← Retour
Le second enfer d'Etienne Dolet: Suivi de sa traduction des deux dialogues platoniciens l'Axiochus et l'Hipparchus; notice bio-bibliographique par un bibliophile
16px
100%
AU TRESCHRESTIEN
ET
TRESPVISSANT ROY FRANÇOYS,
ESTIENNE DOLET,
Treshumble salut et obeissance deüe.
Mes ennemys, non contents et saoullés
(Roy treschrestien, seul support des foullés),
De m’auoir ià tourmenté quinze moys,
Se sont remys à leurs premiers abboys,
Pour me remettre en ma peine premiere,
Si ta doulceur et bonté singuliere
Ne rompt le coup de leur caulte entreprise,
Que ie te veulx declairer sans faintise,
Affin que Iuge en ma cause tu sois,
Et puisses veoir si en rien te deçois.
Ces malheureux ennemys de vertu,
Creuants de dueil, qu’ayt esté rabbatu
Leur grand effort, par lequel ilz cuydoient
(Comment cuyder ?) mais par lequel tendoient
Me mettre à mort oultrageuse et villaine,
Myeulx que deuant ont reprins leur halaine
Pour m’opprimer à la fin laschement.
Cela conclud (Sire) voicy comment
Ilz ont bien sceu trouuer moyens subtilz,
Et mettre aux champs instruments et outilz,
Pour donner ombre à leur faict cauteleux,
Et m’enroller au renc des scandaleux,
Des pertinax, obstinez et mauldicts,
Qui vont semant des liures interdicts.
Suyuant ce but, ilz font dresser deux balles
De mesme marque et en grandeur esgalles,
Et les enuoyent à Paris par charroy.
Prends garde icy, François, vertueux Roy ;
Car c’est le poinct qui te faira entendre
Trop clairement l’abuz de mon esclandre.
Ces deulx fardeaulx furent remplis de liures,
Les vngs mauluais, et les autres deliures
De ce blazon que l’on nomme heretique,
Le tout conduict par grand’ ruze et praticque.
Et ce fut faict, affin de mieulx trouuer
L’occasion de te dire et prouuer
Que c’estoit moy qui les balles susdictes
Auois remply de choses interdictes.
Les liures doncq’ de mon impression
Estoient dans l’vne (ô bonne inuention !),
Et l’aultre balle (et c’est dont on me greue)
Remplie estoit des liures de Genesue,
Et à l’entour, ou bien à chasque coing,
Estoit escript, pour le veoir de plus loing,
Dolet, en lettre assez grosse et lysable.
Qu’en dictes vous, Prince à touts equitable ?
Cela me semble vng peu lourd et grossier,
Et fusse bien vng tour de patissier,
Non pas de gens qui taschent de surprendre
Les innocents, pour les brusler ou pendre.
Ie leur demande icy en demandant,
Pour me defendre en mon droict defendant,
Eusse ay ie bien esté si estourdy,
Si les fardeaulx, qu’orendroit ie te dy,
I’eusse enuoyés à Paris, ce grand lieu,
Que n’eusse sceu trop mieulx iouer mon ieu
Que de marcquer au dessus mon surnom
En grosse lettre ! A mon aduis, que non :
Trop fin ie suys, et trop fin on me tient,
Pour mon nom mettre en cela qui contient
Quelque reproche ; et pas ne le feroit
Qui de cerueau vne bonne once auroit.
Et d’aduentage : il est assez notoire,
Comme d’vng cas de recente memoire,
Que ie ne fais que de prison saillir.
Vouldrois ie doncq’ ou mesprendre, ou faillir
Si tressoubdain ? Vouldrois ie retourner
A faire cas qui me feist enfourner
(Pour mon mesfaict) dedans la tour carrée,
Ou en vne aultre encores myeulx barrée ?
Si vng leurier a esté eschauldé,
Ou à grands coups de baston pelaudé,
En faisant mal, il crainct bien de mesfaire,
Pour ne tomber apres en telle affaire ;
Et en cela n’y a rien que Nature
Qui le corrige et luy face ouuerture
De ressentir que du mal vient le mal.
Et moy, qui suys raisonnable animal,
N’ay ie pas bien en moy la congnoissance
D’euiter mal, pour n’entrer en souffrance ?
Ayme ie tant des prisons la langueur,
Où nul esprict ne demeure en vigueur ?
Ayme ie tant tomber entre les mains
De ces mastins concierges inhumains ?
Ayme ie tant (helas !) vser ma vie
Comme vne beste à touts maulx asseruie ?
