Journal de Jean Héroard - Tome 1: Sur l'enfance et la jeunesse de Louis XIII (1601-1610)
Il en avoit autant dit après dîner, l'inventant et chantant sur le son d'une autre chanson, chantée par sa nourrice et Mlle de Ventelet.
Le 4, lundi.—M. de Ventelet lui demande: «Monsieur, n'aimez-vous pas les Espagnols?» il répond: Non.—«Pourquoi, Monsieur?»—Pource qu'ils sont ennemis de papa.—«Monsieur, aimez-vous bien l'Infante?»—Non.—«Monsieur, pourquoi?»—Pour l'amour qu'elle est Espagnole, je n'en veux point. Je lui dis: «Monsieur, elle vous fera roi d'Espagne et vous la ferez reine de France;» il répond en se souriant, comme de chose où il eût pris plaisir: Elle couchera donc avec moi et je lui ferai un petit enfant.—«Monsieur, comment le ferez-vous?»—Avec ma guillery, dit-il bas et avec honte.—«Monsieur, la baiserez-vous bien?»—Oui, comme cela, dit-il, en se jetant à corps perdu la face contre le traversin. Il va à la galerie, s'amuse aux outils du menuisier qui posoit les châssis de verre; on lui en nomme quelques-uns, je lui demandai: «Monsieur, comment s'appelle cela?»—Une varloppe.—«Et cela?»—C'est un Guillaume[171]. Il retenoit extrêmement bien les noms propres des choses.
Le 5, mardi.—Mme de Montglat lui apprend: Je crois
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en Dieu le père tout-puissant, etc., qu'il retient fort bien,
puis lui apprend ces mots qu'il prononce après elle:
Dieu est un esprit, et il ajoute du sien: Et gage que ce n'est
pas celui de la galerie rouge, se ressouvenant avoir autrefois
ouï dire qu'il y en revenoit un; il avoit l'œil et l'oreille
à tout, sans en faire semblant, retenoit tout, s'en
ressouvenoit et accommodoit les choses passées à celles
qu'il voyoit ou dont il avoit ouï parler.
Le 6, mercredi.—Je lui dis: «Monsieur, nous donnez-vous votre congé pour aller à Paris?»—Oui. Ma femme lui demande: «Monsieur, si nous revenions, en seriez-vous bien aise?»—Non.—«Monsieur, dis-je, pour combien de temps nous donnez-vous congé?»—Pour trois mois.—«Monsieur, si nous nous noyons, nous ferez-vous pêcher?»—Oui.—«Monsieur, avec quoi?»—Avec un filet. Notre coche faillit à tomber dans la rivière au port de Neuilly; nous y courûmes grande fortune[172].
Le 7, jeudi, à Saint-Germain.—M. et Mme de Rosny assistent à son souper.
Le 13, mercredi.—J'arrive à cinq heures avec mon beau-frère Montfaulcon, il me fait bonne chère[173].
Le 16, samedi.—Éveillé à sept heures il se tourne et
retourne dans son lit en toutes façons, dit qu'il va aux fontaines
tourner le robinet, fait, fss fss, puis me dit: Dites
grand merci moucheu Francino[174]. Je lui réponds: «Grand
merci, M. Francino; voulez-vous de l'argent?»—Oui.
Je lui mets en la main un quart d'écu.—Ho! ho! c'est
tout à bon[175].—«Je le donne au sieur Francino, non à
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M. le Dauphin, car il ne faut pas que les princes prennent
de l'argent.» Il m'écoute et le met dans son lit:
«Monsieur, lui dis-je, où est l'écu que je vous ai baillé?»—Il
est dans mon lit; il le prend et me le rend, puis change
de propos. J'irai à la chasse, je tuerai un sanglier avec mon
épée. Je lui dis: «Monsieur, vous irez à la chasse et porterez
votre épée, puis le sanglier qui viendra droit à
vous s'enferrera dedans, après vous lui donnerez un
coup d'épée, il mourra.»—Puis je lui couperai le cou.—«Monsieur,
non pas, vous lui ferez couper par les veneurs.»—Serai-je
pas veneur?—«Monsieur, vous commanderez
aux veneurs, qui couperont la hure, et vous la porterez à
papa, qui vous embrassera, il vous aimera tant; puis vous
irez prendre le cerf, lui donnerez un coup d'épée sur le
jarret, il tombera, vous lui ferez couper le pied, vous le
porterez à papa, qui vous caressera, vous appellera son
mignon, vous mènera dans sa belle galerie du Louvre.»—Du
Louvre! où est-il?—«A Paris, c'est la maison de papa;
dans sa galerie il y a des corselets d'or, d'argent (je lui
nomme toutes sortes d'armes); il vous dira: mon fils,
prenez ce que vous voudrez, voilà une clef de ma galerie
que je vous donne puisque vous êtes bon fils et
point opiniâtre, et que vous avez pris le sanglier et le
cerf.» Ce discours dura fort longtemps, tant il y prenoit
de plaisir; il dit encore: Quand j'irai à Paris, je
donnerai un coup d'épée à un Irlandois!—«Mais, Monsieur,
il ne faut pas qu'un prince fasse mal à personne
ni qu'il frappe jamais; si vous rencontrez des Irlandois
qui fassent du mal[176] vous commanderez que l'on les
mette entre les mains de la justice de papa.»—Oui, de
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la justice qui les mettra en prison au vieux château.—«Oui,
Monsieur, et si vous en trouvez qui dérobent, qui
volent les pauvres gens aussi.»—Ce voleur qui voloit sur la
corde étoit Irlandois? Il étoit vrai; il accommoda le mot de
voleur à l'autre signification, il l'avoit vu voler à Fontainebleau[177].—Et
puis s'ils sont voleurs il les faut mettre
entre les mains du grand prévôt. Il m'étonna d'avoir
nommé de son mouvement cette qualité et en avoir su
reconnoître la fonction.
Le 17, dimanche.—Il me fait redire les mêmes contes que je lui avois faits le matin du jour précédent; il y prenoit un grand plaisir, les écoutoit attentivement et il lui prenoit des tressaillements de courage quand j'étois sur les combats. Il dit: J'aurai mon grand tambour bleu et puis le tambour de taine[178].—«Oui, Monsieur, c'est un tambour de guerre.»—Oui, de guerre, il y va pour gagner sa vie.—«Oui, Monsieur, papa lui donne six francs par mois.»—Et à les soldats?—«Papa leur donne douze francs.» Il répète en soi-même douze francs et dit: Je leur veux donner six écus, moi.
Le 18, lundi, à Saint-Germain.—Il appelle M. le Chevalier: Cadet pisseux, Mlle de Vendôme, Cadette pisseuse, et se nomme lui-même Cadet de haut appétit, parce qu'autrefois il l'avoit ouï dire aux soldats.
Le 19, mardi.—Arrive M. de Crillon[179], mestre de
camp du régiment des gardes, qui ne l'avoit pas encore
vu; le Dauphin lui ôte son chapeau, lui donne sa main à
baiser, disant: Bonjou, moucheu de Crillon. M. de Crillon
lui dit: «Monsieur, voulez-vous que je tue cettui-ci, cettui-là?»—Non.—«Qui
donc?»—Les ennemis de papa. Le
Roi et la Reine arrivent à une heure et demie venant de
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Paris en carrosse, il va au devant en la cour, revient
avec LL. MM. en la galerie, s'asseoit à table avec eux, sert
la serviette au Roi, puis à la Reine. L'on met Favori, chien
de la Reine, sur la table, il demande: Ho! ho! qui est
stilà? lui tire l'oreille; le chien fault à le mordre. Mis à
bas il fait la révérence au Roi, qui le mène à la galerie
où il va à la guerre, tire des arquebusades[180]. Je crois
qu'il avoit la tête et le corps pleins de tambours, d'arquebuses,
de pistolets, de toutes sortes d'armes et de soldats.
A quatre heures trois quarts, le Roi et la Reine s'en
retournent à Paris.
Le 20, mercredi, à Saint-Germain.—Parti en carrosse pour aller à Carrière; il mène Madame pour tenir à baptême la fille de M. de la Salle avec M. le Chevalier; il voit paisiblement faire le baptême où Madame tenoit les pieds de la petite fille.
Le 21, jeudi.—Il se joue à coigner des clous à un vieux placet[181]. Mlle Piolant lui dit qu'il se donnât de garde de se blesser, il s'en fâche et lui jette son marteau; Mme de Montglat l'en tance et lui dit: «Monsieur, faites-lui baiser votre main.» Il la tend et l'approchant de sa bouche lui donne un petit soufflet et s'en va; peu après s'en repentant, mais non à l'heure, il va où étoit Mlle Piolant, l'embrasse et lui demande pardon. Sur l'heure il ne pardonnoit point; il falloit lui en parler, il songeoit, puis il y venoit de lui-même avec contenance de déplaisir d'avoir offensé.
Le 25, lundi.—Il fait danser, à la salle, des Limousins,
maçons qui travailloient à la muraille du parc.
Mené chez M. de Frontenac, qui fiançoit Mlle sa fille à M. de
Carbonnière, Mme de Montglat lui dit qu'il prît la damoiselle
par la main pour la mener fiancer; il la prend, la
mène au devant du curé, se fait prendre aux bras par
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M. Birat et écouta attentivement toutes les paroles du
curé, ayant toujours la vue arrêtée sur lui.
Le 26, mardi.—Mené au vieux château, où il prend par la main Mlle de Frontenac, la conduit dans la chapelle, la mène à l'offrande après avoir attentivement regardé et écouté tout ce qui s'étoit passé aux cérémonies d'épousailles, et la ramène en son logis. A une heure arrivent les députés de Zurich, Bâle et Schaffouse; celui de Zurich, chancelier, porta la parole, disant: «Monseigneur, Messieurs des Quatre Cantons, vos serviteurs et bons amis, alliés et confédérés, nous ont envoyés devers le Roi pour quelques affaires, desquelles nous lui avons parlé ces jours passés, et nous sommes venus ici, Monseigneur, pour vous voir et vous supplier de les tenir pour vos serviteurs, bons amis, alliés et confédérés. Aimez et assistez notre nation quand elle en aura besoin, espérant qu'avec le temps, vous serez roi de France; et pour notre particulier, Monseigneur, nous vous supplions de nous tenir pour vos très-humbles et affectionnés serviteurs, et prions Dieu qu'il vous accroisse en vertu comme en âge.» Le Dauphin répond: Messieurs, je vous remercie.—Il soupe à la noce de Mlle de Frontenac, ayant en sa table toute la compagnie.
Le 27, mercredi.—Il demande d'aller à la garenne; en approchant du bac il voit sept ou huit hommes delà l'eau et dit: Hé! je gage que velà la drôlerie du Pecq; c'étoient les gens du Pecq qu'à la mi-carême il avoit ouï nommer ainsi. Passé, mené le long de l'eau, il voit courir quelques lapins. Ramené au bac il s'amuse à jeter du papier dans l'eau en guise de bateaux.
Le 28, jeudi.—Il va en la galerie, s'amuse à voir planter des châssis aux fenêtres, considère les fruits des vases peints au lambris, les nomme.
Le 29, vendredi.—Mené à la grotte d'Orphée, où l'on
le fait enfin entrer, suivant Mme de Montglat, qui lui tendoit
des pois sucrés dans sa main; mais avant il fallut
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faire couvrir l'effigie[182] avec un linge; il voulut avoir
les clefs de peur que l'on ne le fît jouer.
Le 30 avril, samedi.—Il s'amuse à peindre sur du papier, imitoit les peintres, soutenant sa main droite, dont il tenoit la plume comme un pinceau par-dessus le bras gauche, comme font les peintres sur la verge[183], et conduisoit sa main et la plume aussi artistement qu'eût fait le peintre son pinceau.
Le 1er mai, dimanche, à Saint-Germain.—Le tambour de M. de Mansan lui apporte des bouquets; il va à Mme de Montglat: Hé! Mamanga, donnez un écu au tambour.—«Monsieur, votre trésorier n'est pas ici».—Hé! Mamanga, donnez-lui, je vous rendrai tout, mais que je sois grand.
Le 2, lundi.—Je pars pour aller à Paris[184].
Le 7, samedi.—M. de Guise le vient voir; il lui demande: «Monsieur, aimez-vous bien les Espagnols?»—Non, répond le Dauphin.
Le 9, lundi.—Mené promener aux grottes, il voit des forçats qu'on menoit à la galère, et se prend à pleurer, disant: Mamanga, je veux qu'on les laisse aller.
Le 13, vendredi.—Mme la comtesse de Guichen le vient voir; il tire d'une petite arbalète que la comtesse lui avoit donnée, monte sur le cheval du petit Lauzun, petit-fils de la comtesse[185].
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Le 14, samedi.—Il va jouer en la cour, dit aux soldats qu'il aimoit les Gascons; on lui demande: «Pourquoi?»—Pour ce que je suis de leur pays.
Le 18, mercredi, à Saint-Germain.—Il voit plusieurs sortes de satin de couleur, à doubler l'armoire de ses armes, choisit le bleu. J'arrive de Paris; il vient au devant en la cour: Que m'apportez-vous? Je lui baille un marmouset à cheval tenant une laisse de lévriers. Le soir, un peu avant de se coucher, il donne le mot au sieur de la Perrière, exempt; M. l'aumônier le lui demande, il lui répond: Il ne faut pas donner le mot au prêtre.
Le 24, mardi.—Mené au logis du sieur Francino, qui lui faisoit une petite fontaine.
Le 25, mercredi.—Il se joue en la galerie; M. de Favas[186] y vient, il lui baille son épieu de fer, son épieu de bois à M. de Belmont, et, à M. de Mansan, sa fourchette[187]; lui porte sa arquebuse, fait marcher M. de Favas à la tête, et va ainsi à la guerre. Il va chez Francino, en son cabinet, où il s'informe du nom de tout ce qu'il y voit.
Le 26, jeudi.—Sa remueuse lui donne un petit ménage de plomb, un calice, un encensoir, un coq et une femme, le tout dans une boîte; il range ces petites besognes. Mme de la Trimouille, fille de feu M. le prince d'Orange et de Mme de Jouarre, Mme la marquise de Royan, fille de feu M. le chancelier, vont à la chambre de M. de Verneuil; le Dauphin fut fâché que quelqu'un de ceux de Mme de la Trimouille lui avoit relevé de terre une petite balle; elle s'approche de lui, disant qu'elle le tanceroit bien: il lui donne un soufflet.
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Le 30 mai, lundi.—Il écoutoit sa nourrice se plaignant de ce que l'on avoit renvoyé de ses amis qui étoient venus pour voir le Dauphin; il se prend à pleurer, disant: Je veux qu'on les aille querir. Il s'étoit déchaussé étant à table, sa nourrice le veut chausser: Non, maman doundoun, je veux pas que vous me chaussiez.—«Pourquoi, Monsieur?»—Pource que vous m'avez donné à teter quand j'étois petit. Il va chez Francino, fait mettre un robinet à sa fontaine de bois, a la patience de voir tout faire.
Le 31, mardi.—Parti pour retourner au vieux château, à cause de la venue du Roi.[188]
Le 1er juin, mercredi, à Saint-Germain.—Mlle Prévost des Yveteaux[189] et Mlle Morin, de Chartres, assistent à son souper; il regarde attentivement Mlle Prévost, je lui dis que je vois bien qu'il est amoureux; il en sourit, puis feint de regarder ailleurs et la guigne du coin de l'œil. Mené au jardin, il entend deux soldats qui étoient à la prison de l'horloge, et dit: Je veux qu'ils sortent, Mamanga. Elle lui dit qu'il le falloit demander à M. de Mansan; il se retourne soudain pour aller à lui, qui étoit demeuré derrière, et lui dit: Taine[190], je veux, s'il vous plaît, que vous fassiez sortir ces soldats.
Le 2, jeudi.—Le comte de Saure, grand écuyer de l'Archiduc, revenant d'Espagne, lui baise la main, lui fait les recommandations de l'Infante, et dit qu'elle parle souvent de lui et que l'on désire en ce pays là bien fort de le y voir. A dîner on lui dit: «Monsieur, buvez à la santé de l'Infante,» il répond: Je m'en vas boire à ma maîtresse.
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Le 3, vendredi, à Saint-Germain.—Il vient en ma chambre, demande: Où est le lion? C'étoit le livre des animaux de Gesner; il les reconnoît, puis les oiseaux.
Le 4, samedi.—Il s'amuse dans son lit à une boîte de petites quilles à pirouette; je lui baille un petit singe de poterie qui avait le col cassé jusqu'aux épaules.—Il va sur les terrasses, se raille de Montméjan, soldat et gentilhomme gascon, en disant: Ce Montméjan qui dit: lou castel de mon païre, c'est-à-dire le château de mon père, s'en rendant lui-même l'interprète. Il monte en ma chambre, demande à voir les livres des oiseaux et des quadrupèdes de Gesner, puis: Où est celui des bâtiments? C'étoit celui de Vitruve, qu'il n'avoit vu il y avoit plus d'un an.
