La Tétralogie de l'Anneau du Nibelung
[415-A] Le Motif de la forge accompagne en sourdine, comme d'une manière pateline, ces vantardises de Mime. On voit un ouvrier,—un mauvais ouvrier gouapeur,—exhibant force certificats,—son livret.
[416-1] Littéralement: «[C'est] comme enfant suçant—[Que] je t'élevai,—Réchauffai de vêtements—Le petit ver» (ou: «ton petit être chétif»; mais le mot peut aussi signifier «serpent»): «—Nourriture et boisson—Je t'apportai,—Veillai sur toi—Comme [sur] ma propre peau.....» etc. Il y a dans le texte une sorte de berceuse, dont la traduction ne peut rendre l'accent:
zog ich dich auf,
wärmte mit Kleiden
den kleinen Wurm.....
La traduction de Victor Wilder («poupon vagissant», «chétif vermisseau», etc.) est simplement intolérable. J'ai substitué, le mieux que j'ai pu, comme une symétrie interrogative, au rythme allitéré du texte.
Mon collaborateur (cf., ci-dessus, sa note) a judicieusement agi en «substituant... comme une symétrie interrogative au rythme allitéré du texte.» En effet, cette symétrie interrogative répond exactement non seulement au rythme du texte, mais au mouvement du passage musical correspondant. C'est encore ici ce Motif de la forge qui, curieusement transformé, divisé comme en une série de balancements réguliers, accompagne, enveloppe, ainsi qu'une berceuse, ces paroles de Mime. (Partition, page 21.) On touche ici du doigt un des grands procédés musicaux de Wagner: son procédé de la logique transformation des thèmes. Comparez la forme première du Motif de la forge (Cf. Rheingold, partition pages 111 et seq.; voy. la note musicale de la page 273) à la forme qu'affecte ce même motif dans cette scène de Siegfried. Ce développement est tout simplement génial. Outre l'efficacité de ce moyen au point de vue du maintien de l'unité dans l'œuvre, il était impossible de mieux transposer en musique l'âme même des vieux contes populaires, si vivace ici, des märchen qui font de Siegfried un apprenti forgeron, un «enfant trouvé» élevé par un forgeron—Tout à fait forte la «dialectique»,—le mot n'est point déplacé ici,—la «dialectique» de la musique wagnérienne.
[418-1] Littéralement: «puisque tu es si ingénieux».
[418-A] Le thème de l'Amour de Siegmund et de Sieglinde baigne mélancoliquement le charme jeune de ces paroles; il se développe et se modifie en plusieurs figures identiques. (Partition, pages 29 et seq.)—C'est ce thème qui, parmi l'exubérance de l'enfance de Siegfried, met une note rêveuse; lui qui rêveusement enveloppe des tendres nuances suavement alanguies, tristes, des soirs évanouis, ce présent si frais, ce matin si joyeux. On retrouvera, plus largement, la même combinaison, poussée à sa signification la plus précise, dans la Symphonie de la Forêt.
[420-A] Passe, dans l'Orchestre, le thème héroïque de Siegfried. (Partition, page 33.)
[420-B] Wagner n'a rien négligé pour toujours approfondir l'atmosphère qui, dans son œuvre, baigne si largement toutes choses—Qu'on en juge ici—Ces paroles si simples, si fortuites:
sont accompagnées, à l'orchestre, par une réminiscence du Thème de la Nature, par le passage de ce thème qui exprime le mieux l'épanouissement des choses, la souveraine montée du Fleuve-sacré. (Partition, page 33, en bas.)—L'Art de Richard Wagner est tout fait de ces évocations rapides, frissonnantes; et c'est par ainsi qu'il devient la Vie même, toujours actuelle et toujours évoquée. C'est en parlant de soi que Siegfried dit: «... Un poisson qui brille...» Or, si l'on n'oublie pas que l'âme de Siegfried communie avec l'ingénuité primordiale des choses, baigne dans l'onde première baptismale, on sent pourquoi le symbole mélodique de cette Onde revient ici, on comprend intimement cette réminiscence du thème de la Nature.
Au même point de vue, un autre exemple, pris dans le même passage, un exemple décisif d'où éclatera quelle force dramatique,—vis dramatica,—s'infiltre,—comme le sang dans les veines les plus ténues,—dans les plus infimes détails de l'œuvre.
Ces paroles [qui succèdent aux paroles précédentes: «tout autant qu'un poisson qui brille»]:
ces paroles, qui se rapportent à Mime, au Nibelung Mime, sont accompagnées par le Motif de la forge. (Partition, page 33, en bas.)—Immédiatement nous songeons à ce crapaud,—métamorphose d'Alberich,—dont le coassement ponctua le martèlement des enclumes, dans les Forges des Nibelungen (Or-du-Rhin, IIIe tableau); et le particulier antagonisme existant, entre Siegfried et Mime devient ainsi, plus profondément, l'intime écho des grands chocs dont le Drame a jusqu'ici tressailli.
Le Motif de la Forge précède immédiatement, dans la Partition, le thème de la Nature. Si les paroles de la présente traduction, avant tout dramatique et littéraire, étaient notées, il faudrait écrire ainsi la phrase citée ci-dessus:
... tout autant que pourrait différer d'un crapaud un poisson qui brille...»
—«Jamais un poisson n'est issu d'un crapaud», conclut triomphalement l'Enfant Siegfried.—En effet..., le Thème de la Nature n'est guère issu du Motif de la forge.
[422-1] Littéralement: «Je ne suis [un] père—Ni [un] cousin pour toi.»
Noch Vetter dir.
C'est un jeu de mots fondé sur l'allitération. Aussi les expressions père, parent, rapprochées, traduisent-elles mieux l'original que la plus fidèle des versions. Répéterai-je que je me suis rarement donné la peine de justifier ainsi mes «infidélités»? Ce jeu fût devenu fastidieux pour le lecteur plus que pour moi. Mais un exemple çà et là peut contribuer à le convaincre que, dans la présente traduction (n'eût-elle aucun autre mérite, ce qui est possible), absolument pas une syllabe ne fut choisie à la légère.
[423-A] Le motif triste des Wälsungen et le motif de la Compassion accompagnent très doucement ces paroles. Cette combinaison se passe de commentaires. (Partition, page 37, en bas.)
[423-B] Le Motif de l'Amour de Siegmund et de Sieglinde succède aux deux motifs précédents. (Partition, page 38.)
[423-C] Cette évocation, qui a déjà ramené les thèmes notés ci-dessus, éveille enfin, à l'orchestre, le thème héroïque de Siegfried; il passe, très doucement, enveloppé, comme les autres, dans une brume de souvenir. (Partition, page 38.) Avec quelle rapidité se succèdent les thèmes, comme ils s'entrelacent, drus, en un large tissu harmonique, on le voit par les exemples précédents. Une seule portée, parfois, en contient jusqu'à trois. Cela sans disparates, chacun d'eux exprimant une idée précise qui se lie, dramatiquement, à l'idée suivante. De toutes ces palpitations surgit, noble et clair, le mouvement. On pourrait dire de cette musique ce que Berlioz écrivait au sujet de la Neuvième Symphonie: «Les dessins les plus originaux, les traits les plus expressifs se pressent, se croisent, s'entrelacent en tous sens, mais sans produire ni obscurité, ni encombrement; il n'en résulte, au contraire, qu'un effet parfaitement clair, et les voix multiples de l'orchestre qui se plaignent ou menacent, chacune à sa manière et dans son style spécial, semblent n'en former qu'une seule, si grande est la force du sentiment qui les anime.»—(Passage cité par Victor Wilder, à propos de l'allegro maestoso de la Neuvième Symphonie: Beethoven, 1 vol. Charpentier, 1886).—Le finale de la Walküre offre un exemple frappant de cette combinaison des thèmes. Trois motifs différents s'y développent simultanément et complètement: le Motif de l'Incantation du Feu, la Mélodie du sommeil et le thème héroïque de Siegfried. (Voy. Walküre, partition, pages 303 à 308, et la note de la page 402.) Ces exemples, cependant, et ces citations concernent plus particulièrement la combinaison des motifs. Il y a un autre point de vue, celui de la liaison des motifs, et qui est plus important encore, dès qu'il s'agit de la Tétralogie. Nous y reviendrons, sur un prochain exemple.
[424-1] Voir, dans la Walküre, la note (2) de la p. 387.
[425-1] Dans les sources norraines, Hjördis.—Voir l'annotation de La Walküre, pp. 388-389.
[425-2] Littéralement: «Silence avec la vieille—Chanson d'étourneaux»!
[426-1] Dans les Chants de Iles Féroë, comme dans la Völsunga Saga (voir l'annotation de La Walküre, p. 387), Hjördis a reçu, grosse de Sigurd, les débris du Glaive sur le champ de bataille, où, blessé à mort, Sigmund lui a dit: «Quand je reçus le premier coup, mon épée se brisa en deux..... Prends les deux morceaux de mon épée, et fais-les porter au forgeron par le jeune fils que tu as conçu..... Regin le forgeron habite de l'autre côté du fleuve.... Tu lui feras porter les deux morceaux de mon épée.....»
[426-2] Dans les Chants des Iles Féroë, Sjurd est allé trouver sa mère, laquelle n'est point morte en le mettant au monde: «Ecoute, ô mère chérie, et dis-moi la vérité.....» ..... Hjördis se dirigea vers un coffre qui était tout lamé d'or: «Voici l'armure que portait ton père quand il fut tué.» ..... Elle prit aussi les morceaux de l'épée et les remit à Sjurd: «Voilà ce que m'a donné ton père qui me chérissait si tendrement. Prends les deux morceaux de son épée, afin d'en faire forger une nouvelle aussi bonne que la première. Le forgeron Regin habite de l'autre côté du fleuve, tu lui feras porter les deux morceaux de l'épée.» Voir ci-dessus la note (1) de la p. 413; et, dans La Walküre, p. 387, note (1).
[426-A] Le Motif de la forge souligne à souhait ce jeu scénique. (Partition, page 43). Il devient, pour ainsi dire, inséparable du thème de l'Épée, de même qu'il avoisine, en quelque sorte, dans Rheingold, le motif du Tarnhelm. Remarquez ce continuel souci d'unité.
[426-B] A ces paroles, l'orchestre entonne solennellement la Fanfare du Glaive. (Partition, page 44.) Par une suite de sonorités martiales, qui l'élargissent, elle se lie à l'un des deux motifs d'impétuosité, à celui qui caractérise l'impatience juvénile de Siegfried. On a là un exemple très complet de la liaison des thèmes, chez Wagner, la parfaite réussite d'un des plus efficaces moyens que le Maître employa pour obtenir la double unité musicale et dramatique sur tous les points de son immense composition. On le voit: les thèmes successivement affectés à un personnage se lient, à point nommé, sur ce personnage. En outre, Wagner a, par ce moyen, obtenu de pouvoir logiquement transformer, transposer plutôt, les thèmes ramenés et d'éviter ainsi la monotonie. Ils se lient en un frisson mélodique dont le diapason convient aussi bien au thème ramené qu'au thème surgissant. Ils s'enrichissent l'un l'autre. C'est la vie nouvelle, incessamment végétante, chargeant de ses vivantes couleurs les vieux dessins sculpturaux du Passé.
[427-1] «Tu mourras, Regin, et de ma main, car tu as voulu me tromper avec tes ruses d'armurier.» Il prit les deux morceaux de l'épée et les jeta sur ses genoux. Regin, le forgeron, se mit à trembler comme une feuille de lis. Il prit les deux parties de l'épée brisée dans sa main, mais sa main tremblait comme la tige d'un lis.—«Tu vas me forger une autre épée, mais sache-le bien, Regin, si tu ne la fais pas mieux que celle-ci, tu ne conserveras pas la vie. Tu me forgeras une épée d'une trempe effroyablement dure. Je veux pouvoir couper le fer et l'acier.....» (Chants des Iles Féroë.)
Littéralement: «Comment conduirai-je le Prompt?» Siegfried sera qualifié plus tard «Héros rapide», geschwinder Held.
[428-A] Ici, le thème du Voyage,—un charmant Scherzo,—d'un mouvement gracieux et preste, déambule. (Partition, page 46.) L'impatience aventureuse du jeune Héros[428-A-a] y prend son aspect le plus séduisant; et c'est dans cet élan rieur vers là-bas que Siegfried, pour toujours, demeure tout entier profilé.—Cette idée, jaillissante ici, Wagner la développera, ou pour mieux dire, il la liera étroitement à la signification générale du Drame. A ce thème du Voyage, si jeune et si léger, correspondra,—amenant un élargissement qui est comme le regard promené sur le Monde enfin dévoilé,—la symphonie de la Rheinfahrt (le Voyage sur le Rhin). Large fleuve où se perd le torrent tombé de la montagne, cette symphonie—, page d'une importance capitale—, est comme le but et le couronnement de tous les motifs d'aventure qui accompagnent le personnage de Siegfried. (Pour la Rheinfahrt, voy. la partition du Crépuscule-des-Dieux, pages 39 et seq., et, ci-après, page 524.) Dans la partition de Siegfried, le thème du Voyage se lie au motif d'impatience.
[428-A-a] Cf., notre Michelet (toujours génial!): «Dans cette figure colossale de Siegfried est réuni ce que la Grèce a divisé, la force héroïque et l'instinct voyageur, Achille et Ulysse».
[429-1] «Honneur à toi, Vafthrudner!..... Je me nomme Gôngrôder» (Odin) «j'arrive de voyage et suis altéré; une invitation hospitalière de séjourner chez toi me ferait plaisir, car j'ai fait une longue course, géant.» (Vafthrudnismal, le chant ou le poème de Vafthrudner, dans l'Edda de Sœmund).
