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Les guêpes ­— séries 1 & 2

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C’en est fait,—prends ma vie avec un tel affront,
Le premier dont ma race ait vu rougir son front.

On prend des attitudes abattues,—des airs déshonorés à n’en plus finir.

Dernièrement des carrés de papier (organes de l’opinion publique) avaient fait croire aux Français que l’on jouait à Londres une pièce injurieuse pour notre honneur national,—intitulée le Coq gaulois chante, mais il ne se bat pas.

Les Français se sont indignés, sans penser que pendant quinze ans, en France, il ne s’est pas joué un seul vaudeville,—où il n’y ait eu un Anglais bafoué et battu.

Indignation de plus en plus véhémente des carrés de papier,—et par contre-coup du peuple français.

Pendant ce temps, Victor Bohain,—qui est aujourd’hui à Londres, et qui,—lorsqu’il demeurait à Paris, n’allait au théâtre que pour y dormir,—s’est mis à courir les théâtres de Londres, et n’a pu voir ni la pièce en question, ni rencontrer quelqu’un qui l’eût vue quelque part.

image d’une guêpe PROGRÈS DE L’ANNONCEP:—On lit dans divers journaux:

«M. Lacordaire prêchera dimanche à Notre-Dame, en habit de franciscain

Cela rappelle beaucoup les affiches des théâtres de province qui annonçaient que mademoiselle Georges jouerait avec tous ses diamants.

image d’une guêpe Au bal déguisé de lundi chez la reine, où toutes les femmes étaient brillantes, on a remarqué madame la duchesse de Nemours, qui était admirablement belle dans un costume choisi par le roi, qui avait mis tous ses soins à la rendre encore plus jolie.

Les princes étaient tous fort exactement costumés. On a dansé jusqu’à cinq heures.

Le lendemain,—le prince de Joinville,—le duc de Nemours—et le duc d’Aumale—ont demandé à M. L... un bal où ils sont arrivés déguisés, le premier en débardeur,—le second en hussard,—le duc d’Aumale en marin;—ils se sont fort amusés,—et se sont laissés aller à mille folies, entre autres de déchirer les habits de ceux qui n’étaient pas déguisés.—Leur danse a été si animée, que, dans un établissement public, elle eût inévitablement éveillé la sollicitude des sergents de ville.—Le duc de Nemours a ôté son habit.—Il est possible,—comme dit le vieux journal, le Constitutionnel, dans ses jours de terreurs,—que nous dansions sur un volcan;—mais il faut dire que nous y dansons beaucoup.

image d’une guêpe Voici une anecdote que m’a racontée un jour,—en dînant chez notre ami G***,—ce bon général Clary, qui vient de mourir subitement:

Il était lieutenant, et se trouvait à dîner à la campagne avec le général Lasalle.—Un bourgeois arriva un peu en retard et fort en désordre,—et dit pour s’excuser qu’il avait mis pour la première fois au cabriolet un cheval très-vigoureux qu’il avait;—que le cheval s’était emporté, avait rompu les brancards; que son domestique était blessé, et que c’était un grand hasard si lui n’avait pas été tué;—que, du reste, il avait donné ordre à son domestique de reconduire le cheval sans l’atteler.

—Il est donc bien difficile?—demanda le général Lasalle:

—Si difficile—que je considère comme impossible de l’accoutumer jamais à la voiture.

—Voulez-vous me prêter votre cheval et votre cabriolet pour m’en retourner à la ville après dîner?

—D’abord, mon cabriolet est brisé,—et, ne le fût-il pas, je ne voudrais pas vous exposer à un danger que je crois très-grand et inévitable.

—C’est égal, j’y tiens.—Obligez-moi, mon cher, dit le général au maître de la maison, de me faire avoir un cabriolet.

On veut détourner le général, mais il se montre si décidé, qu’on lui cède.

—Lieutenant Clary, dit-il, voulez-vous m’accompagner?

—Certainement, général.

Après dîner,—on attelle le cheval;—Clary et Lasalle allument chacun un cigare,—et montent dans le cabriolet après avoir subi de nouvelles observations.

Le cheval gagnait à la main, et portait le nez au vent.—Le bruit des roues l’effrayait au point de lui faire faire des bonds convulsifs.—Lasalle, qui était très-vigoureux,—le maintenait de toutes ses forces.—Bientôt il fut obligé de tourner chacune des rênes autour de ses mains;—mais on arriva à une chaussée pavée,—le bruit des roues augmenta;—le cheval devint fou et s’emporta tout à fait, malgré les efforts de Lasalle.—La situation se trouva bientôt très-aggravée par cette circonstance qu’il se rencontra une colline à descendre. «J’avais assez peur,» disait Clary en racontant le fait.

Lasalle me dit: «Faites comme moi.»—Il me donna une des rênes,—il se mit à tirer sur l’autre de ses deux mains.

Mais bah!—le cheval ne courait que plus fort.

Alors Lasalle me dit froidement: «Rendez-moi la rêne.»—Je la lui donnai;—il noua les deux ensemble et les jeta par-dessus le tablier du cabriolet, sur le dos du cheval, croisa les bras et se remit à fumer son cigare, qui n’était pas éteint,—le mien l’était.—Le cheval alors—n’étant plus gêné,—se lança à travers la campagne, franchissant les fossés.

—Voulez-vous du feu, Clary?—me dit le général.

Mais à ce moment—le cheval, le cabriolet, Lasalle et moi, fûmes précipités au fond d’un ravin,—le cheval à moitié mort, le cabriolet brisé,—moi fort étourdi;—Lasalle, debout,—me répéta: «Voulez-vous du feu?»—Ma foi,—je rallumai mon cigare, qu’au moment de la chute j’avais machinalement et convulsivement tenu serré entre mes dents,—et nous continuâmes la route à pied.

image d’une guêpe Dans la discussion des fonds secrets, M. Thiers a dit qu’il n’y a plus à faire que de la politique extérieure,—le tout parce que sa femme ne veut recevoir que des étrangers, et parce qu’elle a du ruban violet et blanc. Ceci veut dire que, manquant d’idées pour gouverner et organiser son pays, il demande à remuer l’Europe pour que le bruit du monde empêche de voir le trouble de la France.

La gauche,—qui faisait de si longs discours contre les fonds secrets,—les a votés,—comme un seul homme,—en faveur de M. Thiers,—les marchande cette fois-ci à son successeur.—On n’est violée qu’une fois, ô gauche! et il est ridicule de jeter de si grands cris à la seconde.

image d’une guêpe Éloquence de M. Taschereau: «Ah!—oh!—hi!—han!—je demande l’appel nominal.»—(A propos de l’armée): «A bas les sinécures!»—A M. Guizot: «Allez à Gand!»—A M. Soult: «Vous n’étiez pas au siége de Troie.»

image d’une guêpe Le rapport des fortifications traîne en longueur à la Chambre des pairs, c’est déjà quelque chose que cette lenteur, comparativement à la pétulance de l’autre Chambre.

image d’une guêpe Nous avons cependant la douleur de répéter ici—que la coalition des Tuileries et du National l’emportera,—que les ambassadeurs, les généraux, les hommes dépendants, et tous ceux qui veulent le devenir,—se joindront pour voter le projet de loi—à une portion de la Chambre très-prononcée contre le projet en paroles, et qui se laissera attendrir. On craint la faiblesse de MM. Pasquier et Portalis.

image d’une guêpe M. Ancelot a été élu à l’Académie;—cette élection est entachée de vaudeville,—il faut l’avouer.

image d’une guêpe M. de Chateaubriand, qui n’écrit plus une ligne sans parler de sa mort et de sa sépulture,—semble s’être fait le saule pleureur de sa propre tombe.

image d’une guêpe La direction de l’Opéra, qui n’est que l’application du 1er mars à l’art dramatique, est menacée d’un changement de ministère.—C’est vers le 1er juin qu’aura lieu cette révolution;—on remarque déjà qu’il n’y a plus que la Favorite et plus de répertoire.


Avril 1841.

Histoire d’un monsieur auquel il manquait trente-quatre sous.—Sur la propriété littéraire.—M. Berville.—M. Chaix-d’Est-Ange.—M. Lherbette.—M. Durand de Romorantin.—M. Hugo.—M. de Lamartine.—Histoire de M. M*** et d’un commissaire de police.—Un mot d’ami sur M. Villemain.—De la valse à deux temps.—Des miracles du puits de Grenelle.—Une histoire d’un voleur.—Sur les fortifications.—A quoi tient un vote.—M. Thorn.—Les fleurs des critiques et des romanciers, et, en particulier, de quelques fleurs de M. Eugène Sue.—Un œillet.—Un mot d’amie.—Un distique sur un avocat.—De la tyrannie et de l’inviolabilité de MM. les comédiens.—La vérité sur mademoiselle Eissler aux États-Unis.—Le timbre, les Guêpes et les cachemires.—De l’éloquence du Palais.—M. Léon Bertrand.—Deux nouvelles étoffes.—L’exposition de peinture.

image d’une guêpe Pour cette fois, je commence bien.—J’ai envoyé mon sommaire aux journaux, et on me fait remarquer que je suis coupable d’un délit.—La loi est formelle.

J’ai dit trente-quatre sous, j’en ai le droit dans mon volume; mais, dans les annonces, je dois dire un franc soixante-dix centimes.—Dans un pays où quatre cents hommes passent leur vie à faire des lois avec d’autant plus d’empressement que, pour les uns,—leur âge, leur fortune et leur position ne les soumettent pas aux lois qu’ils font;—que pour les autres,—tous avocats, toute loi enfante des procès,—il est impossible d’aller de l’église Notre-Dame-de-Lorette au boulevard sans avoir contrevenu à deux ou trois lois et à cinq ou six ordonnances.

Ainsi, si un libraire,—par fantaisie,—s’avisait de mettre dans les annonces qu’il ferait d’un livre de M.*** ces deux vers qui se trouvent dans l’ouvrage:

Le soleil se levait dans une vapeur bleue,
Au bout d’un chemin vert long de plus d’une lieue.

Il voudrait bien dire:

Le soleil se levait dans une vapeur bleue,
Au bout d’un chemin vert long de trois mille neuf cent quatre-vingt-dix-huit mètres.

Autrement,—ceci n’est pas une plaisanterie,—il peut être poursuivi et condamné.

J’ai quelque raison de m’alarmer à ce sujet,—parce que la semaine ne m’a pas été favorable.—J’ai été condamné à la prison pour la garde nationale, et au timbre par je ne sais quel tribunal.—Par suite de quoi, mon premier numéro sera timbré.—Avec quelque pureté de cœur que je me réveille chaque jour, j’ai, depuis quelque temps, bien du mal à me coucher innocent.

image d’une guêpe Parlons de l’homme aux trente-quatre sous:—l’homme aux trente-quatre sous (vieux style) est M. Pelletier-Dulas,—élu député à Château-Chinon, dont l’élection a été annulée par la Chambre à cause qu’il s’en faut de un franc soixante-dix centimes—qu’il paye le cens d’éligibilité.

image d’une guêpe Ce monsieur a paru plus qu’assez audacieux de s’aller ainsi glisser en la compagnie de gens qui payent trente-quatre sous de plus que lui;—on l’a renvoyé avec ses pareils, c’est-à-dire avec des gens qui payent trente-quatre sous de moins que M. Auguis.—Si M. Auguis lit les Guêpes, il doit rire dans sa barbe de ce que je le prends ici pour exemple.

image d’une guêpe Toujours est-il que M. Pelletier-Dulas,—qui, avec trente-quatre sous de plus,—eût fait des lois pour les autres, s’en est retourné à Château-Chinon subir les lois qu’il plaira de faire à ceux qui ont trente-quatre sous de plus que lui.—Et, s’il veut parler en public, il sera obligé de se faire membre de quelque société philanthropique ou scientifique, ou patriotique ou religieuse,—toutes ayant divers prétextes,—mais n’ayant qu’un seul et même but,—ainsi que j’ai déjà eu occasion de le dénoncer, à savoir: de monter sur quelque chose et de parler devant d’autres gens.

image d’une guêpe C’est pourquoi—je suis décidé à ne plus laisser faire cette vieille plaisanterie usée sur la loquacité des femmes—à une époque où les hommes feignent une foule de goûts, de vertus, de vices, de sciences, de missions, de devoirs, etc., pour se rassembler dans des endroits et y parler d’abord, chacun à son tour, au commencement des séances, puis tous à la fois, pour ne pas perdre de temps à écouter.

image d’une guêpe DE LA PROPRIÉTÉ LITTÉRAIRE.—Une des plus grandes preuves de l’amour de la parole dont sont possédés les gens en ce temps-ci est sans contredit—la ridicule discussion sur la propriété littéraire.

Je commencerai par dire que je suis aussi désintéressé dans la question que M. Lherbette ou M. Chaix-d’Est-Ange,—qui n’écrivent pas.

Si j’avais eu besoin ou désir d’argent,—j’aurais fait un tout autre métier que celui de poëte,—métier auquel je ne demande que l’indépendance,—la paresse et la dignité,—acceptant comme argent trouvé—celui qui me revient de mes vers ou de ma prose.

De quoi je donnerai pour preuve,—seulement en ce qui regarde les Guêpes,—que depuis un an et demi que je les publie—je n’ai jamais prétendu tirer aucun bénéfice des reproductions qu’en ont faites les journaux de Paris et surtout de la province,—ne suivant pas en cela l’exemple de mes confrères de la Société des gens de lettres,—Société sur laquelle je me suis suffisamment expliqué—dans mon volume du mois de mars 1840;

Que j’ai refusé formellement de joindre à mon volume quelques pages d’annonces,—pour lesquelles on m’offrait d’assez fortes sommes,—ce que je ferai seulement à prendre du mois prochain,—pour m’aider à payer le timbre, auquel j’aurai à donner six cents francs par mois,—ce que je serais assez embarrassé de faire sans cet expédient.

image d’une guêpe J’avais proposé une loi,—claire et simple suffisamment: La propriété littéraire est une propriété.