Le 6, lundi.—Il va en la chambre de Mme de Montglat. Je lui tiens la main pour écrire au Roi en cette sorte:
Papa, j'ay su que vous avez esté malade, j'en ay esté bien marry, mais j'ay tant prié Dieu qu'il vous a rendu vostre santé. J'en ai fait trois petits sauts. J'ay bien envie de vous voir, car je suis bien sage, plus opiniastre, et feray tout ce que vous me commanderez, et seray toute ma vie, Papa, votre très humble et très obéissant fils et petit valet.—Daulphin.
Deux soldats de la compagnie, pour s'être battus au corps de garde, étoient prisonniers; M. de Verneuil lui dit: «Mon maître, dites, s'il vous plaît, à M. de Belmont qu'il fasse sortir les prisonniers.»—Qu'ont-ils fait? dit-il brusquement et de lui-même; on lui dit qu'ils s'étoient battus; il va froidement à M. de Belmont: Belmont, faites sortir les prisonniers, faites, faites. Les deux soldats arrivent, il leur dit de son mouvement: Soyez sages, ne vous battez plus, et, peu après, les voyant encore là: Allez vous-en au corps de garde.
Le 7, mardi.—Il va au bâtiment neuf, chez le menuisier,
pour voir faire son jardin de bois, puis chez le sieur
Francino pour y voir la fontaine qu'il lui faisoit. Le soir il
dit à Mme de Montglat: Mamanga, faites pas dire Pater, faites
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dire notre Père. Étant à ces mots: Ton règne advienne:
Mamanga, qu'est-ce à dire ton règne advienne? Mme de Montglat
lui en donne raison, et il continue: Mamanga, qu'est-ce
à dire: et nous pardonnez nos offenses?—«Monsieur, c'est
que nous offensons le bon Dieu tous les jours, nous le
prions qu'il nous pardonne;» à ces mots: Et nous garde
du malin: Mamanga, qu'est-ce à dire malin?—«Monsieur,
c'est le mauvais ange qui vous fait dire: Allez-vous-en!
Parlez plus haut!» et autres traits de son opiniâtreté. Il
dit encore à Mme de Montglat: Le bon Dieu a été sur la croix,
Mamanga. Je lui demande: «Monsieur, pourquoi?»—Pour
ce que nous avions tous été opiniâtres, vous, Mamanga,
moi aussi, maman doundoun et mademoiselle Héouard.
Le 8, mercredi.—Éveillé il chante dans son lit:
Le Roi arrive au bâtiment neuf; il part avec une extrême impatience de le voir, court au Roi, qui l'attendoit sur la porte de la salle du bâtiment neuf, le baise, l'accole; à une heure dîné avec le Roi. La Reine arrive à une heure et demie; il la va recevoir à la descente de son carrosse, à la porte de la salle; elle le baise par-dessous le masque. Il va en la galerie avec LL. MM., puis suit la Reine, qui s'en alloit dîner, lui donne la serviette. Il s'en va avec la Reine en la chambre, voit un homme qu'il n'avoit point vu il y avoit un an, qui faisoit des fusées, s'en va au Roi: Papa, velà celui qui fait des fusées, ce qui étonna tout le monde pour sa mémoire.
Le 9, jeudi.—MM. de Crillon et de Favas assistent à son
lever. Le Roi le promène, puis le mène en la chapelle,
après le ramène à pied à la procession, portant aussi
son cierge, puis le ramène à la chapelle. Le Roi se voulant
jouer à lui l'appelle vilain, et lui dit qu'il n'est pas
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gentilhomme; le voilà en colère extrême; le Roi en fut
fâché, et lui dit qu'il étoit gentilhomme: il ne s'apaise
aucunement, et fut mené dehors et porté en sa chambre.
Le Roi sortant de la messe, il entend le tambour et dit:
Je veux aller dîner avec papa; il y va et dîne à douze
heures et demie. Mené en la chambre du Roi, il est ensuite
ramené en la carrosse[192] avec LL. MM. au château
vieux. M. d'Alincourt prend congé de lui, allant partir
à l'heure pour aller à Rome. Il se joue avec M. de Courtenvaux,
pour lequel il avoit une merveilleuse inclination.
Le 10, vendredi, à Saint-Germain.—Mené chez le Roi au bâtiment neuf; le Roi, qui étoit dans le lit pour un peu de goutte, le fait mettre, lui et Madame, dans le lit auprès de lui, tout nus. Madame cause, M. le Dauphin en est l'interprète[193] et le rapporte en souriant au Roi.
Le 11, samedi.—A neuf heures mené chez le Roi, qui étoit au lit; il va chez la Reine, prend sa petite boîte ronde d'argent et une aiguille d'argent, en fait un tambourin, retourne chez le Roi, puis en la galerie. Dîné avec la Reine. Dépouillé et Madame aussi, ils sont mis nus dans le lit avec le Roi, où ils se baisent, gazouillent et donnent beaucoup de plaisir au Roi. Le Roi lui demande: «Mon fils, où est le paquet de l'Infante?» Il le montre, disant: Il n'y a point d'os, papa; puis comme il fut un peu tendu: Il y en a astheure, il y en a quelquefois. Il assiste aux fiançailles de M. le prince de Conty avec Mlle de Guise[194], à huit heures.
Le 12, dimanche.—Mené par le pont du Roi au bâtiment
neuf, au Roi, encore au lit pour sa goutte; la Reine
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lui donne une enseigne de diamants avec un bouquet de
plumes d'argent. Ramené à cinq heures au vieux château,
il va en sa chambre, où il fait jouer et chanter la musique
de la Reine (quatre luths et deux voix de petits enfants),
l'écoute avec ravissement.
Le 13, lundi, à Saint-Germain.—Il va chez Mlle de Guise, qui le matin, à six heures, avoit été épousée; mené au Roi en carrosse au bâtiment neuf. Le Roi le fait mettre nu avec lui dans le lit; revêtu, il descend à la grotte sèche avec LL. MM., qui y font collation.
Le 14, mardi.—Mené à la chambre de la mariée (c'étoit Mlle de Guise, qui avoit été le soir précédent mariée), puis à la chapelle, où en allant il trouve une pauvre femme qui prioit pour son mari, à qui l'on avoit confisqué le bien: Mamanga, donnez de l'argent à cette femme. M. de la Noue[195] le vient voir. Mené au Roi au bâtiment neuf; le Roi et la Reine sont partis pour retourner à Paris, à trois heures.
Le 15, mercredi.—Il monte en la chambre de sa nourrice, lui demande ses ciseaux; elle les lui baille, il les jette dans le fossé, puis veut aller dans le fossé pour les querir, va tout plein de feu jusqu'au dessous du pont-levis; on le lui fait regarder: Qu'est cela? demande-t-il.—«Monsieur, c'est le pont-levis qui vous tombera dessus la tête»; il tourne court, et remonte.
Le 17, vendredi.—Mené au Roi et à la Reine revenant de Paris. Mis au lit, on lui demande la différence qu'il y avoit d'un fils à une fille, il songe, puis dit: Je le dirai demain, je sais pas, je veux songer en mon lit.
Le 18, samedi.—Il se fait mettre au lit avec sa nourrice;
le Roi y vient à huit heures, et l'y trouve; il
chante: Miquele se veut marida, papa. A neuf heures, il
s'en va avec le Roi en carrosse, va voir la Reine, encore
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au lit, se joue, va prendre un placet[196] pour en faire
des fontaines. Mme de Montglat en veut apporter un
autre, il entre soudain en colère: Je vous battrai,
Mamanga, et va sur elle, la frappe: Je vous tuerai, maman.
Le Roi le fouette sur les fesses avec la main; ne se taisant
point, le refouette encore, puis s'en va; il se jette à
terre, puis feint de ne pouvoir cheminer, va clopinant,
pleurant, criant: Hé! Mamanga, papa m'a rompu la cuisse,
mettez-moi de l'onguent. A trois heures mené en litière,
avec Madame, chez le Roi, qui le mène voir la chasse aux
toiles, aux Loges.
Le 20, lundi, à Saint-Germain.—Il se joue dans le cabinet du Roi avec des petites tenailles dont il pinçoit le couvercle, peint de personnages, d'une boîte de Flandres.
Le 21, mardi.—Il vient en ma chambre, s'amuse aux oiseaux[197], au siége d'Ostende et à la carte de Flandres.
Le 23, jeudi.—Mené chez M. de Frontenac, d'où il voit mettre le feu au bûcher de la Saint-Jean.
Le 24, vendredi.—M. le comte de Soissons le vient
voir, il entre en mauvaise humeur, ne le veut point accoler
ni saluer; on lui apporte une pièce du biscuit du
Roi, on lui dit que c'est M. le comte de Soissons qui l'a
envoyée querir; il le va accoler et l'en remercie. A deux
heures et demie goûté sur le haut de l'escalier, assis sur
le premier degré; M. de Montbazon et M. de Rosny y
étoient. M. de Rosny lui demande: «Monsieur, qui est le
plus enfant de nous deux?»—C'est moucheu de Montbazon.
Il va en bas, à la chambre de M. de Souvré; M. de
Rosny y va, lui porte une bourse.—Je n'en veux point,
elle est pas belle.—«Mais, Monsieur, vous voyez qu'elle
est si belle! il y a de si beaux dauphins!»—Non, alle est
vilaine; si vous me la baillez, je la jetterai dans le fossé.—«Mais,
Monsieur, voyez! il y a de si beaux demi-écus
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dedans,» et on les vide dans un tablier. Il les prend, les
remet dans la bourse, la jette en disant: Allez, vilaine.—«Monsieur,
dit M. de Rosny, que vous plaît-il donc que
je vous donne?»—Un petit carrosse. Mené au bâtiment
neuf, il court après le Roi et la Reine, ores à l'un puis à
l'autre, se jouant à eux; le Roi le fait décoiffer et aller
tête nue; la Reine mettant la main à sa guillery dit:
«Mon fils, j'ai pris votre bec.»
Le 25, samedi.—En dînant Mme de Montglat parloit d'aller voir M. de Rosny pour lui parler d'affaires; M. le Dauphin, se retournant soudain vers elle, dit: Et du lit de maman doundoun. Il s'amuse à la fenêtre du passage entrant au petit cabinet, à faire battre le tambour du sieur de Mainville, capitaine aux gardes, lui fait battre les batteries espagnole, angloise, wallone, italienne, piémontoise, moresque, écossoise, lombarde, allemande, turque, puis la françoise, une chamade, un assaut, puis lui dit: C'est assez! battez au champ vous en allant. A cinq heures il va au bâtiment neuf voir la Reine, qui étoit prête à se lever du lit; le Roi le fait mettre tête nue.
Le 26, dimanche.—Le Roi l'envoie querir à dix heures et demie; il se y en va, tabourin battant, trouve le Roi écrivant, cesse son tambour, et jamais ne voulut battre. Ayant salué le Roi, il va chez la Reine, puis en la galerie pour battre son tambour; le Roi y vient: «Mon fils, ne battez plus»; il cesse aussitôt, et baille à garder son tambour à M. le Chevalier. Il va chez la Reine, où il se met en mauvaise humeur pour ce qu'il vouloit et jetoit la poudre de la Reine avec la houppe; la Reine envoye querir des verges par le nain Camille; aussitôt qu'il les voit entrer, sans dire mot il s'encourt à la Reine l'embrasser.
Le 27, lundi.—Le Roi part à quatre heures du
matin pour aller à Paris. Mené chez la Reine, le Dauphin
la rencontre dans la galerie revenant de la messe, va
dîner avec elle. Il s'en va avec la Reine; elle lui coupe
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les cheveux sur le front et les tempes; il est tout changé,
semble un de ces gros visages de moines. La Reine s'en
va en litière[198] par Saint-Cloud à Paris.
Le 30 juin, jeudi, à Saint-Germain.—On lui demande: «Monsieur, quand vous serez baptisé, comment aurez-vous nom?»—Henry. Il battoit de sa cuiller sur le bord du plat qu'il tenoit d'une main, disant: Mamanga, je sonne les heures comme le Jacquemard qui frappe sur l'enclume. Je lui demande: «Monsieur, où est ce Jacquemard?»—A Fontainebleau[199].—Il s'amuse à monter la montre triangulaire de Mme de Montglat, la monte fort bien.
Le 1er juillet, vendredi, à Saint-Germain.—Il développe les portraits du Roi et de la Reine, les baise disant en se jouant: Velà moucheu papa et velà madame maman. Je pars pour aller à Paris[200].
Le 7, jeudi.—Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, vous courez trop! papa ne fait pas comme cela.»—Non, Mamanga, mais quand il étoit petit comme moi il couroit comme ça.
Le 9, samedi.—M. de Montmorency, fils de M. le
connétable[201], M. le comte d'Alès, fils de M. le comte
d'Auvergne[202], M. le comte de la Voulte, fils de M. de
Ventadour[203], M. de Précy, fils de M. de Bouteville-Montmorency[204],
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et Mlle de Montmorency[205] arrivent; le
Dauphin va à la chapelle, où il a fort crié; il faut envoyer
querir Thomas, le maçon, il s'apaise. A dîner M. de Montmorency
lui sert à boire; il écrit au Roi par un nommé
Nervèze[206], qui lui avoit donné un petit livre. A souper
M. de Montmorency lui sert la serviette à laver[207]; le
Dauphin, la prenant, dit: Or ça, je m'en vas laver à la
françoise, et prenant la serviette, la toupillant: Voyez,
velà comme on se lave à la françoise.
Le 10, dimanche, à Saint-Germain.—J'arrive de Paris avec M. de Souvré; il me voit du dessus de la terrasse de la salle du bal, m'appelle et me demande: Que m'apportez-vous? Je lui montre un papier sous le bras où il y avoit un cheval et un gendarme enveloppés; il se prend à tressaillir de joie et à courir pour venir à bas, vient à moi à sauts. Après dîner il va à la guerre, fait tirer son petit carrosse par MM. de Montmorency, de Ventadour, comte d'Alès et de Bouteville.
Le 11, lundi.—Il rencontre deux demoiselles, pas trop mal vêtues, qui ne demandoient encore rien; il reconnoît qu'elles avoient besoin, et leur donne un quart d'écu. A souper il se fait donner à boire par Mlle de Montmorency, ayant vu qu'elle en donnoit à Madame.
Le 12, mardi.—En passant par la salle il voit M. du Servon-Mailler assis dans une chaise, à cause de sa goutte; il va à lui, lui tend la main à baiser, et voyant qu'il avoit peine à se tenir: Seyez-vous, seyez-vous, lui dit-il, avec compassion et respect pour son âge.
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Le 13, mercredi.—Il reprend M. de Ventelet, qui disoit: Celui-ci. Je lui demande: «Monsieur, comment faut-il donc dire?»—Cettui-ci. L'on parloit de la reine Marguerite et on demandoit comment il l'appelleroit[208]; quelqu'un dit qu'il l'appelleroit sa tante.—Non, je l'appellerai ma sœur, ce sera Madame qui l'appellera sa tante.—«Monsieur, lui dit quelqu'un, ç'a été la femme à papa.»—Non, c'est maman, dit-il brusquement.
Le 14, jeudi, à Saint-Germain.—Mené au jardin, il rencontre en allant Mme la comtesse de Moret.
Le 15, vendredi.—Se jouant avec M. de Montmorency et M. le comte de la Voulte, qui lui demandoient congé de s'en retourner le lendemain: Non, dit-il, je veux que vous demeuriez avec moi.—«Monsieur, dit Birat, quelle charge lui donnerez-vous quand vous serez grand?»—Je le fairai mon connétable.—«Et à M. de la Voulte?»—Amiral. Mis au lit, il embrasse M. de Montmorency, qui lui disoit adieu pour s'en retourner à Chantilly, en fait autant aux sieurs comte de la Voulte, comte d'Alès et de Pressy; puis à Mlle de Montmorency il fait le honteux, ne la veut point embrasser, prend courage et l'embrasse avec honte, sans la baiser, donne la main à baiser à leur suite.
Le 19, mardi.—M. le baron de Toun, grand maréchal
de Lorraine, le vient visiter de la part de Son Altesse
et assiste à son souper; ce baron voulant prendre congé
de lui, le Dauphin ne voulut jamais dire qu'il fut le serviteur
de M. de Lorraine, comme Mme de Montglat le lui
vouloit faire dire; il dit seulement entre ses dents: Je
lui baise les mains. Quand il fut parti, Mme de Montglat lui
dit: «Monsieur, pourquoi n'avez-vous voulu dire à ce
gentilhomme que vous étiez serviteur de M. de Lorraine,
Juil
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votre oncle?» Il songe, et puis répond: Pource que je suis
trop petit.
