← Retour

Journal de Jean Héroard - Tome 1: Sur l'enfance et la jeunesse de Louis XIII (1601-1610)

16px
100%
Avr
1607

Le 13, vendredi, à Fontainebleau.—Mené au jardin des pins, il visite son jardin, où il avoit semé des pois et des fèves, puis travaille avec une bêche pour faire une coulée à jouer aux œufs de Pâques. Il va chez le Roi, qui étoit malade de fièvre de rhume.

Le 14, samedi.—Mené à la chapelle de la salle du bal, il va à confesse.

Le 15, dimanche, jour de Pâques.—Mené en la chambre du Roi, d'où il regarde le Roi touchant les malades et arrivant au droit des fenêtres[393], lui ôte le chapeau et dit: Bonjour, papa, en contraignant sa voix par respect, ne le voulant pas détourner de la cérémonie.

Le 16, lundi.—La Reine va en la grande galerie ayant quelques petites douleurs pour accoucher; y étant arrivée, les douleurs la pressent, elle retourne en sa chambre, où, ne faisant que d'entrer, les douleurs lui redoublent et les eaux se percent. En se couchant le Dauphin disoit que si la Reine faisoit un petit frère il feroit tirer son canon; mais si c'étoit une fille: Je m'en soucie bien! La Reine accoucha de Monsieur, duc d'Orléans[394], à dix heures et demie du soir, fort heureusement, le vingtième jour de la lune de mars. En le voulant remuer on lui vit la quille droite, ferme; je l'ai maniée.

Le 17, mardi.—Il va voir M. d'Orléans, lui fait de grandes caresses. M. de Rosny vient voir le Dauphin, et lui demande: «Monsieur, avez-vous besoin de quelque chose? demandez-le-moi.» Ayant songé et branlant la tête, il répond: Rien. Peu après sa nourrice lui dit: «Que n'avez-vous dit à M. de Rosny qu'il me fît bailler un lit?»—Hé! Dondon, je l'y ai demandé tant de Avr
1607
fois, et il n'en fait rien
, dit-il, comme s'en plaignant.

Le 18, mercredi, à Fontainebleau.—A dix heures il monte en la chambre de Monsieur pour le voir ondoyer; il le fut par M. le cardinal de Sourdis. Mlle Bélier dit au Dauphin: «Monsieur, il faut bien maintenant prier Dieu pour Monsieur votre frère, qu'il lui fasse la grâce de le bien garder;» le Dauphin s'en prit à pleurer, mais doucement. Le sieur Pietro Alsense, commandeur de Malte, Sicilien, le vient voir; il avoit fait sa nativité[395]; puis je le menai pour voir Monsieur, pour faire la sienne.

Le 19, jeudi.—A neuf heures déjeuné; M. de Sully y vient; on le veut persuader à lui demander quelque chose, il n'y est porté que par force et par acquit. Il prie pour un lit à sa nourrice; puis, Mme de Montglat le priant pour Indret, joueur de luth, et pour M. Birat, M. de Sully dit: «Monsieur, ne s'en soucie pas.»—Si fait, dit-il soudain; puis M. de Sully lui demande: «Qui sont ceux de céans que vous aimez le mieux?»—Il répond soudain: Indret et Birat, pour les recommander sur cette occasion, ne lui ayant point voulu parler auparavant.—Cette nuit, sur les deux heures après minuit, deux sentinelles, l'un suisse et l'autre françois, ont aperçu en l'air un grand aigle blanc qui a fait le tour du château et, arrivé à l'horloge du braquemart, est disparu rendant comme un coup d'arquebuse. Ils l'ont ainsi rapporté au Roi[396].

Avr
1607

Le 20, vendredi, à Fontainebleau.—Le Dauphin aperçoit le Roi au jardin; on ne le peut plus retenir, il y court. Il voit remuer M. d'Orléans, et considérant sa main dit en souriant: Hé! voyez sa petite main! Je lui dis: «Monsieur, c'est de cette main dont un jour il vous fera service.» Il advint qu'à l'instant il haussa le bras droit, tenant le poing fermé, ce que chacun interpréta à bon augure, et lui (le Dauphin) l'alloit contant à chacun.

Le 21, samedi.—Il dit ses quatrains et quelques sentences[397]; entre autres Mme de Montglat lui faisoit dire: «L'humilité est le chemin de l'honneur;» il dit de lui-même: L'humilité est le chemin de la gloire qui conduit à l'honneur.

Le 22, dimanche.—Dîné avec le Roi; le Roi mangeoit Avr
1607
du revenu du cerf, le Dauphin dit à Mme de Montglat: Mamanga, je voudrois bien manger de cela.—«Monsieur, lui dit-elle, il n'en faut pas demander.» Comme le Roi eut achevé, le Dauphin lui dit: Papa, donnez-moi de cela, s'il vous plaît.—«Il n'y en a plus, lui dit le Roi: que ne m'en avez-vous demandé?» Le Dauphin lui répond en hoignant un peu: Papa, j'en voulois bien demander, mais Mamanga n'a pas voulu.

Le 23, lundi, à Fontainebleau.—Mené chez le Roi, qu'il trouve dînant et MM. de Vendôme et le Chevalier avec lui; il s'en pique en lui-même, n'en fait point semblant, se met auprès du Roi, qui le choque sans y penser ni s'en apercevoir; il se retire et se prend à pleurer, et pour prétexte de son déplaisir dit qu'il croit que Papa est fâché contre moi puisqu'il m'a battu. L'on le dit au Roi, qui l'apaise et le fait dîner avec lui.

Le 24, mardi.—Mené chez le Roi, qui venoit d'être saigné, puis à la chapelle et ramené en sa chambre. Mmes les princesses de Conty, de Martigues[398] et de Mercœur[399] le viennent voir. Mme la princesse de Conty lui dit, se voulant jouer à lui: «Monsieur, je veux que vous m'appeliez Madame.»—Je veux pas.—«Je vous appellerai donc griffon.»—Je vous appellerai chienne.—«Je vous appellerai petit renard.»—Je vous appellerai grosse bête, et, montant sur un placet[400], il lui porte sa main vers le front en faisant les cornes et lui disant: Je vous ferai porter ces armoiries.—«Ce ne sera pas vous qui me les ferez porter,» répliqua-t-elle, se trouvant un peu hors de train.

Le 26, jeudi.—Il va en la galerie, où il fait appeler la Avr
1607
musique de la chambre du Roi pour l'entendre; il aimoit la musique et l'avoit toujours aimée avec transport.

Le 28 avril, samedi.—Mené voir M. de Montglat, qui avoit la goutte, il le trouve levé, assis, et son pied sur un de ses carreaux de velours vert; il s'en aperçoit, s'en retourne tout court, en colère, disant entre ses dents: Ho! il a son pied sur mon carreau, et puis on le mettra sur mon visage! Mme de Montglat ne l'en peut apaiser par aucune promesse, il s'en va. M. Guérin lui dit: «Monsieur, il vous lui en faut donner un, puisque vous en avez deux.»—Ho! c'est un bel homme pour l'y en donner. Indret lui dit: «Monsieur, il faut que vous les lui donniez tous deux.»—Je m'en soucie bien; si c'étoit vous, qui êtes pauvre, je vous le donnerois; mais il est riche, qu'il en achète!

Le 29, dimanche.—On parloit du Pape, il demande: Le Pape est-il pus riche que papa? Quelqu'un répond: «Oui».—Je l'aime donc point.—Il étoit dans la balustre, voyant remuer M. d'Orléans; son aumônier lui demande s'il vouloit pas bien être cardinal?—Non, ce sera pour cet homme, dit-il en mettant la main sur la tête de M. de Verneuil[401].

Le 1er mai, mardi, à Fontainebleau.—Il avoit une robe neuve, verte, avec du passement d'or et de soie; il demande: Pourquoi y a-t-y pas du passement tout d'or? Le nonce du Pape le vient voir, l'embrasse. Mme de Montglat lui dit qu'il demande comment se porte le Pape, son parrain; le Dauphin, branlant doucement la tête, dit à demi-voix: Je ne saurois faire cela, il est trop mal aisé. Amusé à peindre en crayon à mesure que M. Decourt, peintre du Roi, le pourtrayoit en crayon; il demande: Faut-il mettre du bleu aux yeux? Il aimoit la peinture et y avoit de l'inclination.

Mai
1607

Le 3, jeudi, à Fontainebleau.—Mené chez le Roi, puis chez la Reine, il donne le bonsoir à Leurs Majestés[402].

Le 5, samedi.—Il joue assis pour être peint en crayon par M. Decourt, peintre du Roi; pour l'arrêter[403] Mathurine fait chanter trois petits garçons; rien ne l'arrêtoit tant que la musique, il l'écoutoit avec transport.

Le 6, dimanche.—On lui avoit fait faire un pourpoint de toile blanche doublé de taffetas, un haut-de-chausses de même. J'en veux point, dit-il, il est pas beau; ho! j'en veux point! Mme de Montglat lui dit qu'il est de même que celui du Roi; que ce n'est pas pour le porter toujours, mais quelques heures du jour, quand il fait chaud. Je ne le porterai ni aujourd'hui ni tantôt; j'en veux un de taffetas, comme celui de féfé Chevalier.—Je lui demande de quelle couleur il le vouloit?—Je le veux rouge.—«Monsieur, c'est la couleur des Espagnols; voici le mois de mai, le voulez-vous vert?»—Ho! on diroit que je serois fou!

Le 7, lundi.—Il joue avec une petite peinture de Diane, en papier, que le jour précédent il avoit faite, remplissant avec la plume ce qu'on lui avoit tracé. Je lui dis que les femmes portoient la lune en la tête, il répond soudain: Et les hommes le croissant!—Il reçoit une lettre de M. de la Trimouille[404], âgé de huit ans, qui s'éjouissoit de la naissance de Monsieur d'Orléans, mais qui lui offroit son service à lui tout le premier. Il serre la lettre en son petit cabinet, puis dit: Je voudrois bien lui écrire. Mme de Montglat lui demande quoi?—Je sais pas.—«Mais dites quoi.» Il songe en se promenant les mains sur le derrière: Si veut venir avec moi à la guerre Mai
1607
qu'il y vienne, sinon qu'il n'y vienne pas; s'il ne veut, quand je serai grand comme féfé Chevalier j'irai à la guerre avec papa, je serai toujours avec papa.

Le 8, mardi, à Fontainebleau.—Le Roi le mène au jardin de la Reine, où il se joue jusques à six heures; le Roi le ramène, et il a soupé avec lui; il va en la chambre de la Reine, puis ramené en la sienne il se joue sur le tapis et chante en compagnie: Quand cette malheureuse bande et Jean de Nivelle.

Le 9, mercredi.—Mme la comtesse de Moret accouche d'un fils à dix heures[405]; sur le bruit qui en couroit, on dit au Dauphin: «Monsieur, vous avez encore un autre féfé.»—Qui? qui est-il? demande-t-il, comme ébahi.—«Monsieur, c'est Mme la comtesse de Moret qui est accouchée d'un fils.»—Ho, ho! il n'est pas à papa!—«Monsieur, à qui est-il donc?»—Il est à sa mère, et n'en voulut jamais dire autre chose, tout fâché et comme s'il eût voulu pleurer. A midi dîné; il rêve en mangeant, et demande tout à coup à Mlle de Vendôme: Sœu-sœu Vendôme, qui aimez-vous mieux, Mousseu de Longueville ou Mousseu de Momorency?—«Monsieur, je ferai ce qu'il plaira à papa.»—Ho, ho! vous êtes amoureuse de Mousseu de Longueville[406].—Mme de Montglat l'instruisoit sur ce qu'il auroit à faire et à dire à la reine Marguerite: Je serai bien sage, je serai bien sage, dit-il brusquement. Mené visiter la reine Marguerite, qui étoit arrivée à une heure après minuit, il fait ses compliments par force; ramené avec elle chez M. d'Orléans, d'où il s'échappe, il va en sa chambre, où il envoie querir deux renardeaux pour les faire courir en la galerie par son chien Pataut; il les fait courir en présence de la reine Marguerite.

Mai
1607

Le 10, jeudi, à Fontainebleau.—A peine avoit-il les yeux ouverts qu'il est fouetté pour n'avoir pas fait, le jour précédent, les compliments à la reine Marguerite. Il s'en va avec le Roi chez la reine Marguerite.

Le 11, vendredi.—Il se joue de son petit canon, que la Reine lui avoit donné; je lui demande qui lui avoit donné ce canon?—Papa l'a acheté, et maman me l'a donné. Mené par la galerie au jardin des pins y trouver le Roi, qui promenoit la reine Marguerite.—Dîné avec le Roi.—A neuf heures du soir il est mené chez Leurs Majestés, et va prendre congé de la reine Marguerite, qui devoit partir le lendemain.

Le 12, samedi.—Il va conduire, jusques au carrosse, la reine Marguerite s'en retournant à Paris.

Le 13, dimanche.—A souper il a de l'impatience pour aller à la fenêtre voir en la cour un cul-de-jatte jouer du flageolet, et lui crie: Ne vous en allez pas, cul-de-jatte, je lave mes mains. Il va voir le Roi, qui devoit partir bon matin, lui dit adieu.

Le 14, lundi.—L'on vient demander à Mme de Montglat si on porteroit M. d'Orléans à la chambre de Madame; il en est jaloux, s'en fâche, et le fait porter en la sienne, et permet qu'on le couche sur son lit; c'étoit une extrême faveur.

Le 15, mardi.—Il va attendre la Reine en son petit anticabinet, pour être le premier rencontré à sa première sortie, relevant de sa couche, l'accompagne jusques à la chapelle de la salle du bal. A onze heures trois quarts, dîné; Mme la princesse d'Orange lui disoit: «Monsieur, qui aimez-vous mieux qui soit votre beau-frère, ou le prince d'Espagne, ou le prince de Galles?»—Le prince de Galles.—«Et vous, épouserez-vous l'Infante?—J'en veux point.—Je lui dis: «Monsieur, elle vous fera roi d'Espagne.»—Non, je veux point être Espagnol. Il va chez la Reine pour prendre le mot, et le donne aux capitaines.

Mai
1607

Le 16 mai, mercredi, à Fontainebleau.—Mené chez la Reine et au jardin des pins, où il s'amuse; l'on porta une cane pour y mettre des barbets après, dans la grande fontaine; il s'en va, et jamais ne le sut-on persuader de l'aller voir; c'est qu'il ne la vouloit point voir faire mourir. Il va sur la terrasse, où il voit la chaise percée de Mme de Montglat, l'appelle, et tenant son nez bouché: Mamanga, velà un lièvre en forme.

Le 18, vendredi.—Fouetté pour avoir fait le fâcheux le jour précédent à la messe. A huit heures trois quarts il va donner le bonsoir à la Reine et prendre le mot.

Le 19, samedi.—Il va chez le Roi, qui arrivoit de Paris; le Roi et la Reine viennent voir remuer M. d'Orléans; il y va, chasse M. le Chevalier d'auprès d'eux.

Le 21, lundi.—Il vient chez M. d'Orléans pour lui donner ses premières brassières. A huit heures et demie mené chez le Roi, il lui donne le bonsoir; ramené il trouve un suisse en la salle, assis dans sa chaise, entre en extrême colère, veut qu'on l'envoie en prison.

