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La Tétralogie de l'Anneau du Nibelung

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[531-A-b] Cf.—Prologue, scène II.

Brünnhilde à Siegfried:

«Si tu veux me garder ton amour, souviens-toi de toi seul, souviens-toi de tes propres exploits! souviens-toi de la flamme sauvage qui brûlait tout autour du Roc, et que tu franchis sans avoir peur.»

[532-1] Littéralement: «Comment le trouv[er]ons-nous,» ou «comment le découvr[ir]ons-nous?»—«Écoute-moi, ô ma fille chérie, donne-moi un conseil. Comment ferons-nous venir de son royaume cet homme si fort?» c'est-à-dire Sjurd. (Chants des Iles Féroë.)

[533-1] «Ce brave guerrier s'appelait Siegfrid; il visita beaucoup de royaumes, grâce à son indomptable courage. Par la force de son bras il chevaucha en maints pays.» (Nibelunge-nôt, II, 12.) «Nul n'osait l'insulter. Depuis qu'il prit les armes, il ne se reposa guère, cet illustre héros. Il ne se plaisait que dans les combats, et la puissance de son bras le fit connaître dans les royaumes étrangers.» (Id., ibid., 16.)

[533-A] A ces paroles de Hagen, la fanfare de Siegfried est lancée d'abord par l'orchestre, puis par un cor sur le théâtre (Partition, page 57).

Peu après, à l'arrivée de Siegfried, la malédiction d'Alberich éclate, soulignant tout ce que renferme de tragique cette venue du Héros chez les descendants des ennemis de sa race.

[534-1] «Alors le roi du pays dit: «Qu'il nous soit le bienvenu; il est noble et brave, je l'ai bien appris.» (Nibelunge-nôt.) Voir ci-dessous la note (1) de la p. 535.

[534-2] Lorsque, dans le Nibelunge-nôt, Siegfrid arrive à Worms: «Certes, ajouta Hagene, je veux bien le dire: quoique je n'aie point vu Siegfrid, pourtant je suis tout disposé à croire, d'après ce qu'il me paraît, que c'est là le héros qui s'avance si majestueusement.» (III, 22.) D'autre part, lorsque le héros «alla vers les Nibelungen,» il se rendit «sur le sable vers le port, où il trouva sa barque... Puis il partit aussi rapide que le souffle du vent... Le bâtiment voguait vite par la force de Siegfrid, qui était grande. On croyait qu'un fort vent la poussait; mais non, c'était Siegfrid qui la menait, le fils de la belle Sigelint.» (VIII, 77.)

[535-1] «Celui qui sait la vérité voudra bien me répondre: il me dira où je puis trouver Gunther, le très puissant roi des Burgundes.» (Nibelunge-nôt, III, 20.) Alors parla le roi puissant: «...vois comme ils se tiennent prêts au combat à la façon des héros, ces guerriers et lui, l'homme très hardi. Nous devons aller à la rencontre de cette forte épée.»—«Vous pouvez le faire sans déshonneur, dit Hagene; il est de noble race, fils d'un roi puissant...» Alors le roi du pays dit: «Qu'il nous soit le bienvenu; il est noble et brave, je l'ai bien appris. Cela lui sera utile dans le pays des Burgundes.» «Et le roi Gunther alla trouver Siegfrid.» (Id., ib., 24.)

[535-2] «Il» (Siegfrid) «portait en son cœur une vierge digne d'amour qu'il n'avait pas encore vue, et elle aussi le portait en son cœur et secrètement elle lui adressait en elle-même de bien douces paroles...—Kriemhilt» (Gutrune) «le regardait souvent par la fenêtre et alors elle ne désirait pas d'autres divertissements.» (Nibelunge-nôt, III, 28-29.)

[535-3] «Je m'étonnais de cette nouvelle, dit aussitôt le roi, que vous soyez venu, noble Siegfrid, jusque dans ce pays. Qu'êtes-vous venu chercher à Worms sur le Rhin?» L'étranger dit au roi: «Je ne vous le cacherai point. Le récit me fut fait au pays de mon père qu'ici, près de vous, se trouvaient (j'ai voulu m'en assurer) les plus hardis guerriers que jamais roi ait réunis; j'en ai beaucoup entendu parler, et pour cela je suis venu jusqu'ici. Je vous entendis aussi citer pour votre valeur; jamais on ne vit, dit-on, roi plus brave. Les gens en parlent beaucoup dans tous les pays. Maintenant, je ne veux point partir sans mettre votre bravoure à l'épreuve. Je suis, moi aussi, un guerrier, et je porterai la couronne. Je voudrais faire en sorte, qu'on dit de moi que je possède avec droit les gens et le royaume. Pour le mériter j'exposerai mon honneur et ma vie. Maintenant, que vous soyez aussi puissant qu'on me l'a dit, je ne m'en inquiète guère: que cela fasse à quelqu'un peine ou plaisir, je veux vous arracher ce que vous possédez, campagnes et burgs, et me les soumettre.» (Nibelunge-nôt, III, 25.) Surprise de Gunther; fureur des guerriers ainsi provoqués; Gernót, frère du roi, s'interpose. L'avis de Gernót prévalut: «Vous serez les bienvenus, dit le fils de Uote, vous et vos compagnons qui sont arrivés avec vous. Nous vous rendrons service, moi et ma parenté.» .... A ces mots l'humeur du seigneur Siegfrid se radoucit un peu. On fit soigner leurs équipements...» (Id., ibid., 27-28.)

[536-1] «Sigurd, chevauchant seul, arriva au palais de Gripir. Il était facile de reconnaître le héros.» (Grepisspà.)

[537-1] «Alors le chef du pays parla: Tout ce que nous avons est à vos ordres suivant l'honneur: ainsi vous seront soumis et seront partagés avec vous, corps et biens.» (Nibelunge-nôt, III, 28.)

[537-2] «Il parla ainsi au roi: «Je ne vous ai rien refusé. Je vous porterai secours dans toutes vos peines. Cherchez-vous un ami, je serai le vôtre, et vous serai fidèle avec honneur jusqu'à ma mort.» (Nibelunge-nôt, IV, 32.)

[537-3] «Pour lui, dit Hagene, donner est chose facile. Quand il vivrait éternellement, il ne pourrait tout dissiper; sa main tient enfermé le trésor des Nibelungen...» (Nibelungen-nôt, XII, 118.)

[537-4] «Mais vous avez bien entendu parler de la richesse de Siegfrid—le royaume et le Trésor des Nibelungen étaient à sa disposition;—il distribua ce Trésor à profusion à ses guerriers, et pourtant il ne diminuait pas, quelque quantité qu'on en prit.» (Nibelunge-nôt, VIII, 80.) Il n'en est pas moins vrai que le vieux poème allemand, malgré cette différence avec celui de Wagner (toute à l'avantage de Wagner) nous montre, en maint endroit, Siegfrid, comme d'un désintéressement rare: «Des seigneurs puissants dirent souvent depuis lors qu'ils auraient voulu avoir le jeune chef pour maître. Mais Siegfrid ne le désirait pas, le beau jeune homme.» (II, 15.) Autre épisode: «Elle (Kriemhilt) ordonna à son camérier d'aller quérir le don du messager. Elle lui donna (à Siegfrid) vingt-quatre anneaux, ornés de belles pierres, en récompense. Mais l'âme du héros était ainsi faite qu'il n'en voulut rien garder. Il les distribua aux belles femmes qu'il trouva là dans les appartements.» (IX, 87.) Ou Gunther consulte Siegfrid: «Je te dirai ce que m'offrent ces chefs: si je les laisse partir librement, ils me donneront autant d'or qu'en pourront porter cinq cents chevaux.—Le seigneur Siegfrid répondit: Ce serait mal agir. Laisse-les partir d'ici libres...» (V, 53.)

[539-1] «Ayons-le (Siegfrid) pour ami et il nous en reviendra de l'honneur.» (Nibelunge-nôt, III, 27.)

[539-2] «Et on fit verser aux étrangers le vin de Gunther.» (Nibelunge-nôt, III, 28.) «Elle s'avançait en ce moment, la charmante, comme l'aurore du matin sortant de sombres nuages. Alors il vit la vierge marcher en sa beauté... La jeune fille digne d'amour salua Siegfrid avec grâce et vertu... Elle dit, la belle vierge: «Soyez le bienvenu, seigneur Siegfrid, bon et noble chevalier.» Ce salut éleva son âme. Il s'inclina courtoisement et lui offrit ses remerciements.» (Id. V, 49 et 50.)

[539-3] «Il se mit à boire la bonne boisson, et en but dans une longue corne. Sjurd perdit le souvenir et nul ne pouvait le guérir. Et quand il eut bu, il rendit la coupe. Il ne pensait plus à dame Brinhild et il ignorait où il se trouvait.» (Chants des Iles Féroë.)

[539-4] «Lorsqu'elle vit debout devant elle l'homme au grand courage, une flamme colora ses joues.» (Nibelunge-nôt, V, 50.)

[540-1] «Sjurd ne songea qu'à une seule chose, à posséder Gudrun... Et Sjurd, fils de Sigmund, commençait à s'éprendre de la jeune fille.» (Chants des Iles Féroë.) «Le seigneur Siegfrid ressentait à la fois amour et souffrance. Il pensait en lui-même: «Comment cela s'est-il fait qu'il m'ait fallu ainsi l'aimer? C'est une illusion d'enfant. Pourtant, si je dois m'éloigner de toi, il me serait plus doux d'être frappé à mort.» (Nibelunge-nôt, V, 40.)

[540-2] «L'attrait des vœux d'amour les poussait l'un vers l'autre. Ils se regardaient avec de doux regards, le chef et la jeune fille. Cela se faisait à la dérobée.» (Nibelunge-nôt, V, 31.)

[540-3] Jeu de syllabes sur le nom de Gutrune, ainsi décomposable étymologiquement: Gut-Rune (gut—bon; Rune—Rune).

[540-4] «Si en ce moment sa blanche main fut pressée par tendre affection de cœur, je l'ignore. Mais je ne puis croire qu'ils ne l'aient point fait. Sinon ces deux cœurs agités d'amour auraient eu tort.» (Nibelunge-nôt, V. 51.)

[541-1] «Le chef du Rhin parla: «Je veux traverser la mer pour aller vers Brunhilt, n'importe ce qui peut m'en arriver. Pour son amour je veux exposer ma vie; je veux mourir, si elle ne devient ma femme.—Je dois vous le déconseiller, dit Siegfrid; car cette reine a des coutumes si cruelles, qu'il en coûte cher à celui qui veut conquérir son amour... Quand vous seriez quatre, vous ne pourriez vous préserver de sa terrible fureur...—Gunther dit: «Veux-tu m'aider, noble Siegfrid, à conquérir cette vierge digne d'amour?» (Nibelunge-nôt, VI, 55-56.)

[542-1] La croyance à l'effet du philtre est donc imposée par Wagner, et l'on ne peut s'empêcher de songer à l'imperturbable assurance de l'Edda de Snorro disant (après avoir parlé d'une chaîne composée de racines de montagnes, de bruit des pas du chat, de barbe de femme, etc.): «Quoique ces matières te soient inconnues, tu dois croire à leur existence comme au reste, tout en sachant que les femmes n'ont pas de barbe, que les pas de chat ne font point de bruit, que les montagnes n'ont pas de racines.» L'interpellé répond alors: «Je comprends fort bien le sens des figures dont tu te sers.» Ah! pourquoi n'en est-il de même des pseudo-critiques de Wagner? Presque tous se sont avisés de s'attaquer à ce malheureux philtre, symbole si poétique, et si clair, et si simple! On est heureux d'en voir, en un livre récent, dû à la vaillante plume de M. Alfred Ernst, cette interprétation—enfin!—non moins intelligente que juste: «La scène du philtre n'est que l'image (légitimée seulement par le mystère de malédiction planant sur Siegfried, comme sur tous ceux qui ont porté l'Anneau d'Alberich) d'une observation morale: la puissance de l'impression présente, immédiate, sur les âmes primesautières, sur les caractères dont le Wälsung est le prototype. Pour Siegfried, qui ne s'inquiète ni du passé ni de l'avenir, qui ne réfléchit ni avant d'agir ni après avoir agi, le fait actuel, l'acte, existe uniquement. Voilà l'intime vérité contenue dans cette scène étrange, qui ne peut être motivée que par un surnaturel enchaînement de causes, du reste aisément admises de l'auditeur, et poursuivant leurs effets à travers les trois «journées» du Ring.» J'ai cité: aurais-je pu mieux dire? Mais, franchement, le poème lui-même n'est-il pas assez explicite pour quiconque le lit avec soin? Et qui donc, plus que des critiques, aurait eu le devoir de lire avec soin? Or Brünnhilde, en la scène finale de l'Acte II: «A quoi m'aurait servi ma science? A quoi mes Runes? En l'excès de ma misère, je le devine clairement: le charme qui m'enchanta mon époux, c'est Gutrune! Qu'elle connaisse l'angoisse!» Et à présent, critiques, est-ce Gutrune, oui ou non?—Voy. d'autre part la note musicographique, p. 531, de mon collaborateur Edmond Barthélemy.

[543-1] «GRIPIR: Grimhild t'enivrera complètement. Elle t'amènera à conquérir Brynhild pour la remettre aux mains de Gunnar... Tu te hâtes trop de promettre cette entreprise à la mère de ce chef.» (Grepisspà.)

[543-2] «Siegfrid, fils de Sigemunt, répondit ainsi: «Je le ferai, si tu me donnes ta sœur, la belle Kriemhilt» (Gutrune), «cette superbe fille du roi. Je ne veux point d'autre prix de mes efforts.» (Nibelunge-nôt, VI, 56.)

