au Roi, se joue, et rit avec M. de Montigny, enseigne colonelle aux gardes, qui avoit un grand nez, l'appelant Janica, pour Nasica.[106]

Le 23, mercredi.—Promené par la galerie; il donne le bonjour au Roi, qui étoit en carrosse à cause de la pluie. Il donne un soufflet à la petite Louise, parce qu'il ne vouloit pas qu'elle tînt par la main Mlle de Verneuil; elle s'en va, il la suit pour la faire revenir, ne veut point que Labarge y aille, et l'ayant attrapée: Venez, venez, petite Louise, je ne vous battai pus.

Le 24, jeudi.—Mené au Roi, qui le mène à la Reine; il obtient grâce pour des chats que l'on vouloit mettre au bûcher de la Saint-Jean. Mené au Roi et à la Reine, il est gentil et le Roi lui est fort doux. Il s'amuse avec ses petits seigneurs à des actions de guerre; la Reine arrive, il se met en colère contre elle, craignant que ce fût pour lui empêcher son plaisir. La Reine le menace du fouet, la colère augmente; le Roi l'apaise. Le Roi et la Reine partent à trois heures.

Le 27, dimanche.—Il fait ôter de derrière lui M. de la Valette, qui lui tenoit sa lisière; arrive un habitant de Rouen, âgé de cinquante-cinq ans, qui se met à genoux, la larme à l'œil, disant le cantique de Siméon.

Le 28, lundi.—Mlle de Vendôme pour se jouer avec le Dauphin, comme elle faisoit bien souvent, lui porte son Juin
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doigt au visage; il s'élance en colère sur elle comme un lion et lui arrache le masque du visage. Il met le feu au bûcher de Saint-Pierre.

Le 29 juin, mardi, à Saint-Germain.—Il fait de petites actions militaires avec ses soldats; M. de Mansan lui met le hausse-col, le premier qu'il ait mis; il en est ravi, se fait voir à tous ses soldats. Il goûte avec son hausse-col, s'entretient avec tous ses soldats comme s'il étoit en pleine guerre.

Le 30, mercredi.—Il demande son hausse-col et toutes ses armes, les prend, les considère, s'en joue, en est ravi, met ses gantelets en mains, en gourme Labarge. Il ne peut laisser les armes. Mme de Vitry appeloit M. de Verneuil son maître; il l'entend, et dit: Non, c'est moi.

Le 2 juillet, vendredi, à Saint-Germain.—Mme sa nourrice demande à M. de Verneuil ce qu'il avoit mangé à souper, il répond: «Du poulet, de la panade, etc.» Elle demande après à M. le Dauphin: «Et vous, petit bout de nez, petit galant, qu'avez-vous mangé à souper?» Il répond en souriant, comme gaussant: De la mede.

Le 3, samedi.—Il se fait mettre dans le chariot du comte de Permission, fait asseoir M. de Verneuil sur le devant, se fait traîner.

Le 4, dimanche.—Mené à dix heures à la chapelle, il entre en colère contre M. l'aumônier, est fouetté; la colère lui augmente, il en est diverti par Labarge, qui sonne les cloches. Le baron d'Ornh, gentilhomme anglois, fils du grand fauconnier d'Angleterre, vient avec le sieur de l'Isle, gentilhomme anglois, lequel, par transport, souleva et baisa à l'oreille M. le Dauphin par permission; mais il avoit à demi fait quand il la demanda.

Le 5, lundi.—Promené en la basse-cour où il donne l'aumône à des pauvres.

Le 6, mardi.—Mme la marquise arrive en la salle du Roi, trouve M. le Dauphin, qui lui donne la main à baiser; Mme de Verneuil se veut jouer à lui, et lui prend ses Juil
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tetons; il la repousse et lui dit: Otez, ôtez, laissez cela; allez-vous-en.

Le 7, mercredi.—Botté pour la première fois par M. de Ventelet, il en est ravi, montre ses bottes à chacun, dit qu'il va à Paris, demande son cheval. Le capitaine Polet, gentilhomme gascon, revenant de Hongrie, lui baise les mains. Le Dauphin ne veut point baiser Mme la marquise de Verneuil, ne veut point approcher Mme la marquise, la frappe de son palemail. Il se fait mettre son hausse-col, prend sa pique, la branle contre M. de Belmont, se fait mettre son épée, s'efforce de la tirer (elle étoit bridée). Mme la marquise lui dit: «Monsieur, je vous la tirerai, et permettez que mon fils prenne votre pique, le voulez-vous bien?» Elle la met hors du fourreau; il la tient haut, élevée, pour un peu de temps. M. de Belmont la prend de ses mains, la remet dans son fourreau et la bride, feignant de la lui vouloir racoustrer. Il ne veut jamais permettre que la marquise lui touche les tetons; sa nourrice l'avoit instruit, disant: «Monsieur, ne laissez point toucher vos tetons à personne, ne votre guillery, on la vous couperoit.» Il s'en ressouvenoit.

Le 8, jeudi.—M. de Lorraine[107], qui le venoit voir avec MM. de Bar[108] et de Vaudemont[109], arrive; il va à lui le chapeau au poing, lui tend la main à baiser et à MM. ses enfants, se fait mettre l'épée que le duc de Lorraine lui donne. Mme la marquise de Verneuil, qui étoit revenue de Poissy à une heure, vient à deux heures; il ne tend point la main. Elle essaye tous les moyens, point; Mme de Montglat lui fait donner, mais avec peu de volonté, et lui fit dire: Adieu, madame, j'aimerai bien vote fils, mon féfé. Elle répondit: «Et il sera votre Juil
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serviteur.» A quatre heures, le duc de Lorraine prend congé de lui.

Le 10, samedi, à Saint-Germain.—Il ordonne en paroles comme s'il avoit déjà commandement, et dispose de l'ordre et devoir des soldats, sait les noms et propriétés de toutes les armes. Il tire des armes, fait ôter le plastron à M. de la Valette.

Le 12, lundi.—Il fait venir une épousée de village, considère les danseurs.

Le 14, mercredi.—Éveillé à sept heures trois quarts, il s'entretient tout seul, bat tout bas en soi-même la batterie des lansquenets, bat du tambour contre sa poitrine avec le poing. Çà, dit-il, venez souda, en fait autant faire par Mlle Beraud, lui dit: Marchez, en garde, demande son corselet, disant: J'ai astheure une grande chambre, et un grand corcelet; il est là-haut à ma garde-robe. Il en fut impatient tant qu'il l'eût; il se laisse vêtir et coiffer patiemment, sous l'espérance d'un casque qu'il voyoit devant lui; il le fait essayer, il étoit trop étroit. M. de Belmont lui met son hausse-col; M. de Ventelet tenoit le derrière du corcelet; M. de Belmont lui met le derrière, qu'il empoigne lui-même et le serre comme sauroit faire le plus accoutumé à porter cuirasse, a la patience, et soudain qu'il est armé demande: Ma pique, et se prend à marcher parmi la chambre, si gaiement et si à son aise qu'il sembloit n'avoir rien sur les épaules. Jamais ne fut vu pareille chose en cet âge: la patience, l'adresse et la facilité à porter et manier les armes. Il se prend à tirer et branler des coups de pique contre Labarge et sur la balustre, comme à la barrière; il va, il vient, il ne dit mot, transporté d'aise. L'on lui porte un grand miroir, il se voit dedans, et tout soudain se fait désarmer. Il joue, raille sur Marguerite Valon, descend chez MM. d'Épernon, s'amuse à un livre de figures, en voit une où il y avoit un hallebardier qui en détachoit un autre, lui avaloit les chausses, et lui mettoit le doigt dans le Juil
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fondement. , dit-il, Velà Fanchemont (Franchemont, un hallebardier du corps, qui étoit en quartier) qui met le doigt au cu du capitaine Richard. A trois heures, comme il a entendu battre la garde, il a demandé soudain: Je veux mes armes, mon corcelet, mon casque, mon hausse-cou, se fait armer, et là-dessus les soldats viennent pour entrer en garde. Il se fait désarmer et commande au baron de Montglat de porter ses armes au corps de garde, au sieur de Saint-Martin, pour les mettre au râtelier et les bien attacher. Elles y furent mises, les armes entières, depuis le casque jusques aux pieds; il les alloit montrant à ceux qui entroient en la salle; il me les montra par la fenêtre, me dit: Voyez, mes armes qui sont au corps de garde, et me commanda de l'écrire.

Le 16, vendredi, à Saint-Germain.—Mme de Montglat, par mégarde, lui tournoit le dos; il lui a dit: Il faut pas tourner le cu à moucheu le Dauphin.

Le 19, lundi.—Il voit dresser son lit avec une extrême allégresse, est mis dans son lit pour la première fois[110].

Le 24, samedi.—Étant à la messe, Mlle Bélier lui donne une image d'un crucifix, lui disant que c'étoit le bon Dieu. M. l'aumônier élevant l'hostie, elle lui dit: «Monsieur, regardez le bon Dieu.» Il répond: C'est encore le bon Dieu? L'aumônier élevant le calice, elle lui en dit autant; il répond: C'est le bon Dieu, en montrant sa figure, et là? ajoute-t-il en montrant le calice. «Cela, dit-elle, est le sang du bon Dieu»; il répond: Buvons-nous du sang?

Le 27, mardi.—Il s'arme pour aller au devant de M. de Rosny avec sa pique.

Le 28, mercredi.—Éveillé à sept heures, il se met en mauvaise humeur, égratigne Mme de Montglat, est fouetté. Juil
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Labarge lui demande: «Monsieur, vous plaît-il que je mette Marguerite en prison?» Il répond: Non.—«Pourquoi, Monsieur?»—Vous êtes pas de mes archers de mes gardes!—«Que suis-je donc?»—Archer de ma garde-robe.

Le 31 juillet, samedi.—Il va chez M. de Frontenac, qui lui baille une petite arquebuse et un petit fourniment, qu'il fait mettre sur soi, et s'en transporte d'aise.

Le 4 août, mercredi.—M. de Montglat lui demande: «Monsieur, me donnez-vous rien à souper?» Il répond: Mon reste.—«Monsieur, voilà maman dondon[111], qui a un cul de ménage où il y à boire et à manger.» Il répond: Et moi aussi.

Le 5, jeudi, à Saint-Germain.—A huit heures et demie dévêtu; Mlle de Vendôme lui demande: «Monsieur, coucherai-je avec vous?». Il répond brusquement: Ho! ho! vous n'êtes pas l'Infante. Mis au lit, Mlle de...[112].... lui en demande autant: «Monsieur, vous plaît-il que je couche là avec vous?» Il répond résolûment: Êtes-vous l'Infante?—«Oui, monsieur,» dit-elle. Il répond: Non, vous n'êtes pas l'Infante.

Le 6, vendredi.—Il se joue dans son lit à ses petites armes, chante une chanson qu'il avoit ouï chanter: A Paris, su petit pont, le poil du...[113] s'étant failli pour dire le coil du pont. Levé à neuf heures et demie, déjeuné, il mange assis, ayant devant lui ses petites besognes d'armes, pendant que le sieur Decourt, peintre du Roi, en tire le crayon. A neuf heures et un quart dévêtu, il chante: Le coil du pont, le pont du coil, et se faut, disant: le poil du...; l'on en rit.

Le 10, mardi.—On parloit de deux Espagnols qui avoient tué une femme à Paris; il écoutoit, et soudain Août
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va dire: Il faut que le capitaine Richard les prenne, il les fera fouetter et puis pendre[114].