Le 21, jeudi, à Saint-Germain.—On lui dit qu'il falloit qu'il appelât la reine Marguerite: Maman.—Pourquoi?—Mme de Montglat lui dit: «Pource que maman le veut.» La Reine l'avoit ainsi commandé par lettre expresse, que Mme de Montglat venoit de recevoir.
Le 23, samedi.—Le sieur de la Lane, maître d'hôtel de la reine Marguerite, arrivée à Madrid depuis trois jours, vient pour visiter le Dauphin de sa part et lui dire qu'elle lui baisoit les mains et pour s'excuser si elle n'étoit venue pour le voir, ce qu'elle feroit se trouvant délassée du travail du chemin et lorsqu'elle auroit eu l'honneur de voir le Roi. Le Dauphin lui répond: Je la remercie bien humblement, je suis son serviteur. Comment se porte maman?—M. de Longueville, Mme de la Trimouille arrivent; Mme de Montglat lui ayant dit que Mme de la Trimouille le venoit voir et qu'il eût à lui dire qu'il étoit petit quand il lui donna le soufflet au bâtiment[209]: Mais, mamanga, elle est aveugle qu'elle porte cela si longtemps sur le nez? se ressouvenant que le bout de sa coiffure y étoit avancé fort bas. Il observoit tout, jusques aux plus petites choses.
Le 24, dimanche.—Tout le long du dîner il est transporté et comme ravi de la musique des violons du Roi, qui étoient quinze, auxquels, pour la fin, il commanda de jouer la guerre, n'ayant dit que ce mot durant tout le dîner; ils ne la surent jouer.
Le 25, lundi.—Étant au droit de la chapelle, Madame
se trouva dans l'allée qui est vis-à-vis; on les fait
avancer, ils s'entre saluent, et comme il fut à six pas près,
sa nourrice lui dit: «Monsieur, il ne faut pas approcher
de Madame davantage que cela[210]»; il s'arrête, faisant sa
Juil
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petite lippe assez longue, et à la fin il lui en tombe des
larmes des yeux et à Madame aussi, qui en firent faire
autant à toute la troupe.
Le 26 juillet, mardi.—Cejourd'hui le Roi a vu, au château de Madrid, la reine Marguerite.
Le 27, mercredi.—Il vient en mon étude, veut voir le livre de Mathiole[211], où il avoit autrefois vu des poissons.
Le 28, jeudi.—J'eus l'honneur de lui donner sa chemise, Mme de Montglat n'y étoit pas.
Le 29, vendredi.—Le Roi arrive au bâtiment neuf, accompagné de Don Juan de Médicis[212], oncle bâtard de la Reine; mené par le pont du Roi à S. M., il lui court, lui saute au col, le mène à la galerie, où il joue au palemail. Dîné avec le Roi.
Le 30, dimanche.—Mené au bâtiment neuf au Roi et à la Reine; il se joue au Roi, ayant respect et crainte de le blesser sur le lit, où il étoit, ayant mal aux dents et le visage enflé.
Le 1er août, lundi, à Saint-Germain.—Mené à quatre heures au bâtiment neuf, le Roi se reposoit sur son lit; il dresse en la ruelle tout son petit ménage de poterie verte; M. de Verneuil étoit un des cuisiniers. A six heures il donne le bonjour au Roi et à la Reine, prend le mot du Roi et le baille à M. de Créquy, mestre de camp du régiment des gardes.
Le 2, mardi.—Mené à la chapelle, où il voit tout le préparatif pour faire le service pour le feu Roi[213]; il s'informe de toutes les pièces: Pourquoi ceci? pourquoi cela? puis s'en va ne y étant point demeuré, les Dauphins n'assistant jamais aux services des funérailles.
Le 3, mercredi.—A dîner il mange sans dire mot et
Août
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comme transporté de joie d'ouïr jouer un flageolet d'un
estropié que l'on nommoit cul-de-jatte, lequel après
avoir joué longtemps et deux violons avec lui, lui va dire
d'une voix rude: «Monsieur, buvez à nous.» Il devient
rouge, disant soudain: Je veux qu'il s'en aille, je veux
qu'il s'en aille, maman. Je lui dis: «Monsieur, il est un
pauvre, il ne les faut pas chasser».—Il ne faut pas que
les pauvres viennent ici.—«Monsieur, non pas tous, ou
bien ceux qui vous font jouer comme lui».—Qu'il aille
donc jouer là-bas.—Mme de Montglat l'en veut aussi
distraire, il lui répond: Mamanga, il m'étourdit, et puis
après dit: Je ne bois qu'à papa et à maman.—Il s'amuse
sur une petite planche à imiter le sieur Francisco, que le
jour précédent il avoit vu travailler en cire, à faire des
modèles de figures, et dit: Je fais le modèle d'une fontaine,
je fais le modèle d'un singe; il l'avoit vu le jour précédent
à la galerie où travailloit Francisco.
Le 4, jeudi, à Saint-Germain.—A dix heures mené par le petit pont au bâtiment neuf, au Roi, en la galerie; M. de Béthune y arrive, revenant ambassadeur de Rome; sur ce sujet le Roi lui demande: «Mon fils, voulez-vous aller à Rome?»—Non, papa.—«Où voulez-vous donc aller?»—Je veux demeurer auprès de vous, papa.
Le 5, vendredi.—Il va en la chambre de Madame, où étoit son peintre, maître Martin, qui la peignoit; il se fait donner un pinceau, demande de la peinture. «Monsieur, dis-je, de laquelle voulez-vous?»—De la bleue. C'étoit une couleur qu'il aimoit naturellement et qu'il avoit toujours aimée.
Le 6, samedi.—Je lui dis: «Monsieur, habillez-vous
vîtement; vous irez au parc voir papa, qui vous donnera
un beau canon qu'il fait promener avec des chevaux, ou
bien M. de Verneuil ira le premier, et il l'aura.—Féfé
Vaneuil dort encore.—«Monsieur, vous me pardonnerez,
il est levé et est allé trouver papa».—Ho! non; papa veut
pas qu'il aille qu'avec moi! Mené à LL. MM. Ramené, appelant:
Août
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Allons, féfé Vendôme, féfé Chevalier, allons féfé
Vaneuil! Il ne y vouloit laisser personne de ces Messieurs
après lui.—L'après-dînée il demanda à Mlle de Ventelet:
Tetai, où a-t-on porté cette messe noire qui étoit à la chapelle?
(c'étoient les meubles pour le service du feu Roi).—«Monsieur
on l'a rapportée à Paris».—Pourquoi est-elle
noire?—«Monsieur, c'est pour prier Dieu pour le feu
Roi, vous devez bien prier Dieu pour lui.»—Pourquoi?—«Monsieur,
pource que vous ne seriez pas ce que vous êtes.»—A
quatre heures et demie mis dans le carrosse de la
Reine pour aller au-devant de la reine Marguerite; il est
accompagné de Madame, de MM. de Vendôme, de Verneuil,
de Souvré. Il va par la levée près de Ruel et, la
Reine ne venant point encore, il revient en l'hôtellerie
qui est sur la levée, où il a soupé. Remis en carrosse,
il va au-devant de la reine Marguerite, et étant environ
le milieu de la muraille du clos de M. le président Chevalier,
qui est sur le chemin de la levée, il met pied à
terre. Elle, le voyant aussi, descend de la litière que la
Reine lui avoit envoyée, et ils se rencontrent au droit du
bout de la muraille du clos, à gauche en allant. M. le
Dauphin de dix pas ôte son chapeau, va à elle; on le lève,
il la baise et l'embrasse: Vous, soyez la bien-venue, maman
ma fille.—«Monsieur, lui dit la Reine, je vous remercie,
il y a fort longtemps que j'avois desir de vous voir.»
Elle le baise de rechef; l'on le reprend au bras (c'étoit
Birat) et, faisant le honteux et le vieux, il se cachoit de
son chapeau. «Mon Dieu, reprend la Reine, que vous êtes
beau! vous avez bien la mine royale pour commander
comme vous ferez un jour.» Elle baise Madame et puis les
autres Messieurs; il rentre en carrosse et elle en litière.
M. le Dauphin s'endort à demi-chemin, et arrive en sa
chambre tout endormi, à huit heures trois quarts. La
reine Marguerite arrive aussi à cette heure.
Le 7, dimanche.—A dix heures mené au bâtiment neuf,
il salue la Reine, et puis va en la galerie trouver le Roi et la
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reine Marguerite, qui se promenoient il y avoit plus d'une
heure; il court, se promène tête nue; la reine Marguerite
lui fait de grandes caresses, et quitte le Roi pour l'aller
trouver. Le Roi la mène et lui aussi à la messe. A deux
heures la reine Marguerite lui envoie un présent par
Mme de Lansac, sa dame d'honneur; ce fut un Cupidon parsemé
de diamants, assis sur un dauphin, et tenant un arc
d'une main et un brandon de l'autre, parsemé de diamants;
au ventre du dauphin il y avoit une émeraude
gravée d'un dauphin couronné et entouré de petits diamants,
et un petit cimeterre parsemé de diamants; elle
envoya à Madame un serre-tête de diamants.—Les députés
du Clergé, de l'assemblée générale séant à Paris,
viennent saluer le Dauphin. La reine Marguerite le vient
voir, il s'en va au devant jusques à l'entrée du pied de
l'escalier; remonté en sa chambre, où il a goûté devant
elle, il va avec elle, dans le carrosse, au bâtiment neuf. Le
soir la reine Marguerite envoie à sa nourrice un bassin
doré et un vase de même; il en fait le remerciement:
Je remercie maman ma fille pour maman doundoun.
Le 8, lundi, à Saint-Germain.—Il entend lire des vers faits en l'honneur du Roi et du sien par M. Nervèze, passe sa main devant le visage, sur le front comme ceux qui y ont de la pesanteur, et bâille[214].
Le 9, mardi.—Il donne la chemise au Roi revenant de la chasse; dîné avec le Roi.
Le 11, jeudi.—Mené à neuf heures trois quarts au
bâtiment neuf, trouver le Roi et la Reine; la Reine étoit
au lit, le Roi assis dessus et la reine Marguerite à genoux,
appuyée contre le lit[215]. M. le Dauphin mis sur le lit se
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joue à un petit chien que le Roi lui avoit prêté; il dit
adieu à la reine Marguerite, qui s'en retournoit à Madrid,
l'embrasse et la conduit jusques en sa chambre.
Le 12, vendredi, à Saint-Germain.—Comme il étoit en la cour, il voit le Roi revenant de la chasse, se prend de lui-même à courir au-devant de lui si dispostement qu'il sembloit voler. On le hausse, le Roi, qui étoit à cheval, le baise; il retourne avec le Roi à la chambre de la Reine, puis le suit au cabinet; en voyant donner les souliers au Roi, il court de lui-même pour soutenir la jambe du Roi.—En soupant, ayant été quelque temps sans dire mot, comme il étoit aucunes fois réservé et tout ainsi que s'il eût songé à de grandes affaires, il dit: Mais c'est Thomas; voyant qu'il ne disoit plus mot: «Monsieur, dis-je, qui est ce Thomas?»—C'est un homme de pierre; je l'ai vu à Poissy dans une chapelle, rangé là, à un petit coin. Il y avoit environ quatorze mois qu'il fut à Poissy[216], où il vit et entendit nommer cette image du nom de Saint-Thomas et au lieu où il la représentoit.
Le 13, samedi.—Mené chez la Reine, sa nourrice lui dit qu'il aille demander à la Reine l'aumône pour une femme qui étoit en prison; il part, puis revient: Maman doundoun, venez, demandez-lui? Il en faisoit difficulté. Enfin, après plusieurs remises il y va, et, s'amusant à se jouer à des soies sans regarder la Reine: Maman, donnez-moi quelque chose pour une pauvre femme qui est en prison? La Reine lui en promet, n'en ayant point sur elle; Mme la princesse de Conty lui présente un sol, il n'en veut point; elle lui présente un écu, il le prend; Mme de Longueville lui en donne deux, il porte tout gaiement à sa remueuse, qui en faisoit la quête.
Le 14, dimanche.—Éveillé à deux heures et demie
après minuit en sursaut, il se lève hors du lit, debout,
disant: Où me faut-il aller! Sa nourrice le prend, le
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recouche[217], et il se rendort jusqu'à six heures et demie. Il
se fait mettre au lit de sa nourrice, et, se jouant à elle:
Bonjour, ma garce, baise-moi, ma garce, hé! ma folle, baise-moi!—«Monsieur,
lui demande sa nourrice, pourquoi
m'appelez-vous ainsi?»—Pource que vous êtes couchée
avec moi. Mlle Lecœur, femme de chambre, lui demanda:
«Monsieur, vous savez donc bien ce que c'est
que des garces?»—Oui.—«Et qui, Monsieur?»—Celles
qui couchent avec les hommes.—Mené à la chapelle
avec le Roi, comme le Roi battoit sa poitrine sur le
Domine non sum dignus, il demande à M. Birat, qui le tenoit:
Mon valet, pourquoi papa fait cela!—«Monsieur,
pource qu'il s'étoit courroucé et avoit battu quelqu'un;
il avoit offensé Dieu, il lui en demande pardon.» Il joint
soudain les mains, et puis bat sa poitrine, disant: J'ai
offensé bon Dieu, pardonnez-moi. Après la messe il dit au
Roi: Papa, vous plaît il que votre musique vienne chanter à
ma chambre?—«Oui, mon fils».—Venez chanter grâces
à mon dîner, papa le veut. Il va en sa salle; à midi, dîné;
la musique du Roi chanta Laudate; il l'écouta avec transport,
tant il aimoit la musique. A deux heures le Roi l'envoie
querir pour le faire voir au nonce. A souper l'on
disoit que M. de Saint-Germain, prédicateur[218], étoit fort
malade; il demande: Pourquoi n'est-il pas mort? L'on
le loua d'avoir demandé cela: il se retourne à moi, et
me dit: Écrivez cela[219].
Le 15, lundi.—Mme la princesse d'Orange, fille de
feu M. l'amiral de Châtillon[220], revenant de Flandre,
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lui apporte des ouvrages de la Chine, à savoir: Un parquet
de bois peint et doré par dedans, peint des feuillages,
arbres, fruits et oiseaux du pays, sur de la toile
qui lioit les ais de demi-pied; l'on s'en servoit comme de
cabinet; elle donne à Madame de la vaisselle tissue de
jonc et crépie par le dedans de laque, comme cire d'Espagne.
Mme de Montglat lui demande: «Monsieur, aimez-vous
bien Mme la princesse d'Orange?»—Oui.—Je lui
demande: «Comment l'aimez-vous?»—De tout mon
cœur. Mme la princesse d'Orange en rougit et en pleura de
joie. Je lui dis: «Monsieur, vous plaît-il que je l'écrive.»—Oui.—Mme
de Brezolles lui avoit donné le matin
de petites besognes de bois qui se font en Allemagne.
A deux heures mené à la chapelle, au sermon du P.
Coton, il écouta jusqu'à deux heures trois quarts; il
s'ennuyoit sans dire mot, le Roi le fait emporter.
Le 16, mardi, à Saint-Germain.—Il fait porter son petit cabinet de la Chine, se met dedans; il se joue avec ses petits jouets d'Allemagne et d'argent. Mme de Montglat lui dit s'il vouloit pas écrire à Maman sa fille[221] pour M. de Mansan; il répond soudain, gaiement: Oui, Mamanga, allons équire; Taine[222], venez; moucheu Heoua, allons équire. Il s'assied en la tourelle, et a la patience entière d'écrire; je lui conduisois la main:
Maman ma fille, je vou pie de tou mon cœu de vouloi doné à Teine, que papa m'a preté pou me gadé, le droi seigneuriau de la terre de Morcourt; je vous en pie encore tes humblemen, et je vous feré seuice tes humble et toi peti sault de joie que j'en aurai, comme pou la pemiere chose don je vous ai piée. Je suis la dessu, Maman ma fille, vote tes humble seuiteu.—Daulphin.
Le 17, mercredi.—Mme de Montglat lui dit: «Monsieur,
dites au P. Coton, je vous prie, de faire quelque chose
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pour le fils du grand Tetai[223]»—Non. Il refusoit de
dire je vous prie, et après plusieurs refus il dit: Faites
quelque chose pour le fils de grand Tetai, père Coton, s'il
vous plaît; il avoit naturellement ces discrétions de parler
et de commander à chacun des choses selon sa qualité.
Mené à LL. MM., dîné avec eux; la Reine part pour s'en
retourner à Paris; à six heures le Roi est parti. Il s'amuse
à travailler avec un pinceau sur de la cire de Francisque,
dit qu'il fait un modèle imitant ledit sieur Francisque[224],
qu'il avoit vu travailler aux figures de cire
qu'il faisoit pour jeter en fonte.