[543-3] «Siegfrid, en tes mains j'en fais le serment, dit Gunther: que la belle Brunhilt arrive en ce pays, et je te donne ma sœur pour femme et puisses-tu vivre heureux avec elle.» (Nibelunge-nôt, VI, 57.)

[543-4] «GRIPIR: ....En chemin, Gunnar et toi, vous prendrez la forme l'un de l'autre. Gripir ne ment pas.» (Grepisspà.)

[544-1] «Ils» (Siegfrid et Gunther) «échangèrent leurs serments, les fiers guerriers.» (Nibelunge-nôt, VI, 56.) Il en est de même dans toutes les sources scandinaves: Grepisspà et Sigurdakvidha Fáfnisbana Thridja (de l'Edda de Sœmund); Edda de Snorro; Völsunga Saga; Chants des Iles Féroë; Chants Danois (où Gunther-Gunnar s'appelle Hagen). Du reste, ces sources scandinaves associent Högni (Hagen) au serment: n'est-il pas en effet, pour elles, fils de Giuki, comme Gunther? n'est-il pas, pour elles, le frère authentique, le frère légitime de Gunther?—Dans le Nibelunge-nôt, il n'est plus que le vassal, et, comme tel, n'a plus à jurer.—Dans la Tétralogie, il devient le frère bâtard, et s'abstient par humilité tout au moins feinte. J'y reviens dans une note ultérieure, p. 545.

[544-2] Blut-Brüderschaft, «fraternité-par-effusion-mutuelle-de-sang,» fraternité d'armes. «Frithiof et Björn avaient grandi ensemble, et ils avaient mêlé leur sang à la manière des frères d'armes du Nord, jurant de vivre unis dans la joie et dans la douleur, et de venger mutuellement leur mort.» (Esaias Tegner, Frithiof, III. Trad. Léouzon-le-Duc, p. 68.) «Avez-vous donc entièrement oublié, ô Gunnar, comment, en signe de fraternité, vous fîtes couler réciproquement votre sang dans les empreintes de vos pas!» (Brot af Brynhildarkvidhu, dans l'Edda de Sœmund). De même Loke: «Odin, te souviens-tu des temps anciens? Nous avons alors mêlé notre sang...» rappelle-t-il en un autre chant déjà cité. (Le Festin d'Æger, 9.)

[545-1] J'ai montré déjà, par une note, que, dans les sources scandinaves, Högni s'associe au serment. J'ai montré aussi, par une autre note, comment on peut croire que Wagner a transféré, sur son Hagen, ce que ces mêmes sources disaient de Gutthorm, «beau-fils de Giuki, mais non de sa race». Je rappelle plus loin que, d'après l'Edda, c'est ce même Gutthorm qu'on charge de tuer Sigurd, comme n'étant point lié à lui par les mêmes serments que Gunnar et Högni.—Dans la Tétralogie, Hagen, beau-fils de Gibich mais non de sa race, s'abstient de s'engager, mais c'est consciemment: non par cette feinte humilité, symétrique,—ai-je ailleurs noté,—à celle du Loge de L'Or-du-Rhin, mais pour se réserver sa liberté d'action.

[546-1] «Ils firent vingt milles avant la nuit par un bon vent qui soufflait vers la mer... Au douzième matin, ainsi l'avons-nous entendu dire, les vents les avaient portés au loin vers Isenstein, au pays de Brunhilt.» (Nibelunge-nôt, VI, 63.)

[546-2] «Aussitôt il fixe les noces; il ne voulait pas attendre longtemps.» (Chants des Iles Féroë.)

[546-3] «Siegfrid saisit aussitôt un aviron et poussa la barque loin du rivage. Gunther prit lui-même une rame. Ils s'éloignèrent de la terre, ces héros rapides et dignes de louanges.»—«Les fiers compagnons étaient emportés sur les flots du Rhin.» (Nibelunge-nôt, VI, 63.)

[547-1] «Un fort vent enflait la voile de la barque. ... Voilà que le roi Gunther parla:—Qui sera le pilote?—Moi, dit Siegfrid. Je puis vous conduire là-bas sur les ondes. Les vrais chemins me sont connus.» (Nibelunge-nôt, VI, 63.)

[547-2] Hagen, le frère bâtard de Gunther et de Gutrune, Hagen est donc le fils d'Alberich. Il le fallait bien pour l'unité de l'œuvre,—chacun s'en pourra rendre compte. Aussi Wagner n'eut-il que faire de s'occuper de cet Aldriàn que le Nibelunge-nôt nommait comme le père de Hagene de Troneje; il n'avait pas à se demander si cet Aldriàn correspond à l'Albriàn d'un autre poème, La Sortie de Ecke (Ecken Ausfahrt),—lequel correspondrait lui-même à Alberich... Il combina, et il fit bien, le Högni et le Gutthorm des sources scandinaves, l'un frère légitime et conseiller, l'autre demi-frère de Gunnar (voir la note 1 de la p. 526) avec le Hagene du poème allemand. De ce dernier, Wagner laissa le plus possible, à son personnage de synthèse, l'effroyable physionomie plus qu'héroïque, comme parle Grimm (mehr als heroisch); et, s'il lui donna pour père le Nibelung, c'est simplement que cette conception se trouva dictée par la logique. Des notes ultérieures insistent, et démontrent.

[550-1] Voir d'abord la note (2) de la page 492.—«Les Ases ont de tristes pressentiments... C'est pourquoi Hugen hâte ses recherches dans le ciel; les dieux appréhendent des chagrins s'il tarde longtemps.» (Poème du Corbeau d'Odin, 2, 3.)

[550-2] Littéralement: «se brisa».

[553-1] «Siegfrid devait donc porter ce chaperon, qu'il avait enlevé, non sans peine, le héros intrépide, à un nain qui s'appelait Albrich... Lorsque le fort Siegfrid portait la Tarnkappe, il était d'une vigueur terrible. Son corps seul possédait la force de douze hommes. Il conquit avec grande adresse la femme superbe. Ce chaperon était ainsi fait que celui qui le portait faisait ce qu'il voulait sans être vu. C'est par ce moyen qu'il conquit Brunhilt. (Nibelunge-nôt, VI, 37.)

[553-2] «Alors Sigurd prit la forme et le nom de Gunnar.., et traversa Wafurlogi, le feu aux langues de flamme.» (Edda de Snorro.)

[555-1] «Alors commença entre le fort Siegfrid et la belle vierge (il en devait être ainsi) un terrible jeu... Siegfrid fit semblant d'être le puissant roi Gunther, et il prit dans ses bras la vierge digne d'amour. Mais elle le jeta hors du lit sur un banc qui était près de là, avec tant de force que sa tête résonna bruyamment sur l'escabeau. Avec une vigueur nouvelle, l'homme hardi se releva d'un bond. Il voulait tenter mieux, mais mal lui en advint, quand il essaya de la dompter. Jamais femme, j'imagine, ne se défendit aussi rudement... Quelque fortement qu'elle le contint, sa colère et aussi sa merveilleuse vigueur lui vinrent en aide. Son anxiété était grande. De ci de là ils s'entrechoquèrent dans la chambre close... La lutte entre eux deux dura longtemps furieuse. Enfin il parvint à ramener la vierge au bord du lit. Quelque vigoureusement qu'elle se défendît, ses forces finirent par s'épuiser... La lutte était finie, elle devint la femme de Gunther... Elle dut renoncer à sa colère et à sa pudeur... Hélas! l'amour chassa sa grande force. Et depuis lors elle ne fut pas plus forte qu'une autre femme.» (Nibelunge-nôt, X, 103, 104, 105.)

[555-2] «Siegfrid laissa la dame couchée et se retira comme s'il voulait se dépouiller de son vêtement. Il lui prit du doigt un anneau d'or sans que la noble reine s'en aperçût...» (Nibelunge-nôt, X, 105.)

[556-1] «Sigurd l'homme du Sud place son épée, cette arme brillante, sur le lit entre eux deux. Le chef des Hiunen ne baise point la reine, et ne la prend point dans ses bras.» (Sigurdakvidha Fáfnisbana Thridja.) «Lorsque le vaillant chef vint chevauchant, afin de me conquérir pour vous, il fit bien voir, le victorieux, qu'il voulait garder sa promesse envers le jeune roi sans le trahir. Le noble chef plaça entre nous deux son épée ornée d'or.» (Brot af Brynhildarkvidhu.) «Le même soir il célébra ses fiançailles avec Brunhilde, et, quand ils se mirent au lit, il tira l'épée Gram du fourreau et la posa entre eux deux.» (Edda de Snorro.) «Voilà que tu as pris les traits et la forme de Gunnar; mais tu conserves ta parole et tes sentiments élevés. Et ainsi tu engages ta foi à la noble pupille de Heimir» (c'est-à-dire Brynhild. Grepisspà). Ce dernier chant de l'Edda insiste beaucoup sur la fidélité, la chasteté de Sigurd. Détails analogues, dans quelques autres chants (Helreidh Brynhildar, etc.), dans la Völsunga Saga, etc., etc.

[557-A] Nous croyons pouvoir passer ici sous silence la participation musicale. Les thèmes qui reparaissent durant tout ce deuxième acte sont logiquement ramenés par les situations,—situations si dramatiques, si nettes, qu'elles impliquent d'elles-mêmes, en quelque sorte, quelle musique doit, outre ces thèmes, les accompagner: telle, par exemple la scène de la Convocation des Vassaux, celle encore de la Conjuration de la Mort.—Les thèmes reparus encadrent pour ainsi dire, ces situations nouvelles.—Leur progression se constitue des éléments mêmes apportés par l'action—si nette. Nous renvoyons donc le lecteur à la nomenclature musicale du 3e acte.

[558-1] «Ce héros (Hagene) était bien fait, cela est certain. Il était large d'épaules; ses cheveux étaient mêlés d'une teinte grise; ses jambes étaient longues, son visage effrayant, sa démarche imposante.» (Nibelunge-nôt, XXVIII, 238.) Mais pourquoi ces cheveux «mêlés d'une teinte grise»? Le Nibelunge-nôt l'ignore, comme du reste il ignore les causes de tant de circonstances singulières, enregistrées naïvement, imperturbablement. Wagner au contraire a démêlé, lui, et retrouvé, et restitué, les divers sens mythiques incarnés en Hagen.—Hagen (c'est l'un de ces sens) personnifie la Nuit: Wagner en a fait le fils d'Alberich-de-la-Nuit, Nacht-Alberich, Schwarz-Alberich. Or Alberich est un Nibelung, et les Nibelungen nous sont peints, dans Siegfried, par Siegfried lui-même, comme laids, comme disgracieux et gris, griesig und grau, c'est-à-dire comme traditionnels. Hagen n'est ni faible comme eux, ni lâche, ni disgracieux, ni laid, car sa mère fut une femme, Grimhilde. Mais il est tôt-vieux, il est gris: marques physiques de son origine. Il en est d'autres, toutes morales: sa ruse, son goût de la trahison, son ironie, sa méchanceté, que nous avons déjà vues ou verrons se développer.

[559-1] «Ce n'est pas sans motif que Hagene le convoitait (le Trésor). Dans le Trésor se trouvait une petite verge d'or, la baguette du souhait. Celui qui l'aurait su, aurait pu être le maître de tous les hommes, dans l'univers entier.» (Nibelunge-nôt, XIX, 169.)

[560-1] «Le roi Atli invita Gunnar et Högni à se rendre auprès de lui, et ils acceptèrent son invitation. Mais avant de partir, ils descendirent le trésor, l'héritage de Fafnir, dans le Rhin, et, depuis lors, jamais plus on ne retrouva cet or.» (Edda de Snorro.)

[560-2] «Regin parla: «Voilà que le fils de Sigmund est venu en ma demeure, ce vaillant héros. Il a plus de courage que moi qui ne suis qu'un vieillard»... Après cela, Regin poussa Sigurd à tuer Fafnir.» (Sigurdakvidha Fáfnisbana önnur.)

[560-3] Dans le Nibelunge-nôt, Hagene attend avec sang-froid le danger, tranquillement «assis, sans nulle peur». (XXIX, 265.) Il est constamment qualifié: «Hagene la bonne épée»,—«la très superbe épée»,—«l'intrépide Hagene»,—«le fort Hagene», etc.

[561-1] De même, dans le Nibelunge-nôt, Siegfrid, devançant Gunther et Brunhilt, vient à Worms annoncer la victoire de Gunther et l'arrivée de la nouvelle reine. Mais les détails diffèrent assez: «Et le voilà qui chevauche le long du Rhin.» Vingt-quatre guerriers l'accompagnent, etc. Je signale, dans les notes ci-dessous, les correspondances les plus importantes.

[562-1] Voyant Siegfrid revenir sans Gunther, tous s'inquiètent. Giselher demande: «...Seigneur Siegfrid, faites-moi connaître où vous avez laissé mon frère le roi. La force de Brunhilt nous l'a enlevé, j'imagine.» (Nibelunge-nôt, IX, 85.) Siegfrid le rassure.

[562-2] Giselher rassuré, Siegfrid demande à voir «les femmes», c'est-à-dire Kriemhilt (Gutrune) et sa mère. (Nibelunge-nôt, IX, 85.)

[562-3] Giselher va trouver sa mère et Kriemhilt (Gutrune): «Il est arrivé, Siegfrid, le héros du Niederlant!... Il vous apporte des nouvelles du roi. Vous lui permettrez l'entrée de la cour, afin qu'il vous dise les nouvelles véritables de l'islande.» (Nibelunge-nôt, IX, 85.)

[562-4] Kriemhilt (Gutrune) et sa mère «saisirent en hâte leurs vêtements, puis elles firent prier Siegfrid de se rendre à la cour.» (Nibelunge-nôt, IX, 86.)