[429-A] L'apparition de Wotan s'annonce par une magistrale succession d'accords, dite Harmonie du Voyageur. (Partition, page 50, en bas.)—Ces accords reparaissent, un peu plus loin (page 51), à ces mots de Wotan «... C'est le Voyageur...».
A noter aussi, dans cette scène, le thème du Pouvoir des Dieux, où se retrouve un souvenir du thème de l'Epieu (voy. note de la page 236) et de la Détresse des Dieux (voy. note de la page 227).
Divers thèmes reparaissent, notamment celui du Walhall (p. 61, au bas, et page suivante), à ces paroles du Voyageur:
Disons, d'une manière générale, que, dans toute cette scène rétrospective, il y a à peu près autant de thèmes ramenés que de faits accomplis rappelés et que ces thèmes expriment ces faits.—L'Harmonie du Voyageur ne dérive nullement, comme on le pourrait croire par un raisonnement assez naturel, des thèmes d'aventure entendus déjà.—Elle exprime bien autre chose!—En sa résonnance lente et profonde, voilée, elle donne, positivement, l'impression d'une Force mystérieuse circulant par le Monde.—Wotan, c'est bien cette Force-là, désormais. Maintes fois déjà, dans ce premier acte de Siegfried, l'on a perçu comme de grands murmures sombres et sourds.—Les accords qui les constituent, je penche à les considérer comme des ébauches ou bien des dérivés de cette Harmonie du Voyageur, fixée ici en sa plénitude;—ils exprimeraient l'approche, encore indécise, de Wotan, un environnement indéfini de Fatalité.
L'Harmonie du Voyageur appartient, avec d'autres harmonies, telles que celles du Tarnhelm et du Philtre, à la série des Thèmes qui, sans offrir un dessin mélodique caractérisé, cantabile, ont pourtant toute la clarté, toute la signification du leit-motiv proprement dit, et se ramifient, avec non moins de souplesse, suivant les variations du Drame.
[431-1] «J'ai beaucoup voyagé.....» dit Gôngrôder (Odin) dans le Vafthrudnismal cité.—«Jamais, depuis que je voyage parmi les peuples, je n'ai été appelé du même nom.» (Poème de Grimner, 48.)—«On peut aussi chercher la signification de plusieurs de ces noms dans les voyages d'Odin, dont les antiques sagas nous ont conservé le souvenir.» (Edda de Snorro, Gylfaginning.)
[431-2] «Je me suis mû beaucoup.»—«Grimm, l'Archéologue allemand, va jusqu'à nier», dit Carlyle, «qu'un homme Odin ait jamais existé. Il le prouve par l'étymologie. Le mot Wuotan, qui est la forme originelle d'Odin, mot répandu, comme nom de leur principale Divinité, d'un bout à l'autre des Nations Teutoniques partout; ce mot qui se rattache, d'après Grimm, au latin vadere, à l'anglais wade et autres semblables, signifie primitivement Mouvement, Source de Mouvement, Puissance, et est le digne nom du plus haut Dieu, non d'un homme quelconque..... Il faut nous incliner devant Grimm en matière étymologique. Considérons comme un point fixé que Wuotan signifie Wading, force de Mouvement.» (Les Héros, trad. citée, p. 39.) Quelque bizarre qu'ait pu sembler ma traduction de rührt'ich mich viel, «je me suis mû beaucoup», je crois que la voilà justifiée. Dans les pages de la Deutsche Mythologie, auxquelles fait allusion Carlyle, Grimm énumère d'abord et rapproche le gothique Vódans, le vieux-haut-allemand Wuotan, le normannique (nordisch) Odinn. Il donne, comme étymologies, le vieux-haut-allemand watan, wuot, le vieux normannique vada, ód, en leur attribuant les sens, non seulement du latin vadere, mais de meare, transmeare, cum impetu ferri. Il ajoute: De watan sort le substantif Wuot (μενος, animus, mens, ingenium) qui en vint insensiblement à signifier Ungestüm (impétuosité) et Wildheit (fougue, sauvagerie), si bien que le nom de Wuotan lui-même, après avoir évoqué les idées de puissance (mächtig) et de sagesse (weise), finit par évoquer celles de fougue sauvage (wild), d'impétuosité (ungestüm), de violence (heftig). Aussi Wagner (qui, je l'ai montré dans une note à propos de Fasolt, avait lu Grimm avec profit) qualifie-t-il Wotan de Wilder (sauvage), der Mächt'ge (le Puissant), Wüthender (furieux), etc., etc. Cette dernière signification est, de même que celle de Mouvement, l'une des plus étymologiques.
[432-1] Ce passage complète la synthèse des caractères prêtés à Odin par la tradition Scandinave; il suggère le souvenir d'un chant tout entier de l'Edda de Sœmund, intitulé le Havamàl, ou le «Discours sublime» d'Odin. C'est, comme l'a dit J.-J. Ampère, un poème gnomique, dans lequel, sous une forme sentencieuse, sont déposées les idées que se faisaient les anciens Scandinaves de la supériorité intellectuelle et morale. Les vertus les plus recommandées sont la prudence, la libéralité, l'hospitalité: «Heureux celui qui donne! Un hôte entre, où va-t-il s'asseoir?»—«Celui qui entre, les genoux glacés, a besoin de feu.» Etc., etc.
[432-2] «J'ai beaucoup voyagé, j'ai essayé d'un grand nombre de choses, j'ai mis bien des intelligences à l'épreuve.» Et plus loin: «J'ai beaucoup voyagé, beaucoup appris, j'ai mis à l'épreuve bien des intelligences.» (Vafthrudnismal, cité plus haut.)
[433-1] «Odin partit donc pour mettre à l'épreuve l'habileté du savant Vafthrudner.....—ODIN: «Honneur à toi, Vafthrudner! Me voici dans ta salle, où je viens te visiter en personne. Je désire savoir d'abord si tu es en effet le plus savant des géants. VAFTHRUDNER: Quel est cet homme qui vient dans ma salle pour m'adresser la parole? Tu ne sortiras jamais d'ici, à moins que tu ne sois plus savant que moi..... Assieds-toi dans la salle: nous lutterons ensuite à qui est le plus instruit de nous deux.» (Vafthrudnismal.) Et plus loin: «Par notre tête, étranger, nous nous livrerons dans la salle des combats d'esprit.»—Par d'autres notes voisines, extraites du même poème, on peut se rendre compte des emprunts, assez importants, qu'y a faits Wagner. Ce genre de lutte à coups d'énigmes est un lieu commun de la poésie norse (Comparez, ci-dessous le passage tiré d'un chant tout analogue, avec, pour interlocuteurs, le dieu Thor et le nain Allvis).
[434-1] Littéralement: «Noir-Alberich». Mais plutôt faut-il, décomposant le nom en ses éléments étymologiques, lui donner son vrai sens de «Chef», ou «Maître», ou «Roi-des-Alfes (Alben)-Noirs», en opposition avec le titre que Wotan s'attribue plus loin, celui de «Licht-Alberich», «Alberich-de-Lumière», c'est-à-dire aussi «Chef», ou «Maître», ou «Roi-des-Alfes (Alben)-de-Lumière.»—Dans une note de la «Scène» Première de L'Or-du-Rhin, j'ai déjà, parlant d'Alberich, dit quelque chose des Alfes-Noirs ou Schwarzalben. Voici comme l'Edda de Snorro les distingue des Alfes-de-Lumière ou Lichtalben (j'emploie les termes de Wagner; ceux de l'Edda seraient dock-alfar et lios-alfar): «Alfhem (Alfheimr) est la demeure des Alfes lumineux; les Alfes-Noirs habitent dans la terre. S'ils diffèrent des premiers par l'extérieur, ils en diffèrent bien davantage encore par leurs œuvres. Les Alfes lumineux sont plus beaux que le soleil, les Alfes ténébreux plus noirs que la poix.» Des passages de l'Edda de Sœmund complètent ceux-ci, par exemple dans le chant de Grimner, etc.—L'antithèse et la symétrie, dans le texte allemand, sont éclatantes:
Schwarz-Alberich..... etc.
—Lichtalben sind sie;
Licht-Alberich..... etc.
Alberich est d'ailleurs nommé, précédemment, Nacht-Alberich (Alberich-de-la-Nuit); plus loin, dans Le Crépuscule-des-Dieux, Nacht-Hüter (Gardien-de-la-Nuit), etc. Fasolt, s'adressant à Wotan, le qualifiait de Lichtsohn (Fils-de-Lumière). Aussi bien chacun de ces détails est-il expliqué à sa place.
[435-1] «Tu es savant, ô étranger!.....» (Vafthrudnismal.)
[435-2] Littéralement: «La troisième question à présent menace.»
[435-3] «Dis-moi, Vafthrudner, si tu le sais et si ton esprit a quelque valeur, d'où vient la terre et le ciel élevé, savant géant?»—«Dis-moi, Vafthrudner, si tu le sais et si ton esprit a quelque valeur, quelle est l'origine des Dieux?.....» (Vafthrudnismal, 20, 40.)
[436-1] La Lance d'Odin, que les Eddas nomment Gungnir, est l'une des choses de l'univers sur lesquelles sont gravées les «véritables runes», suivant le Sigurdrifumàl: «Apprends à connaître les runes de l'intelligence..... Celui qui les trouva, les exprima et les grava le premier fut Sigfadir (Odin); il les puisa dans la rivière qui coulait du crâne de Heidraupnir (Mimir)..... Il se tenait sur le haut de la montagne, son épée étincelante à la main et le casque en tête. Pleine de sagesse, la tête de Mimir prononça sa première parole et indiqua les véritables runes. Il parla, et elles se gravèrent sur le bouclier du Dieu de la Lumière, ..... sur l'or et sur le verre, ..... sur le siège de Wala, sur la pointe de Gungnir et la poitrine de Grani, sur l'ongle de la Norne et sur le bec du Hibou..... Voilà les runes du savoir et les runes secourables, ..... et les runes si renommées de la puissance..... Apprends à les connaître et laisse-les agir jusqu'à ce que les dieux meurent.»—Cf. p.254, note (2).
[437-1] La terre.
[437-2] «Puisque tu désires connaître la capacité d'un nain, mets-moi à l'épreuve, Vingthor. J'ai parcouru les neuf mondes, et je sais bien des choses.» (Edda de Sœmund, Poème du nain Allvis, 9, analogue au Vafthrudnismal.) Thor, l'interlocuteur d'Allvis (ou de Celui-qui-sait-tout), commence par ces mots l'interrogatoire: «Dis-moi, Allvis, car tu connais, je crois, tout ce qui concerne les races humaines.....»
[437-3] «Tu es bien savant, ô géant!» (Vafthrudnismal).
[438-1] Ein kühnes dummes Kind, littéralement: «un intrépide [et] niais enfant». «Naïf» serait peut-être plus exact, avec une idée d'ignorance et l'ironique intonation qu'il a souvent en notre langue. Siegfried est ainsi qualifié de dumm, plusieurs fois, par Mime, par soi-même. Sa naïveté, du reste, éclate à chaque instant, et Brünnhilde, à la fin du drame, y fait d'attendries allusions (soit lorsqu'il la prend pour sa mère, soit lorsqu'il s'effraye, comiquement, de ce qu'il a si vite «oublié» la peur). Sans cette ignorance de sa destinée, sans cette inconscience de sa haute mission, non seulement Siegfried ne serait pas joyeux, non-seulement il ne serait pas libre, libre de crainte, mais surtout il ne serait point, ne pourrait pas être, on le sait déjà, le Héros Rédempteur attendu par Wotan.—Aussi importe-t-il de souligner ici une première concordance entre le rôle de Siegfried, niais, naïf, ignorant, dumm, et celui plus sublime, sans doute, de Parsifal, «le Pur Simple» (ou «Fol»), der reine Thor.—D'autres comparaisons à faire seront indiquées, tout extérieures—car je ne puis, hélas, en ces notes, traiter le fond de semblables questions.—Qu'il me suffise, pour le moment, de conseiller, à quiconque aurait lu Parsifal, une méditation: sur les mères, de l'un et de l'autre Héros, Sieglinde et Cœur-Dolent ou Herzeleide; et sur les circonstances où sont nés l'un et l'autre; Beauté virile, Force virile, Joie virile, Prédestination rédemptrice,—issues de l'extrême faiblesse, de la suprême douleur, de l'affreuse prédestination à la défaite ou à la mort.—Cf. p. 451, note.
[439-1] Au sujet de l'origine eddique de cette idée, voir, dans la Walküre, la note (1) de la p. 403.
Littéralement: «Hé Hé! Mime! toi poltron!» On voit assez que de tels jeux de mots sont intraduisibles en français. Tout au plus pourrait-on, si le passage importait, risquer une assonance, encore insuffisante, celle de «pusillanime», comme je l'ai fait plus loin, p. 443:
Mime mir's bei?
Wie wärst du Memme mir Meister?
«Mais comment pourras-tu me les inspirer, toi, Mime? Toi, le pusillanime, toi, comment serais-tu mon maître?» (Dans la première phrase interrogative, les se rapporte à l'horreur, aux vertiges de la peur; dans la deuxième, toi répété, joint à l'assonance de pusillanime, vise à rendre l'original par des effets équivalents).
[440-A] A signaler le curieux passage orchestral qui souligne les terreurs de Mime. (Partition, page 78 et seq). On en retrouvera les mystérieux murmures dans la Symphonie de la Forêt.
[442-1] Wagner, ne le voit-on pas assez? n'a pas le moindre besoin, grâce à son génie dramatique, d'une aride forme sentencieuse pour émettre de ces vues profondes. On trouvera bientôt, ci-dessous, p. 444, un autre exemple, aussi naturellement amené.
[444-1] Neid-Höhle, «Antre-de-Haine-et-d'Envie».
