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La Tétralogie de l'Anneau du Nibelung

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[131-1] Cf. la note (1) de la p. 31 et, passim, toute l'Annotation de l'Avant-Propos du Traducteur.

[132-1] Wagner lui-même disait que sa musique dramatique n'aurait, sur l'Art français, d'influence salutaire qu'à la condition péremptoire qu'on ne tenterait point de la franciser.

[132-2] Cette imagination du lecteur, aidons-la.—Cf. d'abord les notes (1) de la p. 97 et surtout (1) de la p. 110.—Voici maintenant comment un témoin peu suspect, M. Octave Fouque, a décrit dans l'Art (7e année, t. IV, pp. 68-70, 138-140, 199-200) l'impression produite à Bayreuth, par les Drames de Richard Wagner, sur un Public plutôt mêlé: «Au moment où la toile se lève, les lumières s'éteignent dans la salle, et le spectateur reste plongé dans une nuit profonde. Au milieu de ces ténèbres remplies des mille sonorités de l'orchestre invisible, le cadre scénique s'illumine. Forcément l'œil est attiré, peu à peu fasciné par ce point brillant. Les chanteurs sont les premiers de l'Allemagne. Disciplinés par une volonté despotique, ils ne songent nullement à leur métier de chanteurs. Toute idée de virtuosité est éteinte dans leur âme; pour rien au monde, ils ne voudraient faire valoir les artifices de leurs gosiers, ou gagner par des tours de force vocaux les bravos des dilettanti. Leur unique et constante préoccupation est d'entrer dans l'idée du poème et de représenter dignement le personnage dont ils portent le costume. Les hommes ont la taille des héros, les femmes sont belles; gestes, attitudes, silences, ils ont tous appris du maître, et traduisent fidèlement, consciencieusement la physionomie qui, pour une soirée, devient leur être véritable. Ce n'est pas herr Niemann ou herr Schlesser, ce n'est pas frau Materna ou frau Wekerlin: c'est Siegfried, Hagen et les Walküres. La scène est machinée avec art; elle a su utiliser toutes les inventions de la science moderne; les prodiges s'y succèdent, toujours commentés par cet orchestre qui enveloppe la représentation d'une sonorité magique. Le Phénomène s'accomplit, et, dans ce demi-rêve où tout ce magnétisme l'a jeté, l'esprit du spectateur, ACCEPTANT, SANS LA MOINDRE RÉSISTANCE, LES OBSCURITÉS, LES NAÏVETÉS, PARFOIS LES MONSTRUOSITÉS DE LA LEGENDE, est violemment tiré hors de lui-même; songeur, inconscient, halluciné, il chevauche, à la suite du poète, emporté par une imagination sans frein à travers le pays fantastique que peuplent les dieux, les héros, les chimères et les fées.»—Ces deux termes: «chimères» et «fées», sont malheureux et me gâtent le reste. Des «fées»? sont-ce des Walküres que M. Fouque veut dire? Des «chimères»? seraient-ce le Dragon du Rheingold, et celui du Drame de Siegfried? N'importe! L'essentiel est que sur le fond de la chose, l'auteur de l'article ait dit juste. Oui, placé dans les conditions pour lesquelles seules le Drame est fait, le spectateur français lui-même accepterait, j'en suis certain, tout ce que, dans L'Anneau du Nibelung, plusieurs dénomment: la «ménagerie».—Une partie du but de Wagner ne fut-elle pas de nous arracher au souvenir de la vie réelle? (Cf. Gesammelte Schriften, t. VIII, p. 37, et ci-dessus, pp. 15-17; 19; et 63. n. (1) de provoquer un état d'âme plus favorable à la vision, à la conception des choses idéales? de faire parvenir notre esprit, jeté dans une sorte de rêve, jusqu'à cette entière clairvoyance où il découvre un enchaînement, «un nouvel enchaînement des phénomènes du monde, que, dans l'état de veille ordinaire, nos yeux ne pouvaient apercevoir»? Cf. Lettre sur la Musique, p. LVIII.) Or, si le but est rempli, qu'importent les moyens? «Le Merveilleux dans l'Art, disait Richard Wagner, EST le moyen de rendre claire à tous la Vérité de la Nature.» (Entwürfe, Gedanken, Fragmente, loc. cit., p. 66). Voyez comme simplement, dès ouvert le rideau, le Rheingold nous plonge en plein surnaturel, ainsi qu'au milieu de choses palpables! et comme si notre monde réel n'était que le seuil d'un autre monde—plus réel, en un certain sens. Dante seul eut cette audace tranquille, que note Carlyle... mais Dante (hélas!) était d'un Age de Foi...

[134-1] Cf. L'Œuvre et la Mission de ma Vie: «C'est seulement par la scène que l'art national peut devenir vraiment la propriété du peuple, et seulement quand la grande partie de l'art qui touche à la scène, en popularisant et en personnifiant l'art, lui est assurée en propriété, que cet art peut atteindre une pleine et libre vie nationale dans d'autres branches. Un drame national vrai, vivant, élevé à la hauteur d'un idéal artistique, est la source réelle, pure, vivifiante, de toute autre vie artistique nationale. Aussi la condition misérable de la scène de l'Europe moderne, étant entièrement non nationale et non artistique......, est-elle l'une des plus sûres mesures de l'esprit de la civilisation européenne en général.» (Pp. 19-20.)

[135-1] L'Œuvre et la Mission de ma Vie, p. 79.—«Rien de pareil à ce que j'avais projeté, et, en dernier lieu, commencé avec confiance, grâce au concours d'amis enthousiastes, n'avait jamais encore été entrepris: c'eût été essentiellement digne de notre jeune gouvernement impérial, qui ne pouvait inaugurer son brillant règne plus glorieusement qu'en donnant l'aide la plus franche à un objet purement idéal et pour un motif purement idéal... Mais les pouvoirs qui régnaient en Allemagne, négligents comme jamais des intérêts de l'art véritable, ne virent alors dans mes efforts, comme ils n'y avaient toujours vu auparavant, que l'expression de la plus extrême ambition personnelle, et, dans l'institution que je projetais, rien que les demandes extravagantes d'une représentation extraordinaire et inusitée de mes propres ouvrages, pour ma seule satisfaction d'amour-propre personnel. L'achèvement de mon entreprise fut dès lors laissé entièrement à moi et à mes amis.» (Id., p. 78).

[136-1] L'Œuvre et la Mission de ma Vie, p. 77.

[136-2] Traité de l'Education des Filles.

[136-3] L'Œuvre et la Mission de ma Vie, p. 91.

[137-1] Michelet, Introduction à l'Histoire universelle.

[140-1] Vers 1210, selon Lachmann.

Chants, Lieder:—Nibelungen lied oder Nibelungen lieder? s'est demandé un érudit allemand, H. Fischer. Lachmann, avant lui, s'était posé la même question et avait dit: Lieder—Chants détachés, rhapsodies. Il faut adopter l'opinion de Lachmann.

[141-1] Nous verrons bientôt que le poème des Nibelungen constitue la première forme de cette tradition,—la première en date. Les Chants héroïques de l'Edda jailliront, plus tard, sous l'action d'un événement parallèle à celui de la chute de l'empire romain, et qu'ils exprimeront avec les mêmes symboles. Nous voulons parler des invasions danoises, du démembrement de l'empire carlovingien.

[143-1] Gibich, père des Gibichungen, dans le Crépuscule-des-Dieux.

[143-2] Hagene?

[144-1] Waldo, prince-abbé de Reichenau, fit copier douze chants en langue germanique, Duodecim Carmina Theodiscæ linguæ formata. Des recensions latines furent faites, toujours dans les couvents (surtout en Saxe, semble-t-il), d'autres chants teutoniques, de celui, par exemple, dont un poète se servit pour composer la Klage, qui est un résumé de la légende des Nibelungen: sans doute aussi du chant qui a fourni à l'Edda le Gubdrunarkant, Gudrune sauvée des eaux, et qui raconte la mort de Swanhilde, fille de Sigurd et des Gudrune, écartelée sur l'ordre de son époux, le roi goth Airmanarecks (Hermanaric). Fulco, archevêque de Reims, édifia de cette légende Charles le Simple, à propos de telle circonstance de la vie de ce roi, qui aurait présenté des analogies avec les traditions relatives au roi goth. Ce clergé mi-barbare prenait ses textes de sermons aussi bien dans les vieilles légendes abruptes, dont son sang roulait le souvenir, que dans les Ecritures mêmes. N'étaient-elles pas un peu pour eux, ces légendes, aussi les Ecritures?

[147-1] Cf. Guillaume de Jumièges, Historia Northmannorum, I. C. 5.—Saxe Grammaticus, Historia Danica, L. IX—Sagan af Ragnari Lopbrock, C. I. Stockholm, 1737.

[147-2] Sigurd Ier (1103-1130), Sigurd II (1136-1155), Sigurd III (1162-1163).

[148-1] Dans l'imagination du temps, ces deux noms: Hermanaric et Théodoric, semblaient s'appeler l'un l'autre; ils se trouvent réunis (malgré l'énorme écart chronologique: Hermanaric, an 336; Théodoric an 455), dans divers chants barbares, dans le Chant d'Hildebrand et d'Hadubradt, entre autres, mentionné, je crois, pour la première fois, en France, par J.-J. Ampère. «Dans ce chant, dit Ampère, Théodoric, selon la légende et non pas selon l'histoire, avait été forcé de laisser son royaume aux mains d'Hermanaric, qui, à l'instigation d'Odoacre, s'en était emparé. Le héros fugitif avait trouvé un asile chez le roi des Huns, Attila.»

[148-2] Cf. Gudrune sauvée des Eaux et le Chant de Hamdir.

[149-1] C'est, très probablement, après Charlemagne, et à son exemple, que les Moines recueillirent les poésies barbares, en même temps que ce groupe de récits qui contiennent tout le légendaire carlovingien: la Chronique de Turpin (Roland à Roncevaux); les Cantilènes héroïques; le Chant de Fontenay; la Captivité de Louis II à Bénévent (Dissolution de l'empire carlovingien); la Chronique du Moine de Saint-Gall (Cycle de Charlemagne); la Chronique de l'Abbaye de Saint-Amand (Invasions northmannes).

[150-1] Deux travaux allemands sur Hincmar. (Revue des Questions historiques.)

[150-2] Partout où l'Eglise eut des biens: propriétés épiscopales, abbayes, prieurés, menses innombrables,—l'administration romaine, tout lointainement transposée qu'elle fût,—après le Sénat, le Chapitre, après la toge du Consul, la chape de l'Abbé,—régit de nouveau les hommes.—«Une abbaye, dit Châteaubriand, n'était autre chose que la demeure d'un riche patricien romain, avec les diverses classes d'esclaves et d'ouvriers attachés au service de la propriété et du propriétaire, avec les villes et les villages de leur dépendance. Le Père-Abbé était le Maître; les Moines, comme les affranchis de ce Maître, cultivaient les sciences, les lettres et les arts.—L'Abbaye de Saint-Riquier possédait la ville de ce nom, treize autres villes, trente villages, un nombre infini de métairies, etc.»

[150-3] Voici de bien caractéristiques effets de cette latinisation qui gagne, dès lors, tout. Lorsque Lothaire, ligué avec Pépin, lutte contre Charles le Chauve pour reconstituer, à son profit, l'héritage de Charlemagne, la tradition romaine, ce sont les hommes de langue latine, les Aquitains, qui l'aident le mieux. Mais ensuite les deux rois s'appuient au contraire sur les Saxons, sur les Northmanns, sur les Esclavons, sur le Nord païen. Alors l'Eglise, brusquement, se déclare pour Charles le Chauve, les Aquitains aussi. Et le fils puîné de Louis le Débonnaire sera le défenseur du culte, de l'unité romaine, canonique, contre l'anarchie du Nord, et c'est alors que Hincmar rêve du plan de Charlemagne réalisé par le Clergé, par le Midi, par l'Orient. Charles le Chauve étant l'épée de ce Clergé, comme, autrefois, Pépin le Bref et Charlemagne furent l'épée du Saint-Siège.

[152-1] Je n'emploie pas ce mot au sens monacal: legenda (legendum est), mais dans l'acception générale.

