La Tétralogie de l'Anneau du Nibelung
[286-2] Quelque inopportunes qu'elles paraissent peut-être, j'ai mes raisons d'écrire ici, simplement, ces mots suggestifs: Saint Michel terrassant le démon.
[287-1] «Il y a dans Asgôrd une place appelée Hlidskjalf; lorsqu'Odin s'y assied, son regard embrasse tout l'univers, toutes les actions des hommes.» (Edda de Snorro, p. 39.)
[288-1] «Odin envoya Loki à Schwarzalfenheim. Celui-ci se rendit auprès du nain Andwari, qui nageait dans l'eau sous forme de poisson. Loki le saisit, le retint, et lui demanda pour rançon tout l'or qu'il possédait dans ses rochers, et c'était un immense trésor.» (Edda de Snorro).
[288-2] «Alors Loki parla ainsi: «... Sauve maintenant ta tête des rets de Hel et livre-moi la flamme des eaux, l'or brillant.» (Sigurdakvidha Fáfnisbana önnur.)
[289-1] «Le nain cacha sous sa main un petit anneau d'or... demanda de pouvoir garder cet anneau, parce que, par son moyen, il pourrait de nouveau augmenter son trésor.» (Edda de Snorro.) L'Edda de Sœmund (Sigurdakvidha Fáfnisbana önnur) semble ignorer que l'anneau possède une telle vertu; du moins n'en fait-elle pas une explicite mention.
[289-2] «Prenez garde», a dit Alberich un peu plus haut, «si, du fond des gouffres muets, l'or du Nibelung s'élève à la lumière du jour!»
[290-1] «Rei, fœdissimæ per se, adjecta indignitas est. Pondera ab Gallis allata iniqua, et, tribuno recusante, additus ab insolente Gallo ponderi gladius; auditaque intoleranda Romanis vox: Væ victis esse.» (Tite-Live, V, 48.)
[290-2] Wotan se verra dire la même chose, un peu plus loin, par les Géants; et, dans le Crépuscule-des-Dieux, réclamant à Siegfried l'Anneau, les Filles-du-Rhin la répéteront, textuellement, en les mêmes termes. Qu'on veuille bien se reporter à ma note antérieure, sur la symétrie chez Wagner et dans les poèmes dramatiques des Grecs (p. 264, note 2).
[290-3] Voir ci-dessous la note (1) de la page 292.
[291-1] Je rappelle ce que j'ai dit plus haut, mais que je ne répéterai guère chaque fois: à savoir, qu'à l'idée de «détresse» doit s'ajouter presque toujours, en cette traduction de la Tétralogie, une idée de contrainte ou de nécessité.
[292-1] «Loki voyait tout l'or que possédait Andwari. Mais, quand celui-ci eut livré tout le trésor, il retenait encore un anneau. Loki le vit et le lui enleva aussi.» (Sigurdakvidha Fáfnisbana önnur.) «Loki le vit et lui ordonna de donner aussi l'anneau. Le nain demanda de pouvoir garder cet anneau... mais Loki lui répondit qu'il ne lui laisserait rien, et, lui prenant l'anneau, s'en alla.» (Edda de Snorro.) «Il retourna vers la demeure de Hreidmar et montra l'or à Odhin, et, quand Odhin vit l'anneau, il le trouva beau. Il s'en empara...» (Id.)
[293-1] La Malédiction d'Alberich a, sur le développement de l'«action» (jusqu'à la conclusion du Crépuscule-des-Dieux), une influence trop décisive pour que je ne tienne pas à donner ici, à côté de mon adaptation toute dramatique, la littéralité du texte. Si l'adaptation dramatique était en effet nécessaire pour produire, en première lecture, l'impression du mouvement de ce passage capital, la littéralité n'est pas moins nécessaire à quiconque voudrait, l'œuvre lue, en approfondir à loisir le sens et les correspondances (j'ai souligné, en italiques, les plus intéressantes de ces correspondances):—«Comme par [une] Malédiction il ne réussit,—Maudit soit cet Anneau!—S'[il] donna, [par] son Or,—A moi, [une] puissance sans mesure,—Que désormais son charme engendre—Mort pour qui le porte[ra]!—Nul joyeux [ne] doit—Se réjouir de lui;—Qu'à nul heureux [ne] rie—Son splendide éclat;—Qui le possède[ra],—[Que] le ronge l'angoisse,—Et qui ne l'a[ura] pas,—[Que] le dévore [l']envie!—[Que] chacun soit-avide—De son bien,—Mais [que] nul [ne] tire-profit,—Avec utilité, de-lui;—Sans avantage [que] le garde son Maître,—Mais [qu']il attire vers lui l'égorgeur!—Voué à la mort,—[Que] la Peur enchaîne le lâche;—[Qu']aussi longtemps [qu']il vit (vivra),—Il en meure, consumé [de désir]—Maître de l'Anneau,—Comme [s'il était] esclave de l'Anneau:—Jusqu'à-ce-qu'en ma main—De nouveau je tienne le volé!—[C'est] ainsi [que] bénit,—Dans [sa] détresse suprême,—[C'est ainsi qu'il bénit] son Trésor, le Nibelung!»
[293-A] Deux thèmes servent de base à l'Imprécation d'Alberich: la Malédiction d'Alberich et le Motif de Destruction,—d'anéantissement,—indiquant l'entreprise continue du ténébreux pouvoir contre le règne et l'existence même des Dieux. (Partition, pages 174-175 et suivantes.)
[294-1] «Alors le nain dit que quiconque posséderait cet anneau, le payerait de sa vie. Loki reprit qu'il pouvait en advenir ainsi qu'il le disait, mais que ce serait l'affaire de celui qui posséderait l'anneau à l'avenir.» (Edda de Snorro.) «Le nain se rendit au Burg et dit: «Maintenant cet or que Gustr possédait causera la mort de deux frères et de huit nobles guerriers. Nul ne jouira de mon or.» (Sigurdakvidha Fáfnisbana önnur.)
[295-1] Les Géants sont, par les Eddas, surnommés fréquemment «les baleines des montagnes» (Poème de Hymer, 35); «les habitants de la montagne» (Id., 17), etc.
[296-1] Comparer ce passage de l'Edda: «Dans la cour se promenaient les troupeaux à cornes d'or, les bœufs noirs, la joie du géant: «J'ai de l'or, j'ai des perles, Freya seule me manquait.» (La Recherche du Marteau.)
[296-2] Littéralement: «la Fleurissante.»
[296-3] Mon collaborateur Edmond Barthélemy a parfaitement mis en lumière (IVe partie de son Étude) avec quel génie créateur Wagner a transposé de l'Edda toute cette admirable scène poétique. Je prie donc le lecteur de se reporter ci-dessus, à la page 194, pour les sources. Je rappelle seulement que, dans les Eddas, les Dieux, dont Odin et Loki, ayant tué une loutre Otur, fils métamorphosé d'un certain Hreidmar, le père et les frères de la loutre se saisissent des meurtriers: «On écorcha la loutre, et Hreidmar, ayant pris la peau, dit qu'il fallait la remplir d'or rouge, puis la recouvrir aussi d'or extérieurement, et qu'ainsi ils achèteraient la paix.» (Edda de Snorro.)
[297-1] Snorro, dans son Edda, citant la Völuspa, prête au Donner scandinave (Thor) une semblable fureur quand les Dieux ont «promis de livrer la femme d'Od (Freya) à un rejeton des Géants... car il reste rarement tranquille, lorsque de pareilles choses viennent à ses oreilles.»
[298-1] Voir la note (1) de la page 253.
[298-A] Ici la Mélodie de Freya revient à l'Orchestre.
[299-1] Voir d'abord la note (3) de la page 296: «Les Ases délivrèrent le trésor à Hreidmar, remplirent la peau de la loutre et la placèrent debout sur ses pieds. Les Ases devaient encore l'entourer d'or et l'en couvrir complètement.» (Sigurdakvidha Fáfnisbana önnur.) «Quand cela fut fait... Hreidmar s'approcha, examina tout avec grande attention, et aperçut un poil de la barbe. Il exigea qu'il fût aussi caché, que sinon le traité serait rompu.» (Edda de Snorro.)
[299-2] Voir la note (2) de la page 200.
[300-A] A cette indication scénique, apparaît le motif de Erda, Déesse de la Terre. Ce thème,—analogie tout à fait intéressante et profonde,—n'est autre que la Mélodie primitive réapparue, mais en mineur et dans la mesure en 4 temps (elle est, dans le Prélude, en 6/8); puis elle revient avec la forme majeure, comme dans le Prélude, mais toujours rythmée à 4 temps, à ces paroles de Erda: «J'ai trois filles dès l'Éternité conçues» jusqu'à celles-ci: «Mais cette fois quelque immense péril...»
Et le thème se prolonge, en se modifiant, jusqu'à la disparition de Erda. (Partition, pages 192-193-194.) Le Thème du Crépuscule des Dieux est également donné dans ce passage. (Partition, page 194.)
[301-1] C'est-à-dire «l'Originelle-Wala». Vola ou Vala était le nom réservé, chez les Scandinaves, à des prophétesses qu'on appelait, en telles circonstances, pour prédire l'avenir. En traduisant par «l'âme antique» (de l'impérissable univers), je ne fais que développer logiquement, dramatiquement, le sens intégral, le sens le plus compréhensif, tel que le révèlent et la musique et l'ensemble du rôle d'Erda, dans le Rheingold et dans Siegfried, sans oublier les allusions qu'y fait Wotan, dans la Walküre. Dans tous les cas, quelque respect que je professe pour M. Schuré, je ne puis me rallier à sa version: «Celle-qui-choisit-originairement.» Personnification de la Terre, âme passive autant qu'omnisciente de la Nature, antérieure aux dieux comme à l'homme, survivant aux dieux comme à l'homme, dont le Désir ou la Volonté suivie d'effort parviennent à la dompter parfois, et parfois à la pénétrer,—Erda, en aucun vers de la Tétralogie, n'est «Celle-qui-choisit-originairement»—Il convient de rappeler que, dans l'Edda, c'est une «Vola» aussi qui, par la Völuspa, cette Apocalypse du Nord, raconte ou plutôt suggère en des vers, tour à tour obscurs, bizarres et sublimes, sa vision terrible et confuse des destinées, et notamment de la Fin des Dieux.
[302-1] C'est en effet la nuit que Wagner (Prologue du Crépuscule-des-Dieux) nous mettra devant les yeux les Nornes.—Traducteur, il m'importe de placer ici une observation d'ordre général. Le texte porte bien: «révèlent» (littéralement: «disent»); mais, critiquant ci-dessus une interprétation de M. Édouard Dujardin, j'ai eu l'occasion d'expliquer comment le présent a, chez Wagner, assez souvent le sens du futur (transposition nécessitée par le caractère analytique du futur allemand, lequel, alourdi d'un auxiliaire, se prête mal, en raison de cet élément logique, aux synthèses tout émotionnelles de la mélodie concordante; transposition qu'autorisaient, non seulement l'esprit et l'exemple des vieux textes nationaux, mais,—puisque Wagner recherchait la «conversation idéale»,—l'emploi de cette forme, simplifiée, dans la conversation moderne). Aussi une traduction qui, n'étant pas totale, n'aurait pas à tenir compte des réactions constantes, réciproques, de toutes les parties des quatre Drames, pourrait-elle rendre mon «révèlent» par le temps futur: «révéleront» («diront»). C'est l'une des critiques que je prévois, comme j'en aurai prévu bien d'autres; mais, d'avance, je ne l'accepte point: le présent n'est-il pas éternel pour celle qui vient de déclarer: «Tout ce qui fut m'est connu; tout ce qui devient, je le vois; tout ce qui sera, je le prévois»?—Plusieurs fois, dans le cours des Drames, j'ai ainsi modifié, wagnériennement toujours, la stricte concordance des temps: ces modifications, je ne les signalerai plus. J'annonce seulement que c'est par des réflexions de ce genre que sera déterminé, plus loin, l'emploi des temps du verbe dans la scène des Nornes (Prologue du Crépuscule-des-Dieux).
[303-1] «La savante Wola sait beaucoup de choses. Je vois dans l'éloignement les ténèbres se répandre sur les puissances, et leur dernier combat.» (Volüspa.) «Le soleil commence à s'obscurcir, la terre s'enfonce dans l'Océan, les brillantes étoiles disparaissent, la fumée s'élève en tourbillons, et les flammes jouent avec le ciel lui-même.» (Id.)
[304-1] Voir d'abord la note (1) de la page 299: «Odin prit l'anneau Andvara-naut et cacha le poil sous l'anneau» (Sigurdakvidha Fáfnisbana önnur) «et dit qu'ainsi il avait payé sa composition pour la mort de la loutre.» (Edda de Snorro.)
[304-2] «Fafnir et Regin exigèrent de leur père une part de la composition payée pour la mort de leur frère. Mais Hreidmar refusa. Alors Fafnir saisit son épée, tua son père Hreidmar pendant son sommeil. Hreidmar mourut, et Fafnir prit tout l'or pour lui seul. Regin réclama sa part de l'héritage paternel; mais Fafnir refusa.» (Sigurdakvidha Fáfnisbana önnur.)