[444-2] Wagner, disais-je plus haut, n'a pas le moindre besoin, grâce à son génie dramatique, d'une aride forme sentencieuse pour émettre de ces vues profondes. J'en donnais alors un exemple, et j'en annonçais un deuxième—le voici: «Alors, ce ne serait pas loin du monde?—Neid-Höhle? (Antre-de-Haine-et-d'Envie) On ne peut plus près du monde!»—En effet?.....
[445-1] Dans le Wieland der Schmied de Simrock, Siegfried disait textuellement: «C'est moi-même qui le forgerai, mon Glaive!» et toutefois ne le forgeait-il point.—Dans le poème d'Uhland, Siegfried's Schwert, déjà mentionné, le héros d'ailleurs élève d'un forgeron, réussissait à se créer l'arme.—Dans la Tétralogie seulement, il vient à bout d'un tel projet malgré son ignorance de l'art,—à cause même de cette ignorance, marmottera Mime un peu plus loin.
Wie Höhl'und Wald,
Und hab'nicht so'was geseh'n!
Presque textuellement tirée de maints Märchen populaires allemands, cette phrase est tout évocatrice de cette mythologie panthéistique des Nix, des Alfes, des Dvergues, des Elfes, etc. C'est pourquoi sans doute Wagner l'a cueillie, afin que la synthèse fût complète.
[447-1] Voir, dans la Walküre, la note (4) de la p. 337.—D'après cette note, le Glaive s'appelle, dans la Völsunga, dans les deux Eddas: Gram, qui signifie angoisse ou colère.—D'ailleurs, dans le Nibelunge-nôt, l'épée de Siegfrid a nom: Balmung; dans le chant danois (Sivard et Brynhild): Adelring, etc.
[447-2] Voir dans la Walküre la note (1) de la p. 387.
[447-3] «Voici»: il y a dans le texte nun, dont le sens est celui de «maintenant», «à présent», et qui souvent du reste est explétif. Je crois n'avoir nul besoin de justifier autrement cet emploi d'un mot dont l'équivalent est d'un si général usage dans les poésies primitives,—puisque aussi bien ce chant de Siegfried nous suggère l'authentique genèse de la Poésie dans les races humaines en contact avec la Nature: il nous suggère encore, à un autre point de vue, l'enthousiasme joyeux de l'Homme qui, pour la première fois, s'asservit la Matière. Mais d'ailleurs, quoi Wagner ne nous suggère-t-il point?
[447-A] Voici le chant de la Forge: Un nouveau motif de forge se développe, plein d'entrain, très touffu, rythmant puissamment la très simple mélodie de Siegfried. Il ne ressemble nullement au morne motif de forge, affecté à Mime et aux Nibelungen, et qui exprime une idée de travail âpre et stérile. (Partition, pages 106 et suiv.)
[451-1] «Et voilà le jeune Sjurd qui chevauche devant sa porte (celle de Regin). Regin rejette loin de lui tous ses outils de forgeron et saisit une épée:—«Sois le bienvenu, Sjurd, je t'ai forgé une épée; si le courage ne te manque pas, tu iras loin en tes chevauchées.» Sjurd s'avança vers l'enclume et frappa de toutes ses forces. L'épée était si dure qu'elle ne pouvait plier ni se briser. Sjurd frappe avec force, et, du coup, il fend du haut en bas l'enclume et le billot qui la supporte.» (Chants des Iles Féroë.) «Alors Regin forgea une épée qui s'appelait Gram et qui était si acérée que quand Sigurd la tenait dans une rivière, elle coupait un flocon de laine que le courant apportait contre son tranchant. Puis, avec cette arme, Sigurd fendit jusqu'en bas l'enclume de Regin.» (Edda de Snorro). Analogues détails dans l'Edda de Sœmund (Sigurdakvidha Fáfnisbana önnur), dans la Völsunga-saga, dans la Wilkina ou Thidreks-Saga, etc.—Parmi les ressemblances extérieures de Siegfried et de Parsifal, notons en passant que ce dernier se coupe lui-même son arc et ses flèches.—En ce qui concerne Siegfried, Wagner a bien compris que le héros seul devait se reforger son Epée. Dans la Tétralogie seulement, remarquais-je plus haut, Siegfried vient à bout de ce projet malgré son ignorance de l'art,—à cause même de cette ignorance, a pu dire Mime. En effet, recréée par lui, dans ces conditions, à ces conditions, elle ne sera plus l'arme d'un Siegmund, d'un héros qui ne devait son Glaive, comme sa détresse, comme son courage et ses révoltes, qu'à Wotan même; cette épée ne sera plus la Pensée de Wotan, mais l'arme d'un Héros vraiment libre; l'arme d'une indépendante Humanité, dont Siegfried symbolise la Jeunesse, la Joie; l'arme ainsi capable sinon d'effectuer, du moins de préparer, et de rendre possible, l'Acte unique, l'Acte libérateur et rédempteur; l'arme capable, enfin, de fracasser la Lance, sur laquelle sont inscrites les Runes des Conventions, seules gardiennes de l'Ordre établi.
[451-A] A ces paroles, la Fanfare du Glaive jaillit, foudroyante. (Partition, page 135 en haut.) Le finale de l'acte est bâti sur ce thème.
[452-1] A qui lut avec soin mes notes, faut-il remémorer que Wotan est le «Père-des-Orages» (Sturmvater), et quel est son «coursier d'éclairs», et pourquoi lui, Lichtsohn, «approche brillant, dans l'ombre?» et tant et tant d'autres détails analogues? J'imagine que non.
[453-1] «Cette Forêt, le Puissant la craint et l'évite», disait Brünnhilde en La Walküre. Wotan craignait d'être tenté, quoique «frapper Fafner» lui fût «interdit.» Mais à présent qu'ayant renoncé, comme on s'en convaincra bientôt, il vient «pour voir, non pour agir,» il ne redoute plus les tentations. Alberich ne peut croire encore à ce renoncement; d'où sa fureur et son effroi.
[453-2] Wotan, perdant Brünnhilde, a perdu, avec son vivant Désir, le goût d'«agir.»—«Depuis qu'il s'est arraché de toi,» dit Waltraute à Brünnhilde, au Crépuscule-des-Dieux, «dans les mêlées Wotan ne nous a plus envoyées» (nous désigne les Walkyries); «sans direction, pleines d'inquiétude, nous chevauchions, au hasard, du côté des armées. Les Héros du Walhall, Walvater les fuyait: seul, à cheval, sans repos ni répit, il courait le Monde, en Voyageur...» etc., etc. Il faudra remarquer, en effet, qu'à mesure que se développe le quadruple Drame, Wotan y «agit» de moins en moins. Dans le Crépuscule-des-Dieux, il ne paraîtra plus, encore que tous les événements n'y soient, y compris le dénouement, que les inévitables péripéties, l'inévitable catastrophe, issues de ses «actions» antérieures.
[455-1] «Comment ce Dieu (Odin) trouve-t-il de quoi nourrir une foule qui doit être considérable (celle des Héros)—Har répondit: Elle est en effet très nombreuse et s'accroîtra bien davantage encore; cependant elle sera insuffisante quand Fenris viendra.» (Edda de Snorro, Gylfaginning.)
[455-2] «Au Ragnarœcker (Crépuscule-des-Dieux) toute la suite de Hel sera avec Loke.» (Edda de Snorro.)—Sur Hella, p. 366, n.(3).
[456-1] Sein Herr ist er, «il est son maître.»—L'Edda de Sœmund (Sigurdakvidha Fáfnisbana önnur), les Chants des Iles Féroë, la Völsunga, font d'Odin, tantôt sous les noms de Huikar, Feng, Fiœlnir, etc., tantôt sous la forme d'«un homme âgé» qui «n'a qu'un œil au front»,—le protecteur de Sigurd ou Sjurd, dont il guide la barque, ou auquel il donne des conseils pour tuer le Dragon, etc. On sait déjà, par la Walküre, que Wagner ne pouvait adopter cette version: «Un seul,» a dit Wotan, «peut ce qui m'est impossible: un Héros que mes préférences mêmes ne me pousseraient jamais à soutenir: qui, étranger au Dieu, affranchi de sa faveur, réaliserait inconsciemment, sans en avoir reçu mission, et à l'aide de ses propres armes, l'objet de mon exclusif Désir...», etc.
[456-2] Les Héros de Walhall.
[456-3] Wotan se nomme en effet lui-même ailleurs der Weckrufer, mot qui signifie «l'Éveilleur».
[457-1] Littéralement: «Le Sauvage».
[460-1] «Ecoute, illustre Sjurd, va, chevauche... Pour un chef tel que toi, je suis prêt à donner ma vie.—Ecoute, Regin, tu me parles ainsi, mais, ô forgeron Regin, tu nourris d'autres sentiments au fond du cœur.» (Chants des Iles Féroë.)
[461-1] «Promets-moi encore ceci, illustre Sjurd, quand tu te rendras sur la bruyère, sur la Glitraheide» (la bruyère étincelante où est couché le Dragon), «consens à ce que je t'y suive.» (Chants des Iles Féroë)
[461-A] Ici commence cette admirable Symphonie des Murmures de la Forêt. (Partition à partir de la page 173.)—L'inspiration de Wagner s'y épanouit en un souffle d'idyllisme héroïque. De mystérieux murmures frissonnent dans l'orchestre. Mais voici que de ces profondeurs palpitantes, doucement, mariant ses modulations au bruissement de la forêt, le thème si mélancolique des Malheurs des Wälsungen se déroule. (Cf. Valkyrie, partition, pages 15 et 16.—Voy. la note de la page 321.—Pour ce passage de la partition de Siegfried, voy. cette partition page 174, en haut.)—Il reviendra, plus sombre, dans la Marche funèbre du Crépuscule des Dieux. Avec moins de détresse ici, mais toujours aussi poignant, il rappelle, d'un frisson, la destinée tragique attachée à la Race des Wälsungen; il nous suggère que ce Héros, là, sous nos yeux, ivre de jeunesse et de vaillance, aura la destinée mélancoliquement tragique de Sieglinde et de Siegmund.
Un gazouillis d'oiseaux susurre, et voici qu'il se précise en un chant perlé. (Partition, page 176, au bas, et toute la page 177.) Sans doute l'oiseau, dont tout à l'heure Siegfried comprendra si bien le ramage. Emerveillé, l'Enfant veut imiter le chant des oiseaux; il n'aboutit qu'à tirer de son chalumeau un son très criard et très douteux. (Partition, page 181.—Silence complet de l'orchestre durant ce puéril et charmant tableau d'idylle.)—Puis, tandis que l'immense murmure harmonieux reprend (partition, page 182), Siegfried, dépité, embouche son cor, cette fois, plus habile à cette musique-là. Une fanfare allègre, que nous entendrons souvent, se répercute à tous les échos de la Forêt, dont le bruissement est couvert tout à coup par de formidables accords graves. (Partition, page 184 et 185, en haut.) Hélas! les oiseaux se sont envolés et c'est le Dragon qui arrive.
Toute cette Symphonie de la Forêt, si descriptive, si paysagiste, si remplie d'un souffle de Nature, est, d'ailleurs, quelque peu voisine aux thèmes de la Mélodie primitive. En son frissonnement palpite la note caractéristique, resplendissante, (dominante) de la Rheingold-fanfare, forme éclatante du thème originel.—(Cf. Rheingold, partition, page 30.—Voyez la note de la page 238.) Dans ces transformations profondes, fondamentales du thème de la nature, il y a une idée philosophique de durée; et cette idée de durée, de perpétuité indifféremment radieuse des choses, nous allons la voir reparaître, se développer, s'affirmer, à mesure que le Drame individuel, penchera de plus en plus vers sa catastrophe. La Partition du Crépuscule-des-Dieux est pleine de ces retours de la Mélodie primitive: significatif.
Se fondant de plus en plus dans le concert des harmonies premières, la Symphonie de la Forêt conclut par le Chant de l'Oiseau, où nous retrouvons la Mélodie de Woglinde, entendue au début de Rheingold, mélodie issue du motif de la Nature. (Cf. Rheingold, partition, page 5.—Voy. ci-après, la note de la page 470.)
