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Les guêpes ­— séries 1 & 2

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Un cheval pour y aller en tilbury.
Un cheval pour le domestique qui me suit.
Un cheval pour faire le tour du bois au trot.
Et enfin un quatrième cheval pour faire un tour au galop.

—Parbleu, monsieur, lui dit un brave homme, il y a eu autrefois des gens qui n’étaient pas si exigeants que vous; ils n’avaient qu’un cheval, et ils étaient quatre: c’étaient les quatre fils Aymon.

image d’une guêpe Les partis sont quelquefois obligés de soutenir des gens tellement nuls, qu’ils ne trouvent d’autre épithète à ajouter à leur nom que celle de vertueux.

C’est absolument comme lorsque les femmes disent d’une autre femme: «Elle est bien faite.» Cela veut dire elle est laide et grêlée.

Quand elles disent: «c’est une bonne personne, c’est le dernier degré de l’injure: cela signifie, elle est hideuse, bossue et bête.

image d’une guêpe L’ARMÉE FRANÇAISE EN AFRIQUE.—Une lettre de M. Blanqui aîné a tracé un déplorable tableau de la situation des soldats français en Afrique. Les conquérants sont mille fois plus misérables que les Arabes vaincus. Les malades manquent de lits, de médicaments et de soins; ils souffrent et ils meurent dans la boue. C’est une chose infâme.

C’est à l’ignoble lésinerie des avocats de la Chambre qu’il faut attribuer ce crime national. Pour taquiner le pouvoir et faire de sottes économies, on n’envoie en Afrique ni assez d’hommes, ni assez d’argent; et pour que la Chambre ne réduise pas encore ce qu’elle accorde après de honteuses discussions, on simule des agrandissements de territoire conquis. On occupe une grande étendue de pays, et le pouvoir a la lâcheté de céder à la sordide chicane de MM. les avocats.

image d’une guêpe Dans une conversation générale, plusieurs femmes se plaignaient de l’inconstance des hommes. «C’est très-simple, dit madame***, les hommes se rendent justice; dès qu’ils nous plaisent, ils nous méprisent.»

image d’une guêpe Une femme s’est rencontrée ces jours derniers d’une audace et d’une impudeur extraordinaires qui a osé entamer un procès plus honteux cent fois que l’ancien congrès, que les magistrats les plus honorables appelaient infâme. La plaignante accusait son mari d’irrégularités et d’illégalités bizarres dans l’expression de la tendresse conjugale. Me Dupin a étalé complaisamment pendant trois heures une érudition d’ordures incroyable, dans le latin le plus transparent. Il n’y a rien, dans le marquis de Sade, de plus effrontément obscène que le discours que Me Dupin a prononcé en faveur des mœurs, et ceci n’était qu’un jeu d’esprit pour l’aîné des Dupin, car il ne citait que des textes de Sanchez et d’autres casuistes qui n’ont aucune autorité en droit français.

Si Me Dupin prend Sanchez pour une autorité, je lui dirai, s’il ne le sait pas, que l’on trouve dans Sanchez, entre autres choses, l’approbation du mensonge et du faux témoignage, et qu’on y lit en propres termes «que l’on peut nier avec serment une chose que l’on a faite, si, au serment prononcé à haute voix, on ajoute mentalement une clause qui en fasse une vérité.» Ainsi, on peut dire haut: «Je jure que je n’ai pas vu telle personne,» quoiqu’on l’ait vue, si on ajoute bas ou mentalement: Ce matin.

image d’une guêpe On a beaucoup reproché au maréchal Soult la médiocre élégance de son élocution; on a été jusqu’à l’accuser d’une confusion malheureuse des s et des t, en un mot, on a dit que le duc de Dalmatie faisait des cuirs. J’avoue que cela serait un inconvénient assez grave pour être reçu de l’Académie de Paris; et encore j’aimerais mieux faire des cuirs et n’importe quelle faute de langage, que de commettre les phrases de MM. Berryer et de Cormenin, que j’ai citées au commencement de ce volume, et qui sont, en même temps que des fautes contre la langue, des fautes contre le sens commun.

Mais je ne vois pas pourquoi il faudrait être beau parleur pour être ministre. J’irai plus loin: en ces temps de bavardage et d’avocasserie, c’est une sérieuse et forte recommandation à mes yeux que de ne l’être pas. Ceci n’est ni une plaisanterie ni un parodoxe: voici mes preuves. La tribune est le trône des avocats; la tribune perd la Franco.

Il faut une longue habitude et une étude spéciale pour parler en public. Pour beaucoup d’hommes très-braves et qui intimideraient ailleurs messieurs les avocats, il est presque impossible de traverser une assemblée, de monter à une tribune, de se draper, de poser, de s’occuper de sa démarche, de son geste, d’arrondir des périodes, de remplir les lacunes de la pensée par des mots plus vides que la place qu’ils laisseraient dans le discours, si on ne les disait pas.

Sur une question militaire, sur une question d’industrie, sur une question de marine, sur une question de finances, sur toutes les questions, un soldat, un marchand, un marin, un commis, un homme spécial enfin, a des lumières plus réelles et plus utiles à donner qu’un avocat. Qui est-ce qui parle cependant sur ces questions? les avocats, toujours les avocats; tandis que l’homme utile, l’homme qui sait, garde le silence. Pourquoi ne parle-t-on pas de sa place? pourquoi fait-on des discours? est-ce donc une académie que la Chambre? En ce cas, il y aurait beaucoup à dire sur l’éloquence verbeuse et polyglotte des avocats. Mais messieurs les avocats de l’opposition radicale, qui demandez le suffrage universel, ou au moins l’avénement à la Chambre des capacités, je suppose que vous ne renfermez pas la capacité exclusivement dans l’art de la parole (quel art! et quelles paroles, bon Dieu!), sous prétexte que toute la vôtre y est renfermée. Par exemple, si on admet les capacités à la Chambre, une capacité en agriculture sera probablement un fermier, peut-être un fermier alsacien qui parlera son patois. Si vous admettez les capacités et les spécialités, il faut brûler la tribune, et avec la tribune disparaîtront les avocats, et avec les avocats disparaîtront l’ignorance qui parle d’autant plus qu’elle n’a rien à dire, la mauvaise foi qui plaide le pour et le contre avec les mêmes élans factices, les mêmes gestes de comédien de province, le même aplomb, la même suffisance.

C’est la tribune qui perd la France, c’est la tribune qui chicane le pain, et les couvertures, et la tisane aux soldats français, et qui les fait mourir de faim, de froid et de misère en Afrique.

