← Retour

Les Aspirans de marine, volume 2

16px
100%

XVII.
CONTRE-TEMPS. LE PSEUDONYME TRAHI. DÉSAPPOINTEMENT TOTAL.

Le lendemain, j’arrivai de meilleure heure que de coutume chez Olinda. Je la trouvai fondant en larmes ! Une lettre décachetée et tout inondée encore de ses pleurs, était sur ses genoux… Je lui demandai en frissonnant d’effroi, le sujet de la vive affliction qui paraissait l’avoir saisie. Pour toute réponse, ma malheureuse amie me présenta cette lettre fatale, en me disant : — Tiens, lis, et vois si hier j’avais tort !

« Ma chère Demoiselle.

» Je vous savais depuis long-temps femme d’esprit, et je m’étonnais peu de vous voir faire preuve chaque jour dans votre correspondance, des brillantes facultés dont vous avait gratifiée la nature. En daignant répondre comme vous le faisiez à mes lettres, vous n’aviez jusqu’ici, cependant, employé que le langage que je pouvais comprendre, et je vous avouerai que j’étais bien aise que vous voulussiez bien ne pas m’accabler du poids de votre supériorité ; car à mon âge, et avec le peu de mérite littéraire que je me connais, on est quelquefois satisfait d’avoir une maîtresse avec laquelle on puisse s’entendre et correspondre, tout uniment en prose, et comme le commun des mortels ; ce n’est que depuis qu’il vous a pris fantaisie de m’écrire en vers, que j’ai commencé à me sentir honteux de mon insuffisance, et à voir clairement combien j’étais indigne de posséder une muse. Votre prose me suffisait ; vos vers m’humilient, et pour ne pas être exposé à rougir de mon ignorance, en entretenant avec vous un commerce d’esprit au dessus de mes facultés, j’ai pris le sage parti de ne plus me présenter chez vous, et de renoncer à la douceur d’une illusion dont j’ai été si long-temps la dupe.

» Veuillez bien, charmante et chaste muse, recevoir avec indulgence l’expression des regrets de votre prosaïque et dévoué serviteur…

» M*** »

Post-scriptum : « Comme vous pourriez tenir à posséder le brouillon des vers sur lesquels il vous a plu de copier l’épître dont vous m’avez honoré, je vous renvoie les morceaux du poétique canevas, que j’ai ramassés ce matin sur les cendres de votre cheminée.

» J’ai l’honneur, etc… »

— Imprudens que nous avons été ! Nous n’avions seulement pas songé à brûler l’original de cette maudite épître !

— Eh bien, Édouard, quand ce matin encore je te disais que tes vers me porteraient malheur ? Voilà le cachemire que tu me promettais !

— Tu me vois aussi consterné que toi de ce maudit contre-temps !

— Et moi donc, qui maintenant, vais me trouver sans protection, sans ressources, sans asile… Ah ! mon Dieu, que devenir ! mon Dieu, que je suis malheureuse !

— Écoute, Olinda, écoute-moi, s’il est possible, avec un peu de calme et de résignation.

— Non, je ne veux plus que tu m’appelles Olinda, appelle-moi maintenant Juliette : je ne suis plus à lui, je redeviens toute à toi.

— Eh bien, oui. Écoute-moi, ma bonne Juliette. L’événement qui nous frappe est fâcheux, sans doute, et je ne veux pas chercher à t’en dissimuler la gravité ! Mais quelque cruel qu’il soit, je ne vois pas encore qu’il faille nous désespérer ; car il ne nous laisse pas sans ressource aucune. Quoique peu fortuné, je puis disposer de quelque argent qui, ajouté aux petites économies que tu as dû faire, pourra te mettre assez à l’aise, pour vivre, et pour vivre peut-être plus contente que si…

— Des économies ! tu ne sais donc pas que les femmes comme moi n’en font jamais, qu’elles dissipent en vains caprices tout ce qu’elles gagnent dans le déshonneur. Je dois à tout le monde et mes meubles ne sont même plus à moi… Voilà les économies que j’ai faites.

— Eh bien, il te reste encore un moyen de fléchir la rigueur du général ?

— Et lequel ?

— Écris-lui, mais toi-même, cette fois. Écris-lui tout ce qui te viendra dans la tête ; ton désespoir te servira mieux que mon éloquence. Tu as ici de l’encre rouge, dis-lui que c’est avec ton sang que tu lui traces une lettre. Ce procédé a quelquefois réussi dans les circonstances les plus désespérées.

— Tu crois ?

— J’espère du moins. Et puis, si le ciel veut que tu te rapatries avec ton bienfaiteur, je prends ici l’engagement solennel, pour ton repos et pour ton bonheur, de ne plus troubler votre union, et de me contenter loin de toi, de te savoir heureuse sans moi.

— Ah, oui ! pour avoir une occasion favorable de me quitter, en cachant le motif réel de ton abandon sous l’apparence d’un généreux sacrifice… Eh bien ! non, monsieur, vous n’aurez pas la satisfaction de vous montrer aussi noble à si peu de frais, et de jouir aussi facilement du prix d’une mauvaise action. Je n’écrirai pas, et vous me verrez plutôt mettre ma main au feu, que de tracer un seul mot au général. Je ne veux plus implorer le pardon de ma faute, et cette bouteille d’encre rouge qui devait me servir à écrire en caractères menteurs, une lettre humiliante que vous vouliez me faire tracer de mon sang,… voilà le cas que j’en fais…, tenez !… Voyez à présent de votre côté ce qu’il vous reste à faire avec une femme comme moi… Ce soir, je vous avertis que vous ne me retrouverez plus ici, pour peu que vous teniez à me voir encore, et je vous préviens que je vais fuir de cet appartement pour me réfugier dans une mansarde, dans cette même mansarde peut-être où vous m’avez connue si heureuse autrefois, et que je n’aurais jamais dû quitter pour mon honneur, pour votre gloire et pour notre repos.

— Je t’y suivrai, Juliette !… Tu as raison, sortons d’ici, je suis un insensé. Sortons vite…, à l’instant même, sortons…

— Tu m’y suivras, dis-tu !… Oh ! mon ami, que tu me rends heureuse, et que ton cœur, que j’ai trop légèrement soupçonné d’égoïsme et de dureté, est bon et généreux… Oh ! à présent, tiens, me voilà toute consolée ! Vois comme je suis contente. Je pleurais amèrement tout à l’heure, n’est-ce pas ; maintenant je vais chanter, si tu veux, de plaisir et de joie ! Tu sais, mon ami, que je n’étais pas née pour devenir une femme méprisable, et tu ne me confonds pas, toi au moins, avec les dernières créatures de mon sexe. Viens, ne perdons pas un temps précieux pour la félicité que nous allons goûter ensemble, pauvres, mais satisfaits. Je me contenterai d’une vie indigente, s’il le faut, mais moins honteuse que celle que je menais ici au sein d’une aisance qui m’humiliait. Partons tous les deux, allons chercher ensemble un autre asile ; nous en trouverons un. Si petit qu’il soit, il nous suffira et tu l’embelliras à mes yeux. Je n’emporte avec moi d’autre regret que celui d’avoir pris si tard, par nécessité, un parti que ma tranquillité et mon cœur auraient dû plus tôt me dicter. Partons !

Chargement de la publicité...