M. de Lamartine et quelques bons esprits étaient de mon avis;—mais ils n’ont pas osé proposer à la Chambre quelque chose d’aussi raisonnable, et ils ont pris un terme de cinquante ans, qui a été repoussé.

image d’une guêpe On ne peut,—disait-on, assimiler les œuvres de l’esprit et de l’intelligence aux propriétés grossières et matérielles;—ces œuvres appartiennent à la société,

Tudieu! messieurs, quel respect aujourd’hui et quelle humilité!—cela ressemble beaucoup à l’action de Jacques Clément, qui se met à genoux pour mieux poignarder Henri III.

image d’une guêpe La société,—qu’entendez-vous par ce mot? Qu’est-ce que la société a en commun?—La société qui profitera des œuvres de l’esprit, ce sera, dans vingt ans,—un libraire,—un marchand de quelque chose;—ce sera un Lebigre ou un Ledentu d’une autre époque.—Hélas!—hélas!—mes bons messieurs de la Chambre,—je vous le dis, en vérité,—c’est une loi agraire que vous nous proposez là;—c’est un partage des œuvres de l’intelligence;—et,—je suis forcé de le faire remarquer, messieurs mes représentants,—j’ai toujours vu que les gens qui criaient le plus fort pour le partage étaient ceux qui mettaient le moins à la masse.—Les lois agraires n’ont jamais, a aucune époque que je sache,—été présentées par les gros capitalistes et les riches propriétaires.—Je ne pense pas que M. Roy—ou M. de Boissy—soient fort partisans d’une loi agraire,—messieurs.—C’est un rapprochement qui n’est peut-être pas très-heureux pour vous, messieurs.

image d’une guêpe Je l’ai déjà dit,—ce n’est pas la chose en elle-même qui me frappe;—pour moi, je n’ai jamais demandé beaucoup d’argent à la littérature,—et je puis, quand je voudrai, gagner ma vie à deux ou trois autres métiers que j’ai appris.—Je suis jardinier et laboureur, et je compte pour un bon travailleur sur les bateaux de pêche d’Étretat.

Mais je prends en grande pitié—ces pauvres gens qui s’intitulent conservateurs,—et auxquels on a tant de fois demandé déjà avec raison: «Mais que conservez-vous donc?»

Voici que l’on attaque la propriété—par un de ses côtés, il est vrai, les moins respectés;—mais, quoi qu’il en soit,—c’est toujours la propriété.

Et il ne s’est pas trouvé, à la Chambre, un homme pour dire:

«Messieurs,—il n’y a pas plusieurs sortes de propriété;—la question qui nous est soumise n’existe pas,—la propriété littéraire est garantie par les lois, déjà au moins assez nombreuses, sur la propriété.—Nous n’avons rien à faire;—si nous faisons une loi sur la propriété littéraire, il n’y a pas de raison pour que nous ne fassions pas une loi spéciale sur toutes les formes de la propriété;—et je vous propose une loi—sur chacune des formes que voici:

»Sur la propriété des chapeaux;

Idem    melons cantaloups;
Idem    maraîchers;
Idem    abricots;
Idem    prunes;
Idem    pêches;
Idem    —à l’eau-de-vie;
Idemde l’habit vert de M. Auguis.»

image d’une guêpe Accordez, messieurs, aux œuvres de l’esprit—l’admiration ou le mépris que vous voudrez,—mais, comme propriété, je n’admets ni l’emphase de votre éloge hypocrite,—ni votre dédain superbe; les deux vers dont je viens de trouver la dernière rime—m’appartiennent juste et sans aucune différence comme la planche appartient au menuisier qui vient de la raboter.

image d’une guêpe Il y a un monsieur payant trente-quatre sous de plus que M. Pelletier-Dulas, je retrouverai son nom,—je l’espère.—Ceux qui liront les Guêpes plus tard et qui y verront l’histoire de ce temps-ci—ne me pardonneraient pas de ne leur avoir pas conservé ce nom.

Ledit monsieur a remarqué—que les poëtes avaient plus de talent quand ils étaient plus pauvres,—et qu’il n’y avait conséquemment pas lieu à garantir leurs propriétés, ni à assurer leur fortune.

C’est absolument—comme les huîtres que l’on fait jeûner pour qu’elles soient meilleures à manger;—comme les pauvres volatiles auxquels on crève les yeux pour qu’ils engraissent plus vite;—comme les carpes que l’on fait cuire toutes vivantes pour augmenter leur saveur.

image d’une guêpe Pourquoi,—ô mon bon monsieur! pendant que vous y étiez,—n’avoir pas rédigé la chose en un petit aphorisme,—comme celui de la Cuisinière bourgeoise?

«Le lapin aime être écorché vif, le lièvre préfère attendre.»

«Le poëte aime mourir de faim, le député préfère manger.»

image d’une guêpe Mais, messieurs les conservateurs, si vous aviez, faute de mieux, conservé un peu de sens et de raison—au milieu de la folie universelle,—n’auriez-vous pas remarqué quels terribles arguments vous donnez à l’émeute?

Si moi, par exemple, je croyais et tenais à ma propriété littéraire,—que répondriez-vous à ces paroles que je vous dirais:

«Comment! vous,—monsieur un tel,—vous me niez la propriété des œuvres de mon esprit, de ce que j’ai créé,—de ce qui n’existait pas avant moi!—et vous voulez que je reconnaisse votre droit et celui de vos descendants sur cette belle campagne où vous passez les étés,—sur une portion de la terre, de l’herbe, de l’eau et des fruits, qui existaient avant vous,—qui existeraient sans vous,—qui existeraient malgré vous,—que Dieu nous a donnés à tous en commun, sans que rien en indique le partage;—tandis qu’il a pris la peine de partager à chacun l’intelligence et l’esprit!—Voyez plutôt votre part.»

image d’une guêpe Messieurs,—a dit M. Berville,—il me semble que l’homme de lettres n’est pas trop malheureux;—le président du conseil est un homme de lettres,—le ministre de l’instruction publique est un homme de lettres,—le président du dernier conseil était un homme de lettres,—et le rapporteur de la loi est un homme de lettres.

Très-bien, monsieur Berville,—vous en verrez bien d’autres, je vous assure.—Puisque vous voulez absolument les mettre hors du droit commun,—ils arriveront à tout,—comme cela commence déjà assez bien;—mais ils arriveront comme on entre dans un pays conquis,—en ravageant et en détruisant.

Messieurs les conservateurs, que Dieu vous conserve! car vous vous conservez bien peu vous-mêmes.

image d’une guêpe Il s’est élevé à la Chambre une facétieuse discussion,—qui a donné à MM. Chaix d’Est-Ange,—Lherbette et Durand de Romorantin—une occasion de développer un esprit de galanterie qui doit les avoir mis au mieux dans l’esprit de nos bas-bleus.—Que leurs faveurs leur soient légères!

Ces messieurs voulaient que la femme de lettres fût placée au-dessus de la loi qui régit toutes les autres femmes,—et peu s’en est fallu qu’il ne fût voté cette monstruosité:—«Qu’une femme pourrait publier malgré son mari des ouvrages dont il est moralement, matériellement et légalement responsable,—c’est-à-dire des ouvrages dont chaque ligne peut lui amener un duel ou un procès ruineux.» C’est Me Dupin qui a sauvé la Chambre de ce vote par trop saint-simonien.

image d’une guêpe Voici deux vers faits d’avance pour la postérité, que j’ai trouvés l’autre jour au bas du portrait d’un avocat—chez un de ses amis:—

L’avocat C*** D*** était un vrai malin
Qui défendait la veuve—et faisait l’orphelin.

image d’une guêpe Voici un mot qu’un ami de M. Villemain disait en l’entendant causer l’autre soir: «Mon Dieu! que Villemain est donc aimable! Il ne dit pas un mot de ce qu’il pense, il ne pense pas un mot de ce qu’il dit,—mais qu’il est donc spirituel et gracieux!»

image d’une guêpe M. Mac ***, citoyen médiocre, monte rarement sa garde.—Dernièrement il avait laissé amasser sur sa tête douze jours de prison;—comme tout le monde,—après avoir échappé vingt fois à la vengeance de la société, représentée par MM.—Ripon,—Begouin, Verther, Rostain, etc., et autres gardes municipaux, il fut une fois pris au gîte par un commissaire dûment escorté et orné de son écharpe.

—Messieurs, vous me permettrez de m’habiller?

—Oui, monsieur,—mais je ne vous quitte pas,—nous connaissons les tours,—et cette fois vous ne nous échapperez pas.

—Comme vous voudrez.—Joseph, donne-moi des bas.

—Voici les bas que demande monsieur.

—Quels bas est-ce que tu me donnes là?

M. Mac *** jette les bas sur son lit avec impatience et dit:

—Donne-m’en d’autres.

—En voici d’autres.

—Que diable veux-tu que je fasse de ceux-ci?—Tiens, décidément j’aime mieux les premiers.

M. Mac *** va reprendre les bas qu’il a jetés sur son lit,—mais ils sont tombés dans la ruelle;—il tire un peu le lit,—passe derrière et se baisse pour les ramasser.

—Allons, monsieur,—disait le commissaire,—avouez que vous espériez n’être pas encore pris de sitôt.—Vous en avez attrapé plusieurs.—Mais je me suis chargé moi-même de votre affaire,—et je me suis dit: «Voyons donc le monsieur qui est si malin.»—Eh bien! vous ne trouvez donc pas vos bas?—c’est singulier, ce qu’on perd de temps à chercher ses bas;—moi, c’est mon chapeau que je perds sans cesse.—Dites donc, monsieur, ils sont peut-être restés dessus.—Je suis sûr qu’à la fin de ma vie j’aurai passé huit ans à chercher mon chapeau.—Oh! ça, c’est une plaisanterie.—Monsieur le comte, relevez-vous donc,—je sais bien où vous êtes,—il ne faut pas un quart d’heure pour ramasser une paire de bas.—Allons donc.—Nous n’en finirons jamais.

—Monsieur le commissaire,—dit Joseph,—écoutez un peu.

Le commissaire prêta l’oreille et dit:

—Eh bien! c’est un bruit de voiture? qu’est-ce que ça me fait?—Allons donc, monsieur le comte, finissez donc,—relevez-vous.

—Mais c’est sa voiture qui s’en va,—dit Joseph.

—Qu’est-ce que ça me fait?—répéta le commissaire.

—Ah! c’est que M. le comte est dedans,—ajouta Joseph.

—Comment, comment?

Le commissaire se lève effaré,—tire le lit, cherche—derrière, dessus,—dedans,—dans les armoires,—dans la cheminée;—il s’égare, il perd la tête,—il ouvre deux tiroirs et une tabatière.

—Où est-il?

—Je vous l’ai dit, dans sa voiture—et loin d’ici maintenant.

Enfin, à force de perquisitions,—le commissaire découvre,—derrière le lit,—une porte très-basse—et très-cachée dans la draperie,—qui communiquait avec une autre pièce.

image d’une guêpe DE LA VALSE ET DE LA CONTREDANSE.—Les gens de goût se plaignent de l’invasion de la valse à deux temps qui a été essayée l’hiver dernier,—et est fort à la mode cet hiver;—cette valse est disgracieuse pour les femmes et pis que cela pour les hommes. «Si ceux qui valsent à deux temps,—disait une femme l’autre jour,—se voyaient si ridicules ensemble,—ils ne voudraient plus se retrouver jamais.»—La valse à deux temps fait manquer bien des mariages.—Il n’y a pas d’infidélité ou de caprice qui ne soit justifié par ce mot: «Je l’ai vu valser à deux temps.»

image d’une guêpe Il y a deux ou trois ans,—j’ai écrit en parlant de la contredanse et de la figure du cavalier seul—les lignes qui suivent.—Cette figure a été supprimée depuis.—Il ne tient qu’à moi de prendre cette conséquence pour un résultat,—et, en rapprochant les dates, de m’ériger moi-même en réformateur de la contredanse française.

image d’une guêpe J’ai souvent écouté des gens échanger en dansant des mots—toujours les mêmes—qui semblent faire partie de la contredanse; on dirait un dialogue enseigné par les maîtres de danse au son de la pochette, et pouvant se chanter sur l’air de la trénis ou de la pastourelle, et que l’on répète à toutes les danseuses pendant toute une nuit, sans y rien changer. L’été,—en avant deux,—à droite, chassez à gauche, traversez, balancez vos dames.

—Il fait bien chaud. Ah! oui,—ou—mais non. Vous avez une robe rose; c’est une bien jolie couleur que le rose. (Variante si la robe est bleue: Vous avez une robe bleue; c’est une bien jolie couleur que le bleu).

—Avez-vous été beaucoup au bal cet hiver?

—Il y a beaucoup de bals cette année. J’ai eu le bonheur de vous voir chez (nommer une maison dans laquelle il soit du bon ton d’être admis; il n’est pas nécessaire que vous y alliez réellement).

—Main droite, main gauche,—balancez,—à vos places.

—Finissez par un jeté battu et un assemblé.

—En avant deux.

—On ne fait plus le dos à dos.

—A vos places,—tour de main.

La connaissance devient plus intime, la phrase monte.

—J’adore les cheveux noirs (ou les cheveux blonds, ou les cheveux d’or, selon que la personne est brune, blonde ou rousse).

(—C’est ce que les moralistes appellent:

«Ces danses mêlées de paroles brûlantes et pleines d’enivrements où l’amour prend les formes les plus séduisantes et achève par la parole ce qui n’est que trop bien commencé par la musique et de voluptueux entrelacements.»)

Pastourelle,—conduisez vos dames,—en avant trois, cavalier seul!

J’ai connu des hommes braves et intrépides, dont le corps était couvert de blessures, des hommes que j’avais vus affronter la mort avec le sourire sur les lèvres et un visage impassible. Eh bien! à ce moment solennel du cavalier seul, il n’en est pas un que je n’aie vu hésiter, arranger sa cravate, passer sa main dans ses cheveux pour se donner une contenance, s’embarrasser et sentir rougir de honte, de timidité, de peur, la cicatrice faite à son front par le sabre ennemi.

En effet, l’espace est là ouvert devant vous; un espace qu’il faut remplir de grâce et d’élégance, devant des yeux qui ne sont distraits par rien. Vous êtes sur un théâtre, sans être plus élevé que les spectateurs. Tous les yeux sont sur vous. Votre habit vous gêne; vous rougissez rien que de la peur de rougir; vos yeux se troublent, ne voient plus; vos genoux flageolent et se dérobent; il vous semble à vous-même que vous êtes devenu un de ces pantins dont les jambes et les bras sont mal attachés et prêts à tomber; votre respiration est pénible et embarrassée.