On a crié assez en France contre le trône et l’autel; il est temps de parler de la tribune, le trône des avocats, l’autel où ils immolent chaque jour les intérêts du pays, le bon sens, la bonne foi et le pays lui-même.

image d’une guêpe En attendant, le 6 du mois de novembre 1839, soixante-six licenciés en droit ont prêté le serment d’avocat. Jour néfaste! où soixante-six nouveaux vautours affamés par les jeûnes du stage ont pris leur volée sur la France.

image d’une guêpe On avait fait, lors de l’inauguration du musée de Versailles, un essai assez heureux qui aurait dû ouvrir les yeux au pouvoir: on avait invité à un dîner quelconque tous les journalistes de quelque talent et de quelque influence; cela eut pour résultat un article de justes louanges dans tous les journaux de Paris. Jamais depuis on n’a renouvelé la moindre politesse à ces écrivains; jamais depuis ils n’ont reçu la moindre invitation à la moindre soirée ni à la moindre cérémonie. Nous n’avons cependant pas entendu dire qu’ils aient emporté l’argenterie.

image d’une guêpe LA SYMPHONIE DE M. BERLIOZ.—Bien des gens prennent l’obstination pour du génie. La musique est la mélodie. Une musique sans mélodie est une perdrix aux choux qui ne se composerait que de choux. La science est un moyen et non pas un résultat. On dit que la musique de M. Berlioz est savante. Cela est dit par des feuilletonistes qui ne peuvent pas le savoir. Grétry disait à un musicien: «Vous n’avez ni génie ni invention; il ne vous reste que la ressource d’être savant.» Prenez un commissionnaire, et vous le rendrez savant avec des maîtres et du temps. La musique de M. Berlioz, que je n’accepte pas comme de la musique, est le résultat d’une fausse appréciation. M. Berlioz veut peindre par la musique ce que peignent les paroles. Ce n’est pas là un progrès: c’est une dégradation. La musique est au-dessus de la poésie; elle commence là où finit le langage. Ceux qui veulent l’astreindre aux proportions du langage ressemblent à un chasseur qui fait tomber avec un plomb meurtrier l’alouette joyeuse qui chante dans le ciel. M. Berlioz trouve que le rhythme carré a vieilli, et il supprime le rhythme. En poésie, la rime et la mesure sont bien vieilles aussi, monsieur Berlioz, et on les garde. Si de la musique on supprime la mélodie et le rhythme, il reste du bruit et de l’ennui. Je me méfie de la musique dont on veut me prouver la beauté. La musique doit se sentir. Physiquement, c’est dans la poitrine, et non dans la tête que se perçoit l’impression de la musique. La musique de M. Berlioz s’adresse à la tête. Je sais qu’on m’appellera ignorant; mais Orphée charmait les tigres et les panthères, qui étaient bien aussi ignorants que moi. Les journalistes qui font des feuilletons sur la musique ont d’ordinaire un jeune musicien auquel ils donnent à dîner et une place dans leur loge; le musicien leur fournit en échange un peu d’argot musical pour leur feuilleton. M. Berlioz a peint en musique, comme l’annonce le programme, Roméo sentant les premières atteintes du poison; les violons ont fait entendre un bruit strident; un admirateur enthousiaste s’est écrié: «Comme c’est bien ça la colique!» Au milieu d’un tumulte assez vif de corps et de contrebasses, j’ai voulu savoir ce que ça voulait dire, et j’ai vu au livre rose servant de programme: le jardin de Capulet SILENCIEUX et désert. Je suis de bonne foi, j’aime la fermeté de M. Berlioz, et je voudrais aimer sa musique. J’aurais été heureux de pouvoir l’applaudir au Conservatoire et ici; j’étais à l’affût de la moindre mélodie; et rien n’a eu la complaisance d’y ressembler; je me suis ennuyé, et je n’ai ressenti aucune émotion. On m’a dit que je ne pouvais pas juger la musique savante. La musique de Beethoven est savante, et elle ne m’ennuie pas, et elle me fait rêver; la musique de Rossini est savante, et elle me charme; la musique de Weber est savante, et elle me fait frissonner le cœur. Sous prétexte de musique savante, on a inventé M. Halevy et M. Meyerbeer, qui, sous bien des rapports, n’est qu’un Halevy supérieur, et on a découragé et renvoyé Rossini. Il y a dans la gloire donnée légèrement ceci de grave et de criminel, que, pour ajuster cette belle couronne à certaines têtes, il faut la rétrécir, et qu’elle est ensuite trop petite pour les hommes de génie dont on peut avoir à parler.

image d’une guêpe ÉPILOGUE.—Allons, mes guêpes, mes archers au corselet d’or, revenez à ma voix qui sonne la retraite; il fait froid, il pleut, notre campagne est finie jusqu’au mois prochain, jusqu’à l’année prochaine.

Les arbres sont nus; les chrysanthèmes, les dernières fleurs de l’automne, sont flétris. Revenez dans cette retraite où éclosent à leur tour les fleurs brillantes de l’hiver à la douce chaleur du foyer, les rêveries et les souvenirs.

Rentrez, mes guêpes, vous trouverez pour vous y reposer un camélia blanc, et des bruyères couvertes de leurs petites clochettes purpurines, et un héliotrope d’hiver qui exhale une suave odeur de vanille.

Rentrez et reprenez haleine, vous n’avez pas à regretter les légères blessures que vous avez faites; vos innocentes colères sont justes et généreuses; vous êtes d’honnêtes guêpes. Le premier jour de l’année 1840, j’ouvrirai cette porte en vitraux colorés qui donne sur le jardin, et je vous laisserai prendre encore une fois votre volée.


Janvier 1840.

Une année de plus.—Oraison funèbre de deux dents.—Déplorable tenue des représentants de la France.—M. Auguis.—M. Garnier-Pagès.—M. Dugabé.—M. Delaborde.—M. Viennet.—Argot des journaux.—Les ministères et les attentats.—Le discours de la couronne.—M. Passy.—M. Teste.—Insuffisance, amoindrissement, aplatissement.—M. Molé.—M. Thiers.—M. Guizot.—Polichinelle et M. Charles Nodier.—Les 221.—M. Piscatory.—M. Duvergier de Hauranne.—M. Malleville.—M. Roger (du Nord).—Les offices.—Treize gouvernements en trente-huit ans.—La conjuration de M. Amilhau pour faire suite à la conjuration de Fiesque.—Les trois unités.—Un mot de M. Pozzo di Borgo.—Le marquis de Crouy-Chanel.—Le garde municipal Werther.—Le comte de Crouy-Chanel.—Arrestation extrêmement provisoire de l’auteur des Guêpes.—Le gendarme Ameslan.—650 ans de travaux forcés.—M. Victor Hugo.—M. Adolphe Dumas.—M. Gobert.—Melle Déjazet.—Le gouvernement sauvage.—M. de Cormenin.—Mme Barthe.—M. Coulman.—La cour de France.—Les bas de l’avocat Dupin.—Plusieurs nouvelles religions.—L’abbé Chatel.—L’Être suprême l’a échappé belle.—Un prix de mille écus.—Le prince Tufiakin.—Les nouveaux bonbons.—Dupins à ressorts.—Une surprise.—Mme de Girardin.—M. Janin.—Mlle Rond...—Le sommeil législatif.—M. Dupont (de l’Eure).—M. Mérilhou.—M. d’Argout.—M. Alexandre Dumas.—Me Chaix d’Est-Ange.—Me Janvier.—M. Clauzel.—La gloire et le métal d’Alger.—M. Arago.—M. Mauguin.—M. G. de Beaumont.—Le maréchal Valée.—Le colonel Auvray.—Les pincettes.—S.M. Louis-Philippe et M. Jourdain.—M. Bonjour.—M. Berryer.—M. Michel (de Bourges).—M. de Chateaubriand.—M. Scribe.—M. Delavigne.—M. Royer-Collard.—Le duc de Bordeaux.—M. Bois-Millon.—Le duc d’Orléans.—Le duc de Joinville.—Le duc de Nemours.—M. Lerminier.—M. Villemain.—M. Cousin.—Dénonciation contre les princes du sang.—Une guêpe asphyxiée.—Vingt ans de tabac forcé.