[155-1] Très probablement, les populations primitives de la Gaule connurent une manière de mythe de l'Or.—Le monde gaélique eut sa légende de l'Or de Toulouse, comme le monde germanique celle du Rheingold; l'une et l'autre issues, sans doute, d'un mythe commun, apporté, en Gaule, par la branche celtique des invasions indo-germaniques, et, dans le nord de l'Europe, par la branche scandinave. Seulement, la légende de l'Or de Toulouse a tout un côté historique, fertile en détails précis, lesquels, par l'effet d'un rapprochement assez permis, peuvent jeter une lumière curieuse sur la légende du Rheingold, restée, elle, exclusivement mythique. Voici ce que dit Strabon: «Comme la contrée (la contrée des Tectosages, autour de Toulouse) abondait en mines d'or et que les habitants étaient à la fois, très superstitieux et très frugaux, il s'y était formé des trésors sur différents points. Les lacs et étangs sacrés surtout offraient des asiles sûrs où l'on jetait l'or et l'argent en lingots. Lors de la prise de Toulouse par le consul Cœpio (106 av. J. C.), les trésors jetés dans les étangs sacrés furent pillés.» Ainsi que dans les fables scandinaves, ce rapt ne porta pas bonheur à son auteur, qui mourut misérablement. La somme des richesses qui furent trouvées dans les lacs sacrés, en lingots d'or et d'argent, représentait, au dire de Posidonius, une valeur de 15,000 talents (environ 83 millions de francs).—Plus tard, devenus possesseurs tranquilles du pays, les Romains vendirent les étangs sacrés, «et aujourd'hui encore, ajoute Strabon, les acquéreurs y trouvent des lingots d'argent battu, ayant la forme de pierres meulières.» Supposez ces détails reportés sur le Rheingold: curieux!—Je trouve, d'ailleurs, dans une coutume des anciens Germains, comme les rites destinés à symboliser un trésor caché dans des lacs ou fleuves sacrés, dans un sanctuaire: Lorsque sont finies les fêtes durant lesquelles la déesse Erda, la Terre-Mère, parcourt l'univers, «le char (qui la porta), les voiles qui la couvrirent sont jetés dans un lac solitaire. Des esclaves s'acquittent de cet office, et, aussitôt après, le lac les engloutit. De là une religieuse terreur et une sainte ignorance sur cet objet mystérieux qu'on ne peut voir sans périr.»—Tacite, Germanie.—Et en effet, tous ceux qui touchèrent à cet «objet mystérieux» (l'Or, l'opulence de la Terre, la Terre-Mère, Erda; dans les fables scandinaves, Erda ne veut pas qu'on la voie), tous ceux qui s'en emparèrent, périrent misérablement. Siegfried, Hagene, Gunther, Attila (Attila, selon la légende), en Occident, Cœpio, en Orient.

[157-1] Nous ne parlons pas, bien entendu, des autres sagas recueillies par Sœmund, telles que les sagas de Ragnar Lodbrog, de Hervara, de Blomsturvalla, d'Yglinga, d'Olaf-Tryggva-Sonar, de Jomsvikingia, de Knytlinga, etc.

[159-1] Comme les bardes calédoniens.—Voyez, à ce sujet, dans Ossian, les Chants de Selma:—«Ainsi chantaient les bardes dans Selma; ils charmaient le repos de Fingal par les accords de leurs harpes et les récits des temps passés. Les chefs accouraient de leur colline pour entendre leurs concerts guerriers...»

[161-1] V. la note de la page 141.

[162-1] On peut, à ce point de vue, comparer le chant de harpe de Gunnar (Gunther) avec le Chant de mort de Ragnar Lodbrog. Gunnar périt, dans l'Edda-Sœmundar, du même supplice que Ragnar, dans la saga northmanne: les Vipères. Qu'on nous permette de rapprocher quelques citations tirées des deux poèmes:

«... Il arriva que Gunnar, fils de Gîuki, attendait la mort dans la tour de Grabak-le-Serpent. Les pieds du noble Chef étaient libres, mais ses mains étaient attachées par de fortes entraves.

«... On donna une harpe au Héros victorieux dans les combats. Il révéla son talent en jouant avec les doigts de ses pieds. Il fit résonner admirablement les cordes de la harpe. Nul ne savait en jouer aussi bien que le roi.

«... La Tour-aux-Serpents résonna au son des cordes d'or.»

Et il chante; il invective Atli, son meurtrier. Il ne craint pas la mort. D'ailleurs, il est bien vengé:

«... Notre vaillante sœur a tué ton frère...»

Ces chants ont endormi les serpents. Seule, la mère d'Atli, changée en vipère, veille encore:

«... Elle me perce le cœur au fond de la poitrine...

«... Tais-toi, Harpe sonore! je dois partir pour aller habiter désormais le vaste Walhalla, boire l'hydromel sacré avec les Dieux, et manger du sanglier Sahrimuir aux festins d'Odin.»

Le Chant de mort de Ragnar Lodbrog exprime les mêmes choses:—La vie est de peu; éternité radieuse dans le Walhalla. Cette mort sera vengée par la parenté. Voici partie de ce chant:

«—Nous avons frappé de nos épées, dans le temps où, jeune encore, j'allai, vers l'Orient, apprêter aux loups un repas sanglant, et dans ce grand combat où j'envoyais au palais d'Odin tout le peuple de Helsinghie. De là nos vaisseaux nous portèrent à l'embouchure de la Vistule, où nos lances entamèrent les cuirasses et où nos épées rompirent les boucliers.

«—Nous avons frappé de nos épées! Maintenant, j'éprouve que les hommes sont esclaves du Destin... Jamais je n'aurais cru que la mort dût me venir de cet Ælla (roi de Northumberland), quand je poussais mes planches si loin à travers les flots, et donnais de tels festins aux bêtes carnassières.

«—Nous avons frappé de nos épées! Si les fils d'Aslauga (ses fils) savaient les angoisses que j'éprouve, s'ils savaient que les serpents venimeux m'enlacent et me couvrent de leurs morsures, ils tressailliraient tous et voudraient courir aux combats, car la mère que je leur laisse leur a donné des cœurs vaillants.»

Lequel de ces deux chants est, comme rédaction, le plus ancien? Le chant de Gunnar est-il une imitation du chant de Lodbrog? L'ancienne saga burgunde s'est-elle modifiée sous l'influence des sagas des Rois-de-la-Mer, du cycle des Rois-de-la-Mer? L'affirmative ne serait pas impossible. Ce chant ne se trouvait point dans le manuscrit de l'Edda-Sœmundar (Codex Regius). Plusieurs ont avancé qu'il serait l'ouvrage d'un pasteur islandais, très versé dans la littérature des sagas, Gunnar Paulsen. Mais où ce Gunnar Paulsen aurait-il pris idée de ce chant? Évidemment dans les sagas des Rois-de-Mer, desquelles il répète plusieurs traits. Cet exemple, ainsi adopté, montrerait assez bien la transformation des anciennes sagas germaniques sous l'influence scandinave. (Voyez la mort de Gunther dans le Nibelunge-nôt et comparez.)

[164-1] Manuscrit de Saint-Gall. Manuscrit de Lasabergh, écrit dans une des salles de ce château.

[164-2] On trouve dans le Reinhart allemand maintes allusions aux traditions épiques des Nibelungen.

[165-1] Il s'agit, bien entendu, du Moyen-Age allemand.

[166-1] ...des peuples... du Moyen-Age.

[166-2] Dans la légende de Charlemagne mort, devant ressusciter lorsque le flot de sa barbe aura trois fois entouré la pierre où le vieil empereur repose, et ramener une ère de prospérité, n'y a-t-il pas comme le symbole d'une reconstitution de l'empire... d'Occident (germanique, plutôt?... Hélas!)

[167-1] J'entends: le poème primitif des Nibelungen, alors qu'il contenait certainement les éléments que recueillirent les Eddas.

[167-2] Nous reviendrons là-dessus.

[169-1] Dans l'Edda-Sœmundar, les Vierges-cygnes, qui sont Valkyries, protègent, et parfois épousent les héros. Cette tradition scandinave s'est hypostasiée dans certaines légendes françaises et allemandes du Moyen-Age, telles que le Lac du Désiré, et surtout le Chevalier au Cygne, du minnesänger Conrad de Wurtzbourg.—«Au Cygne correspond toute une épopée chevaleresque, où l'oiseau, tant de fois chanté par la muse antique, prend, sous l'influence du génie romantique, une signification nouvelle. Le Cygne amène, en effet, vers le Nord, de vaillants chevaliers qui fondent les premières principautés des bords du Rhin... Au caractère religieux dont l'avait revêtu l'antiquité, le Cygne des traditions du Nord unit alors un caractère profondément historique» (Georges Kastner, Les Sirènes).

[174-1] Sur la lignée de ces artistes plaçons Hoffmann et Weber.

[175-1] A ce propos, voici un passage bien caractéristique d'Etienne Lanzkrana, prévôt de Sainte-Dorothée, à Vienne (1477). Ce livre a pour titre la Route du Ciel: «Ensuite, assis en sa maison avec sa femme et ses enfants, le père leur demande ce qu'ils ont retenu du sermon; il leur dit ce dont il se souvient lui-même. Il les questionne sur ce qu'ils savent. Il fait ensuite apporter quelque chose à boire, puis il chante, avec tous les siens, un beau cantique à la louange de Dieu, de Notre-Dame ou des cher saints du Paradis, et il se réjouit saintement en Dieu avec tout son petit monde.»

[175-2] Cf. Novalis.—Voy. dans Mme de Staël. De l'Allemagne, p. 598; De la Contemplation de la Nature.

[176-1] Le protestantisme contribua pourtant, involontairement, à fortifier l'ancien esprit germanique. Nous y reviendrons.

[178-1] Ne pas oublier que la moitié de la Messiade est sans objet direct.

[179-1] Voici ce qu'en dit Mme de Staël (1810), qui, en sa qualité d'amie d'Auguste Schlegel, eût pu en savoir davantage. Il est vrai que Schlegel n'avait pas encore entrepris ses travaux sur l'épopée nationale des Allemands: «On vient de retrouver un poème épique intitulé les Nibelings (sic) et composé dans le XIIIe siècle.»—Mention précédée d'une phrase qui montre que l'auteur prend ce poème pour un roman de Chevalerie.

[180-1] Traité sur l'origine et la signification des Nibelungen (1826).

[181-1] Passage d'une conversation de Wagner, en date du 26 octobre 1879, recueillie par M. de Fourcaud, et reproduite par M. Ernst, dans la Revue contemporaine, 1886.

[181-2] Nous rattachons au Nibelunge-nôt la saga des Nibelungen dans les Eddas.

[182-1] Nous y reviendrons.

[182-2] L'hypostase de Wotan en Brünnhilde est aussi très importante, ce que nous développerons.

[183-1] Il y a là un point obscur peut-être de cosmogonie et qu'il faudrait élucider. En effet, on peut se demander pourquoi, tout-puissants, les Dieux, pourtant, ne pouvaient user légitimement de l'Or et furent maudits dès qu'ils se le furent approprié. C'est que, dans la théogonie scandinave, la Nature, Erda, antérieure aux Dieux, semble distincte et au-dessus d'eux. Ailleurs, Cybèle, Mère des Dieux, ne les passe point en pouvoir. Ici, la Nature, l'Infinitif, Erda, l'Incréée, les environne comme une fatalité. Aussi bien, cette profusion de Nains souterrains, de Géants souterrains, ce mythe du feu primordial (le Muspelkem opérant la fonte du Givre accumulé dans le Chaos (le Ginnung), et faisant éclore ainsi le Père des Géants, Ymer, lequel est la matière première du Monde, tout cela révèle surtout des origines géologiques, une fatalité physique antérieure à l'Intelligence. De sorte que l'Or, substance planétaire, fruit premier de la Genèse, l'Or n'appartient pas aux Dieux; à personne. Il est libre dans les virtualités antiques. Qu'on se reporte à ce que nous avons dit (page 155, note) du culte abstrait de l'Or chez les tribus gaéliques, de ce même culte, l'Or étant ici symbolisé par Erda, chez les premiers Germains. L'Or de Toulouse et le Tabernacle d'Erda étaient coulés dans des lacs sacrés. Nul, à peine d'en mourir, ne devait violer le mystère de ces eaux, sanctuaire formidable; et, sans doute, est-ce comme par l'effet de cette inexorable ritualité que les Dieux, ayant profané l'Or sacré, furent maudits, premiers qu'ils étaient à ruiner les dogmes dont ils avaient la conservation. C'était comme un suicide. Wagner a intitulé le premier tableau du Rheingold: Au fond du Rhin. Ce détail, tout de mise en scène à première vue, dénote plus d'étude qu'on ne pourrait croire.

[188-1] Sœmund et Snorri: admirables, ces humbles chrétiens, dans leur sympathie pour les traditions païennes (gentitia!) de leur pays. Mais enfin il leur était impossible de pénétrer le sens de ces traditions. Et leurs contemporains, avons-nous vu, n'étaient pas pour les renseigner!—Poètes, oui, en ce qu'ils ont absolument respecté ces vieilles choses! Vénérables pour eux, ces choses, mais inexpliquées, inexplicables! Les commentaires de Snorri sont des enfantillages.

[190-1] Orgueil, Avidité, Passions: il faudrait, pourtant, qualifier moins sévèrement le libre exercice d'une Nature de Joie et d'Harmonie. Nous y reviendrons.

[191-1] A la lettre, ce n'est plus ici, nommément, Freya, mais une autre Déesse, Iduna, Gardienne des Pommes-de-Jeunesse, absolument identique à Freya. Le sens reste donc le même.

[193-1] Cet Andwari est le Alberich de Wagner, qu'on trouve dans les Nibelungen, mais non dans les Eddas. Il n'a pas, dans l'épopée allemande, l'importance que lui attribue Wagner. Mais cette figure mythologique de nain sous-marin se compliqua singulièrement, avons-nous vu, des imaginations du Moyen Age. Il devint alors le Wassermann, sorte d'Ondin maléfique très redouté qui habitait, dans les profondeurs des eaux, un palais plein de trésors (réminiscence évidente de l'Andwari des Eddas). Il est vrai que, dans les Nibelungen, Alberich garde aussi un trésor, mais c'est le trésor de Siegfried. Nous croyons que Wagner s'est surtout souvenu de la légende allemande du Moyen Age, dont il aurait combiné les données avec les renseignements de l'Edda sur les Alfes-Noirs.