Le 18, jeudi, à Saint-Germain.—Mme de Montglat me dit: «Je gage que Monsieur est plus savant que vous, qui ne savez pas des proverbes de Salomon.» Je dis qu'il n'en savoit point; soudain il va dire ce que Mme de Montglat lui avoit appris depuis son réveil: L'aumône préserve de la mort (premier proverbe de Salomon qu'il sut). M. Danorville, mon beau-frère, lui fait la révérence, lui demande s'il y a des tambours à sa compagnie, ayant su qu'il étoit gendarme.
Le 19, vendredi.—Il apprend un autre proverbe de Salomon: L'enfant sage réjouit le père; il s'amuse à crayonner de rouge, fait des figures d'oiseaux[225].
Le 22, lundi.—M. du Vair, premier président en Provence, le vient voir; il fait deux oiseaux fort reconnoissables, qui avoient le bec l'un contre l'autre; M. le président du Vair prit le papier pour le faire voir au Roi.
Le 23, mardi.—A souper il commande à Boileau
et à Indret, qui jouoient entre la porte de la chambre et
de la salle: Jouez le combat; c'étoit un ballet où il y avoit
à darder les uns contre les autres, qu'il avoit autrefois
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vu danser à sa nourrice; il étoit comme transporté pour
aller à cette danse.
Le 24 août, mercredi, à Saint-Germain.—MM. du Pons, premier consul de Montpellier, de Gasques et de Ferrier, députés vers le Roi par l'assemblée tenue à Châtellerault, le baron de Courtomer (de Normandie) portant la parole, viennent, avec lettre de M. de Rosny à Mme de Montglat, offrir leur service au Dauphin et donner assurance de leur fidélité.
Le 13 septembre, mardi, à Saint-Germain.—J'arrive de Paris[226]; ma femme lui donne des petits chiens de verre et autres animaux faits à Nevers; je lui donne un suisse fait de poterie. A souper ma femme lui dit: «Monsieur, vous êtes friand, il pleuvra le jour de vos noces!» Il lui répond: Ho! je serai à couvert.
Le 15, jeudi.—Les milords North et Noris, anglois, jeunes, le viennent voir; il leur donne sa main à baiser; le milord North lui dit: «Monsieur, tous vos gendarmes sont allés en Périgord avec le Roi votre père à la guerre; quand vous y voudrez aller, nous serons vos gendarmes, nous irons devant vous;» ils lui baisent la main, et s'en vont.—Il se met à écrire avec son crayon, puis plie la lettre, me fait entortiller la soie; Mme de Montglat met la cire, lui le cachet, et il dit à M. Boquet: Boquet, allez-vous-en porter cette lettre à papa, à Orléans.—«Monsieur, dis-je, qu'y a-t-il dans la lettre?»—J'écris à papa qui me vienne voir bientôt.
Le 16, vendredi.—Il chante tout bas:
et montrant ma femme, qui étoit habillée d'un manteau de chambre, dit: La velà.
Le 17, samedi.—Il dit qu'il n'est pas puceau, pource
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qu'il a couché avec doundoun quand Boquet[227] n'y étoit
pas.—Il donne de soi-même le mot à M. de Mansan:
Saint Paul, après avoir été enhardi de ce faire par Mme de
Montglat.
Le 18, dimanche, à Saint-Germain.—M. de Champvallon lui apporte, de la part de M. de Lorraine, un mousquet dans un fourreau de velours vert et une bandoulière brodée d'or et d'argent, les charges d'or émaillé et la fourchette, qui étoit un dauphin; il en est tout transporté de joie. Là-dessus MM. d'Épernon viennent de Paris pour le voir; il leur montre son mousquet, les mène au cabinet de ses armes, les arme tous, les met en garde. Il étoit tout né aux fonctions de la guerre, tout viril, et je n'ai jamais reconnu en lui, pour si petit qu'il ait été, aucune foible et féminine action. M. le Chevalier lui dit, en lui montrant le chevalier d'Épernon[228], fils bâtard de M. d'Épernon: «Monsieur, voici le fils bâtard de M. d'Épernon, qui vient pour être votre page.»—Un bâtard, un bâtard être mon page! répète-t-il plusieurs fois avec véhémence et abomination. L'après-dînée je racontois ce qu'il avoit dit du chevalier bâtard de M. d'Épernon; il m'écoutoit froidement et sans en faire semblant, et tout à coup il me demande: Avez-vous écrit cela?
Le 19, lundi.—Il va en carrosse se promener sur la
côte du Pecq, aux vignes d'un nommé La Fontaine,
archer du corps, qui étoit en garde près de lui; il y apporte
une petite serpe et un petit panier, se coupe deux
grappes, les met en son panier. Il mange un gros morceau
de pain bis; envoyé querir par Mlle de Vendôme chez le gros
Maurice, au Pecq. Mme de Montglat me racontoit comme
il avoit mangé du pain de M. Maurice; lui, qui écoutoit
tout et faisoit profit de tout, l'accommodant aux occasions,
dit: Il a de bon pain bis, Maurice; ce n'est pas le
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comte Maurice, qui garde les Espagnols; c'est pas Flandres,
c'est le Pecq.
Le 20 septembre, mardi.—Il se joue du bout des doigts sur les lèvres disant: Velà la basse; puis, élevant la voix, je dis: «Voilà la chanterelle.»—Non, c'est la moyenne. Il étoit vrai; chose merveilleuse d'avoir su reconnoître le ton et le nom de la corde; il pouvoit l'avoir appris, l'ayant ouï dire à Boileau ou Indret, ses joueurs de luth.
Le 27, mardi, à Saint-Germain.—Il se joue à jouer du bonnet de toile d'argent de Madame, le poussant comme un ballon. Il entend parler de faire chanter le Te Deum pour le jour de sa nativité[229], il le presse avec extrême impatience; il va à la chapelle, où il fut chanté par le curé et prêtres du village. Ramené, il voit tirer dans la cour des arquebusades et mousquetades, et dit, sans ciller la paupière, à M. de Mansan: «Taine, commandez-leur de tirer encore. A souper, il dit tout bas à Mme de Montglat: Mamanga, faites ôter la brayette qui est à mes chausses, maman me prendroit pour un suisse, maman penseroit que je n'aurois pas quatre ans.
Le 28, mercredi.—Mené à la chapelle où l'on porte le pain bénit pour le jour de sa nativité, il va à l'offrande, donne un demi-écu à son aumônier. M. l'abbé de Saint-Denis, Mme de Soisy assistent à son goûter; il danse la sarabande et la danse qu'il appelle le combat. La fille de Mme de Soisy dansoit la sarabande à la mode d'Espagne, il dit: Elle danse pas bien.
Le 29, jeudi.—Il caresse sa nourrice, la baise, se
pend à son col; elle lui dit: «Monsieur, gardez de faire
mal au petit enfant;» elle étoit enceinte. Le Dauphin demande:
Est-il au col?—«Non, Monsieur, lui répond sa
nourrice.» Je lui demande: «Monsieur, où est-il?»—Il
est dans votre ventre, dit-il tout bas à l'oreille de sa nourrice.—«Monsieur,
lui dis-je, par où est-il entré?»—Par
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l'oreille.—«Par où sortira-t-il?»—Par l'oreille[230].
Le 2 octobre, dimanche, à Saint-Germain.—Il descend à sept heures pour aller au-devant de la reine Marguerite, y va en la cour, puis elle le reconduit en haut jusques en sa chambre, où elle lui fait présent de deux livres de tailles-douces; il en étoit extrêmement amoureux[231]. A sept heures et demie elle s'en va pour aller coucher à Argenteuil; il la reconduit jusques à la porte de la salle, et, voyant qu'on portoit ses flambeaux plus outre pour lui éclairer, il se prend à crier: Je veux pas qu'on emporte mes flambeaux.
Le 4, mardi.—Il s'amuse à son livre des chasses; je lui montre[232] un cerf qui se grattoit l'oreille et un chasseur qui le tiroit de l'arc. M. de Gondi vient pour le voir; il lui montre son livre des chasses où étoient des chevaux tirés en taille-douce.
Le 6, jeudi.—Il vient à mon étude, et faisant apporter son livre des chasses, dit: Moucheu Heoua, montrez-moi ceux qui ont des lunettes, qui étoient dans son livre de tailles-douces, puis les faiseurs d'horloges, puis les distillateurs, s'informe de tout, des noms et de l'usage des choses, demande jusqu'à ce qu'il soit satisfait et ait appris. Je lui montre la planche où sont les vers à soie, celle où il y a l'empereur Justinien assis dans une chaise.—Mme de Montglat voyoit plusieurs pièces de drap de soie pour lui faire des habits, et lui demande: «Monsieur, laquelle est-ce que vous aimez le mieux?» Voyant la pièce de velours violet à fond d'or, il s'écrie: Ha! je veux celle-là, ce sont mes couleurs, il y a du bleu!
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Le 8, samedi, à Saint-Germain.—La remueuse du Dauphin racontoit du prince de Galles[233] qu'il aimoit Madame et qu'il avoit répondu au Roi son père que si on ne la lui vouloit pas donner qu'il feroit la guerre en France, en prendroit une partie et que pour avoir la paix on la lui donneroit; que le Roi répliquant qu'il vaudroit bien mieux l'avoir paisiblement, qu'il repartit qu'il vouloit premièrement faire parler de lui. Ceci avoit été raconté le soir précédent par Mlle de Villiers-Hotman, qui avoit soupé avec Mme de Montglat, comme l'ayant ouï dire elle-même en Angleterre, au roi d'Angleterre et au prince, et d'où elle étoit revenue depuis peu de jours. M. le Dauphin écoutoit tout ce que nous en disions sans en faire le semblant, comme il faisoit le plus souvent, et entendant parler que le prince de Galles vouloit faire la guerre, il dit: Hé! j'irai devant pour l'empêcher; puis il me demande froidement: Est-il seigneur, le prince de Galles?—«Oui, Monsieur, c'est le dauphin d'Angleterre qui aime Madame, et son papa envoyera vers le Roi votre papa pour le supplier de la lui donner en mariage; le voulez-vous pas bien?»—Non.—«Mais si papa le veut?»—Si papa le veut, je le veux bien; mais c'est le prince de Galles, il est donc galeux?—«Non, Monsieur, c'est le nom de sa qualité; Galles c'est un pays.»
Le 9, dimanche.—M. de Rouen[234], frère bâtard du Roi, porté en chaise à cause de sa goutte, le vient voir; il se joue aux bras de sa chaise à les faire branler.
Le 10, lundi.—Mme de Guise et Mme de Prouilly, sa fille,
le viennent voir; il se joue à deux chapelets de corail de
Mme de Guise: Velà, dit-il, des chapelets faits à la nouvelle
Oct
1605
façon; elle portoit un chapelet d'Italie à grains carrés;
il y avoit des peintures dedans.
Le 11, mardi, à Saint-Germain.—Indret, son joueur de luth, revenoit de la foire de Saint-Denis et racontoit qu'il y avoit vu Mme Briant, marchande de draps de soie; il demande: Est-elle mercière?—«Non, Monsieur, elle est marchande de draps de soie, qui vous baille ces belles étoffes qu'il vous faut pour vous habiller.»—Pourquoi l'appelle-t-on Madame?—«Monsieur, on les appelle ainsi à Paris[235].» Il s'amuse à des petites pièces de ménage de plomb portées de Saint-Denis.
Le 12, mercredi.—Il se joue à des petits jouets et à un petit cabinet d'Allemagne, fait d'ébène, baisse et rebaisse le couvercle, l'ouvre et le ferme à la clef.—A une heure arrive l'ambassadeur de Venise, qui s'en retournoit; il lui souhaite que l'on puisse le voir un jour en Italie, la lance sur la cuisse, avec une armée de cinquante mille hommes. Le Dauphin va sur la terrasse de la salle, pour voir l'éclipse de soleil dans une chaudière pleine d'eau; l'ambassadeur y étoit présent.
Le 13, jeudi.—Marin, nain de la Reine, arrive; le Dauphin danse, joue du violon et chante tout à la fois, se jouant à Marin et courant après lui.
Le 14, vendredi.—Le P. Gontier, jésuite, revenant du Caire, assiste à son dîner; il écoute en s'amusant l'exhortation du P. Gontier sur le Domine, da judicium Regi et filio Regis justitiam.
Le 17, lundi.—Il voit M. Guérin qui avoit pris du tour
d'une boîte de sapin et en avoit fait deux cercles mis en
croix: Velà, dit-il, le monde. Je lui demande: «Monsieur,
qui vous a dit cela?»—Personne.—«Monsieur, le
monde est-il pas quarré?»—Non, il est rond.—«Qui le
Oct
1605
vous a dit?»—Personne. Il vient en ma chambre, puis
en mon étude, où il écrit au Roi pour le supplier de faire
donner à sa compagnie une autre garnison que Provins:
Papa, tous les apothécaires de Provins sont venus à moi pour me prier de vous supplier très-humblement, comme je fais, de donner à ma compagnie une autre garnison, car mes gendarmes aiment bien la conserve de roses, et j'ai peur qu'ils ne la mangent toute, et je n'en aurois plus. J'en mange tous les soirs quand je me couche, et je prie bien Dieu pour vous et qu'il vous fasse venir bientôt, et à moi la grâce de vous pouvoir faire très-humble service. Je suis, papa, votre très-humble et très-obéissant fils et serviteur.—Daulphin.
Quand il eut écrit la lettre du Roi, moi lui tenant la main[236], il me commanda de la lire, et l'ayant lue: «Monsieur, dis-je, est-elle bien?»—Oui.—Il va en la chambre où est né le feu roi Charles[237], où Mme de Montglat faisoit de la confiture de coings.
Le 19, mercredi.—Il vient en ma chambre et à mon étude; je lui conduis la main pour écrire à la Reine cette lettre, portée le lendemain par M. de Mansan:
Maman, j'ai bien envie de vous voir et de baiser mon petit frère d'Orléans[238], et si vous ne venez bientôt, je prendrai mon pourpoint blanc et mes chausses et mes bottes, puis je monterai sur mon petit chevau, et je m'en irai, patata, patata. Maman, je partirai demain bon matin, de peur des mouches; maman, l'on m'a dit que vous m'avez apporté queuque chose de beau, je le voudrois bien voir. Venez donc, ma bonne maman, il fait si beau, et vous me trouverez bien gentil, et ce pendant je suis, maman, votre très-humble et très-obéissant fils et serviteur.—Daulphin.
Mené au Pecq, passé le bac, mené à la garenne. Il y
avoit trois ou quatre pauvres Irlandois et Irlandoises
mendiants; on le lui dit, il les voit; le voilà le visage tout
de feu de colère: Qu'on les fasse sortir. Ils sortent; on
lui dit: «Monsieur, ce sont de pauvres petits Irlandois
Oct
1605
qui demandent l'aumône»; il revient à soi, et la leur fait
donner.
Le 20, jeudi, à Saint-Germain.—Il me dit: Allez querir votre livre jaune. Je lui demande: Est-ce celui où il y a un Roi qui prie Dieu».—Oui.—«C'est un livre qui a été au feu Roi[239], où il prioit Dieu.»—Au feu Roi?—«Oui, Monsieur.»—Où l'avez-vous eu?—«Monsieur, je l'ai eu à Tours.»
Le 21, vendredi.—Il vient en ma chambre, et dit: Je veux écrire à papa; c'étoit par M. le baron du Tour[240]; Madame aussi écrit sa première lettre à la Reine.
Le 23, dimanche.—Mené au bâtiment neuf y attendre la Reine, il court en la galerie, aide à faire le lit de la Reine; la Reine ne venant point, il est ramené en sa chambre, où M. de Châteauvieux[241] lui baise les mains; et comme il s'en retournoit, Mme de Montglat le fait conduire et éclairer avec un flambeau; il court après, et crie: Mon flambeau, qu'on le rapporte? La Reine arrive à six heures et demie.
Le 24, lundi.—M. de Vic, l'ambassadeur, lui donne l'histoire de Matthieu[242], de la part de l'auteur. A dix heures, mené au bâtiment neuf, à la Reine, qui étoit encore au lit; il s'amuse près de la Reine à son habiller, puis à onze heures et demie va à la messe avec elle; dîné avec la Reine.
Le 25, mardi.—Mené à la Reine au bâtiment neuf, il
court en la galerie, va le long des lambris, feignant de
cueillir des raisins qui y sont en peinture. Le sieur Alphonso
Taxis, revenant d'Angleterre ambassadeur, baise
Oct
1605
la robe de la Reine et se couvre, puis baise la main de
M. le Dauphin, qui lui demande des nouvelles de l'Infante
et dit: Apportez-moi son portrait.—L'on parloit
que son baptême se feroit au mois de mai; Mme de Montglat
lui demande: «Monsieur, comment voulez-vous que
l'on vous nomme?»—Henry. Je lui demande pourquoi.—Papa
s'appelle ainsi; je ne veux pas avoir nom
Louis.