[562-5] «L'intrépide chevalier parla: «Accordez-moi le don du messager. O belle femme, vous pleurez sans motif...—» (Nibelunge-nôt, IX, 87.)

[563-1] «Jamais messager d'aucun chef ne fut mieux reçu. Si elle l'eût osé, elle l'eût baisé sans nul regret.» (Nibelunge-nôt, IX, 88.)

[563-2] «Siegfrid répondit: «... Je m'aventure si loin, non pour satisfaire tes désirs, mais pour Kriemhilt, la belle vierge. Elle est comme mon âme et mon propre corps, et j'accomplirai tout ceci afin qu'elle devienne ma femme.» (Nibelunge-nôt, strophes 396 et 399, VI, 65.)—Cf. les notes (2) et (3), p. 543.

[564-1] «Gunnar, ce héros magnanime, obtiendra-t-il une chaste épouse, dis-le-moi, Gripir, après que la noble fiancée du guerrier aura couché trois nuits à mes côtés? Cela serait inouï.» (Grepisspà.)

[564-2] «GRIPIR: «Tu te souviens de ton serment, mais tu dois te taire. Tu gardes à Gudrun l'affection d'un époux. (Grepisspà.)

[565-1] «Tu reposeras près de la vierge, chef des armées, comme auprès de ta mère.» (Grepisspà.) «Le chef des Hiunen ne baise point la reine, et ne la prend point dans ses bras. Il donne la jeune fille à l'héritier de Giuki.» (Sigurdakvidha Fáfnisbana Thridja.) «Il fit bien voir, le victorieux, qu'il voulait garder sa promesse envers le jeune roi sans le trahir.» (Brot af Brynhildarkvidhu.)

[565-2] «Après cela, Sigurd remonta sur son cheval et chevaucha vers ses compagnons. Gunnar et lui reprirent la forme l'un de l'autre, et Gunnar se rendit avec Brunhilde chez le roi Giuki.» (Edda de Snorro.) «Vous changerez de nouveau entre vous de visage et de forme, mais chacun gardera son cœur.» (Grepisspà.)

[565-3] «Ils seront bientôt arrivés... Je vous dirai plus encore, ajouta l'homme hardi, touchant ce dont le roi vous prie lorsqu'il arrivera au bord du Rhin. Si vous faites cela, ô dame, il vous en sera toujours obligé. Je l'ai entendu exprimer le désir que vous receviez bien ses hôtes puissants et que vous lui accordiez d'aller à leur rencontre devant Worms, sur le sable. Voilà ce que le roi Gunther vous fait savoir avec ferme confiance.» (Nibelunge-nôt, IX, 88.)

[566-1] Message confié par Gunther à Siegfrid, dans le Nibelunge-nôt: «Dites à ma sœur que, quand elle aura appris que j'ai abordé avec mes hôtes, elle reçoive gracieusement ma bien-aimée. J'en serai toujours reconnaissant à Kriemhilt» (Gutrune) IX, 85. «Avec mille gracieuses honnêtetés, dame Kriemhilt s'avança pour recevoir dame Brunhilt et sa suite.» (X, 92.)

[566-2] «Ortwin et Gère, les hommes du puissant roi, envoyèrent de tous côtés vers ses amis pour les prévenir que des fêtes allaient avoir lieu pour les noces. Maintes belles vierges se préparaient à y assister... La belle Kriemhilt parla:—«O vous, mes filles, qui voulez m'accompagner à la réception, cherchez dans vos coffres les plus beaux vêtements que vous puissiez trouver; que ceci soit dit aussi pour les femmes.»... Toutes étaient bien joyeuses.» (Nibelunge-nôt, IX, 88-89.)

[567-1] «Et voilà que partout chevauchaient par la contrée les parents des trois rois, qu'on avait avertis afin qu'ils allassent attendre ceux qui devaient venir.» (Nibelunge-nôt, IX, 88.)

[567-2] Ein freisliches Weib.—C'est le terme dont Gunther, dans le Nibelunge-nôt, se sert pour désigner Brunhilt (Xe aventure, strophe 79; cf. p. 101, trad. citée).

[568-1] Les boucs de Thor (Donner) sont chantés par l'Edda de Sœmund en un grand nombre de passages; le Poème de Hymer l'appelle «le Prince des Boucs»; son char a pour attelage deux boucs, etc. Il en est de même encore dans l'Edda de Snorro.

[569-1] Le «farouche», le «maussade» ou l'«irrité» Hagen. C'est la conception même du Nibelunge-nôt, qui nomme et qui montre Hagen comme «altier», comme «outrecuidant», «insolent», «féroce», «terrible», «effrayant»... Il «paraît être très farouche, et pourtant son corps est beau... Ses regards sont rapides, il les jette sans cesse autour de lui. Son caractère est, je crois, plein de violence.» (VII, 67.) «Quelque gracieusement qu'il se comporte, c'est un homme terrible.» (XXVIII, 261.) «Ruedigèr dit à sa fille d'embrasser le guerrier. Elle le regarda et le trouva si effrayant, qu'elle eût désiré s'en abstenir.» (XXVII, 248.) Quand Hagen arrive à la cour d'Etzel, les Hiunen le regardent «avec stupéfaction, comme on considère des bêtes fauves» (XXIX, 262.)

[569-2] «L'Epine-de-la-Haie,» Hage-Dorn. Le Hagau du Waltharius Manu fortis, poème en vers latins de la première moitié du Xe siècle, est ainsi appelé spinosus (au v. 1421) et c'est la traduction de son nom, sans qu'il soit plus qu'ici besoin d'un jeu de mots.—L'épine, dans tous les mythes, est significative: de la Nuit, du Sommeil, de l'Hiver, et de la Mort. J'y reviendrai au sujet du meurtre de Siegfried p. 588, note (4).

[570-1] «De l'autre côté du Rhin on voyait le roi, suivi de plusieurs chevauchées, s'approcher du rivage. Ceux qui les devaient recevoir étaient tous prêts. (Nibelunge-nôt, X, 90.)

[570-2] On ne peut s'empêcher de se rappeler ici tel célèbre épisode du Nibelunge-nôt: Kriemhilt pleure Siegfrid depuis treize années, lorsque le roi Etzel envoie demander sa main par le très loyal Ruedigèr, dont toutes les instances demeurent vaines jusqu'à ce qu'il ait dit à la veuve: «Cessez de gémir. Quand, chez les Hiunen, vous n'auriez que moi, mes parents dévoués et mes fidèles, si quelqu'un vous avait offensée, il aurait à le payer chèrement.» ...Alors Ruedigèr et tous ses hommes lui jurèrent de la servir toujours fidèlement et lui promirent que les magnanimes guerriers du pays d'Etzel ne lui refuseraient jamais rien de ce que pourrait réclamer son honneur.» (XX, 189.)

[570-3] «Le roi et ses illustres hôtes avaient traversé le fleuve... On entendait le bruit de maints boucliers violemment entrechoqués. Leurs pointes, richement ornées, résonnaient au loin sous les coups... Gunther descendit du vaisseau avec ses hôtes. Il conduisait lui-même Brunhilt par la main.» (Nibelunge-nôt, X, 91)—«De tous côtés on entendait retentir de terribles cris d'allégresse.» (Id., 94.)

[571-1] Voir la note (2) de la page 527.

[571-2] «Le margrave Gère conduisit par la bride le cheval de Kriemhilt, mais seulement jusqu'aux portes du Burg. Au-delà Siegfrid, l'homme brave, la servit tendrement... Un grand nombre de chevaliers et de vierges les suivaient. Jamais, il faut l'avouer, on n'avait vu à pareille réception tant de femmes réunies.» (Nibelunge-nôt, X, 91.)

[571-3] «Le roi Gunther parla: «O ma très noble sœur...» (Nibelunge-nôt, VI, 59.) «Nous voulons, sœur chérie...» (Id., 60.)

[571-4] «Le roi Gunther parla: O ma très charmante sœur que par ta vertu mon serment s'accomplisse. Je t'ai promise à un héros. S'il devient ton époux, tu auras rempli mes vœux avec une grande fidélité.» (Nibelunge-nôt, X, 95.)

[571-5] «Le même jour on boira aux noces de Sigurd et de Gunnar dans les salles de Giuki.» (Grepisspà.) «En face de l'hôte on voyait assis Siegfrid et Kriemhilt. Maint vaillant le servait... De l'autre côté étaient assis le roi et Brunhilt la vierge.» (Nibelunge-nôt, X, 96.)

[572-1] «Quand elle vit Kriemhilt à côté de Siegfrid (jamais elle n'eut tant de peine), elle se prit à pleurer. Le long de ses blanches joues, on voyait tomber des larmes.» (Nibelunge-nôt, X, 96.)

[572-2] Dans le Nibelunge-nôt, Gunther dit à Brunhilt: «Qu'y a-t-il, ma femme, que vous laissiez obscurcir ainsi le brillant éclat de vos yeux? Il faut vous réjouir plutôt...»—«Ah! plutôt je veux pleurer, répondit la belle vierge: c'est pour votre sœur que j'ai ainsi le cœur navré. Je la vois assise à côté de votre homme-lige, et il me faut pleurer de la voir à ce point abaissée.»—«Je le regretterai sans cesse, reprit-elle... Si je savais où aller, je fuirais volontiers, et plus jamais je ne serais assise à vos côtés jusqu'à ce que vous m'ayez dit pourquoi Siegfrid est devenu l'époux de Kriemhilt.» (X, 96-97.) «Quoi que Gunther pût lui dire, elle conserva sa sombre humeur.» (Id., 97.)

[573-1] Voir la note (2) de page 570.

[574-1] «Elle reprit: ce noble anneau d'or m'a été volé. Il y a longtemps qu'on me l'a dérobé méchamment. J'apprends à la fin qui me l'a enlevé.» (Nibelunge-nôt, XIV, 129.)

[575-1] «Kriemhilt parla à son tour: Je ne veux point passer pour voleuse. Si ton honneur t'est cher, tu aurais mieux fait de garder le silence.» (Nibelunge-nôt, XIV, 129.)

[576-1] Voir la note (3) de la page 582.

[576-2] «Le roi Gunther parla: «Qu'on appelle Siegfrid. Qu'il nous fasse savoir s'il s'en est vanté; ou bien que le héros du Niderlant démente le fait.» L'intrépide Siegfrid fut appelé en hâte... Le roi Gunther prit la parole: «Je suis vivement affligé. Ma femme Brunhilt vient de m'apprendre que tu t'es vanté d'avoir été son premier amant. Ainsi du moins le soutient Kriemhilt, la femme. Guerrier, as-tu fait cela?» (Nibelunge-nôt, XIV, 131.)

[576-3] «Non, je ne l'ai point fait, répondit Siegfrid... Je veux te prouver par mon serment suprême, devant tous les hommes, que jamais je n'ai rien avancé de pareil.»—Le roi du Rhin reprit: «Fais-nous le connaître de cette façon. Si tu prêtes ici le serment que tu m'offres, je te décharge du soupçon de toute fausseté.» (Nibelunge-nôt, XIV, 131.)

[577-1] «On vit alors les Burgondes se former en cercle. Siegfrid, le très hardi, leva la main pour le serment.» (Nibelunge-nôt, XIV, 131)

[578-1] «On devrait bien apprendre aux femmes à laisser là toutes ces paroles insolentes, ajouta Siegfrid, la bonne épée. Interdis-les à ta femme, j'en ferai autant à la mienne.» (Nibelunge-nôt, XIV, 131.)

[578-2] Paroles de Siegfrid à Gunther: «Certes cela m'afflige au-delà de toute mesure... Une pareille outrecuidance me remplit vraiment de confusion.» (Nibelunge-nôt, XIV, 131.)

[578-3] «Un rien excite la colère des femmes» (Nibelunge-nôt, XIV, 132), dit Giselher à ceux qui veulent tuer Siegfrid.

[579-1] «Quoique chacun fût joyeux, le chef du pays restait d'humeur sombre, et leur gaîté lui faisait mal.» (Nibelunge-nôt, X, 99.)

[579-2] «Le soir tombe, et seule elle est assise dehors, et elle se prend à parler tout haut: «Je veux mourir ou presser dans mes bras Sigurd, le beau jeune homme. Mais non, je me repens de cette parole imprudente; Gudrun est sa femme, et je suis celle de Gunnar. Des Nornes hostiles nous causent de longs tourments.» (Sigurdakvidha Fáfnisbana Thridja.)

[579-3] «Seulement Brynhild pense qu'elle est mal mariée, et cette femme habile songe à se venger par ruse.» (Grepisspà.)

[579-4] «Brunhilt était si profondément affligée que les fidèles de Gunther en eurent pitié. Voici venir vers sa suzeraine Hagene de Troneje. Il lui demanda comment elle était, car il la trouva pleurant. Elle lui raconta tout: aussitôt il promit que l'époux de Kriemhilt en porterait la peine, ou que lui, Hagene, ne se livrerait plus jamais à la joie.» (Nibelunge-nôt, XIV, 131.)

[580-1] «Le roi dit: «Renoncez à cette fureur sanguinaire... Elle est terrible la colère de cet homme merveilleusement brave. S'il apprenait vos desseins, nul ne pourrait lui résister.» (Nibelunge-nôt, XIV, 132-133.)

[580-2] On sait que, dans le Nibelunge-nôt, Hagene, qui s'est chargé de préparer le meurtre de Siegfrid, surprend le secret non pas de Brunhilt, mais de Kriemhilt (Gutrune); celle-ci, trop confiante, lui révèle en quelle partie du corps Siegfried est vulnérable. «Vous figurez-vous, ô dame, dit Hagene, qu'on puisse le blesser? faites-le moi connaître. Par quel stratagème devrais-je m'y opposer? Pour le garder constamment, j'irai et chevaucherai à ses côtés.» (Nibelunge-nôt, XV, 136.)