[194-1] Dans le Rheingold, c'est l'œil de Freya, entr'aperçu à travers une fissure de l'Or en tas devant elle, que les Géants exigent de couvrir avec l'Anneau. Tant qu'ils verront ce regard, ils ne pourront pas renoncer à Elle!—On voit la belle transposition imaginée par Wagner.

[196-1] Nous verrons, bientôt, mieux pourquoi.

[196-2] Edda-Sœmundar—Chant premier: Prédiction de Wala-la-Savante.

[197-1] Dante. A chaque essor d'âme pardonnée, la Montagne-du-Purgatoire tressaille d'allégresse.

[200-1] Dans la Völsunga-saga, des Héros bannis prennent la forme de loups. Ces héros sont la postérité humaine d'Odin. C'est d'eux que sort Siegfried. C'est dans le cadre fourni par la Völsunga Saga que Wagner place, tout d'abord, l'idée de Rédemption.

[201-1] Force nous est, pour l'intelligence de ces remarques, de donner ici le résumé de la partie de la Völsunga-saga qui se rapporte à la naissance de Siegfried. Pour l'analyse de cette saga, encore peu connue en France, nous devons beaucoup à l'obligeance de M. Alfred Ernst.

—Siegmundr et sa sœur jumelle, Signy, sont issus d'un héros, Völsung, fils de Völse.

Cependant, le fils de Völsung porte le nom de Rerir, fils de Sigi, fils, lui-même d'Odin. On ne distingue pas si le nom de Völse s'applique à Odin, à Sigi, son fils, ou à Rerir, son petit-fils. Siegmundr a pour père Völsung, voilà tout.

Signy est mariée, contre son gré, au roi Siggeir. Le jour du mariage, un vieillard borgne (Wotan) est entré dans la demeure de Völsung, et a enfoncé un glaive dans l'énorme tronc du pommier, pilier central de la maison, promettant ce glaive à qui le pourrait arracher de l'arbre.

Siegmundr, seul, y réussit, sans effort: Siggeir, ayant vainement tenté de lui acheter l'arme, invite Völsung et les fils de Völsung en sa propre demeure. Signy avertit son père et ses frères que son mari leur tend un guet-apens. Ils n'en viennent pas moins au rendez-vous, méprisant le danger. A la suite d'un combat où est tué Völsung, ses fils, prisonniers de Siggeir, sont liés, exposés par lui dans la forêt.

Là, un vieil élan vient, chaque nuit, étrangle et dévore l'un des patients. Cet élan, c'est la propre mère de Siggeir, sorcière qui revêt cette forme pour perpétrer ses forfaits. Lorsqu'allait arriver le tour de Siegmundr, Signy lui envoie secrètement un homme dévoué, qui lui enduit de miel le visage et lui en met un rayon dans la bouche. L'élan vient, lèche le miel, plonge sa langue dans la bouche de Siegmundr; le héros la lui mord, l'arrache, le monstre meurt, après une lutte si violente, que les liens du captif se rompent.

Il s'enfuit, vit dans la forêt. Signy qui, seule, connaît sa retraite, lui envoie les fils qu'elle a eus de Siggeir, pour qu'il les associe à son œuvre de vengeance, ou qu'il les tue, s'ils ne sont pas assez braves. Comme ils se montrent sensibles à la peur (détail utilisé par Wagner), Siegmundr les massacre bientôt.

Signy, alors, s'aide du pouvoir d'une jeune sorcière, dont la forme peut être échangée contre la sienne; cette sorcière la remplace, la nuit, auprès de Siggeir, tandis qu'elle-même s'en va trouver Siegmundr dans la forêt.

Le fils de cet inceste est le fort Sinfjölti (sur lequel il se trouve, dans l'Edda-Sœmundar, un chant héroïque, incompréhensible sans cette saga, et maintes allusions dans divers chants du même recueil); sa mère l'envoie, dès qu'il a dix ans, à Siegmundr, qui lui impose la même épreuve que jadis aux fils de Siggeir: pétrir une pâte où est cachée une vipère. Sinfjölti s'en tire, sans peur, et son père l'emmène avec lui dans son existence de guerre et de rapines, par les bois.

A la porte d'une maison où dorment deux fils de roi, ils aperçoivent, un jour, deux peaux de loups, appendues; ils les prennent, s'en revêtent. Or, ceux qui se couvraient de ces peaux ne les pouvaient quitter de neuf jours, mués en loups durant ce laps. Ainsi, sous forme de loups, tous les deux errent, traqués.

Enfin, Sinfjölti devenu homme, son père et lui se rendent chez Siggeir; ils sont saisis, enterrés vifs. Mais Signy leur avait remis le glaive de Siegmundr, à l'aide duquel ils creusent le sol et se font libres. Ils mettent le feu à la maison de Siggeir, avec qui Signy périt, volontairement, satisfaite d'être vengée de lui.

Siegmundr regagne son ancien héritage; là, puissant, il épouse Borghild, laquelle lui donne un fils, Helgi (c'est un héros encore des Chants de l'Edda, Chant III, 2me partie). Plus tard, veuf, il épouse Hjördis, fille du roi Eylimi. Or, Helgi a tué un autre chef, Hunding; et le fils de Hunding, Lyngwi, avait vainement aimé Hjördis; Lyngwi déclare donc la guerre à Siegmundr et à Eylimi; armé de son glaive mystérieux, le premier fait des exploits rares; mais, enveloppé d'un manteau bleu et l'œil unique caché sous un large chapeau, un homme (Wotan) surgit devant lui, oppose son épieu au glaive de Siegmundr, qu'avaient protégé, jusque-là, ses Déesses protectrices. Le glaive se brise, le héros désarmé est tué; Eylimi aussi.

Hjördis, la nuit tombée, vient sur le champ de bataille; elle trouve Siegmundr encore vivant, veut panser ses plaies; il l'arrête: «Odin ne veut plus que je brandisse mon Glaive; gardes-en les tronçons avec soin; car tu vas mettre au monde un fils qui sera le plus glorieux héros de notre lignée; il portera triomphalement le Glaive,—qu'on reforgera de ces débris et qui sera nommé Gram (Angoisse, fureur).»—Siegmundr meurt au point du jour. Hjördis enfante Sigurd, puis elle se remarie avec Alf, fils du roi de Danemark, Hjalprek.—La suite est conforme à l'Edda.

Wagner a étudié cette saga sur la traduction de Von der Hagen. On peut voir par quel procédé de concentration il est parvenu à établir le sujet de la Walküre, lequel est le pivot du Drame.—Dans la Völsunga, ce n'est que de sa troisième femme, Hjördis, que Siegmundr a Siegfried, et cette naissance n'est point incestueuse. Wagner a transposé Hjördis en Borgny, sœur incestueuse de Siegmundr, et dont il a fait Sieglinde. Hunding est substitué au roi Siggeir. Dans la Völsunga, Siegmund ne se rencontre pas avec Hunding; seulement, les fils de celui-ci déclarent la guerre au Völsung, mais bien longtemps après son inceste avec Borgny (Sieglinde) et pour un tout autre motif. C'est dans cette guerre qu'il meurt,—par la volonté de Wotan. (Peut-être, au fond, est-ce de son inceste qu'il porte alors la peine?). Wagner a donc résumé tout le cycle des drames de la Völsunga dans ces trois figures: Siegmund, Borgny (Sieglinde), et Hunding, figures éparses là, réunies ici.—Quant à l'intervention de la Walküre, la légende se borne à dire que les «Déesses protectrices» de Siegmundr le protégeaient durant le combat contre les fils de Hunding.—Mais on lit ailleurs que la Walküre avait été endormie par Odin, pour avoir, malgré sa défense, protégé le jeune héros Agnar contre le farouche Hialmgunnar, et causé, ainsi, la mort de ce dernier. Ailleurs encore, une autre Walküre, Swawa, protège Helgi, fils de Siegmund et de sa seconde femme, Borghild, contre Hunding; elle est, de même, endormie sur une montagne.

Cette Swawa qui s'appelle aussi Sigrune, paraît être, en somme, la même que Brünnhild, comme le fait supposer ce passage de la Prophétie de Gripir: «Elle dort encore (la Walküre) dans la montagne, depuis la mort de Helgi. Tu coupes sa cotte de mailles du tranchant de ta bonne épée qui a tué Fafnir.»

[204-1] Ceci encore, l'Edda ne le dit pas positivement; elle dit, tout juste, que cet Or porte malheur à quiconque le possède. Pourquoi? Parce qu'il y a, sans doute, sacrilège à se l'approprier. Mais pour trouver ce motif, il faut quitter l'Edda proprement dite, et se reporter au Mythe de Erda (voy. page 183, note) tel qu'il fut connu des anciens Germains (plus spécialement connu d'eux, semble-t-il, que des Scandinaves eddiques) et qu'exprime le culte abstrait de l'Or.

[204-2] Tout ceci n'est qu'implicitement indiqué dans l'Edda.

[204-3] Strictement, la Völsunga-saga ne fait pas partie des Eddas proprement dites. J'entends seulement qu'on peut l'incorporer dans la «littérature eddique».

[205-1] Fafnir, mourant: «—Compagnon, compagnon, quel compagnon t'a donné le jour? De quel homme es-tu le fils, toi qui as osé teindre ton arme brillante dans le sang de Fafnir?

Sigurd: «—Je m'appelle un prodige, et je marche ci et là, sans avoir connu de mère. Je n'ai point non plus connu de père, comme les autres hommes. Je m'avance solitaire.»

[205-2] Deuxième Chant de Sigurd, vainqueur de Fafnir.

[206-1] Nous prions qu'on se reporte à l'examen des éléments historiques du Nibelunge-nôt.

[210-1] Gunther évoque Attila; Attila évoque la Chute de l'empire romain, prépare le Moyen Age.

[211-1] Je ne veux pas dire, par là, qu'en eux-mêmes les événements de la Völsunga sont postérieurs à ceux des Nibelungen; ce serait difficile, attendu que ce sont les mêmes événements, et pris même, par la Völsunga, dans des origines plus anciennes. Mais le récit norvégien de la Völsunga (définitivement compilé au XIIe siècle) leur donne une couleur plus récente, la couleur de l'époque des Rois-de-Mer. C'est comme l'histoire de la Norvège, au IXe siècle, transposée hiératiquement dans ces légendes. Ce n'est plus le Ve siècle barbare dont on ne peut se résoudre à séparer Siegfried. Siegfried a été germanique avant d'être scandinave.

[212-1] Mahomet, Dante, Shakespeare, Luther, Knox, Cromwell, Johnson, Rousseau, Burns, Napoléon.

[214-1] Mythe de Fenris enchaîné:

«Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.»

[216-1] Il y a, dans la théogonie scandinave, un Dieu peu connu, le Dieu Désir, que l'on voudrait bien pouvoir identifier avec Wotan.—«Peut-être le dieu le plus remarquable dont nous entendions parler est-il un de ceux dont Grimm trouve trace: le dieu Wunsch, ou Wish (to wish, désirer). Ceci n'est-il pas la plus sincère et pourtant la plus rudimentaire voix de l'esprit de l'homme? le plus rudimentaire idéal que l'homme ait jamais formé.»—CARLYLE.

[216-2] «—Le mot Wuotan, qui est la forme originelle d'Odin, mot répandu comme nom de leur principale divinité, d'un bout à l'autre des nations teutoniques, partout, ce mot, qui se rattache, d'après Grimm, au latin vadere, à l'anglais wade et autres semblables,—signifie, primitivement, Mouvement, source de mouvement, Puissance, et est le digne nom du plus haut dieu... Le mot signifie Divinité, dit-il, parmi les vieilles nations saxonnes, germaines, et toutes les nations teutoniques; les adjectifs formés de lui signifient tous divin, suprême, ou quelque chose appartenant au principal Dieu.»—CARLYLE.

[216-3] Brünnhilde serait, dans le Drame, même avant Siegfried, la plus précise de ces «figures platoniciennes». C'est elle qui est le plus nommément, le plus immédiatement, l'incarnation de la Volonté de Wotan; c'est en elle que cette Volonté se satisfait le mieux; en elle, victorieuse, un instant, du Destin. Elle est la plus large naissance de Wotan dans la vie concrète,—la plus profonde substance vitale où il s'hypostasie.—Ce n'est pas tout fait ainsi que sont, que demeurent, les Walküres dans les Eddas. Certes, elles y accomplissent bien les volontés célestes, mais sans jamais se départir, elles-mêmes, de leur divinité, leur mission étant, en quelque sorte, d'absorber le concret dans l'abstrait, de transplanter la vie dans l'éternité (Héros conduits au Walhall). Ici, au contraire, la Walküre, penchée, de plus en plus, vers l'Humanité, s'y solidarise, enfin, y reste attachée par le lien de son amour pour Siegfried. C'est que Wagner a voulu une incarnation tout à fait humaine de Wotan, afin de mieux faire saisir les luttes de cette âme. D'où, à la place de Balder: Siegmund-Sieglinde, Siegfried,—et Brünnhilde. Je n'oublie point toutefois, malgré ce qui précède, que la Brünnhilde de la Tétralogie est, à peu de chose près, la Brünnhild des Eddas; mais dans les Eddas Brünnhild agit beaucoup moins comme Walküre que comme amante de Siegfried, et cet amour détruit sa nature de Walkyrie. Elle est, justement, une exception parmi les Walküres. On voit bien d'autres Walküres aimer aussi des Héros; mais tôt ou tard, les vierges-cygnes s'envolent (je pourrais citer plus d'une saga) et il faut, précisément, que, pour les fixer auprès d'eux, les Héros leur enlèvent leur symbolique plumage. Dans les chants eddiques, Brünnhild est endormie par Wotan, pour avoir, malgré la défense du dieu, protégé le jeune Agnar contre le farouche Hialmgunnar (Voir la note relative à la Völsunga-saga). Mais, naturellement, la psychologie des Eddas n'atteint pas jusqu'à dire si, faisant cela, la Walküre accomplit un désir secrètement cher au Dieu. L'idée est toute à Wagner; elle est belle.

