L'expédition de la Jeannette au pôle Nord, racontée par tous les membres de l'expédition - volume 1: ouvrage composé des documents reçus par le "New-York Herald" de 1878 à 1882
CHAPITRE II. [1]
«La Jeannette».—Son équipage.
Portrait de la Jeannette. —Réparations qu'elle subit avant d'entreprendre son voyage. —De Long. —Chipp. —Danenhower. —Ambler. —Collins. —Newcomb. —Dunbar. —Les hommes de l'équipage.
Le navire.
Avant de présenter au lecteur les différents membres de l'expédition arctique projetée par M. Bennett, nous devons lui faire faire connaissance avec le navire destiné à leur servir de demeure pendant les longs mois qu'ils seront sans doute condamnés à passer au milieu des glaces polaires.
La Jeannette est un navire mixte, gréé en barque. C'est un navire bas et élancé, qui a été construit pour le compte du gouvernement anglais. Il était primitivement destiné à servir d'aviso et de transport pour l'escadre de la Méditerranée. Mais quand il fut achevé, la marine de Sa Majesté britannique n'en ayant plus besoin, le fit mettre en vente. Il fut acheté par le capitaine Allan Young, yachtman anglais distingué qui avait déjà pris part à l'heureuse expédition de sir Léopold Mac Clinctock, à la recherche des restes de Franklin. Son nouveau propriétaire, après un court voyage dans les mers arctiques, le vendit à M. Bennett, qui le destinait à l'usage que nous savons. C'est ce qu'on appelle un navire haut sur quille,—c'est-à-dire dont la quille s'en va en forme de coin,—de sorte qu'on peut espérer, s'il vient à être pris dans les glaces, qu'il sera soulevé par leur pression, au lieu d'être écrasé, comme il arrive d'ordinaire aux navires à fond aplati ou à flancs perpendiculaires.
Après la cérémonie du baptême, la Jeannette ne tarda pas à prendre le chemin de l'Amérique, emportant à son bord le capitaine de Long et sa famille. Nous ne nous arrêterons point aux quelques petits incidents qui purent survenir pendant la traversée du Havre à San Francisco; d'ailleurs, aucun de ces incidents ne mérite de fixer notre attention. Nous dirons seulement que le voyage dura cinq mois et demie et que le capitaine de Long choisit la route du détroit de Magellan au lieu de celle du cap Horn.
Comme nous l'avons dit, M. Bennett avait acheté la Jeannette afin de l'offrir au gouvernement des États-Unis, pour une expédition au pôle nord.
Par acte du 27 février 1879, le Congrès accepta cette offre et autorisa le secrétaire de la marine à se charger de l'armement du navire. Ce dernier avait, à la vérité, fait ses preuves dans les mers arctiques, pendant le voyage exécuté par le capitaine Allan Young; néanmoins on crut nécessaire de le remettre au dock pour le réparer.
La Jeannette fut donc, dès son arrivée à San Francisco, envoyée à Mare Island, où le secrétaire de la marine était autorisé à prendre, dans les arsenaux de l'État, tous les matériaux nécessaires pour la mettre en état d'affronter les périls de l'expédition à laquelle on la destinait. La seule restriction apportée à cette autorisation était qu'aucune des dépenses pour les réparations ou les améliorations faites au navire ne devait rester à la charge du département de la marine. Il était, en outre, enjoint au secrétaire, par l'acte du Congrès, de faire vérifier, avant d'en prendre charge, si le navire était réellement approprié à un voyage d'exploration dans les mers polaires. A Mare Island, la Jeannette subit donc une inspection minutieuse, après laquelle les ingénieurs déclarèrent que, vu les dangers du voyage qu'elle allait entreprendre, il était prudent de la renforcer, pour qu'elle pût supporter plus facilement la pression des glaces. Ce n'était là, toutefois, qu'une mesure de précaution, puisque ce navire était d'une excellente construction et possédait la force ordinaire des navires de ce tonnage. De grands travaux furent néanmoins entrepris pour satisfaire au desideratum des ingénieurs, et M. Bennett en paya tous les frais. On changea les anciennes chaudières de la Jeannette, qu'on remplaça par des neuves, et on mit tout en œuvre pour qu'elle fût dans les meilleures conditions possibles au moment de son départ: des barreaux de fer furent placés à l'avant et à l'arrière des chaudières pour soutenir les flancs du navire. Son extrême-avant fut, jusqu'à une dizaine de pieds du faux-pont, rempli de solides madriers bien calfatés. Des hiloires additionnelles et des madriers de six pouces d'épaisseur furent ajoutés à la charpente ordinaire pour renforcer son petit-fond. En outre, le fond fut réparé partout où il en avait besoin. Toutes ces réparations et améliorations furent faites avec tant de soin, qu'on pouvait raisonnablement croire que la Jeannette était en état de surmonter tous les périls ordinaires qu'on est accoutumé à rencontrer dans la navigation des mers polaires.
Après avoir donné à nos lecteurs la description de l'instrument, il nous reste à leur présenter ceux qui étaient destinés à s'en servir.