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Les Aspirans de marine, volume 2

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XVIII.
RÉSOLUTION NÉCESSAIRE, SÉPARATION.

Nous sortîmes tous deux ; nous trouvâmes dans la ville un petit et simple logement. Juliette était plus que résignée à son sort ; elle se montrait joyeuse et fière de sa résolution et de mon dévouement… La pauvre fille !

Dans l’intimité de la liaison qui s’était établie entre Juliette et moi, il est bien difficile à deux amans de se cacher long-temps ce qu’ils ont le plus d’intérêt à se dissimuler. Les sacrifices d’argent que je pouvais offrir à ma maîtresse étaient trop au dessous des besoins qu’elle avait contractés dans l’aisance, pour qu’elle ne s’aperçût pas bientôt de la gêne qu’elle m’imposait, et de la contrainte que lui prescrivaient mes modiques ressources de fortune. Le modeste travail auquel elle s’était livrée d’abord avec tant de courage, ne lui procurait en outre qu’un trop faible soulagement, pour qu’elle eût lieu de s’applaudir long-temps des efforts qu’elle faisait infructueusement pour me devenir à charge le moins possible. Les terreurs et les remords que, dans des temps plus heureux pour nous, j’étais parvenu à apaiser dans l’âme de ma pauvre compagne, s’élevèrent avec une activité nouvelle dans son imagination troublée, dès que la perspective d’une indigence prochaine s’offrit à elle au milieu de toutes les privations qu’elle éprouvait déjà. Je l’avouerai même ici à ma honte ; mais, soit dégoût de l’existence que je menais près de Juliette, soit satiété des plaisirs que n’assaisonnait plus la piquante contrainte que j’avais trouvée dans mes relations avec elle lorsqu’elle était encore sous la puissance d’un autre amant, je la négligeais peu à peu, sans qu’il entrât autre chose dans la cause de mon éloignement pour elle, que la monotonie de notre liaison. Je sais bien, me répétait-elle à chaque instant, que le spectacle d’une infortunée, toujours livrée à la crainte de se voir abandonnée par l’amant qu’elle a choisi, n’est guère propre à ramener près d’elle celui qui n’a que trop acquis le droit de la dédaigner. Dans un autre temps, plus rassurée que je ne le suis aujourd’hui sur mon avenir, je pouvais te paraître plus aimable, répondre avec un visage riant au bonheur que tu semblais éprouver en me voyant… Mais aujourd’hui, puis-je encore sourire, quand le sort le plus affreux me menace, et lorsque tu passes loin de moi des semaines entières, et que, pendant des nuits sans repos, je suis involontairement poursuivie par les souvenirs les plus déchirans et les idées les plus sinistres ! Sois juste, mon ami, et dis-moi si cette existence, dont je suis loin de t’attribuer les soucis et les angoisses, peut m’être encore long-temps supportable ! Oh ! non, la mort ! la mort la plus cruelle serait cent fois moins terrible, et, sans l’espoir que j’ai placé dans la clémence du ciel qui se lassera peut-être de m’accabler, je ne te fatiguerais pas un seul jour de plus, de l’importunité de mes plaintes et de l’inutilité des larmes continuelles que je verse sur notre misérable destinée !…

Un mois s’était à peine écoulé dans cette pénible situation, que je remarquai avec étonnement qu’il s’était opéré dans le caractère et les habitudes de ma maîtresse, un changement dont je crus avoir à redouter les suites. Ses plaintes devenaient moins amères et moins fréquentes : les rares absences qu’elle avait faites jusques-là me parurent se multiplier et se prolonger, et des soupçons, plus offensans pour elle-même que cruels pour moi, s’emparèrent de mon esprit, en réveillant dans mon cœur un sentiment de jalousie que je pris un moment pour un retour au premier penchant qu’elle avait cessé de m’inspirer. Je conçus le projet de suivre les pas de l’infidèle, et d’acquérir la preuve d’une perfidie que je commençais à redouter beaucoup moins peut-être par amour que par amour-propre… Mais quelle ne fut pas ma surprise, lorsque je sus par mes propres yeux que Juliette ne quittait si souvent notre asile, que pour se rendre à l’église et adresser au ciel des plaintes que ma trop dure indifférence s’était lassée d’entendre !