[581-1] «J'en sais un onzième» (chant runique). «Si je conduis à la bataille des amis éprouvés depuis longtemps, je chante sous le bouclier, et la victoire les suit: ils vont au combat, et en reviennent sains et saufs; ils reviennent de même de partout.» (Edda de Sœmund, Les Poèmes d'Odin, III, Le Discours Runique, 19.)

[581-2] Cette invulnérabilité de Siegfried, attribuée ici à l'amour de Brünnhilde, et dont j'explique le sens en une note ultérieure, est inconnue aux sources scandinaves en général, spécialement aux Eddas de Sœmund, de Snorro, et la Völsunga Saga. On la voit toutefois apparaître, vague, dans les Chants des Iles Féroë: «Ecoute, ma vaillante bien-aimée, tu me causes de grands soucis. Comment enlèverais-je la vie à Sjurd? aucune épée ne peut le blesser.» Elle s'affirme en un chant danois, Sivard et Brynild, dans lequel j'ai déjà indiqué que Hagen, par une confusion, prend le nom et joue le rôle de Gunnar (Gunther); à Brynild qui l'excite au meurtre, il réplique donc: «Comment pourrais-tu tenir en tes mains la tête de Sivard? D'épée qui puisse le blesser, il n'en existe point dans l'univers entier, sauf sa propre épée si bonne et dont je ne puis disposer.» (Cette épée, il l'obtient de Sivard, et s'en sert pour l'assassiner.) Enfin la transition des sources scandinaves aux sources proprement allemandes est marquée par la Wilkina Saga dont le récit, composé du reste en islandais, mais d'après des hommes de Brême ou de Munster, se rapproche de celui du Nibelunge-nôt en maints passages. Cette Saga, ainsi que le Hœrner Siegfried (ou Lied vom hürnen Siegfried—qui contient des détails légèrement différents), sait, de l'invulnérabilité du héros de l'épopée allemande, ce qu'en dit cette épopée par la bouche de Hagene: «La main du héros a tué le Dragon. Il se baigna dans son sang, et sa peau est devenue dure comme de la corne; on l'a vu souvent, aucune arme ne l'entame.» (Nibelunge-nôt, III, 24.) Cette circonstance, remarque avec justesse M. de Laveleye, ne tend guère à relever la bravoure de Siegfrid; mais c'était une façon matérielle et grossière d'en symboliser les effets.

[582-1] «Où l'on peut blesser mon époux bien-aimé, je te le dirai, me confiant en ton affection. Tandis que le sang jaillissait tout chaud des blessures du dragon et qu'il s'y baignait,... une très large feuille de tilleul vint à tomber entre ses épaules. Là il peut être blessé...» (Nibelunge-nôt, XV, 137. Confidence de Kriemhilt à Hagene.)

[582-2] Donc l'invulnérabilité, non seulement devient un don de l'amour, mais, ainsi que dans les anciennes sources, reste (idéalisé cette fois, non plus matériel et grossier) le symbole des effets du courage de Siegfried—Cf. p. 581, note (2).

[582-3] «Gunther répondit à son hôte: Avec cette femme j'ai introduit dans ma demeure la honte et le malheur.» (Nibelunge-nôt, X, 100.)

[582-4] «Pleine de colère, elle excite les princes au meurtre: «Désormais, Gunnar, tu dois renoncer à moi et à mes terres. Près de toi, ô roi, j'ai cessé d'être heureuse...» (Sigurdarkvidha Fáfnisbana Thridja.)

[583-1] «Ils (Gunnar et Högni) ne pouvaient se reposer... avant qu'ils eussent tué Sigurd.» (Gudrunarkvidha önnur.)

[583-2] «Le roi lui-même parla: Il ne nous a rien fait, si ce n'est pour notre bien et notre gloire. Il faut lui laisser la vie. Que vous en semblerait-il si je haïssais ce guerrier? Il nous fut toujours fidèle et tout dévoué.» (Nibelunge-nôt, XIV, 132.)

[583-3] «Est-ce que nous élèverons des bâtards, répliqua Hagene; d'aussi braves guerriers en tireront peu d'honneur. Puisqu'il s'est vanté aux dépens de sa suzeraine, il le paiera de sa vie, ou je veux mourir.» (Nibelunge-nôt, XIV, 132.)

[583-4] «Écoute, ma vaillante bien-aimée, je ne puis croire que tu veuilles rendre le jeune Sjurd victime d'une trahison.» Puis Gunnar ajouta: «Il ne peut en être ainsi. Sjurd est mon frère par serment, je ne puis rien lui faire.» (Chants des Iles Féroë.) Dans l'Edda de Sœmund, au contraire, c'est Gunnar qui tient à tuer Sigurd, et c'est Högni (Hagen) qui l'en dissuade: «Mais Högni lui répondit: «Nous ne pouvons commettre ce crime de violer avec le fer nos serments, nos serments solennels et la foi jurée.» (Sigurdakvidha Fáfnisbana Thridja.) Et ailleurs: «Pourquoi te prépares-tu au meurtre et à la vengeance, ô Gunnar, fils de Giuki? Qu'a donc commis de si grave Sigurd,» etc. (Brot af Brynhildarkvidhu.)

[584-1] «Le roi allait complotant avec ses amis; Hagene de Troneje ne le laissait jamais en repos. Les fidèles du roi auraient voulu tout oublier, mais Hagene ne prétendait pas abandonner son projet.» (Nibelunge-nôt, XV, 134).

[584-2] Dans le Nibelunge-nôt, après le serment de Siegfrid, Gunther, «l'opulent roi reprit la parole: «Ta parfaite innocence m'est complètement démontrée.» (XIV, 131.)

[584-3] A Sigurd: «GRIPIR: Elle dira à Gunnar que tu n'as pas été fidèle à ta promesse, tandis que ce chef, l'héritier de Giuki, avait placé en toi toute sa confiance.» (Grepisspà.) A Gunnar: «HÖGNI: C'est Brynhild, au cœur dur, qui te pousse à commettre ce crime. Elle est jalouse du mariage qu'a fait Gudrun, et elle n'est pas heureuse d'être ton épouse.» (Brot af Brynhildarkvidhu.)

[584-4] «Je réfléchis maintenant à tout ce que vous m'avez fait, quand vous m'avez trompée par vos ruses. Depuis lors, j'ai vécu sans joie et sans bonheur.» (Sigurdarkvidha Fáfnisbana Thridja.)

[585-1] «Mais personne n'y songea plus, si ce n'est Hagene qui répétait à chaque instant à Gunther que, si Siegfrid cessait de vivre, maint territoire de roi lui serait soumis. Le prince en devint sombre.» (Nibelunge-nôt, XIV, 132.) Dans le Sigurdakvidha Fáfnisbana Thridja, c'est Gunnar qui dit à Högni (Hagen): «Nous aideras-tu, Högni, à tuer le héros? Il est bon de posséder l'or du Rhin, de disposer de ce riche trésor suivant son plaisir et de jouir en paix du bonheur.»

[585-2] «Gunnar devint sombre et son âme s'emplit de tristesse. Il demeura tout le jour silencieux sans savoir à quoi se résoudre. Il ne parvenait pas à voir ce qui valait le mieux pour lui. Il songeait à la mort du descendant de Wälsung, et ne pouvait se consoler de la mort de Sigurd... Il fit appeler Högni pour consulter avec lui; car il avait pleine confiance en lui.» (Sigurdakvidha Fáfnisbana Thridja.)

[585-3] Voir la note (1) de la page 585.

[585-4] «Le roi Gunther répliqua: «Mais comment cela pourrait-il se faire?—«Je vais vous le faire savoir», répondit Hagene.» (Nibelunge-nôt, XIV, 133.) Toute semblable est l'intonation dans les Chants des Iles Féroë, quand Gunnar se décide au meurtre, après avoir longuement lutté contre les suggestions de Brinhild.

[586-1] «Brynhild parla, la fille de Budli: «Qu'elle soit privée de ses enfants et de son mari, Gudrun, celle qui t'a fait verser des larmes et prononcer, dès le matin, ces tristes paroles.» (Gudrunarkvidha fyrsta.)—«Sjurd visita Gudrun, mais le héros perdit la vie. Brinhild parla et des larmes coulaient de ses yeux: «Gudrun, la fille de Juki, ne jouira pas du bonheur de posséder le brave guerrier.» Brinhild s'écria à haute voix: «Je veux lui créer des soucis, car enlever ce qu'un autre possède donne rarement du bonheur.» (Chants des Iles Féroë.) Et plus loin, Brinhild à Gunnar: «C'est Gudrun, ta sœur, qui est cause de ma douleur, car elle possède Sjurd, le brave compagnon,» etc. (Id.) Et plus loin encore, Brinhild à Gudrun: «Que tu sois heureuse avec ce puissant guerrier, je ne le permettrai pas. J'ai obtenu l'amour de Sjurd avant que tu l'aies vu.» (Id.) Et, après la mort de Siegfrid: «Brunhilt la belle était assise dans son outrecuidance. Quelles que fussent les plaintes de Kriemhilt, elle s'en inquiétait peu.» (Nibelunge-nôt, XVIII, 165.)

[586-2] «Je crois pouvoir tout préparer si secrètement qu'il portera la peine des pleurs de Brunhilt.» (Nibelunge-nôt, XIV, 133.)

[586-3] Gunther, dans le Nibelunge-nôt: «Je veux aller chasser l'ours et le sanglier dans le Waskemwald, ainsi que je l'ai fait souvent.» C'était là le conseil de Hagene, l'homme très déloyal. «On dira à tous mes hôtes que je veux chevaucher de bon matin.»... Hagene se hâta de dire au roi comment il comptait vaincre le fier guerrier; jamais ne s'accomplit une aussi grande trahison. Ces hommes déloyaux préparaient ainsi sa mort...» (Nibelunge-nôt). Les sources scandinaves ignorent, en général, cette trahison dans la forêt; d'après elles, c'est le jeune frère de Gunnar et d'Högni, c'est Gutthorm qui frappe le héros reposant à côté de Gudrun. Toutefois la conclusion (en prose) d'un des fragments de l'ancienne Edda constate ceci: «Des hommes originaires d'Allemagne racontent qu'il (Sigurd) a été tué dans la forêt.» (Brot af Brynhildarkvidhu.) Et les Chants des Iles Féroë: «Les Jukungen veulent chevaucher dans la forêt,» etc. (Voir la note relative à la mort de Siegfried, ci-dessous, p. 606.)

[587-1] Dans le Nibelunge-nôt, Kriemhilt dit à Siegfrid, avant le départ: «Laisse là cette chasse. J'ai rêvé cette nuit d'un malheur, comme si deux sangliers sauvages te poursuivaient sur les bruyères; et la terre en devenait rouge... Je crains fortement des machinations ennemies...» (XVI, 140). (Voir la note 1 de la p. 610).

[587-2] Dans le Nibelunge-nôt, Siegfrid assassiné, les chasseurs se consultent «pour savoir comment on cacherait que c'était Hagene qui l'avait tué. Plusieurs d'entre eux dirent: «... Nous devons cacher le fait et dire d'un commun accord: L'époux de Kriemhilt étant allé chasser seul, des brigands l'ont tué.» (XVI, 151).

[587-3] «Gunnnar: Sigurd m'a juré son serment, il m'a juré et il l'a trahi. Il m'a indignement trompé, tandis qu'il devait respecter sa promesse.» (Brot af Brynhildarkvidhu) (Voir aussi la note 2 de la p. 620).

[587-4] Allrauner, «Celui-qui-chuchote-partout»; ou plutôt, pour rapprocher le mot à la fois d'une ancienne racine et d'un nom fréquemment donné à des Walküres: «celui-qui-sait-tout», toutes les Runes (Allrune).—D'ailleurs, si l'on en croit Geijer (Svea rikes Häfder, 1 Del. sid. 135), le vieux mot suédois runa (Rune, chant, discours, lettre, écriture) = murmurer, parler bas (d'où l'idée de mystère qu'implique le mot Rune).

[588-1] Voir la note (1) de la p. 585.

[588-2] Dans le Nibelunge-nôt, Hagene s'écrie (strophe 185): «...Ah! puisse ce trésor venir au pays des Burgondes!» (XII, 118).

[588-3] Voir la note (1) de la p. 539.