[463-1] Waldweben.—L'idée du Waldweben se trouve dans le Wieland der Schmied de Simrock. Mais qu'importe une telle origine, étant donné ce qu'a fait Wagner de cette idée?—Peu d'habitués de nos concerts qui n'aient entendu le Waldweben: on voit par lui quelle communion s'établit entre la Nature, la Forêt vivante,—et l'âme de Siegfried. C'est de ces murmures de la Forêt que se dégage, pour flotter d'abord autour de lui, pour pénétrer ensuite en lui, ce qu'on appelle «la pensée de la mère.» Il n'est pas neuf de signaler, dans cette prestigieuse symphonie, l'intervention du thème dit Wellenbewegung, qui, d'un bout à l'autre du Ring, chante l'éternel renouvellement, l'éternelle succession, l'indéfini devenir des choses, des existences, et dont le mélodieux panthéisme, ici tout particulièrement, suggère la présence de l'âme de Sieglinde, indiquée d'ailleurs par un autre thème. Mais cette présence, à qui connaît l'œuvre allemande et la langue allemande, n'est-elle pas rendue évidente, en dehors même de la musique, par le choix des termes du texte? Sous quel arbre Siegfried s'est-il assis? Sous un Tilleul. Et l'Oiseau-de-la-Forêt, l'Oiseau qui tout à l'heure, prophétique, guidera l'innocent, sur quel arbre chante-t-il, sur lequel reste-t-il? Sur le Tilleul, et dans le Tilleul. C'est le choix de cet arbre qui, dans le poème de Siegfried, exprime pour le lecteur cette présence de Sieglinde, cette présence de l'âme de Sieglinde, sensible à l'auditeur-spectateur du Drame intégral, du Wort-Tondrama, du Drame Musical-Poétique-Plastique.—Le choix de cet arbre?—Sans doute; voici: Tilleul, en français, n'évoque rien; mais si Tilleul se prononçait Linde; si Linde était l'un des éléments constitutifs du nom de Sieg-Linde, n'évoquerait-il pas bien des choses? Or tel est le cas; ma preuve est faite. Il me reste à la compléter par l'étymologie de Sieglinde, que j'ai promise antérieurement. Tout d'abord le mot Sieg (victoire) entre dans la composition du nom de chacun des Wälsungen (Sieg-mund, Sieg-linde, Sieg-fried), ce qui est logique, Wälse n'étant autre que Wotan, et Wotan s'appelant quelquefois Sieg-vater, le «Père-des-Victoires.»—Sieg-Linde pourrait donc se traduire, à peu près: «Tilleul-de-Victoire». C'est un nom plus ou moins peau-rouge? Je le reconnais; mais il n'est tel qu'en apparence. Car ouvrons par exemple Schade (Alt-deutsches Wörterbuch, 2e éd., Halle, 1872-82), au mot Linde: nous y lirons que Linde (Tilleul) est ainsi désigné à cause de la tendresse, délicatesse, souplesse et flexibilité du bois, «von der Weichheit und Nachgiebigkeit genannt, sowol von der weichen Spinde des Baums zwischen Rinde und Kern, als auch von dem weichen nachglebichen Holze.» Or, tendre (au propre et au figuré), délicat (au propre et au figuré), ces adjectifs desquels Schade nous a convaincus que le Tilleul a tiré sa dénomination, se rendent en haut-allemand (alt et mittelhochdeutsch) par lind, lindi, linde, que le même philologue définit par weich (tendre, délicat, sensible), sart (tendre, délicat) sanft (tendre, doux, suave), etc. Pas n'est même besoin de remonter si loin: lind existe encore au sens de gelind, doux, avec les dérivés lindern, adoucir, et Linderung, adoucissement.—Il en résulte que Sieg-linde outre l'idée de victoire (Sieg), commune à tous les Wälsungen, évoque l'idée de tendresse, douceur; et que, par l'un de ces jeux de syllabes, désormais connus du lecteur comme si familiers à Wagner, Linde, dernière partie du nom, sert à investir génialement ici, comme d'une supplémentaire beauté philologique, l'incomparable poésie, la réalité symbolique, et la musicale vérité de la métempsychose maternelle.
[466-1] «Le dragon en rampant s'éloigne de son or, qu'on le sache bien. Sjurd... saisit sa lance terrible et s'arme aussi de son épée.—La chute d'eau était haute de trente coudées, et le dragon était couché dessous. Son ventre reposait sur les rochers, mais ses deux nageoires s'élevaient dans les airs... Et voilà le vaillant Sjurd qui brandit son épée...» (Chants des Iles Féroë.)—Touchant la vraisemblance scénique de cet épisode du Dragon Fafner, dans les conditions toutes spéciales du Festspiel-Haus de Bayreuth, cf. l'Avant-Propos, p. 132, note (2).
[467-1] «Sjurd perça le cœur quoiqu'il fût difficile d'y arriver. Il le perça de sa lance qui avait trente aunes de long.» (Chants des Iles Féroë.)
[467-2] «Sigurd et Regin montèrent vers la Gnita-Heide et y trouvèrent le sentier par lequel Fafnir rampait vers l'eau. Dans ce sentier Sigurd creusa une fosse profonde et s'y cacha. Quand Fafnir quitta l'or sur lequel il était couché, de sa bouche il lança du poison qui tomba sur la tête de Sigurd. Mais quand Fafnir passa au-dessus de la fosse, Sigurd lui plongea son épée dans le cœur. Fafnir se débattait et frappait de la tête et de la queue...» Ce récit sommaire, placé en tête du Fafnismal (Edda de Sœmund) et abrégé encore dans l'Edda de Snorro, donne assez bien l'idée de ce qu'est le combat de Sigurd en presque toutes les autres sources, y compris les Chants des Iles Féroë. La place me manque ici pour citer davantage.
[468-1] «Compagnon, compagnon, quel compagnon t'a donné le jour? De quel homme es-tu le fils, toi qui as osé teindre ton arme brillante dans le sang de Fafnir? Ton épée a transpercé mon cœur... Qui t'a poussé et comment t'es-tu laissé pousser, ô jeune homme, à me tuer?...» (Fafnismal, dans l'Edda de Sœmund).
[468-2] «Je m'appelle un prodige, et je marche ci et là sans avoir connu de mère. Je n'ai point non plus de père comme les autres hommes. Je m'avance solitaire.»—«Mon cœur me poussait en avant, mes mains et ma bonne épée ont fait le coup.» (Fafnismal.)
[468-3] «Qui t'a poussé et comment t'es-tu laissé pousser à me tuer, ô jeune homme à l'œil lumineux?» (Fafnismal.)
[469-1] «FAFNER: «Je me croyais plus fort que les autres hommes, et je n'ai trouvé personne qui me résistât.» (Fafnismal.)
[469-2] ... ein rosiger Held...
[469-3] «GRIPIR: J'ai pu voir dans tout son éclat le printemps de ta vie.» (Grepisspà.)
[469-4] «Le Dragon répondit tandis que son sang s'écoulait: «Tu dois frapper maintenant Regin le forgeron... Tue maintenant Regin le forgeron comme tu m'as frappé. C'est le plus méchant des traîtres; il veut te faire périr.» (Chants des Iles Féroë.)
[469-5] «Mais je te prédis une chose: cet or au son retentissant, ce métal aux reflets rouges, ces anneaux te tueront...»—«Maintenant, je te le conseille, Sigurd, crois-en mon avis, et chevauche loin d'ici. Cet or au son retentissant, ce métal aux reflets rouges, ces anneaux te tueront.»—«Regin m'a trahi et te trahira aussi; il sera la cause de notre mort à tous deux. Fafnir doit quitter la vie, ta force m'a vaincu.» (Fafnismal) Détails tout à fait analogues dans presque toutes les autres sources (Völsunga; Chants des Féroë, etc.)
[469-6] «SIGURD: Dis-moi, Fafnir, toi qui vois l'avenir et qui sais tant de choses....» (Fafnismal.)
[469-A] Ici reparaît le motif de la Malédiction d'Alberich. (Partition, pages 193, au bas, et 194.)
[470-1] «Sigurd prit le cœur de Fafnir et le fit rôtir à la broche. Quand il crut qu'il était à point et qu'il vit le jus découler du cœur, il y appliqua le doigt pour voir s'il était, en effet, assez cuit. Mais il se brûla et se mit le doigt dans la bouche. Aussitôt que le sang de Fafnir eut touché sa langue, il comprit le langage des oiseaux. Il entendit ce que les aigles se disaient sur les branches.» (Fafnismal.) «PREMIER AIGLE: Voilà Sigurd teint de sang, il fait rôtir le cœur de Fafnir. Il me paraîtrait sage ce guerrier, s'il mangeait cet organe de la vie,» etc. (Id.) Toutes les sources, Chants des Féroë, Völsunga, Edda de Snorro, etc., reproduisent d'analogues détails.
[470-A] La Symphonie de la Forêt reprend. (Partition, p. 195.)—C'est alors que sur les ondes bruissantes de l'orchestre l'Oiseau de la Forêt perle son adorable chant. (Partition, pages 196, 197.)—A signaler l'accord particulier, d'un effet si pittoresque, qui revient, parmi les traînées murmurantes de l'orchestre, à chaque phrase du Chant de l'Oiseau.—Ce Chant, avons-nous vu, reproduit presque identiquement la Mélodie de Woglinde. La seule différence, c'est que cette mélodie reparaît ici en mi-majeur, au lieu d'être, comme dans Rheingold, en mi-bémol majeur; le rythme en serait aussi peut-être un peu plus vif.
Puis sous les traînées murmurantes de l'orchestre, et tandis que l'Oiseau, par dessus, dit son chant, se déroule le motif mélancolique des Wälsungen, «comme si, dit judicieusement M. Ernst, l'âme de Sieglinde errait à l'entour de son fils très aimé.» (Voyez à ce propos la note de mon collaborateur, touchant Sieglinde page 463.) «Non moins reconnaissable, dans ce Chant de l'Oiseau, remarque le même auteur, est l'élément caractéristique du Sommeil de Brünnhilde. Le thème des Walkyries s'y trouve également: ces deux points fixent la nature prophétique de ce chant qui doit annoncer à Siegfried qu'une fiancée l'attend au faîte de la montagne.» (Voy. dans la partition pour tout le Chant de l'Oiseau, indépendamment du passage cité ci-dessus, les pages 208, 230, 231, 232, 233 et 234.)
[471-1] Ces dialogues entre des oiseaux et des héros sont assez fréquents dans l'Edda, comme dans tous les chants primitifs, du reste. Ils contribuent à signifier la communion, l'intimité de l'homme enfant avec la Nature: cette signification, c'est encore l'une de celles qu'il importe d'attribuer au présent épisode de la Tétralogie.
[471-2] «SEPTIÈME AIGLE: «Qu'il coupe la tête à ce Jote au cœur froid, et qu'il lui enlève ses richesses. Alors tout le trésor que possédait Fafnir sera à lui seul....»—«.... Sigurd suivit la trace de Fafnir vers sa demeure. Elle était ouverte, mais la porte et les linteaux étaient en fer. Toute la charpente était aussi de fer et l'or était caché sous terre....» (Fafnismal.)
[474-1] «Cette querelle entre Mime et Alberich reproduit bien les aigres disputes (observe avec justesse M. Ernst) et les glapissements—comme de furieuses voix de vieilles femmes,—entendus, selon maint conte, au voisinage des endroits hantés par les nains.»
[475-1] «Sigurd trouva là un énorme trésor, et il en remplit deux coffres. Il prit le casque d'Œgir» (analogue au Tarnhelm), «la cotte de mailles d'or et l'épée Hroth et beaucoup de choses précieuses...» (Fafnismal.)
[475-2] «DEUXIÈME AIGLE: Voilà Regin couché songeant comment il trompera l'homme qui se confie en lui....»—«SIXIÈME AIGLE: Il»(Sigurd) «me paraît très imprudent s'il épargne plus longtemps ce dangereux ennemi. Regin qui le trahit est couché là-bas, et Sigurd ne sait pas comment il doit se défendre contre lui.»—... «SIGURD: Le sort n'a pas décidé que Regin parviendrait à me tuer. Bientôt les deux frères descendront vers Hel.» (Fafnismal. Se rappeler que dans les sources mythiques, Fafner est un frère de Regin, qui a mené Sigurd contre lui.)
[476-1]«Regin s'était éloigné tandis que Sigurd tuait Fafnir. Il revint au moment où Sigurd essuyait le sang de son épée. Regin dit: «Salut à toi, Sigurd! tu as remporté la victoire et tué Fafnir. De tous les hommes qui existent sur la terre, tu es le plus vaillant.... Tu es fier, Sigurd, et heureux de ta victoire, et tu essuies ton épée Gram dans l'herbe....» (Fafnismal.)
[476-2] «Ne t'ai-je point parlé déjà, une autre fois, d'un sujet gai? C'était l'histoire du garçon qui s'en va par le monde «pour apprendre la peur» et qui est assez niais pour ne jamais la connaître. Pense à mon effroi, lorsque j'ai tout à coup reconnu que ce garçon n'est autre que le jeune Siegfried, qui conquiert le trésor et réveille Brünnhilde.» (Lettre de Wagner à Uhlig, datée de Zurich, 10 mai 1831.) M. Ernst cite ce document à l'appui de son affirmation que l'idée de la peur, et de l'impossibilité où Siegfried est de la ressentir, vient surtout du nº4 du recueil populaire des Kindermärchen. Affirmation sans doute, ai-je dit déjà, trop exclusive: je crois l'avoir assez démontré par deux citations de l'Edda de Sœmund. (Voir La Walküre, p. 403, note (1), auxquelles je renvoie.)
[477-1] «SIGURD: «Tu m'as conseillé de chevaucher par delà la montagne sacrée. Si tu ne m'avais poussé à l'action, le Dragon aux écailles brillantes jouirait encore de la vie et de son trésor...» (Fafnismal). «En luttant contre la mort, le Dragon lui dit:... «Ecoute, Sjurd, ce que j'ai à te dire. Qui t'a suivi dans le chemin jusqu'ici?»—«C'est Regin ton frère, qui m'a montré le chemin. C'est le plus méchant des traîtres; il veut te faire périr.» (Chants des Iles Féroë).
[477-2] Souvenir du Nibelunge-nôt: «L'homme hardi (Siegfrid) n'avait pas l'âme faite de façon à deviner leur trahison. Plein de vertu, il était étranger à toute fausseté.» (XVI, 146).
[479-1] «TROISIÈME AIGLE: «Après lui avoir coupé la tête» (à Siegfried), «il» (Regin) «enverra vers Hel ce bavard aux longs cheveux; ainsi il possédera tout le trésor sur lequel Fafnir était couché.» (Fafnismal.)
[479-2] «Sigurd coupa la tête de Regin, mangea le cœur de Fafnir et but le sang de Regin et de Fafnir...» (Fafnismal)—«Regin se coucha à terre pour boire le sang vénéneux du Dragon. Pour boire le sang vénéneux du Dragon, Regin se coucha à terre. Sigurd lui donna le coup de la mort à l'endroit où il se tenait. Et c'était le jeune Sjurd qui brandissait son épée. Il coupa en deux le forgeron Regin.» (Chants des Iles Féroë).