— Écoute, lui dis-je un soir, après avoir acquis la certitude de son innocence et de l’injustice de mes soupçons, je ne blâme nullement le sentiment qui te conduit si tôt à chercher des consolations dans la pratique de tes devoirs religieux, mais je veux du moins connaître le motif qui t’engage à me fuir pour passer des heures entières à prier Dieu loin de moi.

— Eh ! mon ami, qui veux-tu donc que je prie ? Près de qui veux-tu que j’aille chercher des consolations ? Est-ce le monde qui me repousse comme une fille perdue, qui m’en offrira ? Est-ce à ceux qui depuis long-temps m’ont abandonnée, que j’irai demander de la pitié pour moi, et de la force pour supporter mon malheur ?

— Et qu’attends-tu donc de ce ciel que tu implores ?

— Ce que j’en attends ! Le pardon de mes fautes après ma mort, et la fin des tourmens que j’éprouve depuis que tu ne m’aimes plus… Oh ! ne crois pas que les prières que je lui adresse chaque jour, que les larmes que je répands sur mes fautes passées, soient si stériles… Tiens, depuis que j’implore la bonté divine, je sens que le ciel a commencé à me pardonner et que l’espérance, que je croyais avoir perdue pour toujours, renaît au fond de mon cœur, plus calme, ou du moins plus résigné… Et cette idée consolante qui m’est venue de là haut comme un bienfait, est déjà si douce pour moi, que je suis persuadée, sans que je puisse t’en dire encore la raison, que bientôt il m’arrivera quelque chose d’heureux, quelque chose d’inattendu !… Quand on est indifférent ou satisfait, on ne pense pas aux secours que peut offrir la religion, mais c’est quand on gémit, mais c’est quand on se sent coupable au fond de l’âme, qu’il est bon de prier et d’adresser à la Providence des vœux que l’on n’ose plus adresser à personne sur terre.

— Juliette, je te confesse ici avec une sincérité que l’intérêt que je prends à toi pourra me faire pardonner encore, que je t’avais injustement soupçonnée, et je m’en accuse maintenant comme d’un crime…

— Oh ! mon ami ! je ne t’en veux nullement. Il est si naturel d’élever des doutes sur le compte d’une femme, dont la conduite a justifié d’avance tous les soupçons ! Va, tu pourrais m’accuser encore plus que tu ne l’as fait, que je ne me croirais nullement en droit de me plaindre, et de t’en vouloir.

— Mais quel inconcevable effort sur toi-même a pu t’inspirer cette résignation, toi auparavant si susceptible, si exigeante ?

— Quel effort ! Le malheur et la prière. J’avais trop de terreur dans l’âme, pour ne pas chercher ailleurs que dans tes bras, et autrement qu’en trompant l’homme qui se confiait à moi, un adoucissement à mes remords. Maintenant je ne suis plus aussi épouvantée ; maintenant, je pleure avec moins d’amertume, et maintenant enfin j’espère !

Un jour, en ne rentrant chez moi que le soir, dans l’appartement que j’occupais seul, loin du quartier qu’habitait ma maîtresse, j’apprends que Juliette m’a fait demander plusieurs fois depuis le matin. Je cours près d’elle, craignant de la trouver malade et redoutant d’avoir à apprendre de sa bouche quelque nouvelle fâcheuse. Je la trouve au contraire toute rayonnante de joie, les yeux encore humides, mais humides des larmes du bonheur : sa figure était enchanteresse… Tiens, vois, me dit-elle, en me serrant étroitement dans ses bras tout tremblans, vois à présent si j’avais tort d’avoir placé ma confiance dans la bonté du ciel : elle me présentait une lettre, une lettre à son adresse. Sans prendre le temps de chercher à reconnaître l’écriture, j’ouvre et je lis :

« Baltimore, le… 1809.