Le 12, jeudi.—Éveillé à huit heures, il appelle Mlle Bethouzay, et lui dit: Zezai, ma guillery fait le pont levis; le velà levé, le velà baissé; c'est qu'il la levoit et la baissoit. Il vient en ma chambre à quatre heures, s'amuse au livre des oiseaux de Gesner[115], en mangeant un gros morceau de pain de Gonesse, que sa nourrice lui avoit donné. Il s'amuse au plan du siége d'Ostende, s'informe de toutes les particularités du siége, tant du dedans que du dehors[116]. Il s'en va par le pont du Roi au palemail à cinq heures et demie, va jusques au bout, jouant la plupart du temps au palemail; il frappe un coup de septante-six pas. Quand il avoit mal frappé il disoit: J'ai pas bien joué; si on lui vouloit dire le contraire, il s'en fâchoit, et disoit: Non, je n'ai pas bien joué. «Monsieur, lui dis-je, vous n'avez plus de guillery.»—Eh! la velà-ti pas? dit-il en me montrant l'endroit; il mettoit contre le manche du palemail, et je voulois lui en faire peur.

Août
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Le 20, vendredi.—Il baise un portrait en cire de la Reine, assez mal fait, qu'il reconnut; il est tiré en cire, avec sa nourrice, par le sieur Paolo[117], pour être porté en Italie.

Le 27, vendredi, à Saint-Germain.—Mme la marquise de Verneuil arrive; il lui tend la main à baiser. «Monsieur, dit Mme de Montglat, baisez-la.» Il répond: Non, brusquement, et la regarde de même. A huit heures et demie, dévêtu, fort gai. «Monsieur, lui dis-je, vous n'avez plus de guillery»; il répond: Hé! la velà-ti pas, gaiement, la soulevant du doigt. Mis au lit, il s'assied sur son chevet et se joue à sa guillery.

Le 28, samedi.—A trois heures trois quarts il est entré en litière pour le voyage de Fontainebleau[118]; il en faisoit difficulté, mais lui ayant montré les cordons et lui ayant dit qu'il feroit le pont-levis, il y est entré gaiement; il va par la levée, passe par Buzenval, et arrive à Saint-Cloud chez M. de Gondi.

Le 29, dimanche, voyage.—A neuf heures et demie, mis en litière pour aller à Paris. M. de Rosny, accompagné de soixante chevaux, lui vient au devant, à Chaillot. Entrant au faubourg Saint-Honoré, il sent la puanteur du ruisseau et dit à Mme de Montglat: Mamanga, que je sens pas bon; on lui fait sentir un mouchoir trempé au vinaigre. Il arrive à la porte Saint-Honoré à onze heures et demie, trouve entre les deux portes le prévôt des marchands et échevins, et autres officiers de la Ville, qui firent une harangue Août
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prononcée par le prévôt des marchands, M. Miron, et un chant de joie en musique; ils l'étoient venus voir à Saint-Cloud. A l'entrée de la ville se trouvèrent MM. de Nevers, d'Aiguillon, de Sommerive, de Joinville, accompagnés de sept chevaux; ils mettent pied à terre avec M. de Longueville, qui l'avoit accompagné depuis Saint-Cloud, où il étoit venu le jour précédent, et Mme d'Angoulême aussi. La litière fut découverte avant que d'entrer sur le pont-levis. Il passe la ville, tenant en sa main des tablettes, regardant de çà, de là, en haut, tourne et prête son visage aucunes fois à ceux qui prenoient plaisir de le voir; bref, il sembloit une personne qui avoit composé sa façon avec jugement pour cette action; résolu, ferme, grave, doux. Il ne s'étonne de rien. Il passe de la rue Saint-Honoré en celle de Saint-Denis, devant la porte de Paris, au pont Notre-Dame; et, devant les petites boutiques qui sont devant Saint-Denis de la Chartre, le mulet de devant tombe tout à fait, et, se voulant par trois diverses fois relever ne peut; se relève aidé à la quatrième. Il faisoit grand chaud; sa nourrice étoit dans la litière avec Mme de Montglat. Il ne s'étonna jamais et ne changea jamais de contenance; ferme, assuré, sans s'ébranler en marchant, dit: Maman, fait bien chaud, allons à ma chambre. En entrant dans la ville, comme le peuple commença de crier Vive le Roi et Monsieur le Dauphin, il crioit aussi: Ah! ah! Mme de Montglat lui dit qu'il ne falloit pas crier et que ces gens prioient Dieu pour papa, pour maman et pour lui; il se tut. Il sort par la porte Saint-Victor et arrive à une heure et demie à Villejuif (il est logé chez un apothicaire de Paris, et y dîne); il bouffonne avec M. Arnauld, trésorier de France à Paris[119]. Parti à cinq heures et demie, il arrive à sept heures et trois quarts à Savigny; mis sur le lit à huit heures et demie.

Août
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Le 30 août, lundi, à Savigny.—Mené à la chapelle, puis au jardin et aux allées; parti à quatre heures, il arrive à six heures et demie à Villeroy.

Le 31, mardi.—Parti à neuf heures (de Villeroy) il arrive à midi à Fleury. Le Roi y vient dîner; il le va recevoir par le parc. La Reine arrive à douze heures et demie. Fort gentil, doux, baisé, embrassé, dîné avec la Reine, mené à la chambre du Roi, qui se met sur son lit; il le va éveiller, le tire, y envoie MM. de Vendôme et de Verneuil. A deux heures il demande sa collation; le Roi lui dit: «Mon fils, donnez-m'en?» Il répond: Non, donnez-moi de la vôte. La Reine lui demande: «Mon fils, donnez-moi de votre soucre»[120]. Il la reprend, en souriant et disant: Du soucre! du sucre. Le Roi et la Reine partent à quatre heures et demie pour s'en retourner à Fontainebleau.

Le 1er septembre, mercredi.—A huit heures trois quarts, parti de Fleury et arrivé à Fontainebleau, en la basse-cour du Cheval[121], à onze heures. En chemin ayant vu Fontainebleau, un valet de pied de la Reine qui étoit à côté de la litière lui dit: «Monsieur, voilà Fontainebleau.» Il répond: Où est-i?—«Le voilà.»—Est-i à moi?-«Oui, Monsieur.»—Et ce rouge aussi? en voyant les briques. Le Roi le reçut, l'attendant au pied du pavillon du côté de la galerie, l'embrasse, le baise, le mène au jardin de la Reine, en la galerie des Cerfs. Ramené en la chambre de la Reine et de là en la grande galerie où il a, avec le Roi et la Reine, dîné à douze heures et demie. Le Roi lui fait tâter un peu de melon, il le mâche et le rejette incontinent, disant: Pas bon; bu deux fois des restes du Roi fort trempé de vin blanc, et avant boire il tourne sa tête vers moi, me demandant: Est-i bon? Mené en sa chambre au haut du pavillon qui joint la grande galerie; Sept
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à une heure et demie ramené en la galerie; à trois heures goûté. Il prend la bourse de M. le comte de Sault qui jouoit, pleine d'écus; il les épand par terre, court après la Reine se jouant à elle. A cinq heures et demie descendu par le bout de la galerie avec le Roi qui le mène au jardin des canaux, lui montre les truites, les canes blanches et les cygnes. A sept heures ramené en sa chambre.

Le 2, jeudi, à Fontainebleau.—Le Roi le mène éveiller la Reine, puis de là en la cour de la Fontaine, lui fait voir les jardins et canaux, carpes, leur donne du pain, canes, cygnes, faisans et l'autruche. A dix heures à la messe, puis à la volière, aux galeries; dîné à onze heures et demie. A cinq heures et demie le Roi le mène au jardin des canaux, puis au jardin des faisans, où il mange un bon morceau de pain bis, voyant en manger au Roi et à la Reine; il voit jeter la mangeaille aux oiseaux. Je parlois assez bas du serein à Mme de Montglat pour l'en faire retirer; il l'entend, et soudain va vers Leurs Majestés: Adieu, Mecheu, adieu, Mecheu, velà le serein, mama Doundoun[122], penez-moi. A six heures trois quarts soupé.

Le 3, vendredi.—Éveillé à sept heures, le Roi se joue à lui; il ne veut pas que Madame danse ni que le Roi la baise; en est fâché contre le Roi, qui, pour l'apaiser, lui dit: «Baisez-moi, mon fils, je ne la baiserai plus.» Il sort avec le Roi, qui le mène à la chambre de la Reine, au jardin, à la volière; il ouvre et ferme le robinet des fontaines, mouille le Roi. A douze heures et demie mené chez M. Zamet au Roi et à la Reine, fort gentil jusques à ce que le Roi se voulut coucher sur le lit vert. Otez-vous de là, ôtez-vous de là, dit-il, et se met en fâcheuse humeur; menacé de verges, il n'en perd pas la fantaisie; enfin un quart d'heure après le Roi se met en son séant: Ha! le velà ôté, dit-il. La Reine s'en prend à rire.—Mamanga[123], Sept
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fouettez maman, elle a ri.
Elle feint de la battre.—Non, fouettez-la tout à fait.

Le 4, samedi, à Fontainebleau.—Il s'amuse en déjeûnant à de petits marmousets de poterie[124]. A cinq heures le Roi arrive de la chasse en la grande galerie; il s'en va courant à bras ouverts au-devant du Roi qui blémit de joie et d'aise, le baise et l'embrasse longuement, le mène en son cabinet, le promène le tenant par la main, changeant de main selon qu'il tournoit, sans dire mot, écoute M. de Villeroy rapportant des affaires au Roi, ne peut laisser le Roi, ne le Roi lui. Ramené en sa chambre; à six heures soupé. Il va en la galerie; LL. MM. étoient à l'issue du fruit. Le Roi lui donne un peu de carottes sauvages en compote, puis un peu de reste du vin clairet fort trempé. A huit heures et demie mis au lit; le Roi arrive et le baise, le Roi étant extrêmement content.

Le 5, dimanche.—A huit heures un quart le Roi arrive, qui le veut forcer à le baiser; le voilà entré en si fâcheuse humeur qu'il en fut fouetté par S. M. Il se défend, l'égratigne aux mains, le prend à la barbe. Mme de Montglat le fouette aussi; il le fut cinq ou six fois. Le Roi lui demande (en lui montrant des verges): «Mon fils, pour qui est cela?» Il répond en colère: Pou vous. Le Roi fut contraint d'en rire; cela dura plus de trois quarts d'heure, le Roi l'ayant prins et laissé diverses fois. Le Roi s'en va.—Je veux, dit-il, papa; le Roi revient, le baise. A dix heures le Roi et la Reine le mènent à la messe. A quatre heures et demie goûté; le Roi le mande; il va trouver le Roi au jardin des canaux, va voir courir le blaireau dans la cour de la maison.

Le 6, lundi.—Levé, vêtu en présence du Roi, il s'amuse Sept
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à manger des raisins de Damas que le Roi lui donne; déjeûné en présence du Roi. Mené à la Reine, puis par la galerie au jardin des pins et des canaux; il va au-devant de M. de Rosny, qui, dit-il, m'a donné mon beau lit. A onze heures et demie dîné, il se fait mettre son épée bleue qu'il appelle françoise.

Le 7, mardi, à Fontainebleau.—Madame arrive qui avoit une robe de même que la sienne, il la renvoie de jalousie; mené en la chambre de la Reine, au jardin des cerfs, au Roi, il court au-devant, ôtant son chapeau, et le va embrasser; à dix heures et demie le Roi le mène à la messe. A midi dîné, ayant lui-même mis son couvert. A une heure et un quart il va chez la Reine; en entrant il rencontre le sieur Conchino, lui demande: Où est maman? Entré au cabinet de la Reine. A trois heures et demie goûté; il fait retrousser la barbe à M. de Rosny. A cinq heures et demie mené par le Roi au jardin des pins et canaux.