Le 26 octobre, mercredi.—La Reine lui donne son petit coffret d'argent, où elle mettoit ses pendants d'oreille; M. de Courtenvaux, revenant de Flandres, lui donne un pistolet. Il se joue, tenant un portrait du Roi fait en cire, dans une boîte d'ivoire, et dit: C'est papa. Mlle de Vendôme lui dit: «C'est aussi mon papa.»—Non, c'est pas votre papa. Il va en la chambre de Madame, où il écoute fort attentivement M. de Cressy lisant l'histoire de Matthieu, fait taire ceux qui faisoient du bruit.
Le 27, jeudi.—La Reine part à deux heures et demie; il va sur la terrasse de Neptune, d'où il lui voit passer le bac.
Le 28, vendredi.—Il s'amuse à travailler sur de la cire comme il avoit vu faire au sieur Jehan Paulo[243].
Le 3 novembre, jeudi, à Saint-Germain.—J'arrive de Paris[244], il court au-devant de moi, me saute au collet, m'embrasse par deux fois; je lui donne un petit lion de poterie et ma femme un homme de poterie.
Le 5, samedi.—Montaigne, chevaucheur d'écurie, arrive de la part du Roi, avec lettre portant commandement exprès de faire, la lettre vue, loger M. le Dauphin au bâtiment neuf pour causes contenues dans la lettre[245]; il en est si aise qu'il fait lui-même déménager, trousser son lit; il commande et a le soin de tout.
1605
Le 9, mercredi, à Saint-Germain.—Mme la marquise de Verneuil arrive au vieux château[246].
Le 10, jeudi.—Il se fait entretenir par Mlle Piolant de petits contes.
Le 12, samedi.—M. de Verneuil revenoit de voir Mme la marquise sa mère au vieux château[247]; il lui demande: D'où venez-vous?—«Mon maître, je viens de voir maman mignonne.»—C'est la vôtre, pas la mienne.
Le 13, dimanche.—Il faisoit le fâcheux; l'on fait abaisser une poignée de verges attachée à une ficelle, sous la cheminée; l'on lui faisoit croire que c'étoit un ange qui les portoit du ciel.
Le 14, lundi.—Il va en la chambre de sa nourrice, où il épluche de l'oseille et du persil pour le potage de M. Girard.
Le 15, mardi.—Sa première nourrice le vient voir;
il lui donne sa main, ne la veut point baiser ne accoler.—Mené
au Pecq et passé l'eau pour voir dans un grand
bateau un animal porté du Canada par M. de Monts[248],
Nov
1605
de la grandeur d'un élan. Il y avoit une petite barque
faite à la mode du pays, avec du jonc, et couverte d'écorce
d'arbre, teinte de rouge, faite en façon de gondole et
ayant les avirons du bois du pays; trois mariniers la
firent voguer devant lui d'une incroyable vitesse.
Le 17, jeudi.—Il écrit au Roi en ma chambre:
Papa, je suis bien aise de ce que M. de Saint-Aubin m'a dit que vous vous portez bien et que vous êtes à Paris, pour ce que je pense d'avoir bientôt l'honneur de vous voir et de vous baiser la main. Si j'étois bien grand je vous irois voir à Paris, car j'en ai bien envie. Hé! papa, je vous supplie très-humblement, venez me voir, et vous verrez que je suis bien sage. Il n'y a que Madame d'opiniâtre, je le suis plus. Ma plume est bien pesante. Je vous baise très-humblement les mains. Je suis, papa, votre très-humble et très-obeissant fils et serviteur.—Daulphin.
Le 18, vendredi.—Il retourne au château vieux.
Le 19, samedi.—Il se prend à chanter la chanson dont il se faisoit endormir:
A la chanson il y a le sang royal, mais il ne vouloit
pas que l'on dît ainsi, oui bien la fleur de lis. On lui demande:
«Pourquoi voulez-vous que l'on dise la fleur
de lis et non pas le sang royal?» Il répond soudain: Pour
ce que ce sont les armoiries à papa, mon frère d'Orléans en
aura des fleurs de lis.—«Oui, dis-je, Monsieur, mais il y
aura des lambeaux[250].» Il fait dire à Mme de Montglat des
proverbes de Salomon, elle en dit plusieurs; entre tous
Nov
1605
il trouva celui-ci le plus beau: «L'homme est heureux
qui a trouvé une femme vertueuse;» il le lui fait redire
souvent.
Le 20, dimanche, à Saint-Germain.—Le Roi arrive au vieil château à cinq heures et demie, revenant du Limousin; il fait tout ce qu'il peut pour donner plaisir au Roi. Le Roi va voir Mlle de Vendôme, puis Mlle de Verneuil.
Le 21, lundi.—A dix heures mené au bâtiment neuf, au lever de la Reine. Mené au jardin où étoit le Roi, le Roi lui dit qu'il avoit été prisonnier dans le château il y avoit plus de vingt-cinq ans[251], et ajoute: «Je vous veux faire mettre en prison là dedans.»—Ho! dit le Dauphin, je romprai la porte. Le Roi lui demande: «Que ferez-vous après?»—Je passerai, dit-il, par la cheminée, je me sauverai sans me blesser, et il se met entre les jambes de Mme de Montglat. Le Roi lui dit: «Voilà le fils de Mme de Montglat, la voilà qui en accouche»; il part soudain, et se va mettre entre les jambes de la Reine et s'enveloppe de son manteau si fort qu'il ne montroit que la plume de son chapeau.—Après souper il se joue avec M. de Vendôme et M. le Chevalier; M. le Dauphin dit qu'il étoit fils du Roi. «Et moi aussi, dit M. de Vendôme.»—Vous!—«Oui, Monsieur, ne m'appelez-vous pas votre féfé?»—Ho! ho! mais vous n'avez pas été dans le ventre à maman comme moi! Qui est votre maman?—«Monsieur, c'étoit madame la duchesse de Beaufort.»—Duchesse de Beaufort, est-elle morte?—«Elle est bien loin si elle court toujours,» dit M. le Chevalier[252].
Le 22, mardi.—A onze heures il se fait lever, les
yeux pleurant de rhume, entoussé; il est vêtu de sa robe
de chambre fourrée, incarnat. Le Roi l'envoie querir, il
Nov
1605
y est conduit avec sa robe. M. de Rosny le vient voir, il
l'embrasse, instruit[253].
Le 23, mercredi.—Il chante avec sa nourrice:
Le 24, jeudi, à Saint-Germain.—A dix heures le Roi le vient voir, le trouve bandant son pistolet; le Roi déjeûne auprès de lui, s'en va chez Madame, et de là à la chasse. A deux heures mené chez la Reine.
Le 25, vendredi.—Mené au château neuf, il s'amuse
dans la chambre de la Reine, puis va à la galerie, tire et
puis se fait tirer dans le petit carrosse; le bras du carrosse
se rompt; il envoie querir le menuisier, lui-même y travaille,
puis il se fait remettre dedans et se fait rouler. Il
bâille plusieurs fois, le visage lui blêmit; il dit à Mme de
Montglat qu'il se trouve mal, se prend à pleurer[254].
L'on le met à bas pour l'emmener; le Roi entre en la galerie
pour le voir, et dès qu'il le voit: «Vous avez pleuré, dit-il,
je vois bien.» M. le Dauphin s'arrête, s'étonne; toutefois,
voyant M. de Verneuil être allé au devant du
Roi, il y court et l'embrasse. Le Roi le reprend sur ces
larmes, lui demande pourquoi il pleure et ce qu'il veut:
Je veux aller en ma chambre, papa. Le Roi se fâche de
cette réponse, lui demande pourquoi: Pource que j'ai
froid.—«Ha! voilà une menterie! vous êtes un menteur!
Que l'on le mène en sa chambre, vous verrez qu'il se
jouera.» Il s'en fâche, lui permet de s'en aller; le Dauphin,
ramené, ne veut point aller en carrosse; il étoit saisi
de l'appréhension de la colère du Roi. Mené en sa chambre,
il ne fait que se plaindre et pleurer; M. de Verneuil
Nov
1605
le vient voir et, raillant, lui dit qu'il avoit dîné avec le
Roi.—C'est pource que papa vous l'a dit, lui répond-il
brusquement.
Le 27 novembre, dimanche.—Mené en carrosse chez le Roi, fort gentil. Mme la princesse de Conty se jouoit à lui, l'appelant: «Mon père grand, mon bisaïeul, mon cousin;» il disoit Non à tout. «Comment voulez-vous que je vous appelle?»—Moucheu Dauphin.
Le 28, lundi.—Mené en carrosse au Roi, qu'il rencontre sur le pavé allant à la chasse; le Roi descend de cheval, le baise dans le carrosse, et lui dit qu'il allât trouver maman pour la réjouir; il va chez la Reine.
Le 29, mardi.—A huit heures et demie le Roi arrive en sa chambre, y déjeûne; le Dauphin se fait asseoir à table avec le Roi, qui lui donne une petite beurrée puis une rôtie sèche, de celles qui avoient été faites pour le Roi à prendre de l'hypocras. M. de Crillon arrive; le Roi demande au Dauphin: «Qui est celui-là?»—Le fou.—M. de Crillon lui dit brusquement s'il vouloit qu'il battît M. de Souvré.—Non.—«Si je ne le bats point, m'aimerez-vous?»—Oui. Le Dauphin ne peut laisser aller le Roi, il le conduit de chambre en chambre; le Roi s'en va à neuf heures et demie de la chambre de Mlle de Vendôme.
Le 30, mercredi.—Le Roi part à six heures pour aller à Paris; dîné avec la Reine; à deux heures elle part pour s'en retourner à Paris.
Le 3 décembre, samedi, à Saint-Germain.—La reine Marguerite le vient voir; il se joue à elle, puis entre en mauvaise humeur, se va cacher à la ruelle du lit, regardant Mme de Montglat, et disant tout bas: C'est pas une Reine.
Le 13, mardi.—En soupant, Mme de Montglat tançoit
Saunier, cuisinier de son commun[255], et, le menaçant de
Déc
1605
la prison, commandoit au sieur Dupré, exempt, de le y
mettre; ce pendant le Dauphin ne mangeoit point, écoutoit;
les grosses larmes lui sortent des yeux, tombant
sur lui, sans dire mot, ému de compassion. Mme de Montglat,
l'apercevant, lui dit: «Non, Monsieur, il ne y ira
point en prison; qu'il vous demande pardon.»—Non,
Mamanga, c'est à vous; dites à Dupré qu'il ne le mène pas
en prison, bien haut; elle l'ayant dit: Dupré, Mamanga
l'a dit bien haut.
Le 14, mercredi.—J'arrive[256], il court à moi, me saute au col, me serre; il en fait autant à ma femme. Je lui apporte un cheval et une carte gallicane de Thevet, il s'amuse à la carte avec transport. «Voilà M. le Dauphin,» lui dit-on en lui montrant le côté des Flandres.—C'est moi qui bat les Espagnols, répondit-il.
Le 15, jeudi.—Il se fait faire des contes du Compère Renard, du mauvais riche et du Lazare par sa nourrice. Je lui attache la carte gallicane de Thevet, que je lui avois apportée, contre la tapisserie; on lui montre Provins; il y porte la main en disant: Mangeons de la conserve[257].
Le 16, vendredi.—Il s'amuse à ouvrir et refermer un cadenas à lettres[258].
Le 19, lundi.—Il fait chanter des Noëls à son huissier de salle, qui les avoit faits, surtout celui où il y avoit: «Couronne de lauriers.» L'huissier le lui donne par écrit; il ne veut plus manger, d'impatience de le lire et de l'apprendre.
Le 20, mardi.—Il se fait lever puis recoucher plein
Déc
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de mélancolie et sans sujet, contre son naturel. Il sembloit
avoir du ressentiment du danger de la vie où, le
jour précédent, le Roi se trouva, environ les quatre
heures, sur le Pont-Neuf, revenant de la chasse, par...........[259]
qui se jeta sur lui, l'assaillant d'un poignard.
Sur les dix à onze heures l'on en fut averti; on lui dit
qu'une bête avoit voulu faire du mal à papa étant à la
chasse; les larmes lui en vinrent aux yeux avec une
grande tristesse. A huit heures et demie, dévêtu, mis
au lit; l'on parloit de celui qui le jour précédent avoit
voulu tuer le Roi; on disoit que c'étoit un fol; il dit: On
le fera tourner sur une roue, puis par des chevaux qui tireront
une charrette.
Le 25, dimanche, à Saint-Germain.—Il s'amuse à mettre un de ses carreaux blancs dans une taie d'oreiller, le met sur son col, comme son lavandier faisoit le linge sale, dit qu'il porte un opiniâtre pour le mettre à la lessive, puis prend un carreau[260] et le porte sur le bras, l'autre sur le col, disant: J'en porte encore un autre, c'est un opiniâtre qui est vert.—«Oui, Monsieur, lui dis-je, l'autre est blême.»—C'est pource qu'il est mort. Il se fait, en goûtant, entretenir par M. de Verneuil, qui avoit de jolies inventions pour le faire rire; il en rioit, encore qu'il ne fût point rieur de son naturel.
Le 28, mercredi.—Mme de Montglat lui dit: «Monsieur,
papa vous viendra voir aujourd'hui, l'embrasserez-vous
pas bien en lui disant que vous avez remercié Dieu de
ce qu'il l'a gardé de ce méchant homme qui l'a voulu
tuer?»—Oui, Mamanga, il est en prison; c'est qu'il est
fou, et papa lui a pardonné. Il va sur la terrasse de sa
chambre pour voir décharger les mulets de la chambre
du Roi; à quatre heures un quart, le Roi, revenant de
Déc
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Paris, il lui saute au col, le serre, le conduit au grand
cabinet. Madame disoit ses quatrains au Roi et tout ce
qu'elle savoit; M. le Dauphin lui dit ses proverbes;
MM. de Verneuil y étoient; ils donnent le plaisir au Roi
de ramasser des sols qu'il leur jetoit à terre; M. le Dauphin
rapportoit au Roi ceux qu'il avoit ramassés; il
n'aimoit point l'argent. Le Roi vient en sa chambre; il
l'entretient de tout ce qu'il peut; le Roi sommeilloit, et
lui demande: «Mon fils, voulez-vous bien que je me
couche sur votre lit?»—Oui, papa, dit-il gaiement; il
conduit le Roi jusques au lit, et de soi-même tira le rideau
comme il fut couché.
Le 29, jeudi.—Dîné avec le Roi; le Roi se joue avec lui, et, en la chambre, le Roi demande à M. de Verneuil s'il vouloit pas aller en poste à Paris avec lui.—Non, je veux pas, dit M. le Dauphin. «—Comment, dit le Roi, savez-vous pas que suis le maître?»—Oui, papa, passez, allez, dit-il à M. de Verneuil, le prenant par la manche, et moi aussi papa. Il reconnoît et fait tout ce qu'il peut pour complaire au Roi, et le va conduire jusques à la cour, d'où il part à une heure après midi.
Le 30 décembre, vendredi, à Saint-Germain.—Mme de Montglat le fait jouer au hère; ce fut la première fois qu'il joua aux cartes.
ANNÉE 1606.