Ayme ie tant à l’appetit d’vng rien
Si follement ruiner tout mon bien ?
Ce sont abuz où vng asne mordroit.
Or, debattons leur indice et mon droict.
Que disent ilz ? C’est Dolet, pour certain,
Qui a transmis à Paris ce butin,
Car il y a de ses liures grand nombre.
Est ce là tout ? n’auez vous point d’aultre vmbre
Pour colorer vostre maligne entente ?
Respondez moy. N’ay ie oncques mys en vente
Des liures telz qu’à ce coup seulement ?
Cela est faulx, car i’ay publicquement
Depuis six ans faict trein de librairie,
Mettant dehors de mon imprimerie
Liures nouuaulx, liures vieilz et antiques,
Et pour les vendre ay suiuy les trafficques
D’vn vray marchant, en vendant à chascun,
Tant que souuent ne m’en demeuroit vng ;
Faisant cela, chascun s’en est fourny :
Et moy i’en suys demeuré desgarny.
Qui garde doncq, que quelqu’aultre marchant,
Faisant ce trein et son proffict cherchant,
Ou bien plus tost quelque enuyeux malin,
Voulant sur moy desgorger son venin,
N’ayt peu dresser ces deulx balles icy,
Dont sans raison on me mect en soucy ?
Et qui plus est, la lettre de voicture
Faict elle foy que c’est mon escripture ?
Ie sçay que non. Qui est doncques la cause
Qui cest esclandre et ce trouble me cause ?
Ie n’en sçay point, et point n’en ay commise,
Sinon que c’est malheur qui à sa guise
Me va vexant et m’a ià vexé tant,
Que de mes maulx deburoit estre content.
Pour ces fardeaulx, les seigneurs de Paris,
Fort courroucés contre moy et marrys,
Sans aultre esgard despeschent vne lettre,
Pour en prison soubdain me faire mettre.
Ce qui fut faict, et en prison fus mys.
O quel plaisir eurent mes ennemys !
Aultant, pour vray, que i’eus de desplaisir
Quand on me vint au corps ainsi saisir ;
Car à cela alors point ne pensoys,
Et de crier : Le Roy boyt ! m’auançoys.
Brief, ie fus prins et en prison serré,
Non toutesfoys aultrement resserré.
Ie voys, ie viens çà et là tout pensif,
Ronflant de dueil comme vng cheual poulsif,
Et me despite en moy mesme trop plus,
Que quand ie fus à l’aultre foys reclus,
Tant aux prisons de Paris qu’à Lyon,
Car i’ignoroys allors vng million
De bien bons tours qu’on apprend en peu d’heure,
Si aux prisons quelque temps on demeure.
Mon naturel est d’apprendre tousiours ;
Mais si ce vient que ie passe aulcuns iours
Sans rien apprendre en quelcque lieu ou place,
Incontinent il fault que ie desplace.
Cela fut cause (à la verité dire)
Que ie cherchay (tresdebonnaire Syre)
Quelcque moyen de tost gaigner le hault ;
Puis aulx prisons ne faisoit pas trop chault,
Et me morfondre en ce lieu ie craignois
En peu de temps, si le hault ne gaignois.
De le gaigner prins resolution,
Et auec art et bonne fiction
Ie preschay tant le concierge (bon homme)
Qu’il fut conclud (pour le vous dire en somme)
Qu’vng beau matin irions en ma maison
Pour du muscat (qui estoit en saison)
Boire à plein fonds, et prendre aulcuns papiers
Et recepuoir aussi quelcques deniers
Qu’on me debuoit, mais que rendre on vouloit
Entre les mains de Monsieur, s’il alloit
A la maison, et non point aultrement.
Ce qu’on faisoit pour agensissement
De mon emprinse, et pour myeulx esmouuoir
Le bon concierge à faire son debuoir.
Et sur cela Diev sçait si ie me fains
De requerir, auecques serments maincts,
Ledict Seigneur à ce qu’il ne retarde
Que puisse auoir les deniers qu’on me garde.
Cela promis, le lendemain fut faict,
Et dès le soir feit venir (en effect)
Quelcques sergents qui auec nous soupparent,
Et le matin aux prisons se trouuarent :
Pensez comment ie dormis ceste nuict,
Et quel repos i’auois, ou quel deduict !