Le 8, mercredi.—A dix heures et demie mené au Roi et à la Reine, et à la messe. A dîner il voit M. de Montigny, enseigne-colonelle, que l'on appeloit au régiment Nasica; il le reconnoît, se prend à sourire le regardant et montrant du doigt: Velà Nasica; il y avoit plus de trois mois qu'il ne l'avoit vu[125]. A sept heures et demie la Reine vient en sa chambre, puis le Roi; il danse au branle, puis voit danser; à huit heures trois quarts LL. MM. s'en vont[126].

Le 9, jeudi.—Éveillé à huit heures, il ne se veut point laisser nettoyer les pieds avec un linge mouillé; à neuf heures levé, il raille avec cinq ou six capitaines aux gardes, les appelle par leurs sobriquets. A huit heures il va chez la Reine, lui donne le bonsoir, puis chez le Roi, auquel le voulant mener par la terrasse, il Sept
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dit: Ne sotez pas, papa, le serein vous fairoit mal; le Roi le ramène par la chambre de la Reine en haut, en la sienne, le voit coucher, lui fait dire son Pater. Le Roi le baise et s'en va.

Le 10, vendredi, à Fontainebleau.—Il donne le bonjour à LL. MM., descend aux étuves. A dîner il se raille à Labarge, va voir le Roi et la Reine en la grande galerie, revient à trois heures en sa chambre. A huit heures il va donner le bonsoir à LL. MM., revient incontinent, dévêtu, mis au lit; le P. Coton lui fait prier Dieu.

Le 11, samedi.—A neuf heures et demie déjeûné; mené au jardin de la Reine, à la volière, il fait mouiller le Roi; le Roi le fait mouiller aussi. On lui demande: «Monsieur, qu'aimez-vous mieux, Saint-Germain ou Fontainebleau? Il répond: Fontainebleau, et l'avoit toujours dit ainsi. A cinq heures il demande du pain bis de M. Zamet et en mange un gros morceau, puis va chez le Roi, qui étoit sur la paillasse, au cabinet. On lui dit: «Monsieur, papa dort.» Il réplique gravement: Dort-i? la Reine remarqua sa façon de parler: «Voyez, dit-elle, comme il parle!»

Le 12, dimanche.—Il ne veut point baiser Madame pource qu'elle étoit morveuse et s'en reculoit en se gaussant. A neuf heures et demie mené chez la Reine et au Roi, comme il prenoit sa chemise; il l'ôte pour la bailler au Dauphin qui la prend et la lui donne fort gentiment. A onze heures et demie dîné; MM. et Mlle de Vendôme dînent tous trois au bout de sa table des restes qu'il leur donne. Avant souper il mit Mme de Montglat en prison, c'est-à-dire dans un coin de fenêtre, pour ce qu'elle avoit baisé M. de Vendôme, et fut long-temps à se remettre en bonne humeur.

Le 13, lundi.—A cinq heures mené par LL. MM. au jardin des canaux; il mange beaucoup et de grand appétit du pain bis; fort gai, il saute devant le Roi par-dessus un petit bâton mis à terre.

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Le 14, mardi, à Fontainebleau.—Il demande son luth; je lui dis: «Monsieur, jouez et chantez Philis.» Il fait jouer et chanter une chanson de guerre. Il a une chemise avec du passement devant la gorge, comme on les souloit porter, et ouverte pour la chaleur; mené au Roi et à la Reine, il sert la Reine.

Le 15, mercredi.—Le Roi arrive qui lui demande: «Mon fils, voulez-vous aller vous promener?» Il répond: Non, car i pleut; le temps étoit fort couvert. Le Roi feint de s'en aller; il ne veut pas, l'appelle, le suit. A dix heures mené à la messe; au sortir de là il fait marcher devant lui deux petits pages de la Reine qui chantoient. Il est ravi, ne disoit mot; en marchant il étoit si transporté de la musique qu'il passa sans prendre garde à la fontaine où il souloit prendre son plus grand plaisir.

Le 16, jeudi.—Mené au Roi, qui le mène à la Reine, puis va avec le Roi au jardin des canaux. A onze heures et demie dîné; maître Guillaume[127] arrive, il le regarde, l'écoute, puis se prend à sourire de ce qu'il disoit, comme ayant reconnu qu'il étoit fol. Il en ricanoit, redisoit ses mots, s'en riant. A cinq heures mené au Roi et à la Reine venant de la chasse.

Le 17, vendredi.—A la fin de la messe on disoit l'évangile sur lui et le Roi s'en alloit, il lui dit: Attendez, papa, qu'on ait dit mon évangile.

Le 18, samedi.—A trois heures et demie goûté; mené en la grande salle neuve ouïr une tragédie représentée par des Anglois[128]; il les écoute avec froideur, gravité Sept
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et patience jusques à ce qu'il fallut couper la tête à un des personnages. Mené au jardin et de là au chenil voir faire la curée du cerf que le Roi venoit de prendre; il oit les cors sans s'étonner, voit venir la meute jusques à ses pieds où se faisoit la curée, les voit sur le carnage avec une assurance étrange.

Le 19, dimanche.—A six heures, le Roi passe par la galerie lambrissée et le mène en la grande salle du bal; à six heures trois quarts soupé avec le Roi, il mange de tout ce que le Roi lui donne, sinon la salade, pour la force du vinaigre. Le Roi l'emmène par la main à la chambre de M. le connétable, puis en celle de la Reine; LL. MM. le baisent, il leur donne le bonsoir.

Le 21, mardi.—Éveillé à huit heures, il s'entretient en la mémoire de l'Infante, dit qu'il en a reçu lettres, lui veut écrire. A midi dîné, M. le Chevalier avec lui pour la première fois à sa table; en mangeant il considère l'enrichissement du plancher de la salle, s'enquiert des histoires qui y sont dépeintes. Mené au Roi et à la Reine qui alloient à la chasse; ramené en la salle pour être retiré tout de son long, en terre de poterie, vêtu en enfant, les mains jointes, l'épée au côté, par Guillaume Dupré, natif de Sissonne près de Laon[129]. A trois heures et demie goûté; il donne la patience au statuaire tout ce qui se peut. Sept
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A six heures mené à LL. MM. revenant de la chasse.

Le 22, mercredi.—Il donne la main à baiser à M. de Favas le jeune et à d'autres gentilshommes qu'il n'avoit point encore vus, la tend volontairement à tous l'un après l'autre; il s'amuse à ranger ses échecs. A quatre heures le Roi revient de la chasse, il le va voir au cabinet, lui soutient la jambe quand le valet de chambre les frotte, lui donne fort dextrement et de bonne grâce la chemise, l'ayant baisée, lui sert et lui met l'Ordre[130].

Le 23, jeudi, à Fontainebleau.—Maître Gilles, son sommelier, parlant de quelqu'un, dit: «J'ai vu qu'il étoit proculeur;» M. le Dauphin s'en prend à rire: Il a dit proculeu! «Monsieur, dis je, comment faut-il dire? «Il répond: Procureu. Il regarde par la fenêtre de la salle un Espagnol qui voloit[131] sur la corde; on lui dit que c'étoit un Espagnol[132], il répond: C'est donc un ennemi. Mené au Roi et à la Reine sur la terrasse pour voir ce voleur de corde. A trois heures et demie goûté, mené au grand Ferrare[133], de là il veut venir en ma chambre aux Mathurins, me fait l'honneur d'y venir à quatre heures et demie, entre en mon étude, se fait mettre sur la chaise, s'amuse à écrire, ne s'en peut aller; enfin ramené à cinq heures et un quart au jeu de paume, au grand jardin, à la fontaine du Tibre.

Le 24, vendredi.—Il voit les sieurs de Montigny et de Belmont, les entretient de la fenêtre, eux étant en la cour, commande au sieur de Belmont qui alloit sortir de garde, de faire passer la compagnie à travers la cour, les voit Sept
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passer, leur dit: Adieu, capitaine Robert, adieu sagean (sergent) Beauchêne, adieu, mes souda, adieu, sagean Lafontaine, qui étoit à la queue; il veut aller sur la terrasse pour les voir par la basse-cour, les conduit de la vue. A quatre heures et demie mené au jardin de Ferrare et monté sur un chariot pour voir courir des chiens terriers contre une laie à demi-morte; ramené en l'allée des ormes, il rencontre le Roi et la Reine revenant de la chasse.

Le 26, dimanche, à Fontainebleau.—Mené à la Reine, laquelle le mène à la messe le tenant par la main, puis au grand jardin trouver le Roi; il voit entrer les gardes, demande qui est le capitaine de cette compagnie; elle étoit à M. de Campagnols.

Le 27, lundi.—Il s'amuse à ses échecs d'argent pendant que Mallery en tire le crayon[134].

Le 28, mardi.—Le Roi le vient voir et s'en va à Paris. Je l'ai mesuré avec un pied et une ficelle de la hauteur de trois pieds et environ demi-pouce. Il se fait habiller en masque, son tablier sur sa tête et une écharpe de gaze blanche, imite les comédiens anglois qui étoient à la Cour et qu'il avoit vu jouer.

Le 29, mercredi.—Il dit qu'il veut jouer la comédie; «Monsieur, dis-je, comment direz-vous?» Il répond: Tiph, toph, en grossissant sa voix[135]. A six heures et demie, soupé; il va en sa chambre, se fait habiller pour masquer et dit: Allons voir maman, nous sommes des comédiens.

Le 30, jeudi.—Mené chez la Reine il est peint en crayon pour le deuxième jour par Mallery, a patience, s'amuse à crayonner sur du papier, voit son portrait. «Monsieur, lui dit-on, voilà votre frère.» Il répond: Non che n'est pas mon frère.—«Monsieur, lui dis-je, voudriez Sept
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pas avoir un frère?» Il répond Ho! non, avec une action résolue.

Le 2 octobre, samedi, à Fontainebleau.—Mené au jardin des canaux, à la Reine, il voit pêcher des truites, ramené à la messe; au sortir il s'arrête pour faire donner de l'argent aux pauvres.

Le 3, dimanche.—Il dit: Habillons-nous en comédiens, on lui met son tablier coiffé sur la tête; il se prend à parler, disant: Tiph, toph, milord, et marchant à grands pas.

Le 4, lundi.—Éveillé à six heures, il s'amuse en son séant à ses échecs; il a le cœur à la chasse et aux armes, tous autres passe-temps ne lui sont rien. Il veut un tablier tout blanc, sans ouvrage, comme celui de M. de Verneuil et non comme le sien où il y avoit du passement. A douze heures et un quart dîné; il dit Bénédicité pour la première fois. Il se rit de ce qu'il ne pouvoit prononcer la lettre r.

Le 8, vendredi.—En sortant de la messe il voit des pauvres, ne veut point passer qu'il n'ait, selon sa coutume, donné l'aumône. A quatre heures il va au pied de la montée au-devant du Roi, qui arrive de Paris, l'embrasse, a peur de M. de Favas à cause de sa jambe de bois.

Le 9, samedi.—Le Roi lui mène M. de Favas, qui lui donne des cerises afin qu'il n'aye plus peur de lui à cause de sa jambe de bois. Mené au lever de la Reine il saute, fait des cabrioles; mené par la galerie au jardin des canaux, où étoit le Roi, portant un bâton en mousquet et une fourchette, il se campe, couche en joue, tire: Pou! tou! avec une voix forte. Le Roi le fait tirer contre M. le Grand et M. de Montpensier, mais il n'a jamais voulu tirer contre M. de Souvré[136]. Mené chez la Reine, il y trouve un maçon qui raccoustroit; il le suit partout où il va, le regarde faire.

