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Les Aspirans de marine, volume 2

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XV.
INTRIGUE ÉPISTOLAIRE.

Le protecteur d’Olinda était à peine descendu au premier étage, que d’un seul bond je sautai au bas du lit qui m’avait servi de refuge, avec la promptitude et la légèreté d’un lapin qui sort du gîte où il a été traqué.

— Eh bien ! me dit Olinda en se tenant les côtés à force de rire et de mon étonnement et de la scène que venait de me donner le général, que dis-tu de ma vieille autorité ?

— Je dis que jamais je n’aurais deviné celle-là !

— Tu connais l’homme à présent. C’est la seule manie un peu désagréable qu’il ait, et, en vérité, il est si bon enfant sur tout le reste, que je lui passe son seul petit caprice, en faveur de toutes ses excellentes qualités. Sais-tu le plus grand défaut que je lui trouve depuis que je le connais ? C’est de ne pouvoir pas l’aimer.

— Mais il me semble cependant t’avoir entendue lui assurer très-naïvement que tu l’aimais, en lui donnant même d’assez bon cœur une vingtaine de baisers quand il ne t’en demandait qu’un ?

— Oui, je lui contais tout cela, il est vrai, mais ne faut-il pas que je le trompe ? Crois-tu qu’à toi, par exemple, j’aie besoin de t’en dire autant ? Oh ! mais écoute, ce n’est pas tout encore. Je t’ai dit tout à l’heure que la manie d’être savonné par moi était le seul caprice qu’eût mon autorité. Mais il a bien une autre fantaisie encore !

— Et laquelle ? Va, dis hardiment ; je m’attends à tout maintenant.

— C’est la manie de m’écrire tous les jours un petit poulet, et de vouloir que je lui réponde sur l’heure même.

— Et comment t’arranges-tu de cet idiotisme épistolaire ?

— A merveille ! Je lui réponds tout ce qui me passe par la tête, et il trouve que j’ai un style charmant et que je suis une… Comment donc appelle-t-il cela déjà ? Une, une Sé… Sé… Aide-moi donc un peu !

— Une Sévigné, peut-être ?…

— Oui, justement, une Sévigné… A chaque lettre où il croit remarquer un progrès dans ma manière d’écrire, il m’envoie des pâtisseries, des liqueurs, des sucreries, des bijoux même quelquefois, que sais-je enfin, tout ce qu’il croit propre à encourager mon zèle pour la correspondance.

— En ce cas-là, tu feras des progrès immenses, je t’en donne ma parole, et tu sais que jamais je n’ai promis en vain.

— Et comment cela, des progrès immenses ?

— Je t’écrirai toutes tes réponses ; tu les recopieras, et je veux que les bouteilles de liqueur pleuvent chez toi comme autrefois la manne dans le désert. Ah ! il aime le beau style épistolaire, le friand vieillard ! Eh bien ! on lui en donnera !

— Oui, pour ses bijoux, n’est-ce pas ? Ce sera délicieux, ravissant ! Quand je te disais, Édouard, qu’il nous serait si doux de le tromper ! D’autant mieux, vois-tu, qu’il n’y a rien qui m’ennuie plus que d’être obligée de lui faire une lettre tous les jours, quand je ne sais, la plupart du temps, que lui dire.

— As-tu là sa correspondance ?

— Sans doute, puisque je suis obligée de la lire et d’y répondre.

— Donne-la-moi pour que je me mette au fait de sa manière, et que je lui riposte sur-le-champ… L’idée de sa liqueur m’inspire, et je me sens déjà tout en verve !

— Mais j’ai déjà répondu à son épître d’hier. Il vaut mieux, pour entrer en matière, attendre la lettre qu’il ne manquera pas de m’envoyer aujourd’hui…

— C’est vrai… Et si nous déjeunions en attendant ?