[305-1] Voir d'abord la précédente note.—«Regin demanda que Fafnir lui remît la moitié du trésor. Fafnir répondit qu'il ne devait pas espérer qu'il partageât l'or avec lui, attendu qu'il avait tué son père pour le posséder et qu'il n'avait qu'à s'éloigner s'il ne voulait partager le sort de Hreidmar. Fafnir avait pris l'épée Hrotti et le casque que Hreidmar avait possédé, et l'avait posé sur sa tête. Ce casque s'appelait Œgirshelm» (c'est l'équivalent du Tarnhelm) «et il inspirait l'épouvante à tous les humains. Regin avait pris l'épée qui s'appelait Resil, et il s'enfuit en l'emportant.» (Edda de Snorro.)
[305-2] Cette requête de Fasolt est une réminiscence d'un semblable épisode du Nibelunge-nôt: «Tout le trésor de Nibelung avait été apporté hors de la montagne creuse... Comme les Nibelungen se mettaient à le partager, Siegfrid les vit et le héros en fut étonné... Schilbung et Nibelung reçurent fort bien le brave Siegfrid. De commun accord ils prièrent le noble jeune chef, l'homme très beau, de partager le trésor entre eux... Mais ils étaient peu satisfaits du service que leur rendait Siegfrid le bon héros: il ne put en venir à bout, tant ils étaient d'humeur colère.» (Nibelunge-nôt, III, 22-23.)
[306-1] «LOKI: Je t'ai donné de l'or pour racheter ma vie, mais il ne portera pas bonheur à ton fils. Il sera la cause de votre mort à tous deux... Je crois voir des choses encore plus terribles. On se battra pour une femme. Ils ne sont pas encore nés les nobles guerriers pour qui cet or sera une cause de discorde.» (Sigurdakvidha Fáfnisbana önnur.)
[306-A] La Malédiction d'Alberich reparaît à l'Orchestre (trombones) (partition, pages 200 et 201).
[307-1] Or, Wotan descendra vers elle entre la scène IV de l'Or-du-Rhin et l'acte Ier de la Walküre: un récit relatif à ces faits s'imposera donc dans la Walküre.—J'aurai à rappeler cette observation, lorsqu'il s'agira, non point de justifier, mais d'expliquer, pour les obtus, l'existence d'un pareil récit, considéré comme une «longueur» et par nos critiques nationaux mieux à l'aise devant des vaudevilles, et par l'immense majorité des critiques germaniques eux-mêmes.—Cf. p. 358, note (1).
[307-A] Ces paroles de Donner correspondent, dans la partition (pages 203, in fine, 204 et suivantes), au motif de l'Incantation de la foudre.
Une hypothèse:—On remarquerait, si l'on entendait l'exécution orchestrale de la Chevauchée des Walkyries immédiatement après celle de l'Orage de Rheingold, on remarquerait, certainement, entre ces deux pages symphoniques, non pas de radicales similitudes, mais comme des analogies de construction.—Ici et là, le souffle est un peu le même.—Le frémissement des cordes, dans l'Orage de Rheingold, équivaut assez au sifflement ininterrompu de ces mêmes cordes, dans la Chevauchée des Walkyries, cependant que le thème de l'Incantation de la Foudre, se déroule puissamment sur les tourbillons, qu'il cingle, comme le thème des Walkyries fouaille, tonitruant, le halètement des violons.—Ces analogies, dis-je, paraissent plausibles, si l'on sait que, dans la Mythologie scandinave, les Walküres étaient, dans l'ordre physique, une personnification des Nuées. (Voy. la note de mon collaborateur, page 375.) Donner entassant et enflammant les nuées orageuses, c'est, au physique, Wotan convoquant et ruant les Walkyries. L'orage, c'est le Champ de bataille. Les Walküres, après le combat, frayaient aux Héros morts la route du Ciel. Ainsi l'arc-en-ciel vient après l'orage.
[308-1] «Le Tonnerre n'était pas alors simple Électricité, vitreuse ou résineuse; c'était le Dieu Donner (Thunder) ou Thor,—Dieu aussi de la bienfaisante Chaleur d'Été.—N'est-ce pas un trait de droite et honnête force, dit Uhland, qui a écrit un bel Essai sur Thor, que le vieux cœur Norse trouve son ami dans le Dieu du Tonnerre? qu'il ne soit pas effrayé et éloigné par son Tonnerre; mais trouve que la Chaleur d'Été, le bel et noble été, doit nécessairement avoir et aura du Tonnerre aussi!...» (Carlyle, les Héros, trad. citée.)
[308-2] Ainsi Wagner ne néglige rien; il se garde bien de ramener étroitement toutes ces figures mythologiques à la météorologie, comme certaines écoles qu'on sait trop; mais il fait leur part à ces hypothèses, dont le naturisme, dépouillé de ces exagérations grotesques,—recèle une vérité relative. Ce que j'observe ici quant à Froh, je pourrais le redire, presque à chaque vers, quant à Wotan, quant à Donner, et pour Alberich, et pour les Walküres, et pour tous. Tous les sens possibles, physiques et moraux, de tous les mythes possibles pour chaque personnage, Wagner, d'un mot souvent, les évoque, les suggère, ou même les enrichit encore de virtualités nouvelles, issues de sa personnelle vision.—Cf. pp. 375, note (1); 491, note (1); 501, note (2); etc.
[309-1] «N'as-tu pas ouï dire que les Dieux ont fait un pont pour unir la terre au ciel? Ce pont se nomme Bæfrœst; tu l'as vu, et tu lui donnes peut-être le nom d'arc-en-ciel. Il est de trois couleurs. On a employé pour le construire plus d'art et de force que pour tout le reste.» (Edda de Snorro.) «Bæfrœst, qu'on appelle encore le pont des Ases...» (Id.) «La couleur rouge de l'arc-en-ciel est du feu. Les Hrimthursars et les géants des montagnes escaladeraient le ciel, s'ils pouvaient passer par le pont des Ases quand ils le veulent.»(Id.)
[309-A] L'Harmonie de l'Arc-en-ciel, qui apparaît ici (partition, pages 208 et suivantes), est constituée par un trille immense, déjà entendu lors de l'éveil de l'Or, mais qui revient ici, plus riche, plus lumineux, et dont l'éblouissante palpitation enveloppe un pur dessin mélodique où se retrouve la ligne fondamentale du Thème-de-la-Nature.
[310-1] Grimm (Deutsche Mythologie, éd. citée, article Wuotan), traduit le mot Valhöll par «aula optionis»; et (observation qui sera bien comprise par quiconque aura lu les Drames avant ces Notes, ainsi qu'il sied) ajoute que Valhöll et Valkyrja vont bien avec l'idée de Désir et de Choix (Wunsch et Wahl).—Cf. ci-dessous, pp. 345, n. (1); 353, n. (3); 354, n. (1); 363, n. (2).
[310-A] L'on trouvera ici (partition, page 209, en bas, et seq.) une magnifique forme du thème de Walhall, solennelle harmonie pacifiée, où le ruissellement des thèmes précédents se fond comme une rouge fin d'orage dans un vaste soleil couchant.—Vêpres flamboyantes: telle est bien l'impression que dégagent, pour nous, ces irradiées harmonies finales de Rheingold.
[310-B] Ici, pour la première fois, surgit à deux reprises le très important Thème de l'Épée, qui reviendra souvent dans la suite (partition, page 212), et qui représentera, désormais, la pensée de Wotan, pensée d'où sortiront les Walkyries et les Héros. Insistons pour faire sentir combien cette fanfare de l'Épée est dans le pittoresque des mythes évoqués ici. Non seulement Siegmund et Siegfried, mais tous les Héros surgiraient à cette clameur fulgurante, pour défendre, amenés au Walhall par les Walkyries, le Burg divin à la fin du Monde, lorsque les Géants du Feu l'envahiront. Le thème de l'Épée est, en partie, contenu dans le thème de la Nature. Il dérive des notes essentielles de ce dernier thème et il est précédé de deux notes supplémentaires.—Elle est, cette affinité du thème de l'Épée avec celui de la Nature, remarquablement logique, selon nous. En effet, la Nature, c'est la pureté; le Glaive, c'est la Rédemption. Le pur entre les purs, tel doit être le Héros rédempteur. Sa pureté, son ingénuité, profonde et radieuse comme l'inconscience sereine de la Nature même, voilà la radicale condition de sa force. Saisit-on le rapprochement?
[311-1] «LOKE chanta: «J'ai chanté devant les Ases et devant leurs fils tout ce qui m'est venu à l'esprit... Tu as brassé de la bière forte, Æger, mais tu ne donneras plus de festins: le feu dévorera tout ce qui est ici, il te brûle le dos.» (Le Festin d'Æger, 63.)
[311-2] Rheingold!—Reines Gold!—(Or-du-Rhin!—Pur Or!) C'est un de ces jeux de syllabes dont j'ai déjà parlé, dont plus souvent, hélas! j'ai bien dû me taire, puisqu'ils ne sont point traduisibles. Mais d'autant plus génial est celui-ci que le Rhin demeure, par toute la Tétralogie, la symbolisation de l'Originelle Pureté, comme le formulent expressément les derniers vers du présent drame (voir ci-dessous, note 1), et, surtout, le dénoûment du Crépuscule-des-Dieux.
[313-1] Qu'une remarque s'inscrive, cette fois pour toutes, ici: nombre de locutions allemandes, de phrases entières, ont dans l'original une élasticité, une suggestivité dues au vague de l'idiome, et dont nulle traduction ne peut rendre l'on-ne-sait-quoi.—Le sens tout à fait littéral de ces paroles des Filles-du-Rhin (que j'adapte pour la lecture) est beaucoup plus riche, comme le prouve ce passage des émouvants Souvenirs de M. Hans Von Wolzogen: «Le soir qui précéda sa mort» (c'est de Richard Wagner qu'il s'agit), «... encore une fois, pour la dernière, il se mit au piano et entonna les dernières paroles de ce chant mélancolique des Filles-du-Rhin: «Dans l'abîme seulement existe l'intimité et la loyauté.»—«Oui, l'intimité et la loyauté,—seulement dans l'abîme,» répéta-t-il doucement pour lui-même.» (Mercure de France, série moderne, tome X, p. 310,—Avril 1894: excellente traduction de M. David Roget.)
[313-A] Les dernières harmonies du Rheingold se répartissent en groupes symphoniques si nets, si bien indiqués par la marche même du Drame, qu'il devient inutile de les noter au fur et à mesure, séparément. Citons, tout ensemble, sans crainte de voir le lecteur ne pouvoir leur assigner leur place respective: le Chant des filles du Rhin, la mélodie de Loge, enfin la Marche triomphale, issue du motif de l'Arc-en-ciel, aux sons de laquelle les Dieux ascendent vers le Walhall.
[317-A] Prélude de la Walkyrie. (Partition, pages 1 à 3.) Après une trentaine de mesures où halette un farouche hagard rythme de fuite, et où se traînent de lamentables appels,—le thème de l'Incantation de la foudre, entendu vers la fin de Rheingold (partition de Rheingold, page 203, in fine, 204 et seq; voy. aussi notre note de la page 307), reparaît par deux fois (prélude, page 3, en bas). Rien ne pourrait dire l'épouvante dont tressaillent ces rythmes de fuite cinglée par des déchirements d'orage. Dès les premières mesures, c'est comme le surgissement cyclopéen d'un tragique Réprouvé; le motif caractéristique de Siegmund fugitif est donné: fuir, errer, voilà la destinée du Héros. (Voy. note de la page 246.) Incarnation de l'idéal d'un Dieu, toutes les persécutions s'acharnent après lui. A-t-on bien réfléchi à toute la fureur, à tout le désespoir que Wagner a mis dans ce terrible prélude?
C'est, pourtant, la volonté de Wotan qui chasse ainsi le Héros sous la tempête. Ce qu'exprime le thème de l'Incantation de la Foudre. L'idée des Walküres se rattache aussi peut-être à cette idée d'orage. Brünnhilde apparaîtra au Héros et lui annoncera sa mort.
[318-A] L'orchestre, cependant, s'est apaisé. Une phrase de compassion, maintenant se déroule. (Partition, pages 8 et 9.)
[320-1] Littéralement: «Me l'as-tu goûté?» ou: «Me le goûterais-tu?»
[320-A] N'oublions pas de noter ici le délicieux thème d'amour qui, sur une réminiscence angoissée du prélude (combinaison significative, Voy. page 246, note déjà citée), apparaît, lentement soupiré par un violoncelle solo, puis par quatre autres qui viennent prolonger cette caresse. (Partition, à la page 11: d'abord le motif de la Fuite de Siegmund; puis pages 12 et 13: Mélodie du Regard.)
[321-1] Wehwalt est un nom symbolique: «Celui-qui-agit-dans-la-douleur.»
[321-A] A ces paroles de Sieglinde, le Motif triste des Wälsungen, dit par les basses seules, raconte la destinée douloureuse de la descendance de Wotan. Ce motif reviendra souvent; la forme la plus belle en est donnée, selon nous, dans la Marche funèbre du Crépuscule-des-Dieux. Après la réplique de Siegmund, tandis que les deux amants, longuement se regardent, ce motif se combine avec le Motif de la Compassion, ou de Sieglinde, auquel, bientôt, vient s'ajouter, plaintivement, le motif d'amour. (Partition, pages 15 et 16.)