[480-1] «Toi, Fafnir, tu exhales ton dernier souffle, tu vas descendre vers Hel.» (Fafnismal) «Tu étais effroyable, Dragon aux écailles brillantes, et tu avais un cœur impitoyable!» (Id.)
[481-1] «Alors Sigurd entendit ce que chantaient les aigles: «... Je connais une femme admirablement belle, toute brillante d'or: ah! si elle pouvait être à toi... Sur le haut sommet de Hindarhall s'élève un burg tout entouré de feu... Sur le rocher dort la vierge des combats, et le feu dompté la lèche doucement. Yggar» (Odin) «lui piqua une épine dans son voile, dans le voile de la jeune fille qui voulait tuer des hommes.» (Fafnismal) «Voici ce que lui dirent les oiseaux assis dans les arbres: «Brinhild est belle, la fille de Budli; elle attend ton arrivée.» Et les oiseaux sauvages assis sur les branches des chênes lui dirent: «Brinhild, la fille de Budli, est belle; elle attend ton amour.» Voilà ce qu'apprit Sjurd vers l'orient, dans son pays.» (Chants des Iles Féroë.)
[481-2] Les Aigles: «Tu peux, ô homme, contempler sous son heaume la vierge que le cheval Wings-Kornir» (Grane, dans la Tétralogie) «emporta hors de la mêlée. Nul guerrier ne peut interrompre le sommeil de Sigurdrifa» (Brünnhilde) «avant que les Nornes y consentent.» (Fafnismal.)—«Il» (Odin) «ordonna que celui-là seul m'éveillerait de mon sommeil, qui jamais n'aurait connu la crainte.» (Helreidh Brynhildar ou Descente de Brynhild vers Hel, dans l'Edda de Sœmund.)
[482-1] Littéralement: «le sot» (ou «naïf», ou «niais») «garçon».—Cf. p. 438, note (1).
[483-1] «Eveille-toi, Groa! éveille-toi, femme bonne! Je viens t'éveiller devant les portes de la mort.» (Evocation de Groa.) Mais c'est surtout d'un autre chant de l'Edda de Sœmund, Wegtams-Kvidha, que Wagner s'est ici souvenu. Dans ce poème de Vegtam, Odin, inquiet, comme tous les Ases, sur le sort de Balder, «Odin, le dominateur des peuples, se lève, il pose la selle sur Sleipner, et chevauche ensuite vers Niflhem. ... Odin avança: le chemin qui descendait de la terre retentit, et le père des Ases arriva dans la demeure de Hel. Il se dirigea vers la porte de l'Orient où était le tombeau de Vala. Odin chanta devant cette tombe l'évocation des morts, regarda le nord et traça des runes; il demanda une réponse. Vala se leva enfin, et chanta ces paroles de la mort: «Quel est, parmi les hommes, cet homme qui m'est inconnu et qui répand la tristesse dans mon esprit? J'étais enveloppée de neige, battue par la pluie et mouchetée par la rosée; j'étais morte depuis longtemps.» (Wegtams-Kvidha, 6, et 8-11.)—C'est d'abord pour rappeler cette source scandinave que Wagner fait paraître, ici, Erda «recouverte de givre». Pourquoi donc ne s'en soucia-t-il pas dans L'Or-du-Rhin, lorsque spontanément surgit Erda plus jeune? C'est que lointaine encore était, à ce moment, l'éventualité du Crépuscule-des-Dieux. Mais voici qu'il est proche, et Wagner n'oublie point qu'entre autres phénomènes avant-coureurs du Ragnarœcker, il y aura, suivant les Eddas, «il y aura d'abord un hiver...: la neige tombera dans toutes les directions, une gelée très rigoureuse et des vents piquants feront disparaître la chaleur du soleil. Cet hiver se composera de trois hivers pareils, qui se succéderont sans été» etc, etc. Détails très peu dramaturgiques, non utilisés par Wagner, mais consciencieusement suggérés—d'un mot.
[484-1] C'est l'une des préoccupations d'Odin dans les Eddas; celle de Snorro (Bragarodur) raconte longuement, entre autres choses, comment, déguisé en faucheur (on songe à mainte fable hellénique) il conquit l'hydromel de Sattung, «si parfait, que quiconque en boit devient poète et fort savant».
[484-2] «On me nomme Vegtam, et je suis le fils de Valtam. Parle-moi de l'abîme, et je te parlerai de la terre.» (Wegtams-Kvidha, 11)
[485-1] «Quel est, parmi les hommes, cet homme qui m'est inconnu et qui répand la tristesse dans mon esprit?» (Wegtams-Kvidha, 10.)
[485-2] Dans la Grepisspà de l'Edda de Sœmund, Brynhild est désignée par ces mots: «la voyante».—Pour les Chants des Iles Féroë, c'est «la jeune fille pleine de savoir». Comparez p. 520, n. (1), le prologue du Crépuscule-des-Dieux (scène entre Brünnhilde et Siegfried) et la scène finale du même drame.
[486-1] Streitvater, «le Père-du-Combat».
[486-2] «Sigurdrifa tua Hialmgunnar dans le combat; mais, pour la punir, Odin la piqua de l'épine du sommeil et décida qu'à partir de ce moment elle ne remporterait plus de victoire dans les combats, et qu'elle se marierait.» (Sigrdrifumal.)
[486-3] «J'ai parlé contre mon gré, maintenant je dois me taire,» répète à Vegtam plusieurs fois Vala. (Wegtams-Kvidha, 12, 14, 16.) Et Vegtam (Odin) lui réplique chaque fois: «Parle-moi, Vala! Il est des choses que je veux savoir, et je t'interrogerai jusqu'à ce que tu les aies dites.» (Id., 13. 15, 17.) Ou encore (17): «Dis-moi cette seule chose, tu ne dormiras pas auparavant.»
[487-1] «Mais les fils des Ases n'ont pas d'intelligence.» (Wegtams-Kvidha, 12.)—«Tu n'es point Vegtam, comme je l'ai cru; tu es Odin le chef des peuples.—Tu n'es pas Vala, tu n'es pas une savante femme, mais trois fois la mère des Thursars.» (Id., 18, 19.)
[487-2] «Retourne chez toi, Odin, et sois généreux. Les hommes ne viendront plus me trouver avant le temps où Loke brisera ses liens, avant le moment de la mort des Dieux.» (Wegtams-Kvidha, 20.)
[488-1] «Il passe devant la cour du roi Juki.» (Gibich) «Dehors se tient Grimhild entourée de maints guerriers...—Sjurd, suspends ta course, écoute et réponds-moi. J'ai une fille qui est belle et qui veut t'accorder son amour» (Gudrun) «—Jamais je ne suspends ma course... Je continue à gravir la montagne où brûle la Waberlohe... Je continue à gravir la montagne pour contempler une belle femme.» (Chants des Iles Féroë.)
[489-1] «Ecoute, Sjurd, qui t'a montré le chemin, quand tu chevauchais à travers la fumée et les flammes de la Waberlohe?—Deux oiseaux me dirent dans le bois verdoyant: Elle est belle, Brinhild, la fille de Budli, et elle attend ta venue. Voilà ce que me dirent deux oiseaux sur mon chemin, et c'est pour cela que j'ai chevauché jusqu'ici.» (Chants des Iles Féroë.)
[490-1] «Wagner n'a pas le moindre besoin d'une aride forme sentencieuse pour émettre de ces vues profondes.» Combien de fois l'aurai-je répété? Mais il le faut.
[491-1] Pour comprendre cette phrase obscure (en apparence), il suffirait, à la rigueur, de se rappeler qu'Odin étant un dieu borgne, l'œil qui lui manque n'est autre chose que le soleil,—disent les mythographes. «C'est grâce à» cet «œil» de Wotan que Siegfried peut voir l'autre œil, celui qui reste au Dieu.—Wagner, notais-je dans l'Or-du-Rhin, s'est servi çà et là de cette interprétation; mais il l'a, suivant l'habitude de son génie, enrichie d'un nouvel et profond sens philosophique, dont s'éclaire son quadruple Drame: si l'on veut bien prendre la peine de se reporter à cette même note (p. 218), et se rappeler dans quel but Wotan a «mis en gage» l'œil qui lui manque (pour épouser Fricka, la Sagesse incarnée), sans doute comprendra-t-on pourquoi, tout en recommandant comme utile, en raison de sa simplicité, la glose mythographique ci-dessus, je me rallie sans hésitation à celle de M. Alfred Ernst. L'énigmatique passage signifie, d'après lui, que l'œil auquel a renoncé Wotan (pour acquérir la froide Sagesse, qu'il a crue nécessaire au gouvernement du Monde) est «l'une de ses deux clairvoyances»: clairvoyance de l'instinct, ou, si l'on veut, du cœur. Et l'éminent critique ajoute: «Issu de la tendresse que Wotan eut pour les hommes, loin des dieux, contre les dieux même et les lois édictées» (cf. dans La Walküre, le rôle entier de Siegmund: le récit de Wotan à Brünnhilde; l'émotion de Brünnhilde, Wotan-féminin, devant la douleur du Héros), «Siegfried est», comme le fut Siegmund, «le représentant de cette clairvoyance sacrifiée; il en procède, et il regarde Wotan précisément avec l'œil qui manque à celui-ci, c'est-à-dire avec la lumineuse sûreté d'une libre nature, d'un cœur libre.»
[492-1] «Ma haine».—Neid pourrait encore («doit» diront certains) se traduire ici par: mon «envie».—Cf. p. 494, note (1).
[492-2] «Deux corbeaux, perchés sur ses épaules, lui racontent à l'oreille ce qu'ils ont vu et entendu. On les nomme Hugen et Munen. Ils partent à la pointe du jour, parcourent la terre et sont de retour pour le déjeuner. Odin sait ainsi tout ce qui se passe; on l'appelle le Dieu aux Corbeaux.» (Edda de Snorro, Gylfaginning.)—Grimm interprète ainsi les noms des deux corbeaux, d'après leur étymologie: Huginn de Hugr (animus, cogitatio); Muninn de munr (mens).
[493-1] «L'homme du guet a de la peine à se faire entendre; il dit: «Celui qui chevauchera à travers la Waberlohe obtiendra la jeune fille.» (Chants des Iles Féroë.)
[493-2] «La flamme s'élançait, la terre tremblait et les langues de feu s'élançaient jusqu'au ciel. Nul parmi les plus braves n'osait s'avancer au milieu des flammes.» (Brot af Brynhildarkvidhu.)
[493-3] «Jamais je ne suspends ma course...» etc. (Voir plus haut p. 488, note, l'extrait des Chants des Iles Féroë.)—«L'illustre Sjurd s'écrie, qu'on le sache au loin: «J'en porte le présage sur mon bouclier; je veux chevaucher à travers le feu.» (Id.)
[494-1] Pourquoi Wotan s'oppose au passage de Siegfried?—Un commentateur de Wagner, auteur d'un livre qui, hélas! fait autorité pour beaucoup, répondrait (p. 228): «Wotan craint que le Héros qu'il a suscité pour le salut des dieux ne cause leur perte définitive...» Comme cela est bien compris, n'est-ce pas? Comme l'on s'est bien donné la peine, je ne dirai pas d'approfondir, mais de lire, seulement, la scène précédente et ces paroles du Voyageur: «La fin des Dieux ne m'épouvante guère, depuis que j'y aspire, depuis que je la—veux!» Et encore: «Au divin Wälsung je veux léguer mon héritage... A l'éternellement Jeune le Dieu cède, avec joie...» Vraiment, conçoit-on bien, maintenant, telles phrases indignées de mon Avant-Propos? Mais songeons à donner nous-même une autre glose.—Lorsque Le Voyageur a dit, au Deuxième Acte, qu'il venait «pour voir, et non pour agir», j'ai noté que ce dégoût de l'action datait, chez lui, de la perte de son Désir, de son vivant Désir, Brünnhilde. J'ajoutais qu'à mesure que se développe le Drame, Wotan y «agit» de moins en moins, quoiqu'il en reste, au fond, le personnage unique. Hé bien! son attitude, en présence de Siegfried, n'est pas contradictoire de ces affirmations. Lorsque, dans La Walküre, le Dieu a «renoncé» pour la première fois («Soit, je te bénis, fils du Nibelung!») ce «renoncement» a été suivi, on se le rappelle, d'un accès de fureur motivé par la résistance de Brünnhilde (Désir personnifié de Wotan). Or, il vient de «renoncer» encore; et son nouvel accès de fureur, consécutif, de même, à ce nouveau «renoncement» paraît symétrique du premier: chaque fois que son Désir se réveille, résiste (comme dans La Walküre), ou va se réveiller (comme ici), le conflit moral doit éclater. Wotan, dans une partie de son rôle, n'étant, en somme, qu'un symbole incarné de notre Ame, de nos désirs humains d'agir et de posséder, il serait du reste bien humain qu'à l'instant de perdre tout pouvoir, le Dieu, même résigné, ne l'en défendît pas moins. Mais il me semble plus logique d'admettre que c'est la rigueur, d'une part,—d'un inéluctable destin, qui provoque cette suprême révolte, tandis que d'autre part Wotan fait une épreuve, non seulement de sa propre puissance, mais surtout de celle du Héros cherché: tel est le sens de toutes les questions qui finissent par lasser Siegfried; le Dieu ne les pose que pour se prouver à soi-même qu'il a bien devant lui le Héros remplissant toutes les conditions (d'ignorance, et de liberté) spécifiées, soit dans La Walküre, au Deuxième Acte, en la scène que Wagner nommait avec raison «la plus importante du quadruple Drame» (en est-on convaincu, maintenant?), soit, ci-dessus même, devant Erda, dans la deuxième scène culminante de l'œuvre. Ajoutons qu'au point de vue de la construction du Drame, il y a, dans la défaite de Wotan par Siegfried, une façon naturelle et merveilleusement franche de montrer le Dieu sortant de l'«action» (de l'«action» visible, du moins—puisque Le Crépuscule-des-Dieux, bien que Wotan n'y paraisse même plus, continue d'être, jusqu'au bout, «la figuration de sa Pensée»).