Vous voudriez que le lustre tombât, sinon sur vous, du moins sur quelqu’un, ou que le feu prît à la cheminée.

Le plus funeste accident vous ravirait, pourvu qu’il vînt mettre un terme à votre angoisse.

Vous usez d’une foule de petits subterfuges, vous n’osez regarder ceux qui sont en face de vous. Mais vous êtes embarrassé de sentir que vous baissez les yeux, vous voulez les relever et ils ne vous obéissent pas, ou partout ils rencontrent des regards embarrassants.

Vous avez commencé par marcher, mais vous vous faites des reproches de votre lâcheté; il faut danser franchement, et, dans votre élan de courage, vous commencez un pas que vous n’achevez pas; vous êtes en avance de trois mesures; vous avez fini, la musique va encore, vous vous arrêtez en face des deux dames;—le cavalier médite déjà son pas et s’embarrasse par avance; il aurait pitié de vous, car tout à l’heure il aura besoin de votre pitié; il vous tendrait la main,—mais les femmes! elles vous voient là, rouge, essoufflé, le corps légèrement penché, les mains tendues vers elles, avec un sourire niais et contraint, et elles ne livrent leurs mains aux vôtres pour le tour de main que quand la mesure viendra l’ordonner rigoureusement.

J’ai appris à danser, et je suis assez habile à tous les exercices; je rencontre parfois, dans les rues, un brave homme, maigre et grêle, qui m’a donné des leçons; ce professeur est danseur et joue les diables verts à l’Opéra quand M. Simon est malade. M. Simon est premier diable vert de l’Académie royale de musique et a reçu la croix d’honneur en 1838.

Une fois j’ai essayé de pratiquer les leçons de mon professeur.

Mais, arrivé au cavalier seul, j’ai appelé la mort de meilleur cœur que le bûcheron de La Fontaine.

J’étais si désespéré, que je ne sais si je me serais contenté de la prier de finir, pour moi, mon cavalier seul.

Tout se mit à tourner devant moi: les danseurs avaient des formes étranges.

Le piano ricanait et se moquait de moi.

Les figures des tableaux se tenaient les côtes et riaient aux éclats.

Les bougies dansaient dans les candélabres en me contrefaisant; et le cornet à piston me sembla la trompette du jugement dernier; hélas! on me jugeait, en effet, un sot et un maladroit.

Tout disparut; je ne sais comment cela finit, je me retrouvai à ma place, près de la femme que j’avais engagée à danser; je n’osai plus lui parler, ni la regarder. Je ne voyais pas son visage, mais il me semblait apercevoir du mépris jusque dans ses pieds, et dans les plis de sa robe.

Jamais, depuis, je n’ai osé m’exposer à un pareil supplice.

image d’une guêpe ELOQUENCE DU PALAIS.—Le 6 mars 1841, devant le premier conseil de guerre de la ville de Paris, Me Pinède, avocat, a dit: «Le poignard est un instrument odieux;—il est le symbole de la lâcheté, aussi, c’est dans d’autres climats qu’on le CULTIVE, mais en France jamais

image d’une guêpe LES MIRACLES DU PUITS DE GRENELLE.—Les bourgeois les plus notables de Paris ont reçu sous enveloppe un billet rose dont voici le spécimen:

Ministère de l’intérieur.

Ce billet est personnel.

M                                    est autorisé à visiter, avec sa
société, l’intérieur du puits de Grenelle.

Le directeur des Beaux-Arts,

CAVÉ.

Nota. Ce billet n’est valable que pour une fois, et doit être déposé en descendant. Les cannes, paquets, parapluies et chiens, doivent être déposés à l’orifice, chez le concierge du puits.

Beaucoup desdits bourgeois s’y sont présentés, et ont été fort surpris quand on leur a fait remarquer qu’on ne pouvait les introduire, eux et leur société, dans l’intérieur du puits, dont l’orifice n’a que quelques centimètres de largeur.—On a eu beaucoup de peine à leur faire comprendre qu’ils avaient été mystifiés.

Lors de l’érection de l’obélisque,—des billets semblables ont été envoyés pour visiter l’intérieur de l’obélisque. Après avoir frappé aux quatre faces du monolithe sans qu’on leur ouvrît,—plusieurs privilégiés s’en sont pris au marchand de dattes qui se tient d’ordinaire à ses pieds de granit.

image d’une guêpe On vend trois sous, par les rues,—avec l’autorisation du préfet de police,—une brochure grise,—dans laquelle on trouve l’anecdote que voici:

«Un riche chaudronnier, demeurant rue Louis-Philippe, 17. le sieur D..., atteint de la goutte, ayant entendu dire que l’eau du puits de Grenelle le guérirait immédiatement, parvint, avec la protection d’un des principaux ouvriers de M. Mulot, ingénieur en chef, à approcher du jet; il emplit une bouilloire de cette eau bienfaisante, et, rentré chez lui, il se préparait à en faire usage lorsqu’il ne fut pas peu étonné de trouver au fond de sa bouilloire un anneau dit alliance en or. Il ouvrit la bague en présence de sa femme; mais à peine eut-il jeté les yeux sur les chiffres gravés à l’intérieur, qu’il devint presque fou de surprise et de joie. La femme, effrayée de cet état de délire, appela les voisins, et, quand le sieur D... fut un peu calmé, il leur raconta que le jour où il quittait le département du Puy-de-Dôme pour venir à Paris, n’emportant pour toute fortune que l’anneau d’alliance de sa mère, il laissa tomber cette même bague dans une espèce de lac très-profond, situé au versant d’une des montagnes de l’ancienne Auvergne; les noms de son père et de sa mère, qui se lisent parfaitement dans la partie concave de l’anneau, ne peuvent lui laisser aucun doute sur l’identité. La science se charge d’expliquer ce que ce brave homme regarde comme un miracle, ou, pour mieux dire, ce singulier événement ne fait que venir à l’appui de tout ce que les savants ont avancé pour expliquer le jet des puits artésiens.

»On assure que depuis ce temps une foule de gens se pressent pour recueillir de cette eau souterraine, que l’on continue de vanter pour la guérison des rhumatismes aigus et des douleurs de toute sorte.»

Voilà la littérature que le gouvernement protége et entoure de sa sollicitude éclairée.

image d’une guêpe UNE HISTOIRE DE VOLEUR.—On a ri beaucoup ces jours derniers de l’embarras d’un homme qui, reconnaissant sur le dos d’un voleur un habit qui lui avait été dérobé, prit son voleur au collet, et, après une lutte de quelques instants, le lâcha dans la crainte de déchirer son habit.

image d’une guêpe M. TH.D’UNE FEMME DU MONDE, D’UN SOULIER ET D’UNE MAISON SUSPECT.—J’ai parlé déjà d’un Américain qui donne à Paris des bals, dans lesquels il impose une étiquette de son invention, et des conditions humiliantes auxquelles se soumettent les gens les mieux nés et les mieux élevés pour ne pas être exclus des invitations, et j’ai reproché à ces derniers le peu de dignité de leurs concessions. Au dernier de ces bals, M. le duc ***, nom dont la terminaison ressemble beaucoup à celle du mien,—devait être présenté chez M. Th... par madame de ***. Cette dame arriva dans la maison plus tard qu’elle ne l’avait prévu,—et le duc l’attendit dans un des premiers salons. M. Th... se promenait alors d’une façon toute royale,—jetant un mot aux uns, jetant un signe de tête aux autres,—lorsqu’il avisa M***, qui se perdait de son mieux dans la foule, pour ne pas être remarqué du maître de la maison avant que la présentation fût faite.—Mais M. Th... alla droit à lui et lui dit: «Monsieur, je n’ai pas l’honneur de vous connaître,—comment vous appelez-vous?»

Cette question, peu convenable en elle-même et fort peu corrigée par l’urbanité de ton avec laquelle elle était faite,—troubla un moment M***, accoutumé à d’autres façons; cependant il répondit: «Je suis M***,» et il prononça son nom, en ajoutant: «Je dois vous être présenté par madame ***.» M. Th...,—frappé de la consonnance, s’écria:

—Comment, monsieur, vous vous permettez de venir chez moi,—après vos plaisanteries...

—Mais, monsieur,—reprit M***.

—Mais, monsieur,—répliqua M. Th...

—Je ne vous comprends pas.

—Ni moi,—vous.

—Je suis le duc ***.

—Le duc?

***

—Ah! pardon, j’avais entendu un autre nom.

Si vous me connaissiez, mon bon monsieur Th...,—vous sauriez—que je ne vais pas dans le monde,—que je ne vais pas partout,—que mes goûts et ma paresse me rendent peu assidu dans des maisons meilleures et plus haut placées que la vôtre—où l’on m’accueille avec bienveillance,—que je ne me glisse nulle part,—que je refuse beaucoup d’invitations et n’en ai de ma vie sollicité aucune;—je ne suis pas assez grand seigneur pour pouvoir me permettre de ne pas choisir beaucoup ma société.

image d’une guêpe SUR LES FORTIFICATIONS.—A quoi tient un vote.—La discussion de la Chambre des pairs, qui n’est pas encore terminée au moment où j’écris ces lignes, est entièrement conforme à ma prédiction.—Les antifortificationnistes—(c’est le barbarisme qu’amène aux Chambres toute loi nouvelle) ont eu sur leurs adversaires un immense avantage, et ont démontré, jusqu’à l’évidence, l’absurdité du projet.

Les bonnes gens s’étonnent de ceci, que, grâce à quelques bons esprits qui se glissent dans les Chambres,—et en plus grand nombre à la Chambre des pairs,—il arrive presque toujours que les questions importantes sont présentées sous leur véritable jour,—et que, cependant, après que le vrai, le juste et le raisonnable ont été démontrés, les Chambres ont assez fréquemment le malheur de voter le contraire de ce qui ressort évidemment de la discussion.

Il faut dire aux bonnes gens,—d’abord que le nombre fait loi,—et ensuite que le plus grand nombre vote pour ou contre le ministère systématiquement,—et que les lumières qui jaillissent de la discussion (quand elles jaillissent) peuvent avoir de l’influence sur l’esprit des votants, mais pas sur leur vote.

On racontait à la dernière représentation de l’Opéra qu’un général, connu par la protection libérale qu’il accorde aux arts,—avait consulté, dans le vote qu’il a promis, beaucoup moins ses connaissances et son expérience—que la promesse exécutée d’avance du rengagement de mademoiselle *** à l’Académie royale de musique.

image d’une guêpe DES FLEURS, DES CRITIQUES ET DES ROMANCIERS,—et, en particulier,—de quelques fleurs de M. EUGÈNE SUE.

Il semblerait que, pour être journaliste,—c’est-à-dire pour distribuer chaque jour, sans appel,—la louange et le blâme aux hommes et aux choses,—pour assigner à chacun son rang et son mérite, il faudrait avoir affermi son esprit par l’étude, son jugement par l’expérience, et son impartialité par une position acquise assez élevée pour se sentir inaccessible à l’envie. Il semble que le journalisme devrait être réellement un sacerdoce au lieu de se décerner à lui-même ce nom comme il fait;—et se composer d’écrivains émérites,—de prud’hommes reçus et assermentés.

Au lieu de cela,—c’est par les journaux que l’on débute aujourd’hui, et que les plus jeunes gens et les plus inexpérimentés—commencent par attaquer et assiéger par la critique et le dénigrement—les positions qu’ils ne se sentent pas le courage ni la force d’emporter par le travail et le talent.

Aussi n’y trouve-t-on que ce que vous savez,—et ce n’est qu’après sept ou huit années d’autocratie au bas d’un carré de papier,—sept ou huit années pendant lesquelles il a maltraité tous les talents de l’époque, qu’un feuilletoniste—essaye presque toujours infructueusement de donner enfin le modèle après le précepte;—d’écrire un livre qui montre au monde ravi comment il faut faire, et qu’il s’efforce de monter personnellement sur les piédestaux dont il a renversé les statues importunes. Ce sont des tentatives fécondes en avortements,—et, si le plus fameux critique de ce temps-ci,—Gustave Planche,—a imaginé le titre de Béatrice deotati qu’il a fait annoncer sur la couverture des livres mis en vente par le libraire Gosselin, il est juste de dire,—qu’il n’a jamais rien imaginé au delà—et qu’il lui a été impossible d’écrire la première ligne de l’ouvrage annoncé.

M. de Balzac, mon ex-ami, est en ce moment très-fâché contre moi,—il est décidé à ne plus me voir, quoique nous soupions quelquefois ensemble,—et, quand je me trouve placé devant lui,—pour ne pas tourner les yeux de mon côté, il se prive volontairement de toute la partie de l’univers qui se trouve derrière moi. Je n’en dois pas moins dire que, dans la petite revue parisienne qu’il a publiée pendant quelques mois,—il a fait quelques chapitres de critique littéraire fort remarquables—et qui avaient toutes sortes de mérites,—outre celui de venir d’un homme expert en la chose dont il parlait,—et du premier de nos romanciers.

image d’une guêpe Quand la critique n’est pas faite par un homme de semblable portée,—par un homme qui a fait ses preuves,—et son chef d’œuvre, comme disent les compagnons du devoir,—c’est un métier un peu plus humble que ne semblent le croire ceux qui l’exercent.—C’est,—on l’a dit avec raison,—le métier de chiffonniers, qui gagnent leur vie en cherchant des ordures.—Le premier des critiques est immédiatement au-dessous du dernier des producteurs,—et le ton de supériorité que prennent ces messieurs à l’égard des écrivains les plus distingués a pour eux-mêmes le désagrément d’être parfaitement ridicules.

image d’une guêpe Vous me permettrez, mon cher Sue, d’être un peu aussi critique et envieux, et de me venger sur quelques-unes de vos lignes du succès de vos ouvrages.

Si je parle souvent des fleurs et des arbres,—et des prairies, et des bois, et de la mer,—c’est que c’est là que s’est passée toute ma jeunesse et que se passe encore la meilleure partie de ma vie.—Aussi, suis-je fort expert en ces choses,-et n’est-il personne qui me puisse prendre, en aucun de mes livres, à donner à une fleur une autre couleur que la sienne,—ou à la faire épanouir en une autre saison que celle qui lui a été assignée par la nature.—Je les connais parce que je les aime,—parce que je vis avec elles.—Si je vous dis aujourd’hui que les cerisiers sont en fleurs,—ce n’est pas un effet de style que je cherche, c’est que j’ai dans mon jardin des cerisiers en fleurs, et que je viens de quitter la plume pour les aller voir un moment, c’est que c’est pour moi un événement, et des plus importants, qu’une belle journée de soleil.