L’AUTEUR.—Ainsi que je vous l’ai promis, mes guêpes, je vous ouvre cette porte en vitraux qui donne sur le jardin;—mais ne vous laissez pas tromper par cet air de printemps;—ne vous arrêtez pas aux violettes qui ont fleuri ces jours-ci sous les feuilles sèches,—ni à cette primevère à la corolle amarante qui s’est épanouie au pied du figuier, précisément le premier jour de l’hiver, le 22 décembre.

Nous sommes dans l’hiver;—voici une année finie et voici une année qui commence. On appelle cela avoir une année de plus. Ceux qui sont nés depuis trente ans disent qu’ils ont trente ans.—Hélas! c’est au contraire trente ans qu’ils n’ont plus;—trente années qu’ils ont dépensées du nombre mystérieux qui leur en a été accordé;—trente années qui sont les fleurs de la vie et que le vent a séchées;—trente années pendant lesquelles on a passé par toutes les sensations qu’il faut ensuite recommencer et ruminer.

Heureusement que l’homme se vante d’être sobre quand il ne digère plus; d’être chaste quand son sang est stagnant et son cœur mort;—de savoir se taire quand il n’a plus rien à dire;—et appelle vices les plaisirs qui lui échappent, et vertus les infirmités qui lui arrivent.

Quand on a dépensé cette première partie de la vie,—on s’étonne de la prodigalité avec laquelle les gens les plus jeunes jettent en riant leurs jours exempts de souci, sans les compter, sans les regretter, sans leur dire adieu. On est surpris comme ce voyageur dont parle un conte arabe, qui vit des enfants jouer au palet avec des rubis, des émeraudes et des topazes, et s’en aller sans songer à les ramasser.

Il n’est personne qui, à trente ans, ne soit déjà en train de mourir—et n’ait à porter le deuil d’une partie de soi-même. Si je voulais, pour moi, je prononcerais ici l’oraison funèbre de deux dents et de ravissantes illusions que j’ai perdues.

image d’une guêpe La session est ouverte, les Chambres se sont rassemblées: messieurs les députés continuent à affliger les regards par d’incroyables négligences de costume. Les indépendants justifient ce laisser-aller en disant qu’ils représentent le peuple, et qu’ils doivent être vêtus comme le peuple. Mais le peuple ne porte ni un habit vert râpé comme M. Auguis, ni un habit noir éploré comme M. Garnier-Pagès.—Pourquoi alors ne pas porter des vestes, pourquoi pas des blouses, pourquoi pas des casquettes, pourquoi pas des sabots? Ajoutez à cela que les députés ne représentent pas seulement le peuple,—et que, s’ils représentent quelque chose, ils représentent toutes les classes de la société.—Voyez, par exemple, M. Dugabé, examinez son col de chemise enfermant sa tête qui ressemble à un bouquet dans un cornet de papier.—Vous vous dites: «Tiens, voilà un monsieur singulièrement arrangé.»—Vous demandez à un voisin:

—Que représente monsieur? Le voisin vous répond:

—Ce monsieur représente, je crois, la Haute-Garonne. Vous vous dites en vous-même: «Eh bien! on est gentil dans la Haute-Garonne!» Et voilà tout un département compromis.

Nous avons remarqué avec plaisir qu’on n’avait pas assassiné le roi,—ce qui d’ordinaire semble faire partie du cérémonial de la séance.—La reine, qui était arrivée de bonne heure, était fort pâle jusqu’à l’entrée du roi dans la salle.—Pauvre femme, moins inquiète quand ses fils sont au milieu des Arabes que lorsque son mari est au milieu des Français!

image d’une guêpe M. Delaborde, questeur de la Chambre, avait imaginé de placer des femmes en cercle en dedans de la partie de la salle occupée par les députés.—M. Viennet, le nouveau pair, a trouvé que cela avait l’air d’une couronne de roses.—Tout le monde, à l’exception de M. Viennet, a trouvé que l’innovation était de fort mauvais goût, et je suis pour ma part de l’avis de tout le monde.

La file des voitures avançait lentement.—Un des nouveaux députés, qui arrivait dans un fiacre, s’impatientait fort et finit par interpeller un garde municipal. «Gendarme, cria-t-il,—gendarme,—laissez couper la file à ma voiture,—laissez-moi passer,—je n’ai pas le temps,—je suis député,—je vais chez moi, je vais à mon palais

Il y a dans ce mot seul tout le secret du gouvernement représentatif.

image d’une guêpe A l’occasion de l’ouverture des Chambres, les journaux ont enrichi leur argot d’un certain nombre de mots nouveaux.—Les érudits, les forts en politique, ont créé une langue sacrée inintelligible pour le vulgaire: ils désignent les ministères et les opinions qu’ils représentent par les dates, les attentats et les émeutes par d’autres dates. S’ils ont à parler de la politique de résistance dont Casimir Périer était l’expression,—ils disent le 13 mars; l’intervention en Espagne est représentée par le 22 février.

Il n’y a rien de si facile que d’oublier ces dates pour les malheureux lecteurs de journaux. Ceux qui ont la mémoire la plus heureuse se contentent de les confondre, et prennent un attentat pour un ministère et réciproquement; le 6 septembre, qui représenta la politique des doctrinaires pour le 6 juin, qui est l’anniversaire d’une émeute.

Le ministère actuel, qui partage avec une émeute la date du 12 mai, est particulièrement exposé à de singulières erreurs.

Voici quelques phrases faites par les journaux avec ces éléments:

«Si le 12 mai, qui a amené le 6 juin, s’était souvenu qu’au 11 août a succédé le 2 novembre; si les doctrines du 13 mars et du 10 octobre ne lui avaient pas fermé les yeux sur une péripétie nécessaire et semblable à celle du 27 octobre succédant au 4 février, il n’aurait pas si promptement rompu avec le 6 septembre et le 22 février.

»En vain le 12 mai cherche un appui dans le 11 octobre, il tombera, comme le 15 avril, sous le 22 février et le 6 septembre, qui se réuniront jusqu’à la défaite du 12 mai, après quoi on verra se renouveler le 4 novembre ou le 9 août.»

image d’une guêpe Le premier coup porté au ministère l’a été par le roi.—M. Passy a eu le chagrin de ne pouvoir faire insérer dans le discours du trône (pour parler selon la langue sacrée des journaux) le plus petit paragraphe sur le remboursement des rentes, qui est sa chimère,—ni atténuer l’engagement formel de la conservation d’Alger, dont l’abandon est sa marotte.

M. Teste, par le silence de la couronne (même langue que ci-dessus), a reçu un nouveau désaveu de sa malheureuse sortie contre les offices.

Il est difficile de savoir si le ministère passera la session. L’opposition n’a aucun plan contre lui. Le mot de ralliement n’est même pas encore trouvé. On a renversé le ministère Molé avec le mot insuffisance. M. Guizot a bien prononcé le mot amoindrissement du pouvoir contre le ministère actuel; M. Thiers a, il est vrai, risqué celui d’aplatissement, et le Constitutionnel, qui lui appartient, a commencé ses attaques dans ce sens, mais cela ressemble trop à l’insuffisance de la session précédente.