[494-A] Le thème de la Fin des Dieux s'élève significativement à la fin de cette scène. (Partition, pages 279 et 280.—Pour ce thème, cf. partition de Rheingold, page 74; voy. note de la page 269; même partition, page 194; voyez note de la page 302.)
[495-A] Surgit ici l'aveuglante symphonie de la Traversée du Feu. (Cf. Walküre, partition, page 303 et seq.—Voy. note de la page 402.) (Partition de Siegfried, pages 281 à 285.) «Les rapides batteries du Feu courent aux instruments à cordes; on se croit revenu à l'Incantation finale de la Walkyrie. Nous sommes en pleine traversée du Feu: dans l'étincellement du glockenspiel et du triangle, au milieu de la vibration des cymbales, des frémissantes traînées des cordes, des clairs dessins des flûtes, les cuivres proclament le thème de Siegfried, auquel répond l'allègre sonnerie de son cor d'argent. De grands traits de harpe mettent leur triomphante ivresse dans la magie de ce pittoresque tableau...»
Cette page instrumentale est, en comptant la symphonie des Murmures de la Forêt, la deuxième dans la série des grands morceaux d'orchestre affectés à Siegfried.—Les deux autres principales sont la symphonie du Voyage sur le Rhin et la Marche funèbre du Crépuscule des Dieux. Je crois que ces grandes pages musicales, qui accompagnent, à travers le Drame, le personnage de Siegfried, et où, à mesure qu'elles se succèdent, se retrouvent, de plus en plus nombreux, des thèmes importants entendus déjà, je crois, dis-je, que ces grands passages symphoniques ont pour but, ainsi constitués, de ramener peu à peu, condenser, résumer sur le personnage du Héros les principales idées, les principaux thèmes de la Tétralogie entière.—C'est par ces symphonies, habilement ménagées, que Siegfried est mêlé à l'universel concept du Drame; elles sont comme des chœurs l'accompagnant et le prolongeant dans l'infini frisson des choses:—le chœur des Tragédies grecques.—A ce propos, on lira avec fruit, page 264, la note de mon collaborateur sur l'Unité dans le Drame de Wagner. Il ne serait pas impossible que Wagner, dans ces commentaires symphoniques, eût vu, en dehors de leur éblouissant effet orchestral, un procédé de plus pour obtenir cette unité.
La Traversée du Feu est un mythe que l'on retrouve dans plusieurs religions. Tout près de nous, ce n'est autre que le Purgatoire. Voyez dans la Divine Comédie (Purgatoire), le passage où Dante traverse la flamme pour arriver à Béatrix.—Les deux religions chrétienne et scandinave, n'ont pas que ce point de commun.
[496-1] «Sigurd dirige Grani (son cheval) avec son épée. Le feu s'éloigne du chef; les flammes s'abaissent devant le héros.» (Brot af Brynhildarkvidhu.)
[497-1] «Nul n'osait s'avancer assez près pour contempler la Waberlohe... Nul ne chevauche sur le sommet de Brinhild, sauf Sjurd le rapide. Lui et son cheval Grani traversent la fumée et les flammes. ... Il était ardent, le feu qui brûlait les flancs de Sjurd. Sjurd gravit le sommet de Brinhild, ce que nul n'osa avant lui. D'un coup de son épée, il fend la haute porte. Avec sa bonne épée, il abat le bois des fenêtres. Il contemple alors la belle jeune fille couchée et revêtue de son armure. L'illustre Sjurd entre dans la salle et regarde autour de lui.» (Chants des Iles Féroë.) «Sjurd chevaucha vers Hindarfiall; il s'avança dans la direction du sud, du côté du pays des Francs. Sur la montagne il vit une vive lumière comme celle d'un feu qui brûle, et ses lueurs illuminaient le ciel. Quand il approcha il vit un château fort et sur ce château une bannière.» (Sigurdrifumàl.) Détails analogues dans l'Edda de Snorro, la Völsunga, etc.
[497-A] De flottantes suavités succèdent, dans l'orchestre, aux flamboyantes harmonies de la Traversée du Feu. Le thème amoureux de Freya reparaît, modifié, et, combinaison significative, le motif de Brünnhilde endormie y vient ajouter sa douceur. Nous voici transportés dans d'immenses profondeurs de souvenir, au soir serein de l'ensommeillement de la Vierge. Voici l'émouvante phrase des Adieux de Wotan. Le souvenir s'approfondit encore: voici, par nostalgiques bouffées, des sérénités plus lointaines: la mélodie de l'Enchaînement d'Amour! (Pour tous les passages cités ici, voir la partition de Siegfried de la page 285 à la page 296.)
[498-1] «Sigurd entra dans ce Burg et y vit un guerrier qui dormait armé de pied en cap.» (Sigurdrifumàl.)
[499-1] «Il voit la jeune fille couchée sur son lit. Il contemple la belle jeune fille, endormie sous son armure.» (Chants des Iles Féroë.)—«Il lui enleva d'abord le heaume de dessus la tête et alors il vit que c'était une femme. La cotte de mailles tenait si fort qu'on aurait dit qu'elle était entrée dans la chair. Avec son épée Gram il coupa la cotte de mailles du haut en bas, et il la coupa aussi aux deux bras. Puis il l'en dépouilla.» (Sigurdrifumàl.) Détail commun à toutes les sources scandinaves (Snorro; Völsunga; Iles Féroë).
[500-1] Dans le Heldenbuch de Simrock, c'est aussi d'un baiser que Brünnhilde est réveillée par le Héros. Wagner, s'assimilant l'idée, l'a seul enrichie d'une valeur humaine.
[500-A] «Ici, dit M. Ernst[500-A-a], la musique de Wagner semble reculer les limites du Sublime: une solennelle harmonie,—des plus simples en elle-même,—inaugure l'incomparable Réveil. Assise sur le tertre de mousse, ses longs cheveux dénoués flottant sur ses épaules, tandis qu'à ses pieds brillent ses armes éparses, Brünnhilde contemple autour d'elle la radieuse nature. Les yeux grands ouverts, les bras levés vers le ciel où le soleil flamboie, toute à l'immense félicité de son extase, elle reprend peu à peu conscience du monde et de la vie. De nouveau, les accords du Réveil sonnent majestueusement à l'orchestre. Brünnhilde salue le Jour, tandis que de religieux arpèges vont s'épanouir, à l'extrême aigu, en un trille aérien d'une sérénité infinie.—Il n'y a ici nul conflit de sentiments, mais lorsque la poésie atteint ce degré de grandeur, elle agit sur l'âme humaine tout entière. Je sais plus d'un spectateur qui a pleuré au réveil de Brünnhilde.» (Partition, pages 296 et 297.) Le thème héroïque de Siegfried répond solennellement à l'hymne de Brünnhilde (page 298).
[500-A-a] Partition, page 235—note.
[501-1] «Mais» (lorsque fut coupée sa cotte de mailles) «elle se réveilla, se souleva, vit Sigurd et dit: «Qui coupe ma cotte de mailles? Qui interrompt mon sommeil? Qui me délivre de ses sombres liens?» Sigurd: «C'est le fils de Sigmund. L'épée de Sigurd a coupé la cotte de mailles.» Sigurdrifa: «J'ai dormi longtemps; longtemps le sommeil m'a tenue captive. Longtemps durent les souffrances des humains. Odin a ordonné que je ne puisse secouer les runes du sommeil.» Sigurd s'assit et demanda son nom. Elle prit une corne pleine d'hydromel et lui donna la boisson de la bienvenue: «Salut, ô jour! salut ô fils du jour! Salut, ô nuit, et toi, terre nourricière, salut. Jetez sur nous des regards bienveillants et accordez-nous la victoire.—Salut à vous, Ases! Salut à vous, Asinies! Salut à toi, campagne féconde. Accordez-nous à nous deux, qui avons un noble cœur, la parole et la sagesse et des mains toujours pleines de guérisons.» (Sigurdrifumàl.) L'Edda de Snorro dit sèchement: «Elle s'éveilla et dit qu'elle s'appelait Hilde. Son nom était Brunhilde et c'était une Walkyrie. Sigurd s'en alla chevauchant et arriva près d'un roi, etc.» Les chants des Iles Féroë gardent un pâle, très pâle reflet du splendide réveil de Sigurdrifa dans le poème de l'Edda de Sœmund, plus haut cité.
[501-2] «Eveilleur de la vie, toi, victorieuse Lumière!» et, plus loin: «Joie du Monde»—«Splendide!»—«Trésor du Monde»—«Vie de la Terre»—«lumineux rejeton,» etc.—Force m'est bien de rappeler que, suivant la «science» moderne, Sigurd (Siegfried) est un «héros solaire».—«Ainsi Wagner ne néglige rien; il se garde bien de ramener étroitement toutes ces figures mythologiques à la météorologie, comme certaines écoles qu'on sait trop; mais il fait leur part à ces hypothèses, dont le naturisme, dépouillé de ses exagérations grotesques,—recèle une vérité relative.» Cette Note de L'Or-du-Rhin (p. 308), que je me permets de répéter, indique assez que le rôle du Siegfried de Wagner ne doit avoir et n'a qu'un sens purement humain. Néanmoins, par acquit de conscience, et pour préparer certaines Notes futures, je copie, de M. Max Muller, les phrases qui suivent: «[La nature entière était divisée en deux royaumes: l'un noir, froid, semblable à l'hiver et à la mort; l'autre brillant, chaud, plein de vie, comme l'été.] Sigurd, le héros solaire de l'Edda, le descendant d'Odin, tue le serpent Fafnir, et conquiert le trésor sur lequel Andvari, le nain, avait prononcé sa malédiction. C'est le trésor des Niflung's ou des Nibelung's, le trésor de la terre, que les sombres pouvoirs de la nuit et de l'obscurité avaient emporté comme des voleurs. Sigurd, qui représente ici le soleil du printemps, reprend le trésor, et, comme Déméter ayant recouvré sa fille, la terre s'enrichit pour un moment de tous les trésors du printemps. Puis, selon l'Edda, Sigurd délivre Brunhild, qui avait été condamnée à un sommeil magique, après qu'Odin l'eut blessée avec une épine, mais qui maintenant, comme le printemps après le sommeil de l'hiver, renaît à une nouvelle vie par l'amour de Sigurd.» (Mythologie comparée, traduction française, p. 140.)—Entre cette conception de Brunhild (Brynhildr) et celle de la Brünnhilde du Drame de Wagner, la différence est donc sensible. Je ferai remarquer toutefois avec quel art Wagner, ne pouvant sacrifier tout élément mythique, et transposant de l'Edda les premiers mots de Brünnhilde («Salut à toi, soleil! salut à toi, lumière! salut à toi, splendeur du jour!»), les lui fait prononcer de manière qu'ils puissent paraître s'adresser, soit réellement au jour, réellement au soleil; soit, symboliquement, à Siegfried. La chose est d'autant plus frappante que si, d'après les hypothèses (d'après les hypothèses seulement), Brynhildr, aux Chants de l'Edda, personnifiait la Terre,—ici Brünnhilde est, en effet, fille de la Terre-personnifiée. Mais, encore une fois, tout cela est bien vain, et, tout en nous montrant Wagner soigneux des plus minimes détails, ne doit point nous faire oublier qu'ici,—le profond sens humain des personnages importe seul.—Cf. p.588, n. (4).
Ineffable, la phrase de sérénité, qui, dans l'orchestre, soupire, à ces paroles. (Partition, page 302.)
[503-1] Dans les chants des Iles Féroë, Brinhild est fille d'un roi Budli. «Et dans les chants héroïques on disait d'elle qu'elle faisait pâlir l'éclat du jour.» Elle rayonne du poudroiement d'or d'un mythe en ruines: «Une vive lueur jaillissait de ses épaules et c'était comme si l'on avait vu du feu.» En vain son père la presse, elle ne veut point se marier: «Il n'est pas encore venu le vaillant guerrier que je puis prendre pour époux...—Vers l'est, au-delà de la forêt, mon cœur s'élance vers lui. Et cet homme s'appelle Sjurd, fils de Sigmund, et c'est la jeune Riördis» (Sieglinde) «qui le mit au monde... Ce sont les Nornes qui l'ont voulu ainsi. Cet amour emplit mon cœur. Il y a neuf hivers que j'aime Sjurd, et mes yeux ne l'ont jamais vu... Tu me permettras de préparer une salle dans la marche solitaire... Une flamme, la Waberlohe, et de la fumée entoureront cette salle. Cette flamme, la Waberlohe, me protégera; seul l'illustre Sjurd osera s'y attaquer.» Budli exauce sa fille. «Et il fit brûler une si grande flamme, la Waberlohe, que les nains ne pouvaient s'en approcher par trahison.» Et, nouvelle trace du mythe perdu, «et c'était de bon matin; le soleil rougissait les montagnes.» Puis «Brinhild est assise dans sa chaise d'or, la belle jeune fille. Elle attire de loin Sjurd vers elle pour son malheur.»
[504-1] Dans toutes les sources scandinaves, Grani est le cheval de Sigurd avant même la mort de Fafnir, avant même que Regin lui ait forgé l'épée. «Va,» dit à Sigurd la veuve de Sigmund, «va vers la cascade et jette une pierre dans le fleuve et prends le cheval qui ne recule pas devant toi.» Il alla vers la cascade, jeta une pierre dans le fleuve et prit le cheval qui ne recula pas devant lui. Il était choisi parmi tous ceux du royaume, et c'était le meilleur, et il fut appelé Grani, le cheval de Sjurd.» (Chants des Iles Féroë.) Le cheval de Sigurdrifa, celui qui «l'avait emportée hors de la mêlée», s'appelait d'autre part Wingskornir, d'après le Fafnismal de l'ancienne Edda.