Le 22, mardi.—A six heures soupé; on lui vient dire que le Roi alloit voir faire la curée du cerf qu'il avoit pris; il achève de souper avec impatience, va par la galerie en mangeant son massepain, et va rencontrer le Roi et la Reine, qui lui font voir la curée. Ramené en sa chambre, il s'amuse sur le tapis de pied à faire de la musique, chante lui-même: Ambroise, d'où venez-vous?

Le 24, jeudi.—Il s'amuse à peindre, se fait tracer par un jeune peintre et remplit après avec un charbon, fort sûrement; ayant bien commencé, il dit au peintre: Achevez le demeurant[407].

Le 25, vendredi.—Mené au Roi et à la Reine, qui soupoient; le Roi jette sur la table à Cadet, son chien, de la menue dragée; le chien la lèche, M. le Dauphin la ramasse et la mange.

Mai
1607

Le 28 mai, lundi, à Fontainebleau.—Le Roi revient de la chasse; il le va voir[408].

Le 29, mardi.—Il reçoit une escopette et deux grands et beaux barbets que lui envoie le prince de Galles. Il va à la poterie, où il prend plusieurs pièces, chiens, lions, taureaux, puis revient en sa chambre, où, sur le tapis de pied, il les fait combattre. A huit heures trois quarts mené chez Leurs Majestés, il y écoute la musique de voix et de luths; on ne l'en peut tirer tant il y étoit attentif; il joue après aux cartes, au reversis, M. le grand écuyer joue avec lui; il y jouoit d'affection et comme entendu.

Le 30, mercredi.—A neuf heures du soir mené chez le Roi, il prend le mot, le donne à M. d'Épernon, colonel de l'infanterie, puis à M. de Créquy, mestre de camp du régiment des gardes; il le refuse à M. de Bouillon, maréchal de France.

Le 5 juin, mardi, à Fontainebleau.—Le fils de M. de Saint-Luc, âgé de quatre ans, vient dire adieu au Dauphin; je lui demande bas à l'oreille: «Monsieur, vous plaît-il pas de lui donner quelque chose?»—Oui.—«Monsieur, quoi?»—Un cheval marin, qui étoit de poterie.—«Monsieur, vous plaît-il que je l'aille querir?»—Oui, mais ne prenez pas celui qui est cassé; il y en avoit. Je lui porte l'entier, il le lui donne gracieusement.

Le 6, mercredi, à Fontainebleau.—Il va à l'entrée de la galerie, où il s'amuse à tirer en cire Descluseaux pendant que le sieur Paulo le tire en cire; amusé jusques à trois heures et un quart; goûté; il s'amuse, avec de la cire, à faire un visage, pendant que M. Dupré, statuaire du Roi, le tire pour en faire une médaille; il sait tout ce qu'il faut faire et travaille fort dextrement, polit, fait les cheveux, perce les yeux, les oreilles, tout sur la trace grossière que M. Dupré lui en avoit faite.

Juin
1607

Le 7, jeudi, à Fontainebleau.—Il conteste contre Mme de Montglat, dit qu'il ne fera rien de ce qu'elle voudra, et là-dessus il est fouetté.—Il dit qu'il me veut peindre[409] en cire pendant que M. Dupré l'achèvera, et qu'il me fera la barbe pointue comme une épingle[410].

Le 9, samedi.—A huit heures mené chez Leurs Majestés, il leur donne le bonsoir; ramené à neuf heures et un quart, il voit danser les Égyptiens[411] en sa salle, ne veut point que M. Birat ne pas un des siens danse avec leurs femmes. A neuf heures trois quarts mené en sa chambre, dévêtu, mis au lit; l'on parloit de ce qu'il n'avoit permis la danse aux siens avec ces femmes; je lui demande: «Monsieur, voudriez-vous bien que j'eusse dansé avec elles?»—Non, dit-il, je ne voudrois pas que vous eussiez touché la main à ces vilaines femmes; elles sont si sales! Je ferai allumer dans la salle un grand fagot de genièvre.

Le 10, dimanche.—Mené à la messe en la chambre de M. d'Orléans, puis chez le Roi, qui avoit la goutte. A onze heures et demie dîné; il ne veut plus manger que l'on ne fasse sortir trois Égyptiens, disant qu'ils sentoient mauvais.

Le 14, jeudi.—A dix heures mené à la chapelle puis chez la Reine et avec elle à la procession[412]; le Roi avoit la goutte. A six heures et demie soupé; il va sur la terrasse, revient en sa chambre pour y recevoir don Diego d'Ivarra, Espagnol, qui étoit ambassadeur pour le roi d'Espagne dans Paris, quand le Roi le prit sur la Ligue; il s'en alloit en Flandres.

Juin
1607

Le 15, vendredi.—Pour n'avoir voulu ôter son chapeau à des gentilshommes qui l'étoient venus voir, après qu'ils sont sortis de sa chambre, il est pris par des femmes de chambre, mis et couché sur le lit et fouetté.

Le 16, samedi, à Fontainebleau.—Mis au lit de Mme de Montglat avec elle et son mari. A quatre heures et demie il va chez le Roi, qui le met dans son carrosse et le mène au grand canal.

Le 17, dimanche.—Mené chez le Roi, qu'il trouve en son antichambre, prêt à sortir, qui le mène au promenoir; il fait le tour entier du jardin du Tibre, entre en l'allée du chenil, où le Roi le renvoie. Ramené, il veut battre Bompar, son page, disant que c'étoit pour ne l'avoir point suivi, taisant la cause qui étoit pour avoir suivi le Roi, portant sur lui le parasol de M. le Dauphin; il retient longtemps cette vengeance. Bompar arrive, il va à lui à coups de verge, qu'il tenoit en sa main, et à coups de pied, ne lui veut point pardonner, quelque chose qu'on lui puisse remontrer, demeure froid et ferme sur cette opinion. A dîner, Bompar revient; Mme de Montglat dit au Dauphin qu'il lui commande de sa part d'aller savoir comme se portoit M. le grand écuyer, qui étoit malade; il répond: Je veux pas que ce soit Bompar, je veux que ce soit Charpentier, valet de garde-robe de Madame. Sur la menace du fouet par Mme de Montglat, il dit: Oui, oui, allez-y, Bompar; et quand il fut parti il reprit: Mais qu'il soit revenu, je le battrai bien, je lui donnerai cent coups de bâton, puis je l'envoyerai à la cuisine. Il dit tout cela froidement; il ne pouvoit oublier son maltalent. Bompar revient: Allez-vous en, dit-il, et il le chasse. «Monsieur, lui dit-on, il ira trouver papa, auquel il dira la cause pour laquelle vous l'avez chassé.» Il songe quelque peu de temps sans dire mot, puis tout à coup: Qu'on l'appelle. Il revient, et, pour rompre cette opiniâtre humeur de vengeance, je lui dis comme Bompar rentroit: «Monsieur, faites-lui boire le reste de votre Juin
1607
breuvage.» Il le fait, se prend à rire, l'ayant vu boire, et son humeur se passa.

Le 19, mardi, à Fontainebleau.—Il va par le jardin des canaux au Navarre[413], pour voir piquer les chevaux du Roi, y voit la Donzelle, cheval barbe, le Montgommery, cheval normand du haras de M. de Brueil, qui étoit le cheval de guerre du Roi.

Le 21, jeudi.—Il se réjouit de ce que Mme de Montglat dit que la Reine lui venoit de dire qu'il iroit à Saint-Germain: Ha! que j'en suis bien aise, moucheu Héoua, vos grands livres sont-ils encore à Saint-Germain?—«Oui, Monsieur.»—Les avez-vous fait serrer?—«Oui, Monsieur.»—Maître Gille (c'étoit son sommelier), je m'en vas à Saint-Germain, il faut que vous fassiez serrer ma coupe, mon verre et mon cadenas; mon bassin, faites le mettre dans un étui. Et vous, Devienne (son cuisinier), faudra faire serrer ma vaisselle.—Il va en la galerie, où l'on lui porte un tapis à l'entrée pour se jouer dessus; il faisoit grand chaud. Le cardinal Barberini, nonce, et le sieur Denis Caraffa, évêque, passant de Flandres pour aller nonce en Espagne, lui baisent la main.

Le 26, mardi.—Il bégaye fort en parlant. Il entend la messe en la chambre du Roi, puis va donner le bonjour à la Reine. A cinq heures, mené au jardin et chez M. de Sully.

Le 27, mercredi.—Il voit sur les quatre heures entrer l'ambassadeur turc Mustapha-Aga, qui a la garde des habits des enfants du Grand-Seigneur, et autres grands de sa Cour; il étoit monté sur un cheval bai de la grande écurie du Roi, et descendit au pied de l'escalier de la cour des fontaines, conduit par M. de Brèves et accompagné d'un janissaire, de deux autres Turcs et de deux esclaves. Il venoit pour demander au Roi les esclaves turcs qui Juin
1607
avoient été délivrés des galères à la prise de l'Écluse et mis aux galères à Marseille, ce que le Roi leur accorda[414]. Cependant il prend une humeur à M. le Dauphin de vouloir aller chez le Roi pour le y voir; on ne le peut retenir. Il va en la galerie; on suppose un valet de chambre qui lui vient dire de la part du Roi qu'il eût à s'en retourner en sa chambre; il y va soudain sans marchander. M. de Souvré arrive pour lui dire que l'ambassadeur Turc le vient voir; le voilà aussitôt à même pour accommoder le tapis de pied, y travaille lui-même pour qu'il soit bien tendu, jusqu'à ôter un fétu que M. de Souvré commandoit à un autre d'ôter. L'on demande sa chaise: Qu'on m'apporte la grande, dit-il. On lui donnoit de fausses alarmes de la venue de l'ambassadeur: Asseyez-moi, asseyez-moi, disoit-il, se jouant avec M. le comte de Saulx, M. de Courtenvaux et autres jeunes gentilshommes. Assis, il goguenarde encore avec eux sur les postures des chapeaux sur la tête; l'ambassadeur arrivé, il prend sa contenance ferme, froid, grave, doux, élève et dresse son corps, le regarde assurément comme il s'arrêta au bout du tapis et le considérant, et se regardoient l'un l'autre. Peu après l'ambassadeur prend du damas vert figuré et mêlé d'autres couleurs, s'avance et le lui présente, puis développe une petite chemise à la turque, ouvrée de bouquets, qu'il lui présente aussi: il reçoit tout froidement. L'ambassadeur dit en son langage, rapporté par M. de Brèves, que ceux qui étoient pauvres ne pouvoient pas donner beaucoup, mais qu'ils donnoient l'affection, et qu'il donnoit la sienne; puis demanda à lui baiser la main; il lui baise la main gauche qu'il tend, puis dit qu'il prioit le grand Dieu qu'il lui donnât la volonté de continuer en l'amitié envers eux, comme avoient fait le Roi et ses prédécesseurs, Juin
1607
et qu'il lui donnât longue vie; puis il s'en va par la galerie aux jardins, et de là recoucher à Moret. Le soir, étant sur le lit de Mme de Montglat, se jouant, je commence à lui parler de ce Turc, et lui dis: «Monsieur, il faudra que vous alliez un jour à Constantinople avec cinq cent mille hommes.»—Oui, je tuerai tous les Turcs et cettui-ci, et tout.—«Monsieur, il ne faudra pas tuer cettui-ci, qui a pris la peine de venir de si loin pour vous voir et vous faire des présents.»—Mais les Turcs ne croient pas en Dieu.—«Monsieur, pardonnez-moi, ils croient en Dieu, mais non pas en Jésus-Christ, qui est fils de Dieu.»—En qui donc?—«En Mahomet.»—Qui est-ce Mahomet?—«Monsieur, ce a été un méchant homme qui les a tous trompés et fait croire qu'il étoit envoyé de Dieu pour leur faire croire autrement que ce que Jésus-Christ avoit fait.» Il songe un peu, puis soudain: Ho! ho! je les tuerai tous, mais je ferai dire une messe devant cettui-ci, puis je le ferai baptiser.—«Ce sera bien fait, mais il le faudroit premièrement faire baptiser, puis vous feriez dire la messe devant lui.»—Pourquoi?—«Pource qu'il ne peut être chrétien qu'il ne soit baptisé, ni ouïr la messe qu'il ne soit chrétien.»—Bien donc. L'on nous interrompit.

Le 28 juin, jeudi.—Éveillé à huit heures, il se jette hors du lit à bas, fait fermer les portes, de peur que Mme de Montglat ne lui donnât le fouet, qu'il craignoit pour des fautes faites le jour précédent; elle vient, il y court pour l'empêcher, j'obtiens grâce, il ouvre.

Le 1er juillet, dimanche, à Fontainebleau.—Le Roi commande à M. Birat, à M. Guérin, nomme son mignon ce soldat Descluseaux (sic), puis à M. de Cressy, à M. de Mansan de le tenir quand Mme de Montglat le voudra fouetter; me fait l'honneur de me commander devant lui de le reprendre quand il fera quelque faute. Le Roi et la Reine partent pour s'en aller souper et coucher à Melun et le lendemain à Saint-Maur-des-Fossés.

Juil
1607

Le 3, mardi, à Fontainebleau.—A trois heures étudié; il écrit à contre-cœur, hausse ses deux jambes, les met du long sur son papier; les cuisses étoient en l'air, nues. Mme de Montglat lui donne un grand coup de verges dessus, ne voulant pas les ôter.

Le 4, mercredi.—A deux heures il vient au pavillon de M. le Grand, où j'étois logé, y joue à la paume; à trois heures il y a goûté, puis il va en la galerie du jeu de paume, y joue à la paume avec jugement, frappe de grands coups. Mené au jardin des pins, en celui des canaux et des fruitiers, où il s'amuse à voir des cages où des poules avoient couvé des faisandeaux; il n'en pouvoit partir.

Le 6, vendredi.—A une heure il va chez sa nourrice, d'où il m'envoie querir pour étudier; mais ce ne fut pas pour longtemps. Il fallut marchander pour en dire deux lignes et demie du Psaultier latin. A deux heures et demie il consent de descendre en sa chambre pour y apprendre à écrire puis à danser. A neuf heures trois quarts dévêtu, mis au lit, fort gai; l'on parloit des chevau-légers du Roi et de Caulet, qui en étoit le chirurgien et qu'il vouloit qu'on envoyât querir pour lui panser une écorchure qu'il avoit; il demande: Papa n'a-t'y que des chevau-légers?—Je lui dis que non.—J'ai des gendarmes et des chevau-légers; je veux donner à papa ma compagnie de gendarmes.—«Monsieur, papa les vous a baillés pour y commander pour son service, et quand vous serez grand, un jour de bataille, vous serez à la tête de l'armée, au devant de papa, avec votre compagnie de gendarmes.»—Qu'est-ce que tête?—«Monsieur, c'est le devant de l'armée qui regarde les ennemis.» Il répond en s'animant: J'y serai devant papa avec ma compagnie de gendarmes, et mes chevau-légers seront devant moi, puis nous irons tuer tous les ennemis.

Le 7, samedi.—Comme Mme de Montglat lui donne sa chemise, elle lui demande: «Monsieur, quand vous serez Juil
1607
hors d'avec moi et entre les mains des hommes, et que j'aille quelquefois à votre lever, me permettrez-vous de vous donner votre chemise?» Il lui répond: Ne parlons pas de cela, Mamanga, je vous en prie; il me semble que j'y suis déjà!—A cinq heures, mené aux jardins, il voit une femme qui mangeoit du pain bis de la concierge du portail de la chaussée, en veut, en mange un gros morceau. Ramené, M. l'aumônier demande à Mme de Montglat pour le faire voir à quelques chanoines de Saint-Quentin: Mais, Mamanga, mon aumônier ne parle jamais que de chanoines et que de moines! dit-il, hoignant et hochant la tête.