Comment, vous,—vous qui avez des fleurs et une serre dans votre charmante retraite,—vous avez commis les énormités que voici:

Vous faites fleurir non-seulement l’aubépine en même temps que les premières violettes, mais encore—l’héliotrope et le jasmin,—vous faites des bouquets dont chacune des fleurs qui les composent est séparée des autres par deux ou trois mois.

Mais je vois la source de votre erreur,—vous êtes un jardinier fashionable,—vous vous en êtes rapporté à votre serre, qui vous a trompé—en vous donnant en mars des fleurs du mois de juin et du mois de juillet.

image d’une guêpe Mais il y a quelque part un homme qui, depuis une dizaine d’années que je fais par-ci par-là quelques livres,—a passé une partie de sa vie à me reprocher de parler trop des fleurs et de parler trop de moi,—qu’il soit content, je vais un peu parler de lui.—Je l’attendais au coin de la première phrase qu’il ferait lui-même.

La fantaisie vous en a donc pris aussi de parler de vous-même, monsieur,—dans les conseils, assez raisonnables du reste, que vous donnez à des jeunes gens,—en leur montrant les écueils de la carrière littéraire et en leur disant: «J’étais bien plus heureux quand j’étais OBSCUR ET IGNORÉ,—quand je voyais le soleil à travers la clématite ROSES de ma fenêtre.»

Je ne ferai pas remarquer—l’ambition de ce temps passé j’étais,—mais je vous dirai—que vous me semblez mettre de côté quelques lambeaux des livres que vous déchirez, un peu comme les tailleurs rognent le drap qu’on leur confie, et vous vous parez de ces lambeaux avec peu de discernement. Tenez, monsieur, voyez à quoi vous vous exposez,—vous donnez le droit à tout le monde de vous dire: «Non, monsieur, vous n’avez jamais vu le soleil à travers les clématites roses de votre fenêtre.»

Parce qu’il n’y a de clématite rose sur aucune fenêtre;—parce que je vous offre dix mille francs de votre clématite rose.

Et de quoi voulez-vous que je parle,—si je ne parle de moi?—Où voulez-vous que je prenne les incidents, les passions, les joies et les douleurs que je vous raconte dans mes livres,—si ce n’est dans ma vie et dans mon cœur:—on n’invente qu’avec le souvenir.

Il y a eu au Luxembourg une exposition d’horticulture,—dans laquelle figurait un œillet de mon nom;—je ne sais pas celui de l’horticulteur que je dois remercier du plaisir que cela m’a fait.

image d’une guêpe DE LA TYRANNIE ET DE L’INVIOLABILITÉ DE MESSIEURS LES COMÉDIEN.—Messieurs les comédiens plus ou moins ordinaires persistent dans leurs prétentions, non pas d’être bons comédiens,—mais d’être bourgeois estimés dans leur quartier,—gardes nationaux exacts,—bons époux et enterrés au Père-Lachaise.

M. de Longpré a fait une comédie sur les comédiens, les comédiens du Vaudeville ont refusé de la jouer, sous prétexte que leur profession n’y est pas représentée avec les égards convenables.—Je ne connais pas la pièce de M. de Longpré,—mais je le défie bien de nous montrer des comédiens plus ridicules que ceux que ces messieurs nous montrent quelquefois pour notre argent et aujourd’hui pour rien.

Comment, messieurs, vous acceptez parfaitement des appointements avec lesquels on payerait six présidents de cour royale et vingt-cinq juges d’instruction,—le dernier d’entre vous refuserait ceux d’un sous-préfet;—je ne trouve pas cela mauvais,—mais on ne peut séparer la médaille de son revers;—sans cela, les sons-préfets, les présidents de cour royale et les juges d’instruction joueraient vos rôles et vous feraient jouer les leurs.

Comment, messieurs, vous qui, par état, jouez et ridiculisez tout, les rois,—les prêtres,—les poëtes,—les savants,—les médecins,—les diplomates,—non-seulement par des comédies,—mais parfois aussi par les façons grotesques dont vous les représentez au sérieux, vous avez la prétention d’être seuls à l’abri de la satire!—Allons, messieurs, à notre tour nous réclamons le bénéfice de l’égalité que vous continuez à demander du haut de votre supériorité actuelle.

image d’une guêpe On reprochait à madame *** d’être un peu sévère pour un de ses amis,—lequel est, il faut le dire, un de ces caractères bourrus, désagréables, pour lesquels il faut toujours se rappeler qu’ils sont les plus honnêtes gens du monde pour pouvoir les supporter un instant.

Il vous est si dévoué, lui disait-on,—il se jetterait à l’eau pour vous sauver. «Que voulez-vous, reprit madame ***, je ne me noie jamais et il m’ennuie toujours.»

image d’une guêpe M. Bertrand,—dont j’ai raconté la fin déplorable il y a deux mois, n’est pas si pendu que je l’avais cru,—il a pris; au contraire, la direction du Journal des Chasseurs, un des plus amusants recueils que je connaisse;—il n’en est pas moins la bête noire de ces messieurs de la liste civile. M. de Sahune a dit qu’il donnerait plutôt sa démission au roi qu’une permission à M. Bertrand.—M. de Fos en a perdu le sommeil;—enfin, pour éviter qu’il soit introduit par ruse dans les forêts de l’État,—on va faire une nouvelle rédaction de permission:—au nombre des défenses expresses expliquées sur chacune, on ajouterait celle d’emmener M. Bertrand.

M. Bertrand ne se rappelle avoir tué depuis 1830,—sans jamais avoir été pris par les gardes,—quoique l’objet d’une surveillance spéciale,—que cent cinquante mauvais chevreuils.

image d’une guêpe Maintenant que les journaux nous ont fait assez de récits prodigieux sur les succès,—que dis-je? sur les triomphes de mademoiselle Elssler aux États-Unis;—qu’ils nous ont montré assez de magistrats dételant les chevaux, s’attelant à la voiture et la traînant au théâtre,—il est bon de dire la vérité:—mademoiselle Elssler n’a pas même pu obtenir qu’on abolît pour elle l’usage de faire cirer et frotter les planches du théâtre;—elle a objecté qu’elle se tuerait;—on lui a répondu un peu brutalement que cela serait malheureux,—mais que, si on ne cirait pas le théâtre, ce serait inconvenant, et que, entre une inconvenance et un malheur, on ne pouvait pas hésiter,—qu’ainsi on continuerait à cirer et à frotter.

image d’une guêpe J’ai inutilement demandé à l’administration du timbre qu’on fît un timbre particulier pour les livres,—qu’il s’agit, je crois, non pas de salir, mais de marquer.—A la Chambre des députés, il a été un moment question d’apposer un poinçon, une sorte de timbre, sur les châles de Cachemire,—on a repoussé la proposition parce que cela gâterait les châles.

image d’une guêpe Je vais probablement adresser une pétition à la Chambre à ce sujet,—mais il y a là plus de marchands de châles et de représentants de marchands de châles que d’écrivains,—et cela ne servira qu’à faire constater la supériorité des châles sur les livres.

image d’une guêpe J’ai vu dans un article de modes—les noms de deux nouvelles étoffes:—l’une, qui se vend chez Delille, s’appelle ailes de Guêpes,—l’autre, je ne sais où,—s’appelle baarpoor.—Comment aller demander du baarpoor,—comment se rappeler cela,—et ensuite comment le prononcer?

image d’une guêpe MUSÉE DU LOUVRE.—Ici encore, je n’ai ni le droit ni l’intention de répéter ce que j’ai dit l’année dernière sur ce sujet.—Vous me permettrez de vous renvoyer au volume des Guêpes d’avril 1840, page 171,—où vous trouverez des choses fort bonnes à lire.

J’ajouterai à ce que j’ai dit alors sur le jury que ce n’est pas à MM. Garnier, Picot, Bidault et autres académiciens de l’école de David pour le moins que je m’en prendrais de la partialité quelquefois choquante de leurs jugements;—mais à MM. Horace Vernet, Delaroche, Blondel, Abel Pujol, Hersent, etc., qui, portés par la jeune école, s’abstiennent d’assister aux délibérations du jury, sous prétexte d’indignation,—et laissent sans contre-poids et sans protestations les décisions de leurs confrères plus assidus,—semblables en cela aux gens qui ne soignent pas leurs amis malades, sous prétexte de sensibilité.

image d’une guêpe Joignez à cela que MM. Ingres et Schnetz sont tous deux en sens inverses sur la route d’Italie.

L’année passée, le duc d’Orléans a acheté un tableau de M. Rousseau, paysagiste habituellement repoussé par le jury.

image d’une guêpe Cette année,—mon ami Couveley avait envoyé deux tableaux, résultats d’études très-intéressantes, faites dans un voyage récent dans l’Orient; le premier, acheté par M. Aguado, avait été loué par le roi lui-même;—le second était une esquisse de très-petite dimension, à peine terminée et sans aucune importance aux yeux de son auteur;—le jury a accepté l’esquisse et refusé le tableau.—Couveley a fait savoir à M. Aguado qu’il lui rendait sa parole et ne le considérait pas comme obligé de prendre son tableau déshonoré.—M. Aguado a eu le bon goût de s’en rapporter à lui-même et de répondre qu’il gardait la parole et le tableau de Couveley,—et que de plus il permettrait qu’il fût visité dans sa galerie.

image d’une guêpe Un autre de mes amis,—Ferret,—l’homme le plus consciencieux dans son travail, le plus dénué d’intrigue,—qui a exposé depuis plusieurs années des œuvres de peinture sévère qui ont attiré l’attention des peintres et des connaisseurs, a été repoussé.

Madame *** avait présenté quatre tableaux peints par elle, deux sous son nom, deux sous le nom de ses élèves;—on a accepté les derniers et refusé les autres.—Un des tableaux refusés est exposé chez Giroux,—avec une inscription constatant le fait, etc., etc.

Je vais maintenant vous parler au hasard de quelques tableaux qui ont attiré mon attention dans les visites peu fréquentes que j’ai faites au Louvre, pour les raisons que j’ai déduites l’année dernière.

196.—Chinois qui d’abord ont l’air d’être peints par eux-mêmes, comme les Français de M. Curmer,—mais en réalité le sont par M. Borget.

1429.—Deux joueurs d’échecs, par M. Meissonnier;—c’est un petit tableau grand comme une tabatière,—mais plein d’esprit et de finesse.

2018.—Portrait en pied de madame la duchesse de Nemours, par M. Franck Vinterhalter.—On sait que la duchesse de Nemours est une très-charmante personne.—Je ne trouve pas que M. Vinterhalter ait réussi dans toutes les parties de son ouvrage;—tout ce qui est costume est peint d’une façon remarquable, les fleurs qui entourent la princesse sont rendues avec une rare perfection et une grande richesse,—mais le ton de la chair manque de distinction.

1037.—Le Relancer du sanglier, par M. Jadin.—Magnifique cadre de bois sculpté.—Un des chiens n’a que trois pattes.—La funeste habitude qu’a prise M. Jadin de ne donner que trois pattes aux chiens est encore bien plus évidente dans le tableau 1036: Hallali,—cadre encore plus beau que le précédent; c’est le même, doré.

24.—Les Bergers de Virgile, par M. Aligny, sont d’un vert que j’ai eu le plaisir de ne jamais rencontrer jusqu’ici sur des figures humaines. On me dit que cela a du style,—je laisse dire.

1050.—Une fantaisie de Tony Johannot; une des figures n’est pas aussi jolie que celles qu’il fait d’ordinaire; elle est surtout trop grande;—les accessoires sont peints avec beaucoup de bonheur.

1717—1719,—par M. Robert Fleury,—les deux meilleurs tableaux de cette année à mon sens:—de la pensée et de la peinture.—C’est bien beau.—Je ne connais rien de plus beau, excepté les pastels si distingués, si purs, si nobles, de M. Maréchal, de Metz, 1772,—1773,—1774.

547.—Cette toile représente le portrait—d’un magnifique canapé de velours cramoisi.—Je voudrais qu’on ôtât le monsieur que l’on a mis dessus et qui me dérobe une partie du canapé.

704.—Une Chasse au Lion.—Une des manies des peintres est de donner au lion la figure humaine.—Qui veulent-ils flatter?—Un des lions de M. Finard a l’attitude d’un homme qui, dans un duel, les bras croisés, attend que son adversaire ait fait feu sur lui.—Il y a bien aussi un cheval bleu,—mais, comme je ne suis pas allé en Afrique,—je ne puis prendre sur moi d’affirmer qu’il n’y a pas de chevaux bleus en Afrique.

1131.—A la bonne heure:—voici une Madeleine repentante.—On nous fait toujours des Madeleines ravissantes de beauté, de jeunesse et de fraîcheur,—comme si on se repentait d’autres péchés que de ceux qu’on ne peut plus faire,—comme si on allait encombrer à la fois sa vie de crimes et de remords.—Les remords d’une belle femme, ce sont des regrets. La Madeleine de M. Laby—est à l’âge et dans l’état d’avaries où une femme peut se repentir sans que personne le puisse trouver mauvais.

1047.—Un monsieur laid et mal peint.

646.—Le ciel reflété dans l’eau de ce paysage a plus de solidité que le ciel réel,—qui a l’air d’être le reflet de l’autre.

1060.—Portrait d’un pâté de jambon.

1822.—Ce tableau représente des lions à deux fins.—C’est un animal ressemblant à la fois au lion et au chameau.

209.—Un portrait de femme.—Je ne dis que cela, et je gage qu’on ne m’en saura pas gré.

650.—M. E. L. dans un désert, avec des éperons et une cravache.

—La vue s’étend à trois lieues, et on n’aperçoit pas le moindre cheval.

108.—Attaque du Teniah.—Ce tableau est de M. Bellangé.—Malgré l’énorme et désagréable quantité de couleur garance dont il est tacheté par le sujet, il a des qualités remarquables.

—Les hommes tués et blessés sont bien tombés.—Les terrains sont très-bien peints.

1439.—A la bonne heure, voici la mer.