[217-1] De même, Wotan est impuissant à sauver Balder.

[223-1] Ou: «Premier Tableau».—Voir la note (1) de la p. 27.

[223-2] Sur Weia! Waga! on lirait avec fruit un intéressant article philologique (en allemand), compris, sous ce titre, parmi les Wagneriana de M. Hans von Wolzogen.

[223-3] Littéralement: «Vogue, [ô] toi vague,—Ondoie au berceau!» Vibre en la vive! traduit M. Édouard Dujardin. C'est un de ces passages qui, n'ayant aucune importance au point de vue du sens général de l'œuvre, peuvent être, sans crime, transposés, de leur beauté phonétique allemande, suivant une harmonieuse combinaison de syllabes françaises. Il ne faudrait, évidemment, ni multiplier ces transpositions, ni, surtout, leur prêter plus de valeur qu'elles n'en ont: plus fidèles, à la beauté spéciale des passages transposés, que la simple et sèche littéralité, elles contribuent, rien de plus, rien de moins, à encadrer, d'un style davantage adéquat, l'immense majorité des passages pour lesquels la littéralité suffit, regagne, en vigueur dramatique ou en profondeur de sens général, ce qu'elle peut perdre en vaine sonorité de syllabes. Au sujet de ces intermittentes et fidèles infidélités, que je ne m'astreindrai guère à signaler chaque fois, mais dont j'ai tenu à notifier la première parmi les premières, consulter ci-dessus mon Avant-Propos.

[223-A] Le motif de la Nature (Ur-Melodie, ou, plus exactement, Motiv des Urelementes, motif des Eléments-primordiaux) qu'expose le prélude de l'Or-du-Rhin, joue un rôle capital dans le système thématique de la Tétralogie. Il revient exprimer,—toutes les fois que le Drame l'implique,—l'innocence première, la paix ancienne des choses. Il s'étale comme le large fond physique, végétal, harmonieusement lointain, sur lequel se détachent, violentes et actuelles, les apparitions du Drame.—Nous avons attentivement noté tous les passages de la Tétralogie qui ramènent l'Ur-Melodie. En général, presque toutes les fois qu'une idée de nature est émise, ou sous-entendue (et c'est souvent), ce thème revient, berceuse immense qui baigne tout le Drame (Erda;—les Nornes;—l'Arc-en-Ciel;—le Rhin;—la chute des Dieux, lisez: le retour à la Nature, au creuset primordial).

Quant à la technique et au pittoresque de ce grand thème, nulles lignes ne seraient plus suggestives que les lignes suivantes de MM. Alfred Ernst et Catulle Mendès:

«—Une immense tenue sur l'accord de mi-bémol majeur, au grave,—dit M. Alfred Ernst (Richard Wagner et le Drame contemporain, p. 203[223-A-a]) ouvre le prélude de Rheingold. Un cor échelonne, pianissimo, les notes constitutives de l'Ur-Melodie; un deuxième les répète, jusqu'à ce qu'ils se répondent, et qu'enfin la mélodie se dégage, dite d'abord par les bassons, sur un murmure imitatif des violoncelles. C'est le motif de la Nature, représentée, en son innocence et sa simplicité primordiales, par les eaux du grand fleuve légendaire, le Rhin. La mélodie progresse, passe aux voix élevées de l'orchestre, se développe, sans cesse recommencée, avec un bercement rythmique qui reproduit le mouvement même des vagues...»

Sur le développement (thématique) de l'Ur-Melodie, M. Ernst dit ceci[223-A-b]: «Cette mélodie se compose, essentiellement, des notes d'un accord parfait majeur, la tonique, la médiante, la dominante. Ces trois notes distinctes sont d'abord données par les cors, dans un certain ordre, seules. Puis, lorsque la ligne mélodique se complète et s'anime, des notes de passage viennent lier entre eux ces degrés fondamentaux, qui, d'ailleurs, restent seuls accentués. La forme éclatante de ce Thème de la nature sera très rationnellement le motif proclamé un peu plus tard par la trompette, celui qu'on appelle d'habitude la Fanfare de l'Or-du-Rhin.

Cette fanfare est encore formée des mêmes notes, mais groupées suivant une figure différente.

Quand Wotan voudra opposer à l'Or une force neuve, celle du Fer,—c'est-à-dire créer les héros qui doivent reconquérir l'Anneau, et libérer le monde de la malédiction,—c'est une autre figure mélodique, toujours faite des mêmes notes, et d'ordinaire aussi confiée à la trompette, qui s'associera maintenant à cette idée. Ce motif est surtout connu sous le nom de thème de l'Epée, parce que le glaive qu'ont oublié les géants, relevé par le dieu, donné par lui au héros, est le symbole visible de la puissance nouvelle.

Si à présent on écrit la mélodie primitive dans le mode mineur, on aura le thème qui accompagne l'apparition d'Erda, et qui, rythmé d'une façon plus saccadée, se transforme dans le thème de la Götternoth (le Péril ou la Détresse des dieux). Si, revenant à la forme majeure du motif, on inverse en quelque sorte sa marche, on voit de suite quelles modifications très simples suffisent pour créer le thème dit du Crépuscule et de la Fin des dieux. Nous retrouverons les accords parfaits majeur et mineur, brisés, arpégés tour à tour sur un fier mouvement de galop, dans les deux motifs essentiels de la Chevauchée: celui qui est spécial aux Walkyries et à leur fonction guerrière, et la figure, plus simplement descriptive, qui rythme la fantastique cavalcade par l'échevèlement des nuées. Deux des motifs orchestraux qui se développent dans la scène des Nornes, au début de la Götterdämmerung, dérivent visiblement aussi de la mélodie primitive, et voilà donc une dizaine de thèmes faciles à rattacher à un principe commun...»

—«D'on ne sait quelle profondeur[223-A-c] émane sourdement un son. Il semble que l'on entende, à peine perceptible, informe, le bruit premier d'un monde qui va vivre. Le son insiste, s'efforce, se dégage, il s'y mêle un désir de montée, de développement. Il se multiplie en sonorités d'abord confuses, l'une à l'autre enchaînées dans une vague ligne déjà de déroulement, et se hausse, et s'enfle, et, moins obscurément, avec une expansion lente qui se dilate de plus en plus, veut atteindre le plein épanouissement de soi-même dans une grande onde mélodique. Une onde, en effet. Le son, émané des profondeurs, n'était-ce pas la plainte souterraine d'une source qui bientôt se répand par un bâillement de la terre et s'élargit et devient sous le ciel l'harmonieux ruissellement d'un fleuve? Les rythmes, dans les mystères de l'orchestre, se déroulent l'un sur l'autre, s'accompagnent, se poussent. Parmi la fluidité de tous, quelques-uns, plus précis, semblent tendre vers une expression plus palpable de leur essence. On dirait que le remuement de l'onde va prendre une forme nouvelle, vivante, mais toujours fugace et courbe comme lui...»

On consultera avec fruit la partition réduite au Piano par Kleinmichel (Paris, P. Schott et Cie). Prélude de l'Or-du-Rhin pages 1 à 5. Toutes les références indiquées au cours de notre travail se rapportent à cette Partition.

[223-A-a] 1 volume.—Paris, 1887.—Librairie Moderne.

[223-A-b] Ibid., pages 132 et suivantes.

[223-A-c] Catulle Mendès: Richard Wagner, 1 volume. Paris, Charpentier, 1886.

[225-1] Littéralement: «Sûre contre toi», c'est-à-dire: Ici je suis en sûreté contre toi.—Le caractère résolûment DRAMATIQUE de cette traduction de la Tétralogie m'impose de semblables changements, que je ne me serais et ne me suis permis, j'y insiste, dans aucun des passages ressortissant au sens général de l'œuvre (voir la précédente note et mon Avant-Propos), et que je me suis efforcé toujours d'adapter, suivant la logique, à l'intonation de l'original—poème, partition,—et au naturel des personnages. Je ressasse dès à présent ces remarques, afin d'y moins revenir ensuite. Quoi qu'on en pense,—peut-être encore, pour le passage qui nous occupe, préférera-t-on ma traduction à celle de MM. Dujardin et Houston Stewart Chamberlain: «Sûre de toi»; comme on voit, c'est un pur contre-sens. J'admets qu'à la rigueur, étymologiquement, «Sûre de toi» demeure défendable au (vrai) sens de: «Sûre contre toi»; même, quiconque sait la compétence, la presque infaillibilité, en toutes les questions wagnériennes, de ces deux parfaits wagnéristes, doit, au cas présent, comme en d'autres cas, rendre justice aux intentions dont il critique les résultats, et non, critiquable lui-même, triompher en pédant d'une faute que pas un des deux n'a pu faire (je l'affirme, en toute sincérité). Mais on conviendra bien que s'il est une circonstance où s'insurger contre l'usage est évidemment inutile, c'est avant tout celle où un traducteur, trop soucieux de tournures étymologiques, altère le sens... pour le mieux rendre!—Encore telles étymologies sont-elles peut-être contestables?

[227-1] Littéralement: «la fluante», «la coulante»; ce qui, sans doute, est plus expressif et poétique, et ce que moi-même j'imprimerais, si...—Du moins donnerai-je souvent, en des cas analogues, le sens littéral en une note, car c'est évidemment celui que choisiront artiste et lettré. Mais j'ai dû, pour faciliter la lecture courante de la traduction, tenir un certain compte, sans m'y asservir, des accoutumances du public français, parmi la masse duquel la présente édition, propagandiste s'il en fut, doit, non certes «vulgariser», mais répandre la connaissance et l'admiration de la Tétralogie.

[228-1] Nibelheim; «Région-» (ou «Pays», «Séjour», «Monde», «Patrie») «-des-vapeurs-obscures», habitée par les Nibelungen, ou nains.—Le Drame et des Notes préciseront.

[229-1] Nibelung, [nain] «issu-des-vapeurs-obscures» (Cf. la Note précédente).—Le sens dualiste du mythe (primitif) sera ultérieurement expliqué. Mais il est d'autres sens, d'aucuns géologiques, on pourrait même dire: volcaniques, d'origine islandaise, peut-être; Wagner avait bien mieux à faire que de les adopter et d'y insister: il les a suggérés, du moins (Alberich sera ci-après le «nain-du-soufre»; un «brandon de soufre dans le flux des vagues»; enfin, c'est par la «Faille-du-Soufre» qu'on descend à Nibelheim).—Cf. aussi la note sur le mot «Alfe», p. 233.

[231-1] Littéralement: «[C'est] en éternuant [qu']approche la magnificence de mon amant!» Je ne résiste point au désir de donner ainsi, çà et là, de telles citations à titre d'exemples: qu'elles justifient, s'il en est besoin, les libertés que j'ai prises avec l'original, en cette traduction dramatique. Car enfin, c'est très bien, la littéralité: mais quoi! déjà privée de musique, privée de ses allitérations, comme elle deviendrait infidèle aux plastiques beautés de la langue de Wagner! Le mot sous le mot, ce n'est point traduction, c'est trahison. J'ajouterai que c'est souvent paresse, car pareil labeur mécanique n'exige aucune intelligence, aucun effort d'intelligence, et pourrait même se faire, horreur! à coups de lexique.

[232-1] Littéralement: «Bien plus belle es-tu—que cette sauvage-là,—cette moins brillante—et trop fort glissante.»

[232-2] On pourra comparer ce passage, d'une si chaude sensualité, avec certaines phrases des chants dialogués des Bayadéres, notamment l'Entretien d'un Homme et d'une Femme en route (Chants populaires du Sud de l'Inde, traduction et notices par E. Lamairesse, 1868).

[233-1] Cette traduction explicative s'autorise de dictons allemands.—Littéralement: «épineux poisson»; ou plutôt: «poisson plein d'arêtes.»

[233-2] «Alp».—Les anciens poèmes scandinaves divisent les Alfes (âlfr, alfar) en Alfes-de-Lumière et en Alfes-Noirs. C'est des derniers (qu'on a souvent comparés, à tort ou à raison, avec les arbhas de la mythologie védique, et qu'il faut se garder de confondre avec les «Elfes» d'Irlande, d'Écosse, etc.) c'est des Alfes-Noirs, donc, qu'Alberich fait partie.—On l'a vu ci-dessus nommé: «gnome». Là, ainsi que dans tout le poème, le terme exact eût été «dvergue» (Zwerg): mais ces nuances mythographiques étaient d'un intérêt trop mince pour me retenir de préférer le vocable «gnome», plus rythmique, et, d'ailleurs, moins déconcertant.—Cf. la note (1) de la p. 434.