Le 8, dimanche, à Fontainebleau.—Il écoute, en mangeant lentement, la musique des luths et des voix avec transport; aucune chose n'arrêtoit tant son esprit que la musique. Il va en sa chambre, se fait donner sa trompe, que M. de Montbazon lui avoit donnée, va en la galerie, s'amuse à sonner ce qui est de la chasse, parlant dans sa trompe sans souffler.

Le 10, mardi.—On lui dit que M. Birat étoit revenu de Montargis, il s'en réjouit, l'envoie querir, l'attend avec impatience; il étoit de ceux qui le faisoient jouer.—Étudié à contrecœur, après avoir bien marchandé.

Le 11, mercredi.—M. Caulet, chirurgien aux chevau-légers du Roi, lui a coupé les cheveux en homme.

Le 14, samedi.—Il pleure fort sur ce qu'il voit pleurer Mme de Montglat pour les mauvaises nouvelles de son mari, qui étoit mort[415]. M. de Souvré le fait étudier; ce fut la première fois.

Le 15, dimanche.—Mené sur la chaussée, où il voit M. du Brocq voltiger sur un cheval. Il demande d'aller voir Mamanga, mais je veux pas qu'elle pleure. Il y va: Bonsoir Mamanga, je veux pas que vous pleuriez, riez; il la veut emmener pour coucher en sa chambre.

Juil
1607

Le 17, mardi, à Fontainebleau.—Il ne veut point que M. Guérin le serve (à souper), pour ce qu'il avoit touché à Mlle de Vendôme pour l'asseoir à table; il se y opiniâtre. L'on vient à parler du tonnerre, qui le jour précédent, sur les trois heures, étoit tombé à Moret dans la chambre où M. le comte de Moret, âgé de deux mois et demi, étoit entre les bras de sa nourrice, près de la fenêtre, où il entra sans offenser personne. Je dis que la chambre étoit pleine d'opiniâtres; il ne dit mot, mais incontinent après dit: Guérin, prenez la serviette, servez-moi.

Le 18, mercredi.—J'allai à Moret voir M. le comte de Moret, qui se portoit bien et avoit été miraculeusement sauvé du tonnerre, qui entra par les fenêtres de sa chambre, du côté du midi, à deux pas près de lui, étant dans les bras de sa nourrice.

Le 21, samedi.—A onze heures dîné; il demande de la tisane de Mlle de Vendôme à boire, M. Guérin lui dit que c'étoit du vin: Bien, c'est tout un, donnez-m'en, et il me regarde, et me commande de lui en faire donner. Je lui dis: «Monsieur, il vous feroit mal».—Papa le veut.—«Monsieur, c'est quand vous mangez avec lui». Il commence à s'échauffer de colère: Vous êtes un homme de neige, vous êtes laid!—«Oui Monsieur, mais vous ne boirez pas de vin, car il vous feroit mal». Sur ce refus il prend un couteau et, tout ardent de colère, m'en menace. Je lui dis: «Adieu, Monsieur, je m'en vais tout à fait.» Je pars, et m'en allai en ma chambre; il envoie plusieurs fois vers moi, et après plusieurs refus je retourne. Il dit qu'il est bien marri de ce qu'il a fait et que jamais il n'y retournera, demande à boire. On lui sert de son breuvage, dont il ne vouloit pas, en boit fort peu et par menace. Il est toujours sur ce vin; il en vouloit, je lui résiste encore: Je vous aime point, vous êtes un bel homme de neige.—«Monsieur, je l'écrirai au Roi, ou je m'en irai le lui dire».—Je m'en soucie bien.—«Bien donc, Monsieur, puisque je ne vous sers plus de rien, Juil
1607
adieu, je m'en vais tout à bon trouver le Roi.» Je pars, il envoie plusieurs fois après moi; je ne y retourne plus, cependant il continue à dîner. A deux heures il vient en ma chambre, après s'être informé de lui-même si je m'en allois; on lui dit que oui, et que c'étoit en carrosse: Ho! son carrosse est à Vaugrigneuse et celui de Mamanga est à Paris! Mme de Montglat le conduisoit, il marchandoit à entrer; il entre, je le salue sans dire mot; il s'en vient enfin à moi: Je vous prie, ne vous en allez pas!—«Monsieur, que voulez-vous que je fasse ici, auprès de vous, puisque vous ne voulez pas faire ce qui est pour votre santé; je ne y sers plus de rien».—Je ferai plus; et la paix fut faite. Sur les trois heures Boileau, son violon, se présente pour le faire danser, il lui dit des injures, et le veut frapper; Mme de Montglat l'aperçoit, elle le fait prendre et tenir par Boileau, et il fut fouetté.—Mme la comtesse de Moret le vient voir.

Le 23, lundi, à Fontainebleau.—Il se réjouit d'aller à Saint-Germain, sur la nouvelle qui en étoit venue de la part de la Reine.

Le 24, mardi.—Il va en la galerie, s'y joue, s'y amuse, va chez sa nourrice, et à trois heures y a goûté, puis écrit; en écrivant M. Boquet (mari de sa nourrice) crioit après Pataut, son chien, pour ce qu'il faisoit du bruit pendant que Monseigneur écrivoit: Hé! Boquet, savez-vous pas que c'est une bête, quelle n'a point de raison?

Le 25, mercredi.—M. le cardinal de Joyeuse, revenant d'Italie pour l'accord du Pape et des Vénitiens, vient voir le Dauphin.—Mme de Moret lui avoit envoyé un navire; il disoit qu'étant à Saint-Germain il le mettroit sur la rivière, et le feroit tout charger de lapins.

Le 27, vendredi.—Ayant appris par le capitaine des mulets du Roi qu'il avoit amené les mulets pour aller à Saint-Germain; il presse que l'on serre ses habits, que l'on fasse les coffres.

Le 28, samedi, à Fontainebleau.—MM. de Souvré et Juil
1607
de Béthune arrivent pour le conduire à Saint-Germain; aussitôt il va en sa chambre, et disoit par celles où il passoit: Je m'en vas détendre ma chambre, Mousseu de Souvré est venu. A six heures et un quart soupé, il se ressouvient, en parlant de Crosne, d'un grand cabinet rond, découvert, où il avoit passé il y avoit deux ans dix mois[416] disant: C'est là où nous fîmes le corps de garde; il étoit vrai.

Le 29, dimanche, voyage.—A une heure et demie il est entré en carrosse à la cour du Cheval-Blanc, et est parti, accompagné de M. d'Orléans en litière, Madame et Mme Christienne en litière, Mlle de Vendôme en litière; et dans son carrosse de M. et de Mlle de Verneuil et Mme de Montglat, sa gouvernante; MM. de Souvré et de Béthune à cheval. A trois heures et un quart goûté dans la forêt, à la table du Roi. Arrivé à Melun à quatre heures et demie, il se joue en sa chambre chez M. de la Grange. MM. de la ville et le lieutenant général le viennent saluer, lui font présent de pièces de pâtisserie et de leur vin. Il va voir chez un plombier, près du pont, des moulins où il y avoit une pompe qui donnoit de l'eau à une petite grotte; M. de Souvré le y mena; il fut ramené à pied par la ville.

Le 30, lundi, voyage.—Parti de Melun à midi, il arrive à deux heures et demie à Lourcine, où il a goûté, passe par le pont de Villeneuve-Saint-Georges, et arrive à Crosne à cinq heures et un quart. Mené au jardin, il se promène partout, passe sur le pont, qui tourne sur un pivot, fait abattre des prunes.

Le 31, mardi, voyage.—On le mène au logis de M. Gobelin; on lui fait voir la fontaine, le jardin; il part à huit heures trois quarts, il est mené à Charenton, chez M. Cenami, gentilhomme lucquois; parti à une heure et demie, il entre à Paris par la porte Saint-Antoine. MM. de Guise, de Nemours, d'Aiguillon et de Sommerive le Juil
1607
viennent saluer et le conduisent jusques à la porte Saint-Honoré, où ils rencontrent M. le prévôt des marchands (Sanguin, sieur de Livry) et les échevins, qui lui font la réception; hors la porte ces messieurs prennent congé de lui. Il est mené jusques au Roule, où, sous un ombrage, sans descendre de carrosse, il a goûté à trois heures et un quart. Il passe le pont de Saint-Cloud, porté sur les bras par M. de Courtenvaux (on racoustroit le pont); il arrive à Saint-Cloud en son logis, chez M. de Gondi, à cinq heures et demie.

Le 1er août, mercredi, voyage.—A deux heures et demie parti de Saint-Cloud, il passe par la levée; il se rencontre un grand bateau qui montoit et qui traînoit, attaché, un petit bateau que les bateliers dirent avoir fait faire pour lui; il commande de le descendre au Pecq, et arrive à Saint-Germain-en-Laye à quatre heures et un quart.

Le 2, jeudi, à Saint-Germain.—Il va en la chambre de sa nourrice, puis descend en son ancienne chambre, où il s'amuse. M. Nicolaï, premier président des Comptes à Paris et Mme des Essars[417] le viennent voir. Quelqu'un lui demande: «Monsieur, qui est cette belle dame?» Il répond en souriant: C'est la femme de Mousseu de la Varenne; il l'avoit vue quelquefois à Fontainebleau et conduite par M. de la Varenne.

Le 5, dimanche.—Il bégaye en parlant, se fait coiffer en paysanne pour jouer une comédie, ayant une épée à son côté.

Le 7, mardi.—Mené au palemail, il va jusques à la chapelle, fait mener ses petits tombereaux, remuer et transporter de la terre, ordonne, commande, se fait appeler maître Louis. Il vient en ma chambre, où il s'amuse à la fenêtre, et y prenoit plaisir à voir travailler les charpentiers et les autres ouvriers, puis entre en mon étude, Août
1607
demande à écrire, écrit son nom Lois, puis me demande: Comment faut-il écrire roi? Je le lui montre, il y ajoute un s, disant: Velà Rois[418].

Le 10, vendredi, à Saint-Germain.—Mené au palemail, il se fait mettre dans son petit carrosse découvert jusques à la chapelle, où il entend la messe faisant des gambades sur son carreau. Il va à son carrosse, y fait mettre dedans Madame, la petite Vitry et le petit Gramont de la Franche-Comté. Il dit à l'oreille à Indret, son joueur de luth, qui le menoit: Je veux être le valet de pied, mais le dites pas. Deux pages tirent le carrosse, il va à côté branlant les bras et marchant de l'air d'un laquais, se fait appeler le petit Louis. Mené en sa chambre, il se met sur les outils de menuiserie; il a deux pages et deux garçons de la chambre, auxquels il commande, leur fournit la besogne et se fait appeler maître Louis. Il vient en ma chambre, me demande papier et encre, se met à peindre, fait un oiseau, puis se met à faire Dondon, sa nourrice; comme il faisoit le nombril, il tire ce qui est plus bas, et l'ayant fait, dit: Et velà ce que je veux pas dire[419].

Le 11, samedi.—M. de la Luzerne, le jeune, le vient saluer; il lui montre ses armes. Mené à la chapelle du parc, il y entend la messe ayant son papier et sa plume à écrire; il falloit quelque chose pour contenir son esprit. Au sortir de là il s'amuse à faire paver l'allée d'une maison qu'il avoit faite les jours auparavant, y travaille et apporte lui-même [ce qu'il faut]; on ne l'en peut tirer jusques à ce que je lui dis qu'il falloit que les ouvriers allassent dîner. Le page de Mme de Montglat, Maisonrouge, demandoit de l'argent, menaçoit de ne revenir plus; le Dauphin lui dit: Venez ce soir; savez-vous pas qu'on paye les ouvriers le samedi au soir? Il s'amuse à ses outils de menuiserie, va en la chambre de Mme de Montglat, la prie Août
1607
de lui donner un grand cabinet d'Allemagne qu'elle avoit; elle le lui donne, il ne veut point ouïr parler de donner le sien, qui étoit petit, à Mme de Vitry, qui le lui demandoit. A neuf heures dévêtu, mis au lit, il s'amuse à crayonner avec du rouge fort proprement et dextrement.

Le 12, dimanche, à Saint-Germain.—Il monte en la chambre de sa nourrice, qui étoit accouchée le matin, puis entre en la mienne, s'amuse à la fenêtre qui regarde le préau à parler aux passants, et leur demande: Qui êtes-vous? où allez-vous? Il fait sauter, courir, danser sur le pont de la chapelle des pauvres garçons, puis à la fin leur jette quatre grands blancs attachés à une pierre.

Le 13, lundi.—Il va à la chambre de la Reine, où il fait faire du feu et y mettre sa petite marmite, dans laquelle il met du mouton, du lard, du bœuf et des choux, appelle et prie chacun pour être à la collation, y fait monter Mlle de Vendôme. Il s'amuse à peindre en crayon, n'en peut sortir.

Le 14, mardi.—On lui dit que M. de Verneuil arrive[420]; le voilà de courir jusques au pied de l'escalier avec grandes exclamations et glapissements de joie; il en étoit tout transporté, l'embrasse, lui demande: Avez-vous soupé?—«Non, mon maître.»—Allez-vous-en souper, lui dit-il, faisant le maître et l'honneur de la maison.

Le 16, jeudi.—En prenant son bouillon dans son écuelle de porcelaine, on lui louoit la porcelaine; je lui dis que le Grand-Turc buvoit dans des vases de porcelaine: Ho! dit-il, je veux plus prendre du bouillon là dedans, et il repousse son écuelle.—«Monsieur, lui dis-je, c'est pour ce que le Grand-Turc est un grand prince et qu'il n'y a que les rois et les grands princes qui en usent.» Août
1607
Il revient à soi, la reprend et me demande: Papa s'en sert-il?—«Oui, Monsieur.»

Le 17, vendredi.—Éveillé à six heures et demie; levé avec impatience de faire déménager pour aller à Noisy[421], à cause de la peste qui depuis avoit été découverte sur une femme, au-dessus du cimetière, ce dont on avoit averti le Roi, qui étoit à Monceaux; il dépêcha M. de Frontenac, qui arriva le jour précédent à quatre heures et demie après midi, portant commandement d'aller à Noisy. Il presse de charger, va lui-même en sa chambre, où il aide à emballer un matelas; jusques à trois heures c'est une perpétuelle inquiétude et soin, pour faire partir le reste des bagages qu'il voyoit en la cour, du dessus de la terrasse; il descend, remonte, est mené en la chapelle à cause du chaud. Enfin, parti de Saint-Germain à cinq heures, M. de Frontenac étant revenu de Poissy, et à son arrivée ayant reçu nouvelles du matin à dix heures, de Monceaux, de la maladie du Roi. Le Dauphin arrive, fort gai et ne faisant que chanter, à Noisy, à six heures et demie. Aussitôt qu'il est descendu il demande d'aller au jardin, y est mené, va partout. Amusé jusques à neuf heures, dévêtu, mis au lit, Mme de Montglat lui dit que l'on alloit à la chapelle prier Dieu pour papa: Et pour moi aussi, Mamanga, dit-il promptement et d'affection[422].