1373.—Ève et le Serpent.—Ève est rose vif,—le serpent lilas ardent,—l’arbre vert furieux.—Une grande plante assez bien peinte jaune féroce.—L’arc-en-ciel ferait soupçonner Dieu d’être élève d’Ingres, si on le compare à ce tableau.—Théophile Gautier me dit que c’est très-beau.—Je n’en crois pas un mot.

2013.—Voici un tableau aussi charmant que ceux de MM. Robert, Henry et Maréchal;—c’est une grande mare l’hiver, par M. Wickembourg; quelle vérité! quelle perfection!—la glace y est glissante;—il y fait froid.

26.—Ceci a encore ses admirateurs:—c’est un rond de papier rose dans un rond de papier d’or qui est dans un carré de papier bleu.

M. Amaury Duval,—jeune peintre fort estimé de ses confrères,—a encore exposé un portrait de madame Véry—qui est une très-belle personne.—Je ne sais vraiment pas comment je l’ai reconnue,—toujours est-il que je ne voudrais pas qu’elle le sût.

1892.—Portrait d’un foulard,—d’une touffe de capucines et d’une blanchisseuse.—La blanchisseuse et la touffe de capucines ne valent pas grand’chose;—le foulard est réussi—assez pour indiquer à l’auteur sa véritable vocation.—Il peint très-bien les foulards.

210.—Une figure par M. Louis Boulanger.—Tant pis pour vous, madame, pourquoi vous faites-vous peindre et exposer?—je dirai que vous avez la figure d’une poupée d’enfant,—que vos mains, qui sont belles et bien peintes, ont tort de faire tourner leurs pouces;—quant à votre robe qui paraît être de papier peint,—ce doit être la faute de M. Louis Boulanger.

1745.—Tant pis pour vous aussi, madame: je dirai que vous êtes bleue.

1057.—Poissons rouges très-bien faits;—beaucoup les préfèrent dans le bassin des Tuileries.

image d’une guêpe Mon voisin M. Alaux et M. Galait ont fait chacun un tableau très-estimé.—Les peintres préfèrent celui de M. Alaux,—moi j’aime mieux celui de M. Galait, quoiqu’il ait fait mieux d’autres fois.

image d’une guêpe Je continue à ne pas me rendre compte des tableaux de M. Delacroix,—La composition de la Prise de Constantinople ressemble beaucoup à celle de la Justice de Trajan de l’année dernière:—le groupe des cavaliers est assez beau;—il y a là dedans, à la fois, de l’harmonie et une confusion qui fatigue.—Dans le tableau du naufrage, la mer est perpendiculaire;—je la préfère horizontale, mais cela vient peut-être de ce que je l’ai toujours vue ainsi. Je n’aime pas beaucoup la peinture de M. Delacroix: ceci n’est pas un blâme, c’est une façon de sentir.—Je lui rends néanmoins la justice de dire qu’il est original et toujours lui-même,—et qu’on reconnaîtrait au milieu de deux mille toiles une esquisse de lui grande comme la main.

image d’une guêpe Encore un mot sur six petits tableaux de M. Gudin dans un même cadre;—plusieurs sont fort jolis;—et sur une petite, toute petite toile de M. Diaz, d’une couleur féerique.—Le pauvre cadre de bois, si simple, qui entoure l’étude de femme de M. Jourdy, m’a fait désirer tout d’abord que son tableau fût bon, et j’ai été heureux de voir toutes les excellentes qualités de sa peinture.—J’en oublie des meilleurs et sans doute aussi des plus mauvais, mais j’ai la tête brisée,—je m’en vais,—je paye à la peinture chaque année un tribut de cinq migraines,—celle-ci est la cinquième, je suis quitte,—adieu.


Mai 1841.

Les lettres attribuées au roi.—M. Partarrieu-Lafosse patauge.-Me Berryer.—Embarras où me met le verdict du jury.—Opinion de saint Paul sur ce sujet.—La Contemporaine.—Une heureuse idée de M. Gabriel Delessert.—Sang-froid de M. Soumet.—M. Passy (Hippolyte-Philibert).—Un mot de l’archevêque de Paris.—Le faubourg Saint-Germain et un employé de la préfecture de la Seine.—De M. Grandin, député, et de son magnifique discours.—J’ai la douleur de n’être pas de son avis.—M. Hortensius de Saint-Albin.—Deux petites filles.—Une singularité du roi.—Réalisation du rêve d’Henry Monnier.—Paris malade.—Vertus parlementaires.—A mes lecteurs.—Une église par la diligence.—Récompense honnête.—Récompense moins honnête.—Pensées diverses de M. C.-M.-A. Dugrivel.—Les concerts.—De M. S*** improprement appelé Sedlitz.—Steeple-chase.—Choses diverses.—M. Lebon.—Les gants jaunes.—Des amis.—Un proverbe.

image d’une guêpe MAI.—Les lettres.—Voici ce qui est arrivé pour les lettres attribuées au roi dont j’ai déjà parlé. Il paraît qu’on en a autrefois déjà racheté quelques-unes, mais que Sa Majesté, impatienté d’en voir toujours reparaître de nouvelles, aurait dit à M. le comte de Montalivet, qui lui en parlait:

—Je ne réponds pas de ce que j’ai pu écrire il y a trente ans; j’étais en émigration;—je n’étais pas toujours sûr de mon dîner.—J’ai pu écrire des choses assez singulières.—Mais, pour ce qui est des lettres que l’on m’attribue depuis que je suis roi de France, je suis certain de ne pas les avoir écrites.

Et le roi, qui n’aime guère à donner de l’argent quand il ne s’agit pas de moellons ou de menuiserie, a défendu qu’on achetât les lettres.

Le journal la France, qui n’avait publié les lettres qu’après trois ou quatre autres carrés de papier,—a été mis en cause et accusé par M. Partarrieu-Lafosse—d’abord de faux,—puis ensuite d’offense à la personne du roi.

Le ministère public a abandonné l’accusation de faux par la raison qu’un faux ne pouvait être affirmé que par des experts écrivains,—que leurs erreurs ont une notoriété comique, et que, s’ils s’avisaient de déclarer les lettres réellement écrites de la main du roi, la monarchie dite de juillet—se trouverait dans une situation plus qu’équivoque.

Que si, au contraire, les accusés étaient condamnés, les experts, que la presse eût proclamés infaillibles dans le premier cas, seraient nécessairement, dans le second, accusés d’ignorance et de corruption.

Raisons qui ne me paraissent que spécieuses.

Pour moi, je ne crois pas les lettres vraies,—par cela seulement qu’il y a des choses qui s’enchaînent entre elles,—et que l’homme qui aurait eu de telles pensées, par cela même ne les eût pas confiées aux hasards du papier, en un mot, parce que cela serait trop bête.

image d’une guêpe Le jour de l’audience, M. Partarrieu-Lafosse,—monté sur son siége,—a commencé à travailler.

Il a parlé assez longtemps et assez mal. M. Berryer, qui est peut-être le seul orateur de cette époque où on parle tant, lui a répondu par une plaidoirie—forte, habile, perfide, insinuante et audacieuse.

MM. les jurés se sont retirés dans leur chambre et en sont sortis au bout d’une demi-heure, avec un verdict d’acquittement.

Comme la question primitivement posée était celle-ci:

«Le prévenu est-il coupable d’avoir, par la publication de telles et telles lettres, offensé la personne du roi?»

Le verdict du jury aurait voulu dire seulement que—le gérant de la France, n’ayant fait imprimer lesdites lettres qu’après les avoir vues imprimées dans d’autres feuilles, sans que leur publication fût l’objet d’autres poursuites,—et aussi longtemps auparavant, en Angleterre, sans que l’ambassade s’en fût occupée,—a pu être de bonne foi.

Mais M. Partarrieu-Lafosse—ayant eu le malheur de dire dans son réquisitoire:

«Si les lettres étaient vraies, il en résulterait ceci; qu’un roi élu en 1830 pour répondre aux sentiments nationaux et aux sympathies patriotiques du pays, aurait, sur tous les points, déserté ces sentiments et ces sympathies; qu’il aurait participé à l’écrasement de la Pologne pour servir les intérêts de la Russie; qu’il aurait promis à l’Angleterre l’abandon d’Alger pour mieux assurer la perpétuité de sa dynastie, et non pas la perpétuité de l’ordre monarchique et constitutionnel, dont il semblerait préméditer la ruine; qu’enfin, il aurait conçu des desseins tyranniques pour contenir à son gré la capitale du royaume, et pour tourner contre les citoyens un projet destiné uniquement à repousser les attaques des ennemis de la France.

»Voilà, messieurs, la pensée de ces lettres, et, je vous le demande, comment qualifieriez-vous un roi qui aurait pu les écrire? Ne diriez-vous pas que c’est un de ces tyrans qui ne procèdent que par voie de dissimulation, et dont le langage public est en opposition flagrante avec les pensées qu’ils ont au fond du cœur?»

La réponse du jury,—les journaux du lendemain aidant, a été prise dans le public—comme admettant l’authenticité des lettres.

Ce qui m’a, au premier moment, un peu embarrassé, moi qui, à propos de ces malheureuses lettres, dans le numéro des Guêpes de février 1841, me suis avisé de dire: «Certes, si les lettres étaient authentiques, le roi n’aurait absolument qu’à s’en aller.»

image d’une guêpe Et je ne serais pas sans inquiétude sur la manière dont le parquet apprécierait mon appréciation—si M. Partarrieu n’avait été beaucoup plus loin que moi dans sa plaidoirie.—Ce ne serait toujours pas lui,—il ne l’oserait pas,—qui porterait la parole contre moi;—quoique j’aime mieux, le cas échéant, être accusé par lui que par un autre,—vu le peu de succès avec lequel il a travaillé dans cette circonstance.

Je ne félicite pas le parti légitimiste de la nouvelle recrue qu’il a faite dans la personne de la Contemporaine,—qui, il y a une douzaine d’années, a obtenu une sorte de célébrité en vendant le récit de ce qu’elle ne pouvait plus vendre en réalité;—récit qui a servi de cadre à quelques hommes d’esprit pour faire les Mémoires d’une contemporaine.

N’est-ce pas saint Paul qui a dit: La lettre tue;

Il a bien ajouté, il est vrai: L’esprit vivifie;—mais c’est qu’il y a dans cette affaire plus de lettres que d’esprit.

image d’une guêpe Un empereur romain disait, dans une circonstance différente: «Je voudrais ne savoir pas écrire.»

image d’une guêpe Résumons: le public a pris le verdict du jury en ce sens que les lettres sont déclarées authentiques.—Le public se trompe, le jury n’a pas dit que les lettres fussent du roi, mais il n’a pas dit non plus qu’elles ne fussent pas de lui.—L’honneur de Louis-Philippe exige que cette question soit résolue sans la moindre ambiguïté.

image d’une guêpe TRAIT DE SANG-FROID DE M. SOUMET.—On a donné, le même jour, au Théâtre-Français, deux pièces de M. Soumet;—cet écrivain qui, depuis un mois, a publié un poëme épique (la divine Épopée), une tragédie (le Gladiateur), et une comédie (le Chêne du roi), me paraît produire dans des proportions telles, que l’on a à peine le temps de lire aussi vite qu’il fait imprimer;—certes, s’il continue à aller de ce train-là, il suffira seul à la consommation de ce qui reste de lecteurs en France, où tout le monde écrit aujourd’hui,—et on pourrait, je crois, sans inconvénient supprimer tous ses confrères.

M. Soumet, pour montrer son sang-froid et la certitude qu’il avait d’avance de son double succès, raconte lui-même qu’il a fort bien dîné ce jour-là, et qu’il a mangé un poulet aux truffes.

image d’une guêpe Un des collègues de M. Passy (Hippolyte-Philibert)—a dit de lui: «Il a toute la suffisance et toute l’insuffisance d’un parvenu.»

image d’une guêpe M. GABRIEL DELESSERT.—M. le préfet de police a eu une heureuse idée relativement aux voitures.

Les numéros qu’on oblige les propriétaires de faire peindre sur les panneaux ont pour but de les empêcher d’échapper par la fuite à la punition des accidents qu’ils peuvent causer.

Il a donc imposé aux fiacres et aux cabriolets de place,—voitures d’une lenteur notoire et proverbiale,—traînés par des restes et par des ombres de chevaux,—d’énormes numéros dorés.

Aux cabriolets de régie,—qui vont beaucoup plus vite,—des numéros très-petits et très-étroits.

Et, enfin, aux cabriolets et aux carrosses bourgeois, qui seuls ont des chevaux vifs,—vigoureux et indociles,—qui seuls peuvent causer des accidents,—qui seuls peuvent s’échapper rapidement, d’imperceptibles numéros,—dont s’abstiennent même tout à fait la plupart des voitures à quatre roues.

image d’une guêpe UN MOT DE L’ARCHEVÊQUE DE PARIS.—On raconte de monseigneur Affre, archevêque de Paris,—qui signe Denis,—que, n’étant encore que simple abbé, il se trouva dans une voiture publique avec un jeune homme du commerce, voltairien qui courait la France pour placer du calicot et décrier l’Être suprême,—parlait fort légèrement du gouvernement d’alors et réservait toute son admiration pour ses articles—tant en toile qu’en coton.

Le commis voyageur, voyant un prêtre, pensa qu’il serait de bon goût de l’insulter et d’amuser à ses dépens les autres personnes encaquées avec eux dans la diligence.

—Monsieur l’abbé, lui dit-il, savez-vous quelle différence il y a ent reun âne et un évêque?

—Non, monsieur, répondit modestement l’abbé.

—Eh bien! je vais vous l’apprendre:—c’est que l’évêque porte la croix sur la poitrine et que l’âne la porte sur le dos.

On rit beaucoup dans la voiture.—L’abbé laissa s’apaiser la joie de ses compagnons de voyage, et dit au jeune homme du commerce:

—Et vous, monsieur, pourriez-vous me dire, à votre tour, quelle différence il y a entre un âne et un commis voyageur?

Le jeune homme chercha longtemps et finit par dire:

—Ma foi, monsieur l’abbé,—je ne sais pas.

—Ni moi non plus, monsieur, reprit l’abbé.