Étrennes du Dauphin.—Souvenir de Fontainebleau.—Étrennes données par la Reine, remerciement du Dauphin.—Lettre au fils de Mme de Montglat.—Lettre du prince de Galles.—Présent du duc de Lorraine.—Le Roi et la comtesse de Moret à Saint-Germain.—Les piques de Biscaye.—Utilité du journal d'Héroard.—Comment dînent les laquais.—Habitude du Roi.—Chanson turque.—Parcimonie dans laquelle est élevé le Dauphin.—Naissance de Madame Christine.—Détail sur la mort de Henri III.—La géographie de Mérula.—Le Roi à Saint-Germain.—Le duc de Bouillon.—Premier enfant tenu sur les fonts de baptême.—Donation de la reine Marguerite au Dauphin.—Départ pour Paris.—Visite à la reine Marguerite.—Départ du Roi pour le siége de Sedan.—La chapelle de Bourbon.—Visite à l'Arsenal et à la Bastille; M. de Rosny, le comte d'Auvergne.—Visite au Palais de Justice.—Lettre au Roi.—Retour à Saint-Germain.—Précautions pour la sûreté du Dauphin.—La Castramétation de du Choul.—M. de Crillon.—Le feu de joie de la paix.—La nourrice de Charles IX.—Inclination aux mécaniques.—Modèle du château neuf de Saint-Germain.—Habitude du Roi.—La belle Corisande.—Le Roi et M. de Bouillon.—Goût du Roi pour l'ail.—Jalousie et opiniâtreté du Dauphin; sa sensibilité.—Premier coup de feu.—Mœurs singulières.—Députation d'un régiment suisse.—Portrait du Dauphin peint par Martin.—Visite de la reine Marguerite.—Le Dauphin amoureux; encouragements et exemples qu'on lui donne.—Le connétable de Montmorency.—La belle Gillette.—Le cardinal de Joyeuse.—Produit de la verrerie de Saint-Germain des Prés.—Le marquis de Rainel.—Le Roi et son fils.—Accident du bac de Neuilly.—Prière du Dauphin.—Le président Groulard et les députés de Normandie.—Paroles honteuses.—Le soldat Descluseaux.—Le Dauphin logé au château neuf.—Hommage des députés d'Auvergne.—Les écus de M. de Sully; avidité de l'entourage du Dauphin.—Maladies épidémiques; vision d'une sentinelle.—L'hiver en été.—Habitude du Roi.—Précautions de salubrité.—Le Roi et le prince de Mantoue.—M. de Saint-Aubin-Montglat.—La Reine et la duchesse de Mantoue.—Jalousie du Dauphin.—Portrait du Dauphin par Francesco.—L'abbé de Saint-Germain.—Le cardinal de Joyeuse.—Répugnance du Dauphin à demander.—Départ de Saint-Germain pour le baptême.—Le prisonnier de Chilly.—Les portraits de M. de Beaulieu.—Baptême du Dauphin à Fontainebleau.—Présent de M. de Lorraine.—Feu d'artifice.—La verrerie de Fontainebleau.—Séjour à Cély.—Lettres au Roi.—Le canal de Fleury.—Détail d'étiquette.—Mœurs des laquais de Fontainebleau.—Le Dauphin entre dans sa sixième année.—Avidité de Mme de Montglat.—Ange Cappel.—Songe du Dauphin.—Les pages de la chambre; Racan.—Bons mots du Dauphin; son respect pour la vieillesse.—Visite à la comtesse de Moret.—Le peintre Le Blond.—La mule de M. de Roquelaure.—Jeux du Dauphin.—Les députés du Dauphiné.—Dispositions pour la chasse.—M. et Mme de Rosny.—Combat de dogues, d'ours et de taureau.—Engoulevent; répugnance du Dauphin pour les bouffons.—Mariage du prince d'Orange.—Ballet du Dauphin.—Reparties à MM. de Roquelaure et de Bassompierre.—Guerre contre la princesse d'Orange.—La petite Panjas.—Familiarité avec les soldats.—Le comte de la Roche.—Superstition d'Héroard.—Jouets de poterie.—Buffet de François Ier.—Goût pour le dessin; première leçon donnée par Fréminet.—Portrait du Dauphin par Fréminet.—Amour et attentions d'Héroard pour le Dauphin.
Le 1er janvier, dimanche, à Saint-Germain.—Vêtu de son manteau, coiffé, peigné paisiblement pour ce qu'on lui dit qu'il ne falloit pas faire l'opiniâtre le premier jour de l'année, de peur de l'être toute l'année. Il tient le manchon de Mme de Montglat, et s'en va à chacun, l'en frappant gaiement et souriant en disant: Tenez, velà vos étrennes, et comme honteux de n'avoir aucune chose à donner à ceux qui lui demandoient. On lui apporte du ruban bleu; il en donne à plusieurs pour étrennes.
Le 2, lundi.—Il promet à M. de Cressy de le faire un jour chevalier de l'Ordre, lui ayant donné le jour précédent le cordon bleu.—Il reçoit par M. Bragelogne, commis de M. Phélypeaux, trésorier de l'Épargne, une bourse de jetons d'argent à la devise d'un temple de Janus avec cette lettre: Clusi cavete, recludam.
Le 3, mardi.—Il chante: Quand le bon homme vécut de son labourage, etc. Il dit à M. de Ventelet: Tetai, contez-moi du grand homme qui a du feu autour de lui, qui est à Fontainebleau.—«Monsieur, je ne sais qui est cet homme-là.»—C'est ce grand homme qui est à la salle.—«En quelle salle?»—A la salle qui est auprès du Jacquemart. C'étoit l'élément du feu, qui étoit à la salle du bal.
Le 5, jeudi.—Son huissier de salle se prit à crier: le
Janv
1606
Roi boit, il lâche soudain la coupe, disant: Non, je veux
pas, et l'en reprit par deux fois. Je lui dis: «Monsieur,
voulez-vous pas que l'on crie le Roi boit quand vous
buvez?»—Non; quand je serai le Roi.
Le 7, samedi, à Saint-Germain.—La Reine lui envoie pour étrennes une montre d'horloge et une paire de petits couteaux; il s'en va à la chambre de Mme de Montglat, écrit à la Reine, la remerciant de ses belles étrennes, et disant qu'il regarderoit bien souvent à sa montre d'horloge pour savoir les heures qu'il faudroit poser les sentinelles et qu'il les éveilleroit, les piquant dans les cheveux avec ses petits couteaux, s'il les trouvoit endormis.—Il se joue avec Bompar, son page, qui prenoit Madame prisonnière; il dit que c'est le grand dragon qui prend Andromède, et lui Perséus, qui tue le dragon.
Le 8, dimanche.—Il aide à faire son lit comme s'il eût été le garçon de la chambre[261], veut seul porter et rapporter toutes les pièces, sur sa tête ou sur son épaule.—Mme de Montglat le fait écrire à son fils:
Petit Montglat, voyez de ma part monsieur le grand-duc, mon oncle, et madame la grande-duchesse, ma tante, et leur dites que je leur baise très-humblement les mains et que je suis leur très-humble serviteur. Venez-moi servir à mon baptême et amenez-moi un beau cheval pour courir la bague, et soyez bien sage, et je serai votre bon petit maître. Adieu, petit Montglat. Votre bon petit maître,
Daulphin.
Le 9, lundi.—Il va à la salle du bal, danse toutes sortes de danses; on en rit de le voir si joliment faire, il cesse la danse incontinent, fâché, et dit: Je veux pas qu'on rie, je veux pas donner du plaisir, et ne voulut plus danser.
Le 10, mardi.—Il vient des violons de la noce d'un
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de ses cuisiniers; il leur commande de jouer, et les écoute
si attentivement qu'il demeuroit immobile. M. Birat, pour
le faire jouer, lui dit: «Monsieur, ce matin il est venu en
ma chambre une bête si grande, si grande.» Il lui demanda
en souriant: Étoit-elle plus grande que vous? A
dîner on fait le conte ci-dessus mis de M. Birat; il se retourne
en souriant, et me demande: L'avez-vous mis en
votre registre?
Le 12, jeudi.—Le sieur Thomas Parry, ancien ambassadeur d'Angleterre, lequel conduisoit le sieur Georges Kerry, ambassadeur demeurant en sa place, présente à M. le Dauphin une lettre de la part de M. le prince de Galles, disant, lui ayant tous deux baisé la main, que, venant prendre congé de lui et lui amenant celui qui entroit en sa place pour lui baiser bien humblement les mains, il avoit aussi charge de lui présenter une lettre de M. le prince de Galles. Il la prend, et ne voulut jamais entendre à autre chose qu'ayant lui-même rompu le cachet, il n'eût vu ce qui étoit dedans. On lui demande qui il vouloit qui lui lût la lettre, il répond: Je veux que ce soit moucheu Hérouard. Il me la baille, et en présence des ambassadeurs, de M. de Souvré, qui les étoit venu conduire, je la lus. En voici la teneur, écrite et signée de sa main, et, ce dit-on, de sa façon, le roi d'Angleterre n'ayant pas voulu qu'un autre que lui y mît la main, disant qu'il avoit demeuré assez longtemps à l'école pour la savoir faire, et toutefois que le Roi son frère et non autre repassât dessus [sic]:
Monsieur et frère, ayant entendu que vous commenciez monter à
cheval, j'ai creu que vous auriez pour aggréable une meute de petits
chiens que je vous envoie pour tesmoigner le desir que j'ay que nous
puissions suyvre les traces des Rois noz pères comme en entière et
ferme amitié; aussi en ceste sorte d'honneste et louable recreation
j'ay supplié le comte de Beaumont, qui retourne par delà, remercier
en mon nom le Roy vostre père, et vous aussi, de tant de courtoisies
et obligations dont je me sens surchargé, et vous déclarer combien
de pouuoir vous avés sur moy, et combien je suis desireux rencontrer
Janv
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quelque bonne occasion pour monstrer la promptitude de mon
affection à vous seruir, et pour ce me remettant à luy, je prie Dieu,
Monsieur et frère, vous donner en santé longue et heureuse vie.
Vostre très-affectionné frère et seruiteur,
Henry.
A Richmond, le 25 d'octobre 1605.
A Monsieur et frère Monsieur le Dauphin.
Le 13, vendredi, à Saint-Germain.—A deux heures la marquise de Verneuil s'en retourne[262].
Le 16, lundi.—Il s'amuse à voir travailler les maçons qui raccoustroient son âtre, est toujours parmi eux; il arrive un joueur de musette poitevin; il l'écoute assez longtemps, attentivement et comme immobile, puis dit tout à coup: Qu'il s'en aille, allez jouer à la grande salle.
Le 17, mardi.—Il vient en ma chambre, où il demande le livre des oiseaux, puis me demande son livre rouge; c'étoit l'histoire de la paix de Matthieu, donné par M. de Vic, ambassadeur, de la part de l'auteur; il le remporte lui-même en sa chambre.
Le 18, mercredi.—Je lui dis qu'il iroit au-devant de
papa, au bâtiment neuf; il répond: Ho! ho! je veux pas
aller au bâtiment neuf, il tombe tout; quand la gelée viendra
tout tombera; il en avoit ouï parler entre nous; il
écoutoit tout, et tout ce qu'il entendoit lui demeuroit en
l'entendement. A onze heures mené au-devant du Roi
sur les terrasses, il le rencontre à la descente qui va au
Neptune; le Roi descend de cheval, le baise, l'embrasse.
Ramené au vieux château et dîné avec le Roi, à midi.—M.
de Lorme, premier médecin de la Reine, baise les
mains au Dauphin de la part de M. de Lorraine, avec
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commandement de lui dire qu'il lui faisoit faire deux
canons; il demande: Sont-ils grands?
Le 19, jeudi, à Saint-Germain.—Il va chez le Roi, qui le mène au jardin; dîné avec le Roi.—M. de Loménie lui donne un petit gentilhomme fort bien habillé d'un collet parfumé, enrichi de broderie d'or, les chausses à bande de même; il le peigne, et dit: Je le veux marier à la poupée de Madame.—Mené chez Mme la comtesse de Moret, où il se piqua un peu au bout du doigt, en coupant des cartes avec les ciseaux de Mme de Montglat.
Le 20, vendredi.—Mené au Roi, et, à neuf heures, déjeûné avec lui; il se fait porter aux fenêtres où le Roi étoit allé pour voir courir un lièvre devant la meute des chiens courants que le prince de Galles avoit envoyée à M. le Dauphin. Le Roi part pour aller à la chasse.—Un honnête homme donna quatre piques de Biscaye, non ferrées, au Roi; le Roi en donne trois à M. le Dauphin, lui disant: «Il y en a une pour vous, donnez-en une à féfé Chevalier et l'autre à féfé Verneuil.» Étant en sa chambre, M. de Souvré lui dit: «Monsieur, je m'en vais à Paris; me voulez-vous commander quelque chose?»—Faites-moi accommoder ma pique.—«Monsieur, comment? Voulez-vous qu'elle pique, qu'elle tue, qu'elle égratigne? Comment la voulez-vous?»—Je veux pas que la mienne tue, mais je veux qu'elle pique, et je veux pas que celles de féfé Chevalier et de féfé Vaneuil tuent, et qu'elles ne piquent, et qu'elles n'égratignent; mettez y un clou au bout.—Le Roi revient de la chasse, le Dauphin se trouve à son dîner, fort gentil, obéissant, craignant et respectueux du Roi. Le Roi part pour s'en retourner à Paris à deux heures trois quarts.
Le 22, dimanche.—Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, voyez que Madame a les cheveux beaux et blonds pour ce qu'elle se laisse bien peigner;» il répond: Les noirs sont les plus beaux, puis me dit: Allez, allez écrire en votre registre ce que j'ai dit de mes cheveux.
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Le 23, lundi.—Il me demande: D'où venez-vous?—«Monsieur, je viens de mon étude.»—Quoi faire?—«Monsieur, je viens d'écrire en mon registre.»—Quoi?—«Monsieur, j'étois prêt à écrire que vous avez été opiniâtre.» Il me dit, à demi pleurant: Ne l'écrivez pas.—On le divertit avec son petit ménage d'argent; il y avoit deux petits chandeliers et de la petite bougie blanche dont on se sert aux offrandes; ma femme l'alluma. Il la prend soudain, la souffle, l'éteint, disant: Ho! non, elle s'useroit, faisant en cela ce qu'il voyoit faire et oyoit dire[263].
Le 24, mardi, à Saint-Germain.—Il dit des proverbes de Salomon abrégés, entre autres celui, dit-il, que j'aime tant: L'homme est heureux qui rencontre une femme vertueuse; il dit trois quatrains de Pibrac.
Le 25, mercredi.—Le savoyard[264] de M. de Verneuil traversoit sa chambre d'une porte à l'autre; il lui demande: Où allez-vous?—«Monsieur, à la chambre de M. de Verneuil.»—Retournez-vous-en par là, ma chambre est pas un passage.
Le 26, jeudi.—Madame voulant dîner debout et ne s'asseoir pas, il dit: La velà qui veut dîner en laquais.
Le 27, vendredi.—Il se fait armer de ses armes dorées, vient à ma chambre, demande à voir le lion; c'étoit au livre de Gesner.
Le 28, samedi.—Il va en la chambre de Mlle de Vendôme,
s'avise qu'il n'y avoit point de poutres au plancher
et demande: Hé! pourquoi n'y-a-t'il point de poutres
comme à ma chambre? A dîner il mange une côtelette rissolée.
Il épluchoit le rissolé; je lui dis: «Monsieur, vous
ne mangez que ce qui vous fera devenir colère[265].»—Papa
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le mange bien. Il disoit vrai, et étoit grand imitateur
des actions du Roi. Il nettoyoit ses gencives avec le doigt,
je lui dis: «Monsieur, il les faut nettoyer avec la langue.»—Mais
ma langue n'est pas assez longue, j'y tâche, mais
je ne saurois.
Le 29 janvier, dimanche.—Il chante:
puis ce qu'il avoit appris il y avoit plus d'un an du petit Turc de M. de Vendôme; Houja Criaqué, Chinchin Criaqué, Pista, christa Criaqué.
Le 30, lundi.—Sa nourrice regardant à sa bouche la dent vingt et unième qui lui étoit percée, il lui fut avis que sa nourrice lui vouloit faire mal, et, voulant frapper sur elle, frappa sur Madame, dont il fut si fâché que soudain il s'en prit à pleurer et à frapper fort sur sa nourrice, puis va baiser et accoler Madame, puis va accoler sa nourrice, qui en faisoit la courroucée.—L'on parloit qu'il le falloit apprendre à être libéral, et que l'on n'en faisoit rien; il écoutoit tout ce qui s'en disoit, sans faire paroître qu'il y prêtât l'oreille, et tout à coup et par boutade il se prend à faire ses libéralités, disant: Je vous donne ceci, etc.
Le 10 février, vendredi, à Saint-Germain.—Mme de Montglat part à onze heures et demie pour aller au travail de la Reine, laquelle accoucha entre midi et une heure de Madame[266].
Le 11, samedi.—Mlle de Ventelet lui dit que maman étoit accouchée; il demande: A-t-on ouï le canon?—«Non, Monsieur.»—C'est donc une fille?
Le 12, dimanche.—Il vient deux minimes pour le
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voir; M. de Franchemont, archer du corps, les conduisoit
portant sa hallebarde; il lui demande: Pourquoi portez-vous
votre hallebarde?—«Monsieur, pource que je n'ai
pas voulu venir avec eux sans la porter.»—Pourquoi?—«Monsieur,
pource qu'il y eut un moine qui tua le feu
Roi.»—Que lui fit-on?—«Monsieur le Grand le tua[267].»
Il demeure froid, et n'en dit plus mot.—J'arrive[268] en
la cour à cinq heures; il descendoit en sa chambre; je
le rencontre entre deux portes; il me saute au col, me
demande: Que m'apportez-vous?—«Monsieur, je vous
apporte un petit arc et des flèches.» Il en tressault de joie;
ma femme lui apporta un petit réchaud et une petite
écuelle de fayence[269].
Le 13, lundi, à Saint-Germain.—Il vient en ma chambre, demande à voir le livre des oiseaux, puis je lui montre les figures de la géographie de Merula[270].
Le 14, mardi.—Mené chez M. de Frontenac, il y joue du clavecin.
Le 15, mercredi.—A cinq heures le Roi arrive, lequel
il attend avec extrême impatience, s'amuse à l'entretenir
à la chambre, dit qu'il veut souper avec papa, qu'il attendra
que son souper soit prêt. Le Roi, qui mangeoit
maigre, se plaignoit d'un peu de douleur à une amygdale.—Papa,
mangez de la viande, vous êtes malade. Le
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Roi lui demande s'il veut aller à la guerre.—Non, papa.—«Pourquoi?»—Je
suis trop petit.—«Quand est-ce
que vous y irez?»—Mais que je sois grand.—«Quand
serez-vous grand?»—A Pâques. Le Roi va en sa
chambre.