Le 10, dimanche.—Mené au Roi en la chambre de la Oct
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Reine; le Roi dit. «Je m'en vais botter.»—Et moi itou, dit-il, je me veux botter. On va quérir ses bottes, M. de Courtenvaux lui présente une paire d'éperons; il se laisse botter, appelle M. de Vendôme, lui dit: Bottez-moi. Étant botté il marchoit par la chambre avec une extrême allégresse disant à chacun: Je suis botté et éperonné. Le Roi lui demande: «Mon fils, que ferez-vous maintenant que vous êtes botté et éperonné?» Il répond: Je monterai à cheval.—«Où est votre cheval?»—A l'écuirie.—«Et quel cheval est-ce?»—C'est mon cheval bleu, puis je irai à la chasse. Mené à la galerie pour ce qu'il ne pouvoit laisser le Roi.

Le 12, mardi.—A trois heures et demie il est mené par le bout de la grande galerie au jardin des pins, où le Roi s'amusoit à ceux qui dressoient les palissades et leur commandoit ce qui étoit de son intention; il écoutoit attentivement et suivoit le Roi, les mains sur le dos. Le Roi veut prendre sa main, il ne veut pas; le Roi prend son chapeau sur sa tête et le lui jette en terre; le voilà en colère. Le Roi lui fait peur de la bête, s'en va, le quitte; il s'apaise, va trouver le Roi au jardin des canaux, et, sans dire mot, lui va prendre la main.

Le 13, mercredi.—Il se promène après le Roi et la Reine, fait autant de tours comme eux, Mme de Montglat lui tenant la main. Le Roi lui veut prendre la main, il ne le veut pas; le Roi s'en fâche, il entre en mauvaise humeur et se y opiniâtre. Il demande pardon au Roi, il l'embrasse, mais ne lui veut jamais donner la main.

Le 15, vendredi.—A dîner il s'amuse, en mangeant, à faire jouer du luth le sieur de Hauteribe; M. de Saint-Géran lui parle d'une épinette, il n'a point patience tant que l'on l'aie apportée. M. de Saint-Géran en fait jouer son page, Hauteribe joue du luth et Boileau du violon; il les écoute avec ravissement. A sept heures trois quarts je lui dis: «Monsieur, voilà le petit homme qui jette le sable.» Il répond: Eh! couchez-moi.

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Le 18, lundi, à Fontainebleau.—Il s'amuse à un petit mercier, fait acheter des anneaux de paille. Le Roi le mène à son souper, où il lui sert la serviette, deux fois à boire, et refuse à boire le reste, fait l'essai, puis lui demande congé pour s'aller coucher.

Le 19, mardi.—Il se fait botter et éperonner; on lui retrousse la cotte en grègues et sa robe tout autour; en marchant il se fait mettre en écharpe son épée de M. de Lorraine et puis sa trompe. En cet équipage il marche en cavalier et, résolu, descend en la chambre de la Reine où étoient les Princesses, MM. le grand écuyer et de Roquelaure, qui se prirent tretous à s'écrier et rire. Il s'arrête court sans s'étonner, les considère, puis dit froidement: Je suis botté, moi, et prend sa trompe et se met à tromper, fait plusieurs tours dedans la chambre. Il ne se vit jamais rien de plus gentil; il marchoit droit et couroit sans s'entre-heurter des éperons.—A sept heures trois quarts mis au lit; «Monsieur, lui dis-je, vous n'avez plus de guillery.» En se découvrant il fait apporter et approcher la bougie et dit: La velà t'i pas. M. le Grand dit à sa nourrice, de qui le mari étoit venu le jour précédent: «Vous fîtes hier noce, madame la nourrice»; par rencontre il va répondre: C'est d'un flageolet.

Le 20, mercredi.—Mené au roi sous le portique de l'étang où étoit M. le comte de Sore, grand écuyer de l'archiduc, qui s'en alloit en Espagne. Le Roi lui demande: «Mon fils, que voulez-vous envoyer (à l'Infante) en Espagne par M. le comte?» Il répond: Je lui baise la main.—«Est-elle votre maîtresse?»—Oui.—«L'aimez-vous bien?»—Oui.—«Comme l'aimez-vous?»—Comme mon cœur.—Le Roi commande qu'il soit botté et éperonné comme le jour précédent.

Le 22, vendredi.—Mené chez la Reine puis chez M. de Rosny pour recevoir la vaisselle d'argent doré que l'on lui avoit fait faire.

Le 23, samedi.—Éveillé à sept heures et demie; levé Oct
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à huit heures et demie, il entre en mauvaise humeur, ne veut point prendre sa robe; sa nourrice l'appelle: «Monsieur Tabouret, ça monsieur Tabouret, prenez votre robe»; il s'en éclate de rire; il la prend. A neuf heures et un quart déjeûné; il demande s'il pleut: il craignoit la pluie. Mené chez le Roi et la Reine, à la chapelle, ramené en la salle à onze heures. A midi dîné, mené chez le Roi qui alloit à la chasse, fort gentil; il se veut botter comme le Roi et veut aller en bas à sa garde-robe et non ailleurs, y voit son petit tambour de la femme qui alloit par ressorts, le veut (c'étoit un de ses plus grands plaisirs). Il va ainsi trouver le Roi contre son gré, y est comme forcé; le Roi lui dit: «Otez votre chapeau»; il se trouve embarrassé pour l'ôter, le Roi le lui ôte, il s'en fâche; puis le Roi lui ôte son tambour et ses baguettes, ce fut encore pis: Mon chapeau, mon tambour, mes baguettes. Le Roi, pour lui faire dépit, met le chapeau sur sa tête: Je veux mon chapeau; le Roi l'en frappe sur la tête, le voilà en colère et le Roi contre lui. Le Roi le prend par les poignets et le soulève en l'air comme étendant ses petits bras en croix: Hé! vous me faites mal! hé! mon tambour! hé! mon chapeau! La Reine lui rend son chapeau puis ses baguettes; ce fut une petite tragédie. Il est emporté par Mme de Montglat, il crève de colère; porté à la chambre de Mlle la nourrice où il crie encore longtemps sans se pouvoir apaiser, il ne veut ne baiser ne accoler Mme de Montglat, ne lui crier merci, sinon quand il se sentoit retrousser; enfin fouetté non châtié[137], criant: Hé! fouettez-moi là haut. Il égratigne au visage, frappe des pieds et des mains Mme de Montglat; il est enfin apaisé, lui étant parlé de faire collation. Goûté, rôtie à l'accoutumée, bu; il semble qu'il n'y paroît plus. Sa nourrice le met à part et, seule, lui dit: «Monsieur, vous Oct
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avez bien été opiniâtre, il ne faut pas, il faut obéir à papa;» il répond en soupirant gros: Tuez Mamanga[138], elle est méchante; je tuerai tout le monde, je tuerai Dieu.—«Ah! non, dit sa nourrice, Monsieur, vous buvez tous les jours son sang quand vous buvez du vin». Il s'arrête: Bois-je son sang du bon Dieu?—«Oui, Monsieur».—I ne faut donc pas le tuer, et il s'apaise ainsi, soupirant parfois jusques aux sanglots. Mené à la poterie, il s'y joue longtemps et voulut avoir un cheval blanc; puis, sentant l'heure de sa retraite, qui étoit sur les cinq heures, il dit de lui-même: Mamanga, allons-nous-en, veci le serein. Ramené en sa salle à six heures, soupé, panade, il en mangea peu, n'en veut plus, se plaint, pleure contre sa coutume, se penche contre la chaise, frotte ses yeux, porte les mains au front. On l'endort, il est porté en sa chambre, dévêtu. A six heures trois quarts il s'éveille un peu disant: Ai-je dîné? Il demande à être au lit, se plaint, prend de la conserve de roses. Le pouls étoit égal, et en son naturel par intervalles, puis se rendoit plus vite et revenoit comme devant. Il s'éveille et se rendort à diverses fois, se plaignant du haut du bras puis du joint de l'épaule, montrant l'endroit avec l'autre main; il n'a pas la force, de ce bras malade, de prendre comme il souloit[139], ce que l'on lui bailloit. Enfin il dit: Mama Doundoun, endomez-moi; elle chante et l'endort à dix heures et demie[140].

Le 24, dimanche.—Éveillé à six heures et demie, doucement; à sept heures il s'amuse à sa poterie et à ses petits gendarmes[141], fort gaiement. Je lui demande: «Monsieur, qui n'a pas soupé?» il répond: C'est moi.—«Pourquoi, Monsieur?»—J'étois malade.—«Qui vous Oct
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faisoit mal?»—Le bras et la tête. Il avoit des égratignures. Levé, un peu blême, gai; mené chez la Reine, puis à la chapelle et en sa salle à onze heures. A midi dîné, le visage blafard outre son ordinaire; le Roi l'envoie querir, on le lui dit; il en demeure étonné, en fait difficulté: Je ne veux point aller voi papa. On lui dit que papa lui donnera du bonbon, il se laisse aller; encore y est-il comme tiré par force, et faisoit difficulté d'entrer dans la chambre de la Reine, où étoit le Roi. Il y entre, va droit au Roi, qui lui donne du sucre rosat, l'embrasse et le baise, en fait autant à la Reine.

Le 25, lundi, à Fontainebleau.—M. de Roquelaure lui apporte un pourpoint de satin blanc et un haut de chausses plissé, de satin incarnat, avec le bas attaché; il s'en réjouit. Il étoit enrhumé, le visage plus blême qu'à l'ordinaire, néanmoins gai. Il va chez Madame, où il s'amuse à un petit lit de velours que, le jour précédent, on avoit donné à Madame, où il y avoit un Holopherne sans tête et la tête à part, et une Judith; il demande: Où est la femme? On lui dit: «La voilà.» Il répond: «Eh! ne faut-i pas que la femme soit sous l'homme.» Mis au lit fort enrhumé, les yeux gros, pleurants, la fièvre.

Le 26, mardi.—Il est fort enrhumé, le nez fort empêché, les yeux bouffis de rhume. Le Roi arrive, accompagné de M. de Roquelaure, le caresse, lui demande s'il veut pas aller à la chasse; il répond: Oui, papa; Mes bottes? et veut tirer les jambes hors du lit. Le Roi lui dit qu'après dîner il l'envoyeroit querir par Roquelaure, et qu'il n'avoit pas dîné; il répond: Bien, se paye de raisons. A cinq heures le Roi et la Reine arrivent en sa chambre; Mlle de Guise[142], se jouant à lui, va dire: «Monsieur, voulez-vous cela?» lui montrant une portion du dessus de son tetin prinse avec deux doigts; il y porte sa Oct
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main, disant: Non, non, donnez-moi ce gros mouceau-là, montrant le tetin en se souriant.

Le 27, mercredi, à Fontainebleau.—Peu enrhumé, les lèvres sèches, la face blême, les yeux un peu pleurants. M. Arnaud, secrétaire de M. de Rosny, arrive, il le veut chasser; on lui dit que c'est lui qui a fait faire la bride pour son cheval bleu, il s'apaise, se joue avec lui, et l'agace, lui frappe dans la main. A six heures, soupé; le Roi et la Reine y viennent, il demeure comme étonné quand le Roi parle à lui, lui donne le bonsoir avec crainte, l'embrasse, baise la Reine plus gaiement.

Le 29, vendredi.—Levé à une heure, le visage blême. Mené à la galerie après avoir bien marchandé, et, se y voyant pressé, il demande: Papa y est-il? Il se ressouvient toujours d'en avoir été malmené, en a peur, et quand il le voit demeure étonné, n'a plus cette contenance gaie, hardie qu'il souloit avoir.