L’heure venue au matin sur la brune,
Tout droictement au coucher de la lune,
Nous nous partons, cheminants deux à deux ;
Et quant à moy, i’estois au milieu d’eulx
Comme vne espouse, ou bien comme vng espoux,
Contrefaisant le marmiteux, le doulx,
Doulx comme vng chien couchant ou vng regnart
Qui iette l’oeil çà et là à l’escart,
Pour se sauluer des mastins qui le suyuent,
Et pour le rendre à la mort le poursuyuent.
Nous passons l’eaue, et venons à la porte
De ma maison, laquelle se rapporte
Dessus la Saosne ; et là venuz que fusmes,
Incontinent vng truchement nous eusmes
Instruict de tout et faict au badinage,
Lequel sans feu, sans tenir grand langage,
Ouure la porte, et la ferme soubdain,
Comme remply de courroux et desdaing.
Lors sur cela i’auance vng peu le pas,
Et les sergents, qui ne congnoissoient pas
L’estre du lieu, suyuent le myeulx qu’ilz peuuent ;
Mais, en allant, vne grand’ porte ilz treuuent,
Deuant le nez, qui leur clost le passage.
Ainsy laissay mes rossignolz en cage,
Pour les tenir vng peu de temps en mue.
Et lors Dieu sçait si les pieds ie remue
Pour me sauluer : oncques cerf n’y feit oeuure
Quand il aduient qu’vng limier le descueuure,
Ny oncques lieure en campagne elancé
N’a myeulx ses pieds à la course auancé.
Mais quoy ? doibt on pour ce me donner blasme ?
Ay ie forfaict ? ay ie faict tour infame ?
Vng cordelier (homme de conscience)
Le feroit bien, s’il auoit la science.
Les animaulx et les oyseaulx des champs,
Quand ilz sont prins, ne sont rien recherchants
Que liberté : suys ie aultre qu’vne beste
Ou vng oyseau qui se rompt corps et teste
Pour se trouuer hors de captiuité ?
Venons au point. Ce qui m’a incité
De me tirer hors des mains de iustice
N’est point que sente en moy forfaict ou vice :
Ie n’ay rien faict quant à ce qu’on m’accuse,
Mais ie sçay trop comme en iustice on vse
De mille tours que ie crains et redoubte.
Ie sçay comment le bon droit on reboutte
D’vng criminel, et comment on le traicte,
Si (tant soit peu) quelqu’vng sa mort affecte,
Qui ayt credit et pouuoir suffisant
Pour le fascher et l’aller destruysant
En biens ou corps. Car s’il ne peult venir
Iusques à là qu’il luy face finir
La vie, allors il trouue la cautelle
De luy causer prison perpetuelle,
Ou pour le moins de si longue durée,
Que myeulx vauldroit que sa mort eust iurée.
Car la prison est espece de mort,
Ains plus que mort quand il vient au remort
A vng esprit de naturel gentille,
Qu’il fault que là il demeure inutile
Et qu’en langueur il passe ainsi sa vie
A l’appetit d’vne meschante enuye.
O quel regret, quel despit, quelle rage
Il vient au coeur d’vng gentil personnage,
Quand il se voit sans cause ainsi vexé,
Et de touts maulx sans forfaict oppressé !
Quant est de moy, ie sçay que vault cela,
Sçauoir le doibs : on ne le me cela
Lors que i’estois entre les mains des hommes.
Et sur mon doz on eust mys plus grands sommes
Et plus lourds faix de toute aduersité,
Si ta clemence et grande humanité
N’y eust pourueu ; dont ie te remercye,
Et l’Eternel humblement ie supplie
Qu’il te maintienne en santé longuement,
Et accroyssant la France tellement,
Qu’aultre que toy n’y ayt Roy en ce monde,
Comme vray Roy de la machine ronde,
Pour les vertuz qui en toy estincellent
Trop plus qu’en aultre et qui sur touts excellent.
I’ay dict mon grief, venir fault au remede.
Il n’est nul mal qui le remede excede,
Sinon la mort. Or quel remede doncq’
A ce forfaict que ie ne commis oncq ?
Le remede est (s’il vous plaist y entendre)
Que vous faciez expressement defendre
Au parlement de Paris qu’il desiste
De me poursuyure, et contre moy n’insiste,
En declairant que retenez à vous
Toute ma cause, et qu’inhibez à touts
La congnoissance (entres aultres) de mon cas.
Lors sans babil et sans grand altercas,
Ie vous diray la verité du faict,
Et i’ay espoir que ce sera tost faict ;
Car si au monde il est vng iuste iuge,
Ie vous tiens tel, et pour tel on vous iuge,
Et quant à moy, du faict suys innocent.