Le 16, jeudi, à Saint-Germain.—Éveillé à cinq heures après minuit, il se fait coucher auprès de Mme de Montglat, lui frappe sur la tête chantant:
puis, se souriant et battant doucement de sa main sur la tête de Mme de Montglat, il dit: Velà la mère aux cornes.—Mené au jardin; le Roi revenant de la chasse, met pied à terre, va à lui. Ramené au château, il se fait habiller en masque, va chez le Roi danser un ballet, ne veut point se démasquer, ne voulant être reconnu.
Le 17, vendredi.—Il se joue avec ses animaux de poterie (un cheval et un bœuf).—L'on parloit de la guerre de Sedan, du canon que l'on y menoit, il demande: Comment le mène-t-on?—Mené au jardin, il tire de l'arc; le Roi le prend pour tirer. Papa, voulez-vous que je vous montre? le Roi lui dit: «Je sais mieux tirer que vous.»—Excusez-moi, papa, répond-il doucement et froidement. Après dîner il va chez le Roi, le voit partir pour aller à la chasse; à cinq heures mené au Roi revenant de la chasse, il aide à le détacher; le Roi se couche.
Le 18, samedi.—Dîné avec le Roi; à quatre heures et
demie il va chez le Roi, qui revenoit de la chasse, lui détache
ses aiguillettes, lui sert à boire, puis s'en retourne
en sa chambre; à sept heures et un quart dévêtu, le Roi
y arrive; M. le duc de Montbazon[271] déchausse le Dauphin,
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le Roi le baise dormant, lui disant adieu. Le Roi s'en retourna
à Paris à cinq heures après minuit.
Le 19 février, dimanche.—Mme de Montglat parloit de M. de Bouillon[272], disant qu'il étoit bien mauvais.—Qui, Mamanga?—«Monsieur, c'est un bouillon qui est fâcheux à prendre.»—Oui, Mamanga, il faut du canon.—Mené à la chapelle, il tient à baptême la fille de sa nourrice; c'est le premier enfant qu'il a porté à baptême; il lui donne nom Henriette.
Le 28, mardi.—M. de Montpensier vient à son lever; il lui fait bonne chère.
Le 4 mars, samedi, à Saint-Germain.—Les ambassadeurs d'Angleterre le viennent voir, il leur fait bonne chère.
Le 11, samedi.—J'arrive à trois heures et demie[273]; je lui apporte un bracelet d'ivoire pour mettre au bras, à tirer de l'arc; il le met au bras gauche de la façon qu'il le falloit; il n'en avoit jamais vu, ni su comme il le falloit mettre que par ouï-dire.—A cinq heures, Madame la petite arrive; il la reçoit en la cour, au pied de la petite montée.—En soupant, je lui dis: «Monsieur, papa vous mande à Paris pour remercier la reine Marguerite du présent qu'elle vous a fait.»—Quel? Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, elle vous a donné tout son bien.»—Comment dit-on quand on donne tout son bien? Je lui dis: «Monsieur, elle vous a donné le duché de Valois, le comté de Lauraguais et le comté d'Auvergne.»—Faudra-t-il que je sois prisonnier comme le comte d'Auvergne?
Le 12, dimanche.—A sept heures levé, vêtu, il aide
lui-même à démonter son lit. A une heure il part pour aller
à Paris dans la litière de la Reine, va par les bacs, trouve
M. de Souvré au Pecq. Goûté à Chatou. Passant le bac de
Mars
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Neuilly il voyoit Madrid: Hé! dit-il, velà une grande maison
qui chemine? M. le prince de Condé, M. de Vendôme, M. le
connétable, M. le Grand et grand nombre de noblesse
lui viennent au-devant jusque près du port de Neuilly.
A quatre heures trois quarts il arrive aux Tuileries, où le
Roi l'attendoit qui, l'ayant promené jusques à cinq heures
et demie, le mène, par la porte du jardin et la grande
galerie, au Louvre. Il va voir la Reine, court à elle qui
s'essaye de l'élever pour le baiser[274]; ne pouvant, le Roi
l'élève; mené au grand cabinet, où il se joue avec des
volants que la Reine lui avoit donnés. Soupé avec le Roi
au petit cabinet de la Reine, il s'endormoit, demande
congé d'aller en sa chambre, où il est mené à sept heures
et demie, sous le cabinet de la Reine.
Le 13, lundi, au Louvre.—A une heure et demie mené par la galerie aux Tuileries, au Roi, qui lui fait voir piquer des chevaux; ramené par le même chemin en sa chambre. Mené chez la Reine à douze heures et un quart, et à deux heures et demie le Roi le fait mettre avec lui en carrosse, à la portière, assis sur un carreau, pour aller vers la reine Marguerite, logée à l'hôtel de Sens, pour la remercier du don qu'elle lui avoit fait. En chemin le Roi lui demande: «Mon fils, aurez-vous pas froid?»—Ho! non, papa, je ne crains point le soleil ni la pluie. Il dit à la reine Marguerite: Maman ma fille, je vous remercie très-humblement du présent que vous m'avez fait, je suis votre très-humble serviteur. Ramené au Louvre à six heures et demie.
Le 14, mardi, au Louvre.—Mené par la galerie au jardin, aux Tuileries, il va à la messe aux Capucins[275]; ramené par le même chemin en la chambre de la Reine, puis en la sienne. A huit heures mené chez le Roi et la Reine, il leur donne le bonsoir.
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Le 15, mercredi, au Louvre.—A sept heures et demie, le Roi vient lui dire adieu, s'en allant assiéger Sedan, y est fort peu, le baise, l'embrasse, lui disant ces mots: «Adieu, mon fils, priez Dieu pour moi, adieu, mon fils, je vous donne ma bénédiction.»—Adieu, papa, répond le Dauphin; il étoit tout étonné et comme interdit de paroles. Soudain Mme de Montglat lui dit s'il veut pas prier Dieu: Oui, Mamanga, et il prie Dieu soudain.—Mené par la galerie aux Tuileries, il joue du palemail sur la terrasse, ne veut point aller à la messe aux Capucins. Mme de Montglat lui dit à l'oreille que le Roi lui a commandé de le mener ouïr la messe aux Capucins; il y va soudain.—Mené chez la Reine, il est logé à la chambre du Roi, aide à porter son bois de lit à la vue de la Reine; Mme de Montglat y fait mettre son lit pour y coucher. Il va seul en la ruelle de la Reine, y voit Mlle de Renouillère qui y dormoit, s'en vient doucement à la Reine, et lui demande: Maman, qui est cette bête-là?
Le 16, jeudi, au Louvre.—Mené jusques à la chapelle de
Bourbon[276] pour ouïr la messe, il n'y veut point entrer:
Il y fait noir, on n'y voit goutte! Hé! Mamanga, que j'entre
pas là dedans! Mené au jardin du Louvre, ramené en sa
chambre. A une heure trois quarts mené en la litière de
la Reine à l'Arsenal; il ne veut descendre de la litière
que M. de Rosny ne y fût arrivé; mené par les galeries
des armes sur le rempart, et de là à la Bastille, en la
cour, d'où il est salué du haut des tours par M. le comte
d'Auvergne, qui lui dit: «Bonsoir, Monsieur, je suis votre
très-humble serviteur»; il lui répond: Dieu vous garde,
moucheu le comte. Il étoit accompagné de Mme de Montglat,
de MM. de Souvré, de Châteauvieux; je y étois. Ramené
par le jardin en la salle et au cabinet où, à trois
heures et un quart, il fait collation; M. de Rosny lui donne
Mars
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un canon d'argent. Il demande le nom et l'usage des
outils et des parties, s'en veut aller et par le même chemin
qu'il étoit entré, ne voulut jamais passer par autre
chemin. Ramené à quatre heures et demie, mené à la
Reine, puis en sa chambre.
Le 17, vendredi, au Louvre.—Il part en litière à dix heures, accompagné de MM. de Souvré, de Châteauvieux, de Liancourt, va au jardin du Palais par le Pont-Neuf, où il est reçu par M. le premier président, messire Achille de Harlay; il le prie pour une affaire de sa maman Doundoun; M. de Harlay lui promet de n'oublier à le servir, au premier commandement qu'il lui a fait. Monté par le logis dudit sieur président, il est allé à la Sainte-Chapelle, où il entend la messe, baise la vraie croix, demande les noms et les usages de tout ce qu'il voit, passe et repasse porté par le sieur Birat, regarde deçà delà avec gravité et allégresse de tout le monde. Il se trouva des femmes qui se portoient à sa robe pour la baiser. Ramené par le même chemin au Louvre, et à onze heures et demie dîné. Il va chez la Reine, va en la galerie, où il court un renard avec les chiens du Roi.
Le 20, lundi, au Louvre.—Il va chez la Reine, qui partoit pour conduire Mlle Straler, damoiselle flamande, et Gratienne, l'une de ses femmes de chambre, aux Carmélines, où elles s'alloient rendre.—Il écrit au Roi par M. de Vendôme:
Papa, depuis que vous êtes parti, j'ai bien donné du plaisir à maman.
J'ai été à la guerre dans sa chambre: Je suis allé reconnoître
les ennemis: ils étoient tous en un tas dans la ruelle du lit à maman,
où ils dormoient[277]. Je les ai bien éveillés avec mon tambour: J'ai
été à votre arsenal, papa: M. de Rosny m'a montré tout plein de
belles armes, et tant, tant de gros canons, et puis il m'a donné de
bonnes confitures et un petit canon d'argent; il ne me faut qu'un
petit cheval pour le tirer. Maman me renvoie demain à Saint-Germain,
où je prierai bien Dieu pour vous, papa, afin qu'il vous garde
Mars
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de tout danger et qu'il me fasse bien sage et la grâce de vous pouvoir
bientôt faire très humble service. J'ai fort envie de dormir, papa:
Féfé Vendôme vous dira le demeurant, et moi que je suis votre très-humble
et très-obéissant fils et serviteur,
Dauphin[278].
Le 21 mars, mardi, au Louvre.—Il va chez la Reine; la reine Marguerite y vient, le prévenant en ce que la Reine le vouloit mener chez elle pour lui dire adieu.
Le 22, mercredi.—Il va chez la Reine, qui lui demande s'il est pas plus aise de s'en retourner à Saint-Germain que de demeurer auprès d'elle; il répond: Oui, froidement, lui dit adieu et, à une heure mis en litière, est parti pour se y en retourner. Arrivé au Pecq, il y trouve Madame, qui lui étoit venue au-devant, accompagnée de M. de Verneuil, la fait mettre avec lui dans la litière, la baise, l'embrasse, la fait asseoir près de lui.
Le 27, lundi, à Saint-Germain.—M. de Souvré; sur l'alarme de ceux qui avoient couru M. de Mansan, l'on fait murer les portes des deux petits ponts[279].
Le 1er avril, samedi, à Saint-Germain.—J'arrive de
Paris, il me saute au col; je lui apporte un trompette
turc à cheval, qu'il fait manier à courbettes. Il va chez
la petite Madame, qu'il aimoit fort, vient en ma chambre,
où je lui montre les figures de la Castramétation des Romains
par du Choul[280]; il y prend plaisir. L'on parloit
Avr
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du Roi, qui étoit allé assiéger Sedan; il demande: Mamanga,
qui est dedans?—«Monsieur, c'est monsieur de
Bouillon.»—Je lui couperai la tête.
Le 2, dimanche, à Saint-Germain.—Il se plaint à Mme de Montglat que l'on ne donne de la bougie à sa maman Doundoun, lesquelles, par ménage, M. de Montglat avoit retranchées aux officiers, encore que il en eût de l'argent du Roi pour les fournir.
Le 5, mercredi.—Sa nourrice parloit d'acheter une maison, mais disoit n'avoir point d'argent; elle lui en demande.—Je n'en ai point, maman, si j'en avois, je vous donnerois tout. Je lui demande qui le lui gardoit; il répond en souriant: C'est moucheu de Rosny.—Mené en carrosse au Pecq pour voir prendre, en la rivière, une oie par le gros barbet de M. de Frontenac, il s'amuse à voir pêcher du poisson, s'en fait donner des petits qu'il met dans la pelle creuse du batelier, où il y avoit de l'eau, fait jeter dans l'eau les plus petits disant: Hé! les pauvres petits! hé! sauvez-les; jettez-les dans la rivière.
Le 6, jeudi.—Il se fait mettre aux fenêtres du préau;
il passa un nommé Dumesnil sans le saluer, suivi de
son laquais, qui fit de même. Il demande: Qui est cettui-là
qui passe sans ôter son chapeau? Bompar, allez arrêter ce
laquais! Il y va, l'arrête. L'on disoit derrière M. le Dauphin:
«Voilà un homme mal avisé et son laquais aussi»;
il crie: Laissez, laissez-le aller, Bompar; il est aussi sot que
son maître. M. de Crillon le vient voir pendant son goûter;
il ne veut point dire adieu à M. de Crillon; Mme de Montglat
l'en tance dans sa petite chambre: Mais, Mamanga,
c'est un méchant homme. Je suis brave, moi, je suis furieux,
dit-il en faisant les contenances de M. de Crillon[281].—Il
fait allumer un feu au coin de la cheminée; l'on dit
que c'est le feu de joie pour la prise de Sedan: Non, dit-il;
Avr
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c'est le feu de joie de la paix, et avec toutes ses femmes
de chambre il chante: Vive le Roi, à grosse voix.
Le 10, lundi, à Saint-Germain.—Il va en la chambre de Mme de Montglat, qui avoit pris médecine, s'amuse à un cabinet d'Allemagne, y trouve la chambre du Roi, les cabinets, la salle du bal, la galerie rouge.
Le 11, mardi.—Mme de Vitry lui donne des poules et un renard d'ivoire[282].
Le 12, mercredi.—En se couchant il dit: Mamanga, je veux prier Dieu; Mamanga, c'étoit la nourrice du feu roi Charles qui se levoit toujours matin, et c'étoit qu'elle alloit prier Dieu?
Le 16, dimanche.—Il prend son tambour, et à la tête de la compagnie de M. de Mansan, qui faisoit la monstre, il prête le serment, le fait prêter à M. de Verneuil et à M. le Chevalier, et leur fait donner un sol à chacun.—Il vient en ma chambre, me demande à voir le livre des bâtiments (c'étoit Vitruve), demande les noms des machines principalement et leurs usages, les considère; il avoit une grande inclination aux mécaniques.
Le 17, lundi.—Il va en la salle du Roi, où il se trouve dix ou douze soldats de la compagnie de M. de Mansan qui apprenoient à danser sous Boileau; il leur fait prendre les armes, les mène à la guerre; le tambour c'étoit Boileau, qui jouoit du violon. Après avoir fait quelques tours de salle: Ça, dit-il, dansons; l'on fait poser les armes, il se met à danser aux branles, et afin qu'aucun ne le tînt par la main, il donne à tenir à son page Bompar l'une de ses petites manches et l'autre au sieur de Birat, son valet.
Le 18, mardi.—Mené par le petit jardin du bâtiment
neuf sur la terrasse de Neptune, il va voir un modèle de
pierre que l'on faisoit du bâtiment neuf, s'enquiert de
tout froidement, considère mûrement.—Pendant son
Avr
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souper il fait apporter la guenon et le sapajou de la
Reine, et s'entretient avec celui qui en a la garde, parle
avec telle ardeur qu'il en bégaye.
Le 20 avril, jeudi, à Saint-Germain.—Sa nourrice le tenoit en son giron; il la caresse, la baise: Hé! ma folle! mon cu! ma mère Doundoun! c'est Doundoun qui m'a donné à téter; elle lui demande s'il veut téter; il s'efforce à découvrir son sein; elle lui tend la mamelle, il la prend, suçoit et eût tété s'il y eût eu du lait.
Le 22, samedi.—Il voit en la cour un marchand de toile, le fait monter en sa chambre, veut lui-même avec une aune mesurer la toile.—A souper il fait du gâchis avec du pain esmié, disant: Je fais comme papa, et feint de manger, imitant le Roi lorsqu'il jetoit le jus de mouton sur du hachis sec.
Le 25, mardi.—L'ambassadeuse d'Angleterre, M. de Nemours, Mme la comtesse de Guichen[283] le viennent voir.
Le 30, dimanche.—M. le prince de Condé le vient voir; il lui en conte, lui dit qu'il a un beau canon tout d'argent, l'envoie querir, le lui montre.
