← Retour
Le second enfer d'Etienne Dolet: Suivi de sa traduction des deux dialogues platoniciens l'Axiochus et l'Hipparchus; notice bio-bibliographique par un bibliophile
16px
100%
CANTIQVE
D’ESTIENNE DOLET
PRISONNIER
A LA CONCIERGERIE DE PARIS,
SVR
SA DESOLATION ET SUR SA CONSOLATION,
EN VERS.
DOLET.
PRESERVE MOY
O SEIGNEUR
DES CALVMNIES
DES HOMMES.
IMPRIMÉ L’AN M.D.XLVI.
CANTIQVE.
Si au besoing le monde m’habandonne,
Et si de Dieu la volunté n’ordonne
Que liberté encores on me donne,
Selon mon vueil,
Doibs ie en mon cueur pour cela mener dueil,
Et de regretz faire amas et recueil ?
Non pour certain, mais au ciel leuer l’oeil,
Sans autre esgard.
Sus donc, esprit, laissés la chair à part,
Et deuers Dieu, qui tout bien nous despart,
Retirez vous comme à vostre rempart,
Vostre fortresse.
Ne permettez que la chair soit maistresse,
Et que sans fin tant de regretz vous dresse,
Se complaignant de son mal et destresse
De son affaire.
Trop est congneu ce que la chair sçait faire.
Quant à son dueil, c’est tousiours à refaire,
Pour peu de cas elle se met à braire
Inconstamment.
De plus en plus elle accroist son torment,
Se desbattant de tout trop aigrement :
Faire regretz c’est son allegement,
Sans nul confort.
Mais de quoy sert vng si grand desconfort ?
Il est bien vray qu’au corps il greue fort
D’estre enfermé si longtemps en vng fort
Dont tout mal vient.
A ieune corps grand regret il aduient
Quand en prison demeurer luy conuient,
Et iour et nuict des plaisirs luy souuient
Du temps passé.
Pour vng mondain, le tout bien compassé,
C’est vng grand dueil de se voir deschassé
D’honneurs et biens pour vng voirre cassé,
Ains sans forfaict.
A vng bon cueur certes grand mal il faict
D’estre captif sans riens auoir mesfaict,
Et pour cela bien souuent (en effet)
Il entre en rage.
Grand douleur sent vng vertueux courage
(Et feust ce bien du monde le plus sage)
Quand il se veoid forclus du doulx vsage
De sa famille.
Voyla les griefs de ce corps imbecille
Et les regrets de cette chair debille,
De tout fondé sur complaincte inutille,
Plaincte friuolle.
Mais vous, esprit, qui sçauez la parolle
De l’Eternel, ne suiuez la chair folle ;
Et en celluy qui tant bien nous consolle,
Soit vostre espoir.
Si sur la chair les mondains ont pouuoir,
Sur vous, esprit, riens ne peuuent auoir :
L’oeil, l’oeil au ciel, faictes vostre debuoir
De la entendre.
Soit tost ou tard ce corps deuiendra cendre,
Car à nature il fault son tribut rendre,
Et de cela nul ne se peult deffendre :
Il fault mourir.
Quant à la chair, il luy conuient pourrir,
Et quant à vous, vous ne pouuez perir :
Mais auecq’ Dieu tousiours debués flourir
Par sa bonté.
Or, dictes donc, faictes sa volunté :
Sa volunté est que (ce corps dompté)
Laissant la chair, soyés au ciel monté
Et iour et nuict.
Au ciel monté ! c’est que prenniés desduict
Aux mandements du Seigneur qui conduict
Touts bons espritz, et à rien les reduict
S’ilz sont peruers.
Ses mandemens commandent en briefs vers
Que si le monde enuers nous est diuers,
Nous tourmentant à tort et à trauers
En mainte sorte,
Pour tout cela nul ne se desconforte,
Mais constamment vng chascun son mal porte,
Et en la main, la main de Dieu tant forte,
Il se remette.
C’est le seul poinct qui tout esprit delecte,
C’est le seul poinct qui tout esprit affecte,
C’est où de Dieu la volunté est faite :
C’est patience.
Ayant cela, ne fault aultre science
Pour supporter l’humaine insipience.
Tout mal n’est rien, nulle douleur, si en ce
L’esprit se fonde.
Il n’est nul mal que l’esprit ne confonde,
Si patience en luy est bien profonde ;
En patience il n’est bien qui n’abonde,
Bien et soulas.
En patience on n’oit crier : helas !
De ce muny, l’esprit n’est iamais las :
En tes vertuz bien tu l’entremeslas,
Dieu Tout Puissant !
De patience vng bon cueur iouyssant,
Dessoubz le mal n’est iamais flechissant,
Se desolant ou en rien gemissant,
Tousiours vaincqueur.
Sus, mon esprit, monstrés vous de tel cueur ;
Vostre asseurance au besoing soit congneue :
Tout gentil cueur, tout constant belliqueur
Iusque à la mort sa force a maintenue.
Chargement de la publicité...