J’aime mieux cela que son mandement à l’occasion du baptême du comte de Paris.

image d’une guêpe UN EMPLOYÉ DE LA VILLE DE PARIS.—Pendant que le faubourg Saint-Germain devient plus noble que jamais et recompte ses quartiers avec des scrupules inusités, l’homme qui est chargé par la ville de mettre les noms des rues retranche inexorablement tous les de, et intitule les rues

Rue Richelieu,

Rue Condé,

Rue Grammont,

Rue Béthisy,

Rue Astorg, etc., etc.

Personne ne dérange ce monsieur, qui va toujours son train, dégradant tous les noms.

image d’une guêpe DE M. GRANDIN, DÉPUTÉ.—M. Grandin est député.—Je ne sais pas bien précisément ce que vend l’honorable membre de la Chambre basse, mais à coup sûr il est marchand de quelque chose.—Je crois qu’il vend du drap, mais je n’en suis pas sûr.

M. Grandin a cru devoir monter à la tribune,—et a dit:

«Messieurs, certes, c’est un homme estimable que celui qui abandonne sa famille et traverse les mers pour porter au loin les produits de son industrie;—mais, il faut le dire, il y a des négociants indignes qui vendent sur les marchés étrangers des marchandises de mauvaise qualité,—des marchandises impudiques

On se demandait beaucoup dans la Chambre—ce que M. Grandin entend par les marchandises impudiques.—Au milieu d’un grand nombre d’avis,—on s’est généralement réuni à celui de M. Hortensius de Saint-Albin, jeune magistrat frisé,—qui a pensé que cela devait s’entendre—des sous-jupes,—dont on parle tant dans les journaux.

image d’une guêpe Pour ce qui est de la première partie du remarquable discours de M. Grandin, je dirai que l’homme qui abandonne sa famille pour traverser les mers et aller porter au loin les produits de son industrie—peut, au moins, à aussi juste titre, être appelé—pour ce fait, intéressé qu’estimable.

image d’une guêpe Il y a même bien peu de temps que je me laissai aller à rêver sur ce sujet et que j’arrivai à une conclusion toute différente de celle de M. Grandin.

image d’une guêpe C’était un peu avant le coucher du soleil,—une grande nuée grise voilait les riches reflets orangés de l’horizon,—le soleil, caché par ces tristes vapeurs, laissait tomber par une étroite déchirure du nuage de longs faisceaux de rayons pâles.

La mer paraissait noire et roulait le galet avec un bruit sourd, quoique aucune agitation ne parût à sa surface;—par moments, des bouffées de vent venaient du sud-ouest.

La nuée grise s’étendait sur la mer en montant et laissait un moment l’horizon découvert;—il paraissait alors d’un bleu pâle légèrement cuivré; mais d’autres vapeurs plus noires, qui semblaient monter de la mer, ne tardaient pas à former de nouvelles nuées qui venaient épaissir celles qui tendaient le ciel d’un crêpe funèbre;—tout était sombre, le ciel et la mer;—le bruit intérieur de la mer augmentait;—on voyait par instants de longues lames blanches courir sur la mer et venir du large à la plage, où elles se brisaient écumantes en pluie fine que le vent emportait au loin.

Dans un moment—où l’horizon était clair et limpide,—je vis se découper sur son front verdâtre la silhouette noire d’un navire.

Et je trouvai l’homme plus grand que je ne l’avais jamais vu,—en pensant à l’audace qui le fait ainsi traverser les mers sur de frêles embarcations, et je me dis: «Est-ce que par hasard l’homme serait grand?»

Mais bientôt je pensai que ces hommes qui étaient sur ce navire étaient des marchands;—qu’ils allaient vendre et acheter, et gagner de l’argent,—et que tout ce grand courage n’était que de l’avidité.—Je m’écriai avec Horace: «Celui-là avait le cœur entouré d’un triple airain qui, le premier, confia sa vie à un navire;»—et je restai triste sur la plage.

image d’une guêpe DEUX PETITES FILLES.—M. Villemain a une petite fille qui a sur son gentil visage tout l’esprit de son père,—c’était la manière la plus adroite de lui ressembler.—Il y a quelques jours, elle jouait avec la plus jeune des filles de Victor Hugo.

(Victor Hugo a les plus beaux enfants du monde,—en les voyant on ne s’étonne pas qu’il parle si bien des enfants et qu’il les aime avec tant de tendresse.—Il y a quelque temps,—dans une maison—où étaient MM. de Lamartine,—de Balzac,—Théophile Gautier,—Eugène Sue—et madame de Girardin, on le pria de dire quelques vers,—j’insistai beaucoup pour les Oiseaux envolés, et pour cette autre pièce où il raconte son enfance dans un grand jardin;—quand il s’arrêta, nous pleurions tous.)

La petite Hugo montra à la petite Villemain ses plus beaux joujoux;—celle-ci ne voulut pas demeurer en reste,—lui fit des siens des récits superbes et ajouta—qu’elle avait planté dans le jardin du ministère des oignons de jacinthe et qu’ils avaient produit des fleurs magnifiques, mais déjà fanées.—«Tu viendras les voir au printemps, l’an prochain,» dit-elle;—puis tout à coup sa figure devint pensive,—et, se ravisant, elle ajouta: «Ah! c’est que nous n’y serons peut-être plus.»

image d’une guêpe Entre les enfants, les petits garçons—ne sont pas précisément des hommes plus petits,—ils n’ont aucun des goûts, aucun des intérêts qui occuperont plus tard leur existence; mais les petites filles ont déjà toutes les grâces et toutes les coquetteries de la femme;—une petite fille n’est qu’une femme très-petite, une femme que l’on regarderait en retournant la lorgnette; on marierait une petite fille de six ans sans l’étonner;—une petite fille de six ans est prête à tout.

image d’une guêpe Le roi, qui commande très-souvent des tableaux de bataille, a une singulière antipathie qui embarrasse quelquefois beaucoup les peintres;—il ne peut pas voir un homme sous les pieds d’un cheval;—s’il a trouvé une semblable scène dans une esquisse, il la fait effacer;—cela ôte de la vérité à une bataille, quelque peu sanglante qu’on la veuille faire.

image d’une guêpe Dans l’édition originale publiée par livraisons et timbrée ainsi que l’auteur l’explique plus haut, la page où chaque fois est placé le timbre—ne porte que ces mots: Page salie par le fisc.

image d’une guêpe LE VŒU D’HENRY MONNIER.—Henry Monnier—(que diable est-il devenu, que je ne le rencontre plus jamais?) nous a dit depuis longtemps, dans une de ses spirituelles boutades, que son vœu le plus ardent était de voir réunis les fils des pairs de France avec les fils des marchands de peaux de lapins.—Cette heureuse fusion est faite,—car on sait que l’honorable colonel Th...,—dont les fils ont pour camarades, et presque pour courtisans, des fils de pairs de France,—a fait sa fortune dans le commerce des peaux de buffles.—Les buffles étaient autrefois de très-gros lapins de l’Amérique.

image d’une guêpe PARIS.—Paris a été fort malade tout le mois dernier.—Depuis que le choléra y a passé,—il en reste toujours quelque chose.—Les médecins appellent cela des diminutifs les plus jolis et les plus coquets,—cholérine,—cholérinette, etc. Mais, néanmoins, quelques-uns en meurent,—et beaucoup en sont fort malades.—A d’autres, cela produit un effet meilleur pour eux, mais plus fâcheux: ils deviennent bêtes et méchants, de bons et spirituels qu’ils étaient.

image d’une guêpe VERTUS PARLEMENTAIRES.—La proposition Remilly s’est encore présentée sous une nouvelle forme.

Cette proposition, quelque figure qu’elle prenne, continue à n’être pas autre chose que ceci:

Deux partis se disputent le pouvoir.

Comme le pouvoir a ceci de particulier, à l’époque où nous vivons, qu’il ne peut rien;—quand je dis pouvoir,—lisez places et argent.

image d’une guêpe Le parti vaincu met immédiatement en avant la proposition Remilly, qui a pour but de déclarer incompatibles les fonctions de député avec toutes fonctions salariées.

Le parti vainqueur,—qui est naturellement en majorité, puisque c’est le nombre qui a décidé de la victoire,—et que d’ailleurs une partie des vaincus s’est ralliée à lui avec fureur,—repousse ladite proposition Remilly.

Quand les autres arriveront au pouvoir (lisez places et argent) à leur tour,—par trahison, coalition, etc., etc.,—ils auront à repousser à leur tour la même proposition, qu’ils soutenaient si morale et si indispensable contre ceux qui la veulent aujourd’hui et qui la repoussaient hier.

La proposition Remilly, en un mot, sera toujours présentée,—et ne sera jamais admise.

image d’une guêpe A MES LECTEURS.—Je vous avais annoncé,—mes chers lecteurs,—que, pour payer une partie du timbre auquel je suis condamné, comme vous pouvez le voir,—j’admettrais une demi-feuille d’annonces.

Mais à peine cette résolution a-t-elle été connue qu’il s’est présenté de toutes parts—des sirops indécents,—des pastilles obscènes,—des vêtements immoraux,—des pâtes contraires aux bonnes mœurs,—des fécules barbares,—des instruments immodestes,—des bonbons immondes,—une foule, en un mot, de ces marchandises impudiques, comme dit l’honorable M. Grandin,—qui encombrent quotidiennement la quatrième page des grands carrés de papier—se disant les organes de l’opinion publique.

J’ai repoussé les annonces,—j’ai payé, je paye et je payerai le timbre de mon propre argent.

image d’une guêpe Pendant que je parle des grands journaux, il faut que je demande pourquoi on les lit.—Voici de quoi ils se composent invariablement:

Un grand article,—appelé premier Paris,—contenant des réflexions sur la situation,—c’est une tartine délayée,—c’est un insipide brouet clair,—dans lequel il n’y a rien que le lecteur puisse comprendre;—cette série de longues phrases, de grands mots qui, semblables aux corps matériels, sont sonores à proportion qu’ils sont creux,—est un logogriphe qui veut dire, pour les initiés, différentes choses dont vous ne vous doutez pas, et qui n’ont aucun rapport avec ce que vous croyez y comprendre.

Voici un article pour les fortifications,—que croyez-vous que cela veuille dire?—rien autre chose que ceci: «Mademoiselle***, danseuse très-maigre, est rengagée à l’Académie royale de musique.»

Et cette longue dissertation sur la guerre d’Alger et contre le général Bugeaud?

Que la femme de M.*** n’a pas encore le bureau de tabac qu’elle sollicite, etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc.

—Continuons:

Nouvelles étrangères.—Les mêmes, dans tous les journaux,—toutes puisées à la même source,—chaque journal les tient d’un seul et même M. Havas, qui en a l’entreprise.

image d’une guêpe Nouvelles diverses.—Les mêmes dans tous les journaux,—chacun prend celles que les autres donnaient la veille.

image d’une guêpe Chambre des pairs.—Chambre des députés.—Les mêmes dans tous les journaux,—les journaux du matin les prennent sur les journaux du soir.

Réclames.—Éloges divers,—tarifés et payés.

image d’une guêpe Annonces.—La kyrielle de marchandises dont je vous parlais tout à l’heure.

Ces deux articles n’ont pas plus de variété que les autres,—ils sont identiquement les mêmes dans les divers journaux,—qui sont parfaitement de même avis sur tout ce qui se paye un franc la ligne.

Amusez-vous bien.

image d’une guêpe UNE ÉGLISE.—Envoyer de Toulouse à Paris par la diligence une église que Clément Boulanger était allé y peindre,—cela eût été dispendieux; c’est pour cela qu’il n’a rien au Salon cette année. Les Toulousains sont très-contents de ses tableaux et voudraient le garder,—lui, autant que je me le rappelle, aime le pâté de foie de canard,—je crains qu’il ne reste quelque temps encore.

Pendant ce temps, madame Élise Boulanger enrichit un catéchisme de ses gracieux dessins,—je n’en connais qu’une Madeleine pénitente beaucoup trop jolie—qui m’a fait m’écrier: «Quel dommage! elle pécherait si bien encore!»

image d’une guêpe UNE RÉCOMPENSE HONNÊTE.—En 1836,—M. Gudin a exposé un grand tableau qui a été fort remarqué.—Ce tableau représentait l’entrée du Havre, vu de la rade,—au moment où y entrait le navire le Casimir Delavigne.

Ce tableau fut donné par le roi à la ville d’Avignon, laquelle ville d’Avignon en a été fort reconnaissante, mais ne l’a jamais reçu.—Le député d’Avignon—dont je ne sais pas le nom, mais qui porte des moustaches—a été chargé de le réclamer instamment.—Il n’est pas probable que le tableau soit en route depuis cinq ans sans être arrivé à sa destination;—on s’occupe de chercher ce tableau, qui n’a pas moins de douze pieds de haut, de la cave aux combles du Louvre;—on ne le trouve pas.

image d’une guêpe Le parti légitimiste a manqué deux occasions de se montrer généreux.

A la vente des dames de la Miséricorde, faite dans les salons de M. J. de Castellane par toutes les belles dames légitimistes, il y avait plusieurs ouvrages de la duchesse d’Angoulême,—entre autres un coffre en tapisserie, qui était coté cent francs.

Pendant les cinq jours qu’a duré la vente, il ne s’est présenté personne qui voulût mettre ce prix à l’ouvrage de la dauphine.

Ce qui s’est le plus vendu, ça été des torchons; on trouvait très-plaisant d’aller en marchander aux duchesses et aux princesses, qui les déployaient; elles en ont vendu étonnamment.

Cet élan modéré rappelle celui qu’a excité la souscription faite par M. de Brézé pour le buste du duc de Bordeaux,—elle a rapporté fort peu de chose;—on a remarqué, parmi les souscriptions envoyées à M. Vernes, celle-ci, qui montre un touchant sacrifice:

«M. B***, vingt francs—qu’il a trouvés.»

Les belles vendeuses ont prié M. de Castellane, en récompense de leur zèle charitable—de leur donner sur son théâtre une représentation secrète de Passé Minuit.—Il est toujours bon et encourageant que la vertu soit récompensée... ne fût-ce que par le vice.

La pièce n’a pas été jouée sur le théâtre, mais dans un petit salon.

Une des scènes les plus piquantes de la pièce est celle où l’acteur au lit,—en costume de nuit,—semble toujours sur le point de se lever brusquement,—et entretient le public dans une appréhension continuelle de ce qu’il va montrer,—jusqu’au moment où il se lève en chemise.