Août
1607

Le 18, samedi, à Noisy.—A huit heures et demie déjeûné; il me dit: Allons promener, mousseu Héroua; voulez-vous bien que je vous montre la grotte. Il me va montrant tout ce qu'il avoit vu le jour précédent, ayant remarqué jusques aux moindres choses. Ramené, et à neuf heures mené à la chapelle. A cinq heures mené au parc puis au jardin; à six heures trois quarts ramené, il veut hausser le pont levis. Mme la marquise de Ménelay[423] le vient voir. Dévêtu, mis au lit, il donne le mot à MM. de Mansan et de la Court: Saint Jacques.

Le 19, dimanche, à Noisy.—M. du Tost, mari de la nourrice de Madame, lui apporte une pie-grièche qu'il avoit dressée à voler le moineau; il se fait donner son gant de fauconnier, la prend sur le poing, et, dans la salle haute, la lâche fort à propos après un moineau, lui en fait voler deux. Il veut aller aux Cordeliers ouïr vêpres; sur la fin la patience lui échappe, et il s'en va aux orgues, puis remonte au château, prend la pie-grièche, lui fait voler un moineau en la salle. L'on présentoit la collation à Mme la marquise de Ménelay; Mlle de Ventelet dit au Dauphin: «Monsieur, que n'allez-vous? on y fait collation.»—Ho! Mamanga, mousseu Héroua y sont; ils ne feroient que me gronder, j'aime mieux y aller pas; c'est qu'il craignoit d'être contrôlé devant Mme la marquise. Mené au parc, où il se fait porter du papier et de l'encre pour y écrire une lettre au Roi par M. de l'Isle-Rouët. A six heures et demi soupé; il va sur la première terrasse hors la cour, danse avec les filles, leur dit des chansons grasses, puis tout riant les quitte et danse avec M. de Verneuil, Août
1607
M. de Mansan, M. de la Court et moi; il chante: En revenant de cette ville, etc., on ne l'en peut tirer.

Le 24, vendredi, à Noisy.—Il lui prend humeur de vouloir aller à la chasse, commande à M. de Ventelet: Tetay, faites atteler le carrosse, je veux aller à la chasse. Taine, faites tenir prêts les oiseaux; il commande sérieusement et avec action et passion. A quatre heures et demie il entre en carrosse pour aller à la chasse (c'est la première fois), est mené aux environs du moulin de pierre allant vers Versailles[424], voit prendre près de lui un levraut avec deux lévriers, cinq ou six cailles à la remise chassées par le haubereau, et deux perdreaux, dont un pris par son épervier; l'on vit un grand renard qui se sauvoit vers le moulin. Ramené à six heures trois quarts, il raconte en soupant ce qu'il a vu de la chasse. Mme de Vitry lui vient porter un bouquet, disant que demain est Saint-Louis, sa fête, et qu'il faudra qu'il paye sa tarte pour tous; il s'en met en colère, et la chasse de sa chambre.

Le 25, samedi.—On lui apporte morte sa pie-grièche, où il prenoit fort grand plaisir; il ne s'en émeut pas beaucoup, mais lui fait ôter la longe et les sonnettes, disant froidement: Ce sera pour une autre, encore qu'en son âme il en fût marri, mais ne vouloit pas faire paroître son déplaisir.

Le 26, dimanche.—Il presse M. de Ventelet pour lui faire porter la tarte qu'il avoit commandé de faire pour sa fête Saint-Louis, que Mme de Montglat avoit remise à ce jour d'hui, parce que le jour précédent, qui étoit la Saint-Louis, elle faisoit faire un service aux Cordeliers pour la quarantaine après le décès de M. de Montglat.

Le 28, mardi.—Il s'amuse à crayonner, fait cette Août
1607
copie[425] de Mme la marquise de Menelay, fille de feu M. le maréchal de Retz, sans aide aucune.—Il va à la ferme, trouve des petits enfants du fermier, s'amuse à les entretenir, puis leur donne de l'argent.

Le 29 août, mercredi.—Mené aux jardins du côté de Bailly[426], il visite tout, monte à la grotte. A neuf heures mis au lit, il entre en mauvaise humeur; Mme de Montglat lui montre des verges: Hé! Mamanga pardonnez-moi, et se prend à pleurer. Mme de Montglat lui dit: «Ne pleurez point.»—Vous me voulez fouetter, et vous voulez pas que je pleure! Il continue, et est fouetté.

Le 5 septembre, mercredi, à Noisy.—A dix heures le Roi arrive; il lui va au devant, le rencontre hors du pont-levis; à onze heures trois quarts dîné avec le Roi; il mène le Roi se reposer sur son lit. A quatre heures et demie le Roi part pour s'en aller coucher à Villepreux[427], le Dauphin pleure; on le met dans le carrosse de Mme de Montglat, et il suit ainsi le Roi jusques près de Villepreux, où il vouloit aller avec le Roi, vers lequel il envoya M. de la Court, exempt au corps et servant près de lui, pour savoir s'il lui plaisoit pas de lui permettre d'aller à Villepreux. Il rapporte que le Roi ne le veut pas: Hé! je le veux moi, dit-il impérieusement; touche, carrossier, touche! L'on fait insensiblement tourner le carrosse vers Noisy, lui faisant croire qu'il alloit à Villepreux, de façon que se voyant près de Noisy il entre en colère, accuse M. de Verneuil, qui étoit dans le carrosse, au cul des chevaux: Ha! c'est féfé Véneuil qui l'a dit au carrossier; fouettez-le, Mamanga, et je vous promets que Sept
1607
jamais je ne serai opiniâtre.
Enfin il arrive à Noisy; l'humeur lui passe.

Le 6, jeudi, à Noisy.—Le Roi arrive de Villepreux, l'envoie querir et mener au Cordeliers; dîné avec le Roi; il va en la chambre de Madame, s'y joue devant le Roi, qui à onze heures trois quarts part pour aller courir le cerf et coucher à Villepreux; il pleure fort pour le départ du Roi.

Le 8, samedi.—Il dit ses quatrains de Pibrac. Mené dehors, il s'amuse à la petite grotte sèche, à l'entrée du parc. Mis au lit, il me commande de lui montrer ma montre, de monter la sonnerie, demande la raison des mouvements, veut savoir tout.

Le 10, lundi.—MM. de Souvré, de Béthune, baron de Lux, de Gondi, le viennent visiter, et, peu après, le cardinal Barbarini, nonce du Pape, qui s'en retournoit à Rome. Mené aux parterres du côté de la grotte, il se joue dans la salle qui est dessus, sort, entre, court, n'en peut partir.—L'on parloit d'un mulet sur lequel un des officiers étoit allé aux champs: Il a des cors aux pieds, dit le Dauphin; c'est qu'il avoit le boulet enflé: il savoit et remarquoit tout.

Le 11, mardi.—Le sieur du Glast, gentilhomme anglois, écuyer du prince de Galles, le vient visiter de la part de son maître, avec une couple de petits pistolets qu'il lui envoie, accompagnés d'une lettre dont la teneur ensuit:

Monsieur et frère, le Roy mon père envoyant un des miens vers Sa Majesté, je luy ay commandé vous saluer de ma part, vous présentant deux petits bidets lesquels j'ay pensé qu'auriez agréables pour l'amour de moy, qui vous supplie croire qu'il n'est aucun plus desireux d'estre favorisé de vos bonnes grâces et de rencontrer quelque digne sujet pour les pouvoir mériter que celuy qui s'est voué vostre très-affectionné frère à vous servir.

Henry.

Nonsuch, 22 juillet 1607.

Le voilà amoureux de ces pistolets, il les met dans son cabinet d'Allemagne.

Sept
1607

Le 12, mercredi, à Noisy.—Le Roi arrive à dix heures; à dix heures trois quarts dîné avec le Roi. Le Roi part pour aller à la chasse.

Le 13, jeudi.—Mené au devant du Roi revenant de la chasse[428], puis à midi dîné avec lui. Il va en sa chambre, et, cependant que le Roi se repose, il va chez Madame, où il se joue jusques à deux heures qu'il lui prend une secousse de mal aux dents; il se fait coucher sur le lit de Madame. A trois heures le Roi y vient, le baise, et s'en retourne à Paris. Amusé doucement jusques à six heures, ayant été au galetas des meubles et des peintures où il s'étoit le plus amusé.

Le 14, vendredi.—Il s'amuse à peindre et faire peindre par Boileau.

Le 15, samedi.—Mme de Montglat disoit qu'elle alloit envoyer vers la Reine, qui s'étoit trouvée mal, et qu'il falloit qu'il lui écrivît pour apprendre de ses nouvelles. Qui y envoyez-vous? demande le Dauphin.—«Monsieur, je y envoyerai un homme de pied.»—Un homme de pied; que n'y envoyez-vous le Bernet? C'étoit un honnête homme, qui avoit été à feu M. de Montglat.—Mme de Vitry avoit un petit mortier de marbre; il desire de l'avoir, le lui demande à donner; elle le fait un peu marchander: Si vous ne me le donnez, je dirai que vous êtes ciche.

Le 16, dimanche.—Il me dit: J'ai envoyé querir mon gros canon.—«Monsieur, lequel?»—C'est Dondon, sa nourrice[429]. Il monte en la chambre de sa nourrice, où il se joue doucement, le petit Grandmont, parent de M. de Saint-Georges, avec lui et Louise, sa sœur de lait.

Le 17, lundi.—Il s'amuse à regarder Boileau, qui fait des crayons[430], et il dit ses quatrains de Pibrac en musique.

Sept
1607

Le 18, mardi, à Noisy.—Il s'amuse à voir peindre par Boileau, sait les noms de la matière des couleurs. A trois heures trois quarts dévêtu, mis au lit. On lui faisoit des contes de Mélusine; je lui dis que c'étoient des fables, et qu'elles n'étoient pas véritables. Mme de Montglat lui fait le conte de Daniel jeté aux lions; il y prend grand plaisir. Je lui fais celui de la tour de Babel et de la confusion des langues, il demande: Y avoit-il des François?—«Oui, Monsieur.»—Les François faisoient le mortier, et ils bailloient de la pierre. Puis je lui fis celui de David quand il tua Goliath; il me le fait redire plusieurs fois, me demande si David étoit bien aussi grand que M. le Chevalier, si sa fronde étoit de corde, si la pierre étoit pierre de liais; c'est qu'il avoit retenu ce mot ayant vu à son promenoir une grande table de pierre de liais, au jardin, et entendu dire quelle étoit bien dure. Il demande si Goliath étoit bien grand, s'il étoit plus haut que sa chambre, si son cheval étoit bien grand, de quel poil il étoit, s'il eût bien porté six hommes, si Goliath étoit bien pesant, s'il montoit tout seul dessus sans aide, et, de tous ces contes, demande: Cela est-il vrai?—«Oui, Monsieur, lui dis-je, ils sont dans la Bible[431].»—Je les veux apprendre, puis je les conterai à papa, car ils sont vrais, ils sont dans la Bible de Mamanga. Ma sœur fera des contes de la mouche guêpe qui a piqué la chèvre au cul, qui ne sont pas vrais, mais je ferai ceux-ci qui sont vrais. Mamanga, avez-vous ici votre Bible?—«Non, Monsieur.»—Il faut l'avoir, et quand nous serons en carrosse vous me la lirez.

Le 19, mercredi.—Il s'amuse à regarder Boileau, qui Sept
1607
peignoit le père du Roi[432]. Je lui demande: «Monsieur, lequel aimez-vous mieux, ou étudier ou danser?»—J'aime mieux étudier; il n'aimoit point la danse de son naturel.

Le 23, dimanche, à Noisy.—Amusé avec de la craie, il écrit contre la porte Loys, assez bien, m'appelle pour me le montrer. Mené à la chapelle, puis à onze heures trois-quarts dîné. Il entre en mauvaise humeur, et ne veut point que M. de Verneuil dîne avec lui; Mme de Montglat le y fait dîner. Madame, assise au bout de table, fait des remontrances au Dauphin: Ha! Jésus! Monsieur, il faut pas faire cela; on vous reconnoîtroit pas pour le fils du Roi seulement. Il faut pas avoir des fantasies; on les balie par le cu, Monsieur, mais on les balie pas comme la terre; on fait ainsi: Chac, chac. Il faut pas avoir des humeurs, Monsieur, Mamanga vous fouetteroit[433]. Il n'osoit dire mot, l'écoutoit sans faire semblant de l'entendre; elle lui dit encore: Ha! Monsieur, il faut pas dire cela, il faut pas parler ainsi aux gouvernantes, cela n'est pas beau, Monsieur; c'est qu'il disoit à Mme de Montglat qu'il ne feroit pas ce qu'elle vouloit.—Mené par la cour au jardin des orangers, ramené à six heures.

Le 25, mardi.—Il s'amuse à écrire et peindre, m'appelle pour me montrer son ouvrage, et me le donne en intention de le mettre dans le registre[434].

Le 26, mercredi.—Il écrit au Roi, lui ayant imprimé[435] les lettres. Comme j'écrivois ceci, Monseigneur le Sept
1607
Dauphin est monté ici en ma chambre, m'a fait quitter l'écriture pour l'aller promener[436].

Le 27 septembre, jeudi.—A goûter on lui sert une tarte aux pommes, à cause du jour de sa nativité[437]. Mené à vêpres, aux Cordeliers, pour ouïr chanter le Te Deum à cause du jour de sa naissance, et ayant vu un cordelier tenant un grand fouet à chasser les chiens, il en a peur, s'en va dehors sous l'ormoie; on ne le peut ramener.

Le 1er octobre, lundi, à Noisy.—Mené à la noce de la fille du concierge, il y a dansé.

Le 3, mercredi.—Il est vêtu de sa robe à haut collet, robe de satin gris; c'est la première qu'il a portée de cette sorte, et on lui a ôté sa bavette.

Le 9, mardi.—A neuf heures et demie parti pour aller à Saint-Cloud trouver LL. MM., il y a dîné; ramené à Noisy à huit heures[438].

Le 14, dimanche.—A neuf heures et demie il part pour aller aux Cordeliers pour ouïr une première messe; il en sort, dit que la messe est trop longue. M. de Béthune arrive, cela ne l'émeut point; il est fouetté devant le logis du jardinier, Descluseaux le tenant; il y va forcé.

Le 15, lundi.—Il s'amuse à voir peindre Boileau, auquel il faisoit copier en crayon le roi Louis douzième. Mené en carrosse à Villepreux, en la maison de M. le cardinal de Gondi, il s'amuse à des régales[439] qu'il y avoit en la chambre. Mme de Montglat lui demande en revenant quel, de Noisy ou de Villepreux, il aimeroit le mieux; Oct
1607
il répond: Villepreux.—«Monsieur, pourquoi?»—Pour ce qu'il y a des orgues.—«Monsieur, il y en a aussi aux Cordeliers de Noisy.»—Ho! j'aime point ceux-là; il y avoit été fouetté.

Le 19, vendredi, à Noisy.—Le comte de Gatinara, dépêché vers le Roi de la part de M. de Savoie pour la naissance de M. d'Orléans, le vient saluer, lui disant en avoir commandement de son maître. Il va en sa chambre, et de son mouvement fait ôter de la tapisserie tous ces crayons en papier qu'il y avoit fait attacher, faits par Boileau; il commence lui-même à les ôter, reconnoissant qu'ils n'étoient pas bien faits, et par ainsi ne vouloir être vus par l'ambassadeur: Je les veux, dit-il, montrer seulement à papa. A deux heures et demie l'ambassadeur prend congé de lui.—Mené au parc, il va jusques à la ferme des Essars, maison autrefois appartenante au sieur des Essars[440], traducteur de l'Amadis de Gaule, et qu'il a traduit en ce lieu.