[234-1] Voici la version littérale de M. Edouard Dujardin: «littéraire» aussi, dit-il; qu'on en juge: «Comme est bon, que vous—Une seule ne soyez!—De maintes, je plais bien à une...» etc. Ce qui, d'ailleurs, doit être inexact, le présent ayant chez Wagner, souvent et ici, le sens futur: «De maintes, je plairai bien à une.» Mais n'eus-je point raison d'avancer que de pareilles littéralités, pour littéraires qu'on les prétende, justifient trop, s'il en est besoin, le système de traduction que j'ai cru devoir adopter comme plus fidèle à la beauté, aux réelles beautés du poème?

[234-2] Suivant l'inexorable littéralité de MM. Edouard Dujardin et Houston Stewart Chamberlain: «O chante encore—si doux et fin;—comme saint ce séduit mon oreille!» Il serait facile, en vérité, de critiquer un pareil système de traduction: il prend le sens le plus général pour chaque vocable, et ne tient guère compte d'aucune nuance; il rend (germanisme licite) l'adjectif, pris adverbialement, par le simple adjectif français, ce qui est absolument contraire au présent génie de notre langue.... Mais ces erreurs, encore un coup, laissent intacte l'autorité qu'il faut reconnaître à ces messieurs dans toutes les questions wagnériennes: et j'ai dit plus haut (p. 121) pour quelle cause unique je m'attaque à leur vieil essai de traduction.

[235-1] «Très bienheureux homme!—Très douce fille!» traduit, littéralement, M. Edouard Dujardin. Mais si le sens général, ordinaire, des mots est ainsi transcrit,—ni le sens particulier de ces mots quant au passage, ni l'intonation dramatique de ce passage, ni la symétrie des répliques allitérées ne se trouvent rendus: «Seligster Mann!—süssesste Maid!» Entre une pareille traduction morte et la traduction que j'ai rêvée (je ne dis pas: «que j'ai réalisée»), il y a juste autant de différence qu'entre une photographie servile d'un paysage,—et l'interprétation vivante de ce paysage par un artiste épris de nature.

[235-2] On verra plus loin qu'Alberich se métamorphose en crapaud. Je sais des personnes, et voire des Wagnériens fervents (aussi fervents que fermés d'ailleurs à toute intelligence des mythes, des symboles, des âmes non-françaises), qui en sont encore à reprocher à Wagner ce malheureux crapaud. A ceux-là,—les mêmes qui réclament contre le «bétail» fantastique de la Tétralogie entière, nous refuserons toute explication. Qu'ils continuent de parler de «féeries» ou de «contes de fées»: nous hausserons les épaules et les plaindrons vivement. Mais tout au moins devront-ils constater, dès maintenant, qu'assez longtemps d'avance Wagner les prépare à voir, sur la scène, et ce crapaud, et, plus tard, chacune, sans exception, des bêtes de sa Tétralogie.—Touchant la vraisemblance scénique de tels détails, dans les conditions toutes spéciales du Festspiel-Haus de Bayreuth, cf. l'Avant-Propos, p. 132, note (2).

[236-A] Il faut noter ici la naissance du thème de la servitude (Partition, page 24, 5me portée). Ce thème, qui exprime la tyrannie des choses, surgit logiquement pour caractériser la farouche passion impuissante d'Alberich. Non moins logiquement, il servira, partiellement, à symboliser l'Epieu de Wotan, l'Epieu sacré couvert des Runes des traités (Pactes, Conventions, Nécessité, Servitudes) et, partiellement aussi, le travail des Nibelungen.

[237-1] «Comme dans mes membres—chaude ardeur—me brûle et ard!—Fureur et amour—sauvage et puissant—me boule l'âme!» Telle est la version littérale (littéraire aussi, paraît-il) de MM. Edouard Dujardin et Chamberlain. La commenter serait trop cruel! Si Wagner avait voulu dire «chaude ardeur» (ailleurs: «humide mouille») il ne serait point le poète qu'il est, mais le plus librettiste des librettistes, le plus scribiste des scribistes. Voilà où mène l'abus d'une littéralité qui repousse jusqu'au sens figuré des mots. Vrai! jamais les ennemis de Wagner n'eussent porté, à sa gloire d'impeccable et d'immense poète, un plus funeste coup qu'une pareille traduction, étendue à toute la Tétralogie.

[238-1] «L'éveilleuse», c'est, ou la lumière, ou bien le soleil (qui, dans la langue allemande, est du genre féminin).

[238-2] Littéralement: «son œil.»

[238-3] «Or-du-Rhein», selon M. Dujardin. Je n'insiste point.

[238-4] Il y a ici, dans le texte, deux vers, dont j'ai transposé la valeur ci-dessous, par l'addition des mots «doré» et «sacré»: «Le flot doré scintille, le fleuve sacré flamboie.» Les deux vers dont je parle sont ainsi rendus par M. Edouard Dujardin: «L'ardent brillement—Brille hors toi sacré en l'onde!»

[238-A] C'est ici que surgit la Fanfare de l'Or du-Rhin, forme éclatante du Thème originel. (Partition, pages 30 et suivantes.)

—«Une frémissante montée de harpe traverse le tourbillonnement des instruments à cordes. Lancée par la voix dominatrice de la trompette, la fanfare de l'Or-du-Rhin éclate, cingle l'orchestre de ses notes triomphales, et, sur le Sol aigu qui la termine, sur cette note éblouissante qui sonne et glorieusement se prolonge, comme un cri d'universelle royauté, les trois ondines entonnent leur hymne d'allégresse...» (Alfred Ernst, ibid., p. 205.)

[239-1] Littéralement: «[ô] vous, lisses»; ou: «[ô] vous, glissantes.»

[239-2] «La joyeuse étoile en le gouffre aqueux, qui, saint, transclaire les vagues» (Traduction Edouard Dujardin).

[239-3] «Sauve maintenant ta tête des rets de Hel et livre-moi la flamme des eaux, l'or brillant.» (Sigurdakvidha Fáfnisbana önnur)—Voir l'étude de Edmond Barthélemy (p.193-194).

[239-4] Littéralement: «[C'est] seulement à votre jeu-de-plonge [que] serait bon l'Or?»

[240-A] Ici le Thème du Renoncement à l'Amour; accords, au grave, pianissimo; à quoi succède le Thème de l'Anneau, déjà esquissé à la page précédente de la partition. Ces deux thèmes sont ici très logiquement juxtaposés, en ce sens que, pour posséder l'Or, l'Anneau, par conséquent, qui sera forgé de l'Or, il faut qu'Alberich renonce à l'Amour. Prophétiques, gros d'un monde d'idées, ces deux motifs passent ici, obscurs, comme tout ce qui est prophétique, perdus en l'éclat de la fanfare de l'Or-du-Rhin, dont rayonne toute cette scène; le chant même des ondines procède partiellement du motif de l'Or-du-Rhin. Voir la partition, pages 42 et suivantes. On verra, dans ce même passage, comment le thème du Walhall se dégage du thème de l'Anneau. Tous deux, symbolisent, en effet, deux modes d'ambition: les dieux veulent régner par la force et la gloire, le Nibelung cherche à conquérir la domination universelle par la ruse, les entreprises ténébreuses, la mystérieuse séduction des richesses.

[242-1] «C'est ce renoncement à l'Amour qui engendre le Drame entier jusqu'à la mort de Siegfried.» (Richard Wagner.)

[242-2] Au lieu de: «Malheur!», «Douleur!» (qui est l'un des sens de «Wehe! Wehe!»), M. Dujardin traduit: «Aïe! Aïe!» C'est sur ce mot,—un vrai mot de la fin, en effet, que s'arrête son malheureux essai. J'ai développé plus haut quelles bonnes raisons j'ai eues pour m'acharner sur cet essai. Il n'est que juste de dire ici combien M. Dujardin fut, vers la même époque, infiniment mieux inspiré dans ses traductions, littérales aussi, de deux autres scènes capitales: l'Evocation d'Erda, et la Mort de Brünnhilde. Nous ne saurions oublier d'ailleurs maintes vaillantes pages de polémique, maintes précieuses pages fluides de rêve, dues à la plume du même poète, et pleines d'une belle foi wagnérienne, c'est-à-dire d'une altière foi d'Art. Il lui sera beaucoup pardonné, parce qu'il aima beaucoup Wagner et l'a compris presque toujours. Quant à M. Stewart Chamberlain, dont j'admire depuis bien longtemps le pur zèle désintéressé, je le prie de trouver ici, nonobstant telles critiques, l'expression du profond respect d'un homme libre, à la bouche sincère.

[243-1] Littéralement: «Wotan! époux!»

[243-A] Le grand thème du Walhall, dont une très douce ébauche a paru à la fin de la première scène, s'affirme ici solennellement, tandis que l'aurore se lève au loin sur le Burg divin. (Partition, page 55.)

[244-1] Ce passage, le premier parmi d'autres, suffit pour prouver à quel point Wotan peut, d'un bout à l'autre du rôle, être considéré, surnaturel à part, comme une personnification de notre Pensée humaine, de nos Désirs humains d'agir et de posséder. Certes, il y a dans son personnage bien d'autres choses, mais il y a notamment celles-là. L'Edda de Snorro ne rapporte-t-elle pas: «Nous croyons qu'Odin et ses frères gouvernent le ciel et la terre? Nous donnons le nom d'Odin au maître de l'univers, parce que ce nom est celui du plus grand homme que nous connaissons?—il faut que les hommes l'appellent ainsi.»

[244-2] Il importe de bien saisir que ce «Burg», plus tard nommé Walhall, a déjà un sens symbolique.—Je laisse au Drame de le suggérer, et à ces paroles de Brünnhilde (conclusion de la Deuxième «Journée»): «Passe donc, monde (ou: «âge») brillant du Walhall! Qu'en poussière s'écroule ton Burg orgueilleux! Adieu, resplendissante magnificence des Dieux!» etc.—Au surplus, le mot «éternel» (ewig), fréquemment employé dans l'Anneau du Nibelung, n'y désigne-t-il, presque toujours, qu'une «éternité» tout artificielle,—et, non plus que le mot hébreu correspondant, n'a nulle valeur mathématique.

[244-3] Littéralement: «comme ma Volonté l'a déterminé.» Wille peut signifier d'ailleurs aussi Désir, et, si j'ai choisi ce dernier mot, ce n'est pas sans avoir médité. Je ne puis malheureusement me livrer, pour motiver l'emploi de chaque terme, à des dissertations d'ordre philosophique. Qu'il me suffise de redire ici, une fois pour toutes, que cette traduction, tout entière, repose sur une première traduction littérale que je compte bien publier un jour, à part ou jointe à la présente, mais qui, actuellement, n'eût point rempli mon but. Inutile de faire remarquer que si je m'étais contenté de cette première traduction, j'aurais eu à me donner, en moins, tout le mal que m'a coûté celle-ci, et sans doute j'aurais assumé des responsabilités moindres. Mais j'ai expliqué quelles raisons m'ont poussé à considérer tel infidèlement fidèle mot-à-mot comme la pire des caricatures d'un poème dramatique aussi parfait que possible.

[245-1] Sur Freya, consulter la note mythographique qui lui est consacrée, p. 253, et aussi les notes (2) de la page 251, (2) de la page 255, etc.

[245-2] «Dans le commencement du premier âge des Dieux,.... un architecte vint les trouver, et offrit de construire en trois ans un château tellement fort, qu'il serait impossible aux Géants des montagnes... de s'en emparer... Mais il demanda pour récompense Freya, ainsi que le soleil et la lune. Les Ases s'assemblèrent pour délibérer sur cet objet, et dirent à l'architecte que ses demandes lui seraient accordées s'il bâtissait ce château dans l'espace d'un hiver; mais si le premier jour de l'été il restait quelque chose à faire à cet édifice, la convention serait nulle.» (Edda de Snorro, Gylfaginning.) Pour les transformations du mythe de la mise en gage de Freya, déesse de l'Amour et de la Jeunesse, se reporter à l'Etude d'Edmond Barthélemy, qui fournit le commentaire des sources dont je ne puis donner ci-dessous que les extraits.

[246-1] «ODIN: Frigga, donne-moi un avis. J'ai le désir de voyager et d'aller trouver Vafthrudner; j'ai une envie extrême de causer de la sagesse antique avec ce géant si savant. FRIGGA: Je conseille au père des armées de rester dans son palais divin... ODIN: J'ai beaucoup voyagé, j'ai mis à l'épreuve bien des intelligences, maintenant je désire connaître les usages établis dans les salles de Vafthrudner.» (Vafthrudnismal.)—Cf. p. 431, notes.

[246-A]

«Il me faut bien, hélas...»