Le 1er mai, lundi, à Saint-Germain.—Il s'amuse à
faire mordre les survenants à un œuf de marbre et à faire
sauter une petite grenouille artificielle. A dix heures
mené à la chapelle, puis, par le jardin et le préau, au bâtiment
neuf; il se joue en la galerie et sur les terrasses,
attendant le Roi, qui arriva à onze heures et demie, et le
reçut au bout de la terrasse de Neptune, du côté de Carrière,
au milieu, tout vis-à-vis de la petite porte des
pompes de la colonne. Le Roi lui commanda de donner
sa main à baiser à M. de Bouillon et d'embrasser M. le
Grand. A douze heures et demie dîné avec le Roi; voyant
manger au Roi du beurre frais sur du pain avec des aulx,
il dit qu'il en mangera bien, en avale deux petites tranches,
de celles que le Roi lui-même avoit mises sur son
Mai
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pain, et s'y forçoit pour complaire au Roi. Mené à la galerie
par le Roi, où il arme sa compagnie; il étoit mousquetaire,
il entre en garde, se fait mettre en sentinelle
par M. de Vendôme, et à deux heures et demie revient au
château avec le Roi. Mené au devant de la Reine, qui arrive
à six heures, il monte avec le Roi et la Reine en la
chambre de la petite Madame; le Roi s'étant joué longtemps
à M. et à Mlle de Verneuil, il en conçoit de la jalousie, part
soudain de la main, et va dans la garde-robe de sa chambre,
se met derrière la porte, s'assied sur un coffre, et commande
impérieusement à l'exempt: Fermez la porte, que
personne n'entre. Je lui demande pourquoi il s'en étoit
ainsi venu: De peur, dit-il, que papa ne me vit pleurer. Il
s'en va en la chambre de Mme de Montglat, on ne l'en
peut tirer pour aller en sa chambre souper que par deux
de ces pièces d'or de dix écus de la Reine que Mlle de
Ventelet lui apporta.
Le 2, mardi.—Mené chez la Reine, la Picarde, seconde nourrice de Madame, tenant au bras son enfant, se jeta à genoux devant la Reine, les larmes aux yeux; le Dauphin en eut tant de compassion qu'il part soudain d'auprès de la Reine et se met derrière Mme de Montglat, le visage tout en feu de rougeur, de la force dont il se gardoit de pleurer; il saute au col de Mme de Montglat, où il se tient tant que la Reine (même qui se leva de son siége pour cet effet) l'eût assuré qu'elle donneroit de l'argent à la nourrice; là-dessus sa couleur ordinaire lui revient. Mené par la Reine en carrosse au bâtiment neuf, il va à la messe avec le Roi et, à midi, a dîné avec Leurs Majestés. Le Roi et la Reine s'en retournent à Paris.
Le 4, jeudi.—Il ne veut point déjeuner qu'il n'ait tiré
une harquebusade, se fait mettre de la poudre dans sa
harquebuse à mèche et de l'amorce par M. de Ventelet,
puis, sur la terrasse de sa chambre, avec un petit bâton
au bout duquel il y avoit de la mèche, il y met le feu; la
fumée lui passa sur la main et près du visage; puis il dit
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1606
par grande allégresse à tout chacun qu'il a tiré une
harquebusade et qu'il n'a pas eu peur; c'étoit de la harquebuse
que lui avoit donnée M. d'Oinville, maréchal
de logis de sa compagnie, et la première qu'il eût[284].
Le 5, vendredi.—Il entend jouer les joueurs de cornemuse du Roi avec attention, et jusqu'au transport; les joueurs de musette jouent pendant son dîner.
Le 7, dimanche.—Mlle Mercier, l'une de ses femmes de
chambre, qui l'avoit veillé, étoit encore au lit contre le
sien; il se joue à elle, lui fait mettre les jambes en haut,
en cornemuse, et des pailles entre les orteils des pieds,
puis les y fait remuer comme si elle eût dû jouer de l'épinette;
après il dit à sa nourrice qu'elle aille querir des
verges pour la fesser, le fait exécuter; puis sa nourrice
lui demande: «Monsieur, qu'avez-vous vu à Mercier?»
Il répond: J'ai vu son cu, froidement.—«Est-il
bien maigre?»—Oui, puis soudain il se reprend: Non,
non, il est bien gras.—«Qu'avez-vous vu encore?» Il
répond froidement et sans rire qu'il a vu son conin.—Il
voit le colonel Berman, du canton de Fribourg, qui
avoit emmené un régiment de Suisses pour le siége
de Sedan, lui donne sa main à baiser et à ceux de sa
compagnie, puis soudain demande son corselet et ses
armes complètes, va en la salle du Roi, où il se fait armer
de la cuirasse, puis prend sa pique, fait mettre près de
lui M. de Verneuil, fait battre le tambour, et marche en
garde. A l'arrivée, les Suisses lui firent un petit mot de
harangue par la bouche du colonel Berman, qui étoit, en
somme, pour lui faire entendre qu'ils étoient venus pour
le service du Roi et pour le sien et qu'ils étoient serviteurs
du Roi et les siens; le Dauphin, sur cette parole,
répondit: Bien. A la salle, avant partir, Mme de Montglat
fit porter du vin pour la collation, et dit à l'oreille à M. le
Dauphin qu'il falloit qu'il bût à eux; il dit soudain:
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Qu'on apporte mon verre; on l'envoie querir, l'on y met
un bien peu de vin avec beaucoup d'eau, et il boit à eux;
il ne y fait que tâter. Ils en furent fort aises, disant que
cette action iroit bien loin.
Le 9, mardi, à Saint-Germain.—Mené au bâtiment neuf, où étoit la mariée du jardinier, qui dansoit au petit jardin du Roi; l'on y vouloit jeter le coq; il le jeta par trois fois en la cour, puis il s'en va en la galerie, où il a dansé en branle où étoit la mariée, dansa la courante et la bourrée avec Mlle de Vendôme.
Le 10, mercredi.—Maître Martin, son peintre, vient pour le peindre, le peint armé de son corselet, sous sa robe de velours cramoisi garnie d'or, l'épée au côté et la pique de la main droite, la tenant droite, la tête couverte de son bonnet de satin blanc, d'enfant, avec une plume blanche; c'est la première fois qu'il ait été ainsi peint. Il se fait donner des couleurs et un pinceau, imite le peintre mêlant ses couleurs, regarde parfois la besogne de son peintre. Il tenoit sa chienne Isabelle, la caressoit, la baisoit, l'appeloit sa mignonne, car il aimoit extrêmement les chiens; il disoit à son peintre qu'il peignit sa chienne auprès de lui. Mlle Mercier lui dit: «Monsieur, il ne faut pas que ceux qui sont armés aient des chiens avec eux;» il répond soudain: Mais ce sera pour prendre les ennemis par les jambes.
Le 11, jeudi.—Il prend en coutume, quand on lui dit quelque chose, de répondre: Je m'en soucie bien.
Le 12, vendredi.—La reine Marguerite le vient voir; il permet à Mme de Montglat d'aller au-devant d'elle, puis il y va, et la salue au milieu de l'allée du jardin qui est sur le fossé, l'emmène voir faire son jardin.
Le 14, dimanche.—Il devient amoureux de la nourrice de la petite Madame; il alloit et revenoit à la chambre de la petite Madame, tout exprès pour la voir en passant, la guignant de l'œil et se souriant.
Le 15, lundi.—Je lui maniois le pouls, lui ayant dit
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que je reconnoîtrois s'il étoit amoureux; il me demande:
Que fait-il?—«Monsieur, il frétille.» Il se laisse coiffer
pour l'amour de la nourrice de Madame sa petite sœur,
prend plaisir que l'on lui en parle et que l'on lui demande
de qui il est amoureux. A dîner il fait les doux
yeux à la nourrice de Madame la petite, fait le honteux
et retourne sa face; Mme de Montglat lui dit qu'il ne faut
point qu'un amoureux soit honteux.—Il se joue en sa
chambre; arrive une femme, revendeuse à Paris, nommée,
à ce qu'elle me dit, Opportune Julienne; elle se prend à
danser devant, à découvrir ses cuisses bien haut, tantôt
l'une et puis l'autre; il regardoit tout cela avec un extrême
plaisir, auquel il se laisse transporter, et court
après cette femme pour lui soulever la cotte.
Le 18, jeudi.—Il fait porter son écritoire[285] à la salle à manger pour écrire sous Dumont[286], dit: Je pose mon exemple; je m'en vas à l'école; il fait des O, fort bien.
Le 21, dimanche, à Saint-Germain.—M. de Longueville le vient voir, a dîné avec lui.
Le 23, mardi.—On lui dit que M. le connétable venoit
pour le voir; le voilà soudain en mauvaise humeur,
et il demande d'aller en la salle du bal. M. le connétable
y monte; le voilà à crier; enfin apaisé. On lui porte son
mousquet, sa bandoulière, et il descend en la basse-cour,
puis au jardin, ayant avec lui M. le Chevalier, M. de
Verneuil, M. de Montmorency et M. le comte de Lauraguais,
armés aussi; il se met à la tête de la compagnie,
va chez M. de Frontenac pour être à la collation qui se y
faisoit, à cause que M. le connétable tenoit à baptême
un sien fils[287] avec Mlle de Vendôme. M. le connétable
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prend congé de lui, s'en allant en Languedoc; M. de
Montmorency prend aussi congé de lui.
Le 24 mai, mercredi, à Saint-Germain.—Mlle Value, Mlle Prévost-Biron, Mlle Gillette[288], maîtresse du feu maréchal de Biron, assistent à son goûter.
Le 26, vendredi.—Arrive M. de Vaudemont, qui baise la main du Dauphin en la chambre du Roi.
Le 27, samedi.—M. et Mme de Montpensier viennent voir le Dauphin; il leur fait bonne chère.—On lui demande si l'Infante est pas sa maîtresse, il dit: Non, c'est la nourrice à ma petite sœur, et de fait l'ayant rencontrée, il lui sauta au col et la baisa.
Le 30, mardi.—M. le cardinal de Joyeuse arrive, auquel il donne sa main à baiser.—A huit heures trois quarts, il avoit envie de dormir, et toutefois il lui prend une humeur de s'armer, se fait mettre son corselet, prend sa pique pour se faire mettre en sentinelle par Hindret, son joueur de luth, qui étoit le caporal. Je lui demandai s'il seroit longtemps, il répond: Deux heures. C'étoit l'heure des sentinelles de la garnison qu'il avoit apprise, car il savoit toutes les fonctions d'un soldat. L'on ne sut jamais le dissuader de cette action; il y est quelque temps, et n'en voulut jamais partir qu'il ne fût relevé, se promenant la pique haute.
Le 1er juin, jeudi, à Saint-Germain.—Il récite les quatre premiers quatrains de M. de Pibrac, qu'il savoit, comme s'il eût récité une comédie; M. le Chevalier en faisoit autant, puis M. de Verneuil.
Le 3, samedi.—Mme de Montglat le tance et lui arrache
son tablier, qu'il tenoit à la bouche; le voilà en colère.
Il la bat sur la main; elle ne disoit mot; il se retourne
Juin
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et lui rue des coups de pied, tant que voyant deux
maçons qui travailloient à faire l'enceinte de la chapelle,
l'un avec un balai l'autre avec une hotte, il se jette à
genoux: Hé! Mamanga, pardonnez-moi! Cependant les
maçons prennent le petit laquais de M. de Mansan et
l'emportent dans la hotte, le mettent dans la chapelle.
Hé! Mamanga, parlez pour lui!
Le 4, dimanche.—Il se joue à une petite fontaine faite dans un verre, qui lui venoit d'être donnée par les verriers de la verrerie de Saint-Germain-des-Prés, s'amuse à une vaisselle de poterie où il y avoit des serpents et des lézards représentés[289], y faisoit mettre de l'eau pour les représenter mouvants.—Il appelle Hindret, son joueur de luth, Boileau, son violon, et un soldat qui jouoit de la mandore, et lui, prenant un luth, dit: Faisons la musique; il les fait ranger tous autour de lui, au chevet de son lit; il pinçoit son luth comme s'il eût joué avec intelligence. Il aimoit extrêmement la musique.
Le 5, lundi.—M. le marquis de Rainel, revenant de Hongrie, le vient voir; il lui disoit: «Monsieur, me ferez-vous pas un jour grand maître de votre artillerie?» Le Dauphin ne répondant point, M. de Ventelet lui dit: «Monsieur, c'est M. le marquis de Rainel qui vous prie de le faire un jour grand maître de votre artillerie, le ferez-vous pas?» Il répond: Je le veux bien. J'entendois tout cela, et lui demandai: «Monsieur, vous plaît-il que j'enregistre cette promesse que vous avez faite à M. de Rainel, dans mon registre?»—Oui! oui!—Mené au palemail, il fait démasquer la nourrice de la petite Madame, lui disant: Démasquez-vous, je vous veux baiser.
Le 6, mardi.—Il frotte le derrière de son oreille, en
rapporte une ordure qu'il met en sa bouche, comme il
faisoit souvent, et celles du nez, qu'il avaloit; Mme de Montglat
l'en reprend, il répond: Quoi! est-ce du poison?
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Il va en la chambre de la petite Madame, en baise la
nourrice à la bouche, aux yeux, au front, au nez, aux tétons,
avec transport, disant: Je vous baiserai toujours. Il
en étoit amoureux par inclination.
Le 8, jeudi, à Saint-Germain.—A cinq heures et demie le Roi et la Reine arrivent de Paris; il les va recueillir hors du pied de l'escalier, en la cour. Le Roi lui dit: «Eh bien, mon fils, vous avez été fouetté!»—Non pas tous les jours, papa.—«Qu'aviez-vous fait?»—Rien. Il remonte avec eux en la chambre de la petite Madame, où il s'assied sur la fenêtre, et fut fort longtemps à entretenir le Roi; à sept heures et un quart soupé avec le Roi. Mené en sa chambre, le Roi peu de temps après y arrive, et la Reine après; il danse aux branles, la courante, puis se met au giron de sa nourrice, s'endort, est mis au lit à neuf heures et demie. Leurs Majestés se retirent; sa nourrice approchant près de lui trouve qu'il ne dormoit pas, et lui dit: «Monsieur, vous ne dormez pas?»—Non, dit-il tout bas, papa s'en est allé?—«Oui, Monsieur, pourquoi avez-vous fait semblant de dormir?»—Pource que papa s'en fût pas allé, et il y avoit tant de monde, j'avois si chaud!
Le 9, vendredi.—Il attend avec impatience un carrosse
pour aller trouver le Roi au bâtiment neuf, y va, le
trouve à la chapelle, revient avec lui à la galerie. Armé
de son mousquet, il va à la guerre, assault la ville (c'étoit
la balustre qui étoit autour de l'une des cheminées où il y
avoit des soldats); MM. de Vendôme et de Verneuil, les
deux fils de M. de Frontenac, étoient avec lui. Il fait planter
dans la salle de grands tuyaux de chaume pris des paillasses
vidées, dit que ce sont des piquiers, et au-devant,
d'un bout à l'autre, fait faire une traînée de poudre. Le
Roi y fait mettre le feu en sa présence et en celle la Reine.
Le Dauphin disoit qu'il vouloit être mousquetaire, et néanmoins
il avoit accoutumé de reprendre ceux qui ne faisoient
pas bien; le Roi lui dit: «Mon fils, vous êtes mousquetaire,
et vous commandez!» A quatre heures le Roi et
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la Reine partent pour s'en retourner à Paris; étant au port
de Chatou, au delà de l'île, il faisoit glissant à la descente;
les chevaux reculent, poussent le bac, les roues de derrière
du carrosse demeurent dans l'eau, et, à la descente
de celui de Neuilly[290], tout le carrosse tomba dans l'eau,
à la main gauche de la Reine, étant à la portière, et le
Roi couché du long en dedans, où il s'étoit mis un peu
auparavant pour dormir. Ce fut ainsi que les chevaux
étoient près d'entrer dans le bac; l'un de ceux de derrière
glisse, le cocher le fouette; se voulant relever, il retombe,
tire et fait tomber son compagnon, et le carrosse
renverse en l'eau, sur la nacelle attachée au bac,
qui s'enfonça mais empêcha que le carrosse n'allât tout
au fond. M. de Montpensier se jeta le premier dehors,
par la portière qui étoit en l'air environ demi-pied. M. de
l'Isle-Rouet y va, appelle le Roi, qui n'avoit que la tête
et un bras hors de l'eau, lui prend les mains, le met hors
de l'eau, [le Roi] disant: «Que l'on aille à ma femme»,
et en sortant rencontre M. de Vendôme, qu'il met hors de
l'eau. Ce pendant la Reine étoit toute dans l'eau, à la
portière; un valet de pied[291] se y jette, la prend par
sa coiffure qui échappe; il la prend sous la gorge, et
à l'aide de M. de la Chastaigneraie ils lui mettent la tête
hors de l'eau, et aussitôt [elle] demanda: «Où est le
Roi?» qui, l'entendant, se jeta dans l'eau pour l'aider
à mettre dehors. Mme la princesse de Conty fut toute la
dernière, qui avoit du commencement prins le sieur de
l'Isle par la barbe, comme il tiroit le Roi; elle quitta
pour ce qu'elle l'empêchoit[292].