Or vng bon iuge à l’innocent consent
Que de iustice il sorte nect et quicte,
Et contre luy ne s’altere ou irrite.
Si ce moyen assez bon ne vous semble,
Ie suys d’aduis qu’en vng bloc on assemble
Tout ce qu’on dict que i’ay faict et commys
Touchant la foy, et que, le tout remys
Et aboly iusque à heure presente,
Par cy apres contre moy on n’intente
Chose qui soit, sinon que de rechef,
Touchant cela, feisse quelcque meschef.
Quant à la foy, on ne m’accuse point,
Pour ceste foys, que ie tienne vng seul poinct
D’opinion erronée ou mauluaise.
Mais quelcques gens ne sont point à leur aise
De ce que vends et imprime sans craincte
Liures plusieurs de l’Escripture Saincte.
Voyla le mal dont si fort ilz se deulent,
Voyla pourquoy vng si grand mal me veulent,
Voyla pourquoy ie leur suys odieux,
Voyla pourquoy ont iuré leurs grands dieux
Que i’en mourray si de propos ne change.
N’est ce pas la vne rancune estrange ?
Et toutesfoys rien n’est que ie ne face
Pour d’vng chascun auoir la bonne grace,
Car ie ne veulx pour le peuple mourir,
Ny aultre mal (si ie puis) encourir.
Viure ie veulx, non point comme vng pourceau,
Subiect au vin et au friand mourceau ;
Viure ie veulx pour l’honneur de la France,
Que ie pretends (si ma mort on n’auance)
Tant celebrer, tant orner par escripts,
Que l’estrangier n’aura plus à mespris
Le nom françoys, et bien moins nostre langue,
Laquelle on tient pauure en toute harengue.
Quant au surplus, ie m’en deporteray,
Et ton vouloir en tout ie parferay ;
Car s’il te plaist me defendre tout court
Que, veu le bruict qui partout de moy court,
Ie n’aye plus à liures imprimer
De l’Escripture, on me puisse opprimer,
Si de ma vie il en sort vng de moy ;
Et si i’en vends, tomber puisse en esmoy
De mort villaine ou de flamme ou de corde,
Et de bon coeur à cela ie m’accorde.
C’est assez dict : ie suys trop long du tiers.
Ie reuiens doncq’ à cela que ie quiers.
Fais (ie te pry), Prince plein de doulceur,
Prince diuin, des lettrez defenseur,
Fais que ie soys par ton vouloir absouls,
Et tu voiras, si bien tost me resouls,
Dedans Lyon faire ma residence,
Pour myeulx poulser que deuant l’eloquence,
Tant en latin qu’en françoys, que mieulx i’aime
Et que ie veulx mettre en degré extreme
Par mes labeurs, soit comme traducteur
Ou comme d’oeuure (à moy propre) inuenteur.
Permettras tu que ceste voulunté
Ne sorte effect par moy ià attenté ?
Permettras tu que ce courage honneste
Ne face vng fruict de si grande requeste ?
Permettras tu que ce desir louable
Ne mette à fin son effort proffitable ?
Permettras tu que par gens vicieux,
Par leur effort lasche et pernicieux,
Les gens de bien et les gens de sçauoir,
Au lieu d’honneur, viennent à recepuoir
Maulx infiniz et oultrages enormes ?
Il n’est pas temps, ores, que tu t’endormes,
Roy nompareil, des vertueux le pere :
Entends tu point, au vray, quel vitupere
Ces ennemys de vertu te pourchassent,
Quand les sçauantz de ton royaume ils chassent,
Ou les chasser à tout le moins pretendent ?
Certes (grand Roy) ces malheureux entendent
D’anihiler deuant ta propre face,
Et toy viuant, la bienheureuse race
Des vertueux, des lettres et lettrez,
Qui soubs ton regne en France sont entrez,
Si ta prudence à ce ne remedie :
Tu le voys bien, point ne fault que le die.
Mais seulement, pour ma derniere clause,
Ie te priray que comme ie propose
Par cy apres viure sans forfaicture,
Mais en vertu et en toute droicture,
Passant mes ans en l’augmentation
Du bien public et decoration
De nostre langue, encores mal ornée,
D’aussi bon cœur ta Maiesté sacrée
Me vueille oster de la peine ou ie suys,
Et m’octroyer le retour que poursuys ;
Car viure ailleurs qu’en France ie n’espere,
Et la requiers pour mon dernier repaire.
FIN
Chargement de la publicité...