[588-4] Nacht-Hüter, «Gardien-de-la-Nuit», «Gardien-des-Ténèbres». On se rappelle qu'Alberich, plus haut, fut qualifié Nacht-Alberich (Cf. les notes des pp. 434, 558, etc).—En une autre note précédente (p. 501, Cf. aussi la note (2) de la p. 569) j'ai promis de compléter (si vaines qu'elles me paraissent, à moi, personnellement, pour l'interprétation du Ring) j'ai promis de compléter les notions fournies, là, sur Sigurd, comme «héros solaire». Le moment me semble ici propice, les pages ayant rapport au meurtre de Siegfried devant être surchargées de gloses, et les expressions «Nacht-Hüter», «le Radieux Héros», du présent «couplet», venant de préparer l'esprit du lecteur.—Rouvrons, à la p. 138, la Mythologie comparée (traduction française déjà citée) de Max MULLER: «Il y a dans la nature beaucoup de souffrance pour ceux qui savent entendre la plainte des douleurs muettes, et c'est cette tragédie—la tragédie de la nature—qui est la source de toutes les tragédies de l'ancien monde. L'idée d'un jeune héros, soit qu'on l'appelle Balder, Sigfrid, Achille, Meléagre ou Képhalos, expirant dans la plénitude de sa jeunesse, cette histoire si fréquemment contée, localisée et individualisée, fut suggérée à l'origine par le soleil mourant à la fin du jour dans toute la vigueur de la jeunesse, frappé par les puissances de la nuit, ou percé à la fin de la saison solaire par l'aiguillon de l'hiver. Le destin fatal en vertu duquel ces héros solaires devaient abandonner l'objet de leur premier amour, lui devenir infidèles ou en être trahis, était aussi emprunté à la nature. Leur sort était inévitable: ils devaient mourir soit de la main de leurs parents ou de leurs meilleurs amis, soit par une trahison involontaire. Le Soleil abandonne l'Aurore, meurt à la fin du jour, pour obéir aux lois d'une inexorable destinée, et la nature entière le pleure; ou bien le Soleil du printemps épouse la Terre, puis l'abandonne, se refroidit, et est enfin tué par l'aiguillon de l'Hiver. C'est là une ancienne histoire, mais elle est toujours nouvelle dans la mythologie et dans les légendes du monde antique. Ainsi dans l'Edda scandinave, Balder, le prototype divin de Sigurd et de Sigfrid...... Ainsi Isfendiar, dans le poème épique de la Perse, le Schahnameh, ne peut être blessé par aucun glaive; cependant il doit être tué par une épine lancée en guise de flèche dans son œil par Roustem. Roustem, à son tour, ne peut être tué que par son frère; Héraclès, par l'amour égaré de sa femme; Sigfrid, par la sollicitude inquiète de Krimhild ou par la jalousie de Brunhild qu'il a abandonnée. Il n'est vulnérable qu'à un seul endroit, comme Achille, et c'est là que Hagen (l'épine) le frappe. Tous ces contes sont des fragments de mythes solaires.» Ainsi soit-il! Dieu merci, il y a autre chose dans la Tétralogie de Wagner: ce qui ne veut pas dire que Wagner n'a point profité de ces données pour auréoler son héros d'un surcroît d'éclatante splendeur. On aura pu remarquer ci-dessus l'indication scénique suivante: «Le Soleil se lève et se mire dans le Fleuve. Siegfried survient soudain, tout à fait près de la berge», etc., sans parler d'une foule de détails épars (Cf. la scène grandiose de la mort de Fafner). On pourra s'en souvenir plus loin, à titre tout à fait secondaire, lors de la successive et double apothéose qu'est la fin de Siegfried et celle de Brünnhilde.

[589-1] «Il y eut grande réjouissance dans le pays des Burgondes... mais le roi se tenait écarté de ses hommes. Quoi qu'on fit, on le voyait marcher pensif et triste. L'humeur de Siegfrid et celle de Gunther étaient bien différentes. (Nibelunge-nôt, strophes 653, 654, 655, X, 1OO.)

[590-A] Nous reprenons ici la nomenclature des Thèmes.—C'est ici, en effet, qu'au bout de leur immense progression à travers les quatre drames, ils arrivent enfin à leur signification entière, à leur summum musical. Les idées qu'ils expriment sont alors complètes; venues des plus lointaines profondeurs du drame, elles déversent, en un suprême épanchement, tous les frissons qu'elles ont recueillis dans leur marche. Un examen attentif de la musique de ce troisième acte est indispensable à qui veut se faire une idée précise de la technique musicale observée par Wagner dans la Tétralogie. Ajoutons que, de toutes les partitions de Wagner, celle-ci donne de la technique musicale du Maître l'idée la plus complète.—Tristan est plus vivant (et les procédés mêmes de Wagner s'y sont trouvés absorbés dans l'emportement passionnel de cette œuvre inouïe), Parsifal, plus sublime, mais aucune de ces deux immortelles partitions ne donne de tels exemples de thèmes développés, repris à l'infini, et, après toutes ces palpitations accidentées comme la vie même, revenant réaliser, forts de toutes ces ferveurs d'immense pèlerinage, l'idéal qu'ils avaient pressenti dès leur naissance.

A cet instant suprême du but atteint, c'est en rapprochant ses thèmes d'une façon soudaine, imprévue, que Wagner a dégagé les significations les plus complètes. Ainsi, à la dernière page du Crépuscule-des-Dieux, deux thèmes, celui de la Nature et celui de la Rédemption par l'Amour, très espacés dans le courant de l'œuvre, se trouvent d'un coup avoisiner.—Et c'est alors comme une Révélation.—On voit quelle Révélation.

—Le Prélude du troisième acte suggère nettement ce qui va suivre.—(Partition, page 231.)—A ces sombres sons de trompe qui répondent inlassablement, funèbrement à la fanfare si connue du cor de Siegfried, on pressent déjà le meurtre du Héros. C'est la sombre trompe de Hagen noyant la fanfare de toutes les joies et de toutes les vaillances. A quoi bon tant de luttes? Il faudra bien en revenir à la paix primitive; et voici, doucement, l'antique mélodie du Rhin à chuchoter l'initiale ingénuité des choses. (Partition, page 232, en haut.) (L'Ur-melodie est ici en fa-majeur.) Elle se fait vraiment trop cruelle, la nostalgie de l'originelle sérénité!—Et la plainte des filles du Rhin s'élève[590-A-a].

[590-A-a] Elle se modifie ensuite, suivant deux nouveaux dessins. (Partition, pages 234 et seq.)

[592-1] Wagner s'est inspiré çà et là, dans cette scène, d'un passage analogue du Nibelunge-nôt:—Kriemhilt (Gutrune), devenue la femme du roi Etzel, et songeant à venger Siegfrid, invite Gunther à la venir voir. Vainement Hagene, l'homme de Gunther, cherche à le détourner d'accepter; comme il n'y a point réussi, il consent à devenir le guide de son maître et de ses compagnons. On arrive au bord du Danube, mais on ne trouve aucune barque pour le traverser. Hagene bat la contrée en tous sens afin de découvrir un moyen d'atteindre la rive opposée. «Tout à coup il entendit bruire les eaux; il se mit à écouter: c'étaient des femmes blanches qui faisaient ce bruit dans une source limpide. ... Hagene les aperçut; il se glissa invisible jusqu'auprès d'elles... Le héros prit leurs vêtements et ne leur fit aucun mal. L'une de ces femmes des eaux parla: «Noble chevalier Hagene, si vous nous rendez nos vêtements, nous vous ferons connaître comment se passera votre voyage...» Semblables à des oiseaux, elles planaient autour de lui sur les flots. Il lui parut que leurs sens étaient puissants et subtils. Il en fut d'autant plus disposé à croire ce qu'elles allaient lui dire.» (XXV, 229.) L'une, dans le but de ravoir leurs voiles, lui prédit de grands honneurs dans le pays d'Etzel. La ruse réussit, «Hagene se réjouit en son cœur de ce discours. Il leur donna leurs vêtements sans plus tarder.» (Id., 230.) (Pour la suite, voir les notes ci-dessous, p. 596.)

[594-1] Dans le Nibelunge-nôt, Siegfrid, la chasse finie, poursuit un ours (voir la note (2) de la page 411): «L'ours fuit. L'époux de Kriemhilt veut le dépasser, mais la bête se réfugie dans une clairière remplie d'arbres abattus; la poursuite y était impossible.» (XVI, 143).

[596-1] Voir la note (1) de la p. 592.—«Quand elles eurent revêtu leurs voiles merveilleux, elles exposèrent au vrai ce que devait être le voyage dans le pays d'Etzel...: «Hagene, fils d'Aldrian, je veux t'avertir. Pour ravoir ses vêtements, ma tante t'a menti. Si tu arrives chez les Hiunen, tu seras terriblement trompé. Il faut t'en retourner, il est encore temps. Votre destinée est telle, vaillants héros, qu'il vous faut mourir au pays d'Etzel. Ceux qui s'y rendront ont la mort sur leurs pas.» (Nibelunge-nôt, XXV, 230).

[596-2] Voir la note (1) de la p. 596.—«Mais Hagene répondit:—Vous trompez sans nécessité. Comment se pourrait-il que nous soyons tous tués par là l'inimitié d'une seule personne?» (Nibelunge-nôt, XXV, 230.)

[596-3] Voir ci-dessus la note (1) de la p. 396.—«L'une d'elles parla: «Il en doit être ainsi: nul d'entre vous n'en réchappera, nul, excepté le chapelain du roi. Nous le savons de science certaine.» (Nibelunge-nôt, XXV, 230.)

[597-1] «Sigurd: Quand je verrais la mort devant moi, je ne reculerais pas.» (Sigurdrifumàl).

[597-2] «Fafnir: Je le sais, si tu avais pu grandir sous la protection des tiens, tu aurais été intrépide dans les combats; mais maintenant tu n'es pas libre: tu es prisonnier de guerre.—Sigurd: ... Jamais je n'ai été ici ni captif ni prisonnier de guerre. Tu as bien senti que j'étais libre. Fafnir: Dans tout ce que je dis tu trouves des reproches. Mais je te prédis une chose: cet or au son retentissant, ce métal aux reflets rouges, ces anneaux te tueront. Sigurd: Chacun jusqu'à son dernier jour désire posséder des richesses. Mais tout homme doit enfin quitter la terre pour descendre vers Hel. Fafnir: Tu dédaignes les paroles des Nornes et ma prédiction, comme si elle manquait de sens. Si tu navigues dans la tempête, tu périras dans les flots. Tout est mortel pour ceux qui doivent mourir...» Etc. (Fafnismal.)

[598-1] «On sonna une seule fois très fortement de la trompe, afin qu'on sût au loin qu'on pouvait trouver le noble prince à la halte. Un des piqueurs de Siegfrid parla: «J'entends par le son de la trompe que nous devons nous rendre au campement. Je vais y répondre.» Et, de tous côtés, le son du cor rappelait les chasseurs.» (Nibelunge-nôt, XVI, 143.)

[598-2] «Les chasseurs ne restèrent pas longtemps ensemble.» (Nibelunge-nôt, XVI, 141).

[599-1] «La chasse tirait à sa fin... Ceux qui voulaient s'approcher du foyer y apportaient la peau de mainte bête et du gibier en abondance. Ah! que de vivres on prépara pour la compagnie. Le roi fit annoncer aux chasseurs de haute lignée qu'il allait prendre son repas... On pria les fiers compagnons de chasse de se rendre à table; sur une belle pelouse ils étaient assis très nombreux. Ah! quels mets de chevalier on servit à ces braves chasseurs.» (Nibelunge-nôt, XVI, 143 et 145.)

[599-2] «Tout ce que le chien faisait partir, était abattu par la main de Siegfrid le hardi, le héros de Niderlant. Son cheval courait si vite que rien ne lui échappait. Il reçut les éloges de chacun pour la manière dont il chassait.» (Nibelunge-nôt, XVI, 141 et 142) Suit l'énumération des victimes du héros: sangliers, aurochs, élan, etc, et même un lion (en Allemagne!) «Ces exploits de chasse furent connus de tous les Burgondes. Les piqueurs lui dirent: «Faites-nous cette grâce, seigneur Siegfried, épargnez une partie du gibier. Car sinon vous rendrez désertes la montagne et la forêt.»... Les Burgondes croyaient faire en sorte d'obtenir le prix de la chasse; mais cela ne fut point possible quand on vit arriver le fort Siegfrid auprès du feu du campement.» (Id., ibid., 142, 143.)

[600-1] Voir la note (2) de la p. 596.—«Tandis qu'il (Hagene) les conduisait sains et saufs sur les ondes, il pensa, la bonne épée, à l'étrange prédiction que lui avaient faite les femmes sauvages des eaux.» (Nibelunge-nôt, XXV, 235.) «Deux femmes des eaux m'ont annoncé ce matin de bonne heure que nous ne reviendrions pas de ce voyage.» (Id., XXVI, 237.)

[600-2] «J'ai soif!» Ce passage est de ceux que M. de Wolzogen signale comme précisant, dans la Tétralogie, le rôle libérateur, rédempteur,—de Siegfried. M. Ernst relève cette observation, et, craignant qu'on ne l'interprète mal, ajoute bien vite: «Au moins doit-on reconnaître que cette parole (J'ai soif!) est si naturellement présentée que l'idée d'une assimilation irrévérencieuse ne vient pas à l'esprit; il y faut voir plutôt un simple ressouvenir ou une très lointaine analogie... mais il faut observer que des réminiscences de ce genre sont assez fréquentes chez les poètes allemands, ce qui s'explique, en partie, par le caractère de l'éducation première» (protestante). C'est se donner bien du mal pour justifier Wagner d'une intention qu'il n'a pas eue. Je m'explique. Par la comparaison continuelle des sources, des principaux passages des sources, avec les phrases correspondantes du poème qui les synthétise, le lecteur a pu se faire, je pense, une idée nette de la manière dont ces sources, Wagner les utilisa: simplification dans la création, ou plutôt création nouvelle à force de simplification, ainsi pourrait-on justement caractériser sa méthode—sans doute intuitive, au reste. J'ai vingt fois répété comment tout un récit, tout un chant, assez souvent même presque toute une mythologie! sont évoqués par lui d'un seul vers, d'un seul mot. Or ce J'ai soif! ce Mich dürstet! est l'un de ces mots, ni plus ni moins. Il n'est besoin de se creuser l'esprit ni pour accuser ni pour justifier, ni pour parler d'un signe, voulu, du rôle rédempteur de Siegfried. Qu'on prenne le Nibelunge-nôt: L'heure suprême de Siegfrid est proche. Quand les chasseurs sont attablés, «les échansons, qui devaient apporter le vin, venaient lentement.» (XVI, 114.) Si lentement, que Siegfrid s'en irrite: longue, interminable est la scène; enfin «Hagene de Troneje dit: «Mon cher seigneur, je croyais que la chasse aurait lieu aujourd'hui dans le Spehtshart; c'est là que j'ai envoyé le vin... Je connais tout près d'ici une fraîche fontaine, et, afin que vous ne vous irritiez point, nous allons nous y rendre.» «La soif pressait Siegfrid le héros. Il commanda d'enlever aussitôt les tables, afin d'aller vers la montagne, à la recherche de la source. Hagene avait donné ce conseil dans une intention perfide.» (XVI, 145 et 146.) Version tout à fait similaire dans les Chants des Iles Féroë: «Ils chevauchent dans la forêt, joyeux et sans souci. Ils donnèrent à Sjurd des mets très salés et rien à boire. Eux, ils boivent à longs flots dans leur corne, tandis que celle de Sjurd est restée dans la salle de Juki... Sjurd est assis sur le dos de Grani, et il désire boire...» Etc, etc.