C’est M. de Tully qui a joué le rôle d’Arnal, et qui s’en est,—dit-on,—tiré à merveille.

Ces dames n’ont nullement paru embarrassées de revoir, quelques instants après, dans le salon, l’acteur qui venait de jouer devant elles un rôle aussi singulier.

Ces façons-là deviennent fort à la mode;—j’avouerai qu’entre deux excès, puisque la plupart des femmes ne peuvent faire autrement,—je préférerais encore la pruderie. Mais je ne dis plus un mot de toutes ces choses;—on prend trop mal les observations que j’ai faites en d’autres circonstances, et je suis assez lâche avec les femmes.

—Comme l’autre matin j’attendais qu’une personne à laquelle je faisais une visite, pût me recevoir,—je trouvai dans le salon un petit volume intitulé:

PENSÉES DIVERSES

par C.-M.-A. Dugrivel.

Et je me mis à le parcourir au hasard.—Je veux vous donner part au plaisir que j’y ai pris.

PREMIÈRE PENSÉE DE M. C.-M.-A. DUGRIVEL, p. 23.—«Ce que l’on dit et ce que l’on pense NE SONT pas toujours d’accord.»

Cela a déjà été dit,—mais est heureusement rajeuni par l’expression ne sont.

DEUXIÈME PENSÉE DE M. C.-M.-A. DUGRIVEL, p. 96.—«La plupart des hommes, vus de près, sont rarement ce qu’ils paraissent de loin.»

Celle-ci est hardie, mais le moraliste, le philosophe, ne doit pas reculer devant sa pensée, quelque choquante qu’elle puisse être pour les opinions reçues.—D’ailleurs, quelque audacieuse qu’elle puisse paraître, cette pensée de M. C.-M.-A. Dugrivel n’est contraire ni aux bonnes mœurs, ni à la religion, ni à la charte.

QUATRIÈME PENSÉE DE M. C.-M.-A. DUGRIVEL, p. 100.—«L’ingratitude est la monnaie dont se paye le plus souvent un bienfait.»

Il faut l’avouer,—cette pensée est triste;—est-il donc vrai que le philosophe ne peut se livrer à une étude un peu approfondie sans y découvrir des choses aussi affligeantes,—et doit-on réellement lui savoir gré de sa découverte?

CINQUIÈME PENSÉE DE M. C.-M.-A. DUGRIVEL, p. 111.—«L’avarice, examinée de près, sent bien la crapule.»

Attrape!—j’aime qu’on dise leur fait aux hommes et à leurs passions.—La philosophie n’a pas pour but de dire des douceurs à son semblable,—et je suis content de voir M. C.-M.-A. Dugrivel morigéner l’homme et le tancer de la bonne façon.

SIXIÈME PENSÉE DE M. C.-M.-A. DUGRIVEL, p. 117.—«Il est des gens toujours amis de ceux qui sont au pouvoir.»

Bravo!—il est possible que cela déplaise à M. Passy—(Hippolyte-Philibert), mais rien n’arrête M. Dugrivel: ni la hardiesse de la pensée,—ni les dangers de l’application.

SEPTIÈME PENSÉE DE M. C.-M.-A. DUGRIVEL, p. 169.—«Je me venge des méchants par une pensée contre la perversité humaine,—mes armes sont bien innocentes.»

Très-innocentes, en effet, monsieur C.-M.-A. Dugrivel.

HUITIÈME PENSÉE DE M. C.-M.-A. DUGRIVEL, p. 171.—«Il est tout naturel que l’homme cultive les arts et l’industrie, puisqu’ils contribuent à augmenter son bonheur.»

NEUVIÈME PENSÉE DE M. C.-M.-A. DUGRIVEL, p. 210.—«Si la brutalité produit des êtres vivants, comment la pensée ne produirait-elle rien?»

DIXIÈME PENSÉE DE M. C.-M.-A. DUGRIVEL, p. 211.—«La vie est un songe.»

Pardon, monsieur C.-M.-A. Dugrivel,—ceci n’est-il pas un peu risqué?

ONZIÈME PENSÉE DE M. C.-M.-A. DUGRIVEL, p. 200.—«La fortune est aveugle et rend aveugle. Paradoxe!»

DOUZIÈME PENSÉE de M. C.-M.-A. DUGRIVEL.—«L’amabilité est un agrément qui n’est pas propre à embellir toutes les personnes.»

image d’une guêpe Je ne puis citer davantage: je vous renvoie au livre imprimé en 1841,—qui se vend chez Debécourt, à Paris, rue des Saints-Pères, 69. Le volume se compose de deux cent quinze pages, chaque page renferme au moins cinq pensées.—C’est-à-dire mille et soixante-quinze pensées.

image d’une guêpe LES CONCERTS.—Je divise les choses dites plaisirs en deux classes:—les plaisirs qui m’amusent et les plaisirs qui m’ennuient;—je préfère les premiers, et je m’abstiens obstinément des seconds.

Ceci vous paraît, au premier abord, une pensée dans le genre de celles de M. C.-M.-A. Dugrivel;—eh bien! soyez de bonne foi, et vous verrez que c’est plus difficile que vous ne pensez.—Repassez dans votre mémoire la semaine qui vient de s’écouler, et voyez si vous n’avez pas consacré quelque soirée à quelque plaisir qui vous aura parfaitement ennuyé.

Je ne vais jamais au théâtre,—et beaucoup moins encore dans les concerts.

Je l’ai déjà dit, si je n’étais pas fils d’un piano célèbre, les pianistes auraient affaire à moi.

Ils jouent aujourd’hui plus pour les yeux que pour les oreilles,—et frappent sur leur clavier comme s’ils avaient peur qu’on ne sût pas que c’est de bois. M. Listz a, presque chaque fois qu’il joue, un piano tué sous lui. Au dernier, il a joué debout;—il jouera couché au prochain.—Mais que voulez-vous que fassent ces pauvres diables?—les éloges les perdent.—Dernièrement, un homme, qui du reste a ordinairement de l’esprit,—disait qu’il aimait voir un pianiste pantelant.—Il arrive très-souvent à M. Listz,—quand il vient d’exécuter sa musique pantelante,—de terminer en se laissant tomber inanimé sur son piano.—On trouve cela ravissant. Au concert de M. Chopin,—auquel je n’assistais pas, on m’a raconté que, le morceau fini, M. Listz, qui ne jouait pas du piano, mais qui voulait absolument jouer un rôle,—se précipita sur M. Chopin pour le soutenir, pensant qu’il allait se trouver mal.

image d’une guêpe Depuis que Schubert est mort,—sous prétexte de trois belles mélodies qu’il a laissées,—tout le monde s’amuse à faire des choses plus ou moins incolores et ennuyeuses et surtout dénuées de mélodie, qu’on publie sous son nom,—et auxquelles les gens accordent la même admiration qu’à ses meilleurs ouvrages.

image d’une guêpe Dans une maison—où je me trouvais dernièrement,—on a amené un jeune phénomène:—c’était un enfant de douze ans très-fort sur le piano. Il s’est assis et a commencé, puis imperturbablement—a joué plus d’une heure—sans être arrêté par les applaudissements, qui avaient pour but de le faire finir et qu’il prenait pour des encouragements.—En vain, on se disait: «Charmant enfant! à quelle heure le couche-t-on?»

Il ne s’arrêta qu’à la fin de son morceau,—si toutefois ce qu’il a joué peut s’appeler un morceau, car je ne connais rien d’entier qui soit de cette longueur.

Quelqu’un que je ne nommerai pas—disait:

—Eh bien! cela m’intéressait davantage au commencement.

—Pourquoi cela?

—Parce que l’enfant était plus jeune.

image d’une guêpe Il y a peu de choses auxquelles je doive d’aussi ravissantes sensations qu’à la musique;—mais je finirai par n’en plus vouloir entendre à cause des différents bruits prétentieux—dont on m’assourdit sous prétexte de musique.

Je n’ai plus de ressources que dans de petites mélodies, franches,—vraies,—qui me bercent l’esprit et me font rêver.

L’autre jour, j’ai entendu une jolie voix chanter—une chanson,—une romance,—je ne sais quoi,—mais c’était ravissant. Cela s’appelle:—Je n’ose la nommer!—La chose est de F. Bérat.

Si ceci te tombe sous la main,—tu verras en même temps,—mon ami Bérat,—que tu me feras plaisir de m’envoyer cette romance, que je voudrais tenir de toi.

image d’une guêpe Beaucoup de braves gens,—quand je me plaignais d’avoir été ennuyé par des chefs-d’œuvre, objets de leur admiration la plus furieuse,—m’ont dit: «Il faut entendre cela plusieurs fois.»

J’ai trouvé le piége grossier:—comment! j’entendrai seulement une fois la musique qui me charme,—et plusieurs fois celle qui m’ennuie!

Travaillez donc douze ans à passer pour un homme d’esprit, pour qu’on ose encore vous dire de semblables choses!

Non,—mes braves gens,—je ne tombe pas dans le panneau,—j’entends le plus souvent possible la musique qui me plaît,—et, quand il m’arrive d’en entendre d’autre,—je regrette qu’il n’y ait pas un autre moyen de faire savoir qu’elle m’ennuie.

image d’une guêpe Un étranger, M. S——z, a cherché à Paris la célébrité par un moyen bizarre:—il a gagé consommer dans sa matinée—une promenade de deux lieues, trois bouteilles de vin et trois femmes.

Du temps d’Hercule, pour attirer l’attention,—il ne fallait pas moins d’un bœuf et de cinquante vierges.—C’est un des douze travaux.—Je n’aime pas beaucoup que l’on fasse passer l’amour à l’état de travail.

Il est du reste triste de voir de telles prouesses,—qui ne servent qu’à montrer la pauvreté des choses ordinaires,—et l’humilité de ceux qui parient contre.

Une veuve à laquelle on racontait le fait—a dit: «Mais,—autant que je puis me rappeler,—ça n’est pas très-extraordinaire.»

M. S——z, se voyant célèbre, se fait beaucoup présenter aux femmes dans le monde.

Mais il a été puni d’une manière bien cruelle.—Son vrai nom, que je n’écris pas ici,—pour m’associer à la punition,—n’a pu entrer dans la tête des gens, et on l’appelle obstinément M. Sedlitz.

Son exploit est plus ou moins admiré sous un nom qui n’est pas le sien.—On ne peut l’annoncer dans un salon sans qu’on se pousse du coude en se disant: «C’est lui.»—Pour recueillir les fruits de sa gloire,—il lui faudrait faire comme certains marchands,—et s’appeler à l’avenir M. S——z, dit Sedlitz,—ou se faire annoncer ainsi:—M. S——z, celui qu’on a mal à propos désigné sous le nom de Sedlitz.

Peut-être se décidera-t-il à quitter son vrai nom et à porter à l’avenir celui qu’il a rendu illustre.

image d’une guêpe Tout bonheur se compose de deux sensations tristes:—le souvenir de la privation dans le passé,—et la crainte de perdre dans l’avenir.

image d’une guêpe Voici le printemps;—l’air qu’on respire est imprégné de lilas.—Ce matin chaque brin d’herbe avait sur sa pointe une transparente perle de rosée,—les unes blanches, les autres rouges comme des rubis,—d’autres vertes comme des émeraudes,—puis à chaque instant l’émeraude devenait un rubis,—le rubis une topaze ou un saphir. C’est une riche parure qui tombe tous les matins du ciel,—qui la prête à la terre pour une demi-heure,—et que le soleil remporte au ciel sur ses premiers rayons,—à l’heure à laquelle la terre est livrée au travail,—à la haine,—à l’ambition réveillés.

L’âme s’épanouit,—une foule de petits bonheurs purs fleurit dans le cœur.

image d’une guêpe LES COURSES AU CLOCHER. Cela s’appelle encore steeple-chase;—comme les journaux racontent ce qui s’y passe avec de grands enthousiasmes, il est bon que je dise à ce sujet la vérité,—on trouvera un jour dans les Guêpes,—le plus petit livre qui se soit jamais fait, le mot de toutes les énigmes et de tous les mensonges de ce temps-ci.

Ces courses se font d’ordinaire à la Croix de Berny, sur un terrain fangeux,—où les chevaux à chaque temps de galop enfoncent jusque par-dessus le sabot. Après divers obstacles factices, tels que des haies à franchir, etc., les chevaux et les cavaliers épuisés doivent franchir la Bièvre.

La Bièvre est une rivière qui roule une boue noire et infecte.

Il est grave de s’exposer à tomber dans ce marais fétide.

On ne s’y expose pas,—il n’y a pas là de chance à courir:—on y tombe certainement.

L’expérience de plusieurs années a démontré que les choses se passent toujours ainsi.

Arrivé à la Bièvre,—le cheval, fatigué par le terrain sur lequel il a couru et sauté, et se sentant sans point d’appui, résiste et refuse, le cavalier insiste, le cheval saute,—tombe au milieu ou sur l’autre bord, où il glisse et retombe dans la mare—d’où on le sort avec ou sans le cavalier qu’on repêche,—tous deux noirs, sales, infects, et cela si invariablement, qu’on croirait que c’est le but réel de la chose.

C’est le délassement le plus élégant de la plus élégante jeunesse,—et on ne néglige rien pour être regardé par les femmes les plus belles et les plus à la mode.

Le prétexte est l’amélioration des races de chevaux en France.—Jusqu’ici on n’a fait, pour l’amélioration de la race,—qu’estropier et tuer les individus.

image d’une guêpe J’ai reçu un prospectus annonçant un ouvrage parlementaire—et qui commence ainsi:

A une époque où la parole gouverne tout.

C’est plus vrai,—hélas!—que ne le croit le brave homme, auteur du prospectus;—mais ledit brave homme paraît trouver cela charmant,—c’est en quoi nous ne sommes plus du même avis.