Voilà cependant avec quoi et sous quels prétextes on parle tant et on agit si peu, et on néglige les véritables intérêts du pays. Tous les hommes possibles, du moins sous le règne de Louis-Philippe, ont paru successivement aux affaires, presque tous s’y sont représentés plusieurs fois dans de nouvelles combinaisons,—et on ne sortira pas de ce cercle; chaque ministère qui sera renversé laissera la place à un ministère déjà renversé, qu’il renversera à son tour; ce que vous jugez mauvais aujourd’hui ne peut être remplacé que par ce que vous avez jugé mauvais hier.

Quand M. Thiers était aux affaires, on lui adressait précisément les reproches que son parti fait aujourd’hui à ceux dont il veut la place;—qu’il rentre demain au ministère, et ces reproches seront rétorqués contre lui. C’est absolument le bâton dont polichinelle et le commissaire se servent tour à tour dans la parade qu’aime tant Charles Nodier.

image d’une guêpe Quoiqu’il n’y ait pas encore de plan de campagne,—M. Guizot et M. Thiers s’agitent beaucoup pour s’emparer des deux cent vingt et un députés qui n’ont pu soutenir le ministère Molé. M. Guizot a dit à M. Piscatory,—comme le Christ à saint Pierre:—«Tu seras un pêcheur d’hommes.» M. Piscatory s’est adjoint M. Duvergier de Hauranne pour ce coup de filet.

M. Thiers, de son côté, a lancé M. Malleville et M. Roger (du Nord), qui s’occupent de pêcher ces mêmes deux cent vingt et un, un à un, comme à la ligne.

Les deux cent vingt et un, outre leur importance numérique, forment le parti de la Chambre qui renferme le moins d’avocats et de fonctionnaires publics, et représente le plus de propriétés. Ils n’ont pas d’ambition personnelle ni de ces candidats que les autres fractions présentent avec une obstination invincible. Ils seraient l’aristocratie du pays et de l’époque, si, riches comme des aristocrates, ils savaient vivre comme eux.

Mais les seules gens qui dépensent de l’argent en France sont ceux qui n’en ont pas.

Ce sont, du reste, de braves gens dont le rêve est la réalisation d’une utopie impossible: à savoir, le repentir de M. Thiers et son alliance avec M. Molé.—Ils mangeraient volontiers M. Guizot au repas des fiançailles.

image d’une guêpe L’indifférence de l’opposition pour le ministère du 12 mai (ne pas confondre avec l’attentat de la même date) semble passablement dédaigneuse. Il semble qu’il n’y ait qu’à souffler dessus quand il sera temps. Certes, le roi Louis-Philippe a agi avec assez de dignité pour un roi constitutionnel quand il a écarté des affaires M. Thiers qui voulait être plus que le roi!—Mais, en formant le ministère du 12 mai (continuer à ne pas confondre avec l’attentat), il me semble avoir agi comme les bourgeois qui croient faire de notables économies en prenant un domestique pas cher qui casse tout par maladresse dans leur maison.

Ainsi M. Passy, sans parler de l’abandon d’Alger, pour lequel il s’est ouvertement prononcé et qui est si impopulaire,—n’a rien de plus à cœur que le remboursement des rentes.

Tandis que M. Teste s’avise de sa malencontreuse idée sur les offices.

Comme s’il n’y avait pas en France déjà assez d’inquiétudes et d’instabilité!

A une époque où tout ce qui n’est pas renversé semble menacer ruine,—ces messieurs s’avisent de battre en brèche le peu qui reste debout.

La transmission des charges et des offices est tout ce qui reste en France des corporations. Les corporations étaient des familles; les familles étaient des solidarités d’honneur. Du temps des corporations commerciales, le commerce français avait au dehors une honorable et fructueuse réputation de probité;—depuis qu’il n’y a plus de corporations, il se vend sur les marchés étrangers, pour le compte de la France, des bouteilles de vin vides et des bas de soie dont chaque paire n’a qu’un bas; et tous les jours le commerce français se déconsidère et se ruine.

image d’une guêpe Nous l’avons échappé belle pendant le mois de décembre,—nous avons été menacés de deux nouveaux gouvernements, outre tous ceux dont jouit cette époque où tout le monde est gouvernement.

image d’une guêpe Il y a trois puissances qui rendent impossible en France la réalisation des trois pouvoirs constitutionnels, qui sont la royauté héréditaire, la Chambre aristocratique et la Chambre des députés.—Ces trois puissances inhérentes, je le crains, au caractère national, sont l’inconstance, la vanité et l’ignorance.—Faites donc une royauté héréditaire avec l’inconstance qui a donné à la France TREIZE gouvernements en trente-huit ans—(la moyenne n’est pas de trois ans!) On a eu dans l’espace de trente-huit ans—Louis XVI,—la Convention,—le Directoire,—le Consulat rééligible,—le Consulat à vie,—l’Empire,—le gouvernement provisoire.—Louis XVIII,—Napoléon,—Louis XVIII,—Charles X,—le duc d’Orléans, lieutenant général,—Louis-Philippe roi.

Et si on écoutait chaque parti et chaque subdivision de parti,—nous aurions à la fois aujourd’hui—le duc d’Angoulême,—le duc de Bordeaux,—le duc de Bordeaux, entouré d’institutions républicaines,—le prince Louis Bonaparte,—cinq ou six sociétés républicaines avec ou sans président.

Faites donc une Chambre aristocratique sans aristocratie, sans fortunes, sans possesseurs de terres, malgré l’envie, la vanité et la suprême sottise que l’on appelle égalité.

Faites donc une Chambre des députés avec l’ignorance et le bavardage!

image d’une guêpe De tout temps, on a aimé à conspirer en France.—Demandez à M. Amilhau, aujourd’hui député et président d’une cour royale.

LA CONJURATION DE M. AMILHAU POUR FAIRE SUITE A LA CONJURATION DE FIESQUE.—M. Amilhau conspirait sous la Restauration.—Tout le monde conspirait alors.—M. Amilhau s’en allait tous les soirs conspirer après son dîner, cela aidait sa digestion.—Il arrivait en fiacre, donnait un mot d’ordre, faisait sa partie de whist—et s’en allait régulièrement à minuit moins un quart pour ne pas mécontenter son portier.—Cela dura dix ans, sans que M. Amilhau manquât une seule fois, sans qu’il se commît une indiscrétion.

Un jour, au bout de dix ans, un des conjurés demanda la parole, on la lui accorda en murmurant: cela dérangeait les parties.

—Messieurs, dit-il, il est temps d’agir.

Comment agir, dit M. Amilhau en se levant, agir? Qu’entendez-vous par ces paroles? pour qui me prenez-vous? Apprenez, monsieur, que je suis un honnête homme, incapable de rien faire contre les lois de mon pays.

Cela dit, M. Amilhau prit sa canne et son chapeau, s’en alla et ne revint plus.

image d’une guêpe Le marquis de Crouy-Chanel a un cousin qui demeure dans ma maison.

Ce matin-là, il faisait un temps superbe; mes pigeons faisaient chatoyer au soleil levant les émeraudes, les améthystes et les saphirs de leurs cols.—Je m’habillai et je sortis dans l’intention de faire une des dernières promenades de l’année.—Comme j’allais passer le seuil de ma porte, deux messieurs s’opposèrent à ma sortie, qui me dirent:

—On ne passe pas.