[321-B] Ici le thème de Hunding. Aux cors d'abord, puis aux tubas. Brusque figure instrumentale sur de sombres accords. (Partition, page 16.)
[322-1] C'est à l'extraordinaire éclat du regard qu'est reconnaissable, dans la Völsunga Saga, la race divine des Völsungen (Wälsungen), à laquelle, dans le drame de Wagner, appartiennent Siegmund et Sieglinde.
[323-1] «Hunding était un roi fort riche, et il a donné son nom au Hundland. C'était en même temps un guerrier célèbre, et il avait beaucoup de fils, tous occupés d'expéditions lointaines.» (Second Poème sur Helge, le vainqueur de Hunding.)
[323-2] Friedmund (antonyme de Siegmund): «Bouche-de-paix», ou «Bouche-qui-proclame-la-paix»; ou, conformément à d'autres racines (munt en vieux-haut-allemand), «Protecteur-de-la-paix»; ou encore (?): «Joyeux-dans (ou de, ou par)-la-paix.»—Frohwalt (antonyme de Wehwalt): «celui-qui-agit-dans-la-joie».—Wehwalt, «celui-qui-agit-dans-la-douleur», ainsi que nous l'avons vu plus haut.
[323-3] Wagner s'est souvenu qu'en Scandinavie, le loup est un symbole de force, de courage et d'indépendance. Dans la saga d'Egill, le grand-père du héros, pareillement, s'appelle Ulf (Le Loup): «Ulf était grand et fort; nul n'était son égal.» C'est presque le texte de Wagner. Le loup était d'ailleurs consacré à Odin (Wotan). Le Poème du Corbeau d'Odin attribue au dieu le surnom de «Père-des-Loups» (23); et le Siegmund de la Völsunga, métamorphosé réellement en loup, erre, traqué, durant les neuf jours qu'il garde cette forme (voir ci-dessus, dans l'Étude d'Edmond Barthélemy, en note, un résumé de la Völsunga d'après M. Ernst). Du reste, en cette saga d'Egill citée plus haut, un personnage du nom d'Eyvind, ayant troublé par un meurtre une fête solennelle, est déclaré loup, c'est-à-dire anathématisé et forcé de fuir. Les anciennes lois normandes disaient encore, réglant la punition de certains forfaits: que le coupable soit loup, wargus esto!—Tegner, en son fameux poème, met aussi dans la bouche de Frithiof cette expression: «Oui, j'ai incendié le temple de Balder, et l'on m'appelle varg i veum,» c'est-à-dire loup dans le sanctuaire.—Ainsi Wotan a pris et fait prendre à Siegmund ce rôle de révolté contre l'ordre établi: «A la façon des bêtes sauvages, avec lui j'errai par les bois; contre les lois faites par les Dieux, j'exaltai sa témérité», racontera-t-il un peu plus loin: pourquoi?—c'est ce qu'alors on verra.—Quant à savoir dès à présent que Wolfe, Le Loup, c'est bien Wotan, comment donc y parvenons-nous? Le poème ne le dit pas, c'est vrai, mais la musique l'exprime assez: à l'orchestre, le thème du Walhall.
[324-1] Die Neidinge, «les Fils-de-l'Envie», «les Fils-de-la-Haine».
[324-2] «Le roi Sigmund et sa race portaient le nom de Vœl et d'Ylfing» (c'est-à-dire Louveteau, Wolfing en allemand) lit-on dans le recueil de Sœmund, au second chant sur Helge, vainqueur de Hunding. Et la nouvelle Edda l'appelle «fils de Wolfung».
[325-A] O douceur nostalgique du thème de Walhall, que l'orchestre murmure ici;—évocation glorieuse et tendre. (Partition, page 26.) Je considère ce passage comme un de ceux où la conception musicale de Wagner a pleinement réalisé son but. Aucune parole ne saurait donner une idée de la sérénité douce du thème de Walhall, dans Rheingold (Voy. la partition de Rheingold, page 213). Mais la situation dramatique double, ici, l'émotion musicale. La confiante plénitude du thème (cf. Rheingold) s'estompe ici, suavement, des brumes d'une mélancolique souvenance:
D'écouter, près du feu qui palpite et qui fume,
Les souvenirs lointains lentement s'élever...
Un motif d'amour (Siegmund et Sieglinde), succède immédiatement à ce thème. (Partition, page 26, en bas.)
[326-1] Outre les trois Nornes proprement dites, desquelles il est ailleurs parlé, «il y a plusieurs sortes de Nornes,» lit-on dans l'Edda de Snorro: «Celles qui assistent à la naissance des hommes pour leur donner la vie sont de race divine,» etc. «Les Nornes d'origine céleste donnent le bonheur; quand les hommes tombent dans l'infortune, c'est aux méchantes Nornes qu'il faut l'attribuer.»
[326-2] La situation et certaines paroles de Helge et de Sigrun, dans un chant de l'Edda de Sœmund (le Poème Antique sur les Vœls) offrent des analogies telles avec ce récit de la Tétralogie, qu'elles en pourraient bien être l'origine. Cette observation ne s'adressant qu'à de bien rares personnes initiées, je n'insisterai ni ne citerai.
[327-1] Friedmund,—Voir la note (2) de la page 323.
[327-2] Wolfing, «Fils-du-Loup»; Hunding, «Fils-du-Chien». Ce sont des ennemis naturels.
[327-3] Ce sont, ai-je remarqué, des ennemis naturels: l'un, sauvage; l'autre, domestique, ou plutôt loup domestiqué, si asservi à la coutume, qu'il ajournera sa vengeance afin d'observer strictement la loi sociale de l'hospitalité.
[327-A] A ces dernières paroles de Siegmund, l'orchestre émet, pour la première fois, le grand motif héroïque de la Race des Wälsungen (partition, page 32), thème dont le rôle est considérable dans l'œuvre. On remarque d'abord, entre ce thème et celui du Walhall, une affinité tout indiquée; elle suggère que les Wälsungen sont fils de Wotan. Le motif héroïque des Wälsungen est cependant d'une couleur infiniment plus sombre que celui du Walhall. (N'oublions pas le Motif de la Fuite, propre à Siegmund.) Nous entrevoyons, dès maintenant, la destinée tragique des Wälsungen. Il n'est pas inutile de dire que ce thème est formé de deux motifs qui reviennent parfois isolément dans la suite.
[328-1] Les lecteurs qui connaissent le Nibelunge-nôt peuvent se souvenir des paroles de Hagene de Troneje, adressées (XXXe aventure) aux Hiunen qu'il devine hostiles: «Je doute qu'aucun de vous exécute le projet que vous avez formé. Mais, si vous voulez commencer, attendez jusqu'à demain au matin. Nous sommes étrangers, laissez-nous donc reposer cette nuit.» (Trad. Laveleye, p. 271.)
[328-2] «La discorde et l'inimitié régnaient entre Siegmund et Hunding, et ils se tuaient réciproquement leur parents.» (Second chant sur Helge, vainqueur de Hunding.)
[328-A] Au moment où Sieglinde, se retournant vers Siegmund, lui montre des yeux, tenacement, le tronc du frêne, l'orchestre, très doucement, comme pour exprimer la secrète pensée de Sieglinde, déroule le thème de l'épée (partition, page 35, en bas). (Voy. Rheingold, partition, page 212.) Le second motif du Thème héroïque des Wälsungen, motif qui semble exprimer plus particulièrement une idée d'amour, reparaît un peu avant le thème de l'Epée;—significatif.
[329-A] Un passage orchestral précède ces paroles de Siegmund: «Une attente mortelle se fait, dit M. Ernst,—à peine coupée par de sourdes pulsations des timbales, auxquelles répond l'obscur accord des tubas, enveloppant une lente ébauche du thème de l'épée (partition, page 37, les 4 premières portées). Sous une note sans cesse répétée par les cors (5me portée), la trompette basse dessine le motif du Glaive, nettement cette fois, mais dans le mode mineur (6me portée). Un trémolo croissant commence aux altos et aux violons, sur une basse qui monte par degrés chromatiques, tandis que les cors prolongent leur pédale, et le cri de Siegmund éclate.»
[329-B] La fanfare de l'épée revient ici, solennellement, avec force, lancée par la trompette en ut. (Partition, page 39, 6me portée.) Elle reste tressée dans l'orchestre durant tout ce monologue de Siegmund (hautbois-trompette-cor). (Partition, pages 39 à 43.)
[330-A] Les deux thèmes du Glaive et de Walhall alternent durant tout ce récit de Sieglinde (partition jusqu'à la page 47). Le thème du Glaive souligne principalement ces paroles de Sieglinde:
Le thème de Walhall (toute l'âme de Wotan, cette harmonie!) enveloppe nostalgiquement cette phrase:
Mais à ces nouvelles paroles de Sieglinde:
un nouveau motif triomphal, un thème très allègre, appelé «Cri de victoire des Wälsungen» ou encore l'«Appel des Wälsungen», jaillit résolument; moins grave que les thèmes précédents, il forme comme une transition entre ces thèmes et les motifs d'amour qui, maintenant, vont dominer jusqu'à la fin de l'acte (partition, page 47).—Le motif de l'«Appel des Wälsungen» exprimerait la joie des deux amants se retrouvant enfin. Il revient plusieurs fois ensuite. (Partition, pages 48, 49.)—Le début du lied du Printemps semble une réminiscence de ce motif. (Partition, page 52.)
[331-1] Dans l'orchestre, le thème du Walhall.—D'ailleurs le signalement du Vieillard est conforme à la tradition norraine sur Odin (Wotan); der blinde Greis, le nomment certaines sagas: j'ai déjà noté (Or-du-Rhin, p. 248) qu'il est un Dieu borgne, ici comme dans la Völsunga, et pourquoi il est un Dieu borgne.—L'Edda de Sœmund lui donne encore, entre autres surnoms, celui de Siddhötr ou Sidhatter (Poème de Grimmer, 48), en allemand der breithütige (Grimm, Deutsche Mythologie), c'est-à-dire «celui-à-l'ample-chapeau». Il est, dans le même poème, «vêtu d'un manteau bleu» (comparez ci-dessous Siegfried, p. 429). Enfin la Völuspa l'appelle (21) «le vieillard, l'auteur des Ases», et l'on a pu voir par une note (p. 322) que la race de Wälse (dans la Tétralogie: Wotan) se reconnaît à l'éclat du regard.
[333-1] Cette «sœur» du Printemps, c'est l'Amour (se souvenir que le vocable «amour» dans la langue allemande, est un féminin): «l'Amour, cachée au fond de nos âmes...» On voit donc que moi-même, pour cette fois, j'ai fait d'«amour» un féminin, comme plus d'un exemple classique et poétique m'y autorise.
[333-A] Ici commence le célèbre lied du Printemps (partition, page 52), constitué par le thème d'Amour de Siegmund et Sieglinde, le thème du Printemps, ceux de la Fuite (encore), de l'Epée, du Walhall... Il faut leur ajouter le thème des Pressentiments, nouvellement entendu, mais de la même venue que le motif d'Amour, et qui exprime le pressentiment qu'ont les deux amants de leur parenté divine. Cela prépare à la foudroyante scène du Glaive retrouvé.
[335-1] Ce ne sont point ici lieux communs d'amour, puisque, frère et sœur, Siegmund et Sieglinde se sont, en effet, vus toute leur enfance.
[335-2] Ici encore, nul lieu commun: cette ressemblance, si naturelle, avait déjà frappé Hunding.
[335-3] Voir la note (1) de la page 322, et la note (1) de la page 331.
[336-1] Wehwalt, voir la note (1) de la p. 321, et la note (2) de la p. 323.—Se rappeler ainsi le sens du nom, afin de comprendre bien la réplique de Siegmund.—Même remarque pour Friedmund, plus bas.
[336-2] Friedmund, voir la note (2) de la p. 323.
[336-3] Pour la filiation de Siegmund, Wagner a beaucoup simplifié: Völsung est le nom de son père d'après la Völsunga, sans qu'on y voie clairement si Völse (Wälse), le père de Völsung, est Odin (se reporter à l'Étude d'Edmond Barthélemy, p. 201).—De même un chant de l'ancienne Edda (second chant sur Helge vainqueur de Hunding) dit de Siegmund: «Le roi Sigmund Vœlsungsson...» Et, plus loin: «Le roi Sigmund et sa race portaient le nom de Vœl...»—Enfin le Lai (anglo-saxon) de Beowulf donne le nom de Wälse au père de Siegmund.—Consulter d'autre part, ci-dessus, la note (1) de la page 331.
[337-1] «Saluons le Père-des-Armées à l'esprit clément; il donne de l'or et récompense ceux qui le méritent. Hermod eut de lui une cotte de mailles, et Siegmund un glaive.» (Edda de Sœmund, Poème de Hyndla, 2.)
[337-2] Siegmund (antonyme de Friedmund), «Bouche-de-Victoire» ou «Bouche-qui-proclame-la-Victoire», etc. Voir ci-dessus la note (2) de la p. 323, sur Friedmund, en y substituant partout le vocable «victoire» au mot «paix.»