Le 20, samedi.—Il s'amusoit avec la clef de ses tablettes à ouvrir celles de Mme de Montglat; il les ouvre, et soudain s'écrie: Hé! Mamanga, je m'en vas vous montrer un miracle. La clef de mes tablettes ouvre les vôtres.—A onze heures arriva, conduit par M. de Béthune, le marquis de Bevilaqua, venu de la part du Grand-Duc vers le Roi, pour la naissance de M. d'Orléans, et vers le Dauphin pour lui remettre des lettres du grand-duc, de la grande-duchesse et du prince de Toscane[441] que Oct
1607
l'ambassadeur appelle grand prince en parlant au Dauphin, lui disant que tous trois se recommandoient à ses bonnes grâces.

Le 21, dimanche, à Noisy.—Il voit danser en la salle l'épousée du fauconnier de M. de Paris[442].

Le 23, mardi.—Mené par le haut du parc à Bailly, il voit la maison de M. Veillard et de M. de Laistre.

Le 25, jeudi.—Éveillé à une heure après minuit par le bruit qui fut fait pour le feu qui s'étoit mis au lit des femmes de chambre qui couchoient dans la garde-robe, où lors couchoit Mme de Montglat pour avoir pris médecine le jour précédent. Il ne y avoit que la muraille entre deux de la garde-robe et de la chambre du Dauphin. Sa nourrice, tout en chemise, le prend et le porte en la chambre de M. d'Orléans, située sous la sienne; il fut couché avec sa nourrice, au lit de Mlle de Ventelet, tout tremblant. Mlle de Vendôme y fut portée et couchée. Il renvoyoit au feu tous ceux qui le venoient voir, disant: Allez vous-en aider à éteindre le feu.—A deux heures mis en carrosse, mené à l'abbaye de Saint-Sixte; goûté à trois heures, confitures, pain et biscuit de l'abbesse. Il va en l'église comme par force, s'en veut retourner, est ramené à quatre heures à Noisy. M. le marquis de Renel et moi parlions, dans le carrosse, des voyages où nous nous étions vus aux armées du temps du feu Roi[443], conduites Oct
1607
par feu M. de Joyeuse; il écoute à l'accoutumée, attentivement, sans dire mot; Mme de Montglat lui demande: «Monsieur, vous ne dites mot; oyez-vous bien tout ce qu'ils disent?» Il répond froidement: J'y songe.

Le 26 octobre, vendredi, à Noisy.—A neuf heures déjeuné; il fait parfumer par où avoit passé Le Borgne, son portefaix, l'ayant fait mettre hors de la chambre, et disant qu'il puoit, en bouchant son nez. C'étoit d'autant que Le Borgne l'appeloit boutefeu, disant qu'il avoit mis le feu en la maison de M. de Paris. A neuf heures trois-quarts mené à la chapelle où le sieur de La Vigne, archer harquebusier aux gardes du Roi, répondit à la messe, tenant sa harquebuse, ayant sur le poing le haubereau chaperonné de velours vert qui étoit à Monseigneur le Dauphin. Mené promener au bout de l'ormoie, sur la haie du grand chemin, il regarde passer les poulaillers qui vont à Paris, venant de Normandie, leur demande d'où ils sont, ce qu'ils portent.

Le 28, dimanche.—Il fait parfumer de fumée de genièvre par où Le Borgne, portefaix, avoit passé portant le bois dans sa chambre, pource qu'il disoit qu'il puoit; mais c'étoit de haine pource que Le Borgne lui faisoit la guerre, l'appelant brûleur de maisons et qu'il avoit mis le feu en la maison de M. de Paris.—Louise Joron, l'une de ses femmes de chambre, a été accordée dans sa chambre; il a signé les articles après la trace qui lui en a été faite; ç'a été son premier seing valable. Il va en la chapelle, aux fiançailles.

Le 29, lundi.—Il s'amuse à regarder attentivement Boileau, auquel il faisoit tirer en crayon une copie de Bertrand du Guesclin. A dix heures viennent M. de Lussan, gouverneur de Blaye, conduisant MM. du Bernay et de Guilleraigues, conseillers en la cour de parlement de Bordeaux, députés vers le Roi, qui l'assurèrent de leur très-humble service. Les ayant écoutés attentivement, et les ayant remerciés, il dit: Allons voir Oct
1607
ma sœur
, se met devant et les y mène. S'en étant partis, Mme de Montglat lui dit: «Allons voir la mariée, si elle est habillée.»—Non, j'y veux pas aller parce qu'on se moqueroit de moi. Il n'aimait point à être raillé ni moqué. Il regarde danser, ne veut point danser; rien ne le y peut persuader jusques à ce que Mme de Montglat lui dit: «Bien donc, Monsieur, allons étudier.» Il part tout soudain de la main, et se jette à corps perdu au branle, entre Madame et Mlle de Vendôme, et en fit plus que l'on ne vouloit. Il goûte à la collation de la mariée. Après souper il danse encore, surtout la Saint-Jean des choux.

Le 30, mardi.—Il s'amuse à peindre gaiement en la présence de M. de Souvré[444]. A cinq heures il descend chez Mlle de Vendôme, dit qu'il veut coucher avec elle, envoie querir ses flambeaux, sa cassette, son cabinet, sa chaise percée.

Le 2 novembre, vendredi, à Noisy.—M. de Saint-Remi, conseiller au Parlement, étoit à son coucher et disoit à Mme de Montglat qu'il avoit démarié Mme la comtesse de Moret[445]. Monseigneur le Dauphin l'entend, et demande pourquoi? Guérin[446] lui répond: «Pource qu'on lui avoit noué l'aiguillette.»—Non, c'est pas cela; c'est parce qu'il est châtré.

Le 6, mardi.—Il va en la chambre de Joron[447], sœur de sa nourrice, pour la fouetter ainsi que son mari, puis M. Boquet, mari de sa nourrice.

Le 7, samedi.—Il me commande[448] de lui tracer des Nov
1607
mots en latin pour les remplir avec la plume. Dansé, recordé un ballet.—Madame parloit de l'enfant dont la Reine étoit grosse; Mlle Piolant lui demanda si ce seroit un fils ou une fille, le Dauphin répond promptement: Non, ma sœur; il y a assez de garçons.

Le 18, dimanche, à Noisy.—A onze heures et demie M. de Fresnes-Canaye, revenant de Venise, ambassadeur pour le Roi, arrive; il l'écoute attentivement; il lui faisoit entendre les bonnes volontés des Vénitiens et autres grands d'Italie, l'intérêt qu'il avoit au duché de Milan, qui appartenoit au Roi, qu'il le lui falloit demander quand il seroit grand pour en aller chasser les Espagnols.—M. du Tost lui avoit apporté un leurre[449]; il leurre son haubereau, puis se met à courir, dit qu'il vient de Paris, qu'en chemin il avoit pris un coq d'Inde; c'étoit le leurre de maroquin incarnat, avec des rubans bleus.—A neuf heures dévêtu, mis au lit, M. Dupré, exempt aux gardes, lui demande le mot; il le lui refuse: Je veux attendre que tous les lits soient faits, car vous fermeriez la porte. Il avoit soin des garçons de la chambre qui dressoient les lits des veilleuses, afin qu'ils ne fussent point enfermés dans le château, eux qui couchoient dehors. Les lits étant dressés, il le donne.

Le 19, lundi.—Il monte aux chambres de la mariée, de sa nourrice et de celle de Madame pour les fouetter étant couchées avec leurs maris.

Le 20, mardi.—Mme de Montglat lui dit qu'il faut étudier, il cache son livre dans son chapeau; elle l'aperçoit, et lui demande: «Monsieur, où est votre livre?»—La petite du Lux l'a emporté.—«Voyons votre chapeau;» il est fouetté sur le sujet du mensonge[450], et dit à Descluseaux: Nov
1607
Ne dites pas au corps de garde que j'ai eu le fouet.

Le 22, jeudi, à Noisy.—Il dit ses quatrains et sentences, demande à étudier, en dit plus qu'on ne veut; il appelle les mots entiers sans faillir. M. l'évêque de Paris et M. de Dampierre, son frère[451], le viennent voir.—Il écrit sans trace ni aide: «Papa et maman je vous aime bien, j'ai grande envie de vous voir.—Loys.»

Le 23, vendredi.—L'on parloit du dégât que les soldats avoient fait sur les noisettes au jardin de son logis à Meudon, lorsqu'il alloit à Fontainebleau pour son baptême[452]; le Dauphin dit: C'étoit là où ces méchants cadets me dérobarent des noisettes que j'avois fait serrer; il étoit vrai. Il s'amuse à cueillir des herbes pour faire un potage, et se met à faire son potage, de peur d'étudier.

Le 24, samedi.—Madame contoit qu'elle iroit demeurer en Angleterre; il lui dit: Ma sœur, je vous irai voir; papa me y envoyera. Mlle Piolant lui va dire: «Vous y viendrez quelquefois, puis après à la dérobée, Monsieur.»—Ho! non, quand je serois revenu, papa me donneroit le fouet; je ne veux aller en aucune part que papa ne me le commande.

Le 25, dimanche.—Il danse un ballet, fort bien habillé en homme, d'un pourpoint et d'une chausse grègue de toile de Hollande par-dessus sa cotte; il mène danser une courante à Madame Christienne. Mlle Piolant arrive comme il eut tout fait. Ma mie Piolant, lui dit-il, m'avez-vous vu danser mon ballet?—«Non, Monsieur.»—Qu'on me rapporte Nov
1607
mon masque, je veux danser mon ballet devant ma mie Piolant
; il se fait masquer et danse.

Le 26 novembre, lundi.—Il écrit une lettre au Roi sans que l'on lui ait marqué, on ne lui a fait que nommer[453]:

Papa, ce mot est pour vous montrer que j'écris sans marquer et que je ne suis plus opiniâtre. Je suis, papa, votre très-humble et tres-obéissant fils.

Loys.

Le 29, jeudi, à Noisy.—Il va en la grande salle, où il voit danser le ballet des Lanterniers, fait par des soldats de la compagnie, puis danse aux branles.

Le 3 décembre, lundi.—A une heure et un quart il part de Noisy pour Saint-Germain[454], dans le carrosse de M. Gobelin, président des Comptes, que l'on avoit envoyé querir de Paris avec d'autres et trois litières. Dès qu'il aperçoit Saint-Germain: Hé! velà Saint-Germain! hé! Saint-Germain mon mignon! hé! je t'appellerai tant que tu viendras! A trois heures il arrive à Saint-Germain.

Le 4, mardi, à Saint-Germain.—Il a envie d'avoir un petit pot de chambre d'argent de Mlle de Vendôme; lui dit: Sœu-sœu Dôme, si vous me voulez donner votre petit pot de chambre d'agent, je vous donnerai ma salière. Elle lui répond: «Bien, Monsieur, je vous baillerai ce qu'il vous plaira.»—Je vous donnerai encore cela; c'étoient des balances.—«Monsieur, vous les aimez bien, vous vous en jouez quelquefois.»—Oui, je les aime bien.—«Monsieur, je n'en veux donc point, s'il vous plaît.»—Prenez donc la salière.—«Bien donc, puisqu'il vous plaît, je la prendrai.» Le Dauphin se retournant vers Mlle d'Agre, qui étoit gouvernante de Mlle de Vendôme, lui demande: D'Agre, est-ce assez?—«Oui, Monsieur, c'est assez».—Ho! non, non; sœu-sœu, prenez ce que vous voudrez. Déc
1607
L'on lui dit que M. de Verneuil se nommeroit Henri[455]; il répond: Je veux pas, moi; je le nommerai pas Henri, c'est le nom de papa, il seroit pus que moi, et je m'appelle Loys. Il est longtemps sur cette opinion, on l'en divertit, et surtout lui ayant dit que le Roi le vouloit ainsi. Mis au lit, Mme de Montglat me dit que Monseigneur le Dauphin vouloit bien nommer Henri M. de Verneuil; je prends occasion de lui dire que son nom étoit bien plus beau et lui parler du roi saint Louis, de sa piété, de son équité, et comme il avoit fait la guerre aux Turcs, comme il faisoit percer la langue aux blasphémateurs avec un fer chaud, et mort en Égypte, faisant la guerre aux Turcs, et puis monté au ciel, où il étoit saint; il écoutoit avec attention.

Le 7, vendredi, à Saint-Germain.—Mené à la chapelle, puis par le pont au bâtiment neuf, pour y attendre le Roi, qui arriva à onze heures et demie; au bout de l'escalier, en haut de la dernière marche, il lui saute au col. A midi dîné avec le Roi; le Roi va à la chasse. A trois heures il entre au carrosse du Roi, et va jusques auprès de la Muette au devant du Roi; le Roi, entre en carrosse, et le ramène. A neuf heures il va chez le Roi, où il danse son ballet à la chambre de la Reine, fort bien; le Roi en demeure fort content. La remueuse portoit M. d'Orléans, et Madame Christienne étoit portée par sa nourrice; elles s'étoient mises au branle. Après avoir fait deux tours le Dauphin dit à Mme de Montglat: Mamanga, velà un grand plaisir! faire danser des enfants avec nous! qu'on les ôte! Le Roi les fit ôter.

Le 8, samedi.—Mené au bâtiment neuf, il y entend la messe avec le Roi; dîné avec le Roi; il accompagne le Roi, qui s'en va à Paris à une heure; ramené en sa chambre au vieux château.

Le 9, dimanche.—A trois heures et demie mené à la Déc
1607
chapelle pour tenir à baptême, avec Madame, M. et Mlle de Verneuil; le Dauphin est accompagné de M. de Vendôme, de M. le Chevalier, son frère, de M. le duc de Montbazon, de M. de Frontenac, premier maître d'hôtel du Roi, de MM. de Lansac et de Courtenvaux, portant les honneurs. Ils furent baptisés par messire Henri de Gondi, évêque de Paris; M. de Verneuil fut nommé Henri, et Mlle sa sœur fut nommée Gabrielle. Il va souper en la salle du Roi, au festin que le Roi avoit commandé qui se fît; il voit le bal, où il n'y avoit qu'un violon; c'étoit Boileau.

Le 10, lundi, à Saint-Germain.—M. le cardinal Duperron, revenant de Rome, lui sert de grand aumônier; ce fut la première fois.—Amusé en sa chambre à divers jeux, à sainte Catherine où l'on traîne; c'étoient MM. de Lansac, de Courtenvaux, de Cressy, de Montglat. A neuf heures et un quart dévêtu, mis au lit, il s'amuse à railler, à faire des rencontres sur les noms des uns et des autres, fait celle-ci: Lansac, c'est un sac; Courtenvaux, c'est un veau, qu'on mettra dans ce sac.

Le 11, mardi.—Il va en l'antichambre de la Reine y recorder son ballet des Lanterniers, le danse fort bien; il ne y avoit que trois jours qu'il l'apprenoit.

Le 13, jeudi.—A quatre heures et demie l'on lui dit que le Roi arrivoit; le voilà tout transporté de joie; le Roi arrive, il le va saluer en son cabinet; à sept heures et demie soupé avec le Roi.