Le 30, samedi.—Il ne veut point aller chez le Roi, contre sa coutume, oyant dire qu'il alloit à la chasse, le craint et en a peur, et n'en parle qu'avec étonnement; auparavant c'étoit avec gaieté. A trois heures le viennent saluer, lui assis au pied de son lit, dans sa chaire, MM. les ambassadeurs de l'Allemagne, des villes Anséatiques; ils lui baisent la main, qu'il leur présente avec une douce gravité, la leur tendant les uns après les autres. Amusé jusques à cinq heures et demie, il frotte ses yeux, ne veut point souper. Comme il eut quitté son ouvrage de crayonner sur du papier[143], M. de Vendôme arrive de la part du Roi pour savoir ce qu'il faisoit, le trouve en volonté de souper. On le veut disposer d'aller premièrement voir le Roi; à demi dormant, il dit: Je ne veux pas aller là bas, et encore légèrement. M. de Vendôme alla Oct
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rapporter au Roi fort crûment qu'il ne le vouloit pas voir, dont l'après soupée le Roi se fâcha contre Mme de Montglat.

Le 31 octobre, dimanche.—Levé à neuf heures, il veut aller à la chambre de sa nourrice, va au Roi, au cabinet; doux; le Roi le mène à la Reine, il veut retourner en la chambre de sa nourrice, s'amuse assez longtemps à la fenêtre, à regarder la messe qui se disoit devant le Roi, puis veut aller à sa chambre; chagrin, tout lui déplaît. M. d'Oinville, maréchal des logis de sa compagnie de gendarmes, lui fait présent d'une belle et petite arquebuse d'un pied et demi de long; en la voyant il en est ravi, s'écrie de joie et, tout transporté, la fait dîner avec lui.

Le 1er novembre, à Fontainebleau.—M. de Souvré lui donne une bandolière de velours violet, avec les charges couvertes de broderie d'or et d'argent; il en fait des exclamations. Levé à huit heures, vêtu d'une robe de velours violet et passement d'or, il montre à chacun sa bandolière. Mené au Roi et à la Reine, puis à la chapelle, où il sonne la clochette à l'élévation; ramené en sa chambre à onze heures, dîné, porté à la fenêtre pour voir le Roi touchant les malades dans la cour; il se promène avec l'arquebuse, va à la charge contre les Espagnols.

Le 2, mardi.—Il va à la chambre de Madame, qui étoit malade des dents. «Monsieur, lui dit-on, êtes-vous marri que Madame est malade?» Il répond: Non. Il présente à la Reine l'Avis des amendes du sieur du Luat[144]. A six heures soupé, fort gai; le Roi arrive; il demeure un peu étonné, baise et embrasse le Roi.

Le 3, mercredi.—Le Roi l'envoie querir à son souper; Nov
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il lui sert à boire; le Roi lui donne de son souper, puis de sa poudre digestive. A sept heures et demie dévêtu; il met ses jambes en croix et demande: L'Infante fait-elle ainsi?—«Oui, lui dit-on, Monsieur; voulez-vous qu'elle vienne coucher avec vous?» Il répond: Non.—«Monsieur, dit Mlle de Ventelet, quand vous serez couché ensemble elle mettra ses jambes comme cela» (c'est-à-dire en croix). Il répond soudain et gaiement: Et moi je les ferai comme cela, élargissant ses jambes avec ses mains.

Le 4, jeudi, à Fontainebleau.—Il demande son luth, le porte à dix heures chez la Reine pour lui faire voir comme il en joue; mené au jardin, fort gai, ramené en la chapelle, puis en la chambre. Il demande au mari de sa nourrice: Qu'est cela?—«C'est, dit-il, mon bas de soie.»—Et cela?—«Ce sont mes chausses.»—De quoi sont-elles?—«De velours.»—Et cela?—«C'est une brayette.»—Qué qu'il y a dedans?—«Je ne sais, Monsieur.»—Eh! c'est une guillery! Pou qui est-elle?—«Je ne sais, Monsieur.»—Eh! c'est pou maman Doundoun. Mené promener au palemail, il fait en passant donner l'aumône aux pauvres qu'il rencontre. Il va en la chambre de la Reine, au cabinet; il demande de la dragée à Mme de la Chastre, qui lui en donne deux grains; il en demande encore. Le Roi survient là-dessus, qui défend que personne ne parle et lui contredit: «Vous n'en aurez point.»—J'en veux. Le Roi se fâche, disant à Mme de Montglat un peu soudainement: «Vous serez cause qu'un jour je l'écorcherai.» Le Roi lui dit: «Venez-moi baiser»; il y va soudain, et l'embrasse.

Le 5, vendredi.—Mené chez la Reine; Mme de Guise lui montre le lit de la Reine, et lui dit: «Monsieur, voilà où vous avez été fait.» Il répond: Avec maman.

Le 6, samedi.—Il bat le tambour, bat la françoise, la suisse, l'alarme, la diane, le bandoul et fort bien, et en maître. Il entend le bruit des chevaux comme le Roi alloit à la chasse aux toiles, demande froidement: Papa Nov
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va-t-i pas à la chasse?
on lui dit que oui. Quelque bruit qui se fît à la cour et quoique chacun courût aux fenêtres pour voir passer le Roi, fors M. de la Court, exempt des gardes, et moi, il ne fit jamais contenance de vouloir y aller, mais demeura ferme et résolu en sa place. A six heures soupé; il va en la chambre de Madame, danse au branle, n'ayant point voulu aller chez le Roi.

Le 7, dimanche.—A neuf heures et demie mené chez le Roi et la Reine, qui étoient au lit; leur ayant donné le bonjour, M. de Verneuil entretenoit le Roi, qui s'amusoit à lui; sans dire mot, le Dauphin sort de la ruelle et va de l'autre côté se ranger près de la Reine. M. de Verneuil approche de la Reine, et la veut entretenir; il lui donne un grand soufflet sans dire mot, et l'autre se retire de même. Ramené en sa chambre, il s'amuse à ranger en soldats ses petits marmousets de poterie.

Le 8, lundi, à Fontainebleau.—Il se fâche contre Mme de Montglat et lui voulant donner un soufflet; demeure en chemin, la trouvant masquée. Otez, dit-il, votre masque; la fait démasquer.

Le 9, mardi.—A douze heures et demie mené au dîner du Roi; le Roi fault à le fâcher; il obéit, ramenant sa colère comme un lionceau, et ne sait si bien se retenir que, le Roi lui ôtant une cuiller dont il battoit le tambour sur une assiette, il ne jette la cuiller haut sur la troupe. Ramené en la chambre de la Reine, il baise et embrasse LL. MM., part et entre en litière à une heure et demie pour retourner à Saint-Germain en Laye. Goûté à l'endroit de la chapelle Saint-Louis, dans la forêt, dans sa litière, son buffet sur une pierre. Arrivé à Melun à quatre heures et demie, les président, lieutenant général et officiers de la justice sortent à pied, hors de la ville, au-devant de lui. Logé en l'île chez M. de la Grange. A six heures soupé; les officiers de la ville lui apportent un présent de tartes. A sept heures trois quarts M. de la Salle, capitaine aux gardes, lui demande le mot; Nov
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il le dit tout haut: Dauphin. «Monsieur, dit M. de la Salle, il le faut dire bas;» il le lui dit à l'oreille.

Le 10, mercredi, voyage.—Mené à la messe à Notre-Dame. Parti de Melun à dix heures trois quarts, il arrive à Crosne, maison de M. Bruslard, autrefois secrétaire d'État; à quatre heures après midi, mené au jardin; il se joue, discourt et raille avec Madame sa sœur; ce n'est que soudars et armes.

Le 13, samedi, à Saint-Germain[145].—A deux heures M. de Souvré part pour s'en retourner à Fontainebleau, d'où il l'avoit accompagné. Mis au lit, il entend que nous parlions de la prinse faite de M. le comte d'Auvergne[146] et que le Roi savoit bien attraper ses ennemis; il demande: Mes ennemis sont-is pris?—«Oui, Monsieur.»—Où sont-is?—«A la Bastille.»

Le 16, mardi.—Il va en la chambre de Madame, où arrive Mme la marquise de Verneuil, la connoît, lui donne sa main à baiser; elle lui demande: «Monsieur, me connoissez-vous?» Il répond: Oui.—«Qui suis-je?»—Vaneuil, sans dire Madame. Il se joue avec ses poteries; ses jeux et discours ne sont que soldats et guerre. La marquise part par derrière M. le Dauphin sans dire mot, avec MM. ses enfants.

Le 17, mercredi.—A midi dîné en la présence de Mme de Verneuil; il va aux fenêtres du préau, où il se joue privément à la marquise, chante comme voulant l'entretenir et se donner plaisir. La marquise part à quatre heures et un quart. Il vient en ma chambre, heurte. Je demande: «Qui est-là?»—Ouvez.—«Qui êtes-vous?»—Dauphin. Nov
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Il entre, demande à voir le livre des animaux[147].

Le 18, jeudi.—A onze heures et demie dîné; Madame demande une cuiller que tenoit M. le Dauphin, il la lui jette, et si ferme que, de la queue, il la blessa sous la paupière de l'œil droit avec un peu d'entamure; l'on l'en tança, il en demeure étonné; fait toutefois ce qu'il peut pour faire l'assuré et ne s'en soucier point. Mme la comtesse de Moret[148] le vient voir; il lui donne sa main à baiser. A deux heures il vient en ma chambre, demande la figure du siége d'Ostende, où il y avoit des petits soldats. Mme la comtesse de Moret s'en va, il lui donne encore volontairement sa main à baiser.

Le 23, mardi, à Saint-Germain.—Je lui dis que papa et maman le devoient venir voir, il répond: Je ne veux pas qu'i viennent, avec contenance d'étonnement, se ressouvenant toujours de Fontainebleau. Pour l'assurer, je lui dis qu'ils lui apportoient de beaux présents; il répond: Oui, et ne respire que tambours, soldats et armes.

Le 24, mercredi.—Je lui demande: «Monsieur, voulez-vous vous lever pour aller au devant de papa?»—Non, dit-il.—«Vous n'aurez donc pas le beau tambour et les belles baguettes qu'il vous apporte, il les donnera à M. de Verneuil.» Il se met soudain en colère, grince les dents, me veut égratigner, puis me regarde froidement. «Bien, Monsieur, vous me battez, dis-je; que voulez-vous que papa fasse de ce tambour?» Il répond: Qu'i le donne à moucheu de Veneuil, brusquement, remuant la tête comme de chose qu'il méprise; il ne peut oublier le rude traitement de Fontainebleau. Il va sur les terrasses, mangeant du gros pain, au-devant du Roi, qu'il rencontre à cheval, à la fontaine basse des maçons, à onze heures et demie. Le Roi met pied à terre; il va gaiement Nov
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au Roi, qui le prend au bras, le baise; il embrasse le Roi. A midi, dîné; il ne veut point que M. de Courtenvaux s'appuie et soit derrière la chaise de Mlle de Vendôme. Le Roi y vient après son dîner; Mme de Montglat parle au Roi; il ne le veut pas. Allez-vous-en en vote chambe, Mamanga; s'en met en colère. Le Roi s'en fâche, il mène Mme de Montglat en sa petite chambre; on l'apaise à peine, enfin on le fait danser, fort gai. Le Roi entr'ouvre la tapisserie; il l'aperçoit, quitte soudain la danse, se va cacher. Le Roi le presse, il s'aigrit; la nourrice le prend, l'assied sur la table; le Roi va par la douceur, le baise, le prie de danser pour l'amour de lui; enfin il s'apaise, et à ce coup dit: Je vas danser pou l'amou de papa, se coule à bas, et se prend à danser gaiement le branle des navets. Le Roi fait collation; il le servoit, et reconnoissant son essai[149]: Otez, ôtez, dit-il, empotez-le. Il le fallut remporter; le Roi céda à son humeur. Le Roi part pour s'en retourner à Paris à deux heures et un quart; il l'accompagne jusques au pied du degré, se prend à pleurer, demande d'aller avec papa.