Ces deux messieurs furent appuyés par trois autres, et moi je me repliai sur mon appartement.

En un moment, j’avais reconnu la police à sa ressemblance parfaite avec les gens dont elle est censée nous préserver,—et j’avais fait un sévère examen de conscience avec une rapidité extraordinaire.—Le résultat de cet examen fut que je n’avais, pour le moment, d’autre crime à me reprocher qu’une légère irrégularité dans mon service de garde national,—et je me rassurai par ma connaissance de la loi.

Une fois déjà,—en effet, après avoir successivement envoyé contre moi—le garde municipal Dubois, puis le garde municipal Ripon, plus féroce que Dubois,—puis le garde municipal Begoin, plus terrible que Ripon,—on avait lancé le garde municipal Werther, le plus redouté de tous.

Un matin, un monsieur frappe à ma porte,—j’ouvre moi-même.

—M. Karr?

—C’est ici, monsieur.

—Monsieur, je viens pour un petit jugement.....

—Ah! vous êtes le garde municipal Werther?

—Oui, monsieur, j’ai cet honneur.

—Très-bien, monsieur Werther;—mais, ajoutai-je en regardant derrière lui, où est votre commissaire?

—Mon commissaire?

—Oui, vous vous êtes bien fait assister d’un commissaire?

—Non, monsieur; j’ai pensé...

—Vous avez alors un juge de paix?

—Mon Dieu non;—j’ai pensé que je vous ferais plaisir en vous épargnant ce petit scandale.

—Monsieur Werther, vous êtes très-aimable et très-poli; mais nous ne sommes pas assez liés ensemble pour que vous m’arrêtiez ainsi sans cérémonie.

Et le garde municipal Werther s’était en allé.

Tenant donc la porte entr’ouverte, je dis à ces messieurs:

—Avez-vous un commissaire?

—Oui.

—Où est-il?

—Dans la maison.

—Ce n’est donc pas pour moi?

—Non.

—Alors, laissez-moi sortir.

—Non.

—Pourquoi cela?

—Parce que.

Il me fallut me contenter de cette réponse peu satisfaisante.—Ce n’est que deux heures après que je sus que la maison était cernée et que tous les locataires étaient prisonniers.—A midi seulement on amena le comte de C...,—et nous fûmes rendus à la liberté.

La liste du marquis de C... était faite avec un soin extrême—et dont je crois devoir le modèle aux conspirateurs qui aiment l’ordre et la régularité.—C’était un registre réglé avec des divisions à l’encre rouge;—ces divisions, au nombre de six, donnaient pour chaque conjuré:

Son nom,—sa demeure,—son âge,—le lieu de sa naissance,—les armes dont il pouvait disposer.

Et des notes particulières renfermant une appréciation de son courage et de son dévouement.

Aussi, douze heures après, tout le monde était arrêté;—mais, huit jours après, le marquis de C... était échappé, grâce au gendarme Ameslan qui, ayant pris au sérieux ce que rabâchent les journaux sur les baïonnettes intelligentes,—sur l’indépendance du soldat français, etc., causa avec son prisonnier, le laissa partir en le reconduisant du Palais de Justice à la prison, et pour lui,—fier de s’être montré buffleterie intelligente, rentra paisiblement le soir à son quartier.—C’est à peu près ce jour-là que l’on condamnait un jeune homme, nommé Barthélemy, qui avait tiré à cinq ou six pas de distance un coup de pistolet sur un sergent de ville qui allait à l’Ambigu.—Ce Barthélemy faisait partie de ces sociétés qui s’appellent secrètes et qui ont si peur de l’être.—Des amis lui avaient fait quelques reproches, l’avaient accusé de manquer de dévouement. «Venez vous promener sur le boulevard,» leur avait dit Barthélemy.—Arrivé là, il avait chargé un pistolet et avait tiré sur le sergent de ville.

Nous pensons que le gendarme Ameslan a suffisamment réhabilité la gendarmerie,—que la race des bons gendarmes, si célébrée sous la Restauration, est retrouvée,—et que les sociétés dites secrètes ne prescriront plus à leurs adeptes de les immoler à la liberté sur l’autel de la patrie.—Du reste, M. C... est retourné de lui-même en prison.

image d’une guêpe Il n’est peut-être pas inopportun de dire, à propos de conspirations, quelques mots sur l’éducation qu’on reçoit en France.

Cette éducation est entièrement et exclusivement littéraire et républicaine. Tout élève qui a profité de ses études sort du collége,—sinon poëte, du moins versificateur et animé d’une haine profonde contre la tyrannie. C’est le moment où il doit devenir commis dans un bureau de ministère,—ou chez un banquier,—ou ferblantier,—ou limonadier,—ou fabricant de cheminées kapnofuges.—Voici pour l’éducation littéraire.—Pour ce qui est des principes,—les vertus qu’on lui a fait admirer au collége sont toutes prévues par divers articles de notre Code pénal. Les vingt premières pages de Tite-Live, contenant l’histoire des premières années de Rémus et de Romulus,—seraient, dans la bouche d’un procureur du roi, un réquisitoire entraînant sept ou huit fois la peine de mort et six cent cinquante ans de travaux forcés,—au minimum et en admettant des circonstances atténuantes. (Voir Tite-Live et le Code pénal.)

image d’une guêpe LA DÉMOCRATIE.—Les savants que l’on entretient à l’Institut pour nous dire le temps qu’il a fait la veille,—et qui se mêlent un peu trop des choses terrestres où ils mettent leur petite part de confusion, nous apprennent de temps en temps au matin que:

Nous l’avons en dormant, madame, échappé belle.

Une comète a passé près de la terre, nous avons failli nous réveiller tout rôtis.

Je vous dirai, moi, qu’une forme de gouvernement a passé sur nos têtes,—et que ce gouvernement a même publié une charte; ce gouvernement s’appelle la démocratie,—moi je prendrais la liberté de l’appeler le gouvernement sauvage.

image d’une guêpe CHARTE ET PRODROMES DU GOUVERNEMENT SAUVAGE. Charte.—«Où est donc la souveraineté du peuple? Où est la démocratie?»

Se demande le gouvernement sauvage;—je vais vous le dire, ô gouvernement sauvage!

C’est, je pense, un gouvernement passablement démocratique que celui où M. de Cormenin commente le livre de blanchisseuse du roi et publie des brochures où il déclare que le roi use trop de bottes.

Où le prince royal n’oserait pas se dispenser d’assister à un bal auquel l’inviterait M. Dupin.

Où madame Barthe étend les langes de ses enfants sur les balcons de la place Vendôme.

Où M. Coulman, ancien député alsacien, refuse de s’habiller proprement pour aller chez le roi—et demande si on le prend pour un marquis.

Où M. Dupin dit au prince royal à l’occasion de son mariage:

«La princesse que votre cœur a choisie sera bien reçue parmi nous,—nos mœurs, fort éloignées de la morgue des anciennes cours, lui seront bientôt familières.»

image d’une guêpe PARENTHÈSE.—Pauvre princesse,—l’avocat Dupin avait bien raison,—vous n’avez pas trouvé cette cour de France, autrefois asile des plaisirs, du luxe, des fêtes, de la beauté, des amours,—cette cour de France si noble, si chevaleresque, si heureuse, si enviée, que rêvaient les princesses des autres pays comme un paradis sur la terre, pour laquelle elles croyaient n’avoir jamais assez de beauté, d’esprit et de grâce. Autrefois il y avait quelque chose de plus qu’être reine,—c’était être reine de France. Les belles de tous les pays, de toutes les cours, venaient subir à la cour de France une épreuve qui décidait si elles étaient vraiment belles; les seigneurs les plus beaux, les plus riches, les plus élégants, venaient apprendre à Versailles s’ils étaient réellement beaux, riches et élégants,—de la cour de France partaient des arrêts sans appel, c’était là que régnait la mode.

