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Le second enfer d'Etienne Dolet: Suivi de sa traduction des deux dialogues platoniciens l'Axiochus et l'Hipparchus; notice bio-bibliographique par un bibliophile
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A LA SOUUERAINE ET VENERABLE
COVRT DV PARLEMENT DE PARIS
Ie ne me plainds qu’on m’vse de rigueur,
Car c’est raison que iustice ayt vigueur,
Et qu’elle regne à la ville et aux champs,
Esgalement sur les bons et meschants,
Pour vng chascun tousiours tenir en craincte
Par sa main forte et redoutable attaincte.
Las ! ie me plainds de ma triste fortune,
Qui sans forfaict et sans offence aulcune,
Me precipite en trauaulx infiniz,
Tant que les vngs ne sont presque finiz
Que tout soubdain en aultre ie tresbuche
Et coup sur coup trouue nouuelle embusche
Par ce tyrant malheur, qui prend plaisir
De me forger encombre et desplaisir.
Mais ce n’est vous à qui plaindre me doibs :
Ce n’est pas vous qui par plainctifue voix
Vous vous lairriez endormir ou surprendre.
Il vault doncq mieulx mon droict vous faire entendre
Et vous deduire ici par le menu
Comme à grand tort m’est ce trouble aduenu.
Dedans Paris (comme sçauez trop mieulx,
Et comme aussi mes amys soucieux
De mon honneur m’ont escript par deça)
Ont esté prins depuys deux moys en ça
Certains fardeaulx de liures, dont les vngs
Ne sont que bons, approuués et communs
(Et ceulx là sont, ainsi que l’on m’asseure,
Marcqués de moy et du lieu où demeure)
Les aultres sont pleins de sens heretique
Et reprouués par edict authentique.
Or pour cela qu’ainsi estoyent meslés,
Quelcques malings se sont entremeslés
De vous induire à croyre fermement
Que c’estoit moy qui veritablement
Auoys transmis à Paris ces fardeaulx.
Mais ie demande à ces beaulx coquardeaulx
Qui taschent tant à me calumnier,
S’ilz me pourroient en cest endroict nyer
Qu’aultre que moy, ou marchant, ou meschant,
N’ayt peu dresser (pour m’aller empeschant)
Ces deux fardeaux, et ainsi les remplyr,
Pour son vouloir malheureux accomplyr ?
Suis ie tout seul qui de mes liures vende ?
N’en a chascun qui en veult ou demande
Pour son argent ? N’est ce doncq belle prouue
Que pour cela que des liures on trouue
Et de Genesue, et de Dolet ensemble,
A l’appetit des malings fault qu’il semble
Que c’est Dolet qui le tout y a mys,
Le tout dressé, et à Paris transmys ?
O quel abuz ! Y a il apparence
Que de vray dol, que de tort et greuance
Contre celluy qui en est innocent,
Et qui chargé en cela ne se sent ?
Plus : ie suis seur que si on prend bien garde
(Qui est le poinct où le plus on regarde
En tel affaire) au tillet de voicture,
On ne dira que c’est mon escripture ;
Pas ne dira aussi le voicturier
(Si veritable il est et droicturier)
Qu’il ayt repceu de moy balle ou ballette,
Dont à grand tort si tresmal on me traicte.
Ce nonobstant ie fus mys en prison,
Comme ayant faict quelcque grand’trahison,
Quelcque forfaict enorme et execrable,
Comme du cas conuaincu et coulpable.
Mais en prison ie ne feis long seiour ;
Car i’en sortis dès le troysiesme iour,
Par le moyen de quelcque gentillesse :
Moyen de Diev, qui les siens ne delaisse
A leur besoing, et qui bien les deliure,
Quand à telz maulz contre droict on les liure.
Touchant cela, il va fort bien pour moy,
Puisque ie suys hors de captif esmoy.
Reste au surplus que mon droict entendu,
Droict me soit faict sur mon tort pretendu :
Si que par vous ma liberté perdue,
Par vous me soit semblablement rendue,
Recongnoissant que par presumption
Vous m’auez mys en ceste affliction ;
Et si elle est sans iuste fondement
(Ce que voyez à l’oeil trop clairement)
Raison ne veult, ny aussi equité,
Que ie demeure en ceste aduersité,
Errant çà, là, sans oser seiourner
Dedans Lyon, où ie veulx retourner
Et consumer le reste de ma vie,
Maulgré aulcuns et leur meschante enuye.
Si à ce bien puis vng coup paruenir,
Ne craignez pas que voyez aduenir
Que de ma vie vng seul liure i’imprime
De l’Escripture, ou aultre telle estime.
I’en suis trop saoul, et trop saoul en doibs estre,
Veu qu’il m’en vient, à dextre et à senestre,
Malheur, esmoy, tout encombre et dommaige,
Et que i’en suys si souuent mys en caige.
Bien est il vray que ne suys le premier
Qui les a faictz. Tel en est coustumier,
Et en imprime à Paris et Lyon
Publicquement vng et vng million,
Qui pour cela n’est fasché ne reprins.
Seulet ie suys à qui mal en est prins,
Seulet ie suys qui en porte la peine,
Seulet ie suys qui en ay male estreine.
Or soit loué le Seignevr Diev de tout,
Grace me face ores que soys au bout
De tant de maulx contre moy si pressifs,
De tant d’ennuys si griefs, si excessifs.