Le 14, vendredi.—Le Roi arrive en sa chambre, le mène chez M. d'Orléans, puis en sa chambre, où il a dîné de la viande du Roi. A trois heures le Roi le mène à la chasse en Vésinet. A sept heures et demie soupé avec le Roi. Ramené en sa chambre, M. de Cési, qui avoit épousé Mme la comtesse de Moret, puis été démarié, lui donnoit le bonsoir; il ne le connoissoit pas. Mme de Montglat lui dit que c'étoit M. de Cési, et qu'il lui donnât le bonsoir; il le fait: Bonsoir, Cési. Mamanga, qui est stilà?—«Monsieur, Déc
1607
c'est M. de Cési.»—A qui est-il?—«Monsieur, il est au Roi.»—De quoi lui sert-il!—«Monsieur, il le suit quand il va quelque part.»—Chemine-t-il, va-t-il à pied?—«Monsieur, il va à cheval et à pied.» Et adressant la parole à moi, elle me dit qu'il en avoit eu de bon argent et touché trente mille écus. Le Dauphin reprend: Pourquoi?—«Monsieur, c'est qu'il étoit prisonnier.»—Où?—«A Paris.»—Avec des cordes?—«Non, Monsieur, mais il y avoit été mis pour avoir été opiniâtre, et le Roi l'a fait délivrer.» Le Dauphin ayant un peu songé dit: Voudroit-il bien être encore prisonnier pour avoir de l'argent?

Le 15, samedi, à Saint-Germain.—A neuf heures déjeûné; le Roi arrive en sa chambre, le mène à la messe, puis, à dix heures et un quart, dîné avec le Roi. Ramené en sa chambre, il va recorder son ballet. J'envoie querir de l'oignon pilé; c'étoit pour M. d'Orléans, qu'un éclat de feu avoit brûlé un peu au dedans de la cuisse. Il demande ce que c'est; je lui dis que c'étoit Mercier qui s'étoit brûlé le doigt, il répond: Il ne faut que y mettre un emplâtre de diapalma. Voyez, dit-il à M. de la Massoire, lui montrant le doigt, je m'étois l'autre jour brûlé le doigt, je fis qu'y mette du diapalma, je fus guéri tout incontinent. Demandez à mousseu Héroua. Je me coupis l'autre jour dans le jardin; j'y mis de la terre, je fus incontinent guéri. A quatre heures trois-quarts il va chez le Roi, qui se mettoit au lit, revenant de la chasse.

Le 16, dimanche.—A huit heures il va chez le Roi, lui donne sa chemise; mené par le Roi au bâtiment neuf; il va à pied, encore qu'il plût un peu, entend la messe avec le Roi, puis à dix heures et un quart dîné. A onze heures le Roi s'en retourne à Paris, et lui au vieux château, à pied; il ne voulut jamais être porté, nonobstant les crottes, la pluie et le vent. Il monte en ma chambre, demande à voir les livres des oiseaux et des quadrupèdes de Gesner, puis Vitruve, qu'il n'avoit point vu, il y avoit deux ans.

Déc
1607

Le 17, lundi, à Saint-Germain.—M. le cardinal de Joyeuse, revenant de Gaillon à Paris, le vient voir. Il recorde son ballet des Lanterniers, y va fort bien, guidé seulement par l'oreille, car il ne savoit point faire des pas.

Le 24, lundi.—Il se fait mettre un bonnet de nuit à façon d'homme, pour en aller voir Madame; c'est le premier qu'il a porté de cette façon. A onze heures et demie dîné; il va en sa chambre. Il songeoit en regardant le feu; sa nourrice lui demande: «Monsieur, à quoi songez-vous?»—Je songe à quoi je me jouerai. Amusé à divers jeux.

Le 26, mercredi.—Il demande à écrire: Je veux, dit-il, écrire un petit livre que je veux faire imprimer, pour envoyer à papa pour ses étrennes; il se met à écrire, et se fait entretenir de l'Infante.

Le 30, dimanche.—A deux heures et demie il monte en ma chambre, me demande ce que j'écrivois; je lui dis que c'étoit à M. de Béthune: Équivez, équivez, dit-il, et ne me vouloit point détourner. Il s'amuse auprès du feu, puis, à trois heures, me dit: Adieu mousseu Hérouard, je m'en vas faire collation.—«Monsieur, vous plaît-il me faire l'honneur de me permettre que j'achève d'écrire à M. de Béthune?»—Oui.—«Monsieur, me voulez-vous commander de lui écrire quelque chose de votre part?» Il s'en vient à moi, et me dit tout bas à l'oreille: Mandez-li que je me recommande à li, et qu'il vous mande ce qu'il m'apportera pour mes étrennes; mais ne dites mot. Il va en la chambre de M. de Verneuil pour y recorder son ballet. A six heures et un quart soupé; comme il eut achevé de manger ses ris de veau, il dit à M. de Ventelet, lui baillant la vaisselle: Tenez, donnez le reste à ma sœur; laquelle répond gaiement: Aussi vrai, j'en avois bien envie; j'en eusse bien mangé, mais je n'ai osé en demander à Mousseu.

Le 31, lundi.—Le matin il se fâchoit de ce qu'on lui avoit à son gré fait les cheveux trop courts: Hé! Déc
1607
Mamanga, je semble un moine
. Il écrit une lettre au Roi:

Papa, j'ai apprins que l'enfant sage réjouit le père, c'est pourquoi je ferai tout ce que je pourrai pour vous donner ce contentement, d'autant que je suis, papa, Votre très-humble et très-obéissant fils et serviteur.

Loys.

Il monte en ma chambre, me demande le livre des bâtiments, c'étoit Vitruve; il se y plaisoit fort. Il le feuillette tout, demandant la raison de chacune des figures. Il a de l'impatience que le jour soit venu pour avoir des étrennes, veut que Mme de Vitry couche avec Mme de Montglat, afin qu'elle lui donne ses étrennes à minuit.

ANNÉE 1608.

Conversation sur le Roi et sur les charges de la maison du Dauphin.—Mariage projeté du duc d'Orléans.—Accouchement de Mme des Essars; mot du Dauphin.—Portraits des grands-pères du Dauphin.—Froid excessif.—La volière du Dauphin.—Catéchisme du P. Coton.—Conversation sur l'Infante; jeux avec les petites filles.—M. d'Albigny.—Jeux et langage singuliers.—Pain fait avec du blé avarié.—Présent de la reine Marguerite.—Le ballet des Falots.—Envoi du Dauphin à l'infante d'Espagne.—Le porte-panier.—Départ de Saint-Germain.—Séjour au Louvre.—Visites à la reine Marguerite, au Palais de Justice, à l'Arsenal.—Départ pour Fontainebleau.—Le tableau de la belle Agnès.—Aversion pour M. de Moret.—Figure de Henri IV en poterie.—Amitié du Dauphin pour Héroard.—Le chien et le singe du Roi.—Cérémonies des Rameaux et de la Cène.—Le P. Ange de Joyeuse.—Le fou-poëte de M. de Roquelaure.—MM. de Mortemart et de la Trémoille.—Naissance du duc d'Anjou.—Mot du Roi au Dauphin.—Lettre du Dauphin au Roi.—Collation de poterie.—Un joujou de Nuremberg.—Mmes de Montpezat et du Peschier.—M. de Vic et sa jambe de bois.—Les différentes races des enfants du Roi.—Goût pour la chasse et les chiens.—Le Dauphin quitte l'habillement d'enfant.—Contes sur l'Infante.—Le premier laquais du Dauphin.—Ses exercices militaires; il aime l'odeur de la poudre.—Le sauteur Colas.—Un chien cocu.—Mariage de M. de Vendôme et de Mlle de Mercœur.—Mot du Roi sur M. de Guise.—Premier bain.—Jalousie du Dauphin.—Le docteur de la Palestine.—Éclipse de soleil.—Le prince de Mantoue.—Première leçon d'équitation.—Devise latine signée Louis.—Les peintures de Fréminet et de Franco.—Lettre à la grande-duchesse de Toscane.—Superstition d'Héroard.—Le tireur d'épines.—Départ de Fontainebleau.—Passage à Melun et à Chaillot.—La comtesse de Guiche et la reine Marguerite.—Le partisan Montauban.—Collation à Ruel.—Arrivée à Saint-Germain.—Le Dauphin entre dans sa huitième année.—Le duc de Mantoue.—Visite à l'abbaye de Poissy.—Lettre au Roi.—La comtesse de Mansfeld.—Le Dauphin a la rougeole.—Portrait de Jeanne de Naples.—L'Hippostéologie d'Héroard.—Chasse avec le Roi.—Sensibilité de Henri IV.—La vaisselle d'argent du Dauphin.—Mot sur le maréchal de Biron.

Le 1er janvier, mardi, à Saint-Germain.—Éveillé à sept heures, il se fait lever pour recevoir ses étrennes. Il Janv
1608
écrit à la Reine une lettre où il ne voulut jamais écrire ce mot: bien; il vouloit écrire: bian, disant que c'étoit mieux dit, et se y opiniâtre de telle sorte qu'il lui fallut dresser une autre lettre où ce mot ne fût point.

Le 5, samedi.—Il tenoit une peinture du Roi sur du papier, où étoient les nom, surnom et qualités; il les lisoit. M. de Ventelet lui demande: «Monsieur, quand vous serez un jour le Roi, comment mettrez-vous?» Il répond brusquement: Ne parlons point de cela!—«Mais, Monsieur, vous le serez, s'il plaît à Dieu, un jour après papa».—Ne parlons point de cela!—«Monsieur, c'est que vous voulez dire qu'il faut prier Dieu qu'il donne longue vie à papa?»—Oui, c'est cela. En dînant il demanda si pour son souper il ne y auroit pas un gâteau pour faire les rois; M. de Ventelet lui dit que oui, et qu'il seroit le roi; Ho! non, dit-il, c'est papa.—«Monsieur, j'entends le roi de la fève, ce n'est que pour jouer; et là-dessus je lui dis: «Monsieur, il faudra s'il vous plaît des charges à tous vos serviteurs; que donnerez-vous à M. Birat?»—Ce sera le fou.—«Et à M. de Ventelet?»—Ce sera le bon vieux homme.—«Et à moi, Monsieur?»—Vous serez l'imprimeur. M. Boquet, mari de sa nourrice, lui demande une charge.—Vous serez maître Guillaume, c'étoit le fou du Roi[456]. Je poursuis à lui demander: «Et Janv
1608
à M. de Malleville que lui donnerez-vous?» (il étoit exempt aux gardes écossoises servant près de lui).—Ce sera Pantalon; il avoit la barbe assez grande.—«Et M. de la Pointe? (archer du corps, qui étoit gros)».—Ce sera le gros ventre.—«Et M. d'Origny? (son compagnon)».—Ce sera le cuisinier: il étoit un peu malpropre.—«Et maître Jean? (son sommelier)».—Ce sera l'ivre.—«Et maître Gilles? (son pannetier)».—Il sera confiturier.—«Et votre huissier de salle? (il faisoit des vers)».—Féfé Vaneuil a un petit chien, qui s'appelle Joly; quand ils seront ensemble ils feront des vers, et Joly les fera par le cul.—«Et de Vienne? (c'étoit son cuisinier)».—Ce sera Sibilot: c'étoit le fol du feu Roi.—«Et Champagne? Janv
1608
(garçon de garde-robe)».—Ce sera mon verseur de mede.—«Et M. Guérin? (son apothicaire).»—Ce sera Frely: c'étoit le nom que ledit Guérin avoit donné à l'un des chiens.—«Et M. de Cressy? (enseigne de la compagnie, qui étoit fort grand)».—Ce sera le petit Marin: c'étoit le nain de la Reine.—«Et M. Aude? (huissier de chambre de Madame, qu'il voyoit souvent enveloppé au visage)».—Ce sera l'enrhumé. M. Boquet, qui n'étoit pas content d'être maître Guillaume, le pressoit pour lui en donner un autre; M. Birat entre en la chambre, M. Boquet lui dit: «Monsieur, voilà M. Birat, quelle charge lui donnerez-vous?»—Ce sera maître Guillaume.—«Et moi, Monsieur, lui dit Boquet, que serai-je maintenant que je ne suis plus maître Guillaume?»—Vous serez maître Guillaume Dubois, le poëte de mousseu de Roquelaure (c'étoit un fol qui avoit été maçon et se faisoit croire qu'il faisoit bien des vers); mousseu Héroua, il me venoit voir souvent à Fontainebleau, sur la terrasse de ma chambre; il me montroit des vers, qui étoient si mal faits, si mal faits, me dit-il avec action comme s'il se y fût connu et en souriant.—«Et à M. de Bernet? (porteur de M. d'Orléans)».—Ce sera le nouveau tondu: il avoit ses cheveux et sa barbe faits de nouveau.—«Et Bourgeois? (l'un des huissiers de sa chambre, qui étoit vêtu de noir, portant le deuil)».—Ce sera la corneille.—«Et Montalier? (valet de garde-robe, portant le deuil)».—Ce sera le corbeau.—A six heures et un quart, soupé, il fait les Rois; il est le roi. Jamais il ne voulut permettre que l'on criât: le Roi boit!

Le 7, lundi.—Il se fait asseoir et donner un échiquier, pour jouer aux échecs contre Louise, fille de sa nourrice, prie M. de Ventelet de lui apprendre comme il faut jouer, le désire, y prend plaisir, y a de la patience.

Le 8, mardi.—Il s'amuse à peindre et à écrire[457]. Un Janv
1608
peu devant son coucher Mme de Vitry lui dit que l'on marioit M. d'Orléans; il demande: Mais est-il vrai?—«Oui, Monsieur, à Mlle de Montpensier[458]».—Quel âge a-t-elle?—«Dix-huit mois.»—Qui vous l'a dit?—«C'est La Concie, qui est à M. de Béthune.»—Mais le sait-il bien?—Il dit que oui.—Papa le veut-il bien?—Il dit que oui. «Monsieur, seriez-vous bien aise qu'il fût marié devant vous?»—Comment, avant moi?—«C'est-à-dire premier que vous.»—Non, je veux point être marié.—«Que ferez-vous donc?»—Quand je serai grand, je veux aller toujours à la guerre.

Le 11, vendredi.—M. de Frontenac l'entretenoit de Mme des Essars: «Monsieur, la connoissez-vous?»—Oui, je la connois bien, dit-il en souriant.—«Où l'avez-vous vue?»—Je l'ai vue à Fontainebleau, à la chambre de Mamanga.—«Monsieur, qui la menoit?»—Je sais pas, dit-il en souriant, car il le savoit bien et jamais ne voulut nommer. M. de Frontenac lui demande à l'oreille si ce n'étoit pas M. de la Varenne?—Oui (il étoit vrai).—«Monsieur, elle est accouchée d'une fille[459], vous avez là une autre sœu-sœu.»—Non.—«Pourquoi?»—Elle n'a pas été dans le ventre à maman.—«Papa la fera porter ici pour la faire baptiser, et veut que vous soyez le compère.»—Qui? papa?—«Oui, Monsieur.»—Comment la portera-t-on?—«L'on empruntera une litière pour la porter.»—Ah! oui, car si c'étoit la litière à maman, dit-il en hochant la tête et souriant, je monterois sur les mulets, je les ferois tant courir, tant courir, que tout iroit par Janv
1608
terre
. M. Birat lui dit tout bas: «Monsieur, c'est une femme que le Roi aime bien.»—C'est une putaine, si je l'aime point. Il s'amuse à ses canons, puis à une cassolette d'argent, dont il se joue. Madame lui dit: «Monsieur, il y faut mettre de l'eau rose et de la pastille.»—Non, ma sœur, je veux pas, Mamanga le veut pas. Elle le lui avoit dit, le matin, et qu'il n'y avoit point de meilleure cassolette que la senteur du genièvre.