[601-1] Dans le Nibelunge-nôt, le piège est différent, mais semblable est l'intonation: «Hagene parla: «On m'a souvent dit que nul ne pouvait suivre, à la course, l'époux de Kriemhilt. Voudrait-il nous le faire voir?» (Nibelunge-nôt, XVI, 147.)

[602-1] Högni à Gunnar: «Je vois bien la route que tu suis. Brynhild te tourmente; tu ne peux la satisfaire.» (Sigurdakvidha Fáfnisbana Thridja.)

[603-A] A cet endroit du Récit de Siegfried, voici, de nouveau, mélancolique effluve de jeunesse, éphémère épanouissement d'idylle sur le fond sanglant du drame,—la symphonie des Murmures de la Forêt. (Partition, page 287.) Le radieux épisode refleurit comme une fleur rafraîchie. La phrase de l'oiseau épand encore ses perles[603-A-a]; la phrase de l'oiseau qui ramène ainsi la mélodie de Woglinde et tout le souvenir des félicités primitives.—Rappels incessants, poignants.

[603-A-a] Elle revient absolument identique, comme dans le texte.

[605-1] «Sigurd succomba du côté du sud, aux bords du Rhin. Du haut d'un arbre un corbeau s'écria: «Atli rougira le fer dans votre sang. Assassins, vous porterez la peine de la foi violée.» .... Le soir était venu.... Le chef des guerriers songe profondément à ce qu'ils se disaient entre eux, l'aigle et le corbeau...» (Brot af Brynhildarkvidhu.)

[606-1] Voir la note 1 de la p. 605.

[606-2] Comparer l'épisode du meurtre de Siegfried, dans la Tétralogie de Wagner et dans les sources, peut être assez intéressant. Brunhilde, conte la nouvelle Edda, «poussa Gunnar et Högni à tuer Sigurd. Mais, comme ils lui avaient juré amitié, ils chargèrent leur frère Gutthorm de porter le coup. Gutthorm transperça Sigurd de son épée, tandis qu'il était endormi.» Ce récit est conforme à l'Edda de Sœmund, qui, après maints détails d'une terrible beauté, ajoute: «Sans souci, Gudrun reposait sur sa couche à côté de Sigurd. Son réveil est sans joie; elle est baignée dans le sang.» (Sigurdakvidha Fáfnisbana Thridja.) Plusieurs autres chants font au crime des allusions mal concordantes. La conclusion en prose de l'un de ces chants déclare: «Ici le lied parle de la mort de Sigurd, et il semblerait qu'ils l'ont tué hors du Burg. D'autres disent qu'ils l'ont frappé tandis qu'il dormait dans son lit. Mais des hommes originaires d'Allemagne racontent qu'il a été tué dans la forêt. Il est dit, dans un ancien lied de Gudrun, que Sigurd et les fils de Giuki se rendaient au Thing (assemblée) quand ils l'assassinèrent. Mais tous s'accordent à affirmer qu'ils le trompèrent odieusement et qu'ils le tuèrent quand il était couché et sans défense.» (Brot af Brynhildarkvidhu.) Les Chants des Iles Féroë se rapprochent des traditions allemandes. Sjurd, ayant soif, «s'élance vers la source, joyeux et sans souci» et «se couche pour boire l'eau de la fontaine... Gunnar avait l'épée qui pouvait entamer le col de Sjurd. Högni le perça et Gunnar le frappa avec leurs épées d'assassins.»—Dans le Nibelunge-nôt, en lequel se résument les sources allemandes, Siegfrid, comme on l'a vu par telles notes antérieures, Siegfrid altéré voulant boire, Hagene, qui s'est offert à le mener vers une source, tout à coup l'invite à courir: qui arrivera le plus vite à la fontaine? Pari. Tout naturellement le vainqueur est Siegfrid. «Aussitôt il détache son épée, dépose ensuite son carquois et sa forte pique contre une branche» et place son bouclier au bord de l'eau, attendant la venue du roi, afin de le laisser boire le premier. Cette déférence lui vaut la mort. Gunther arrive et boit; Siegfrid ensuite s'incline vers le flot, pour en faire autant. A l'instant même Hagene s'élance, emporte et cache l'arc et l'épée, revient en hâte saisir la pique, cherche, sur le vêtement de Siegfrid, la petite croix qu'y a faite la trop confiante Kriemhilt à l'unique endroit vulnérable, y frappe le héros, et «si violemment que le sang du cœur jaillit de la blessure jusque sur les habits de Hagene.... Il laissa la pique fichée dans le cœur.» (Nibelunge-nôt, XVI, 148)—Voir aussi la note (3) de la p. 586.

[606-A] La malédiction d'Alberich éclate foudroyante. (Partition, page 296.)

[607-1] «Quand le fort Siegfrid sentit la profonde blessure, furieux il se releva de la source en bondissant. Le bois de la longue pique lui sortait du cœur.... Le héros blessé, ne trouvant point son épée, saisit son bouclier au bord de la fontaine et poursuivit Hagene.... Quoique blessé à mort, Siegfrid le frappa si rudement de son bouclier que les riches pierreries en jaillirent et qu'il se brisa en éclats. Ah! qu'il eût voulu se venger, le noble hôte! Soudain, par sa main, Hagene est abattu... S'il avait tenu son épée, Hagene était mort.» (Nibelunge-nôt, XVI, 148.)—Dans les sources scandinaves, «le héros se soulève sur sa couche pour se venger: il lance son épée vers le meurtrier au cœur de loup. L'arme terrible vole des mains puissantes du roi.... Le coup a fendu en deux l'ennemi qui s'affaisse. La tête et les mains sont jetées d'un côté, de l'autre, les jambes tombent sur le sol....» (Sigurdakvidha Fáfnisbana Thridja. Récits analogues dans l'Edda nouvelle, la Völsunga, etc.)

[608-1] «Le féroce Hagene répondit: «J'ignore ce que vous regrettez. Nos peines et nos soucis sont maintenant terminés. Désormais nous n'en trouverons plus guère qui oseront nous résister. Grâce à moi, nous sommes débarrassés du héros.» (Nibelunge-nôt, XVI, 149.)

[608-2] «Le roi des Burgondes lui-même déplorait sa mort.» (Nibelunge-nôt, XVI, 140.)

[608-3] «Tous les guerriers accoururent là où le blessé était couché. C'était un jour funeste pour beaucoup d'entre eux. Il était plaint par ceux qui avaient quelque loyauté. Il l'avait bien mérité, de la part de tous, ce héros magnanime!» (Nibelunge-nôt, XVI, 149.)

[608-4] Sur cette mort «solaire» de Siegfried, Cf. la note (4) de la p. 488.

[608-A] Hagen s'éloigne, lent.—Dans l'immense stupeur, sourdement, indiciblement, le motif de la Destinée! (Partition, page 297, au dessous de cette indication: Hagen se dirige d'un pas tranquille, etc.)—Ce motif reparaîtra bientôt, de même que les traits sourds qui l'accompagnent.

[608-B] Les Harmonies du Réveil de Brünnhilde reviennent à l'orchestre (partition page 267 en bas, et page 298). (Cf. partition de Siegfried, pages 296 et 297.—Voy. note de la page 500.). Voici, de nouveau, les solennels arpèges où semble se déployer tout l'éblouissement d'un beau ciel retrouvé; voici l'immense trille d'extase qui va se perdre dans les dernières profondeurs de l'Ether; et une fois encore le grand Thème héroïque de Siegfried répond magnifiquement.

[609-1] «Quand les chefs virent que le héros était mort, ils le mirent sur un bouclier d'or rouge.» (Nibelunge-nôt, XVI, 150.) «Ils prirent le corps de Sjurd, de ce brave guerrier, et le rapportèrent sur son bouclier.» (Chants des Iles Féroë.)

[609-A] Marche funèbre du Crépuscule-des-Dieux.

Un mot, avant de parler—bien timidement—de cette prodigieuse page. Pourquoi cet intitulé: Marche funèbre? Sans doute parce que le cortège de Siegfried assassiné s'éloigne aux sons de cette symphonie. Mais nullement, en dehors de cette particularité seulement scénique, nullement cette sublime page ne justifie ce titre, restrictif ici, de marche funèbre. Certes, une marche funèbre proprement dite, eût été déjà, placée ici par un Wagner, d'un formidable effet.—Mais cet effet même, qu'est-ce au regard du colossal ensemble symphonique, où tous les grands thèmes de la Tétralogie mêlent leurs sublimes, leurs indicibles voix.—Marche funèbre! Il s'agit bien de cela, quand nous nous trouvons en présence de quelque chose de plus vaste encore que le Chœur des Tragédies grecques!—La Tétralogie entière s'incline sur la mort de Siegfried.

Le Motif du Destin[609-A-a], que nous venons d'entendre, scande lentement sa morne interrogation, que prolongent deux traits sourds. Par deux fois, le funèbre pourquoi s'élève, et, à chaque coup, un thème navrant a répondu—le thème des Malheurs des Wälsungen (partition, page 301).—Trois notes formidables (fa, fa dièze et sol), en une puissante succession, amènent une énorme explosion que prolongent toujours ces éternels roulements sourds (partition, ibid., lignes 3 et 4), qui s'obstinent, gémissent lugubrement, enveloppent les autres motifs fugitivement apparus.—Mais voici que les harmonies s'éclairent comme d'une mélancolie moins amère;—«les blancheurs plaintives de la lune suivent maintenant le cortège[609-A-b]» (partition, page 302), et les thèmes continuent de réapparaître, ainsi que des ombres douces ou héroïques, émus, oppressant les cœurs d'ineffables souvenirs! Voici la compassion de Sieglinde pour Siegmund, leur amour, leurs souffrances. Mais qu'importe! d'eux est né le Héros rédempteur: et, dans un élargissement formidable, le Thème de l'Epée se lève, gigantesque, secouant ses splendeurs, et, peu à peu, s'éloigne, là-bas,—avec le Héros terrassé—, répercutant pour la dernière fois aux échos du monde ses héroïques sonorités. (Partition, pages 302, en bas, et 303.)

A deux reprises se dessine le thème si expressif de «Brünnhilde réveillée»; l'oreille, frappée de troubles accords, croit reconnaître en même temps, le «herrscherruf d'Alberich», l'harmonie des «Corbeaux de Wotan», la vague plainte des Filles du Rhin et un rappel du thème de l'Anneau; de ces évocations obscures se dégage le motif de la Malédiction, puis, comme assourdie, la seconde fanfare de Siegfried.

[609-A-a] Se rappeler aussi la scène IV de l'acte II de la Walkyrie, Cf. Partition de la Walküre, pages 150, 151.—Voy. la note de la page 361.

[609-A-b] M. Catulle Mendès: RICHARD WAGNER.

[610-1] Dans le Nibelunge-nôt, avant la chasse fatale, Kriemhilt cherche à retenir Siegfrid: «Laisse là cette chasse. J'ai rêvé cette nuit d'un malheur, comme si deux sangliers sauvages te poursuivaient sur les bruyères; et les fleurs en devenaient rouges.... Je crains fortement des machinations ennemies... J'ai rêvé cette nuit d'un malheur, comme si deux montagnes tombaient sur toi, et jamais je ne devais te revoir!» (XVI, 140.)

[611-1] «Grani, le cheval gris, porte la tête basse sur le corps du roi son maître.» (Brot af Brynhildarkvidhu.)

[611-2] «Et Brynhild... se mit à rire cette fois encore de toute son âme, quand les cris perçants de la fille de Giuki pénétrèrent jusque dans sa chambre. Gunnar, le maître des faucons, parla: «O femme avide de sang, ne ris pas ainsi joyeusement dans notre salle, comme si le meurtre te causait de la joie!» (Sigurdarkvidha Fáfnisbana Thridja.) «Et Brynhild se prit à rire, cette fois de tout son cœur; le Burg en retentit: «Puissiez-vous régner longtemps sur les terres et sur les hommes, maintenant que vous avez tué le plus vaillant des rois!» Gudrun, la fille de Giuki, parla: «Tu te réjouis d'une manière odieuse du crime commis.» (Brot af Brynhildarkvidhu.)

[611-3] Voy. les notes 2 de la p. 616, 1 et 4 de la p. 617.

[612-1] «Jamais chasse plus funeste ne fut faite par des guerriers. Car le gibier qu'ils avaient abattu fut pleuré par mainte noble femme....» (Nibelunge-nôt, XVII, 151.)

[612-2] «Kriemhilt la très belle éveilla ses femmes, elle ordonna qu'on lui apportât ses vêtements et de la lumière. Survint alors un camérier, qui aperçut Siegfrid couché à terre... Il porta dans la chambre le flambeau qu'il tenait à la main. A sa lueur, dame Kriemhilt allait reconnaître l'affreuse vérité.» (Nibelunge-nôt, XVII, 152.)

[612-3] Hagene de Troneje répondit: «Je le ramènerai moi-même au palais. Il m'est bien égal qu'elle apprenne la vérité, celle qui a affligé le cœur de Brunhilt. Je m'inquiète peu de ce qu'elle fera lorsqu'elle sera dans les larmes.» (Nibelunge-nôt, XVII, 151.)