Le 29, lundi, à Saint-Germain.—A dîner je demande à Madame si elle étoit belle, elle dit: Oui. Il l'entend, hochant la tête. Je lui demande. «Madame, êtes-vous bonne?» Elle dit: Oui.—Il dit, hochant la tête: Elle est bonne comme frère Jean. Il vouloit dire maître Jean; c'étoit le singe. Il demande de la gelée à Madame, laquelle lui pousse aussitôt l'écuelle en disant: «Tenez, papa petit;» elle étoit si aise quand elle lui pouvoit complaire[150]. Il bégaye fort ce jourd'hui en parlant.

Le 1er décembre, mercredi, à Saint-Germain.—A onze heures et demie, dîné; il ne veut point que l'on donne aucune chose à Madame. «Monsieur, lui dis-je, quand Déc
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vous serez grand, vous donnerez tout à Madame.» Il répond: Non, je li donnerai que du pain.—«Et à boire?» Il répond: Que de l'eau. Il mange une poire confite, ne veut pas que l'on en donne à Madame.

Le 2, jeudi.—Levé à huit heures et demie, il ne veut point prendre sa robe; Bruneau, le lavandier, le menace de le mettre dans son sac, puis au cuvier; il craint, s'habille, se joue avec sa nourrice; étant habillé, il se retourne vers le lavandier, et lui dit: Je suis habillé.

Le 4, samedi, à Saint-Germain.—A sept heures déjeuné, levé, vêtu, fâcheux, il ne veut point prendre sa robe, s'assied. M. Birat lui dit: «Monsieur, voilà le bossu du jeu de paume qui vient;» il se lève soudain, et met sa robe. Il vient en mon étude, s'amuse au siége d'Ostende.

Le 5, dimanche.—Il vient en ma chambre, voit le livre des animaux de Gesner, s'informe de chacun; à souper l'on demande à Madame ce qu'elle donnera aux siens quand elle sera en Angleterre[151], elle répond: «Des perles,» en son langage. Et moi, dit le Dauphin, des harquebuses.

Le 6, lundi.—Le Roi arrive à douze heures et demie, le Dauphin le reçoit au pied de l'escalier, l'embrasse, lui fait bonne chère[152]. Le Roi le mène en sa chambre, et à une heure le fait dîner avec lui; il boit du vin clairet du Roi. Il se va jouer à la salle des gardes; le Roi arrive, il s'arrête, et demande d'aller à sa chambre; le Roi ne le veut pas; il y résiste, le Roi à lui, et lui donne un petit soufflet; le Dauphin persiste; enfin il demeure en son opinion, et Mme de Montglat l'emmène en sa chambre. La Reine arrive à cinq heures.

Le 7, mardi.—Il va chez le Roi, où il est fort gentil; Déc
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le Roi et la Reine vont à la chasse. Mlle de Ventelet lui dit: «Monsieur, qui est le maître de papa?» Il répond: C'est Dieu.—«Et qui est le vôtre?»—Je ne veux pas dire. Il ne fut jamais possible de lui faire avouer un maître; comme le jour précédent, quand le Roi le fâcha le plus, ce fut quand il lui dit: «Je suis le maître, et vous êtes mon valet;» il s'aigrit extrêmement de ce mot-là. A trois heures goûté; il lui sort une goutte de sang du nez, il la voit et dit: Mamanga, c'est pouce que j'ai été opiniâtre. Il va au Roi au retour de la chasse, gentil au possible.

Le 9, jeudi, à Saint-Germain.—Mené au jardin, au Roi, il va à lui, les bras ouverts, tire son épée et montre au Roi qu'il s'en sait aider[153] contre les palissades; mené sur les terrasses de Neptune. Mené chez la Reine, qui part à deux heures et demie pour aller à la chasse.

Le 10, vendredi.—Il ne veut point aller voir le Roi, y consent ensuite, lui ayant promis son tambour bleu; il se le fait attacher, va battant trouver le Roi, qui étoit à la chapelle, le baise, mais il ne veut point y demeurer. Le Roi sort à dix heures, le baise, et s'en va dîner à Bezons, pour coucher à Paris; la Reine part peu après.

Le 12, dimanche.—A six heures il fait recoucher sa nourrice, puis l'appelle: Maman Doundoun, levez-vous; mettez-vous tout en chemise, je le veux. Il avoit ouï faire le conte du fils de M. de la Fon, avocat au Conseil, qui en faisoit faire autant à sa nourrice.

Le 13, lundi.—Il se lève, et descend tout seul de son lit: ce fut la première fois; vêtu, fâcheux; Bruneau, lavandier, arrive, il se tait.

Le 14, mardi.—Je lui demande congé d'aller voir papa et maman lui dire de ses nouvelles. «Monsieur, lui dis-je, vous plaît-il me commander quelque chose vers papa et maman?» Prenant le roi violet de ses échecs: Oui, dit-il, velà que je li envoie, et prenant la reine, et cela à maman.

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Le 18, samedi, à Saint-Germain.—Il danse dans sa chaise en mangeant, oyant jouer le sieur Jean-Jacques, violon de la Reine, qui jouoit la sarabande, les branles gais et autres semblables qu'il aimoit; il prend son manteau de satin blanc doublé de pluche, le retrousse sous le bras, et ainsi se met à danser.

Le 19, dimanche.—Il est vêtu d'une robe neuve de velours cramoisi brun. Mais, dit-il, je courrai donc tout seul. Il voit entrer M. de Mansan: Taine (capitaine), je n'ai point de lisière, j'irai tout seul; il en étoit tout réjoui. M. de Verneuil arrive, et lui donne le bonjour; il ne veut jamais l'appeler féfé (frère), mais petit Vaneuil.

Le 23, jeudi.—Il s'amuse à un livre recueilli des Antiquités de Rome. Venez voir, me dit-il (c'étoit la figure du Capitole moderne), velà Fontainebleau, velà ma chambe, velà la pote pou y monter, velà le cheval blanc, velà Mecure, velà le jadin, velà des bassins; il voit toutes les églises de Rome, et dit de toutes les églises qui sont en dôme: Velà des tambours. Il voit les figures du Monte-Cavallo: Hé! velà qui montre le cul (l'un des chevaux). Il voit un Hercule; on lui demande: «Monsieur, qu'est cela?» lui montrant la guillery; il répond honteusement en souriant: Faut pas le dire. Une épingle piquoit M. le Chevalier au collet, il ne veut point que Mme de Montglat la lui ôte, mais bien La Haye, qui étoit à M. le Chevalier; il ne vouloit point que ceux qui étoient à lui servissent ailleurs.

Le 24, vendredi.—On lui demande: «Qui êtes-vous?» Il répond: Le petit valet à papa. Il se joue avec M. le Chevalier, qui lui en contoit, disant qu'ils trouveroient de grands loups qui avoient de grandes hures; il répond: Non, ce ne sont pas les loups, ce sont les sangliers qui ont les hures.

Le 25, samedi.—Mme de Montglat lui dit avoir reçu nouvelles de papa, et qu'il est fort aise de ce qu'elle lui avoit mandé que M. le Dauphin est sage, plus opiniâtre, Déc
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qu'il ne dit plus: «Allez-vous-en», ne «Je veux». Le Borgne[154] arrive, le Dauphin lui voit mettre des bûches au feu, dit que c'est la venue de Noël, d'autant que le jour auparavant, avant souper, il vit mettre la souche de Noël, où il dansa et chanta à la venue de Noël.

Le 27, lundi, à Saint-Germain.—Chacun lui demande ce qu'il lui donnera pour étrennes; il se raille, et promet joyeusement et convenablement à chacun les siennes. Il a peur de Bongars, maçon du Roi: Dites-lui que je ne suis plus opiniâte. A cinq heures le Roi et la Reine arrivent de Paris; la Reine lui donne un petit tambour et la bandolière pour l'accrocher; il le met, et en joue. A cinq heures soupé, LL. MM. présentes; le Roi demande de son breuvage et dans son verre, M. de Ventelet lui en sert. Il lui en fâchoit fort, mais il se vainquit, et le passa doucement.

Le 28, mardi.—A neuf heures il prend son tambour, et s'en va au lever du Roi, qui étoit au lit; lui ayant, et à la Reine, donné le bonjour, le Roi lui demande s'il veut aller à la chasse avec lui, il lui répond: Oui, et à d'autres choses que le Roi lui demande. Le Roi se lève, et le mène en son cabinet, où il lui baille un petit ballon et un brassard; il le met au bras et en pousse le ballon. Le Roi le heurta du ballon poussé sur son front; il fault à en pleurer, se retient pour le respect du Roi.

Le 29, mercredi.—Il s'amuse à couper du papier avec des ciseaux. Il entend que M. Boquet[155] disoit à sa femme: «Madame Dondon, je vous battrai.» Il se retourne court, lui montrant les ciseaux qu'il tenoit et disant: Et je vous châtrerai; velà de quoi je couperai votre guillery. Sa nourrice lui demande: «Monsieur, le lui voudriez-vous bien couper?» Il répond, hochant la tête: C'est que je me joue. A quatre heures il va chez le Roi, qui le fait mettre à son côté, voulant donner audience aux députés des états-généraux Déc
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de Normandie; il les écoute attentivement, et le Roi, sur la fin de sa réponse, leur disant qu'après lui il les laisseroit pour les gouverner à son fils qui les conserveroit et achèveroit la décharge qu'il auroit commencée pour leur soulagement, M. le Dauphin lui dit froidement et de lui-même: Ga meci (grand merci), papa. Il va en la chambre de la Reine, qui s'amuse avec lui à des petites besognes d'Italie, entre autres un pigeon; il le faisoit battre des ailes qui étoient de toile d'argent; le Roi arrive de souper à sept heures et un quart; le Dauphin danse toutes danses, parfois va baiser le Roi, qui l'appelle, puis reprend la danse.

Le 31, vendredi, à Saint-Germain.—A midi mené au dîner du Roi; le Roi et la Reine s'en vont à deux heures pour retourner à Paris; il y veut aller.

ANNÉE 1605.