Le 12, samedi.—M. de Frontenac prend congé de lui; il le prie de dire au Roi qu'il lui envoie un de ses portraits et à la Reine aussi. Il se va s'amuser aux portraits qu'il avoit à côté du chevet de son lit, attachés contre la tapisserie; celui du Roi son grand-père[460] y étoit: Comment s'appelle-t'y?—«Monsieur, il s'appeloit Antoine.»—Je suis donc bien marri que je n'aie nom Antoine.

Le 16, mercredi, à Saint-Germain.—Il fait copier le portrait du père de la Reine[461] par Boileau, ne peut partir d'auprès de lui, tant il est âpre à la peinture, n'en veut point aller à la messe. A midi dîné; amusé doucement jusques à trois heures, spécialement à crayonner avec du charbon, imite fort bien, me dit: Voyez, mousseu Héroua, je l'ai fait sans voir (sans regarder l'original), je l'avois en mon esprit; c'étoit un oiseau de la Chine; je lui dis qu'il étoit fort bien, mais qu'il y falloit encore la crête.—La crête? et, regardant l'original: Oui, mais je ne l'avois pas encore en mon esprit; je l'y veux mettre, puis je la peindrai. Arrive un gentilhomme de la part de M. et de Mme de Montpensier pour le saluer et voir M. d'Orléans de leur part, comme leur gendre, le contrat ayant été passé de son mariage avec Mlle leur fille le lundi précédent.

Le 17, jeudi.—Il envoie querir la grande horloge, où étoit le cours de la lune, la fait monter, y prend plaisir. Janv
1608
Il joue son ballet des Lanternes, et le fait danser à Gramont et à Louise, fille de sa nourrice, fait venir son violon et son joueur de luth, chante et fait la musique avec eux. Mme de Saint-Georges prie Bompar, page du Dauphin, d'aller chez M. d'Orléans querir sa besogne; il l'entend, le rappelle. Bompar ne revient point: Vous aurez le fouet, Bompar; Bompar aura le fouet. Il chante cela entre ses dents. Mme de Montglat l'en tance, et lui demande pourquoi il ne veut pas que Mme de Saint-Georges, qui est sa fille, prie son page de faire quelque chose pour elle; il répond: Parce qu'elle ne veut pas que son petit laquais fasse rien pour moi. (C'étoit une bourde.) Mme de Montglat tenoit assis sur son giron le Dauphin, marmonnant: Bompar aura le fouet; un page qui s'appelle Par, qui a des jarretières rouges et des chausses bleues, aura le fouet; sur ces entrefaites le page entre. Le Dauphin part sans dire mot, et lui va lancer un grand coup de pied sans le toucher; Mme de Montglat lui dit: «Eh bien, Monsieur, vous n'avez pas fait ce que je vous ai dit; souvenez-vous-en, je ne vous aime point.»—Mais, Mamanga, je vous aime bien.—«Vous ne m'aimez pas, puisque vous n'aimez pas mes enfants; quand ils prient ceux qui sont à vous de faire quelque chose pour eux, vous ne le voulez pas.»—Bon pour la mère, non pas pour les enfants.

Le 18, vendredi.—Il va en la chambre de M. d'Orléans, où il reconnoît une pièce tendue de sa tapisserie, l'empoigne en criant: Hé! ôtez! hé! velà de ma tapisserie, qu'on l'ôte! hé! on serre celle de mon frère pour lui faire servir la mienne. Je lui dis pour le divertir qu'il n'en falloit plus, puisqu'elle y avoit servi.—Fi! la vilaine tapisserie, je n'en veux plus. Mme de Montglat le menace du fouet, et tourne le dos pour aller querir des verges: Fi! la vilaine! qu'elle est laide! dit-il, en lui faisant les cornes. Il rentre en humeur de vouloir sa tapisserie, et il fallut obéir. Il étoit vrai aussi ce qu'il disoit de la tapisserie. A onze heures trois quarts, dîné; il s'amuse à son Janv
1608
horloge, à faire sonner le réveille-matin, fait la musique avec Hindret. A six heures et un quart, soupé; il s'amuse à porter Gramont et Louise dans la chaise de Madame Christienne, joue aux métiers, en invente de nouveaux: Soyons, dit-il, coupeurs de bourses.

Le 19, samedi, à Saint-Germain.—A une heure et un quart sorti gaiement par la porte de la chapelle; il y avoit cinq semaines qu'il n'étoit sorti, à cause du froid et des neiges qui depuis ce temps-là étoient tombées et étoient encore sur la terre, près de quatre ou cinq pieds, sans avoir diminué. La rivière fut toute glacée, une charrette y passa. Mené par les offices sur la terrasse, il faisoit comme le cheval échappé; il ne fait que courir sur le pavé où le chemin étoit frayé, prend plaisir à passer dans la neige. Ramené il va voir Boileau, qui crayonnoit son grand-père maternel.

Le 22, mardi.—Il s'amuse assis, à crayonner, pendant que Boileau le tire en crayon, s'y prête avec une facilité et une patience admirables. En soupant il entend que l'on disoit qu'il faisoit un extrême froid, comme il étoit vrai (je n'en ai jamais senti de pareil ni de si long, nous gelions près d'un grand feu); il dit en raillant de M. Birat, qui quelques jours auparavant avoit dit qu'il dégeloit: Je suis de l'avis de Birat, il dégèle; je suis astrologue, moi. Je lui demande: «Monsieur, qu'est-ce que astrologue?» Il répond en levant les yeux en haut à diverses fois et feignant d'écrire de son doigt dextre sur la main gauche: Je fais des almanachs, je regarde le globe.

Le 23, mercredi.—Il y avoit plus d'un mois qu'il faisoit une excessive froidure; il n'avoit jamais dit qu'il eût froid (encore le dit-il froidement) que ce jour-ci; aussi étoit-elle extrême. On ne le pouvoit faire tenir auprès du feu; toujours près des fenêtres du côté du préau, où il se jouoit. En écrivant ceci l'encre geloit, tant le froid étoit grand. A six heures et un quart soupé; le couvercle tenoit au verre et le pied du verre dans l'essai, tant le Janv
1608
froid étoit grand, et il fut soudainement gelé.—L'on parloit que M. de Vendôme feroit dimanche prochain un ballet devant le Roi à Paris.—Ho! Mamanga, j'y veux aller, j'irai bien! Je lui dis: «Mais, Monsieur, il fait un extrême froid!»—C'est tout un; je prendrai mon masque de mascarade (qui étoit noir), je n'aurai point de roupie.

Le 24, jeudi, à Saint-Germain.—A dix heures trois quarts il entend la messe en sa chambre, pour le grand froid. A midi dîné; son verre et le couvercle, et le pied du verre et l'essai tenoient ensemble, glacés.

Le 25, vendredi.—Il s'amuse à faire recoller par Hindret, son joueur de luth, une jambe de l'un de ses chevaux; ne faisant pas comme il lui étoit commandé, le Dauphin lui dit: Ha! vous êtes fâcheux; je dirai à papa qu'il vous ôte d'auprès de moi.—«Monsieur, le Roi ne vous croira pas.»—J'ai bien empêché qu'on vous a pas ôté.—«Monsieur, le Roi ne m'a pas voulu ôter.»—Qui donc? est-ce mousseu de Souvré?—«Non, Monsieur.»—Qui donc? Il le presse pour le savoir en ceci, se ressouvenant qu'il avoit prié M. de Rosny de mettre Hindret sur son état, à Fontainebleau, il y a eu un an devant Noël dernier, sur ce que quelques-uns l'en vouloient faire ôter.

Le 26, samedi.—Il me conte de ses petits oiseaux pris pendant la neige, qu'il avoit fait mettre dans la terrasse de sa chambre, où étoit sa fontaine, close en volière: J'ai une compagnie de petits oiseaux dans ma volière, que je y ai mis durant la gelée. Il y a un pinçon d'Ardenne, qui est le capitaine; un autre pinçon, le lieutenant, et un autre, l'enseigne. Il y a une alouette, qui est le tambour, et un chardonneret, qui est le fifre. J'ai fait mettre tous les jours, tous les jours, une terrine toute pleine de braise, et ils venoient tout autour, deux à deux, qui se chauffoient, et ils chantoient; puis je fis mettre du vin à l'eau qu'ils buvoient, et le tambour s'enivra.

Janv
1608

Le 27 janvier, dimanche.—Il se prend, contre sa coutume et son naturel, à baiser les petites filles, sur toutes la jeune Vitry: J'en veux, disoit-il, à la petite Vitry, la tiroit à part. Le jour précédent M. de Verneuil lui avoit dit: «Mon maître, baisons toutes les filles, il les faut baiser;» et par ce moyen rompit sa honte accoutumée.

Le 28, lundi, à Saint-Germain.—Il entend la messe en sa chambre, prend le goupillon, donne de l'eau bénite à chacun, suit la petite Vitry, et dit en lui en donnant: C'est à la petite Vitry que j'en veux donner, puisque c'est à elle que j'en veux.

Le 29, mardi.—Il dit ses quatrains, en sait cinquante. Il apprend un petit catéchisme fait par le P. Coton à la prière de Mme de Montglat[462]. En la demande: «Qui sont nos ennemis?» il y a, en la réponse: «Le monde, Satan, et la chair.»—La chair! dit le Dauphin en reprenant ce mot. «Oui, Monsieur, la chair,» répond Mme de Montglat.—Est-ce ma chair, Mamanga? dit-il en se tâtant.—«Oui, Monsieur, votre chair.»—Ho! ho! je la tuerai donc, dit-il en se frappant, Ha! ha! je vous tuerai! Mlle d'Agre lui demande, sur ce que l'on parloit de l'Infante et de M. d'Orléans, qui étoit marié: «Monsieur, voilà M. d'Orléans qui est marié»; il répond: Non, il est accordé.—«Et vous, Monsieur, ne le voulez-vous pas être?»—Non, je le veux pas être.—«Monsieur, ne le serez-vous pas à l'Infante?»—Non.—«Elle vous aime bien et a un portrait de vous.»—Qui le lui a envoyé?—«M. de Barreau, ambassadeur pour le Roi, le lui a donné; mais dites-moi Janv
1608
sans rire, l'aimez-vous pas?» Il répond en faisant le petit bec: Non; puis, s'approchant, lui dit bas à l'oreille: Un petit[463]. Il prend plaisir d'en ouïr parler, demande: Quel âge a-t-elle? est-elle grande? Il se joue avec les petites filles[464], passe par-dessus le lit de Mme de Montglat, se coule en la ruelle pour y baiser la petite Vitry.

Le 30 janvier, mercredi.—En s'habillant il me demande: Mousseu Héroua, quand irai-je à Paris?—«Monsieur, lui dis-je, quand il plaira à papa; il viendra ici dans peu de jours, vous lui demanderez quand il l'aura agréable et que vous alliez à la foire, et de vous donner de l'argent. Combien lui en demanderez-vous, Monsieur?»—Deux cents écus.—«Qu'en ferez-vous, Monsieur?»—Je les mettrai dans mon coffre.—«Ha! Monsieur, il ne faut point qu'un prince demande de l'argent pour le serrer dans son coffre.»—Je l'emploierai, dit-il, et là-dessus il désigne tous les présents qu'il fera pour la foire Saint-Germain.

Le 1er février, vendredi, à Saint-Germain.—Il arrive un gentilhomme breton qui revenoit d'Espagne et racontoit les beautés de l'Infante et l'amour qu'elle avoit pour Monseigneur le Dauphin. Il écoutoit avec plaisir sans en faire semblant; et comme le roi d'Espagne avoit défendu à l'Infante de dire qu'elle aimât Monseigneur le Dauphin: Je battrai bien ce roi d'Espagne.—«Mais Monsieur, lui dis-je, on dit qu'elle se veut déguiser pour vous voir.»

Le 3, dimanche.—Mené sur la terrasse du bâtiment neuf, ramené, par le petit jardin et le préau, au grand jardin et en la basse cour, où il a vu un fort grand loup, que l'on avoit pris le matin au piége. Mlle de Vendôme s'étoit coiffée en bourgeoise, et Madame s'en étoit aussi coiffée et avoit fait de même à la petite Frontenac, à la Fév
1608
petite Vitry, à la fille de sa nourrice, et à la petite Marguerite, qui étoit à Mlle de Vendôme; la petite Louise, fille de la nourrice de M. le Dauphin étoit la mariée. Le Dauphin prend une poche[465] et l'archet, se met entre Boileau et Hindret, ses joueurs de violon et de luth, joue avec eux, et ils font danser toutes ces bourgeoises; il joue froidement, va aux cadences et comme ceux qui jouoient aux noces.

Le 5, mardi, à Saint-Germain.—Il joue aux métiers, aux comédies avec Madame; il danse aux chansons, n'en veut point dire quelques-unes qu'il sait: Elles sont vilaines. Je lui demande qui les lui a apprises?—Parsonne, mais je les ai ouï chanter.

Le 6, mercredi.—Il vient à ma chambre à trois heures, me demande Vitruve, entre en mon étude: Je veux, dit-il, moi-même deviner le livre; il le tire, l'apporte lui-même en ma chambre. M. de Mansan, arrivé de Paris, lui apporte un crocheteur[466]; il s'y transporte, se y amusant jusques à près de cinq heures. A huit heures trois quarts, dévêtu, mis au lit, il me demande: Mousseu Héroua, dites-moi encore de l'aigle; c'étoit l'histoire de cette dame romaine qui avoit nourri l'aigle qui se brûla avec elle sur le bûcher, le jour de ses funérailles; je la lui avois faite le matin. Je voudrois bien, dit-il, avoir un aigle, mais est-il vrai? Il prenoit plaisir à quelque chose de sérieux, n'aimoit point à être trompé ni que l'on lui mentît.

Le 7, jeudi.—Il va au bâtiment neuf, sur la terrasse de Neptune, d'où il voit passer des hommes, d'un bord à l'autre, sur la rivière, qui étoit encore toute glacée, encore qu'il fît un temps doux.—M. Birat demandoit à Mlle Piolant: «Madamoiselle, avez-vous pas connu Albigny[467], fils de M. de Gordes? Il est mort.»—«Non, Fév
1608
j'ai connu le père, qui étoit bon serviteur du Roi. Où est-il mort?»—«En Savoie.»—Étoit-il Espagnol? demande le Dauphin.—«Non, Monsieur, répond Birat, mais il étoit avec M. de Savoie.»—«Il étoit donc Espagnol, reprend Mlle Piolant, puisqu'il étoit en Savoie, car M. de Savoie est Espagnol.»—Ha! que j'en suis donc bien aise, puisqu'il étoit Espagnol! dit le Dauphin avec exaltation, ha! que j'en suis bien aise qu'il est mort! L'on disoit que M. de Savoie l'avoit fait mourir.