[612-4] Gudrun, la fille de Giuki, était dehors, et voici la première parole qu'elle dit: «Où donc est maintenant Sigurd, le chef victorieux? D'où vient que les princes chevauchent en avant? Högni seul répondit: «Nous avons tué Sigurd avec l'épée.» (Brot af Brynhildarkvidhu.)

[613-1] «Elle s'affaissa à terre et ne dit pas un mot. On voyait là, étendue, la belle infortunée.» (Nibelunge-nôt, XVII, 152.) «Et il advint que Gudrun désirait mourir, tandis que, pleine de soucis, elle était assise, penchée sur le corps de Sigurd. Elle ne gémissait pas, elle ne frappait point ses mains l'une contre l'autre, elle ne pleurait pas comme font les femmes.... Un instant seulement, Gudrun leva les yeux: elle vit la chevelure du chef raidie par le sang, les yeux brillants du roi sans regard, et son cœur, le siège du courage, transpercé. La reine tomba en arrière sur les coussins du siège. Ses cheveux se dénouèrent, ses joues rougirent, et un torrent de larmes inonda ses joues.» (Gudrunarkvidha fyrsta.)

[613-2] «Vous allez entendre le récit d'une bien grande audace et d'une effroyable vengeance. Hagene fit porter le cadavre de Siegfrid..... devant la chambre où se trouvait Kriemhilt. Il le fit déposer secrètement devant la porte, afin qu'elle l'y trouvât, au moment où elle sortirait, avant qu'il fit jour, pour aller à matines.» (Nibelunge-nôt, XVII, 151.)

[613-3] «Le roi dit «Chère sœur, hélas! quelle souffrance est la tienne! Que n'avons-nous pu échapper à ce grand malheur! Nous déplorerons toujours la mort de Siegfrid.» (Nibelunge-nôt, XVII, 156 et 157.)

[614-1] Voy. d'abord la précédente note: «Nous déplorerons toujours la mort de Siegfrid», affirme Gunther.—«Vous le faites sans motif, dit la femme désolée; si vous aviez dû en avoir du regret, cela ne serait pas arrivé. Ah! vous n'avez point pensé à moi, je puis bien le dire, puisque me voilà séparée à jamais de mon époux chéri.» (Nibelunge-nôt, XVII, 157.)

[614-2] «Gudrun, la fille de Juki, s'éveilla et dit ces mots: «Ce n'est pas de toi, roi Gunnar, que j'aurais dû attendre une trahison.» Gudrun se dresse sur son lit; elle essuie le sang et embrasse la bouche sanglante et la tête de Sjurd.» (Chants des Iles Féroë.)

[614-3] La douce reine s'écria avec désespoir: «Malheur à moi! Oh! douleur! Non, ton bouclier n'est pas lacéré par les épées, tu as été assassiné.» (Nibelunge-nôt, XVII, 153.) «Le roi Gunther parla: «Je veux que vous sachiez que des brigands ont assassiné Siegfrid...»—«Ces brigands, répondit-elle, me sont trop bien connus.... Oui, Gunther et Hagene, c'est vous qui l'avez fait.» (Id., ibid., 157.)

[614-4] «Le féroce Hagene répondit: «J'ignore ce que vous regrettez... Grâce à moi, nous sommes débarrassés du Héros.» (Nibelunge-nôt, XVI, 149.—Voy. la note (1) de la p. 608.)

[615-1] Voy. la note 1 de la p. 608.—«En voilà assez, n'en dites pas davantage. Oui, je suis ce Hagene qui a tué Siegfried, le héros au bras puissant. Ah comme il a payé cher les paroles injurieuses que dame Kriemhilt a adressées à la belle Brunhilt! Oui, sans mentir, cela est ainsi, puissante reine; c'est moi qui suis la cause de tous vos maux. Je ne veux pas le nier, je vous ai fait grand dommage.» (Nibelunge-nôt, XXIX, 266.)

[615-2] Dans l'ancienne Edda, prédiction de Gudrun: «Mais, Gunnar, tu ne jouiras pas de cet or; ces anneaux d'or rouge te coûteront la vie, parce que tu avais fait serment d'amitié à Sigurd.» (Gudrunarkvidha fyrsta.)

[615-3] Ce prodige, dont le sens symbolique est assez clair, n'est sans doute qu'une transposition dramaturgique de celui de l'épopée allemande: «Kriemhilt s'écria: «Que celui qui est innocent le fasse voir clairement; qu'il marche en présence de tous vers la civière; on connaîtra bientôt ainsi quelle est la vérité.» Ce fut un grand prodige, et qui pourtant arrive souvent: dès que le meurtrier approcha du mort, le sang sortit de ses blessures. Voilà ce qui eut lieu, et on reconnut ainsi que Hagene avait commis le crime. Les blessures saignèrent comme elles avaient fait étant fraîches.» (Nibelunge-nôt, XVII, 157). On peut compléter le rapprochement par la comparaison de l'effet d'une pareille merveille sur les assistants: «Les lamentations avaient été grandes; elles le furent bien davantage,» ajoute bien vite le vieux poème. Et la Tétralogie: «Epouvante générale. Gutrune et les Femmes poussent de hautes clameurs.»

[616-1] «Les gémissements de Kriemhilt furent terribles et sans bornes. Revenue de son évanouissement, elle faisait retentir tout le palais de ses cris... Toutes les personnes de sa suite pleuraient et gémissaient avec elle.» (Nibelunge-nôt, XVII, 153.)

[616-2] «Guttrönd, fille de Giuki, parla: «Cesse de parler, ô toi qui es haïe de l'univers entier. Tu as toujours été pour les guerriers une cause d'infortune. Les vagues du malheur t'apportent toujours avec elle...» (Gudrunarkvidha fyrsta.)

[616-A] La Mélodie primitive, qui reparaît ici, semble saluer l'arrivée de Brünnhilde.

Rappelons que Brünnhilde est la fille de Erda, déesse de la Nature. On saisit la puissance de ce rapprochement.

Et, comme conséquence logique, le thème de la Fin des Dieux est également donné dans ce passage (Partition, page 314, en bas, et seq.).

[617-1] «Il y avait souvent plus de joie à la cour que le jour où mon Sigurd sella Grani, et où ils partirent afin de conquérir, pour notre malheur, Brynhild, cette femme perfide.» (Gudrunarkvidha fyrsta.)

[617-2] La fabulation étant différente, c'est Kriemhilt qui adresse, dans le Nibelunge-nôt, d'analogues paroles à Brunhilt: «Si tu avais pu te taire encore, cela eût mieux valu pour toi... Comment la concubine d'un homme pourrait-elle jamais devenir la femme d'un roi?» (XIV, 128).

[617-3] «Brinhild, fille de Budli, parla transportée de fureur: «... J'ai obtenu l'amour de Sjurd, avant que tu l'aies vu.» (Chants des Iles Féroë.)

[617-4] «Alors la fille de Juki, Gudrun, parla....: «C'est rarement un bonheur de prendre ce qui appartient à autrui.» (Chants des Iles Féroë.)

[618-1] Cette scène formidable et poignante, dont la seule lecture fait pleurer de douleur et sangloter d'admiration (tout au moins dans l'original), cette scène appartient bien tout entière à Wagner. Toutefois pourrait-on dire qu'elle garde, en sa beauté, quelques accents du chant correspondant de l'Edda de Sœmund (Sigurdakvidha Fáfnisbana Thridja); oui, un peu de cette intonation d'immense, divine, sauvage tristesse: «Qui t'accuse, Gunnar? Tu t'es bien vengé... Jeune encore, j'étais assise dans la demeure de mon frère avec mon riche trésor... En vérité, je n'eus pas à me réjouir de votre arrivée. Je m'étais fiancée au chef qui était assis sur le dos de Grani, avec son or. Il n'avait pas tes yeux, il n'avait rien de ton visage, quoique tu pusses aussi avoir l'apparence d'un roi... L'or rouge et les anneaux brillants qu'apportait Sigurd m'attiraient. Je ne désirais pas les trésors d'un autre chef. J'en aimais un seul et nul autre; mon cœur de jeune fille n'était pas changeant... Assieds-toi, Gunnar, je veux te parler, moi ta femme resplendissante qui suis fatiguée de vivre... Car jamais une femme qui a de nobles sentiments ne voudra vivre longtemps avec un autre que son époux. Mes tourments seront bientôt vengés... Je réfléchis maintenant à tout ce que vous m'avez fait, quand vous m'avez trompée par vos ruses. Depuis lors, j'ai vécu sans joie et sans bonheur... Il vaudrait mieux que notre sœur (Gudrun) montât aujourd'hui sur le bûcher de son époux et maître, si les esprits sages lui donnaient un bon avis, ou si elle avait un cœur comme le nôtre...» ...Gunnar se leva, le chef des armées, et il jeta les bras autour du cou de sa femme et tous accoururent pour arrêter celle-ci dans son funeste projet. Mais elle repoussa tout le monde loin d'elle, et ne se laissa pas détourner du long voyage. Gunnar appela Högni pour le consulter... Mais Högni répondit: «Personne ne la détournera du long voyage... Quand elle est née, déjà sur les genoux de sa mère elle était vouée à la souffrance; elle est venue au monde pour le mal et pour le malheur de plus d'un guerrier.» Plein de soucis, le héros interrompit l'entretien pour se rendre auprès de la reine qui, parée de ses joyaux, distribuait ses richesses...: Qu'elles viennent vers moi, celles qui veulent recevoir de l'or ou d'autres objets précieux...» Toutes se turent et se prirent à réfléchir jusqu'à ce qu'enfin toutes répondirent à la fois: «Il y a déjà assez de cadavres! Nous voulons vivre encore...» La jeune femme, vêtue de ses vêtements éclatants, sortit de ses réflexions profondes et dit: «Nulle ne doit, pour me complaire, mourir malgré elle.» ...Elle se revêtit de sa cotte de mailles d'or, son âme était sombre, et elle se perça d'une épée acérée. Elle s'affaissa de côté sur des coussins. Le fer encore dans la blessure, elle songea à ce qu'il lui fallait faire: «...Assieds-toi, Gunnar, je veux te parler... Je t'adresse encore une prière, c'est la dernière que je te fais en ce monde. Elève dans la campagne un bûcher assez grand pour nous recevoir, nous tous qui mourrons avec Sigurd. Entoure ce bûcher de boucliers et de draperies, de riches linceuls funéraires et de la foule des morts. Et qu'on brûle à mes côtés le chef des Hiunen. Qu'on brûle à mes côtés, d'une part, le chef des Hiunen, de l'autre, mes serviteurs ornés de leur riches joyaux, deux à la tête, deux aux pieds, deux chiens en plus et deux faucons... Mais qu'on place entre nous deux la brillante épée, la fer acéré, comme lorsque nous partageâmes la même couche, et qu'on nous donne le nom d'époux. Ainsi les portes de la Walhalla, toutes resplendissantes, ne se fermeront pas sur le prince, quand ma suite marchera derrière lui. ...Je parlerais encore, j'en dirais bien davantage si le destin m'accordait plus de temps, mais ma voix s'éteint, mes blessures se gonflent. Aussi sûr que je meurs, je n'ai dit que la vérité.» En d'autres chants, de souffle plus court, ces dernières paroles de Brynhild ont un accent de pareille grandeur: «Maintenant fais ce que tu voudras, le crime est accompli. Parler ou me taire me fait également souffrir...» etc. (Brot af Brynhildarkvidhu.) «Trop longtemps encore des hommes et des femmes naîtront pour leur malheur. Mais Sigurd et moi nous ne serons plus jamais séparés...» (Heireidh Brynhilder.) Le reste des sources se compose du Gudrunarkvidha fyrsta d'un passage de La Plainte d'Oddrun (Oddrunargrair), du très sec récit de Snorro, etc., etc. Les Chants des Iles Féroë disent: «Brinhild s'était endormie tant de nuits dans les bras de Sjurd, et maintenant qu'elle avait causé sa mort, de douleur son cœur se brisa. Brinhild mourut de douleur...» Après d'aussi longues citations, je ne m'astreindrai pas à noter ci-dessous les réminiscences, lointaines, de Wagner. La sagacité du lecteur les découvrira, j'imagine, et d'autant moins difficilement que j'ai marqué, par des italiques, en ces extraits, les correspondances de l'ancienne Edda.

[620-1] Voy. la précédente note.—Le même accent de sublime tristesse sonne en tel autre chant de l'Edda, mais dont l'héroïne est Gudrun: «J'ai eu trois maisons, j'ai eu trois foyers, j'ai été conduite dans la demeure de trois époux. Sigurd est celui que j'ai le plus aimé, et mes frères l'ont tué... Toutes ces douleurs, tous ces malheurs me reviennent à l'esprit. N'attends pas plus longtemps, Sigurd, conduis ici le noir coursier du sombre royaume... Rappelle-toi, Sigurd, nos entretiens quand nous restions assis sur notre couche. O vaillant, viens ici du fond des demeures de Hel pour me prendre avec toi. Et vous, nobles Jarls, dressez sous le ciel un grand bûcher de troncs de chêne. Que la flamme consume ma poitrine accablée d'afflictions. Que le feu anéantisse ce cœur que la souffrance accable...» (Gudrunarkvöt.)