Devise du Dauphin.—On l'habitue au bruit des armes à feu.—Lettre à la Reine.—Les figures de la Bible.—Les portraits du Roi et de la Reine.—Le livre de M. de La Capelle.—Antipathie naissante pour les femmes.—Le valet du serrurier.—La comtesse de Moret.—Présent de la Reine.—Henri IV et ses enfants.—Le serment de fidélité.—L'ambassadeur d'Angleterre.—M. d'Harambure.—Le pied du cerf et le pied de la perdrix.—Les emblèmes d'Alciat.—La duchesse des Deux-Ponts.—Le valet du bourreau.—Jouets de poterie.—Les danses du Dauphin.—Entretien sur l'Infante.—Le peintre Martin.—Jouets d'argent.—Premier page.—Le jeu du corbillon.—Le baron de Donaw.—Modèle en cire d'une statue du Dauphin, le sculpteur Després ou Dupré.—La chanson de Robin.—Jouets de carton peint.—Le Dauphin logé au château neuf de Saint-Germain.—La comtesse de Moret.—Lettre au Roi.—Goût naissant pour le dessin.—Les fontaines et les orgues de Saint-Germain.—Instincts du commandement.—Chanson du Dauphin.—Les Espagnols et l'Infante.—Les outils du menuisier.—L'esprit de la galerie rouge.—Danger que court Héroard.—Conversation sur la chasse, le Louvre, etc.—La paye des soldats du Roi.—Le brave Crillon.—Le chien Favori.—Caractère du Dauphin.—Discours des députés suisses.—La statue d'Orphée.—Les forçats.—La belle Corisande et son petit-fils.—Les Gascons.—M. de Favas.—Jouets de plomb.—Mme de la Trimouille.—Amour du Dauphin pour sa nourrice.—Retour au vieux château de Saint-Germain.—Mlle Prévost des Yveteaux.—Le comte de Saure.—Lettre au Roi.—Les prières du Dauphin.—Chanson gasconne.—Henri IV couché avec ses enfants; mœurs et conversations singulières.—Fiançailles du prince de Conty.—Enseigne de diamants donnée par la Reine.—La musique de la Reine.—Le fossé et le pont-levis.—Le Dauphin fouetté par le Roi.—Un coffret flamand.—Le comte de Soissons, M. de Rosny et M. de Montbazon.—Batteries des tambours.—Le Jaquemard de Fontainebleau.—La famille de Montmorency.—Le grand maréchal de Lorraine.—Goût pour la musique.—Don Juan de Médicis.—Anniversaire de la mort de Henri III, usage pour les Dauphins.—Familiarité d'un cul-de-jatte.—Le sculpteur Francisco, le peintre Martin.—Entrevue avec la reine Marguerite; présents qu'elle fait au Dauphin et à sa sœur.—Le galimatias de Nervèze.—Le Saint-Thomas de Poissy.—Ouvrages de la Chine et joujoux d'Allemagne.—Lettre à la reine Marguerite.—Proverbe de Salomon.—Le président du Vair.—Le ballet du Combat.—Députés de l'assemblée de Châtellerault.—Joujoux de Nevers.—Présent du duc de Lorraine.—Le chevalier d'Épernon.—Le Dauphin entre dans sa cinquième année.—La reine Marguerite; les livres à gravures.—Conversation sur le prince de Galles.—Le frère bâtard de Henri IV.—Chapelets d'Italie.—Mot de l'ambassadeur de Venise sur l'Italie.—L'éclipse de soleil.—Le nain de la Reine.—La chambre de Charles IX.—Lettres au Roi et à la Reine.—Mendiants irlandais.—Le livre d'Heures de Henri III.—L'histoire de Matthieu.—Portrait en cire du Roi.—Le sculpteur Jean Paulo.—Jouets de poterie.—Le Dauphin va demeurer au château neuf.—La marquise de Verneuil.—Animal et bateau rapportés du Canada.—Le sang royal et la fleur de lys.—Captivité de Henri IV à Saint-Germain.—La duchesse de Beaufort.—Scène avec le Roi.—Humanité du Dauphin.—La carte gallicane de Thevet.—Sympathie entre le Dauphin et le Roi.—Henri IV et ses enfants.

Le 1er janvier, samedi, à Saint-Germain.—Il se promène avec sa harquebuse et sa fourchette, est mené ainsi à la messe, M. le Chevalier portant l'enseigne bleue où étoit l'aigle avec cette devise: Genus insuperabile bello, qui lui fut donnée par M. Arnaud, trésorier de France à Paris et secrétaire de M. de Rosny, M. le Dauphin étant à Villejuif, à dîner, s'en allant à Fontainebleau[156]. M. de Verneuil avoit son chapeau sur la tête: Otez, dit-il, votre chapeau, il faut pas que vous ayez votre chapeau sur la tête devant moi. On lui dit que papa vouloit qu'il (M. de Verneuil) eût son chapeau sur la tête: Mettez, mettez-le, dit-il soudain. Il tire son épée rabattue, qu'il appeloit son épée rouge; M. de Cressy, enseigne de M. de Mansan, lui dit: «Monsieur, voilà une belle épée! Elle ne coupe point!»—Ho! je la ferai bien couper pour le service de papa.

Le 2, dimanche.—Il fait un peu le fâcheux. M. de La Court lui dit que le tonnerre viendra qui l'emportera; il s'arrête, et demande: Que c'est? M. de La Court lui répond: «Monsieur, ne vous souvient-il pas que vous l'appeliez le tambour de Dieu?» Il écoute avec admiration, puis demande à Mme de Montglat: Mamanga, qu'est que Dieu, de quoi est-il fait? Elle lui dit qu'il n'étoit point fait, qu'il Janv
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étoit un esprit invisible. Peu de temps après elle lui demande que c'étoit que Dieu; il lui répond: C'est un esprit invisible. On le rassure aux arquebusades; le capitaine du Bouchage, archer des gardes du corps, et en garde près de lui, tire sept coups; il disoit: Je n'ai point peur, et les voyoit tirer assurément. Il en avoit été intimidé par ses femmes et surtout par sa nourrice, quand la compagnie faisoit la monstre[157], criant tout haut que l'on ne tirât point. Sept ou huit arquebusiers et mousquetaires tirent sous le grand portail, il se retourne et crie tout haut: Je n'ai pas peur.

Le 3, lundi.—Il veut écrire à papa et à maman, et écrit[158]: Ma bonne maman, je ne suis pus opiniâte, je n'ai pus peur du borgne; papa, je n'ai pus peur des harquebusades, j'ai fait tuer une perdrix.—Il a des jetons du palais dans une petite bourse d'Espagne, il en donne à chacun.—Je lui montrois, en un livre de figures de taille-douce, l'histoire de Goliath et de David; je lui montre la tête au bout d'une lance, il voit David à cheval et dit: Velà le petit Dauphin monté sur son grand cheval.—On l'accoutume à aller seul dans la chambre. Mme de Montglat lui donne un petit panier d'argent pour ses étrennes.

Le 4, mardi.—Sa nourrice lui demande: «Monsieur, voulez-vous pas aller à la messe, puis vous irez vous promener?» Il répond: Ho! non, j'irai premièrement à Ferme[159] me promener, puis j'irai à la messe.—«Mais, Monsieur, vous trouverez la porte fermée».—Je l'ouvrirai avec mon harquebuse à rouet.

Le 6, jeudi.—Madame entroit en sa chambre, il la veut frapper de sa pique. Madame de Montglat le tance, lui demande: «Monsieur, pourquoi avez-vous voulu Janv
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frapper Madame?»—Je suis fâché contre elle pour ce qu'elle a voulu manger ma poire. C'étoient des excuses inventées. M. l'aumônier lui en demandant autant à part, il répond: Pource que j'ai peur d'elle.—«Monsieur, pourquoi?»—Pource qu'elle est fille.—L'on tire des arquebusades dans la cour; il en a grand'peur.

Le 7, vendredi, à Saint-Germain.—Il dit à sa nourrice: Hé! ma Doundoun, hé! ma belle Doundoun, baisez-moi! Puis regardant et faisant la révérence aux portraits du Roi et de la Reine[160] il dit: Papa n'a point de chapeau. Je lui demande pourquoi?—Pource que c'est une peinture. Il s'amuse au livre de portraits en taille douce de M. de la Capelle, assis dans sa petite chaise, attentivement, demande l'interprétation des figures et s'en ressouvient.

Le 10, lundi.—Devienne, son cuisinier, fut marié ce jourd'hui; il dit: Mon gros roti e-est marié; i-il a une femme, i-il couchera avec elle[161]. Il s'amuse avec le chevalier de Verneuil et MM. d'Épernon, et dit, les faisant mettre autour de lui: Nous tenons le conseil; Madame approche: Ho! ho! voilà Madame qui écoute, allez-vous-en, il faut pas que les filles soient au conseil.

Le 13, vendredi.—Il s'amuse à tourner le rouet de la chambrière de Mlle Piolant. M. de Frontenac lui dit qu'il deviendroit fille, il quitte le rouet.—Il s'amuse au livre des figures du sieur de la Capelle, reconnoît en un endroit les armoiries du roi d'Espagne, et dit: Velà celles de papa, mettant le doigt sur les fleurs de lis. Je lui demande: «Monsieur, qu'y a-il aux armoiries de papa?»—Des fleurs de lis.—«Et aux vôtres?»—Des Dauphins.

Le 18, mardi.—Il entre, le matin, en fâcheuse humeur, dit à chacun: Allez-vous-en, je vous battrai. On fait entrer le valet du serrurier, qui par rencontre revenoit de Janv
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la chambre de sa nourrice, portant des tenailles et une tringle: «Voilà, dit le serrurier, de quoi j'embroche les opiniâtres.»—Je ne suis point opiniâte, mousseu le serrurier.

Le 19 janvier, mercredi, à Saint-Germain.—Il brûle de la poudre pour la première fois.

Le 20, jeudi.—A une heure arrive Mme la comtesse de Moret, elle assiste à son goûter; comme elle partoit, il lui dit de son mouvement: Recommandez-moi bien à papa, et que je suis son serviteur.

Le 25, mardi.—A cinq heures le Roi et la Reine arrivent de Paris; la Reine lui apporte un petit pistolet que lui-même a voulu débander devant le Roi. Le Roi commande à Mme de Montglat de faire manger quelquefois M. de Verneuil avec lui; il l'entend et dit: Ho! non, y ne faut pas que les valets mangent avec leurs maîtres!

Le 26, mercredi.—M. et Mlle de Verneuil ont dîné avec lui et ce fut la première fois; il ne le vouloit point; le Roi lui demanda pourquoi: Ho! il n'est pas fils de maman.

Le 27, jeudi.—Mené au Roi, au château neuf, dîné avec le Roi et tous les autres petits. A deux heures il va voir le Roi revenu de la chasse, le trouve avec sa robe de nuit, lui dit par deux fois: Papa, venez-vous mettre au lit.

Le 28, vendredi.—Mené chez la Reine, ramené à deux heures.

Le 5 février, samedi, à Saint-Germain.—Il se fait mettre son hausse-col, prend sa pique et s'en va à la basse-cour voir faire la monstre à la compagnie de M. de Mansan qui lors étoit à Paris; il se met à la tête, accompagné de M. le Chevalier et de M. de Verneuil, fait marcher la compagnie après lui, marche comme le capitaine, porte sa pique baissée; le tout fini il s'arrête, hausse sa pique, tourne la face vers les soldats, les fait arrêter, fait cesser la batterie du tambour, puis se retourne vers le sieur de Castillon, commissaire et secrétaire de M. le connétable, et Fév
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lève la main pour prêter le serment. Le commissaire demeure en doute, Mme de Montglat lui dit qu'il n'y avoit point danger de lui faire prêter le serment, et lui ayant demandé s'il ne promettoit pas de bien servir papa, il répond: Oui, et tout soudain appelle: Féfé Chevalier, venez prêter serment de bien servir papa. Il en dit autant à M. de Verneuil, et cela fait, crie aux soldats: Tirez, tirez, je n'ai pas peur. Ils tirent tous en salve, il n'a point de peur ni aucun semblant d'en avoir et dit encore à M. le Chevalier: Féfé, promettez-vous de bien servir papa?—«Oui, Monsieur».—Et moi aussi.

Le 7, lundi, à Saint-Germain.—A douze heures et demie arrive le duc de Lenos[162], ambassadeur du roi d'Angleterre, né en France, fils d'une sœur de M. d'Antragues, cousin germain de Mme la marquise de Verneuil; le Dauphin le reçoit fort bien.

Le 10, jeudi.—M. de Frontenac le vient voir avec M. d'Harambure[163], portant un oiseau de poing.