Nous n'insisterons pas sur le Thème de l'Enchaînement d'Amour, qui apparaît, ici, à ces paroles de Fricka (Voy. partition, page 60); par contre, nous aimerions examiner plus longuement le Motif de Freya qui lui succède, dès l'arrivée de la jeune déesse, et qui a une bien autre importance, au point de vue général de la Tétralogie. Ce Motif se lie bientôt à un autre, dit le Motif de la Fuite, et qui, exprimant, d'une façon immédiate, l'enlèvement de Freya par les Géants, évoque, en même temps, tout ce qu'il y a de précaire, de mélancoliquement aventureux dans le bonheur des Dieux voués à la Chute, dans l'idéal qui couve au front tourmenté de Wotan.—Désormais, d'un bout à l'autre de la Tétralogie, ces deux idées d'Amour et d'Angoisse reviendront toujours simultanément: de même que le Motif de la Fuite scande, dans l'Or-du-Rhin, l'apparition de Freya, bientôt ravie par les Géants, de même dans la Walkyrie, il précède l'amour persécuté de Siegmund et de Sieglinde: enfin dans la formidable Marche funèbre du Crépuscule-des-Dieux, lorsque s'éloigne dans la nuit le cortège de Siegfried assassiné,—un trait rapide, saccadé, très sourd, qui s'obstine, gémit lugubrement, à travers le glorieux thème de la Race de Wälse, déployé aux cuivres, semble rappeler les phrases heurtées de ce Motif-de-la-Fuite.

[247-1] C'est ainsi que le génie de Wagner a su, synthétiste entre tous, indiquer la mission de la femme dans celles des sociétés non fondées, comme à Rome, sur le sacerdoce paternel sanctificateur du foyer. Constatons la teinte germanique intime de l'indication wagnérienne. Et que de siècles sont résumés par les plaintes de Fricka déçue! Mais qu'importe? cette déception fut passagère...—Et dire que tous ces développements du sens humain des personnages sont suggérés en quelques mots! dire qu'ils ne nuisent nullement à ceux, simultanés, du sens symbolique spécial à toute l'œuvre! dire surtout—car là est le miracle!—que, suggérant réellement cela, et destinés à le suggérer, ces personnages n'en vivent pas moins, d'une vie dramatique si puissante, qu'en somme chacune de leurs paroles peut sembler se rapporter au drame seul, en tant que drame! J'ai grand'peine à me retenir de (naïvement!) rappeler: qu'après toutes ces choses admirées, il reste à admirer...—Quoi?—Si peu: la musique! Toute cette merveille de cette musique!

[248-1] Littéralement: «l'Amour» (d'une part) «et» (d'autre part) «la précieuse valeur de la Femme» (Weibes). C'est de Freya qu'il s'agit ici: la musique et, un peu plus loin, presque textuellement pareilles, les paroles prononcées par Loge, ne laissent nul doute. Mais comme la réponse de Wotan se réfère à ce même vocable Weib, qu'il applique alors à Fricka; comme d'ailleurs la phrase de Fricka peut à la rigueur, dans l'original, prêter à l'amphibologie, j'ai adopté ici la signification la plus directement dramatique. Aussi bien le choix de Wotan (entre la Puissance et l'Amour) n'est-il pas encore arrêté, sa réplique suffit à le prouver.—On pourra néanmoins remarquer que (Freya étant un symbole de Beauté, de Jeunesse,—et d'Amour) le sens intégral reste sauf, grâce aux mots: «l'Amour», suivis d'une virgule.—Je profite de cette occasion pour déclarer: que je ne m'astreindrai plus, par la suite, à des justifications de cette espèce. Que celle-ci serve à démontrer qu'en chacun des cas analogues, tous les sens de tous les passages furent étudiés, approfondis, et toutes les traductions, de tous les mots, décidées par de scrupuleux raisonnements.

[248-2] Wotan, dans la Tétralogie, comme dans les sources norraines du drame, est en effet un dieu borgne: «Je sais, Odin, où tu as caché ton œil; c'est dans le puits limpide de Mimer,» lit-on dans l'Edda de Sœmund, qui nomme cet œil, un peu plus loin, «le gage du Père-des-Prédestinés» (c'est-à-dire Odin ou Wotan). Snorro dans son Edda, citant ces vers, ajoute: que «la Raison et la Sagesse sont cachées dans le puits de Mimer. Mimer est plein de science, parce qu'il boit de l'eau de ce puits.... Odin y vint un jour et demanda une gorgée, qu'il ne put obtenir avant d'avoir mis l'un de ses yeux en gage.» Et Wagner fait dire par la Première Norne, en la première des scènes du Crépuscule-des-Dieux: «... sous le frais ombrage bruissait une source, dont les flots, en courant, chuchotaient la sagesse....—Un Dieu hardi vint pour boire à la source: d'un de ses yeux, pour jamais abandonné, il acheta ce droit.» Donc Fricka est, personnifiée, cette gorgée d'eau de la source de sapience; elle est la «Sagesse» acquise par Wotan, incarnée par Wagner pour faire vivre à nos yeux les dramatiques luttes intérieures de cette sublime âme de Wotan, de cette immense âme d'Homme divinisé; c'est ainsi que s'incarnera plus loin, en cette admirable Brünnhilde, la vivante Volonté d'aimer révoltée, dans le cœur du Dieu, contre la froide sagesse, contre l'étroite coutume,—contre Fricka. Nous aurons, et dans la Walküre, et dans tel passage de Siegfried, l'occasion d'insister sur ces sens symboliques.—Quant à «l'œil de Wotan», d'après les mythographes, cet œil est simplement le soleil. Wagner, on s'en apercevra, s'est servi çà et là de cette interprétation: mais il l'a, suivant l'habitude de son génie, enrichie d'un nouvel et profond sens philosophique dont s'éclaire son quadruple drame, et que nous montrerons en temps opportun (à propos de Siegfried, acte III).—Cf. p. 491, note 1.

[249-1] Littéralement: «Et Freya, la bonne, je ne l'abandonne[rai] point.»

[249-2] Littéralement: «beau-frère!»

[250-1] Rappelons, pour les personnes curieuses de ces questions, que, dans la Deutsche Mythologie de Grimm, 4e édition, Berlin, 1873, tome 1er, page 329, Fasolt est mentionné comme un Géant de l'Orage (Riese des Sturms) et que l'étymologie de son nom y est fixée. Aussi bien, si je donne cette indication, c'est qu'elle me fournit l'occasion de signaler l'œuvre utile, de Grimm, comme l'une des sources principales de la Tétralogie entière, particulièrement au point de vue des épithètes caractéristiques. Ainsi le type du Géant est spécifié, par Grimm, «gutmütig, plump, wild, tückisch und heftig»; il insiste sur leurs qualités de bâtisseurs (tout le monde songe immédiatement aux constructions dites cyclopéennes), etc., etc. Je ne puis ici prouver mon dire par plus d'exemples; je me contente, pour les initiés, de choisir, entre dix mille, une phrase sur laquelle je reviendrai plus loin; résumant tout un développement relatif aux Walküres, il conclut: «die Walküre ist ein Wunschkint, Wunsches Kint» (édition citée, I, 347): c'est la conception même adoptée par Wagner.

[250-2] En un autre mythe de l'Edda, le marteau de Thor ayant été volé, Loke, chargé de le recouvrer, déclare que le coupable est le Géant Thrymer. «Pas un homme ne pourra le lui reprendre, s'il ne lui amène Freya pour épouse... Freya! couvre-toi du lin des fiancées, et nous irons ensemble à Jœtenhem» (séjour des Jotes ou Géants).—«Freya se mit en colère, et sa respiration en fut accélérée; tout le palais des Ases trembla, et le collier Brising bondit sur le sein de l'Asesse: «On me croirait folle d'hommes, si j'allais avec toi à Jœtenhem.» (Edda de Snorro:—La Recherche du Marteau.)—Pour ce symbole et ses analogies avec le symbole de l'Anneau, se reporter à l'Etude d'Edmond Barthélemy, p. 192.

[250-3] Ou: «au Malin.»

[250-4] C'est sans doute la mort de Balder à quoi Fricka fait allusion. Entre autres choses sur Loke, l'Edda de Snorro dit: «C'est l'auteur des perfidies, de tout ce qui déshonore les dieux et les hommes... Son caractère est méchant et fort léger. Il a entraîné les Dieux dans plus d'une aventure dont il les a souvent tirés par son esprit inventif...» Et l'Edda de Sœmund: «LOKE chanta:... Je porterai le bruit et le trouble parmi les Ases, et je mélangerai leur hydromel d'amertume.» (Le Festin d'Æger.)

[251-1] Voir d'abord la note (2) de la p. 245. «Ce mauvais conseil avait été donne par Loke...—Loke... jura d'arranger les choses de manière à ce que l'architecte ne reçût point la récompense promise.» (Edda de Snorro.)

[251-2] Grimm fait remarquer avec justesse que la mythologie norraine apparie toujours Freyr (Froh) avec Freya. Voir, sur ces deux divinités, les notes mythographiques qui leur sont consacrées, p. 251, 253, 255, 258, 270, 308.

[252-1] Dans la mythologie du Nord, les Géants craignent le jour, ou même, sont, durant le jour, changés en pierres. Dans Siegfried, l'Antre de Fafner demeure, même le soleil levé, tout enveloppé d'épaisses ténèbres, etc.

[252-2] Voir d'abord la note (2) de la p. 245.—«L'architecte... demanda la permission de se servir de son cheval Svadelfœre. Il commença dès le premier jour de l'hiver la construction du château, et toutes les nuits il apportait des pierres avec le secours de son cheval. Les Ases étaient surpris de voir les grandes montagnes que Svadelfœre traînait... Vers la fin de l'hiver, le château était très avancé; ...trois jours avant l'été, l'architecte n'avait plus que la porte à faire...» (Edda de Snorro.)

[252-A] Les Géants sont musicalement décrits par un thème aux cadences lourdes liées par des traits rapides; il donne, ainsi l'impression d'une énorme force qui va roulant. (Voy. un exemple, page 68.) Précédemment, l'orchestre a émis le thème de la Lance (ou des Conventions) qui dérive, comme on a vu, du thème de la servitude.

[253-1]

Freia, die holde,
Holda, die freie...

Il y a dans le texte un exemple de Wortspiel (jeu de mots) wagnérien, procédé que d'ailleurs le poète emploie sans cesse avec bonheur. Ici le Géant dit: «l'adorable» et en fait ensuite un nom propre. Cet échange est intraduisible, et c'est regrettable d'autant plus, qu'il montre deux aspects symboliques de Freya. Je ne me suis attaché qu'à garder l'antithèse, pâle reflet de la beauté du texte. Des grincheux pourront critiquer mon interprétation de freie; c'est pourtant la plus synthétique que j'aie trouvée pour ce passage (trois principales de mes raisons, pour affirmer une fois encore le scrupuleux choix de tous mes termes: Freya est la déesse aux chats, emblèmes des frénésies sensuelles de l'amour; c'est certainement comme telle que la désire Fasolt, brute loyale, mais brute, en définitive; Grimm, du reste, entre autres racines, propose frei, mais avec le sens de protervus et d'impudens. J'aurais bien traduit: «luxurieuse», mais Fasolt ne connaît ni ce mot, ni même la chose: puissance élémentaire comme les Ondines du Rhin, à qui leur ignorance a fait perdre leur Or, il confondrait comme elles, abandonné à soi, Lust et Liebe, le Plaisir et l'Amour).—Quant à ce nom de Holda (cf. Tannhäuser), il reparaît plus loin, Freya se l'attribuant elle-même. Je crois utile de rappeler qu'il y a, dans la mythologie germanique, une Holda; ce n'est pas le lieu d'expliquer en quoi elle s'y différencie de Freya, à laquelle l'assimile Wagner volontairement. Les curieux qui ne pourront lire Grimm trouveront sur ce point quelque chose dans le travail (vieilli) d'Ozanam touchant les religions septentrionales. Notons seulement qu'avant Wagner, Grimm (édition citée, I, 251) s'était livré à d'analogues identifications de Déesses, et avait dit, entre autres choses: Holda, von hold (lieb, propitius),» etc.

[253-2] Voir d'abord les notes (2) de la p. 245, et (2) de la p. 252.—«Les dieux s'assirent alors sur leurs trônes pour délibérer, et s'entredemandèrent qui avait donné le conseil de marier Freya en Jœtenhem.» (Edda de Snorro.)

[254-1] «Les Runes d'Odin sont un trait significatif de sa physionomie. Les Runes et les miracles de «magie» qu'il opérait par elles, constituent un trait considérable dans la tradition. Les Runes sont l'Alphabet scandinave, supposent qu'Odin fut l'inventeur des Lettres, aussi bien que de la «magie,» parmi ce peuple! C'est la plus grande invention que l'homme ait jamais faite, ce fait de noter la pensée invisible qui est en lui à l'aide de caractères écrits...» etc. (Carlyle, Les Héros, traduction Izoulet-Loubatières, p. 44.) L'occasion se présentera plus loin d'en dire davantage sur les Runes.

[254-2] On verra suffisamment par la suite ce qu'est cette Lance, et comment Wotan la possède: «Puis, sur le Frêne-du-Monde» (sur le Frêne symbolique du Monde, Yggdrasil chez les Scandinaves) «Wotan rompit une branche: le Puissant se tailla sur le tronc la hampe d'une Lance». (Crépuscule-des-Dieux, scène 1.) Elle est le signe de son pouvoir: «Les Runes des conventions loyalement débattues» (avec les grandes forces naturelles, les dieux, les géants, les nains et les hommes; conventions par lesquelles il a donc non créé, mais organisé l'univers), «Wotan les inscrivit sur la hampe de la Lance: il la tint au poing, c'était tenir le Monde.» (Id., ibid.)

[254-3] «La convention, arrêtée entre les Ases et l'architecte, avait été confirmée en présence de bons témoins et avec beaucoup de serments. Car le géant trouvait peu sûr pour lui d'habiter parmi les Ases sans une bonne garantie.» (Edda de Snorro.)