Aujourd’hui, comme dit M. Dupin,—la cour est bien éloignée de cette morgue.

Aujourd’hui on y voit des gardes nationaux avec des boutons d’étain,—les députés y vont en bottes, en cravate écossaise et en gants verts;—l’avocat Dupin,—sans gants, avec ses bas plissés comme un jabot, y parle haut et y est écouté.

image d’une guêpeAh! ce n’est pas là de la démocratie,—messieurs du gouvernement sauvage.

«Dans la société actuelle, quelques-uns ont, à l’exclusion des autres, le monopole de l’éducation, le monopole des capitaux,» ajoute le gouvernement sauvage.—Le monopole des capitaux,—ouf! voilà le gros mot lâché.

Mais, messieurs, l’argent est le fruit du travail, ceux qui ont ce que vous appelez le monopole des capitaux ont aussi le monopole de la fatigue, des veilles, des soucis, ils ont le monopole de l’ordre, de l’économie.

Tout le monde a le droit de vivre de ses rentes, il ne s’agit que de gagner les rentes ou d’avoir un père qui les ait gagnées.—Que voulez-vous, messieurs les sauvages, serait-ce par hasard vivre des rentes des autres?

Je dirai du monopole de l’éducation ce que je dis du monopole de l’argent:—Pour savoir, il faut apprendre,—et, si vous voulez que le peuple soit instruit—il ne faudrait pas lui faire employer le temps qu’il peut consacrer à la lecture à se meubler la tête de billevesées ridicules et dangereuses de certains publicistes sauvages.—Que voulez-vous, messieurs? savoir sans apprendre?—personne, je pense, n’a ce monopole-là.

«On dit que nous avons la liberté religieuse; mais on s’oppose à l’exercice de certains cultes et à l’expression des doctrines qui dépassent les religions privilégiées.»

Qui diable voulez-vous donc adorer?—quels fétiches avez-vous en réserve?

Vous avez à côté du trône une princesse protestante.

Vous avez parmi les députés au moins un juif.

L’abbé Châtel se fait sacrer évêque par un épicier de la rue de la Verrerie,—et prêche un culte de son invention, tantôt dans une écurie, tantôt dans le local du Colysée d’hiver.

Des femmes du monde chantent l’opéra dans l’église-Musard de Notre-Dame-de-Lorette.

Un pédicure a professé publiquement le Johannisme.

Il y a des Templiers qui se rassemblent deux fois par semaine.

Les élèves de Fourier ont leur culte public.

Comme les Saint-Simoniens ont eu le leur.

Et vous, messieurs les sauvages,—vous vous êtes rassemblés pour discuter et mettre aux voix la reconnaissance de l’Être Suprême,—qui n’a passé qu’à une voix de majorité.

Ce pauvre Être-Suprême l’a échappé belle. Heureusement que M. Thoré, qui a une si belle barbe, lui a prêté main-forte.—On se devait bien cela entre barbes.

Personne ne vous a gêné pour cela, messieurs.—Il est difficile cependant de dépasser de plus loin les religions privilégiées que de prononcer la déchéance de Dieu, et personne ne vous en aurait empêché.—Qu’avez-vous donc de plus avancé que l’on ne vous permet pas encore de faire?—Quel Dieu voulez-vous donc adorer?—Est-ce un crocodile, un bœuf, ou un scarabée, ou un lézard?—Est-ce Vitznou, ou Irminsul, ou Jupiter? Est-ce le feu? Est-ce l’un de vous?

Mon Dieu, messieurs, adorez-vous les uns les autres,—personne ne vous en empêchera.

image d’une guêpe Du reste, supprimer la religion—c’est supprimer les frais du culte, c’est supprimer le sacrilége.

Comme supprimer la propriété c’est supprimer le vol,—c’est supprimer la justice, les tribunaux, les juges,—la police,—la gendarmerie.—Pourquoi ne pas avoir formulé votre Charte en trois mots:

Il n’y a plus rien.

C’était d’autant plus facile qu’il ne reste déjà pas grand’chose.

image d’une guêpe Le journal la Démocratie devait paraître le 15 février, et n’a pas paru.—C’est dommage,—on m’avait confié une partie du premier numéro, et cela promettait d’être curieux.

image d’une guêpe POLITIQUE.—Les cochers de fiacre ne marchent pas à moins d’un louis l’heure.

—Tout le monde se décerne des décorations.—On en voit de roses, de jaune-paille, de lilas, de bleu-lapis, de cuisse de nymphe.

—Quelques messieurs ont labouré la grande allée du jardin des Tuileries, et y ont semé des pommes de terre.

image d’une guêpe TRIBUNAUX. Quelques juges se sont rendus au palais;—mais les gendarmes étaient allés boire avec les prisonniers.—Il n’y a plus de lois, il n’y a plus de crimes, il n’y a plus de prisons.

image d’une guêpe NOUVELLES DIVERSES.—Il n’y a plus de timbre, il n’y a plus de poste.—Le journal la Démocratie prie ses abonnés des départements de vouloir bien faire prendre, chaque matin, leur exemplaire rue de Grammont, 7.

—Chacun peut frapper une monnaie à sa propre effigie.

M. *** et madame *** se sont emparés de deux télégraphes au moyen desquels ils font leur correspondance particulière.

—Vu l’approche du froid, nous avertissons nos abonnés qu’il y a de fort beaux arbres dans le jardin des Tuileries; on peut les avoir au prix de la corde et ne pas les payer.

image d’une guêpe CULTE—L’abbé Auzou a proclamé la déchéance de Dieu.

L’abbé Hugo a proclamé la déchéance de l’abbé Auzou.

image d’une guêpe BOURSE.—Toute dissimulation a été mise de côté dans les opérations de la Bourse. Ou a franchement volé des portefeuilles, des bourses et des montres. Au moment de la fermeture, les montres étaient fort recherchées; les mouchoirs, au contraire, éprouvaient de la baisse; les portefeuilles se tenaient fermes.

image d’une guêpe Si j’avais mille écus de trop, je les offrirais à celui qui déterminerait les raisons qui font que dans toutes les émeutes—il y a majorité de tailleurs. Je ne comprends pas bien l’intérêt qu’ont les tailleurs à ce que le pays devienne sans-culotte.

image d’une guêpe Il y a quelques jours, le prince russe T**, accompagné d’un domestique, traversait la Halle dans un cabriolet qu’il conduisait lui-même. Le prince T**,—je dois le dire à ceux qui ne le connaissent pas,—porte la tête plus qu’inclinée sur l’épaule.—Son cabriolet toucha l’éventaire d’osier d’une femme qui vendait de la salade;—elle fit des cris de paon,—et se plaignit qu’on écrasât le pauvre monde.—Le prince descendit, lui mit un louis dans la main,—et lui dit: «Ma bonne femme, si par hasard vous étiez malade,—voici mon nom et mon adresse: je vous enverrais mon médecin.» Cela dit,—il remonta dans son cabriolet. «Ohé! lui cria la marchande de salade qui n’avait même pas eu peur, ton médecin, mon fils, si c’est lui qui t’a remis le cou, j’en veux pas.»

image d’une guêpe On fait cette année des bonbons très-ridicules: ce sont tous les gens célèbres en sucre plein de liqueur.—J’ai envoyé hier à quelqu’un madame Sand au punch, M. Hugo au marasquin,—M. de Lamartine au rhum, mademoiselle Rachel au kirchenwaser,—M. de Chateaubriand à l’anisette,—M. Thiers au genièvre, etc., etc.