Il n’y a que les comédies et les tragédies faites par les hommes dont le commencement fasse deviner la fin;—la Providence est plus mystérieuse dans ses voies,—ses ressorts sont plus cachés, ses péripéties plus imprévues;—le plus souvent, dans la ville réelle, les romans n’ont pas de second volume,—les drames n’ont pas de cinquième acte.

image d’une guêpe Un mari a quelque chance de voir que l’on fait la cour à sa femme; mais, une fois que l’on est d’accord avec elle,—tout semble s’entendre pour le tromper et pour lui cacher ce qui se passe. C’est seulement lorsque Thésée devient négligent ou infidèle—et qu’Ariane, à son tour, rend de soins, de chagrins, de concessions et d’humilité—tout ce qu’elle en a fait payer avant de répondre à une flamme dont elle s’aperçoit qu’elle brûle seule,—que les imprudences, les mauvaises humeurs de la femme lui font soupçonner qu’il se passe quelque chose,—qu’il se dit:—«Mais,—mais,—mais monsieur un tel fait, je crois, la cour à ma femme;»—et il met à la porte l’amant, qui depuis six mois cherchait à avoir un prétexte et un expédient pour s’en aller, pour qu’il ne soit pas dit qu’il n’ait pas pris soin de préparer toutes les phases de son infortune,—et qu’il ait cessé d’être au dénoûment la providence de l’amant comme il l’a été pendant tout le cours du roman.

image d’une guêpe M. LEHON. On s’est naturellement beaucoup occupé de la déconfiture de M. Lehon, le notaire;—beaucoup de gens veulent qu’on fasse de nouvelles lois à ce sujet.

Hélas!—ce n’est pas de lois que nous manquons:—nous avons à la Chambre quatre cent cinquante faiseurs de lois en permanence,—qui en font Dieu sait combien,—comme si on changeait de lois comme de gants,—et je ne m’aperçois pas que les choses pour cela en aillent beaucoup mieux. On aura beau faire des lois,—on ne décrétera jamais l’honneur,—la probité et le désintéressement;—une loi de plus n’empêchera pas un crime,—et fera seulement que ce sera une façon prévue de le commettre, et, cette façon, on saura bien l’éluder pour en prendre une autre.

Prenez-vous-en à cette agitation—qu’on a jetée dans tous les esprits,—à cette prétendue égalité qui n’est que le désir de primer sur les autres,—qui fait que personne ne veut rester dans sa sphère;—que personne n’acceptera pour but de sa vie—de mettre ses pieds dans les traces des pieds de son père,—et de ne le reconnaître autrement que comme point de départ.

image d’une guêpe LES GANTS JAUNES. A ce propos, il me revient une chose à l’esprit; je ne m’amuse guère à répondre aux attaques variées dont je suis parfois l’objet de la part de certaines gens, au bas de certains journaux et ailleurs;—les pages dont se composent les Guêpes n’y suffiraient pas;—et, d’ailleurs, je serais bien vengé si ces pauvres gens pouvaient savoir à quel point tout cela m’est égal.

Il arrive cependant quelquefois qu’une attaque à laquelle je ne ferais aucune attention me donne un prétexte raisonnable de traiter un sujet qui me convient,—c’est ce qui arrive à une sorte de recueil à couverture verte,—auquel je ferai d’abord le chagrin de ne pas le nommer.

Ces messieurs, en parlant d’une soirée,—veulent bien y mentionner ma présence,—et disent à ce sujet:

—«On a remarqué que ce critique portait des gants noirs.—Est-ce par économie?»

D’abord,—messieurs,—pour faire semblant d’ignorer que je fais des livres, il faudrait que les premières pages de votre brochure ne fussent pas occupées par une espèce de récit qu’un de vous a bien voulu copier dans un roman de moi, qui s’appelle Geneviève, et signer de son nom.

Il viendra, je l’espère, un jour—où, les hommes n’étant pas tout à fait fous, il deviendra impossible de comprendre l’importance qu’on attache de ce temps à la couleur des gants.

J’ai déjà eu occasion de le dire,—l’ancienne aristocratie tenait à la beauté des mains.—La nouvelle tient à la beauté des gants.

Certaines conditions de l’aristocratie étaient un peu difficiles à atteindre.

Il fallait de la naissance, de l’esprit, du savoir,—du courage,—de l’élégance, de l’honneur.

On a changé tout cela au bénéfice de cette grosse bêtise qu’on appelle égalité.—Tout cela est remplacé avantageusement par des gants jaunes.

Il n’y a plus que deux classes d’hommes en France:

Non pas les honnêtes gens et les fripons;

Non pas les gens d’esprit et les sots;

Non pas les hommes de cœur et les lâches;

Non pas les savants et les ignorants;

Non pas les hommes élégants et les rustres.

Il n’y a que les hommes qui portent des gants jaunes et les hommes qui n’en portent pas.

Quand on dit d’un homme qu’il porte des gants jaunes,—qu’on l’appelle un gant jaune,—c’est une manière concise de dire un homme comme il faut.—C’est en effet tout ce qu’on exige pour qu’un homme soit réputé homme comme il faut.

Comme, par les raisons que j’ai déduites plus haut, il n’était pas aisé de parvenir à l’aristocratie, on a fait descendre l’aristocratie à la portée du plus grand nombre,—à une paire de gants de cinquante sous.

Mais ce privilège, déjà fort modifié,—ce monopole déjà bien partagé, a fait crier les gens qui n’y atteignaient pas encore,—et on a demandé l’abolissement de l’aristocratie comme on demande à présent l’abaissement du cens électoral.

Le besoin de gants jaunes à vingt-neuf sous se faisait trop généralement sentir pour que l’industrie ne vînt pas au secours des victimes du monopole.

image d’une guêpe PARENTHÈSE.—Je ne veux pas perdre ceci, qui me vient à propos de l’abaissement du cens électoral.

Vous, messieurs, qui demandez cet abaissement,—vous trouvez sans doute mauvais que l’échelle de l’argent soit celle sur laquelle on mesure les capacités électorales et gouvernementales.

Pensez-vous atteindre votre but de corriger cette sottise en faisant qu’un plus grand nombre arrive aux affaires par cette voie que vous blâmez?—Croyez-vous la rendre meilleure en l’élargissant?—Croyez-vous qu’un abus soit détruit parce qu’un plus grand nombre en profite?

image d’une guêpe On a donc fait des gants à vingt-neuf sous;—et les gants jaunes sont restés plus que jamais la première,—la seule condition d’admission et de considération dans le monde.

Je répondrai, messieurs, à la question que vous voulez bien m’adresser: «Est-ce par économie?»

Pourquoi pas,—messieurs?—et si je vous disais tout ce que je n’ai pas été obligé de faire dans ma vie au moyen de semblables économies,—c’est-à-dire par le mépris de certaines vanités,—en ne désirant jamais paraître riche,—en étant plus fier de ma pauvreté et de mon indépendance mille fois que vous ne l’êtes de vos fausses élégances,—qui vous donnent tant de tourments,—qui vous obligent à des luttes si acharnées, qu’elles sont devenues le but de votre vie, et qu’elles vous forcent, tant le superflu vous est devenu nécessaire, à traiter le nécessaire en superflu!

Non, je ne suis pas dupe de cette prétendue égalité des gens de lettres avec les gens du monde, ce qui ne les a amenés qu’à l’égalité des dépenses sans les faire arriver à l’égalité des recettes.—Je n’ai pas voulu prendre un rôle dans cette sotte comédie,—où tout le monde veut tromper tout le monde sans que personne soit trompé;—où l’on est ridicule quand on ne réussit pas, et odieux quand on réussit.

Nous voici déjà un peu loin des gants jaunes.

image d’une guêpe CHOSES DIVERSES.—Il y a des honneurs bizarres;—ce qu’un marchand appelle son honneur, c’est de payer ses billets,—parce que c’est seulement ainsi qu’il a du crédit, c’est-à-dire qu’il peut remuer une somme d’argent plus que décuple de celle qu’il possède en réalité; mais, une fois un billet protesté, un marchand est capable de tout.

image d’une guêpe Un juge d’instruction ne reçoit que douze—quinze ou dix-huit cents francs:—c’est une sottise.—La magistrature, en général, n’est pas payée,—il n’y a pas un chanteur de province qui se contenterait des appointements d’un président de cour royale.—Eh bien! à ce juge d’instruction qui reçoit quinze cents francs,—offrez cent mille francs pour qu’il trahisse—son devoir,—il les repoussera avec indignation,—mais rien ne l’arrêtera s’il s’agit de son avancement—qui peut-être augmentera son revenu de cent écus.

image d’une guêpe LES AMIS.—Un ami, c’est un homme armé contre lequel on combat sans armes.

—C’est un homme qui sait sur quel coup précisément il vous prendra en tirant l’épée.

—C’est un homme qui connaît l’escalier qui conduit chez votre femme; qui sait les moments de froideur et les instants où vous êtes dehors et l’heure précise à laquelle vous rentrerez.

—Un ami, c’est Judith qui vous assoupit dans ses bras et vous tue au milieu des songes agréables qu’elle vous fait faire.

—C’est Dalilah qui connaît le secret de votre force et de votre faiblesse.

—Quand un homme a deux amis, ce n’est que pour se plaindre alternativement de chacun d’eux à l’autre.

—On prend des amis comme un joueur prend des cartes; on les garde tant qu’on espère gagner.

—L’homme qui a un ami, qui s’assimile un autre homme, présente une surface double aux coups du malheur. On peut lui casser quatre bras et lui fendre deux têtes; il portera le deuil de deux pères: il aura le tracas de deux femmes.

—Entre deux amis, il n’y en a qu’un qui soit l’ami de l’autre.

—Entre tous les ennemis, le plus dangereux est celui dont on est l’ami.

—A la fin de sa vie, on découvre qu’on n’a jamais autant souffert de personne que de son ami.

—Ce serait pourtant une belle et sainte chose que l’amitié. Mais qui comprend l’amitié? Chacun veut avoir un ami, mais personne ne veut être l’ami d’un autre. On emprisonne ce qu’on appelle son ami dans ses propres idées à soi, dans ses goûts: on lui trace la route qu’il doit suivre. Il y a des limites où l’amitié cesse. Si votre ami prend un parti, avant de le suivre, vous examinerez s’il a tort ou raison. Ce serait là ce qu’on devrait faire pour un indifférent; mais un ami! s’il est malheureux; on doit être malheureux avec lui; criminel, on doit être criminel avec lui. Tout ce qu’il fait, on en doit supporter la responsabilité comme on supporte celle de ses propres actions; deux amis doivent se suivre dans la vie comme s’ils ne faisaient qu’un. L’amitié ne doit pas être un pacte, mais une assimilation; on ne doit pas prendre un ami, on doit devenir lui.

image d’une guêpe UN PROVERBE.—J’ai connu un homme, jeune, bien fait, à moitié spirituel, passablement brave, riche; en un mot, fort disposé à être heureux. Pour y parvenir, il résolut de mettre en pratique cet aphorisme: Il faut avoir des amis partout.

Il donnait à dîner, prêtait de l’argent, sacrifiait ses maîtresses, permettait à qui voulait de rendre ses chevaux poussifs; la bienveillance générale était une des conditions de son existence. Il jouait aux échecs et perdait; il dansait, et dansait gauchement; enfin, il n’avait de supériorité dans aucun genre, et ne pouvait exciter l’envie, si ce n’est par sa fortune; mais sa fortune n’était pas à lui.

Tout le monde était son ami; tout le monde le tutoyait: il était enchanté. Peut-être, s’il eût regardé d’un peu près les bénéfices de cette amitié universelle, eût-il vu que les gens qui ne chantaient jamais, parce qu’ils avaient la voix fausse, ne s’en faisaient aucun scrupule devant lui. L’hiver, on le mettait loin du feu pour donner la meilleure place à un étranger. On lui donnait à dîner avec la soupe et le bouilli: on ne se gêne pas avec ses amis;—on servait tout le monde avant lui, et les enfants essuyaient leurs tartines sur ses vêlements.

Un jour, un de ses amis lui écrivit une lettre en ces termes:

«Sauve-toi; je suis entré dans une conspiration qui vient d’être découverte; on a saisi mes papiers. Comme tu es mon ami, comme je sais que l’on peut compter sur toi, je t’avais mis un des premiers sur la liste des conjurés. Notre affaire est certaine; nous serons tous condamnés à mort. Fuis sans perdre un instant.»

Hermann demeurait dans un quartier de la ville assez éloigné; l’homme chargé de la distribution des lettres s’aperçut que la lettre destinée à Hermann était la seule à porter dans son quartier; il pensa ne pas devoir se gêner avec un ami; il remit au lendemain pour porter la lettre, en même temps que les autres qui ne pouvaient manquer de venir pour le même quartier; il ne porta la lettre que le surlendemain. Derrière lui arrivaient les soldats chargés d’arrêter Hermann.

Le chef de la troupe était un ami d’Hermann, il ne voulut pas avoir la douleur de l’arrêter lui-même, et resta à la porte; les soldats, sans chef pour les réprimer, maltraitèrent fort le prisonnier.

Néanmoins, sous prétexte de s’habiller, il passa dans un cabinet et sauta par la fenêtre.

Il tomba précisément sur son ami, que sa sensibilité retenait malheureusement à la porte; l’ami jeta un cri qui donna l’alarme; il fut repris et conduit en prison.

On instruisit son procès; toute la ville était convaincue de son innocence; mais la plupart des juges se récusèrent pour ne pas avoir, en aucun cas, à condamner un ami.

L’accusateur, qui était son ami, comprit que sa réputation d’impartialité se trouvait singulièrement compromise par sa liaison connue avec l’accusé; pour combattre cette prévention, il se vit forcé de le charger plus qu’il n’avait jamais fait aucun autre. Son avocat était tellement ému,—car il le chérissait,—que, lorsqu’il voulut parler, sa voix fut étouffée par ses sanglots; il reprit un peu courage, mais sa mémoire était troublée; les arguments sur lesquels il avait le plus compté ne se présentaient plus qu’à travers un nuage; sa voix était faible et mal accentuée. Hermann fut condamné à l’unanimité.

L’autorité, vu le nombre infini de ses amis, redoutait un coup de main pour forcer la prison et l’enlever; aussi fut-il mis aux fers, et ne lui laissa-t-on la consolation de voir personne. Le jour de son supplice arriva; un moment, le désespoir lui prêta des forces; il se débarrassa de ses liens, échappa aux soldats, et se serait enfui, si la foule immense des gens qui lui étaient attachés eût pu s’ouvrir assez vite pour lui livrer passage; il fut rattrapé et garrotté. Le bourreau, qui l’avait beaucoup aimé, avait peine à contenir sa douloureuse émotion; sa main, mal assurée, ne put séparer la tête du tronc qu’au cinquième coup.


Juin 1841.

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