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Le second enfer d'Etienne Dolet: Suivi de sa traduction des deux dialogues platoniciens l'Axiochus et l'Hipparchus; notice bio-bibliographique par un bibliophile

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A MADAME
LA DVCHESSE D’ESTEMPES

C’est à ce coup que Fortune insensée
A descouuert la meschante pensée
Qui laschement m’a gardé iusque icy.
Bien me doubtois qu’il en seroit ainsi,
Quand prisonnier ie fus dès l’aultre foys,
Il peult auoir quelcque dix huict moys,
Car ie sçay bien que ceste faulce Lyce
De sa nature est pleine de malice ;
Et si vng coup elle a conceu rancune
Contre quelqu’vng, pas n’est contente d’vne
Aduersité, ou de troys, ou de quattre,
si l’Eternel ne luy vient à rabbatre
Sa grand’ fureur et oultrageux courage.
Voylà comment (Dame prudente et sage,
Dame addonnée à doulceur et pitié)
Ce villain monstre ardent d’inimytié,
Et non content de mon premier meschef,
M’a mys en trouble et peine de rechef.
Le meschef est qu’en prison on m’a mys,
Sans nul forfaict, sans rien auoir commis :
Fors seulement que par presumption,
Ou (pour myeulx dire) à l’instigation
Des enuyeulx, contre moy on intente
Que deux fardeaulx pleins de chose meschante
(Quant à la foy) ay transmis à Paris.
Et de cela les Presidents marris,
Sans nulle preuue et sans aulcun indice,
Ains seulement en rigueur de Iustice,
Mandent tout chault en diligence bonne
Que tout soubdain on happe ma personne,
Pour me mener captif par deuers eulx.
Mais le tout bon, le President des cieulx
N’a pas voulu me laisser au besoing,
Et en prenant de tout mon mal le soing,
M’a faict la grace (ô bonté infinie)
De sortir hors de la grand’villennie
Qu’on me brassoit. Brief, captif ne suis plus.
Puisqu’ainsi est, Dame, il reste au surplus
Que, veu mon faict et ma grande innocence,
Vous requeriez ce noble Roy de France
(Si tant vous plaist pour moy vous trauailler)
Que son plaisir soit de me rebailler
En son royaulme vne telle seurté,
Vng tel repos et telle liberté,
Qu’ay tousiours eue, horsmys depuis qu’enuye
Ma liberté a vng peu asseruie.
Mais tout cela se peult bien reparer,
Si vous voulez les moyens preparer,
Et faire tant qu’ores on abolisse
Tout mon ennuy, et qu’on me restablisse
En mon entier, sans que plus on me fasche,
Si ie ne viens à faire chose lasche :
Ce que n’ay faict et feray encor moyns.
Mais Diev me gard de ces meschants tesmoings !
Or apres tout, pour resolution,
Ie vous supply, si oncq intention
Vous auez heu de me faire aulcun bien,
Qu’à ceste foys vous trouuiez le moyen
Enuers le Roy que point il ne consente,
Que de la France à tort ie m’abesente.
Pour bien le faire, il vous plaira de lire
Ce qu’ay voulu au Roy mesmes escrire ;
Car là voirrez le fonds de la matiere,
Et de mon faict la narratiue entiere ;
Dont par apres ma lettre presentant,
Vous luy pourrez mieulx aller racomptant
Les griefs et torts que sans cause on me faict,
Et qu’à present ie n’ay en rien mesfaict.
Adiev, ma Dame, humblement requerant
Le Createur, hault et bas moderant
Les faicts humains et le pourpris celeste,
Que longuement en santé il vous preste
Heureuse vie, et d’honneur tant ornée,
Que ciel et terre en demeure estonnée.
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