[337-3] Au risque d'ennuyer certains, je crois devoir une fois de plus, en ce passage capital, répéter qu'à l'idée de «détresse» doit s'ajouter presque toujours, en cette traduction de la Tétralogie, une idée de contrainte ou de nécessité. C'est sous l'empire de cette contrainte, de cette nécessité suprême, que Siegmund profère ces paroles et nomme son glaive: «Nothung! Nothung!»
[337-4] Nothung se traduit: «Fils-de la-Détresse» (tel est le sens auquel je m'arrête); «Celui-qu'on-trouve-dans-la-Détresse» (M. Ernst); «Urgence» (M. Schuré); «Détresse» (Victor Wilder).—Ce glaive est tellement, pour ainsi dire, un personnage actif de la Tétralogie, que j'ai cru devoir lui garder son nom sans plus le traduire qu'on ne traduit Siegmund, ou Brünnhilde, ou bien Hunding, etc.—Voir ci-dessous la note (1) de la page 447.
[338-1] Il s'agit d'expliquer la portée de cet «inceste».—Si l'on veut bien prendre la peine de se référer à l'analyse de la Völsunga (pp. 201-204), on y trouvera, dans les amours de Siegmund et de sa sœur Signy, le prototype de celles de Siegmund et Sieglinde. Pour les amants de la Völsunga, le but est, avant tout, d'engendrer un Héros qui soit AUTHENTIQUEMENT de leur race, afin de les pouvoir mieux venger, l'un et l'autre, d'affronts communs: bref, un Völsung qui soit Völsung en chacune des gouttes de son sang. N'oublions pas que nous sommes en plein milieu barbare; mais plutôt (car cela ne prouverait pas grand'chose), n'oublions pas que nous sommes en pleine saga mythique. Or, que de Mythes ne reposent-ils pas sur un inceste! que de cosmogonies tout entières!... L'inceste est au début de la Genèse hébraïque (on peut le rappeler,—car c'est notoire,—sans craindre d'offenser personne), il s'y étale même par la suite, lorsqu'il a cessé d'être utile à la reproduction de notre espèce, et quand l'aînée des filles de Loth, textuellement, dit à sa sœur: «Notre père est vieux, et il n'y a point d'homme dans la contrée pour venir vers nous, selon l'usage de tous les pays. Viens, faisons boire du vin à notre père, et couchons avec lui, afin que nous conservions la race de notre père.» Observons, fait d'ailleurs remarquer H. Ernst, «observons que Wagner a rendu excusable l'acte des deux Wälsungen, l'a fait presque nécessaire, l'a glorifié de douleur et d'enthousiasme, en montrant l'éclosion de l'amour avant la révélation de la parenté, en posant la souffrance imméritée et la sympathie réciproque du persécuté et de l'esclave, la pitié sainte et le pur dévouement, comme préliminaires et causes de cet amour. La plus extrême angoisse d'un péril mortel, l'obligation pour Siegmund de sauver Sieglinde et de se défendre lui-même, la volonté enfin de Wotan, qui a conduit le frère près de la sœur (à l'endroit où l'épée vierge attend, enfoncée au cœur de l'arbre, la main du héros prédestiné), cette volonté qui ouvre la porte de la sinistre demeure, et enveloppe le couple de toute la joie de la nature, de toute l'ivresse du printemps,—autant de raisons dramatiques qui emportent nos résistances et contre lesquelles s'émoussent les objections. Une sorte de droit primordial de l'amour apparaît, s'arme de toutes les négations qu'il a subies, de toutes les violences endurées, et triomphe, avec fureur, avec délire, de tous les obstacles opposés à sa manifestation.»
[338-A] A ce geste, l'orchestre éclate. La fanfare du Glaive jaillit (partition, page 74).
Elle reparaît, mais plus douce, à travers les thèmes d'Amour et de Printemps qui reviennent.
Le chant de Siegmund, avant le geste, a ramené, par frissons, le chant de Erda, lorsque dans Rheingold, elle prophétise la fin des Dieux. Si l'on note que les paroles de Siegmund, ici, sur cette sombre mélodie, sont toutes d'allégresse, on sentira, du fait même de ce contraste sinistre, toute la force de la tragique fatalité attachée au descendant de Wotan.
[340-1] C'est à Fricka qu'il «appartient» comme le prouve la fin de cet Acte Deuxième. Il semble qu'ici, de la part de Wagner, il y ait eu confusion consciente, analogue à telles confusions, involontairement établies, par plus d'un docte mythographe, entre Fricka (Frigg) et Freya:—«Freya,» dit l'Edda de Snorro, «possède le palais de Folkvaug, et, lorsqu'elle se rend à cheval sur le champ de bataille, une moitié des hommes tués lui appartient; l'autre est à Odin,» etc.
[340-2] «Maintenant j'ai dit les noms des vierges du dieu de la guerre, des valkyries prêtes à chevaucher vers le champ de bataille.» (Völuspa, 24.)
[340-A] Le thème de l'Épée reparaît, transformé, dans le Prélude du 2e Acte, où l'on retrouve aussi des motifs d'amour et de fuite. Les motifs d'amour sont des réminiscences de la Mélodie du Regard et du Lied du Printemps. Ils se combinent, significativement, avec une transformation du motif de la Fuite (Cf. fuite de Siegmund et de Sieglinde, fin du 2e acte). Y est aussi donné le motif principal de la Chevauchée des Walküres (à la fin du Prélude) (partition, pages 80 à 83).
[341-1] Ces béliers, tant reprochés à Wagner dramaturge—en vérité, pourquoi reprochés?—ces béliers, qui vont apparaître sur la scène, sont annoncés, ainsi qu'on le voit. Il est d'ailleurs notoire que Wagner y tenait fort, et se fâcha même avec le baron de Hülsen, qui lui proposait de représenter le Ring, mais à la condition que fût supprimé le «bétail».—A une époque où tout le monde est, veut ou croit être «symboliste», il ne devrait cependant pas être bien difficile de découvrir quelles bonnes raisons,—non point seulement traditionnelles,—Wagner avait d'atteler quand même deux béliers au char de Fricka, «sagesse» et convention, morale, règle et coutume, gardienne de l'honneur d'un Hunding! et j'en suis encore à chercher: pourquoi tel, non des moindres entre les wagnéristes, lors de la première des représentations de «La Valkyrie» à la Monnaie, souhaitait de voir la «ménagerie» du Ring, une bonne fois, sais-tu? «à la cantonade».
[341-2] «Le Père de tous est puissant, les alfes ont du discernement..., les nornes indiquent sur leurs boucliers la marche du temps..., les hommes souffrent..., les walkyries aspirent après les batailles.» (Edda de Sœmund, Poème du Corbeau d'Odin, 1.)
[342-A] Pendant cette scène, un motif important est développé à l'orchestre: c'est le thème de la grande douleur de Wotan. Ce motif prédomine ici; il caractérise la lutte intérieure de Wotan.
[343-1] Fricka ne considère pas, ne veut pas considérer si des époux s'aiment, ou ne s'aiment pas. Elle est la Gardienne de l'ordre établi; elle est surtout, c'est ce qu'il faut bien saisir, le principe d'ordre de Wotan, dieu organisateur du Monde. Que les obtus ne viennent donc point nous parler, pour la critiquer, d'une «scène de ménage» imitée d'Homère. En une note de la Scène Deuxième de l'Or-du-Rhin, je disais: «Donc Fricka est, personnifiée, cette gorgée d'eau de la source de sapience; elle est la «sagesse» acquise par Wotan, incarnée par Wagner pour faire vivre à nos yeux les dramatiques luttes intérieures de cette sublime âme de Wotan, de cette immense âme d'Homme divinisé; c'est ainsi que s'incarnera plus loin, en cette admirable Brünnhilde, la vivante Volonté d'aimer révoltée, dans le cœur du dieu, contre la froide sagesse, contre l'étroite coutume,—contre Fricka.» Si d'aucuns en doutaient encore, une lettre de Wagner va faire cesser leurs doutes: «... le combat», dit-il, «de Wotan contre son inclination, d'une part, et Fricka (die Sitte), d'autre part.» (Lettre à Uhlig, du 12 nov. 1851.) Or, quel est donc le sens de Sitte? Voici: c'est la morale fondée sur la coutume, sur les hypocrites conventions sociales: «Tes facultés n'embrassent, des choses, que leurs habituels rapports, tandis que ma raison cherche un ordre inconnu!»
[344-1] A présent que le lecteur ne peut douter, d'après ces notes, du sens symbolique de Fricka, je laisse à sa perspicacité le soin et le plaisir d'apercevoir, sous l'interprétation concrète et transparente, nécessaire à la vie et au mouvement du drame, la signification profonde, âme de cette vie tout extérieure. A quiconque sait lire est-il nécessaire d'expliquer ce que Fricka veut dire par les «adultères» de Wotan? L'un d'eux, le plus important pour la marche du drame, n'est-il pas expliqué ci-dessous, par Wotan lui-même, à Brünnhilde? «Savoir! rongé du besoin de savoir, le Dieu bondit du ciel jusqu'aux entrailles du Monde. Charmée par un philtre d'amour, la Wala» (Erda, la Nature), «la Wala me répondit enfin. Je l'avais connue; et c'est ainsi que vous eûtes pour mère, toi, Brünnhilde, avec tes huit sœurs, la plus savante sibylle du Monde.» Wotan a forcé la Nature d'enfanter suivant son Désir,—puisque la Walküre est appelée Wunschmaid. Et de là sort le rôle de Brünnhilde; de Brünnhilde, strahlende Liebe, radieux Amour; de Brünnhilde, Wotan féminin, etc.—L'«adultère» de «Wälse» et ses conséquences, c'est-à-dire l'infidélité de Wotan à l'ordre établi par lui-même, donneraient lieu à des commentaires tout analogues. Mais je ne peux guère plus prolonger que je ne veux multiplier des notes ayant le caractère de celle-ci. Mon but n'est nullement d'y tout dire, un volume n'y suffirait point; mon but est de montrer aux lecteurs, peu familiarisés avec l'esprit de Wagner, qu'ils se feraient de ses drames une idée très fausse en jugeant, d'après leur surabondante vie extérieure, que cette vie n'est pas le «symbole», si l'on veut, d'une plus surabondante encore vie intérieure. Mon but est de montrer à ces mêmes lecteurs, par quelques exemples entre mille, à quels points de vue il faut se placer pour d'abord, comme eût dit Rabelais, notre Rabelais, «fleurer, sentir et estimer ces beaux livres»; pour, ensuite, «par curieuse leçon et méditation fréquente, rompre l'os et sugcer la substantifique mouelle.» Car il n'est point du tout honteux d'ignorer l'œuvre de Wagner; il n'est point honteux, pour qui la connaît, de l'attaquer au nom d'une idée précise; mais il serait ridicule et triste et pitoyable et criminel de la lire sans y rien comprendre, uniquement parce que c'est la mode de paraître admirer Wagner. Eh bien, par l'interprétation de quelques passages, donnée en note, chacun pourra se faire une idée de ce qu'il y a sous le sens concret de presque chaque phrase; chercher ce second sens parallèle;—et s'il ne le trouve pas, c'est qu'il voudra bien! A moins... mais n'injurions personne!
[345-1] Depuis nombre de pages déjà, je ne m'astreins plus à signaler les transpositions dramatiques opérées par moi dans cette traduction, toutes conformes au sens général de l'œuvre et aux prolongements de la musique. Pour n'en pas tout à fait perdre l'habitude, donnons un passage littéral, dont la lettre n'eût point convenu à cette adaptation, en prose, d'un Drame-Musical-Poétique-Plastique.—Il y a donc ici, dans l'original: «Car ta femme, tu [la] craignais encore de sorte—Que la troupe des Walküres,—Et Brünnhilde même,—Fiancée de ton Désir,—Tu [les] livras en obéissance respectueuse à la Maîtresse.» Ce qui signifie que Wotan soumettait encore, aux Règles de l'Ordre établi, ses Désirs d'un «ordre inconnu».
[346-1] Littéralement: «[C'est le] dès toujours Accoutumé—Seulement [que] tu peux comprendre:—Tandis que, ce qui encore jamais ne s'est réalisé,—[C'est] à cela [qu']aspire ma pensée.»
[347-1] «Il (Odin) donne la victoire à ses fils, à quelques-uns la richesse, l'éloquence à ceux qui sont généreux, la raison aux hommes, le vent aux navigateurs, l'esprit poétique aux poètes et le courage viril à beaucoup de guerriers.» (Edda de Sœmund: Poème de Hyndla, 3.)
[347-2] Grimm (Deutsche Mythologie, édition citée, I, p. 308) montre que Sigmund est un nom d'Odin.—Point de vue: considérer Siegmund comme une «incarnation» de Wotan.
[347-3] Voir la note (1) de la page 337.
[348-1] Le Prélude de La Walküre indique nettement, par le thème de l'Incantation de Donner (voir L'Or-du-Rhin, scène quatrième), cette intervention de Wotan, Sturmvater, le Père-des-Orages, dirigeant la fuite de Siegmund.
[349-1] Voir la note (1) de la page 354.