Le 11, vendredi.—A onze heures il se met à la fenêtre attendant impatiemment la venue du Roi; le voyant venir il crie à haute voix: Papa; le Roi arrive, il le reçoit dans sa chambre puis le mène en la sienne; dîné avec le Roi, il mange du beurre que le Roi lui-même lui étend sur du pain. Le Roi parle d'aller à la chasse, disant qu'il se faut dépêcher de dîner; il dit: Et moi itou j'irai à la chasse avec papa; j'ai envoyé quéri Cavalon; c'étoit son chien. Madame lui dit de prendre aussi le sien qui se nommoit Amadis de Gaule: Ho! non, dit-il, le cerf le blesseroit d'un coup de corne. Le Roi lui dit qu'il falloit dire de la tête, il reprit: De la tête, et n'y faillit plus. A souper, le Roi lui envoie le pied du cerf par M. Praslin; il fait couper Fév
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le pied de sa perdrix et lui dit: Tenez, portez cela à papa.—Le Roi vient en sa chambre, y joue aux échecs.

Le 12, samedi, à Saint-Germain.—A neuf heures mené au Roi qui étoit encore au lit; il lui donne la chemise. Dîné avec le Roi; il danse devant le Roi la bourrée où il compose des grimaces, la sarabande, la gavotte, les remariés, et plusieurs autres danses; le Roi le baise, l'embrasse, et à une heure part après midi pour retourner à Paris.—En goûtant, il entend parler de M. Martin et dit: C'est celui qui a fait la peinture de Moucheu le Dauphin, mémoire incroyable de s'en ressouvenir[164].

Le 14, lundi.—L'on parloit d'une mariée qui devoit venir danser au château. Mme de Montglat lui demande: «Monsieur, comment fera la mariée?»—Si Moucheu Heroua n'étoit là, je le dirois.—«Monsieur, lui dis-je, il n'y a point de danger.» Il met sa pique entre ses jambes et élevant un bout branloit les fesses.

Le 15, mardi.—Il se joue avec un lévrier nain noir, que M. de Longueville lui avoit envoyé, nommé Charbon. Il cause étrangement, se ressouvient d'un ballet fait il y avoit un an et demande: Pourquoi est-ce que le petit Bélier étoit tout nu? Il faisoit le Cupidon tout nu.

Le 16, mercredi.—Il s'amuse dans son lit aux emblèmes d'Alciat, il en reconnoissoit beaucoup. A une heure et demie vient Mme la duchesse de Deux-Ponts, qui, le soir auparavant, étoit arrivée à dix heures; il danse la gaillarde, la sarabande, la vieille bourrée.

Le 19, samedi.—Pendant son lever, le charbonnier vient, qui lui dit: «Bonjour, mon maître.» Il demande à M. l'aumônier: Qui est son maître?—«C'est le Roi et vous.»—Qui est le plus grand?—«C'est papa et vous après,» répond l'aumônier.—Non, c'est Dieu qui est le plus grand?

Le 20, dimanche.—L'on parloit d'un homme condamné Fév
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à être pendu, il demande: Qui le pendra? l'on répond que ce seroit le valet du bourreau, il dit: Je ne veux donc point avoir un valet. Peu après il appelle M. Birat, lequel il souloit appeler son valet, pour lui commander quelque chose, et l'ayant appelé par son nom: «Quoi! dit-il, Monsieur, vous ne m'appelez pas votre valet?»—Hé! c'est le bourreau qui a un valet.

Le 22 février, mardi.—Il reconnoît beaucoup de lettres de l'alphabet; il se fait habiller en mascarade.

Le 1er mars, mardi, à Saint-Germain.—Il demande un marmouset qui joue de deux épées et le nomme Salomon, du nom du tireur d'armes de MM. d'Épernon. Je lui donne un cheval et un marmouset de Flandres, fait de poterie. Où est, dit-il, son corps? pource qu'il n'étoit fait que jusques à la poitrine.

Le 2, mercredi.—Le Roi arrive, il va à la porte, courant au devant de lui l'embrasser; le Roi le mène dîner avec lui, puis va à la chasse. A cinq heures, la Reine arrive de Paris, il est mené au devant d'elle presque hors la porte de l'escalier, remonte avec elle en sa petite chambre, danse sarabande, bourrée, le branle simple, la saugrenée, Comment, ce moine trotte, puis dit: Maman, ai-je pas bien dansé? Il s'amuse à un chien d'Ostreland; il aimoit fort les chiens.—Mené à sept heures en la chambre de la Reine, il s'amuse à voir des personnages à la tapisserie où il y avoit des petits enfants. Le Roi lui dit: «Mon fils, je veux que vous fassiez un petit enfant à l'Infante.»—Ho! ho! non, papa.—«Je veux que vous lui fassiez un petit dauphin comme vous.»—Non pas, s'il vous plaît, papa, dit-il, en mettant sa main au chapeau et en faisant la révérence. Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, dites à papa qu'il fasse donner des hoquetons neufs aux archers qui vous gardent, comme aux autres.»—Ho! ho! non, dites-l'y vous-même, et il lui fait par plusieurs fois la pareille réponse, sans le pouvoir persuader de le faire.

Mars
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Le 3, jeudi.—Il s'amuse seul, sans dire mot, avec un petit puits d'argent que lui avoit donné M. de Candale, donnant une extrême patience à se laisser peindre par maître Jehan Martin[165]. Mené au Roi, au cabinet de la Reine, laquelle lui donne un petit ménage d'argent.

Le 4, vendredi.—Mené au Roi, qui étoit à table; cela le mit un peu en mauvaise humeur de n'avoir point dîné avec le Roi; il baise LL. MM. qui s'en retournent à Paris à deux heures. Charles de Bompar lui a été donné pour page par le Roi; ç'a été son premier page.

Le 6, dimanche, à Saint-Germain.—Il ne se veut lever, l'on fait venir Pierre Cabaret, maréchal de forge du village, et Bongars, maître maçon qu'il craignoit.

Le 7, lundi.—Il joue au jeu: Que met-on au corbillon? Il invente des mots pour rimer: Dauphillon, damoisillon.

Le 8, mardi.—Le baron d'Aune, Allemand, neveu de celui qui, du temps du feu Roi, fut défait à Auneau[166], lui baise la main en arrivant et en s'en allant.

Le 10, jeudi.—A une heure arrive un sculpteur envoyé de la Reine; le Dauphin lui demande: Peintre, comment vous appelez-vous? il répond: Després[167]. Il est Mars
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tiré en bosse de cire pour jeter en fonte par Després. Amusé à chanter le pot pourri des chansons; quand il étoit à la meunière de Vernon, il disoit: de Candale, changeant le nom de d'Épernon.

Le 13, dimanche.—Mme la princesse de Condé et Mlle de Bourbon le viennent voir. Il se joue avec sa nourrice, dit qu'il est l'Infante et parle des mots de jargon; puis il cause avec sa nourrice, dit qu'il est moucheu Dauphin et que l'Infante a un petit conin comme Madame; il le dit tout bas à Mlle de Ventelet, de honte de le dire tout haut, et me le dit tout bas à l'oreille. Il se joue avec Madame, mais il ne veut point que l'on dise qu'il est le prince de Galles: Ho! non, je suis Dauphin, dit-il.

Le 14, lundi.—Il s'amuse à un livre des figures de la Bible, sa nourrice lui nomme les figures et les lettres, puis après il nomme les lettres et les connoît toutes. Il se meurtrit en jouant, se fait prendre par sa nourrice qui le met en son giron et s'amuse à chanter et à jouer sur la mandore de Boileau, qui en jouoit; il chante la chanson de Robin:

Robin s'en va à Tours.
Acheter du velours
Pour faire un casaquin:
Ma mère je veux Robin.

Le 15, mardi.—Le sieur...., Flamand, statuaire, retiré à Florence, le retiroit en cire de la hauteur d'un pied et demi par le commandement de la Reine. Le Dauphin dit: C'est mon frère de cire (c'étoit pour le jeter en or, pour l'envoyer à l'Annonciade de Florence). Il s'amuse à son petit ménage d'argent, dit à M. de Vendôme: Allez Mars
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vous-en
. Mme de Montglat l'en reprend, il répond: Ce n'est pas moi, c'est mon petit frère de cire qui l'a dit.

Le 16, mercredi.—Il se joue avec un petit marmouset de Cupidon, fait de carte et de plâtre peint, et avec un petit bœuf de carte plâtrée et peinte sur lequel il monte son Cupidon. Il vient en ma chambre, demande à voir les oiseaux; c'étoit le livre de Gesner.

Le 17, jeudi, à Saint-Germain.—Il s'amuse à son petit ménage plus de deux heures continuelles, donnant la patience à..... du Pré de tirer sa figure de cire.

Le 18, vendredi.—M. de Belmont arrive, portant un beau pistolet de Metz; il quitte tout soudain son petit ménage: Eh! donnez-moi ce beau pistolet! M. de Belmont lui dit: «Monsieur, donnez-moi donc ce ménage;» il l'avance soudain pour le bailler, et le retire de même disant: Ho! non, c'est maman qui me l'a donné. Il s'amuse à tirer du pistolet de M. de Belmont fort dextrement.

Le 21, lundi.—Il s'amuse à un petit homme de carte plâtrée, à cheval, que ma femme arrivant de Paris lui donne; il voit M. Donon, contrôleur des bâtiments, et lui dit: Faites accommoder le palemail pour l'amour que j'y joue.

Le 22, mardi.—Mené au bâtiment neuf où, à onze heures trois quarts, le Roi arrive et le reçoit au haut de la montée de Mercure, le mène en la galerie, en la chapelle et à la salle où il a dîné avec le Roi, M. d'Angoulême et M. de Montpensier. Le Roi le fait danser la sarabande, la bourrée, les branles, le mène à la galerie, se fait botter, et à deux heures et demie l'ayant embrassé et baisé, part pour s'en retourner à Paris.

Le 23, mercredi.—Il vient, par le village et le préau, loger au bâtiment neuf à cause que ce jour-là, au matin, la petite vérole apparut à M. de Verneuil.

Le 26, samedi.—Mme la comtesse de Moret le vient voir; il danse la sarabande, la bourrée, puis dit à Boileau, son joueur de violon: Ne jouez plus, je ne veux plus Mars
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danser
; il court au cabinet pour y prendre ses armes, y appelle M. le Chevalier, revient, son épée au côté, portant son arquebuse à mèche et fait marcher devant lui M. de Belmont. A goûter, on lui demande de Mme de Moret: «Monsieur, qui est cette dame-là?» il répond en souriant: Madame de foire.

Le 27, dimanche.—Après déjeûner il fait trois sauts, un pour papa, un pour maman et un petit pour Madame. Mené aux grottes, il fait grande difficulté d'y entrer; on lui promet de lui faire tourner le robinet, il y entre et prend plaisir de faire mouiller ceux qui y étoient.

Le 29, mardi, à Saint-Germain.—Il écrit une lettre portée par M. de Mansan, moi lui tenant la main[168]. Il s'amuse après à crayonner[169].

Le 31, jeudi.—Mené aux fontaines, il entre aux orgues[170], ouvre et ferme le robinet, puis va à celle de Neptune. M. de Cressy avoit blessé, d'un coup d'épée en la tête, un soldat nommé Delor; le sang lui couloit par tout le côté et il ne s'en vouloit point aller pour se faire panser; je dis à M. le Dauphin qu'il lui commandât d'y aller, et il lui dit avec gravité: Delor, allez vous faire panser, allez, je le veux. M. de Cressy contestant avec Delor, lui parle rudement et le menace de la prison; M. le Dauphin tenoit des petits ciseaux, il se retourne en colère, grossissant les yeux et représentant Mars
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la face d'un homme ardent de colère, et lui dit: Je vous tuerai, voyez-vous bien avec mes ciseaux! puis se repentant du mot tuer dont on le reprenoit: Je vous donnerai dans les yeux, voyez-vous bien! Il étoit bouffi de colère; je ne lui avois jamais vu faire une pareille action pour témoigner sa colère.

Le 2 avril, samedi, à Saint-Germain.—Il se prend à chanter de son invention:

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