Comme joujoux, on donne beaucoup aux enfants:—des Dupin en bois qui remuent les jambes et les bras au moyen d’un fil.

image d’une guêpe On faisait compliment à la jolie duchesse *** de là naissance prochaine et apparente d’un héritier d’une si illustre maison que la sienne. «N’en dites rien à mon mari, répondit-elle, c’est une surprise que je lui prépare.»

M*** a tellement l’horreur de faire des cadeaux, que chaque année il attend au dernier moment pour donner ses étrennes, espérant toujours que quelques morts subites pourront en diminuer le nombre; cela s’étend même jusqu’à ses petits-enfants, qu’il aime beaucoup; mais c’est si fragile un enfant!

Depuis que la pièce de madame de Girardin a montré les journalistes ne puisant leur verve que dans le vin,—M. Janin—n’a pas manqué un seul matin, après son déjeuner, qui se compose d’une tasse de chocolat et d’un verre d’eau, de dire à son domestique: «François, enlevez les restes de cette orgie.»

image d’une guêpe M*** a imaginé un singulier moyen d’économiser le fiacre qui doit le reconduire chez lui après un bal ou une soirée.—Il avise un de ses amis auquel il dit tout haut en plein salon: «A*** je te reconduirai.»—L’assistance le regarde et se dit: «Tiens, M*** a des chevaux.» Au moment du départ, notre homme, descendant avec son ami, met le nez à la porte cochère et prend le premier fiacre qui se rencontre; quand le cocher demande où il faut conduire ces messieurs,—M*** répond: «Dis donc, A***, tu vas me jeter chez moi.»

image d’une guêpe Une demoiselle, célèbre par le luxe et la somptuosité de son ameublement, a quelquefois à subir les importunités de quelques femmes du monde dont la curiosité triomphe de toutes les convenances. Il y a quelque temps, madame ***, après avoir examiné tout dans ses moindres détails, s’écria:

«Mais c’est un conte de fées!—Non, madame, reprit mademoiselle R***, c’est un compte des Mille et une Nuits.»

image d’une guêpe Le projet que nous avons dénoncé d’enterrer tous les pairs et la pairie a eu un commencement d’exécution qui n’a échappé à personne. Les pairs sont furieux du nouvel arrangement de leur Chambre qui les renferme dans des plâtres à peine secs où ils s’enrhument. Il n’est pas sans exemple que quelqu’un des honorables pairs se soit endormi pendant la séance, et l’on sait toute la gravité du danger que l’on court à dormir dans des plâtres frais.

Je me rappelle, à ce propos, deux exemples de sommeil législatif.

A un conseil de ministres, un homme vertueux, qui était aux affaires dans le commencement du gouvernement de juillet, s’était endormi profondément pendant un discours du roi.—Lorsque le roi eut développé son idée, il se retourna vers l’homme vertueux, et, sans s’apercevoir de son sommeil, lui demanda: «M*** est-il de cet avis?—Oui, citoyen, répondit l’homme d’État, réveillé en sursaut.—Un avocat, qui était ministre peu de temps après la révolution de juillet,—s’endormit à un conseil du roi qui s’était prolongé assez tard;—le duc d’Orléans, averti par sa respiration bruyante, le poussa doucement du coude.—Le dormeur impatienté, sans ouvrir les yeux, répondit: «Laisse-moi donc, Sophie, laisse-moi dormir,—je suis fatigué.

image d’une guêpe A un dîner chez M. d’Argout, M. A. Dumas parut avec une broche de croix variées.—Me Chaix d’Est-Ange, remarquant qu’il avait, en outre, au cou un cordon attaché comme les croix de commandeur, lui dit: «Mon cher Dumas, ce cordon est d’une vilaine couleur, on dirait que c’est votre gilet de laine qui passe.

—Mais, non, mon cher Chaix, reprit M. Dumas, il est du vert des raisins de la fable.»

image d’une guêpe On lit dans un journal: «On a trouvé dans la rivière le corps d’un soldat coupé en morceaux et cousu dans un sac, ce qui exclut toute idée de suicide

image d’une guêpe Une des choses, sans contredit, sur lesquelles il se soit dit le plus de sottises ce mois-ci est l’affaire d’Afrique.

Il est arrivé en Afrique—précisément ce qui devait arriver, et si quelque chose peut étonner les gens de bon sens, c’est que cela ne soit pas arrivé beaucoup plus tôt et d’une manière infiniment plus désastreuse.

C’est, du reste, ce qui arriverait en ce moment partout où la France aurait une guerre à soutenir.

Les avocats, qui ne doutent de rien et ne se doutent de rien, sont chargés de faire la guerre, c’est-à-dire de décider combien on enverra d’hommes sur un point, combien on donnera d’argent.

Me Janvier, qui n’est pas même garde national, en sa qualité de député, et que sa taille (une colonne trois quarts du Journal des Débats) exempterait de tout service militaire,—a, une fois, parlé pendant une heure à la Chambre sur l’expédition de Constantine.

Me Dupin a exigé que M. Clausel vînt d’Alger à Paris pour lui donner personnellement des explications;—là, il a blâmé les opérations du maréchal, lui a cité des vers latins, et l’a appelé Calpurnius.

On doit se rappeler que M. Clausel prit fort mal la chose et exigea de l’avocat Dupin les plus humbles excuses.

L’avocat Dupin profita de la première circonstance pour faire un grand réquisitoire contre le duel.—Tous les avocats du monde soutinrent Me Dupin.—Il est, en effet, agréable pour ces messieurs de ne pas être obligés de demander raison des soufflets qu’ils peuvent recevoir.

Disons, en passant, que, si les Français ont eu la réputation pendant si longtemps d’être le peuple le plus poli de la terre,—c’est parce qu’ils portaient l’épée—et la tiraient facilement du fourreau.

image d’une guêpe Les hommes du métier demandent, pour Alger, soixante mille hommes et soixante millions.—Les avocats parlent, discutent, chicanent, et arrivent à donner le tiers des hommes et de l’argent demandés,—et chaque année, pour que l’on ne puisse pas diminuer encore cette trop faible allocation,—on est obligé de faire une expédition inutile, ou de donner à l’occupation une extension dangereuse—qui rendrait insuffisants même le nombre d’hommes et la somme d’argent demandés.

Puis on s’étonne quand les soldats meurent de fatigue et de maladie, sans secours.

On s’étonne quand les soldats français sont battus.

Aujourd’hui—le roi l’a dit avec raison dans son discours,—l’armée française ne sortira plus d’Afrique,—l’honneur national est engagé. Mais, avant l’événement qui a amené le résultat, il n’y avait que deux choses à faire pour l’Afrique:

Ou l’abandonner, ou la conserver.