— Ah oui ! tu as raison. Ma bonne va nous servir ce qu’elle aura de mieux… C’est une fille discrète, sage, dévouée et qui t’aime déjà comme si elle te connaissait depuis dix ans. C’est elle qui boit avec moi la liqueur du général… Comme hier elle a bien fait ma commission, n’est-ce pas, à ta sortie du spectacle ?… Un vrai trésor, mon ami, un vrai bijou ! Tu resteras ici toute la journée pour ne sortir qu’à la nuit avec précaution, discrétion et sécurité… Mais à quoi penses-tu donc ainsi ? Tu parais tout distrait…

— Je pense à la réponse que je ferai pour toi à l’amoureux et éloquent major-général de la marine au port de Brest.

— Oh ! ce n’est ma foi pas la peine d’y songer tant à l’avance ! Moi, quand j’étais embarrassée, je copiais tout bonnement une lettre de… de la Nouvelle-Héloïse, et il trouvait que j’écrivais comme un ange.

— Peste, le gaillard ! il n’était pas dégoûté, et tu l’as gâté sans le savoir. C’était du Rousseau que tu lui donnais, malheureuse !

— Ah ! dam, écoute, on donne ce que l’on peut quand on n’a pas autre chose sous la main.

Le déjeuner vint ; je le trouvai exquis. Olinda fut d’un enjouement fou, d’une humeur enivrante, et le bonheur qu’elle semblait éprouver à me retrouver, après ma longue absence, la rendit si aimable, que je pensai à peine au temps qu’il me faudrait passer près d’elle, avant de laisser le champ libre au général, pour peu qu’il lui prît envie de venir lui rendre, comme à son ordinaire, quelque visite nocturne.

La lettre quotidienne qu’elle m’avait annoncée que lui écrirait son autorité, arriva au dessert. Je la lus avec empressement comme le type d’une correspondance qui devait commencer à entrer dans mes nouvelles fonctions. L’épître du jour était ainsi conçue :

« Cher amour,

» Ce matin, je vous ai trouvée encore plus belle, s’il est possible, que vous ne l’étiez hier. Je ne sais à quoi attribuer cela, si c’est à votre beauté qui s’épanouit chaque jour progressivement, ou à mon attachement, qui, en s’augmentant, vous rend à chaque minute plus séduisante à mes yeux. Mais, tout ce que je puis vous dire, c’est que je t’aime de tous les sacrifices que je suis disposé à faire pour ton bonheur… J’ai brûlé dans ma vie bien des parfums aux pieds de plus d’une jolie femme ; mais jamais, je crois, je n’ai offert à la beauté, un encens aussi sincère et aussi pur que celui que je fais fumer à tes autels… Charmante mignonne, je t’ai trouvée souffrante ce matin, et ta migraine m’a alarmé ; mais la touchante complaisance avec laquelle tu as vaincu ta douleur, pour sourire à un de mes petits caprices, m’a pénétré jusqu’au cœur ; et, pour consacrer, comme l’époque d’un tendre sacrifice, le moment où j’ai reçu de toi une marque de la plus insigne bonté, j’ai fait graver, sur l’anneau que je t’envoie, la date du jour où tu m’as accordé la preuve la plus précieuse de ton amour et de ta charmante docilité.

» Adieu, mille fois adieu, avec mille baisers de ton tendre et dévoué amant… »

— Mais c’est une lettre tout comme une autre ! dis-je à Olinda après avoir lu le poulet, et elle mérite une réponse, et une réponse en règle encore. Je trouve même que cet homme écrit assez passablement le sentiment pour un officier-général, et, avec trente ans de moins chez l’individu, le style pourrait ma foi, valoir celui de la plupart de nos jeunes faiseurs de billets doux à la semaine. Voyons, ma petite, un verre de liqueur ! Bien ! bois-en d’abord la moitié, — de l’encre, du papier, une plume ; un baiser par dessus tout cela, car il me faut aujourd’hui de l’inspiration… C’est bien, voilà les idées qui commencent à germer dans ma tête, que je sens s’échauffer par degrés…

J’écrivis alors l’épître suivante, entre les assiettes du déjeuner ; Olinda, appuyée sur mon épaule, suivait de l’œil le mouvement fébrile de ma plume. Cela faisait un tableau charmant pour nous.