» Ma bonne petite Juliette,

» Vive la joie, morbleu ! vive à jamais la joie et les enfans de la mère Gaudichon ! La gueuse de fortune a cessé enfin de faire la bégueule avec ton très-humble ; et je viens de la mener si brusquement, qu’elle a été forcée d’abaisser son grand pavillon pour moi. Je commande pour les Américains un beau corsaire avec lequel j’ai hâlé déjà en dedans plusieurs prises en courant pour plus de sûreté sur tous les navires que je rencontre. Les piastres ont plu comme grêle sur mon pont, et comme je ne sais pas jouir sans penser à mes amis, je t’envoie, si la présente a le bonheur de te retrouver dans ton même logis, un billet de quatorze cents francs sur MM. L.-F… et M… de Brest, pour tes premiers besoins et en attendant mieux. »

— Ce bon Mathias ! Oh ! que je suis heureux de le savoir tiré de peine !

— Tiens, et voici le billet de quatorze cents francs. Mais continue.

» Pour tes premiers besoins, et en attendant mieux. Mais attention : si, comme je le présume, la vie de France t’ennuie, et qu’il te prenne fantaisie d’embellir l’existence d’un riche capitaine de corsaire, embarque-toi sur le premier navire que tu trouveras, et viens demander à Baltimore le capitaine Mathias qui brûle, le scélérat, de te presser avec transport sur son cœur, toujours chaud, toujours amoureux… Je te dirai, sans compliment aucun, que j’ai vu, dans mes courses, des femmes de toutes les couleurs et de tous les gabarits ; mais aucune, non, jamais aucune, ou le diable m’enlève, n’est digne de te décrotter les souliers, pour la gentillesse et les agrémens personnels ! C’est toi enfin, toi seule que je veux pour compagne, et loin de toutes les autres beautés, blanches, noires, rouges et vertes, après ton arrivée… Je t’attends en conséquence ici, sous un mois ou deux, pour peu que l’envie de vivre comme une princesse t’engage à faire la traversée, au bout de laquelle tu trouveras, dans le palais de ton serviteur, place au feu du cœur, au lit de l’amour et à la chandelle de l’amitié. Ah ! ces gueux d’officiers supérieurs ne voulaient pas m’embarquer à leur bord ! eh bien ! j’ai réussi à m’embarquer tout seul, moi, et je commande en roi, sur ces flots où mes persécuteurs imbéciles n’osent seulement plus montrer le bout du nez.

» A propos, si tu tombes à Baltimore pendant une de mes courtes absences, tu n’auras qu’à te loger, provisoirement, comme une reine, dans la plus belle auberge venue, et mes banquiers, MM. Downer et Mariner qui ont reçu mes ordres à cet égard, te compteront des piastres comme grêle, car, ainsi que j’ai eu l’honneur de te le dire plus haut, la piastre donne ici pour moi… et en foudre encore ! Adieu, âme de ma vie, pars, viens, arrive ; je t’attends et je t’embrasse mille fois, jusqu’à l’intersection des deux lignes droites selon lesquelles doivent filer nos destinées dans ce chien de bas monde.

» Ton époux futur,

» Mathias, capitaine du corsaire la Julia.

» P. S. Un instant ! Si tu vois Édouard, dis-lui bien que les amis des amis ne sont pas devenus des Turcs, et que s’il a besoin d’argent, j’en gagne ; tu le prieras, ce brave camarade, de t’embrasser à t’étouffer, de ma part, et de t’embarquer pour venir me rejoindre, et de te faire la conduite, s’il n’a pas autre chose à faire. Je vous embrasse tous en bloc, et solidement. Mes complimens aux autres ; et n’oubliez pas, ma belle, que :

» Je vous attends à l’ombre de la nuit ! »

— Eh bien mon ami, que dis-tu de cela ?

— Quelle singulière circonstance !

— Et quel parti me conseilles-tu de prendre ?

— Tu ne répugnerais donc pas à aller rejoindre Mathias en Amérique ?

— Mais c’est sur la détermination que j’ai à adopter, que je veux te consulter… A ma place, que ferais-tu ?