Le 8, vendredi, à Saint-Germain.—Il descend en la chambre de M. de Verneuil pour lui voir danser la bohémienne, puis va en celle de Mlle de Vendôme, où Madame lui donne son petit bénitier d'argent; il y fait mettre de l'eau bénite et va en donnant à chacun. Je lui demande: «Monsieur, est-ce de l'eau bénite de Cour?»—Non, mousseu Héroua, c'est de la bonne.

Le 9, samedi.—Mené au bâtiment neuf et, par les offices, sur la terrasse, d'où il regarde passer des hommes sur la rivière, encore glacée d'un bord à autre, et si il y avoit quinze jours que le dégel avoit commencé. Ce fut un grand et rude hiver; le froid commença le jour Saint-Thomas[468]; plusieurs personnes en moururent.

Le 11, lundi.—Il est peigné pendant qu'il écrit le mémoire de son linge sale, pour bailler au lavandier. Il va chez Mlle de Vendôme; M. de Verneuil se y trouve, qui le conseille de baiser les filles, la petite Vitry et la petite Frontenac; ils se mettent après. Ma femme lui dit: «Monsieur, ne vous souvenez-vous pas de ce que M. Hérouard Fév
1608
vous en dit l'autre jour[469]?» Sans dire mot, le Dauphin se bouche les oreilles; M. de Verneuil lui dit: «Mon maître ne les écoutez pas!» Mlle d'Agre lui dit: «Mais vous, qui êtes cardinal, il vous faudra aller à Rome demander pardon au Pape.»—«Ho! oui, répond M. de Verneuil, ho! mon maître épousera la petite Frontenac et moi la petite Vitry.» Ramené en sa chambre, M. de Frontenac dit au Dauphin: «Monsieur, l'on m'a dit des nouvelles;» il se doute que c'étoit de sa fille, en est honteux et se prend à pleurer. Le soir il demande à danser aux chansons, et comme il fallut chanter la chanson où il y a: Mettons sous le pied ces garçons à marier, il se tire hors du branle et appelle Hindret, qui étoit seul (de danseur) avec lui. Il se retire près des fenêtres du préau, et lui dit: Ha! je vous réponds que je ferai demain bien fouetter ce cul brûlé; c'étoit la femme de chambre de Mme de Montglat, qu'il appeloit ainsi depuis qu'elle faillit à se brûler à Noisy. Il étoit en colère, et soudain approche de la danse: Fi! les pisseuses! fi! les pisseuses!

Le 12, mardi, à Saint-Germain.—A onze heures et demie dîné; il dit que son pain n'étoit pas bon, il étoit vrai; arrivent peu après les députés du chapitre de Metz pour le saluer, venant devers M. de Verneuil[470] de la part du chapitre; il les embrasse.

Le 13, mercredi.—M. de Montbazon et M. le Grand le devoient venir voir; Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, je veux que vous vous jetiez sur eux à corps perdu.»—Hé! maman, voulez-vous que je perde mon corps? Ils arrivent et lui apportent le pied du cerf; il les embrasse, les mène chez M. d'Orléans, où il va battant les joues des femmes de chambre et de Mme de Montglat avec le nerf pendant du pied du cerf. Ils s'en vont et lui en sa Fév
1608
chambre. A six heures et demie soupé; il mange du pain bis, du nôtre[471], n'ayant jamais voulu manger du sien, disant qu'il étoit amer; aussi n'étoit-il pas bon, étant fait de blé empiré[472], comme celui du matin et des jours précédents.

Le 14, jeudi.—Son pain fut envoyé à acheter au village, à l'heure de son dîner; le sien n'étoit pas encore bon. Il voit danser le ballet des sorciers et diables, dansé par des soldats de M. de Mansan, de l'invention de Jean-Baptiste[473], piémontois. A dix heures dévêtu, mis au lit, prié Dieu, il me dit: Mousseu Héroua, devinez où je mets mes mains?—«Monsieur, c'est entre vos jambes.»—Je les mets toujours sur ma guillery.

Le 15, vendredi.—Il fallut envoyer acheter du pain au village, le sien sentoit le blé pourri, à l'accoutumée.

Le 16, samedi.—Le sieur de Ferrals arrive de la part de la reine Marguerite, et lui apporte un navire d'argent doré sur roues, allant au vent à la hollandoise; il l'en remercie par écrit.

Le 19, mardi, à Saint-Germain.—Habillé par-dessus sa robe d'un pourpoint de toile blanche et d'un haut-de-chausses de même, et masqué, il recorde son ballet des Lanterniers.

Le 20, mercredi.—Mené à la messe en la petite salle, il y prend des cendres, puis il est ramené en sa chambre, où entrant il dit gaiement: Ha! c'est à ce coup que j'en ai, en portant sa main aux cheveux. A quatre heures il va au bâtiment neuf, au devant du Roi; à six heures soupé avec le Roi.

Le 21, jeudi.—Il va chez le Roi, où le nonce du Pape Ubaldini, évêque de Montepulciano, le vient saluer et Fév
1608
lui baiser les mains. Mené dans le carrosse du Roi à La Muette, au devant du Roi, qui étoit allé courir le cerf, il est entré dans la maison, voit passer le cerf à la Croix-Dauphin. Ramené à quatre heures et demie, il va à cinq heures chez le Roi. A six heures soupé; il va en la chambre de Mme de Montglat pour s'habiller pour danser son ballet, ne veut que personne le sache ni le voie, de peur d'être reconnu, et d'autant qu'il étoit habillé en fille, comme étoient aussi tous ceux qui le dansoient avec lui et masqués. C'étoient Mgr le Dauphin et Mlle de Vendôme, Mme et Mlle de Vitry; M. le Chevalier et M. de Verneuil; Marguerite, nièce de Mme Valon, et Mlle de Verneuil; Nicole, fille de la nourrice de Madame, et Louise, fille de celle de Mgr le Dauphin. Le ballet, c'étoit celui des Falots, pource qu'ils avoient chacun un demi-cercle revêtu de laurier, et au-dessus un petit falot où il y avoit de la bougie allumée; ils faisoient trois figures: un H, un O, un L, puis passoient sous les cercles et dansoient à la fin une courante. Ils partent à huit heures en la grande chambre du Roi, où, en sa présence, ils l'ont dansé fort bien, ne l'ayant point auparavant recordé masqués ni habillés. Le Roi en pleura de joie parlant à deux jésuites, l'un espagnol, l'autre italien. Toute la cour l'admira; ils l'avoient appris en quatre jours. A neuf heures un quart dévêtu, mis au lit, il voit le Piémontois, soldat en la compagnie de M. de Mansan, qui avoit inventé le ballet et dit, le montrant du doigt: Velà celui qui a inventé le ballet; comme voulant rendre l'honneur à celui auquel il étoit dû. Il envoie de son écriture à l'Infante avec ses recommandations, après s'en être fait un peu presser, et par permission du Roi, qui commanda au sieur Birat de l'apporter à un jésuite espagnol qui s'en alloit en Espagne. Le Dauphin avoit écrit ces mots: Le sage écoute le conseil que l'on lui donne.

Le 22, vendredi.—Il écrit cinq lignes d'exemple, en présence du P. Labastide, jésuite espagnol, qui s'en alloit Fév
1608
en Espagne, auquel il le bailla avec son baise-main à l'Infante. Il entend la messe, puis est mené sur la terrasse du Mercure, pensant y trouver le Roi, qui ne faisoit que de partir pour aller à la chasse, delà l'eau. A deux heures mené sur la terrasse de Mercure, il s'y joue jusqu'à deux heures trois quarts, est ramené pour se trouver à l'arrivée du Roi, en la cour du vieux château, revenant de la chasse. Il monte en sa chambre, et lui détache les aiguillettes de ses chausses à botter, avec affection et désir de complaire, puis il va en la salle du bal voir courir un blaireau. A cinq heures et demie mené chez le Roi, et à six heures soupé avec le Roi. A huit heures et demie il donne le bonsoir au Roi, est ramené en sa chambre, est en colère de ce que M. de Vendôme vouloit faire fouetter M. le Chevalier; il dit: Je dirai demain à papa, je vous en assure, que féfé Chevalier a été tout le jour avec moi, et que féfé Vendôme y a point été, qu'il est allé jouer aux cartes chez sœu-sœu Vendôme tout le jour. Il montre sa guillery à la petite Ventelet; Mme de Montglat l'en reprend, et lui demande qui lui a appris cela: C'est féfé Vendôme. Il l'accusoit par colère qu'il gardoit contre lui.

Le 23, samedi.—A huit heures il va chez le Roi, écrit en sa présence, puis à neuf heures déjeûne avec le Roi, mange du pain bis, de celui de mes valets qu'il envoya querir, et le Roi en mangea de même. Il va avec le Roi jusques au bout du palemail, est ramené par le jardin au château, à la messe. A une heure il entre en carrosse pour aller rencontrer le Roi, qui étoit à courir le cerf, s'arrête auprès de La Muette, où, à deux heures, dans le carrosse, il a goûté. Mené sur le lieu où le cerf avoit été pris, il lui est montré; c'étoit un cerf de dix cors. Ramené et arrivé au château à quatre heures, il toucha les chevaux avec le fouet du cocher, s'étant mis sur le devant. A cinq heures mené chez le Roi et à six heures soupé; il mange du beurre salé de Bretagne, Fév
1608
envoyé au Roi de la part de M. de Montmartin. A sept heures il va en sa chambre, en la chambre de Madame, joue du tabourin de basque fort bien, en concert avec Hindret, son joueur de luth, et Boileau son violon; il avoit appris de lui-même. A huit heures mené pour donner le bonsoir au Roi et jouer leur concert, il s'arrête à la porte du cabinet et ne voulut jamais entrer pour jouer, comme ayant reconnu que c'étoit chose messéante à sa qualité; le Roi le sut, et le trouve bon, et aussitôt qu'il eut su que le Roi avoit trouvé bon le refus qu'il en avoit fait, il entre incontinent et va donner le bonsoir au Roi.

Le 24, dimanche, à Saint-Germain.—Mené chez le Roi, il va avec lui à la messe, en la chapelle du bâtiment neuf; le Roi part à neuf heures et un quart pour s'en retourner à Paris. Joué aux jonchets avec sa nourrice; il se fâche quand elle gagne.

Le 25, lundi.—Il s'amuse à son canon d'argent, est mené sur la terrasse du bâtiment neuf, d'où il va en la cour voir courir un renard. A douze heures et un quart dîné; il est aux fenêtres du préau, voit dehors un petit porte-panier, l'appelle et lui demande d'où il étoit; lui ayant répondu qu'il étoit de Savoie, il lui commande de monter en sa chambre; il voit une écritoire dorée, il l'achète, une paire de couteaux, un ganif (sic), des plumes et de la cire d'Espagne; et à chaque pièce il demandoit: Combien cela? et à chacun il disoit: Ce n'est pas assez, il en faut tant. Il va au devant d'un valet de pied du Roi qui apportoit des lettres à Mme de Montglat, pour faire préparer le voyage de Fontainebleau, et lui demande: Papa m'envoye-t-il queri?—«Monsieur, je ne sais pas,» répond le valet.—Ho! nous velà bien camus! dit-il en souriant, puis quand il eut su le voyage: Ha! que le nez m'est revenu!

Le 28, jeudi.—Éveillé à six heures, il demande plusieurs fois s'il est jour, pour avoir à partir et aller à Paris Fév
1608
puis à Fontainebleau. A sept heures levé, à huit heures et demie déjeûné; il s'amuse à voir déménager pour partir. A dix heures il entend la messe en la petite salle, puis à onze heures dîné. Peu après il commence à presser le partement, va deçà delà, jette de l'argent aux pauvres, en envoie à un aveugle. A une heure et demie il entre dans le carrosse de la Reine, duquel la flèche, toute neuve, n'ayant fait que venir de Paris, se rompit au-dessous de la Verrerie, et il fallut le mettre avec Madame, M. et Mlle de Verneuil et Mlle de Vendôme dans le carrosse de M. de Béthune. Arrivé à Saint-Cloud, au logis de M. de Gondi, à quatre heures, il va aux jardins et surtout au petit ruisseau qui est sous le berceau, puis à la fontaine du rocher.

Le 29 février, vendredi.—Il aide à plier son lit, part de Saint-Cloud à neuf heures et demie, est porté à bras sur le pont de bois, puis remis en carrosse. Tous les princes et les seigneurs de la Cour viennent au-devant de lui; il y avoit plus de cinq cents chevaux. Arrivé au Louvre à onze heures et demie, le Roi le reçoit en son premier cabinet, puis le mène à la Reine, au grand cabinet; il lui saute au col (c'étoit au grand cabinet). Il va en sa chambre, au-dessus de celle du Roi, qui étoit celle où logeoit M. de Vendôme, que le Roi fit déloger et loger en sa chambre, et coucher en son lit. M. de Souvré mène le Dauphin, par la galerie, aux Tuileries; ramené à quatre heures et demie il va chez le Roi, puis au grand cabinet de la Reine, où le Roi le fait lutter contre M. le Chevalier.

Le 1er mars, samedi, au Louvre.—Il va chez le Roi, qui, par la galerie, le mène aux Tuileries, et entend la messe aux Capucins, et puis le ramène en son carrosse. Dîné avec le Roi.

Le 2, dimanche.—Il va à la fenêtre du côté des offices, voit passer deux carmes, demande à M. de Cressy, qui me l'a dit: Qui sont ces sortes de bêtes-là? Il va en carrosse visiter la reine Marguerite, au faubourg Saint-Germain, Mars
1608
au bout de la rue de Seine du côté de l'eau.

Le 3, lundi, au Louvre.—Mené à la galerie et à la messe, à la petite chapelle d'en haut.

Le 4, mardi.—Mené au Roi, en la galerie, où il sert le Roi, qui déjeunoit et s'en alloit à Chantilly.—L'ambassadeur de Venise, ancien, le vient voir et lui amenant le nouveau, il signor clarissimo Foscarini, prend congé de lui. Comme ils parloient à lui, il entend le tambour des gardes qui entroient, il s'ébranle pour les aller voir entrer en garde, y va suivi des ambassadeurs, qui trouvèrent fort bon ce mouvement. Mené chez la Reine, il lui demande permission d'aller au Palais; elle le lui permet; puis il la supplie de lui donner de l'argent; elle lui demande combien il veut: Dix écus; elle les lui donne. Je lui demande à son dîner pourquoi il n'avoit demandé davantage: Je voulois que cela. Sa nourrice lui dit pourquoi il n'en avoit demandé à M. Sully: Il ne m'en eût pas donné. La Reine lui donne un chameau et deux coffres; donne un bœuf[474] à M. de Verneuil; il lui dit: «Vous n'en faites pas cas, parce que maman le vous a donné; vous ne faites cas que de ce que vous donne votre maman.»

Le 5, mercredi.—A deux heures il est mené, par la rue Saint-Honoré, au Palais, en la galerie des Merciers, où il marchande; si on lui demande un écu d'une chose, il dit: Vous en aurez trois; il marchande un carrosse qui marchoit à ressort; on le fait quinze écus: Il en faut cinquante, et ne voulut jamais le prendre qu'il ne le vît payer. Il va en la galerie des Prisonniers, ne les voulut point voir (c'étoit par compassion et pitié), mais il leur fit jeter un doublon. Mené en la grande salle, il ne voulut entrer en la chambre dorée, où l'on lui dit que l'on rendoit la justice: J'y veux pas entrer, la justice y est, et je veux pas l'empêcher.

Chargement de la publicité...