[349-2] «FRIGG chanta: «Ne racontez jamais vos aventures aux races humaines, ni ce que deux Ases ont fait dans les temps anciens.» (Le Festin d'Æger, 25.)
[350-1] Heervater, «le Père-des-Armées». C'est l'un des noms d'Odin (Wotan) dans les Eddas: «FRIGGA: Je conseille au Père-des-Armées de rester dans son palais divin.» (Vafthrudnismal, 2.)
[350-A] Le motif de la Lance s'élève ici à l'orchestre, pour rappeler les traités jurés par Wotan (partition, page 110).
La forme de ce motif est ici très nette. Il serait superflu de commenter le fait de son affinité (qu'on remarque ici) avec le thème de Walhall. Il présente pourtant, malgré cette affinité, un caractère très arrêté de sombre énergie. Ce motif, on le sait, est principalement constitué par le thème de la servitude. Là surtout est l'intention dramatique.
[351-1] «Le moins libre»: c'est évident, et Wotan insiste plus loin: «Maître du Monde grâce aux traités, me voici l'esclave des traités.»
[351-2] Voir la note (3) de la page 263.
[352-1] Donc cette connaissance du Passé est une condition suffisante pour qu'Erda connaisse également l'Avenir.—Qu'on prenne la peine de lire Wagner entre les lignes: à chaque instant l'on y trouvera de ces significations profondes, sans que la marche du Drame en soit interrompue, puisque le poète se garde bien de les présenter comme apophtegmes.
[352-2] «Elle (Wola) était assise seule en dehors, lorsque vint le vieillard, l'auteur des Ases, et elle lut dans son œil.—«Que me demandes-tu? pourquoi me tenter?»... Le père des armées fit choix pour elle de bagues et de chaînes d'or,... des sons magiques et des chants puissants. Elle regarda bien avant dans tous les mondes... Dans tous les lieux où elle recevait l'hospitalité, on la nommait Heidi et Wola-la-Savante...» (Völuspa, 22, 23, 25.)
[353-1] L'Edda de Snorro dit d'Odin: «La terre était sa fille et sa femme.» (Gylfaginning.)
[353-2] «Avec tes huit sœurs.» Le texte dit seulement: «De l'univers la plus savante femme—[T']enfanta, toi, Brünnhilde, à moi.—[C'est] avec huit sœurs—[Que] je t'élevai,» etc.—Mon interprétation n'en est pas moins exacte (partition, ensemble de l'œuvre, gloses des commentateurs les moins incompétents, m'autorisent à l'affirmer telle): aux sagaces de voir par la suite pourquoi le texte de Wagner laisse seulement deviner, des autres Walküres, ce qu'il dit de Brünnhilde en termes précis.—Quant au nombre neuf ou trois fois trois, il jouissait, en Scandinavie, comme dans l'Inde ancienne, d'une faveur toute particulière, dont la trace est en plus d'un mythe. Le Poème de Helge, vainqueur de Hating, dit d'une chevauchée de Walkyries: «Elles étaient trois bandes, de neuf chacune», etc.
[353-3] «Gladshem est la cinquième demeure céleste. Walhall tout resplendissant d'or y tient une vaste place; Odin y fait tous les jours un choix parmi les hommes tués sur les champs de bataille. Ils ont grande impatience de se rendre chez Odin pour voir sa salle; le plafond en est cannelé avec des bois de lances; le toit est couvert de boucliers; des cottes de mailles sont étendues sur ses bancs... Un loup est enchaîné devant la porte de l'ouest, et un aigle plane au-dessus» (Poème de Grimner, 8, 9, 10, dans l'Edda de Sœmund), sans doute pour signifier, comme le suppose M. Léouzon-le-Duc, que ceux qui avaient pu nourrir les aigles et les loups des cadavres de leurs ennemis étaient seuls dignes d'entrer dans cette glorieuse demeure.
[353-4] «Ganglere continua: «Tu m'as dit que tous les hommes morts sur le champ de bataille, depuis la création du monde, sont maintenant à Walhall avec Odin.» (Edda de Snorro, Gylfaginning.) «Ganglere dit alors: «Walhall est peuplée d'une multitude immense, et Odin doit avoir bien de l'habileté pour gouverner tant de monde.» (Id.) «Ganglere dit: «Il faut que Walhall soit un édifice immense; la foule doit en rendre l'entrée et la sortie fort difficiles.» Har répondit: «Il n'est pas plus difficile de trouver place à Walhall que d'y entrer». On trouve dans le chant de Grimner le passage suivant: «Walhall possède, je crois, cinq cents portes et quarante encore. Huit cents Einhærjars peuvent sortir de front par chacune de ses portes, quand ils vont combattre le loup.» (Edda de Snorro.) Le Poème de Grimner (23) qui fait partie de l'Edda de Sœmund, contient en effet bien ce passage. Einheriars est le nom que portent les élus d'Odin (de ein, un; et heri, héros, combattant. Einheriar, d'après Bergman, serait bien rendu par Monomaque, ou guerrier qui lutte, à lui seul, contre un ou plusieurs adversaires). Quant au loup qu'ils ont à combattre, c'est Fenris, l'ennemi d'Odin, qu'au Crépuscule-des-Dieux sa gueule doit engloutir.
[354-1] «Elles sont appelées les Walkyries. Odin les envoie sur tous les champs de bataille; elles savent quels sont les guerriers qui succomberont, et disposent de la victoire. Gunn, Rota, et Skuld, la plus jeune des nornes, sont toujours à cheval; elles marquent les guerriers qui doivent périr, et dirigent le cours des batailles.» (Edda de Snorro, Gylfaginning.)
[355-1] Littéralement: «Moi qui par des Pactes [suis] Maître,—[C'est] des Pactes [que] je suis à présent le valet.»
[355-A] Précédant ces paroles de Wotan:
le thème du Péril des Dieux apparaît à l'orchestre (partition, page 123). Il se combine aussitôt avec le thème de la douleur de Wotan.
Outre ce thème et le beau mouvement de la bénédiction du Nibelung (page 133), il faut citer les réminiscences de Rheingold, qui commentent fort logiquement le long récit de Wotan.
Le thème du Péril des Dieux semble résulter de la fusion des deux motifs des Nornes et du Crépuscule-des-Dieux. Sur le thème du Péril-des-Dieux, Voy., Or-du-Rhin, la note relative à l'Ur-Mélodie.
[358-1] Et maintenant, le lecteur juge-t-il que cette «longue» scène soit une «longueur»?—Il paraît que c'en est une, pourtant! Hé bien, je prie les critiques de nous déduire en quoi... Je sais beaucoup d'«actions» fort grouillantes, pour ma part, qui sont plus «longues» que cette «longueur»: l'«action?» mais, dans le «récit» de Wotan, ne progresse-t-elle pas de phrase en phrase, de vers en vers, de mot en mot? Voudra-t-on comprendre, à la fin, que La Walküre n'est point faite pour être jouée seule? Je ne veux pas me refuser le plaisir, dans tous les cas, de noter: qu'en une lettre à Liszt, Wagner nomme cette scène (et pour cause!)—«la plus importante du quadruple Drame.»—Qu'en pense-t-on? Cela vaudrait qu'on y pensât, j'espère!—Cf. p. 307, n. (1).
[358-2] Siegvater, «le Père-des-Victoires.» C'est, dans l'Edda de Sœmund (Poème de Grimner, 48), un autre des surnoms d'Odin, recueilli par Snorro dans son Gylfaginning.
[361-A] L'orchestre paraphrase divers motifs de l'Amour de Siegmund et de Sieglinde, celui de la Mélodie du Regard, principalement (partition, page 156).
[361-B] La scène quatrième débute par un magnifique passage orchestral. Le thème de l'Interrogation de la Destinée (dont nous entendrons une réminiscence lors de la marche funèbre du Crépuscule des Dieux) rythme trois notes, mornes comme un écho dans une caverne (tubas); une mélodie lui répond:—l'Annonce de la Mort (cuivres). Mais, aussitôt, comme une lointaine aurore de résurrection, voici, par bouffées, les ineffables harmonies du Walhall, douces et majestueuses.—La Walkyrie s'avance...—Beaucoup estiment cette scène la plus belle de toute la Walküre; avec raison, peut-être. Bien plus profondément que dans la fameuse Chevauchée des Walkyries,—cette prodigieuse page décorative,—le véritable aspect psychique des Walküres scandinaves, de ces symboles sublimes de mort et de résurrection, est ici impérissablement fixé. (Partition, pages 156 et 157.)
[362-1] Walvater, «le Père-des-Prédestinés-au-Carnage.» Encore l'un des surnoms d'Odin dans les Eddas (Völuspa, 1; Vegtams-Kvidha, 5): «On donne à Odin le nom... de Valfader, père des prédestinés, parce que les guerriers qui succombent sur les champs de bataille sont ses élus. Ils ont des places à Walhall..., où ils portent le nom d'Einhærjars». (Edda de Snorro: Gylfaginning.)
[362-A] Durant tout ce dialogue entre Brünnhilde et Siegmund, le thème de l'Annonce de la Mort, développé, alterne avec les motifs de la Destinée, du Walhall (partition, pages 157-158), des Walkyries (page 160 et seq.), de Freya. Le thème d'Amour reprend, amenant une phrase qui exprime l'émotion de Brünnhilde.
[363-1] «Mais à quoi les Einhærjars passent-ils le temps quand ils ne sont pas occupés à boire?» Har répondit: «Tous les jours, après avoir fait leur toilette, ils prennent leurs armes, se rendent dans la cour pour se combattre et se vaincre mutuellement. Ce sont leurs jeux. Vers le moment du déjeuner, ils rentrent à cheval dans Walhall, et se mettent à boire comme il est dit ici: «Tous les Einhærjars combattent chaque jour dans la cour d'Odin; puis ils reviennent s'asseoir à la salle du festin et sont amis comme auparavant.» (Edda de Snorro, Gylfaginning.) Le passage cité par Snorro se trouve, plus ou moins textuellement, dans l'Edda de Sœmund, au Vafthrudnismal, 41.
[363-2] Wunschmädchen, «Filles-de-Désir», ou «Filles-du-Désir» est la traduction littérale de l'islandais ôskmeyjar, dénomination donnée aux Walküres dans l'Edda de Sœmund et la Völsunga. D'autre part, Oski signifie «Désir» (Wunsc) et c'est l'un des noms que s'attribue Odin dans les vieux poèmes scandinaves. Grimm, qui rappelle tous ces détails (Deutsche Mythologie, édition citée, I, 347) les résume en cette phrase que j'ai déjà reproduite: «Die Walküre ist ein Wunschkint, Wunsches Kint.»
[364-1] «Il y a encore d'autres femmes à Walhall; elles sont chargées de verser à boire, de frotter les tables et les coupes. Voici leurs noms, comme on les trouve dans le poème de Grimner: «Je veux que Hrist» (Bruit-des-Boucliers) «et Mist» (Désordre) «m'apportent la coupe. Skeggjœld et Skœgul» (Hache et Fuite) «Hikl et Thrud» (Courage et Persistance) «... servent la bière forte aux Einhærjars.» (Edda de Snorro, Gylfaginning). «Elles sont appelées les Walkyries.» (Id.) Ganglere demanda: Où trouve-t-on de quoi désaltérer les Einhærjars? boivent-ils de l'eau?—Har répondit: Tu me fais maintenant une singulière question. Odin inviterait-il chez lui des rois, des jarls ou d'autres hommes illustres, pour leur donner seulement de l'eau à boire? La plupart de ceux qui viennent à Walhall trouveraient, je crois, que cette eau leur coûte cher; je parle des guerriers dont les blessures et la mort ont été douloureuses. Mais j'ai autre chose à te raconter à ce sujet. Il y a dans Walhall une chèvre appelée Hejdrun, elle mange les feuilles de Lerad, sapin célèbre; de ses mamelles coule l'hydromel nécessaire pour remplir une cuve très grande et enivrer tous les Einhærjars.» (Id.)
[366-1] Je signale, aux commentateurs des «Qu'il mourût», cet exemple de ce que nos bons pédants nomment «le sublime.»
[366-2] Au VIIIe siècle, Radbot, prince des Frisons, recula devant le baptême, quand il apprit que, comme chrétien, il ne retrouverait pas dans le ciel ses compatriotes païens.
[366-3] Hella, Héla ou Hel, dans la mythologie norraine, est la fille de Loki ou Loke et d'une géante. Personnification de la Mort, elle règne sur ceux qui ne sont morts ni en combattant ni en se suicidant. «Odin précipita Hel dans Niflhem, et lui donna puissance sur neuf mondes, afin qu'elle pût faire changer de demeure aux hommes qu'on lui envoie, c'est-à-dire qui meurent de maladie et de vieillesse. Elle y possède de grandes habitations entourées de murailles excessivement hautes. Sa principale salle se nomme Eljudener; son écuelle Hunger (la disette); son couteau Svœlt (la faim); son esclave mâle Senfærdig (lent); son esclave femelle Sena (lente). Le seuil de la porte par laquelle on passe pour entrer chez Hel est appelé Fællande-Svek (piège perfide); son lit Tiensot (la phtisie); les rideaux de ce lit sont appelés Fortærande-Sorg (chagrin dévorant). Une moitié du corps de Hel est bleue, l'autre a la carnation humaine; son aspect est effrayant et sinistre; elle est fort connue.» (Edda de Snorro.) Une citation de ce genre ne manquera pas de faire rire, aux dépens des «barbares» vieux Norses, tels critiques tant pieusement pâmés (1894) sur les allégories intolérables d'un Lutrin.