— Je ne sais… Et tiens, j’hésite à te dire ce que je pense, dans la crainte de te faire supposer que mes conseils pourraient être intéressés.

— Oh ! parle, parle maintenant sans détour ! Il y a long-temps, tu le sais, que je suis résignée à tout… Que ferais-tu à ma place ?

— Eh bien, puisqu’il faut te le dire… je… ma foi… je partirais !

— C’est là aussi ce que j’avais pensé.

— Ah ! tu y avais donc songé ?…

— Si bien que, depuis ce matin, j’ai appris, par des informations que j’ai recueillies pendant ton absence, qu’un bâtiment d’ici allait faire voile pour New-York, et que de là il me serait facile de me rendre à Baltimore…

— Quoi déjà ! Mais y penses-tu bien sérieusement ?

— Et que me reste-t-il autre chose à faire ? Dépenser ici l’argent que notre généreux ami m’envoie ? Tromper, en trahissant ses bienfaits, l’amour qu’il a pour moi, et dont je suis peut-être si peu digne !… Oh ! non, mon Édouard, l’adversité, et plus encore les reproches que je me suis faits, m’ont trop appris de choses pour que je m’égare sans cesse sur une route toujours semée d’écueils pour moi !… Je partirai, je partagerai le sort de l’homme qui m’a si constamment aimée !…

— Oui, mais si cependant notre ami s’avise de courir comme il le dit sur les navires de toutes les nations, il est à craindre que son sort ne soit pas déjà si brillant à partager…

— Et que veux-tu ? Un corsaire et une femme perdue ! nous n’aurons pas du moins à rougir l’un de l’autre !

— Une femme perdue ! Que tu es injuste, Juliette, en te faisant sans cesse, et à plaisir, des reproches que personne au monde ne songe à t’adresser… Une seule chose m’afflige dans la lettre de Mathias, et cette chose m’a frappé même assez vivement à la première lecture…

— Et qu’as-tu donc remarqué d’extraordinaire dans cette lettre, et quelle impression a-t-elle pu produire sur toi ?

— Je ne pourrais peut-être pas trop bien te l’expliquer ; mais il m’a semblé reconnaître dans son style, une certaine liberté qui paraîtrait indiquer un changement étrange, dans ses habitudes et son langage… J’ai trouvé enfin dans sa lettre un ton plus que marin, et je me trompe fort, ou il y a un peu de genre pirate dans la tournure de ses phrases…

— Et que veux-tu ! Moi, la seule chose qui m’ait frappée, c’est cette nouvelle preuve de son bon cœur et de son attachement pour moi, aussi n’ai-je pas balancé un seul instant à prendre le parti d’aller le rejoindre.

— Le rejoindre ? Mais comment encore ?

— Ne te l’ai-je pas déjà dit ? Un navire va partir incessamment d’ici pour l’Amérique…

— Ah ! c’est vrai, je n’y pensais déjà plus, tant j’ai la tête préoccupée de cette diable de lettre que j’étais si loin d’attendre… Mais tiens, faut-il te parler franchement ? Eh bien ! j’approuve ton projet pour plusieurs raisons que j’aurais craint de te dire, si de toi-même tu n’avais pas pris le parti que tu viens d’adopter… Oui, Juliette, il faut nous séparer et rompre aujourd’hui des liens qui ne pouvaient plus long-temps exister entre nous. Une nécessité impérieuse et des considérations plus fortes que la résolution que nous aurions pu prendre de vivre toujours ensemble, nous faisaient depuis long-temps un devoir de renoncer à une existence qui aurait fini par nous devenir à charge à tous deux ; et la proposition inattendue de notre ami nous offre l’occasion favorable de nous séparer, sans que j’aie maintenant à trembler pour ton avenir. Aussi, devons-nous accepter cette circonstance propice comme un arrêt de la Providence, auquel nous serions coupables de résister un seul instant… Oui, ma tendre et bonne amie, nous devons nous séparer, quelques sacrifices que cette séparation puisse imposer à nos cœurs. Toi-même, n’as-tu pas senti trop souvent le vide que la nature de notre liaison laissait dans notre âme, et ne t’es-tu pas adressé les reproches que le monde qui nous entoure se croyait en droit de nous faire ?

