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Le second enfer d'Etienne Dolet: Suivi de sa traduction des deux dialogues platoniciens l'Axiochus et l'Hipparchus; notice bio-bibliographique par un bibliophile

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AUX CHEFS
DE LA IVSTICE DE LYON,
Tant en l’ordinaire qu’en la Seneschaulsée.

Content ne suis de m’estre defendu
Enuers le Roy, du forfaict pretendu
Prochainement contre moy à grand tort :
Desir me prend, aultant grand ou plus fort,
De me purger enuers vous de l’offense
Qu’on me mect sus, et pour ce que ie pense
Que vous croyez que pour vray suis coulpable,
Veu qu’ay cherché le moyen conuenable
Pour sortir hors de prison caultement,
Prouuer vous veulx qu’il est tout aultrement,
Si à ma preuue adiouter voulez foy,
Sans vous monstrer trop bendés contre moy.
Le cas est tel (si bien ne le sçauez,
Ou si au vray entendu ne l’auez) :
Dedans Paris des liures on a prins,
Les vngs repceuz, et les aultres reprins
De ceste erreur qu’heretique l’on nomme.
Or entre yceulx (comme l’on dict en somme)
Il s’en trouua de mon impression,
Bons et permis ; mais leur presumption
Est que le tout i’ay à Paris transmis ;
Et pour cela, en prison ie fus mis
(Comme sçauez) vng peu à la legiere,
Sans bon indice et sans preuue pleiniere,
Qui est vng cas en rigueur excessif.
Quoy qu’il en soit, pour cela fus captif,
Bien qu’il n’y ayt sur moy aulcune prouue,
Car, le tout quis et cherché, on ne trouue
Que i’ay escript la lettre de voicture,
Et le chartier ne dira par droicture
Qu’aulcune balle il ayt de moy repceüe.
Si doncq’ par haine et mauluaistié conceue,
Quelqu’vng a faict ce cas ord et meschant,
Est ce raison qu’on m’en aille empeschant ?
Quant à cela, bien me iustifieroy,
Et ay espoir que tost ie prouueroy
Que ce n’est moy dont prouient ce forfaict,
Et que pour rien ne vouldrois l’auoir faict.
Mais toutesfoys (à dire verité)
I’ayme trop mieulx hors de captifuité
(Et de cela ne vous vueille desplaire)
Qu’en la prison pour chasser mon affaire.
Car en prison plus qu’assés i’ay esté ;
I’y ay passé vng hyuer et esté :
De mon malheur on se doibt contenter ;
Et si le hault i’ay prins pour m’esuenter
Quelcque petit, ie dy en cest endroit
Que trop rude est qui blasmer m’en vouldroit :
Il fasche, enfin, tant souuent retourner
En vne place, ou trop y seiourner.
Mais ce n’est pas pourquoy ie vous escris ;
Ce n’est pourquoy la plume ores i’ay pris
Pour composer ceste presente lettre,
Et deuers vous par apres la transmettre.
Le principal de mon intention
Est vous prier, d’ardente affection,
Et humblement, tant que faire le puis,
Que si en rien odieux ie vous suis,
Vous vueillez mettre en oubly toute haine,
Et n’aggrauer mon malheur et ma peine,
Ains mon bon droict entre vous soustenir,
Tant que si doibs à Lyon reuenir
(Ce que i’espere, et le pourchasse aussi)
Et bien versant, sans aulcun mauluais si,
Vous me vueilliez doulcement comporter,
Et bon amour deshormais me porter.
Car Lyon est où i’ay le plus d’enuie
De resider et consumer ma vie,
Pour la beauté et la grande excellence
De son pourpris, le plus beau de la France.
Et point ne croy luy faire deshonneur,
Quand ie desire en repos et bon heur
Y demeurer, bien viuant et sans blasme,
Sans faire mal, sans faire cas infame.
Or on sçait bien, et bien sçauoir se peult,
Que la raison dont de moy on se deult,
Et dont ie suys poursuyuy par Iustice,
N’est pour forfaict et aulcun meschant vice
Auquel ie soys par trop abandonné.
C’est seulement que me suis addonné
(Sans mal penser) depuis vng temps certain,
De mettre en vente, en françois et latin,
Quelcques liurets de la Saincte Escripture.
Voylà mon mal, voylà ma forfaicture,
Si forfaicture on la doibt appeller.
Mais si au Roy il plaist me rappeller
Et faire tant que de malheur me sorte,
Ie suys content que le Diable m’emporte,
Ou qu’on me brusle, ou qu’on me face pendre,
Si pour tel cas iamais tombe en esclandre.
La grace à Diev, i’ay prou d’aultres moyens
Pour m’enrichir et amasser des biens,
Sans craindre plus la Iustice et sa patte,
Qui de si pres me poursuict et me matte.
En renonçant aux liures dessusdicts,
Plus ne craindray les enuieulx mauldicts,
Et si viuray entre les myens content,
En composant ou bien en translatant
Liures plusieurs où l’on prendra plaisir,
Sans qu’il m’en vienne encombre ou desplaisir.
A tant fais fin, priant le Roy des cieux
Qu’il vous maintienne en ces terrestres lieux,
Vous despartant longue vie et santé,
Honneur et loz, et touts biens à planté.

FIN.

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