Et vous, Seigneurs, n’vsez de violence
Contre mon droict et ma grande innocence :
Puis que ie n’ay offensé ny mesfaict,
Faictes que rien contre moy ne soyt faict.
Si ne vouloys en France bien verser,
Pas ne querroys si fort y conuerser ;
Et si i’estoys de la France party,
Ie trouueroys ailleurs assez party
Où ie pourroys viure en grand’ liberté
Et à iamais auoir bonne seurté ;
Mais il m’est dur (quand à ce bien ie pense)
De renoncer mon païs, sans offense.
Marry seroys que le vouloir que i’ay
(Si par rudesse à la fin n’est changé)
De trauailler pour l’honneur des François
(Et cest effort grandement i’aduançois
Quand ce malheur prochainement m’aduint)
A quelcque fruict et effect ne paruint.
N’empeschez doncq’ cest effort glorieux :
Si ie ne suys en rien pernicieux,
Laissez moy viure en seurté et repos.
Disons vng peu (puisqu’il vient à propos)
Que me veult on ? suys ie vng Diable cornu ?
Suys-ie pour traistre ou boutefeu tenu ?
Suys-ie vng larron ? vng guetteur de chemin ?
Suys-ie vng volleur ? vng meurtrier inhumain ?
Vng ruffien ? vng paillard dissolu ?
Vng afronteur ? vng pipeur resolu ?
Suys-ie mutin ? suys-ie en rien oultrageux ?
Suys-ie à quelcqu’vng nuysible ou dommageux ?
Dys-ie de Diev quelcque cas mal sonnant ?
Vais-ie l’honneur de mon Roy blazonnant ?
Suys-ie vng loup gris ? suys-ie vng monstre sur terre,
Pour me liurer vne si dure guerre ?
Suys-ie endurcy en quelcque meschant vice,
Pour me trainer si souuent en iustice ?
Ignorez vous que maincte nation
N’ayt de cecy grande admiration :
Car chascun sçait la peine que i’ay prinse
Et iour et nuict sur la noble entreprinse
De mon estude, et comme ie polys
Par mes escripts le renom des Troys Lys,
Et toutesfoys de toute mon estude
Ie n’ay loyer que toute ingratitude.
Si vng trompeur, vng affronteur insigne,
Vng grand causeur, vng faisant bonne mine
S’en vient en France, et se mect à promettre
Cas merueilleux sur le faict de la lettre
Ou de la guerre, il est tout asseuré
Qu’il n’aura pas en France demeuré
Vng an sans plus qu’il n’ayt des benefices
Tant qu’il vouldra, ou quelcques grands offices
De touts ceulx là qu’il aura frequentés,
Si qu’on diroit qu’il les a enchantés.
Et moy, chetif, qui iour et nuict me tue
De trauailler, et qui tant m’esuertue
Pour composer quelcque ouuraige excellent
Qui puisse aller la gloire reuelant
Du nom françoys en tout cartier et place,
On ne me faict seullement tant de grace,
Qu’en bien versant en repos puisse viure,
Et mon estude en liberté poursuyure.
D’où vient cela ? c’est vng cas bien estrange,
Où l’on ne peult acquerir grand’ louange.
Quand on m’aura ou bruslé ou pendu,
Mis sur la roue, et en cartiers fendu,
Qu’en sera-il ? ce sera vng corps mort.
Las ! toutesfoys n’auroit on nul remord
De faire ainsy mourir cruellement
Vng qui en rien n’a forfaict nullement ?
Vng homme est il de valeur si petite ?
Est-ce vne mouche ou vng verms qui merite,
Sans nul esgard, si tost estre destruict ?
Vng homme est il si tost faict et instruict,
Si tost muny de science et vertu,
Pour estre, ainsi qu’vne paille ou festu,
Anihilé ? Faict on si peu de compte
D’vng noble esprit qui mainct aultre surmonte ?
Ie dy cecy, Seigneurs doulx et clements,
Pour ce que sçay que n’estes vehements
Oultre mesure à submettre à la mort
Vng criminel, bien qu’il soyt chargé fort.
Et si le dy sans flater ou mentir,
Comme celluy qui le peus bien sentir,
Lorsque i’estoys en la Conciergerye,
Chargé à tort de maincte resuerie.
Tant que sans craindre (et de cela i’atteste
L’Omnipotent) vne longueur moleste
De la prison, bien encor suys content
Aller vers vous, mon bon droict racomptant.
Mais en cela rien n’y a de perdu ;
Ie n’ay le sens si tresfort esperdu,
Que par escript ne vous puisse mander
Toute responce à ce que demander
Vous m’eussiez peu. Or prenez doncq le cas,
Que sans y estre et sans nulz aduocats,
Vous aye au long remonstré ma defense.
Que faut-il plus, sinon vne sentence,
Vng bon arrest, qui en sens brief et court
Dira comment la venerable court
Du parlement de Paris me remect
En mon entier, et qu’au neant el’ mect,
Du tout en tout, mon emprisonnement,
Sans que iamais bruict en soyt aultrement ?
Cela faisant, iustice vous fairez,
Et d’equité grande vous vserez
En releuant l’innocent de malheur,
Qui ne taira iamais vostre valleur.
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