[254-4] «Fils-de-la-Lumière» ou: «Fils-de-Lumière.»

[255-1] Littéralement: «[Notre] gain (salaire), [ce] n'[est] pas en mariage [que] nous [le] recherchons».

[255-2] «Elle conserve, dans une boîte, des Pommes dont les Dieux se nourrissent quand ils se sentent vieillir; elles leur rendent la jeunesse; il en sera de même jusqu'à Ragnarœcker (Crépuscule-des-Dieux)... Il est essentiel pour les Dieux qu'Iduna veille avec soin sur ce dépôt.» (Edda de Snorro:—Gylfaginning.) Le symbole des Pommes est assez clair pour qu'on me dispense de l'expliquer. On voit d'ailleurs que, dans la mythologie norse, elles sont gardées par Iduna, avec laquelle Richard Wagner a donc identifié Freya. Or disons, en passant, qu'il l'assimile encore à Sjœfn, une autre Asesse, qui «a le pouvoir de disposer les cœurs à l'amour.» On a constaté d'autre part qu'au moyen d'un jeu de mots génial il la confond volontairement avec la Holda des anciens Germains.—Je me borne à signaler ici ces synthétisations conscientes; c'est un peu plus loin que je les apprécie, p. 308, dans une note relative à Froh.—Pour le rapt d'Iduna et de ses Pommes par le géant Thjasse (Edda de Snorro.) se reporter à l'étude d'Edmond Barthélemy, p. 191, et à la note (1), ci-dessous, p. 272.

[256-1] Littéralement: «[C'est] Froh [qui] protège[ra] la Belle.»

[257-1] «Thor» (Donner), résume l'Edda de Snorro, «...possède trois objets précieux: le Marteau Mjœllner, connu... des Géants de Montagne, car il a brisé bien des têtes parmi eux...» Les chants de l'Edda de Sœmund sont remplis, en effet, de passages pareils à celui-ci... : «Il (Thor), lança Mjœllner, et tua toutes les baleines des montagnes,» c'est-à-dire les Géants (Le Poème de Hymer, 35.) Le même chant surnomme Thor «la douleur des Géantes» (14), etc.—«Le carreau de feu jaillissant du ciel,» commente Carlyle, «c'est le Marteau, brisant tout, lancé de la main de Thor.» (Les Héros, trad. Izoulet-Loubatières, p. 30.)

[257-2] «Les Ases ayant acquis la certitude qu'ils avaient reçu chez eux un géant de montagne, n'eurent plus aucun égard aux serments qu'ils avaient faits. Ils appelèrent Thor qui vint de suite, et acquitta la dette contractée pour la construction du château: le géant ne retourna point à Jœtenhem. Du premier coup, Thor lui brisa le crâne.» (Edda de Snorro.)

[257-3] Ou: «Sauvage!»

[258-1] Loge est, en effet, le Dieu du Feu.

[258-2] Allusion au poème du Voyage de Skirner, qui raconte, en l'Edda de Sœmund, l'épisode, repris par Snorro, de l'amour de Frey pour la géante Gerd.

[258-3] Thor (ou Donner) et Frey (ou Froh) ont, dans les Eddas, chacun une demeure: celle du premier s'appelle Bilskirner; «c'est le plus vaste édifice élevé par la main des hommes» (Edda de Snorro; Poème de Grimner.) Celle de Frey a pour nom Alfheim (séjour des Alfes lumineux).

[258-A] On peut considérer le thème de Loge, qui paraît ici (partition, page 77), comme appartenant au groupe des Motifs élémentaires. Son dessin chromatique, félin, sifflant, et, avec cela, torrentiel, donne une idée de végétation, mais de végétation à la fois pétillante et sournoise.

[259-1] «Le château était très avancé, tellement élevé et si fort, que personne n'aurait pu l'attaquer.» (Edda de Snorro.)

[259-2] «Il y a... un Ase, nommé, par quelques Skaldes, le détracteur des dieux... On le nomme Loke.» (Edda de Snorro,) Loke (ou Loki) présente en effet ce caractère dans l'un des poèmes de l'Edda de Sœmund intitulé Le Festin d'Æger, ou Chant diffamatoire de Loke (Lokasenna), œuvre, dit Léouzon-le-Duc, de quelque païen à demi converti, ou de quelque sceptique de mauvaise humeur, et l'une des pages les plus apocryphes de ce recueil.—Wagner, dont l'une des fins (secondaire) a été de synthétiser sans omission, par tel détail de mise en scène, telle parole du texte, tel geste parfois, toute la mythologie cosmogonique et théogonique septentrionale des Germains et des Scandinaves, s'est gardé de négliger cet aspect du personnage.

[259-3] «Alors les Ases secouèrent leurs boucliers, coururent sur Loke en criant, et le chassèrent vers la forêt; puis ils revinrent au festin. Loke retourna également sur ses pas... Loke entra dans la salle; quand tous ceux qui s'y trouvaient l'aperçurent, ils gardèrent le silence. LOKE chanta: Lopter est altéré; il vient de loin pour demander aux Ases une rasade du limpide hydromel. Comment se fait-il, dieux, que vous vous taisez si tristement? vous ne pouvez plus parler? Indiquez-moi un siège et une place au festin, ou chassez-moi. BRAGE chanta: Jamais les Ases ne te donneront un siège ni une place au festin: ils savent quels sont les hôtes qu'on peut inviter à la fête joyeuse. LOKE chanta: Odin, te souviens-tu des temps anciens? nous avons alors mêlé notre sang: tu juras de ne jamais boire une rasade, s'il n'y en avait pas autant pour moi. ODIN chanta:... Le père du loup (c'est-à-dire Loke) aura une place au festin, afin qu'il ne nous adresse point d'invectives dans la demeure d'Æger.» (Le Festin d'Æger, dans l'Edda de Sœmund.)

[260-1] Il y a ici un double sens: «constructeurs» et «rustres,» en allemand, s'exprimant par le même vocable.

[260-2] «Tous s'accordèrent à dire que ce mauvais conseil avait été donné par Loke, source du mal. Ils le menacèrent d'une mort ignominieuse, s'il ne trouvait pas un expédient pour empêcher l'architecte de terminer son travail à l'époque fixée. Loke eut peur et jura d'arranger les choses de manière que l'architecte ne reçût point la récompense promise.» (Edda de Snorro, Gylfaginning.) Il en est exactement de même dans le mythe relatif au rapt d'Iduna (Voir la note (1) de la p. 272): les Dieux «se réunirent en conseil,... pour savoir lequel d'entre eux avait eu le dernier des nouvelles d'Iduna. On se rappela l'avoir vue sortir d'Asgôrd avec Loke. Celui-ci fut donc arrêté, conduit dans l'assemblée des Ases, menacé de mort et de rudes traitements s'il ne ramenait pas Iduna. Loke eut peur, et promit de chercher Iduna dans Jœtenhem...» etc. (Id., Bragarodur.)

[260-3]

Loge heisst du,
doch nenn'ich dich Lüge!

Par ce jeu de mots, fondé sur l'allitération, Wagner établit un rapport entre Loge, principe destructeur comme Dieu du Feu, et Loge esprit de Mensonge (Lüge). On peut suivre, à travers les quatre drames du Ring, les beaux développements de ce rapport.—La réplique suivante, de Donner («Maudite flamme,» Verfluchte Loke), est encore un autre jeu de mots sur le nom de Loge.—Qu'on ne se méprenne en rien sur l'expression «jeu de mots»: il s'agit de rapprochements typiques, philosophiquement justifiés, entre des racines différentes de sens, analogues de sons; il s'agit de beautés plus que phonétiques, dont pas une traduction ne peut suggérer l'au-delà; et je plaindrais sincèrement quiconque les taxerait de puérilités, ou n'y verrait qu'une question de «forme.» Comme si, pour tout Artiste complet,—pour Wagner,—forme et fond! n'étaient pas tout un!

[261-1] «THOR (Donner) entra, et chanta: Tais-toi, hideux démon! Mjœllner, l'agile marteau, imposera silence à ta langue. Il t'imposera silence et tu auras vécu. LOKE chanta: Te voilà, fils de la terre! pourquoi crier ainsi, Thor? Tu n'oseras point me frapper quand il s'agira de combattre le loup qui doit avaler Odin...» etc. (Le Festin d'Æger.)

[261-2] «FREY (Froh) chanta:... Tais-toi maintenant, Loke, si tu ne veux être enchaîné sous peu.» (Le Festin d'Æger.)

[261-3] Sur cette «amitié» de Loke et d'Odin, voir la note (3) de la p. 259.

[261-4] Sur l'ingéniosité de Loke, voir la note (4) de la p. 250.

[261-5] Littéralement: «Plus richement pèse le prix de son conseil,—[plus c'est] en tardant [qu']il le paye.» Par lui-même, ce mot-à-mot simple est assez clair, et l'on voit que je l'ai, non suivi, mais adapté dramatiquement. C'est l'une des dernières fois que je m'imposerai la peine de souligner de pareils changements, sans aucune importance foncière.

[262-1] Voir d'abord la note (2) de la p. 250.—«Freya, prête-moi ta forme emplumée pour retrouver le marteau»... Loke s'envola donc, et la forme emplumée siffla dans les airs.» (La Recherche du Marteau.) A son retour, «Thor le rencontra... et lui adressa de suite ces paroles: As-tu réussi à remplir ton importante commission? Raconte-moi les nouvelles de l'air.» (Id.)

[262-2] Je rappellerai cette indication dans l'annotation de La Walküre: au moment où Brünnhilde y trahira, d'abord, son ignorance et sa stupeur des tendresses de l'Humanité.

[262-A] La Fanfare de l'Or-du-Rhin, forme éclatante du Thème originel, thème essentiellement élémentaire (Loge, comme le Rhin, est le symbole d'un élément), monte et descend à l'Orchestre pendant ce récit de Loge. (Partition, page 85, en bas, et suivantes.)

[263-1] L'Or, dans tous les vieux chants épiques des Scandinaves et des Germains, est constamment ainsi qualifié de «rouge.» Et des Gens se récrient: «L'or est jaune!»—A vos Chimies, à vos Physiques, Gens de notre bel âge «de progrès!» Ces poètes, dont les œuvres rudes survivront, encore que «barbares,» à toutes les actuelles erreurs de votre «science,» de votre «civilisation,» auraient-ils donc su avant vous, par leurs yeux et non par vos livres, que les couleurs que nous «connaissons» aux métaux se modifient quand la lumière a subi plusieurs réflexions à leur surface?—Oui certes, ils n'eurent pas besoin d'un Bénédic Prévost pour intuitivement dire et chanter: «l'Or ROUGE!»

[263-2] C'est-à-dire: Alberich-de-la-Nuit. Etymologiquement: Roi-des-Alfes-de-la-Nuit.—Cf. p. 434, note.

[263-3] J'ai presque toujours, dans les quatre drames, donné au mot Noth, comme ici, sa signification la plus compréhensive: celle de «détresse». Mais je tiens à dire, une fois pour toutes, qu'étymologiquement comme en composition, ce vocable implique une idée de contrainte ou de nécessité. Pour plus d'une raison, qu'on sentira bien lorsqu'apparaîtra le mot «détresse», cette observation est utile. Qu'elle me soit l'occasion de redire à quel point Wagner, philologue, et philologue des plus remarquables, a, autant que possible, ramené tous les mots, employés par lui, à l'étymologique pureté de leur sens.

[263-A] Le Thème de Walhall, ironiquement combiné avec le thème de Loge, (combinaison frappante d'où se dégage une idée d'Ordre, de Bonheur menacé; on sait que Loge, le Feu, détruira le Monde) accompagne la précédente mélodie de Loge. Le thème de Servitude y est aussi donné nettement.

[264-1] «Dans le Trésor se trouvait une petite verge d'or, la baguette du souhait. Celui qui l'aurait su, aurait pu être le maître de tous les hommes, dans l'univers entier.» (Nibelunge-nôt, XIX, trad. Laveleye, p. 169.)

[264-2] De même Gunther, dans le Crépuscule-des-Dieux, dit, lorsque Hagen le tâte et le tente: «Du Trésor des Nibelungen j'ai entendu parler: il contiendrait lui-même le plus enviable bien?» Ces correspondances extérieures fortifient l'interne unité des quatre drames; ne pouvant les signaler toutes, je signale ici l'une des plus frappantes; le lecteur verra bien les autres.—Étant donné le but poursuivi, consciemment, par Richard Wagner,—adapter au génie de sa race et appliquer, germanisées, les formules dramatiques de l'Art complet des Grecs,—il est intéressant d'emprunter dès maintenant, à l'excellent Manuel de Philologie classique, par Salomon Reinach (tome Ier, pp. 210 et 211), quelques trop peu nombreux extraits. Résumant un article substantiel de Weil, relatif à la symétrie dans les tragédies des anciens, il constate qu' «à des développements symétriques de l'idée, répondent des suites de vers d'une longueur égale»; il cite des exemples, et observe: «La raison de cette symétrie... n'est autre que la tendance... à mettre d'accord la forme et le fond.»—«Si,» du reste, «de l'examen des tirades, on s'élève à celui des épisodes, des scènes et des actes, on reconnaîtra partout la même tendance à la symétrie. La tragédie grecque est un tout organique qui se développe autour d'un centre, et dont les parties, formées d'unités symétriquement disposées, sont symétriques entre elles et par rapport à l'ensemble...» Au surplus, cette loi du parallélisme, comme toutes les lois de l'Art, est un idéal, et les poètes s'en rapprochent par instinct, plutôt qu'ils ne s'y asservissent par système.