[368-A] Mélodie du Sommeil. (Partition, pages 176 et seq.)
Un des motifs du lied du Printemps accompagne ces paroles.
[370-1] «Sa colère s'enflamma en même temps contre le Géant, et peu s'en fallut qu'il ne lui fît à l'instant goûter son marteau.» (Edda de Snorro; Épisode de Thor chez Hymer.)
[371-1] Wotan nous est ainsi montré comme dieu de la mort. Mais est-ce bien un nouvel aspect, car lequel des dieux Wotan n'est-il point? Il conviendra toutefois de se le rappeler, cet aspect, lors de telle victoire de Siegfried sur Le Voyageur (Wotan), au drame de Siegfried.—A propos de Hunding, j'ai d'autre part noté, vers le début de l'Acte Deuxième, quelle confusion consciente il semble que Wagner ait établie entre Fricka (Frigg) et Freya, relativement à la tradition suivant laquelle la moitié des héros tués «appartenaient» à la dernière. Cf. p. 340, note (1).
[371-A] Le thème de la Détresse des Dieux accompagne la sortie de Wotan. (Partition, page 187.)
Quel que soit notre effort à démêler, à travers le touffu de la partition, les lignes maîtresses des principaux thèmes, nous ne pouvons pousser cette nomenclature jusqu'à noter, dans ces thèmes, les nuances, les subtiles transformations, les points précis de développement, par où s'expriment—plus complètement peut-être que par le texte—des situations morales complexes. Un exemple: Brünnhilde, incarnation de l'intime désir, du cœur même de Wotan, en voulant sauver Siegmund, agit selon le secret mouvement de ce cœur. Mais Wotan, pour les raisons que l'on sait, doit taire son cœur, laisser mourir Siegmund. La musique de Wagner, toute en combinaison de rappels, d'harmonies diverses simultanément contrepointées, de nuances suggestives, était merveilleusement apte,—mieux que n'importe quel texte,—à décrire un tel état d'âme dédoublée. Mais quelle analyse verbale voudrait suivre, en ses infinis méandres, une telle polyphonie? Il faut tout un orchestre pour rendre sensible la signification des motifs ainsi combinés.
[373-1] Tous ces noms de Walküres ont chacun un sens, comme ceux des Walkyries donnés par les Eddas (Poème de Grimner, 36; Völuspa, 24; Edda de Snorro, voir ci-dessus la note (1) de la p. 364. M. Schuré a essayé, à défaut d'une vraie traduction, la transposition de quelques-uns: par exemple celle de Helmwige en Berceheaume; celle de Rossweisse en Blanchecrine; ou celle de Schwertleite en Conduirépée. D'autres me semblent moins heureuses: Siegrune (Rune-de-Victoire) deviendrait Grondevictoire, etc.) Je devais au lecteur la mention de ces jeux innocents autant qu'inutiles; mais je les imiterai d'autant moins que ces noms sont dans le drame huit noms, et rien de plus.
[373-A] La Chevauchée des Walkyries! Quelque admiration que l'on éprouve pour cette prodigieuse page décorative, il ne faut pas oublier qu'elle n'est dans le drame qu'un élément secondaire. On entend dire:—«Allez donc voir la Chevauchée des Walkyries.» J'estime que ce n'est pas la raison principale d'écouter la Walküre. D'autres chefs-d'œuvre, sans doute, ont, de même, frappé par d'autres côtés que ceux où leur auteur s'attendait à provoquer le plus d'émotion. Mais jamais Art n'ayant été plus volontaire que l'Art de Wagner, il ne faut pas que là, encore, il en aille ainsi. Certes la plastique physique du drame, son intensité musicale aussi, deviennent ici formidables. Mais Wagner, très probablement, n'entendit ni ne put y mettre aucune réelle sensation d'âme. Le fond de l'œuvre ne s'ouvre pas, n'a pas à s'ouvrir ici. L'interprétation la plus juste que Wagner ait donnée de cette création scandinave des Walküres, c'est, selon nous, la scène de l'Annonce de la Mort (Voy. note de la page 361).
Les lignes suivantes de M. Alfred Ernst donneront, de cette épique Chevauchée des Walkyries, une belle idée musicale:
«Quelques traits de cordes, violents, incisifs mettent en branle les trilles des instruments à vent, depuis les clarinettes jusqu'aux petites flûtes. Sous ce fortissimo rageur, cors, bassons et violoncelles jettent un rythme entraînant de galop. Bientôt des traits s'envolent aux bois et aux cordes, sur chaque temps de la mesure, en tous sens, sifflants, exaspérés, avec un déchirement de rafale furieuse. La trompette basse, renforcée de deux cors, attaque le thème des Walkyries[373-A-a]. Une deuxième phrase, née du même motif, éclate, martelée par quatre cors et par toutes les trompettes. Puis, dans le tourbillon croissant, le thème recommence, rugi par les trombones, tandis que le rideau s'ouvre sur un paysage sinistre.» (Partition, page 188 et seq.) (La Chevauchée des Valkyries a été éditée à part.)
[373-A-a] Voy. note de la page 310. Voy. partition, pages 80 à 83; le thème y est donné pour la première fois.
[375-1] «Dans une masse nuageuse», etc. J'ai déjà fait remarquer ailleurs (mais il n'est pas mauvais de le rappeler quelquefois) que Wagner, en cette géniale synthèse des mythologies septentrionales, en cette géniale synthèse qu'est à titre secondaire, mais à titre réel, la Tétralogie, Wagner donc n'a jamais omis de suggérer, pour chaque personnage introduit par lui dans ses drames, toutes les virtuelles interprétations se rapportant, physiques ou morales, au personnage. C'est une des multiples raisons pour lesquelles chacune des Walküres arrive au milieu d'un nuage illuminé par les éclairs; c'est encore de même que Waltraute, en une magnifique scène du Crépuscule-des-Dieux, viendra vers Brünnhilde au galop; et, quand Waltraute s'éloignera: «Éclair et nuée», lui criera Brünnhilde, «éclair et nuée, par le vent soufflée, va-t-en donc et ne reviens jamais!» Maints passages nous laissent entrevoir, dans les vieux poèmes scandinaves, cette signification mythique; voici l'un des plus transparents: «Elles étaient trois bandes de neuf chacune, mais une vierge chevauchait à leur tête; elle était blanche sous le casque. Les chevaux secouèrent leur crinière, la rosée tomba dans les vallées profondes, et la grêle sur les arbres élevés.» (Poème de Helge, vainqueur de Hating, 28, dans l'Edda de Sœmund).—Plus d'un commentateur a d'ailleurs expliqué, dit avec justesse Henri Heine, que les Walkyries sont ces nuages qui jadis jouaient un grand rôle dans les batailles, et auxquels on faisait souvent des sacrifices avant la lutte.—Cf. Commentaire musicographique, pp. 307-309.
[376-1] Un Witeg apparaît, dans le Nibelunge-nôt, à la cinquantième strophe de la XXVIIe aventure. Wittich, d'ailleurs, est l'un des principaux héros de la Wilkina ou Thidreks Saga.—De même un Sindolt, «le guerrier choisi», est mentionné par l'épopée (aux strophes 10 et 11 pour la première fois) et y fait figure à plusieurs reprises.—Il fallait de semblables détails, pour que fût plus complète l'évocatrice synthèse qu'est,—entre autres choses,—la Tétralogie.
[378-1] Voy. la note (1) de la p. 354.
[379-1] Sur Grane, voy. au drame de Siegfried, la note (1) de la p. 504.
[380-1] Heervater, «le Père-des-Armées». Voy. la note (1) de la p. 350.
[381-1] Walvater, «le Père-des-Prédestinés». Voy. la note (1) de la p. 362.
[381-2] Dans les sagas, ce cheval d'Odin est blanc.—Dans les Eddas, il naît d'une façon merveilleuse, s'appelle Sleipner, et a huit pieds.—Dans Wagner, on voit ce qu'il devient. Encore dans Siegfried, lorsqu'approche Wotan, sous la forme du Voyageur accompagné d'un vent d'orage: «Là! quelle est cette lueur qui brille?» dit Alberich. «Elle se rapproche, elle resplendit, c'est une éblouissante clarté; il court comme un coursier d'éclairs qui se fraye par la Forêt passage, en s'ébrouant.» Puis, au moment où le quitte le Dieu: «Il part, sur sa monture de flamme...» etc. (Voy. Siegfried, acte II, scène Ire.)
[381-3] Der wilde Jäger: autre preuve du génie synthétique de Wagner. On sait que, d'après les mythographes, le Chasseur sauvage des légendes n'est autre que Wotan (Odin), lequel n'est lui-même autre chose que la tempête poussant les nuages devant elle: «Selbst Wuotans wüthendes Heer was ist anderes als eine Deutung des durch die Luft heulendes Sturmwindes?» dit Grimm. (Deutsche Mythologie, édition citée, I, 526.) A tout insolite bruit nocturne, le paysan de Norvège, encore, profère que «c'est Odin qui passe!» Si le vent gémit dans les sapins, «C'est la chasse d'Odin qui poursuit les loups.» Pauvres mythes, d'être ainsi réduits, par la critique de notre époque, à ces phénoménalités! Mais heureux mythes puisqu'un Wagner, sans négliger l'exactitude (relative) de leurs sens physiques, a mis en pleine lumière en quatre Drames vivants, nonobstant la critique myope, et sans dissertations «savantes», toute l'immense vérité latente (absolue), de leur principe moral.
[382-1] «Elle s'appelait Sigurdrifa et elle était Walkyrie. Elle raconta comment deux rois se faisaient la guerre: l'un avait nom Hialmgunnar: il était vieux, c'était le plus vaillant des guerriers et Odin lui avait promis la victoire. L'autre s'appelait Agnar, frère d'Auda, et personne ne voulait le protéger. Sigurdrifa tua Hialmgunnar dans le combat.» (Sigurdrifumàl.)
[383-1] Littéralement: «Le volant», «le flottant.»—Cf. p. 375, note.
[384-1] Faut-il signaler à nos pions cet autre exemple de «sublime»? Ils ont le droit d'admirer, nous le leur affirmons.
[385-1] «Fafnir se dirigea vers la Guitaheide, s'y fit une couche, prit la forme d'un dragon et s'étendit sur l'or.» (Edda de Snorro.)
[385-A] Ces paroles de Siegrune et de Schwertleite sont soulignées, à l'orchestre, par les motifs de l'Anneau et du Dragon. (Partition, pages 227 et 228.) Le Motif du Dragon a déjà paru, dans Rheingold (partition de Rheingold, page 150), lors de la première métamorphose d'Alberich. On remarquera le souci qu'eut Wagner de ménager des retours de ce motif, qui n'est point pourtant fondamental dans l'œuvre. Mais cela prouve que sa conception lui est présente, à tout instant, dans tous ses détails,—détails non improvisés...—Ces lignes pour qui pourrait croire,—après d'autres,—que le Dragon est une fâcheuse... superfétation.
[386-A] A ces paroles:
l'orchestre déroule, à la basse, sous une suite de clairs accords passionnés, l'héroïque phrase du thème de Siegfried, phrase que reproduit exactement la voix de Brünnhilde. (Partition, pages 230 et seq.) Bien volontiers dirions-nous que ce thème d'héroïque allure, que ce long thème double, proclamé par la double puissance de la voix et de l'orchestre, est parmi «les plus beaux» de la Tétralogie, comme il en est l'un des plus longs, si dans la conception dramatique de Wagner, d'une unité si profonde, où, toujours, dans une mesure précise,—ni plus, ni moins,—l'expression musicale correspond à l'intensité du sentiment,—l'on pouvait, réflexion faite, véritablement, avancer, sans hérésie, que «ceci est plus beau que cela». Ces réserves données, il faut ajouter que ce thème est sublime de grandeur épique et d'éperdue passion. Il est,—mais plus largement,—de la même venue que le thème de l'Epée.
[387-1] Les sources scandinaves mettaient cette prophétie dans la bouche de Siegmund mourant. (Voir en note, dans l'Étude d'Edmond Barthélemy, p. 201, l'analyse de la Völsunga.) Hjördis, femme de Siegmundr, vient sur le champ de bataille; le héros dit alors ceci: «Odin ne veut plus que je brandisse mon glaive; gardes-en les morceaux avec soin, car de toi va naître un fils qui sera le plus glorieux héros de notre race; il portera victorieusement l'épée qu'on reforgera avec ces débris que je te donne, et on nommera cette épée Gram (angoisse, colère).» Dans les Chants des Iles Féroë, récit tout à fait analogue: «Hjördis s'enveloppa d'un manteau bleu et se rendit sur le champ de bataille où gisait Sigmund:...—«Tu es venue trop tard, Hjördis, pour m'apporter les baumes qui pourraient guérir mes blessures... Prends les deux morceaux de mon épée et fais-les porter au forgeron par le jeune fils que tu as conçu. L'espoir que tu portes en ton sein, c'est le fils d'un héros. Élève-le avec soin et donne-lui le nom de Sjurd. Je te le dis en vérité, ce fils vengera ma mort.»