— Si, si en effet, souvent je me suis bien cruellement adressé ces reproches ; mais c’est surtout depuis que vous avez commencé à me négliger, que les remords que devait m’inspirer ma conduite passée, m’ont tourmentée de la manière la plus cuisante, et si maintenant j’ai à me féliciter d’avoir pris la détermination que vous venez d’approuver, c’est qu’elle me donne la persuasion d’avoir contribué à vous débarrasser de ma présence, qui, je ne le vois que trop, vous était devenue importune.

— Allons, encore des soupçons sur la générosité de mes sentimens pour toi… Oh ! voilà bien les femmes ! Toujours elles nous rendent responsables du bonheur qu’il n’est pas en notre pouvoir de leur procurer. Voyons, dépendait-il de moi de te rendre aussi heureuse que tu aurais dû l’être dans la position où je me trouvais, et peux-tu avec justice me faire un crime de n’avoir pas eu assez de fortune pour te rendre agréable l’existence que tu m’avais vouée ?

— La fortune, la fortune ! Tiens, mon ami, laissons tout cela de côté aujourd’hui ; c’est un voile bien épais qu’il faut jeter sur le passé… Mais, mon Dieu, que je suis malheureuse ! Il me semble que partout je ne rencontre qu’égoïsme, et que Mathias seul soit venu pour me venger du monde entier et de l’endurcissement de ceux que j’ai aimés plus que lui… Et encore, si, après mon départ de ces tristes lieux, j’étais sûre de laisser quelques regrets ici, je crois que j’abandonnerais pour toujours mon pays avec moins de désespoir… Mais une fois partie, rien pour moi, rien que la triste satisfaction d’avoir contribué au repos de l’homme qui a depuis long-temps cessé de répondre à mon attachement… Oh oui ! oui, pleure, pleure avec moi, mon ami, pour me faire croire encore que tu ne me verras pas m’éloigner avec une joie secrète ou avec une froide indifférence. Oh ! tes larmes ne m’auront jamais fait autant de bien… Tiens, c’est en sortant ainsi de tes bras, mouillée de tes pleurs, émue de tes dernières caresses, que je voudrais m’éloigner rapidement, et disparaître à tes yeux abattus, pour ne te revoir jamais !…

Les derniers désirs de ma pauvre maîtresse furent bientôt exaucés. Je redoutais trop ma propre faiblesse et la sienne, pour ne pas profiter de l’occasion qui s’offrait de prévenir les retours de notre commun entraînement. J’allai trouver le capitaine du bâtiment, qui, dans quelques jours, devait faire voile pour New-York. Le prix et les conditions du passage furent arrêtés entre lui et moi. Dans toute autre circonstance, le zèle et la célérité que je mettais à régler tous les petits préparatifs du voyage, auraient pu inspirer des doutes à mon amie sur le désintéressement et la sincérité de mes sentimens ; mais elle se montrait si résignée et si attendrie, que les soupçons qu’elle avait d’abord conçus, s’évanouirent tout-à-fait dans son âme au moment du départ, pour ne faire place qu’à la sensibilité la plus vive et à la douleur la plus expansive. Moi-même je voulus l’accompagner à quelques lieues en mer, et quand il fallut m’arracher de ses bras, je la laissai évanouie dans la chambre que le capitaine lui avait réservée à bord de son navire…

Le bâtiment s’éloigna, emportant au loin sur les flots, un des êtres qui m’avaient été les plus chers ; et, en me rappelant le départ de Mathias à l’île d’Aix et en voyant ensuite Juliette partir comme lui pour aller le rejoindre si loin de moi, je ne pus m’empêcher de verser des larmes amères sur cette destinée qui semblait me condamner à confier aux caprices de l’Océan, tout ce qui, jusque-là, m’avait le plus intimement attaché à la vie !

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