[620-2] «GRIPIR: «Vous échangerez tous les serments les plus sacrés, mais vous en tiendrez peu...» SIGURD: «Comment donc? Gripir, réponds-moi! Vois-tu l'inconstance dans mon âme? Ne garderais-je pas ma foi envers la jeune fille que je parais aimer du fond du cœur?» GRIPIR: «Tu agiras ainsi, chef, par les ruses d'autrui...» SIGURD: «...La volonté de Sigurd est troublée, si je dois obtenir pour un autre la vierge charmante que j'aimais moi-même... Ce qui me paraît le plus affreux, c'est que Sigurd passera pour un fourbe, si les choses arrivent ainsi: Ce serait malgré moi qu'avec tant de perfidie j'abuserais la fille des héros, dont je connais le grand cœur.» (Grepisspà.)

[621-1] Littéralement: «afin que sachante devint une femme.»

[621-2] Voy. la note 2 de la p. 483.—Dans le poème eddique Heireidh Brynhilder, après avoir été brûlée, «Brynhild prit le chemin de Hel et arriva près de la demeure d'une géante... LA GÉANTE: Tu es Brynhild, fille de Budli, venue au monde à une heure funeste... BRYNHILD: Du haut de mon char, moi, qui sais, je te dirai, à toi, stupide, si tu veux l'entendre...» etc.

[621-3] «Hugen et Munen parcourent tous les jours la terre. Je crains que Hugen ne revienne pas; mais je regretterais encore davantage Munen.» (Poème de Grimner, 20.) Mais il faut voir surtout la note (1) de la page 550.

[621-A] Ces paroles de Brünnhilde ramènent le thème de Walhall—en une forme troublée et sombre—(Partition, page 324).

On notera, dans le même passage, les thèmes du Destin, et de la Justification de Brünnhilde. (Pour ce dernier thème, Cf. Walküre, partition, page 271, où l'on en verra la forme la plus nette; ibid., page 298, autre forme élargie.—Voy. notes des pages 394 et 401.).

Tous ces retours de thèmes sont si bien indiqués, si nécessaires ici, que nous n'insisterons pas autrement sur l'opportunité de ces réapparitions.—La Marche du Crépuscule-des-Dieux est le chef-d'œuvre de ce procédé. Nous prions qu'on s'y reporte.

[622-1] «Le Rhin seul possédera ce trésor connu des Ases et qui portait malheur aux hommes, l'héritage des Niflungen. Les anneaux d'or jetteront un plus vif éclat, dans les vagues du fleuve qui les ballotte, qu'aux mains des fils des Hiunes.» (Atlakvidha).

[622-A] Ici une forme rapide de la Mélodie primitive. (Partition, page 326, en bas.)

L'âme de la Nature (Erda) se multiplie, enveloppe le Drame.

A vrai dire, cette mélodie, ici, ne revient plus à tel ou tel endroit distinct: complète ou fragmentée, elle demeure comme continuellement tressée au travers des autres harmonies. Parfois, deux ou trois mesures, en un frisson rapide, suffiront pour l'évoquer. (Cf. Exemple noté ci-dessus.)

[622-B] «... A vous, ô sœurs...»

Complétant l'évocation de la Ur-melodie (Voy. note précédente), c'est un déroulement, ici, des trois motifs des Ondines.—Ils enveloppent de leur bercement toutes ces catastrophes. Voici le chant de Woglinde, si moelleux; il nous rappelle l'Oiseau de la Forêt, toutes les brises de paix qui flottèrent çà et là, dans les intervalles des tourbillons dramatiques, et qui reviennent maintenant pour endormir toutes les douleurs (Partition, page 327).

[623-1] «Vous, Vie en fleurs, race survivante...» Ce passage, sur la Partition, n'existe point. Les trente vers dont il se compose (jusqu'à: Deux jeunes hommes acconduisent le cheval) sont nécessaires à la lecture, car «ils résument» explicitement la moralité de l'œuvre. Mais Wagner les a supprimés pour l'exécution, sachant que le Drame seul, drame de passions et de faits sensibles, doit être présenté au spectateur, et sachant surtout que la musique, par la réunion synthétique des motifs principaux du Ring» (voir le Commentaire musicographique) «et le triomphe du thème de la Rédemption par l'Amour rendaient toute explication superflue.» (Alfred ERNST). J'ai moi-même exprimé des idées analogues en une Note destinée à préparer celle-ci (Cf. l'Avant-Propos, p.117).

[623-2] Comparer, dans l'ancienne Edda, les paroles de Grimner (Odin): «J'ai maintenant révélé ma forme aux fils des hommes. Elle leur donnera le salut.» (Poème de Grimner, 45.)

[624-1] Voir d'abord la note de la p. 517.—Carlyle ajoute: «Le vieil Univers avec ses Dieux s'est abîmé; mais ce n'est pas la mort finale: il doit exister un nouveau Ciel et une nouvelle Terre; un plus haut Dieu suprême et la Justice doivent régner parmi les hommes. Curieux: cette loi de mutation, qui est aussi une loi écrite dans l'intime pensée de l'homme, avait été déchiffrée par ces vieux et sérieux Penseurs (les Scandinaves), en leur rude style; et comment, quoique tout meure, et que même les dieux meurent, toute mort n'est pourtant que la mort de feu du phénix, et une renaissance en Plus Grand et en Mieux! C'est la fondamentale Loi de l'Etre pour une créature faite de Temps, vivant en ce Lieu d'espérance. Tous les hommes sérieux l'ont pénétrée, peuvent encore la pénétrer.» (Les Héros, traduction citée, page 43.) La «Wola» de l'Edda de Sœmund, prophétisant cette renaissance, parle de soi-même: «Elle voit un palais plus beau que le soleil et couvert d'or, sur Gimle-la-Haute; les races bonnes y seront heureuses éternellement. Alors viendront au grand jugement le Riche, et le Fort qui le domine. Celui qui dispose de tout terminera les procès, les querelles...» (Völuspa. 65, 66). Et l'autre Edda, celle de Snorro, complète: «Deux êtres humains, Lif et Lif-Thrasor (la Vie et la Vigueur-de-la-Vie) se soustrairont aux flammes de Surtur, dans le bois de Hoddmimer; ils se nourriront de la rosée du matin. De ces hommes descendra une famille si nombreuse qu'elle peuplera le monde entier.»

[624-2] Sur Grane, voir les notes 1 et 2 de la p. 522.—Ces suprêmes paroles de Brünnhilde à Grane, ces paroles si belles, si touchantes, n'empêchent pas certains wagnériens sérieux d'anathématiser cette «bête de perdition.» Quant à moi, je ne conçois même pas comment, à la représentation, l'on pourrait se passer de sa présence en un si parfait dénoûment. L'Edda ne fait pas mourir Grani sur le bûcher commun de Sigurd et de Brynhild. Qu'on veuille bien toutefois se reporter d'abord à la note ci-dessus recommandée, et ensuite lire ces mots qu'attribue à Gudrun le Gudrunnarkvidha önnur: «J'entendis résonner les sabots de Grani qui revenait; mais je ne vis pas Sigurd lui-même... L'âme affligée, j'allai parler à Grani, et, les joues humides de pleurs, j'interrogeai le cheval. Grani courba la tête jusqu'à terre: il savait bien que son maître était mort.» Comparer aussi la note (1) de la p. 611.

[625-1] Littéralement: «Siegfried! Siegfried!—Bienheureuse te salue ta femme!» Du moins cette phrase, par moi choisie, entre les différentes variantes, comme plus conforme à l'unité symbolique du rôle de Brünnhilde, est-elle celle de la Partition.—Le Poème (édition de 1876) offre pour toute «leçon» ces mots: «Siegfried! Siegfried! Bienheureusement à toi va (s'adresse) mon salut!» Je me suis efforcé de concilier dramatiquement les deux versions, tout en laissant en évidence ma prédilection pour l'une d'elles.

[625-2] Mon collaborateur Edmond Barthélemy a parfaitement montré comment, pour dramatiser l'idée de rédemption, Wagner l'a transposée du Balder des Eddas sur Siegfried, et de là sur Brünnhilde. Qu'on me permette de noter ici telles correspondances extérieures corroborant cette vue si juste. Je me borne à la scène du bûcher, me contentant de rappeler, pour ce qui précède, que Balder et Siegfried sont, privilège commun, relativement invulnérables. Tout d'abord une analogie avec Brünnhilde: on prépare le bûcher de Balder: «Quand sa femme, Nanna, fille de Nep, vit ces apprêts, elle en éprouva tant de douleur que son cœur se brisa. Son corps fut placé sur le bûcher à côté de celui de Balder.» Puis: «Toutes sortes d'individus assistèrent aux funérailles de Balder,» et, parmi ces «individus» je remarque «les corbeaux» d'Odin; celui-ci jette sur le bûcher «l'anneau Drœpner,» et «le cheval de Balder et tout son équipement furent aussi placés sur le bûcher.»

[625-A] Pendant ces dernières paroles de Brünnhilde, l'orchestre a déroulé le thème de la Rédemption par Amour et le grand thème héroïque de Siegfried, comme dans la scène de la Walkyrie, où Brünnhilde prédit à Sieglinde sa maternité (Cf. Walküre, partition, pages 230, 232, 233; on y aura la forme très nette de ces deux thèmes; voy. notes des pages 386 et 388).

Mais successifs dans la Walkyrie, ici, ils s'enlacent en quelque sorte..., comme si toute idée d'amour, de rénovation, se confondait dans l'idée de Siegfried, le Héros de l'Humanité.—Et le thème de la Rédemption prend un développement magnifique comme appuyé sur le glorieux thème de Siegfried (Sieg-fried: La paix par la victoire.)

[626-A] Dans l'orchestre, le crépitement des flammes!

(Cf., au point de vue dramatique, le récitatif de Loge, dans la dernière scène de Rheingold.)

(Partition, page 336.)

[626-B] Le ruissellement, maintenant tempêtueux, de la mélodie primitive.

(Partition, page 337.)

[626-C] La Malédiction d'Alberich, une dernière fois.—La malédiction se maudissant soi-même; car en retombant sur Hagen, fils d'Alberich, elle retombe sur Alberich lui-même.

(Partition, page 337, en bas.)

[627-1] «Hagene s'était emparé du trésor. Il le descendit tout entier dans le Rhin... Il espérait pouvoir en jouir, mais il n'en fut pas ainsi. Depuis lors, il ne put plus rien tirer du trésor, comme il arrive souvent aux traîtres. Il pensait en jouir seul tant qu'il vivrait; mais désormais ce trésor fut perdu et pour lui-même et pour les autres.» (Nibelunge-nôt, XIX, 171.)

[627-A] Les harmonies de paix gagnent de plus en plus, comme portées sur l'ondulation élargie de la mélodie primitive. Le Chant de Woglinde déroule son bercement.

(Partition, page 338.)

[627-B] Voici, pour la dernière fois, le thème de Walhall; mais, sans cesse épanchées, les harmonies premières de Rheingold, résumées par le Chant de Woglinde, uni maintenant au thème de la Rédemption par l'Amour, bercent, environnent, absorbent ces retentissements de faste et de douleur. Le thème dévorateur du Feu en emporte les derniers échos.—Les harmonies de paix vont emplir, seules, l'espace purifié.—Une glorieuse idée d'Humanité fière surgit dans le thème de Siegfried, une suprême fois proclamé.—Le motif de la Fin des Dieux s'ébauche et s'efface; et, déployé maintenant dans la plénitude de son triomphe, le thème de la Rédemption prend un universel essor.

(Partition, pages finales, à partir de la page 338.)

[627-C] Nous serions satisfait si cet essai de Commentaire musical donnait une certaine esquisse de la polyphonie, dans la Tétralogie. Nécessité, d'abord, de ne nous point lancer dans des développements incompatibles avec le cadre tout littéraire de cet ouvrage, et, surtout,—nous n'avons point de fausse honte à l'avouer,—méfiance de nos pauvres forces en présence de cet océan polyphonique, si un et si multiple, si compact et si multiforme, que bien peu,—un Hans de Wolzogen, par exemple, un Alfred Ernst, l'un muni du vivant souvenir de la parole du Maître, l'autre d'une science longuement acquise,—peuvent affronter d'un bord à l'autre; nécessité donc, quant au présent ouvrage, méfiance quant à nous-même, nous avons dû nous borner à noter les thèmes qui importent le plus, ceux qui constituent comme la charpente musicale de l'œuvre. Satisfait serions-nous encore si ces intermittentes évocations de musique pouvaient, soulignant le texte comme l'orchestre souligne la scène, servir, çà et là, l'effet dramatique, augmenter un geste, prolonger un cri. Mais heureux serions-nous surtout, si, à suivre attentivement ces notes, le lecteur se faisait une idée de la musique wagnérienne, non pas en elle-même, mais au point de vue de sa connexité avec le Drame; s'il découvrait que, de ce point de vue considérée, elle apparaît instantanément comme une garantie d'unité—, de cette unité qui nous importe tellement, à nous, Français, dès qu'il s'agit d'une œuvre intellectuellement allemande.

A quelque précision que Richard Wagner ait poussé sa grande conception thématique de la Musique appliquée au Drame, nous ne pensons point cependant qu'il soit allé jusqu'à donner, lui-même, des titres, des étiquettes plutôt, à ses thèmes,—jusqu'à se proposer un sommaire, à répartir article par article, sur les différents points de son œuvre. Ce travail, au demeurant si précieux pour les commentateurs, nous avons de bonnes raisons de le supposer fait, après coup, par un des fidèles du Maître, un intime, dépositaire de sa confiance, par M. Hans de Wolzogen, par exemple. Il fut, très probablement, pour les thèmes de la Tétralogie, un saint Jean-Baptiste littéraire; baptisés par lui, pour la plus grande commodité des musicographes, ils nous parviennent avec ces appellations: Thème de Walhall, Thème des Eléments primordiaux, Thème des Pressentiments, etc.; appellations le plus souvent tout indiquées, mais qui parfois aussi sont littéraires au point de mettre, en quelque sorte, pour le lecteur, un drame dans le drame.

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