[387-2] Littéralement: «Celui qui, de nouveau jointe,—Brandira cette Épée un jour,—Que de moi il reçoive son nom:—«Siegfried»: [c'est-à-dire] qu'[il] se réjouisse de» (ou «dans», ou «par») «la victoire.»—Étymologiquement, Siegfried se compose du mot Sieg, victoire, et du mot Friede, qui signifie paix. Dans la première version du Crépuscule-des-Dieux, laquelle, sous le nom de Siegfried's Tod, était comme une condensation de la Tétralogie future, Wagner faisait dire par une Norne: «Durch Sieg bringt Friede ein Held,» «Par la victoire, un Héros apportera la paix.»—Mais ce sens ne s'adaptant plus à sa conception nouvelle du rôle de Siegfried, lorsque Siegfried's Tod (la Mort de Siegfried), drame d'abord unique, se déquadrupla, il aima mieux ramener, un peu arbitrairement, le deuxième élément du nom de son héros à cette idée de Joie, Freude, qui sonne à peu près comme Friede. Le caractère de Siegfried, der überfrohe Held, «le Héros joyeux-à-l'excès», dans les deux derniers drames du Ring, commente et justifie assez cet arbitraire. Aussi bien Wagner n'était-il pas libre de modifier le nom de Siegfried, et l'interprétation qu'il en a su trouver témoigne, opportune comme elle est, de l'extraordinaire souplesse de son génie, non moins attentif aux plus petits détails, que capable des plus compréhensives synthèses.—Du reste, on pourrait presque dire qu'il est revenu au sens des sources scandinaves: «Sig-Urd», «Destinée-de-la-Victoire.»
A ces paroles, la Fanfare du Glaive, succédant immédiatement au thème de Siegfried, s'élève à l'orchestre: deux mesures, et l'évocation est complète. (Partition, page 231.)
[387-B] Le motif de Siegfried retentit de nouveau. (Partition, page 231.)
[388-1] «En ce temps-là croissait dans le Niderlant le fils d'un roi puissant.—Son père se nommait Sigemunt, sa mère Sigelint...—Ce brave guerrier s'appelait Siegfrid.» (Nibelunge-nôt, aventure 11, strophes 1 et 3.)—Dans toutes les sources scandinaves, notamment dans la Völsunga (se reporter à l'Etude d'Edmond Barthélemy, pp. 201-204), dans les Eddas, dans les Chants des Iles Féroë, l'épouse de Sigmund, la mère de Sigurd, a pour nom Hjördis.—Si Wagner a choisi pour elle celui de Sieglinde, d'après le Nibelunge-nôt, sans doute est-ce qu'il en eut des raisons importantes: j'en développerai ci-dessous quelques-unes dans Siegfried, en donnant, à propos de Sieglinde et de l'étymologie de ce nom, des indications que je crois neuves. Cf. p. 463, note (1).
[388-A] La voix de Sieglinde chante ici le thème de la Rédemption par l'Amour, dans les accords glorieux de l'orchestre,—idéale harmonie pacifiée, fugitivement éclose entre deux tourmentes.—Remarquez cette conception, toujours présente, d'Amour et d'Angoisse. Ce thème s'éteint bientôt. Mais, à la fin de la Tétralogie, lorsque l'Amour aura pour jamais triomphé, ce thème de la Rédemption reviendra, large, suprême, illimité. (Partition, pages 232-233.)
[391-1] «Ta cuirasse»: Brünne; et, plus loin: «ton nom.»—Brünnhilde signifie «Hilde-sous-la-Cuirasse», Hilda (courage) étant une déesse de la guerre. Il est probable que si le nom,—comme celui de Siegfried, d'ailleurs,—n'eût pas été traditionnel, Wagner l'aurait rendu plus expressif de l'idée que symbolise Brünnhilde dans son Drame: le Désir de Wotan, la volonté de Wotan, Désir et Volonté d'aimer, «radieux Amour.»—Mais, s'il n'a pu modifier le nom, Wagner s'en est quand même servi comme il a pu. La «cuirasse» est devenue, pour lui, le signe extérieur de ce Désir, le signe extérieur de cette Volonté, aussi longtemps que le Dieu les arme pour l'Action, aussi longtemps qu'à cette Action il n'a point encore renoncé. Mais ce Désir, mais ce Vouloir, cette faculté d'aimer, d'agir, il va bientôt, avec Brünnhilde, les retrancher de soi-même et les «endormir», il va punir Brünnhilde, le cœur, la fille de la Nature, l'instinct, d'avoir désobéi à sa pensée, Fricka, à son égoïste pensée, servante avisée du destin. Et enfin ce Désir et cette Volonté, c'est Siegfried qui, coupant la «cuirasse» de Brünnhilde, achèvera de les rendre inactifs, tout au moins inutilisables pour Wotan. C'est pourquoi Brünnhilde, réveillée, Brünnhilde, désarmée, s'écriera, «avec une mélancolie graduellement accrue»:—«Je vois de la cuirasse l'étincelant acier: un Glaive affilé l'a tranchée en deux; grâce à lui ma chair virginale est sans défense: sans sauvegarde, sans abri, sans fierté, je ne suis plus qu'une femme, rien qu'une triste femme!» et finalement: «Il m'a déshonorée, le héros qui m'éveille! Il m'a vue sans heaume ni cuirasse (Brünne): Brünnhilde, je ne suis plus Brünnhilde!» J'interromps ici ce développement: aux lecteurs sagaces de l'achever.
[392-1] Une femme.—Car, il ne faut pas s'y méprendre, Brünnhilde est bien «une femme vivante, non une figure allégorique.» Cette remarque si juste est de M. Ernst, qui dit non moins excellemment: «Les significations mythiques, et même le symbolisme humain, n'apparaissent ici qu'à titre de généralisation, de légitimes prolongements poétiques. Le fait initial et capital, c'est la vie nettement sentie, fortement recréée sur la scène. C'est un cœur féminin réel que Wagner nous montre, en ses émotions diverses, et les interprétations ultérieures ne sont plausibles que parce qu'elles dérivent de cette souveraine réalité.» Il est bien entendu que la même observation s'applique à chacune des figures à la fois si vraiment vivantes, si profondément symboliques, si multiplement unes de la Tétralogie.
[392-2] Voir la note (1) de la p. 354.
[393-1] «Hélas! l'amour chassa sa grande force. Et depuis lors elle ne fut pas plus forte qu'une autre femme.» (Nibelunge-nôt, X, 101.)
[393-2] Voir la note (2) de la p. 397.
[393-3] Voir la note (1) de la p. 399.
[394-A] Ici apparaît le thème de la Justification. (Partition, page 271.)—Il reviendra, élargi, vers la fin de la scène.
[396-1] On se rappelle la maxime fameuse: «Le cœur a des raisons que la raison ne connaît pas.»
[397-1] «J'étais ta moitié même»—«Mon être fit tout entier partie du tien,» etc. Ces phrases, d'ailleurs si dramatiques (Brünnhilde étant «fille» de Wotan) pour quiconque s'en tient à «l'intrigue», ces phrases sont significatives pour qui s'est déjà rendu compte de l'idée que représente Brünnhilde, volonté, désir, cœur, soif d'un ordre inconnu d'Amour, sentiment, révoltés contre l'Ordre établi, contre la pensée servante du destin, résignée aux nécessités, consciente de ne pouvoir «faire un monde à son image», comme s'exprimait Wagner lui-même, dans Über Staat und Religion, en parlant de la Tétralogie.
Nicht wählen darf er für dich.
Walvater est le «Père-des-Prédestinés»,—des prédestinés au carnage (Wal), à la mort sur le champ de bataille; il les choisit lui-même: de là une confusion entre Wal, carnage, et Wahl, choix. Le maître du carnage ou du choix (Wal ou Wahl) ne saurait choisir, wählen, pour Brünnhilde.—Mais pourquoi? C'est facile à voir. Le choix de Wotan était fait, Siegmund devait périr. Ce choix, Brünnhilde l'a récusé: elle a donc ainsi perdu le droit de réclamer pour soi-même un choix à l'autorité qu'elle a récusée. Très logique sera son châtiment: coupable pour avoir choisi, elle sera condamnée à ne pouvoir choisir.
Le motif de Siegfried accompagne ces paroles de Brünnhilde. (Partition, page 286.)
[399-1] Voir d'abord la note (1) de la p. 382.—«Pour la punir Odin la piqua de l'épine du sommeil et décida qu'à partir de ce moment elle ne remporterait plus de victoire et qu'elle se marierait.» (Sigurdrifumàl.)
[399-2] Voir d'abord la note précédente.—«Mais je lui dis que je faisais le serment de n'épouser aucun homme qui connaîtrait la crainte.» (Sigurdrifumàl.) Comparer ci-dessous la note (1) de la p. 403.
[399-3] Libre, puisqu'il sera sans peur; libérateur, puisqu'il sera libre.—Cf. p. 451., note (1).
[400-1] «Tu me permettras de préparer une salle dans la marche solitaire... Une flamme, la Waberlohe, et de la fumée entoureront cette salle. Cette flamme, la Waberlohe, me protégera.» (Chants des Iles Féroë.) Voir ci-dessous Siegfried, note (1), p. 503.
[400-2] «Elle (Brünnhilde) habitait la montagne d'Hindaberg. Son Burg était entouré de Wafurlogi, le feu aux langues de flammes, et elle avait fait le serment de n'aimer que l'homme qui oserait chevaucher à travers Wafurlogi, le feu aux langues de flammes.» (Edda de Snorro.)
[400-A] Le thème de la Chevauchée et le motif de l'Incantation du Feu accompagnent ces paroles de Brünnhilde. (Partition, page 293.)
Le motif de Siegfried accompagne ces paroles. (Partition, page 298).
Précédant ces paroles, revient solennellement à l'orchestre, le thème élargi de la Justification, «et la mélodie monte, planant sur d'immenses accords de cuivres, aux plus extatiques hauteurs de sonorités instrumentales. Le thème dit du Sommeil de Brünnhilde (ou, mieux, de la Fiancée endormie dans la Flamme) éclate au dernier fortissimo de cette progression incomparable, et redescend, toujours adouci, à la rencontre de la voix de Wotan, qui bientôt s'élève en une émouvante lamentation. Le thème persiste à l'orchestre, coupé de quelques autres figures, et forme l'accompagnement expressif du dernier chant d'adieu.[401-B-a]»—(Partition, pages 298, en bas, et 299.)
[401-B-a] Alfred Ernst, ibid., page 241.
[402-A] Thème du Renoncement à l'Amour (partition, p. 301). (Cf. Rheingold, partition, page 42).
[402-B] Pendant ce baiser de Wotan, l'orchestre, très doucement, égrène les arpèges du Charme du Sommeil (sept mesures). (Partition, page 302, en haut.)
[402-C] Ici commence le développement du Motif de l'Incantation du Feu «qui pétille aux harpes et aux flûtes, siffle aux violons divisés en quatre parties, sur les harmonies caractéristiques des instruments à vent.» (Partition, pages 303-304-305.)
Le thème de la Fiancée endormie dans la flamme vient se combiner avec lui, et «comme le refrain d'une berceuse grandiose, il se balance sur les traînées vertigineuses du Feu.» (Partition, page 306.)
[403-1] «BRYNHILD: «... Il (Odin) m'entoura de boucliers dans Skatalund, de boucliers blancs et rouges dont les bords me pressaient. Il ordonna que celui-là seul m'éveillerait de mon sommeil, qui jamais n'aurait connu la crainte. Autour de ma résidence, située vers le sud, il fit brûler le feu qui dévore le bois. Celui-là seul devait traverser la flamme qui m'apporterait l'Or sur lequel Fafnir était couché.» (Helreidh Brynhildar.) Cette note, jointe à celle de la p. 399, établit que c'est bien dans l'Edda que Wagner a trouvé cette idée de la peur, l'un des ressorts les plus importants du drame de Siegfried en entier. Trop exclusive est donc l'affirmation de M. Alfred Ernst écrivant: «L'idée de la peur, et de l'impossibilité où Siegfried est de la ressentir, vient principalement des Kindermärchen.» Trop exclusive, sans doute; non, du reste, erronée, comme on s'en rendra compte plus loin. (Voir Siegfried, p. 476, note 2.)
[403-A] Le thème de Siegfried commente ces paroles de Wotan:
(partition, pages 307, en bas, et 308) cependant que continuent les harmonies du thème de la Fiancée endormie dans la flamme et du motif de l'Incantation du Feu.—La mélodie de l'Adieu apparaît un instant, succédant au thème de Siegfried (page 308). Puis vient encore l'Interrogation de la Destinée. Mais de tous ces thèmes tour à tour glorieux, torrentiels, mélancoliques, les harmonies comme impalpables de la Fiancée endormie, aériennement se dégagent, et enfin s'évaporent en un long decrescendo.
(Voy. partition, dernières pages, à partir de la page 302).