[505-1] «Brinhild est assise à Hildarfiall, elle est rebelle à l'amour.» (Chants des Iles Féroë.) «Ecoute-moi, Sjurd, fils de Sigmund, ne sois point si prompt.» (Id.)
[507-1] «L'inclination du héros se tourna vers celle qui prétendait l'avoir aimé de tout son cœur avant de l'avoir vu.» (Le Poème Antique sur les Vœls, 2.) Il s'agit là de Helge, autre fils de Sigmund; et de Sigrun, autre Walkyrie. Mais la légende de leurs amours est si voisine de celle de Sigurd et Brynhild, qu'on peut véritablement croire à quelque identification.
[508-1] «Elle s'appelait Sigurdrifa et elle était Walkyrie. Elle raconta comment deux rois se faisaient la guerre.» etc. (Sigurdrifumàl. Voir l'annotation de la Walküre.) «Sigurd dit: «... Je le jure, je veux que tu sois à moi, car tu es comme je le désire.» Elle répondit: «C'est toi que je préfère et nul autre, quand j'aurais à choisir parmi tous les hommes.» Et leurs serments confirmèrent ces paroles.» (Id.) «Va d'abord à la cour de mon père et demande-lui conseil.» Sjurd, fils de Sigmund, parla; il était à la fois sage et beau: «Tu as reçu peu de bons avis de ton père, car tu as attendu longtemps ma venue. Je ne vais point vers ton père, afin de lui demander son conseil.» Les liens de l'amour l'attachèrent à la jeune fille pleine de savoir. ... Il se coucha dans les bras de Brinhild.» (Chants des Iles Féroë.)
[510-1] Ne nous refusons pas le triste plaisir d'indigner le lecteur, encore tout ému par cette scène sublime (sublime au sens concret du Drame, sublime et redoutable au sens symbolique,—puisqu'il s'agit de la fin d'un Monde!), en mettant sous ses yeux l'étonnant résumé qu'en trouva naguère—car c'est une trouvaille!—l'un des commentateurs qui le plus contribuèrent (avec les meilleures intentions, je me hâte de le reconnaître) à répandre chez nous l'idée que Richard Wagner, cet incomparable Poète! ne fut que son propre librettiste: «Après les amours de frère à sœur, ceux de tante à neveu!» (p. 237). Oui, ces sublimes symboles, voilà ce que c'est, lecteurs: n'est-il pas vrai que c'est à pleurer? car on ne peut rire de cela—qu'aux larmes!—Je ne multiplierai point des exemples pareils. Que celui-ci suffise, et celui de la page 494! En les fournissant, j'accomplis un devoir, qui m'est fort cruel, je puis le dire, car j'aimerais beaucoup mieux qu'on eût compris Wagner. Mais il faut avant tout démontrer au lecteur avec quelle prudence il importe de consulter certains livres, riches d'ailleurs de détails biographiques précieux quoique présentés sous un faux jour.
[510-A] Le thème qui domine, parmi toute l'ampleur fervente de ces dernières harmonies, est le thème de l'Amour de Siegfried et de Brünnhilde. Il s'avoisine de plus en plus, vers l'extrême fin, ayant accéléré son dessin, aux motifs d'impétuosité entendus, au début de l'acte, dans le tableau de l'enfance de Siegfried. Ce que certains wagnéristes, et non des moindres, ont regretté.—Pourquoi? Peut-être, au strict point de vue de l'expression musicale, ont-ils raison. Mais qu'on laisse revenir en sa mémoire d'autres harmonies d'amour, les motifs de l'Amour de Siegmund et Sieglinde.—Comparaison mélancolique! Alors, les Dieux fleurissaient encore. Ils mettaient dans l'âme de leurs enfants cet infini bercement, qui s'exhalait en vagues cantilènes parmi la religieuse sérénité des nuits de printemps.—Mais ici l'Humanité se lève, prompte, ivre d'elle-même,—ne voyant qu'elle. On saisit la nuance. (Partition, de la page 297 à la fin.)
[513-A] Prélude.—Après les harmonies du Réveil de Brünnhilde, voici, plus majestueusement réapparu[513-A-a], plus profond, le Thème de la Nature Eternelle. Par deux fois le rythme se gonfle; il demeure suspendu. Puis au bout d'un long, d'un morne silence, lorsqu'a surgi la formidable apparition des Nornes, il revient, s'étale en sombres ampleurs; et, après un accord formé du motif mélodique de la Nature, la première Norne commence son grave chant.
(Partition du Crépuscule-des-Dieux, pages 1 et 2.)
[513-A-a] Il ne faudrait pas croire que ce thème réapparaît selon la même suite qu'au début de Rheingold. Les deux motifs constitutifs en sont, au contraire, intervertis ici. Le motif qui, dans Rheingold, apparaît le premier et se développe tout d'abord, figurant un fil méthodique, sur l'épanchement ininterrompu des accords, n'arrive ici que le second.
[514-1] «Il faisait nuit dans le château; les Nornes... arrivèrent... Elles filèrent avec force le fil du destin, et tout le château trembla dans Brölund. Elles déroulèrent la ganse d'or et la fixèrent en-dessous de la salle de la lune. Elles en attachèrent les bouts à l'Est et à l'Ouest. Alors la sœur de Nere lança un fil au Nord, en lui ordonnant de durer éternellement.» (Le Poème sur Helge, ou Helge-Kvidha, dans l'Edda de Sœmumd.)
[515-1] «Quelle est la première et la plus sainte place suivant les Dieux?... C'est auprès du frêne Yggdrasel; les Dieux s'y assemblent tous les jours... Yggdrasel est le plus grand et le plus beau de tous les arbres; ses rameaux s'étendent sur tout l'univers et s'élèvent au dessus du ciel. Il est soutenu par trois racines... En-dessous de la racine qui touche aux Hrimthursars, se trouve le puits de Mimer; la Raison et la Sagesse y sont cachées... Odin vint un jour en ce lieu et demanda une gorgée de cette eau; il ne put l'obtenir qu'après avoir mis son œil en gage... La troisième racine du frêne Yggdrasel atteint le ciel, elle abrite une fontaine d'une sainteté particulière; c'est la fontaine d'Urd» (la plus ancienne des Nornes); «les dieux se réunissent près d'elle... Il y a sous le frêne Yggdrasel, et près de la fontaine d'Urd, un très bel édifice d'où l'on voit sortir trois vierges nommées Urd, Verdandi et Skuld. Ces vierges disposent de la vie de tous les hommes; ce sont les Nornes.» (Edda de Snorro, Gylfaginning.) «L'une d'elles se nomme Urd, la seconde Verdandi; elles créèrent Skuld, la troisième, avec leur baguette, qu'elles sculptèrent. Elles font des lois, décident de la vie, et racontent au monde les arrêts du destin.» (Völuspa, 20, 21, dans l'Edda de Sœmund.) «J'aime cette représentation qu'ils» (les Scandinaves) «avaient de l'Arbre Igdrasil. Toute la vie est figurée par eux comme un Arbre. Igdrasil, le Frêne, arbre de l'Existence, a ses racines profondément enfoncées dans les royaumes de Héla ou Mort. A ses pieds, dans le Royaume de la Mort, se tiennent trois Nornes, Fatalités,—le Passé, le Présent, le Futur; arrosant les racines d'eau puisée à la Source Sacrée. Ses «rameaux», avec leur bourgeonnements et leurs effeuillements—événements, choses souffertes, choses faites, catastrophes,—s'étendent à travers toutes les terres et tous les temps. Chacune de ses feuilles n'est-elle pas une biographie, chaque fibre, là, un acte ou un mot? Ses rameaux sont les Histoires des Nations... C'est Igdrasil, l'Arbre de l'Existence. C'est le Passé, le Présent, et le Futur; ce qui a été fait, ce qui se fait, ce qui sera fait; l'infinie conjugaison du verbe Faire. Considérant comment les choses humaines circulent, chacune inextricablement en communion avec toutes, comment le mot avec lequel je vous parle aujourd'hui est emprunté... de tous les hommes depuis que le premier homme commença à parler, je ne trouve aucune assimilation si vraie que celle d'un Arbre. Belle: tout à fait belle et grande. La «Machine de l'Univers»—hélas! pensez seulement à cela comme contraste.» (Carlyle, les Héros, trad. citée, pp.33-34).
[516-1] «Cet arbre endure plus de souffrances que les hommes ne peuvent se l'imaginer: le cerf mord sa tête, son côté pourrit, et Nidhœgg ronge ses racines» (Poème de Grimner, dans l'Edda de Sœmund.)
[516-2] Relativement à l'usage fait (par le traducteur) des temps du verbe dans cette scène, Cf. ci-dessus, p. 302, mon Annotation de L'Or-du-Rhin.
[516-3] Au Ragnarœcker (Crépuscule-des-Dieux) «toutes les chaînes, tous les liens seront rompus.» (Edda de Snorro, Gylfaginning.)
[517-1] «C'est aussi une très frappante conception que celle du Ragnarök, Consommation ou Crépuscule des Dieux. Elle est dans le chant de Völuspa; à ce qu'il semble, une très vieille, prophétique idée. Les Dieux et les Jötans, les divines Puissances et les Puissances chaotiques et brutes, après une longue lutte et une victoire partielle des premières, se rencontrent à la fin dans un combat universel, dans un duel embrassant le monde.., et la ruine, «le crépuscule», s'abîmant dans les ténèbres, engloutit l'Univers créé.» (Carlyle, les Héros, trad. citée, pp. 62-63.)
[518-A] A ces paroles de la 3me Norne, la fanfare du cor de Siegfried passe rapide dans l'Orchestre (Partition, page 17, en bas), comme suscitée par le thème de l'Epée, qui vient de jaillir (Voy. même page, la ligne au-dessus, 3e mesure).
[518-B] A la rupture du câble, gronde le thème, deux fois répété, de la Malédiction d'Alberich! (Partition, page 18.)
[519-1] «Il demeura sept mois dans la résidence de la jeune fille.—«Brinhild, donne-moi ma selle et mon bouclier et ma cuirasse. D'autres devoirs m'appellent ailleurs» (Chants des Iles Féroë.)
[519-2] «SIGURD:... Que dira la voyante à Sigurd qui puisse être utile à ce héros?—GRIPIR: Elle t'enseignera les runes puissantes que tous les hommes voudraient connaître; elle t'apprendra à parler toutes les langues et à distinguer les baumes qui guérissent. Salut, ô roi!—SIGURD: Tout est bien; j'ai recueilli la science et je suis prêt à chevaucher plus loin...» (Grepinspà.)
[519-3] Voir la Walküre, note (1) de la p. 393.
[519-A] L'Orchestre développe ici magnifiquement le thème de Brünnhilde réveillée à l'Amour, devenue femme. (Partition, page 20 et seq.).
Plus loin, va surgir, sur d'héroïques accords, la fanfare agrandie du cor de Siegfried (partition, pages 1, puis 25). Ce développement solennel de la Fanfare de Siegfried est très important. Il exprime comme une vaillance plus virile. Le Héros est devenu homme. Nous le retrouverons notamment dans la marche funèbre du Crépuscule-des-Dieux.
[520-1] «Sigurd lui répondit et la pria de lui communiquer la sagesse, elle qui connaissait tous les mystères de l'univers. Sigurdrifa parla: «Je t'apporte, ô chêne des combats, de la bière mêlée de force et de gloire, pleine de chants et de paroles bienfaisantes, pleine des charmes qui donnent le bonheur et des runes qui procurent la joie.» (Suit l'énumération des runes) «Apprends à les connaître et laisse-les agir jusqu'à ce que les dieux meurent. Maintenant, c'est à toi de choisir, car tu dois faire un choix, vaillant héros, semblable au chêne des forêts. Songes-y bien, il faut parler ou te taire. Tous les actes ont leurs suites nécessaires.»—«... Sigurd dit: «Il n'y a point de femme qui en sache autant que toi, et, je le jure, je veux que tu sois à moi, car tu es comme je le désire.» (Sigurdrifumàl.) Dans la Völsunga, Brynhild, pareillement, communique à Sigurd les Runes.
[520-A] Voy. la note précédente, 2e alinéa.
[521-1] «Et leurs serments confirmèrent ces paroles.» (Sigurdrifumàl.) «Appuyé sur sa poitrine, il dit: «Je te fais le serment de fidélité, jamais je ne te trahirai.» (Chants des Iles Féroë.) «SIGURDRIFA: «Je te conseille ensuite de ne jamais prêter un serment sans y être fidèle...» (Sigurdrifumàl.)
[521-2] «Il déposa douze anneaux d'or sur ses genoux: «Voilà le premier lien de nos fiançailles.» Il déposa les douze anneaux d'or sur les genoux de la jeune femme, et tout au-dessus il plaça son anneau royal auquel il tenait tant. Les douze anneaux d'or, il les mit dans ses bras: «Ce sera là le second lien de nos fiançailles.» (Chants des Iles Féroë.)
[522-1] Ce don de Grane par Brünnhilde est une idée de Wagner.—Dans l'Edda, il est dit que «Sigurd se rendit là où Hialprek élevait ses chevaux, et parmi ceux-ci il se choisit un étalon qui depuis lors fut appelé Grani.» (Sigurdakvidha Fáfnisbana önnur.)—Voir aussi la note (1) de la p. 504.
[522-2] «Grani... était doué d'une intelligence humaine.» (Chants des Iles Féroë.)