[265-1] De même Fricka fut la première à témoigner le désir d'un Burg,—quitte à récriminer plus tard.

[266-1] Se reporter à l'Etude d'Edmond Barthélemy (p. 192): analogies du mythe relatif à l'Anneau, et du mythe relatif au vol du Marteau de Thor.—«Vingthor (Donner) se mit en colère, lorsque, en se réveillant, il ne retrouva plus son marteau auprès de lui; sa barbe trembla, sa tête se troubla, et le fils de la Terre tâtonna autour de lui.» (La Recherche du Marteau.) «Loke, fils de Lœfœ, chanta: Ne parle pas ainsi, Thor! Les Géants bâtiront bientôt dans Asgôrd, si tu ne vas point quérir ton marteau.» (Id.) Et encore: «Cela va mal pour les Ases, cela va mal pour les Alfes: tu as caché le marteau de Hloride.» (Id.)

[267-1] Ou: «moins chèrement acquis.»

[267-2] «Odin est le premier et le plus ancien des Ases; il règne sur toutes choses, et les autres dieux le servent comme des enfants servent leur père.» (Edda de Snorro, Gylfaginning.) «Odin s'appelle encore Haptagud, le dieu des dieux.» (Id.) Mais ces sources n'expliqueraient pas, comme il convient, l'indication plastique du texte de Wagner. L'attitude des Dieux est, ici, autrement significative. Dans la première esquisse de la Tétralogie, Wotan n'était nommé qu'à peine: le Maître des Dieux, sans doute, mais rien autre. Dans la version dernière il est le seul dieu, pourrait-on dire. Les autres ne sont guère, sauf Loge, que les personnifications de certaines parmi les facultés de Wotan. Tout rayonne de lui comme d'un centre; les autres personnages agissent, mais leurs actes n'ont de sens que par rapport à lui, et le quadruple drame n'est, en son entier, que la figuration de sa pensée, de sa volonté, de son renoncement, et de son sacrifice.

[268-1] Littéralement: «Écoute, Wotan, la parole des attendants.»

[269-1] Pour le rapt d'Iduna (Freya) dans l'Edda de Snorro (Bragarodur), se reporter à l'Etude d'Edmond Barthélemy, p. 191.—«Le Géant Thjasse arriva sous la forme d'un aigle, prit Iduna et s'envola avec elle,» etc.

[269-2] Voir la note (2) de la p. 267.

[269-A] Lorsque les Géants emmènent Freya, Gardienne des Pommes de Jeunesse, l'Orchestre émet le thème de la Déchéance des Dieux. Ce thème est antithétique au thème des Pommes d'Or (c'est-à-dire de la Jeunesse des Dieux); il a paru, auparavant, à ces paroles de Fafner: «S'il s'agit de dépouiller les dieux de Freya, c'est à cause des Pommes d'Or qui croissent dans son verger.» (Partition, page 74.)

[270-1] Riesenheim, «Séjour-des-Géants».—C'est le Jötunheim des Eddas; les Scandinaves avaient partagé l'univers en neuf mondes: trois au-dessus de la terre; trois sous la terre; et trois sur la terre. Jötunheim était de ces derniers: «Sur l'échine de la Terre pèse la race des Géants; Riesenheim, tel est leur pays», dit plus loin le Voyageur dans le drame de Siegfried (acte Ier, scène avec Mime).

[270-2] «THRYMER chanta: Comment vont les Ases, comment vont les Alfes?... LOKE chanta: Cela va mal pour les Ases, cela va mal pour les Alfes; tu as caché le marteau de Hloride.» (La Recherche du Marteau).—Voir la note (2) de la p. 250, et l'Étude d'Edmond Barthélemy, p. 192.

[270-3] Littéralement: «Allons, courage, mon Froh,—il est encore matin!»

Frisch, mein Froh,
noch ist's ja früh!

C'est un jeu de mots fondé, comme ceux précédemment cités par moi, sur d'heureuses allitérations. Il est d'ailleurs si suggestif, en sa richesse de sens possibles et variés, qu'on ne peut même songer à le traduire. Pour aider à l'intelligence de l'un de ces sens, rappelons seulement qu'à la rigueur Froh peut être et a pu être considéré comme une divinité solaire.

[271-1] «FREYA chanta: Tu es fou, Loke, de raconter tes méfaits... LOKE chanta: Tais-toi, Freya! je te connais parfaitement; tu n'es pas exempte de fautes: les Ases et les Alfes assis dans cette salle ont tous joui de tes faveurs. FREYA chanta: Ta langue est chargée de mensonges; elle occasionnera ta perte. Les Ases et les Asesses sont irrités contre toi. Le retour dans ta demeure te sera triste. LOKE chanta: Tais-toi, Freya! tu es une empoisonneuse et tu pratiques la magie...» etc., etc. (Le Festin d'Æger.—Dans ce poème, Loke échange d'autres aménités avec Iduna ou Idun, gardienne des Pommes suivant l'Edda).

[271-2] Comparez (je signale ces rapprochements sans commentaires) les correspondances des présents sous-entendus de ce rôle de Loge, avec telles répliques de Hagen, au drame du Crépuscule-des-Dieux: «Mon sang vous eût gâté ce breuvage! Il ne circule pas, en mes veines, authentique, légitime et noble comme le vôtre... Je me tiens donc à l'écart de votre ardente alliance.» Dans les Eddas non plus, Loke ne fait point partie de la race proprement dite des Dieux: puissance élémentaire, il est un de ces géants (Jötuns), en lesquels sont personnifiées les grandes forces brutes naturelles, hostiles aux Ases ordonnateurs.

[272-1] «Le Géant Thjasse arriva sous la forme d'un aigle, prit Iduna» (gardienne des Pommes-de-Jeunesse; ici: Freya) «et s'envola avec elle. Les Ases souffrirent beaucoup de l'absence de cette Asesse: ils grisonnaient et vieillissaient...» (Edda de Snorro). Se reporter à l'Étude d'Edmond Barthélemy, p. 191, et à la note (2) de la p. 255.

[272-2] Sur Nibelheim, voir la note (1) de la p. 228.

[273-1] «FRIGGA: Honneur à ton départ! Honneur à ton retour! Honneur à toi quand les Asesses te salueront de nouveau!» (Vafthrudnismal.)

[273-A] Durant tout ce temps l'orchestre martèle le Motif rythmique de la Forge. A mesure que les Dieux plongent dans les entrailles de la Terre, le motif se précise. Des enclumes retentissent.—Tout s'ébranle: et, sur un dernier forte, à quoi succède le rugissement d'un violent allegro, Alberich apparaît dans son royaume souterrain (partition, 111 à 115). Le Motif rythmique de la Forge est très important, il reparaîtra, élargi, dans le premier acte de Siegfried, où il souligne le rôle de Mime. Nous signalerons là, de ce motif, une bien curieuse application.

Le thème du Trésor; la Plainte de Mime; le Commandement d'Alberich (ou thème de la Servitude); et, enfin, le Motif du Tarnhelm sont les principaux passages orchestraux de cette scène.

[274-1] Ce cri familier d'Alberich est, dans maintes légendes germaniques, prêté aux nains. Ainsi, dans sa condensation de la mythologie nationale (mieux: des mythologies de sa race), le génie de Wagner n'a rien oublié, rien négligé.

[275-1] Ce heaume magique n'est autre chose que la Tarnkappe, le capuchon ou chaperon magique, investi de semblables vertus, et dont maintes légendes, maints poèmes, y compris le Nibelunge-nôt, attribuent à des nains, des dvergues, etc., la précieuse possession plus ou moins provisoire: «J'ai entendu parler de nains sauvages qui habitent les cavernes et qui portent pour leur défense une chose merveilleuse, la Tarnkappe. Celui qui la porte sur lui est parfaitement à l'abri des coups et des blessures. Nul ne voit la personne qui en est revêtue; elle peut entendre et voir, mais nul ne l'aperçoit. Sa force aussi en devient beaucoup plus grande. Ainsi nous le disent les traditions.» (Nibelunge-nôt, trad. Laveleye, VI, p. 57)

[276-1] «Alberich portait cotte de mailles et heaume, et, dans sa main, un pesant fouet d'or.» (Nibelung-nôt, VIII, 78.)

[277-1] On pense à la baguette divinatoire de coudrier. Au sujet de cette vertu de l'Anneau, voir ci-dessous p. 289. note (1).

[278-1] C'est surtout en ce passage que Wagner s'est souvenu des paroles prêtées par Raupach à Eugel, roi des Nibelungen, dans le drame du Trésor des Nibelungs (1834). Je ne crois pourtant pas que ces réminiscences aient jusqu'ici frappé personne. «EUGEL: On nous appelle les Nibelungs; depuis les premiers temps nous habitons au sein de ces rochers; toujours nous avons pris plaisir à porter ici, dans la nuit, tout ce qui brille, métal ou pierrerie, et à en façonner des objets précieux. C'est ainsi que fut amassé ce trésor. Le géant Hreidmar en eut connaissance; il passa la mer et vint ici se rendre maître de nos richesses et nous réduire nous-mêmes en servitude. Dès lors esclaves, nous fûmes obligés de faire, avec effort, ce qui, jusque-là, avait été un plaisir, et jour et nuit, souvent maltraités, il nous força d'augmenter incessamment ce funeste trésor.» (Prologue, scène III) Peut-être signalerai-je ailleurs d'autres analogies frappantes. Mais du reste, il n'est pas inutile d'ajouter que Raupach lui-même s'est servi de maintes sources, notamment du Hœrner Siegfried (ou Lied vom hürnen Siegfried, ou Siegfriedslied), etc.

[279-1] Les Dieux germaniques, comme les Dieux d'Homère, ont un rire tout particulier dont parle Grimm, Deutsche Mythologie, article Lachen. On pourra voir ce rire, plus loin, bafouer la plainte éplorée des Filles-du-Rhin. Qu'on se rappelle plus tard, lisant la Walküre, cette cruauté presque ingénue. Dans la Tétralogie, rien qui ne s'enchaîne ainsi.

[279-2] Voir la note ci-dessus.

[280-1] Je ne puis pas m'empêcher de m'imaginer que Wagner, spécialement à l'époque où fut écrit ce poème (fin de 1852), songeait à la misère sociale des mineurs d'Allemagne—et d'ailleurs. Le Nibelung, qui renonce à l'Amour pour avoir l'Or, n'est-il pas vrai que nous le connaissions,—ainsi que son nocturne troupeau,—avant d'avoir lu L'Or-du-Rhin? Sans doute, il y a bien d'autres choses, et de plus grandioses, et de plus terribles, et surtout de moins particulières, dans ce rôle synthétique d'Alberich. Mais j'ai de bonnes raisons de croire qu'il s'y trouve aussi cela.

[281-1] J'ai déjà rappelé que Loge est le Dieu du Feu.

[281-2] «Sur les cimes nébuleuses, les Dieux habitent Walhall. Ce sont des Alfes-de-Lumière,» dit à Mime, dans le drame de Siegfried, Le Voyageur (acte Ier).—Sur les Alfes en général, voir la note (1) de la p. 434.—Cf. aussi p. 233, note (2).

[283-1] Littéralement: «De même que moi j'[ai] renoncé à l'Amour,—Tout ce qui vit» (ou: «vivra»)—«Devra y renoncer.» On saisit la nuance qu'implique ce mot-à-mot, et pourquoi il me faut le noter.—En effet, tous les personnages, consciemment ou inconsciemment, jusqu'à l'Acte libérateur qui conclut L'Anneau du Nibelung, subiront cette fatalité, bientôt corroborée (dans la «Scène» quatrième) par la Malédiction supplémentaire du nain.—Cf. ci-dessus la note (1) de la p. 242.

[283-2] Littéralement: «l'armée de la Nuit.»

[285-1] Dans Siegfried paraît sur la scène Fafner, métamorphosé en Dragon. Si l'on veut bien ne pas oublier que la Tétralogie fut écrite pour être jouée en quatre «journées», sans doute estimera-t-on moins «antidramatique» cette mise-à-la-scène d'un dragon—qui n'est ni «de la Reine» ni même «de Villars», comme s'épanchait, en ma présence, l'un de nos plus nationaux entrepreneurs de mots de la fin. Car on sera forcé de reconnaître avec quel soin spécial Wagner y a, dès ici, préparé. Je ne répéterai point à ce propos les observations présentées, dans une de mes précédentes notes, quant au crapaud dont Alberich va prendre ci-dessous l'apparence. Mais, non sans un secret espoir d'être injurié par ces infirmes,—je ressasserai, mille fois s'il le faut, combien sont à plaindre ceux-là qui osent prononcer, tout haut ou tout bas, l'absurde blasphème: «Une féerie!»—Touchant la vraisemblance scénique de tels détails, dans les conditions toutes spéciales du Festspiel-Haus de Bayreuth, cf. l'Avant-Propos, p. 132, note (2).

[286-1] Voir la note (2) de la p. 235

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