[407-1] Dans une lettre du 20 novembre 1831, adressée d'Albisbrunn à Liszt, Wagner qualifie de Waldstück, «pièce sylvestre» (littéralement: «pièce-de-forêt»), son drame de Siegfried, qui, à cette époque, portait ce titre: Le Jeune Siegfried.—Il en fait observer d'abord «la grande simplicité scénique», le «petit nombre de personnages», et il conclut que représenté entre la Walküre et le Crépuscule-des-Dieux (encore intitulé alors Siegfried's Tod, la Mort de Siegfried), ce Waldstück, dont l'action est beaucoup moins complexe, «avec son audacieuse solitude juvénile, fera certainement une bien heureuse et particulière impression.»
[407-2] En ce personnage de Mime sont résumés: 1º celui de Regin, des sources scandinaves; 2º celui du forgeron Mimer dans le Siegfriedslied ou Hœrner Siegfried: Mimer a pour élève Siegfried, lequel ignore son origine, et c'est au fond des bois qu'ils vivent; plus d'un détail du premier acte est tiré de cette vieille source allemande.—Quant au Regin des deux Eddas, de la Völsunga, des Féroë, etc., c'est le même qui, menacé par Fafnir (voir l'annotation de l'Or-du-Rhin, «Scène» IV), s'est enfui—pour se réfugier à la cour du roi Hialprek: «Regin, fils de Hreidmar, était arrivé près de Hialprek. Il était le plus habile des hommes et un nain de stature. Il était savant et méchant et connaissait les sortilèges. Regin entreprit d'élever Sigurd; il l'instruisit et l'aimait beaucoup. Il raconta à Sigurd l'histoire de ses aïeux...» etc. (Sigurdakvidha Fáfnisbana önnur.) Les notes ultérieures rendront compte des autres simplifications, identifications, ou modifications, qu'opéra Wagner pour créer son Mime.
[407-A] Comme tous les Préludes de la Tétralogie (excepté celui de l'Or-du-Rhin, dont l'importance est capitale), le Prélude de Siegfried se borne à nous préparer, d'une façon tout immédiate, à ce qui va se passer. Nous allons voir Mime s'essayant à reforger l'Épée; ce que suggèrent, dans le Prélude, les deux Motifs de la Forge (Cf. Or-du-Rhin, partition, pages 111 à 115, voy. la note musicographique de la page 273) et de l'Épée. Ces deux motifs continuent à alterner durant le premier monologue de Mime.—J'imagine que si l'on jouait à Paris la Tétralogie tout entière, ce premier acte de Siegfried serait, pour le spectateur, comme une sorte de délassement,—le délassement du sublime,—un bon recoin d'intimité où il se «remettrait» des écrasantes émotions de la Walküre.—Une fraîcheur d'idylle, une légèreté de jeunesse confiante, voilà ce qui charme doucement, dans tout ce premier acte. Wagner, parvenu au milieu de sa route, s'est comme oublié, en une halte délicieuse, parmi les vivifiantes profondeurs de forêt où s'éjoue héroïquement le clair enfant Siegfried.—Le perfide Mime lui-même, ce méchant nain, n'est point pour nous donner du souci.—Une faiblesse de Wagner,—que ce Mime! Et quand je dis faiblesse, entendez condescendance enjouée pour les côtés naïfs de la Légende; car il appartient bien, ce Mime, à la légende allemande des Männlein et des Koboldes; petit bonhomme industrieux et futé, chevrotant et agile.—Cela peut nous laisser indifférents; mais que n'avons-nous une telle puissante naïveté de prendre au mot nos légendes populaires et de les réaliser en Art!
La musique de ce premier acte de Siegfried, sous ses allures prestes et franches, porte toujours les mêmes caractéristiques d'indéviable volonté et de profonde combinaison; Wagner a vu ceci: Siegfried adolescent; et les exubérances d'une enfance héroïque, qui s'éveille, ont largement irradié la donnée en somme assez mince de ce premier acte, où tout (sauf le majestueux épisode du Voyageur) se passe entre deux personnages seulement,—aventure, je crois, rare au théâtre,—et à qui l'on ne fait guère crédit qu'en raison des souvenirs qu'ils représentent.—Mais voilà, je l'ai dit, il y a, d'un bout à l'autre, mêlé au jeune frémissement des bois printaniers, ce vaillant éveil de guerrière enfance, cette adorable vaillantise juvénile, impétueuse avec de soudaines haltes de rêve, qui bouscule les ours et lisse les oiseaux.
Grâce à sa conception musicale, Wagner a pu richement étoffer, dans ce premier acte, une polyphonie que la situation dramatique immédiate n'impliquait point aussi variée. Il y a certes un grand surgissement de motifs neufs, spontanés et jaillissants eux-mêmes comme l'adolescence de Siegfried, mais comme la brume de souvenir de tels thèmes rappelés les enveloppe prestigieusement; et que serait devenue toute cette partie du Drame en des mains pauvres des procédés et des ressources que Wagner, en dépit des huées d'antan,—s'est opiniâtrement créés.
«Les motifs affectés à Siegfried, dit M. Ernst[407-A-a], se ramènent à deux types mélodiques principaux; les uns dérivent du thème héroïque, si fier et triomphal, qui sonnait dans la dernière scène de la Walkyrie; les autres, plus rapides, plus jeunes, ont leur forme pittoresque dans la «fanfare du Cor de Siegfried».
«En dehors de ces deux thèmes essentiels, il en existe d'autres fort heureusement trouvés, tels que celui de l'ardeur impatiente de Siegfried, et le joli thème qui souligne son envie de courir par le monde (quelquefois appelé: «thème du voyage» ou «thème de Siegfried voyageur») et qui est aussi relatif à son impétuosité naturelle.... Une joie de mouvement agite l'orchestre dès que Siegfried paraît... Mais bientôt glisse une mélodie plus douce, voisine aux thèmes d'amour connus de nos oreilles: Siegfried avoue qu'il a senti un vague désir sourdre en ses rêves; il nous conte la tendresse mystérieuse qui a ému son âme, aux profondeurs de la forêt, sous les couverts de feuillage où chantent les oiseaux, où luisent les grands yeux timides des chevreuils. Son désir s'éveille aux premières intuitions de l'amour..» (Pour toute cette partie voy. partition passim, page 1 à 50, toute la 1re scène.)—D'ailleurs, à une exécution suffisante au piano, on reconnaîtrait, facilement, les origines, les affinités des thèmes apparus durant cette première scène. Voir, au surplus, ci-après, de nombreux exemples.
[407-A-a] Ibid., page 247.
[410-A] Dans l'orchestre, le thème du Dragon. (Partition, p. 8, en bas.)
[410-B] Une combinaison des thèmes de l'Épée et de Walhall accompagne significativement ces paroles. (Partition, page 8, en bas.)
[411-1] «Le chef» (Siegfrid) «avait aussi un magnifique cor d'or rouge.» (Nibelunge-nôt, XVI.)
[411-2] «Je veux donner un divertissement à nos compagnons..... Je vois un ours, qui va nous accompagner au camp; s'il ne se sauve bien vite, il ne nous échappera pas.» (Nibelunge-nôt, XVI.) «..... Le fier et beau chevalier» (Siegfrid) «..... s'élance après l'ours..... Le héros le saisit aussitôt, et, sans recevoir aucune blessure, le garrotte en un instant..... et, avec grande audace, le ramène au foyer du camp; c'était un jeu pour ce héros bon et intrépide..... Quand les hommes..... le virent venir, ils coururent à sa rencontre..... Il détacha la corde qui liait les pattes et la gueule de l'ours..... La bête voulait retourner au bois, ce qui effraya les gens. Le vacarme fit fuir l'ours vers la cuisine. Oh! comme il chassa les cuisiniers loin du feu! Plus d'un chaudron fut renversé, plus d'un brandon dispersé.....» etc. (Id., ibid.) Cf. Kindermärchen, t. III, nº 160.
[411-A] C'est ici que surgit, pour la première fois, l'allègre fanfare du Cor de Siegfried. (Partition, page 11.) Elle reviendra souvent dans la suite, curieusement développée. Elle est simplement, ici, l'un des deux thèmes qui servent à caractériser l'impétuosité de Siegfried, le côté batailleur de cette impétuosité, comme l'autre thème, que nous rencontrerons bientôt, en exprime le côté enfantin.
[412-1] On remarquera quel frappant rapport de symétrie, entre le début du présent Acte et le début de la «Scène» Troisième de l'Or-du-Rhin, contribue à nous faire tout de suite nous rappeler le personnage de Mime. Comme jadis Alberich lui réclamait le Tarnhelm, Siegfried à son tour lui réclame son Glaive. Mais leurs moyens de contrainte diffèrent, et la comparaison, certes, est intéressante. Je me borne à l'indiquer ici.
[413-1] «Un matin de bonne heure, Sjurd..... traverse le fleuve, afin d'aller visiter Regin le forgeron.—Et voilà le jeune Sjurd qui chevauche devant sa porte. Regin rejette loin de lui tous ses outils de forgeron et saisit une épée.....—«Ecoute, Regin, rends-moi ce service, habile forgeron, forge-moi une épée..... Forge-moi convenablement cette épée, de manière que je puisse couper le fer et l'acier. Tu me forgeras cette épée claire et étincelante, qui tranchera le fer et la pierre.»—Regin saisit l'épée et la plaça dans le feu. Il y travailla dix nuits entières. Dix nuits entières, il y travailla. Le jeune Sjurd se met de nouveau à chevaucher. Un matin, de bonne heure, Sjurd..... traverse le fleuve, afin de se rendre auprès de Regin. Et voilà le jeune Sjurd qui chevauche devant sa porte. Regin rejette loin de lui tous ses outils de forgeron et saisit une épée.—«Sois le bienvenu, Sjurd, j'ai forgé ton épée. Si le cœur et le courage ne te font pas défaut, tu seras bien préparé pour combattre. Je t'ai forgé une épée claire et étincelante, qui coupera le fer la pierre.» Sjurd s'avance vers l'énorme enclume, afin de faire l'épreuve de sa force. L'épée, du coup, se brisa en deux.—«Tu mourras, Regin, et de ma main, car tu as voulu me tromper avec tes ruses d'armurier.» Regin, le forgeron, se mit à trembler comme une feuille de lis...» etc. (Chants des Iles Féroë, traduits par Em. de Laveleye, La Saga des Nibelungen dans les Eddas et le Nord scandinave, Paris, 1866.) Cette même scène de l'essai des glaives est dans la Völsunga Saga; dans le drame de La Motte Fouqué, Sigurd der Schlangentödter (Siegfried le Tueur-de-Dragons); dans le Wieland der Schmied (Wieland le forgeron) du Heldenbuch de Simrock (tome IV, 1843), et dans Le Glaive de Siegfried (Siegfried's Schwert), un poème d'Uhland.
[413-A] Durant le silence de ce jeu scénique le thème héroïque de Siegfried a, pour la première fois ici, passé dans l'orchestre. Il retentira jusqu'à la fin de la Tétralogie. Mais à présent, sur cette vaillante enfance que chantent les deux thèmes précédents, le grand thème héroïque vient planer comme le resplendissement auroral des gloires futures. (Partition, page 15, en bas.)
[413-B] A ce jeu scénique le second motif d'impétuosité éclate à l'orchestre; il s'y agite, follement, en bonds et en tourbillons, sur un violent staccato, toujours plus fort. (Partition, pages 16 et seq.) Toute cette musique, ici, tumultueusement dérivée de ce motif, est pleine d'une verve irrésistible; et, sous les prestiges d'une telle polyphonie, le tableau devient impayable, du vieux nain trembleur et futé, dont le frétillement se tapit sous cette avalanche de jeunesse et de fougue. Pris dans la souveraine bonne humeur de cette musique, je ne puis m'empêcher de penser à ces paroles de M. Hans de Wolzogen[413-B-a], dans ses souvenirs intimes sur Richard Wagner (Mercure de France, mai 1894. Souvenirs sur Richard Wagner, par Hans de Wolzogen, David Roget, trad.): «... Lorsqu'au milieu d'une conversation particulièrement animée, il prenait tout à coup, comme pour exprimer la bonne humeur, une scène de comédie gaie, par laquelle il se délectait dans la béatitude du plus naïf enthousiasme..., alors on voyait, en quelque sorte, les génies des siècles jouer et plaisanter ensemble comme des enfants!... C'était ce qui rendait la personnalité de Wagner si particulière et si enchanteresse,—c'était, justement, ce caractère de l'enfant agrandi par le prodigieux de la Génialité! Et jamais ce caractère ne se montrait sous un jour de plus aimable liberté que lorsque le monde, ce monde laid et bruyant, éternellement agaçant, taquin, mordant, irritant, petit, le laissait en repos...»
Et Siegfried, c'est bien ce Repos-là! une large halte vivifiante dans les bois.
[413-B-a] Signalons, de notre confrère allemand, le savant ouvrage sur les Thèmes de la Tétralogie, ouvrage analytique qui donne de ces thèmes une nomenclature remarquablement complète. De cet ouvrage qui a magistralement inauguré les Études thématiques de la Tétralogie nous voudrions voir en France une traduction répandue.