[522-3] «SIGURD: Quand je verrais la mort devant moi, je ne reculerais pas. Je ne suis point né lâche. Je suivrai tes bons conseils tant que je vivrai.» (Sigurdrifumàl.)
[523-1] «Puisses-tu avoir longue vie, bonheur et succès en tout! Nous nous quittons cette fois au milieu de la félicité et la joie.» Sjurd, le noble héros, lui donna cette réponse: «Jamais, ma vaillante bien-aimée, jamais tu ne sortiras de mon cœur.» Et c'était Sjurd, fils de Sigmund, qui se tenait sur la selle et il embrassa Brinhild, la jeune femme, de tout son cœur.» (Chants des Iles Féroë).
[523-2] Pour une fois, à la traduction quelque peu gauche de ce passage (sept ou huit autres motiveraient des réflexions tout analogues), je n'essaierai point de substituer une adaptation dramatique. Il est en effet capital: si le texte n'était si précis, je développerais volontiers pourquoi. Sommairement, j'aime mieux être «gauche» que de dénaturer l'idée, beaucoup «plus humaine qu'historique, et nullement limitée à l'accomplissement d'exploits matériels» (cf. Carlyle), que se faisait Wagner du Héros complet. Je conseille au lecteur d'en chercher le commentaire dans le livre de M. Ernst (L'Art de Richard Wagner: l'Œuvre poétique, pp. 478-482), qui lui démontrera que Siegfried, à ce point de vue, s'achève par Brünnhilde, et que «le Héros complet, l'Homme intégral, c'est le couple héroïque», Siegfried et Brünnhilde, «l'Humanité neuve qui rayonne, souverainement belle et forte, sous une double figure, une et pourtant totale.»
[524-1] «Elle le suivit longtemps sur le chemin et lui souhaita un bon voyage.» (Chants des Iles Féroë.)
[524-A] Voy. Partition, page 39.
[524-B] Ici commence la symphonie du Voyage sur le Rhin.
Elle débute par un développement de la fanfare du cor de Siegfried (page 40, en bas, et 41). Le Héros descend les eaux du fleuve, et la Urmelodie épanche de nouveau ses rythmes puissants (page 42). Mais voici le thème de la Fin-des-Dieux (ibid.), et il semble roulé aux ondes de la Mélodie primitive, qui continue par dessus (page 42 en bas, et 40, en haut). La fanfare du cor de Siegfried sonne, puissante, par l'ampleur du fleuve (page 43); et, comme naissant à cet appel, un rythme lent s'élève, s'élargit en plainte mélancolique, la plainte des filles du Rhin (Cf. partition de Rheingold, page 215), qui semblent implorer du Héros Rédempteur la restitution de l'Or perdu (page 43). Très important est le sens dramatique de cette page symphonique qui exprime la venue du Héros dans le Monde, dans ce Monde en proie au mal. Il arrive pur sur une route de pureté (le Rhin).—C'est ici, en quelque sorte, la première grande confrontation du Drame avec le Héros; une prise de connaissance des choses.
Pour l'ensemble de la symphonie, voy. la partition de la page 39 à la page 45. (Voy. aussi la note de la page 428.)
[525-1] On verra, dans l'Étude d'Edmond Barthélemy, p. 143, qu'un Gibico burgunde (Gibich, le Giuki des sources scandinaves) figure, en la Loi dite Gombette, comme père de Gundahar (Gunther ou Gunnar).—Le même Gibico devient Ghibic et frank, siégeant à Worms, avec Gunther pour fils et Hagan (cf. ci-dessous, p. 569, note (2) pour vassal, dans le Waltharius manu fortis (poème en vers latins, du Xe siècle).—Enfin, le Nibelunge-nôt a recueilli (sans savoir pourquoi,—comme si souvent) le nom de Gibeke, dont il fait (XXIIe aventure, 8e strophe) un vassal d'Etzel (Attila), mais sans le moindre lien de parenté soit avec Gunther, soit avec Hagen.—Cf. encore la note suivante.
[525-A] Deux thèmes principaux paraissent au début de ce 1er acte: La fanfare des Gibichungen et le motif de Hagen (partition, page 45).
[526-1] «Gunnar et Högni étaient héritiers de Gjuki, ainsi que leur sœur Gudrun. Gutthorm n'était pas de la famille de Gjuki, cependant il était leur frère.» (Poème de Hyndla, dans l'Edda de Sœmund.) «...Un roi qui s'appelait Giuki. Sa femme avait nom Grimhild. Ses enfants étaient Gunnar, Högni, Gudrun et Gudny. Gutthorm était le beau-fils de Giuki.» (Edda de Snorro.) «Sigurd chevaucha avec les Giukungen...» (Id.) «Et voici Grimhild, l'épouse de Juki, qui parle à sa fille... Alors la fille de Giuki, Gudrun, parla...—Gudrun parla... «Pourquoi mon frère, le roi Gunnar...?—Alors Högni, fils de Juki, parla...:—Les Jukungen veulent chevaucher dans la forêt.» (Chants des Iles Féroë.) Dans toutes les sources scandinaves, y compris la Völsunga Saga et la Thidreks ou Wilkina Saga, Grimhild est ainsi mère de Gunnar (ou Gunther), de Högni (ou Hagen), et de Gudrun (ou Gutrune), c'est-à-dire des Gjukungen (Gibichungen) ou enfants de Gjuki (Gibich). S'il était dit expressément que Grimhild est aussi la mère de Gutthorm («beau-fils de Gjuki» mais «non de la famille de Gjuki»), Wagner se serait donc contenté, par une de ces simplifications qui lui sont habituelles, de transférer sur son Hagen ce que les sources disent de Gutthorm. Mais nous n'avons même pas à discuter ici l'hypothèse d'une transposition: nous verrons en effet plus loin que des raisons plus «tétralogiques», si l'on peut dire, plus directement dramatiques, ont fait à Wagner une nécessité de concevoir Hagen comme fils de Grimhilde, mais non pas comme fils de Gibich.—D'autre part on sait que, dans le Nibelunge-nôt ou Nibelungen-lied, Giuki est devenu Dankràt; Grimhild est devenue dame Uote, mère de Gunther (Gunnar), de Gernôt, de Giselher et de Kriemhilt (Gudrun): «la vierge était leur sœur, et ces chefs avaient à veiller sur elle.»—«Ils habitaient en leur puissance à Worms sur le Rhin. Beaucoup de fiers chevaliers de leurs terres les servirent» et notamment «Hagene de Troueje, von Tronje Hagen», le «féroce Hagene» figure terrible, mais d'un vassal, et non d'un frère ou d'un demi-frère.
[527-1] «Derechef des récits se répandirent sur le Rhin. On disait que là-bas, bien loin, il y avaient maintes vierges et le courageux Gunther songeait à en conquérir une. Cela parut bon à ses guerriers et aux chefs.» (Nibelunge-nôt, VI, p. 53 trad. Laveleye). «Un jour Gunther et ses hommes étaient assis, réfléchissant et cherchant de toute façon quelle femme leur seigneur pourrait prendre qui lui convînt pour épouse et qui convînt au pays» (Id., ibid.)
[527-2] «Au-delà de la mer siégeait une reine, nulle part on ne vit plus la pareille. Elle démesurément belle et sa force était très grande. (Nibelunge-nôt.)
[528-1] «Nul ne chevauche sur le sommet de Brinhild, sauf Sjurd le rapide. Lui et son cheval Grani traversent la fumée et les flammes.» (Chants des Iles Féroë.)
[528-2] «Ainsi parla Hagene de Troneje: «Voilà ce que fit Siegfrid; jamais aucun guerrier ne conquit plus grande puissance.» (Nibelunge-nôt, III, 24.)
[528-3] «Le roi» (Budli) «répondit en buvant le clair hydromel: «Pourquoi Sjurd est-il plus illustre que les autres fils de roi? Écoute, ma fille chérie, pourquoi est-il plus renommé, ce Sjurd, que les autres fils de roi?»—«Voici pourquoi Sjurd est plus renommé que les autres fils de roi... Avec sa bonne épée, il tua le dragon aux écailles chatoyantes... qui était couché sur la Glitraheide. Après qu'il eut tué le dragon... Sjurd pensa à s'emparer du grand trésor.» (Chants des Iles Féroë.)
[529-1] «Et je sais encore de lui des choses plus extraordinaires. La main du héros a tué le dragon...» (Nibelunge-nôt, III, 24.)
[529-2] «Il a par sa force accompli tant de merveilles!» (Nibelunge-nôt, III, 24.)
[529-3] «L'homme hardi possédait un Trésor, le plus grand que jamais homme posséda, excepté ceux qui l'avaient eu avant lui. Il l'avait gagné par la force de son bras, au pied d'une montagne, et en cette occasion il donna la mort à plus d'un vaillant guerrier.» (Nibelunge-nôt, XI, 111.)
[529-4] «Le pays des Nibelungen était soumis à Siegfrid... ainsi que les deux héros de Schilbung et tout leur bien. Siegfrid en portait le cœur plus haut.» (Nibelunge-nôt, XI, 111.)
[530-1] «Cette flamme, la Waberlohe, me protégera. Seul, l'illustre Sjurd osera s'y attaquer.» (Chants des Iles Féroë.)
[530-2] «Voici mon conseil, dit Hagene: Priez Siegfrid, qu'il supporte avec vous les dangers de l'expédition. Tel est mon avis.» (Nibelunge-nôt, VI, 56.) «Car,» ajoute-t-il, «il sait ce qui en est de cette femme.»
[530-3] «Priez Siegfrid de se charger de ce message» (dit Hagene à Gunther dans le Nibelunge-nôt, en des circonstances d'ailleurs différentes): «grâce à sa force prodigieuse, il saura bien l'accomplir. S'il refuse de faire ce voyage, vous le prierez gracieusement, par l'amour de votre sœur» (Kriemhilt-Gutrune), «de s'acquitter de cette mission.» (IX, 81.)
[531-1] «Du bon temps de Siegfrid et des jours de sa jeunesse, on peut raconter bien des merveilles: quelle gloire s'attachait à son nom, et combien son corps était beau! Aussi beaucoup de femmes charmantes l'avaient aimé.» (Nibelunge-nôt, II, 13.) «Maintes femmes et maintes vierges souhaitaient que sa volonté le portât toujours près d'elles; beaucoup lui voulaient du bien, et le jeune chef s'en apercevait.» (Id., ibid.)
[531-2] «A Sigurd, prophétie de Gripir: «Que pour une nuit seulement tu deviennes l'hôte de Giuki, et ton cœur aura oublié la vierge.» (Grepisspà. Il s'agit de Brynhild.) Dans cette source, comme dans toutes les sources scandinaves, le philtre est de Grimhild, la mère de Gudrun. Dans les Chants des Iles Féroë, Brinhild, elle-même, prophétiquement, s'adresse à Sjurd: «Le roi Juki a une fille puissante dans les arts magiques... elle te charmera par son amour... Tu épouseras Gudrun... Ne chevauche pas vers Grimhild, elle est pleine de trahisons.» Dans les mêmes chants, Budli, père de Brinhild, prédit à Sjurd le même malheur: «Tu as juré fidélité à Brinhild et tu voudras tenir ton serment. Gudrun te donnera un breuvage enchanté...», etc.
[531-A] Le motif du Philtre qui paraît pendant ce passage a une analogie très naturelle, et tout à fait nécessitée par la logique du drame, avec le motif du Tarnhelm.
Ce philtre a soulevé de nombreuses objections; à ce sujet, on lira avec intérêt les lignes suivantes, de M. Ernst[531-A-a], qui me paraissent exprimer parfaitement ce que l'on doit penser du procédé employé par Richard Wagner:
—«Ici se place une grosse objection: le philtre de Tristan n'a jamais choqué personne—sauf peut-être M. Comettant—car tout le monde y voit le poétique et naturel symbole d'un amour irrésistible. Dans la Götterdammerung, il est inexplicable, au point de vue humain, que Siegfried oublie tout à coup Brünnhilde, qu'il a réveillée après la traversée du Feu[531-A-b], et avec qui il a vécu un temps considérable. Sans doute, le philtre est un symbole, l'image d'une passion soudaine, d'un violent amour, supprimant, pour ainsi dire, les passions précédentes, surtout chez un homme aussi impétueux, aussi primesautier que Siegfried. Mais comment admettre que l'abolition du souvenir soit absolue à ce point, quoique limitée au seul amour de Brünnhilde? Comment admettre, dans l'hypothèse du symbole, que Siegfried s'offre à livrer la Walkyrie à Gunther, et, surtout, qu'à la vue de la femme qu'il a aimée, rien ne se réveille en lui? Bien plus, confronté avec elle (au deuxième acte), accablé par elle de reproches, convaincu de la vérité par des preuves évidentes, il ne se rappelle rien, absolument rien!—Comment donc expliquer la scène du philtre? Il n'est pour cela qu'un moyen, c'est d'écouter avec soin l'arrivée de Siegfried chez Gunther, d'entendre éclater la malédiction d'Alberich aux trombones, et de voir, dans l'aveuglement de Siegfried, le résultat fatal de cette malédiction. Siegfried, possesseur de l'Anneau, devait tomber dans le piège. L'incompréhensible mystère de haine s'étendait à lui comme aux autres. La puissance des ténèbres agit, la malédiction d'Alberich a son effet; effet hardiment miraculeux, mais prévu, nécessaire à ce point d'en devenir presque naturel. Siegfried est changé, dans sa mémoire, par le philtre que Hagen a conseillé, comme il le sera bientôt, dans son aspect extérieur, par le Tarnhelm forgé aux antres de Nibelheim.» Voy., d'autre part, p. 542, la note de mon collaborateur.
[531-A-a] L'Art de Richard Wagner, pages 208, 260 et seq.