« Aimable et cher ami,

» Quelque précieuses que soient pour moi toutes vos bontés, je vous dirai qu’elles me jettent souvent dans la plus grande perplexité. Comment, en effet, pourrais-je jamais reconnaître d’une manière digne de vous et des sentimens que vous m’inspirez, les bienfaits dont vous ne cessez de combler une femme qui n’a à vous offrir que son cœur et son amour ? Oh ! Combien je porte envie au sort de celles qui peuvent, par des sacrifices constans et un dévouement sans bornes, répondre à la tendresse qu’elles ont inspirée et au désintéressement de l’amant qu’elles ont choisi ! Mais une si douce satisfaction ne m’est pas réservée, et je sens que si beaucoup d’amour est quelque chose pour vous, c’est encore trop peu pour moi ; et, moins vous êtes exigeant, et plus je m’en veux de ne pouvoir vous prouver que par l’attachement le plus sincère, quel est l’excès de ma reconnaissance.

» Savez-vous que vous êtes mille fois trop bon, aimable ami, de vous occuper de ma migraine ? Votre présence, dont j’ai trop peu joui aujourd’hui, a suffi pour la dissiper ; et quand le cœur est satisfait, il reste bien peu de place à la douleur, même dans la plus mauvaise tête… Votre anneau est divin, et j’espère bien qu’il deviendra un talisman contre tous mes maux, quels qu’ils soient, en me rappelant une des époques les plus douces de ma vie. Mais je ne vous cacherai pas, tout en acceptant vos galanteries, que je suis très-fâchée contre vous ; oui, très-fâchée, mon ami, et tout de bon encore ! Je veux bien que vous m’aimiez à la folie, mais je ne prétends pas que vous fassiez des folies pour me prouver votre amour. Les seuls gages de tendresse auxquels je tienne, ce sont vos charmantes lettres, car ceux-là au moins je puis les porter sur mon cœur, sur ce cœur que vous avez pénétré, méchant, de la plus vive et de la plus inaltérable reconnaissance.

» Je ne dis pas comme vous, mille amitiés, mille baisers, mais une seule amitié et un seul baiser, pourvu que l’un et l’autre soient éternels comme les sentimens de votre affectionnée.

» Olinda. »

— Eh bien ! comment trouves-tu celle-là, pour la première ? demandai-je à ma déité après avoir achevé mon épître d’un seul coup de plume.

— Mais très-bien ! me répondit-elle, trop bien peut-être ; je crains que le progrès du style ne paraisse trop sensible, aux yeux de mon correspondant.

— Bah ! laisse donc ! Un connaisseur qui a pris le style de la Nouvelle-Héloïse pour le tien, pourra, à plus forte raison, te passer le luxe inaccoutumé d’une rédaction d’occasion, d’une épître improvisée entre la poire et le fromage. Ah ! il en verra bien d’autres, va, le luron !

— Oui, mais c’est qu’en m’appropriant les lettres de Julie à son amant, j’avais bien soin de faire des fautes d’orthographe, pour ne pas m’exposer à laisser découvrir un stratagème qui m’aurait trahie.

— Eh bien ! c’est là la précaution qu’il te faudra prendre aussi en copiant mes lettres. Mais voyez donc la ruse de cette petite plagiaire ! Oh ! pour tromper, il n’y a que les femmes ! Elles naissent toutes avec l’instinct des petits détours et de la plus aimable supercherie !… Allons, sans perdre de temps, prends-moi une feuille de papier rose ambrée, et tâche de me copier proprement ce chef-d’œuvre, et en avant surtout les fautes d’orthographe, par précaution !

Olinda copia, dénatura ma missive, du mieux qu’elle put, et quand la besogne fut terminée, nous nous livrâmes, fort contens de notre espièglerie et assez rassurés sur l’avenir, à un entretien demi-sentimental, demi-fou, qui dura jusqu’au soir. Favorisé par les premières ombres de la nuit, j’opérai tranquillement ma retraite du logis, me promettant bien de revenir le lendemain recueillir des nouvelles de l’effet merveilleux que j’attendais de ma première épître à notre vieux et nouveau Saint-Preux.

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