Les députés qui étaient pour l’abandon n’ont jamais osé le dire franchement et honnêtement à la Chambre.—Ils ont, par de honteuses chicanes, rendu la conservation, dont ils ne voulaient pas, désastreuse et impossible.

Ceux qui voulaient la conservation—n’ont pas su ou n’ont pas pu exiger les moyens nécessaires.

Le résultat de toutes les discussions a toujours été—qu’on a gardé et qu’on n’a pas conservé.

On veut de l’économie et de la gloire.—La gloire est un luxe, messieurs,—c’est un luxe que la France peut se donner,—mais c’est un luxe.—La France est riche, grande, forte, brave.—Elle peut bien se passer une fantaisie de soixante mille hommes et de soixante millions.

On n’a pas de la gloire au rabais, messieurs;—vous ne ferez pas pour la gloire ce qu’on a fait de ce temps-ci pour toutes les autres choses; l’or au rabais s’appelle chrysocale;—l’argenterie au rabais est du métal d’Alger. La gloire est chère, messieurs; demandez aux époques glorieuses de notre histoire:—elle était fort chère sous Louis XIV,—fort chère sous l’Empire, et si la Révolution a semblé l’avoir pour rien,—c’est qu’elle la prenait à crédit, et l’Empire a payé pour la Révolution et pour lui.

Si vous ne voulez pas y mettre le prix, messieurs, il faut vous en passer,—il faut réduire la France à la vie bourgeoise et au pot-au-feu,—cela n’est pas cher—et cela n’est pas beau non plus,—cela vous conviendrait à ravir;—mais la France ne voudra peut-être pas toujours que vous lui fassiez sa part, messieurs.

Puis, quand un général est là-bas avec des forces insuffisantes, les ministres, qui craignent d’être inquiétés sur la question d’Alger,—lui envoient une foule d’exigences et de tracasséries de la part des députés.

Il faut faire ceci pour M. Arago,—ne pas faire cela pour M. Mauguin.

Il faut aller par là, revenir par ici.

image d’une guêpe Tenez, voici qu’on vient enfin d’envoyer à la Chambre—M. Gustave de Beaumont,—allié à la famille de la Fayette et philanthrope de l’école américaine.—Revoir le numéro des Guêpes de décembre.

M. de Beaumont est philanthrope,—il voudra moraliser les Arabes;—et comme M. de Beaumont est du parti démocratique, comme, d’autre part, le pouvoir fait tout ce que veulent ses ennemis, on s’occupera de moraliser les Arabes;—on ne voudra plus qu’ils renferment leurs femmes—et, sous prétexte du bienfait de l’éducation, on prendra les petits Arabes et on leur fera faire des thèmes.

Nous ferons deux remarques sur l’élection de M. Gustave de Beaumont.—La première est que le système cellulaire a causé, cette année, à Philadelphie, où il est en vogue, dix-sept morts et quatorze cas d’aliénation de plus que le régime ordinaire sur une moyenne donnée.—La seconde est que le parti démocratique devient friand et libertin, il lui faut des hommes titrés,—il lui faut aujourd’hui des vicomtes et des marquis.

image d’une guêpe Le général Valée s’accommode médiocrement des tracasséries ministérielles.—Voici une lettre officielle de lui au général Schneider, dont on a beaucoup parlé ces jours-ci:

«Mon cher général, si vous voulez que je continue à gouverner l’Algérie, ne m’envoyez plus d’ordre du ministère, attendu que je les f... au feu sans les lire.—Tout à vous.»

Et ceci n’était pas une menace vaine,—le maréchal, dernièrement, avait défendu qu’on laissât entrer personne chez lui.—Le colonel A... força la consigne.

—Colonel, ne vous a-t-on pas dit que je n’y étais pas?

—Général, on me l’a dit, mais il s’agit de signer des dépêches pour la France, et le bâtiment attend.

—Cela m’est égal, je n’y suis pas.

—Mais général, c’est très-urgent, il n’y a qu’à signer.

—Donnez.

Le maréchal prend les dépêches et les—jette au feu, le colonel se précipite sur les pincettes, veut les retirer,—mais le maréchal le retient par les basques de son habit et l’éloigne de la cheminée jusqu’à ce que la flamme ait tout consumé.

image d’une guêpe Il serait bon, je crois aussi, de faire en politique et en affaires sérieuses le moins de vaudevilles possible.

En France, on paraît étonné et abattu quand l’armée française éprouve le plus léger désavantage,—et on traite d’assassins et de traîtres l’ennemi qui nous tue quelques hommes.

J’ai trouvé d’aussi mauvais goût, dans le discours du roi, le reproche de perfidie qu’il fait aux Arabes.

On ne doit pas penser à imposer aux Africains,—si célèbres par leur mauvaise foi,—fides punica,—les conventions chevaleresques qui sont de droit commun en Europe.—Tous les moyens doivent leur sembler bons contre les Français qui sont venus porter la guerre chez eux et s’emparer d’une partie de leur pays; il ne faut pas faire comme M. Jourdain, quand sa servante lui donne des coups de fleuret contre les règles.

Quand nos soldats meurent, ils meurent sans regrets, ils savent que leur vie est leur enjeu, qu’en perdant cet enjeu ils gagnent encore la partie de gloire et d’immortalité qu’ils ont jouée.

image d’une guêpe Les académiciens ont ajourné à trois mois l’élection sur laquelle ils n’ont pu tomber d’accord.—Chacun des concurrents est invité, d’ici là, à faire un chef-d’œuvre.

Les voix obtenues par M. Bonjour peuvent se diviser en deux classes:—Les unes signifiant «pas Berryer,» les autres voulant dire «pas Hugo.» M. Bonjour n’est qu’une négation.

image d’une guêpe M. Thiers a fort soutenu M. Berryer.—M. Thiers est trop égoïste, ses amis le savent bien, pour conspirer pour quelqu’un; mais, en appuyant M. Berryer, il se fait une planche pour aller un peu aux légitimistes.—Il est de même pour un autre parti;—ne pouvant louer ouvertement les opinions politiques de MM. Berryer et Michel (de Bourges), il proclame ces deux avocats, qui n’écrivent pas, les deux plus grands écrivains du siècle.

image d’une guêpe L’élection de M. Berryer, n’ayant pas été enlevée, est manquée pour longtemps.—On s’attendait à voir M. Berryer écrire qu’il renonçait,—mais M. Berryer n’écrit pas. Il improvisera sa renonciation au domicile de ses amis.—On a prêté divers mots à MM. de Chateaubriand, Scribe, etc.—En voici un que je cite parce qu’il vient à l’appui de ce que je disais tout à l’heure: «Que le gouvernement fait tout ce que veulent ses ennemis.»—Quelqu’un a dit: «Mais que veut donc obtenir M. Casimir Delavigne, qu’il se met contre le roi à l’Académie?»

M. Dupin a dit à M. Berryer: «Ma voix ne vaut pas la vôtre, mais elle vous appartient.»

Il a dit à M. Hugo: «A quoi peut servir une voix, si ce n’est à vous proclamer un génie.»

Il a voté pour M. Bonjour.

image d’une guêpe Comme on demandait à M. Royer-Collard son appui pour la nomination de M. Berryer, et qu’on lui disait: «Le duc de Bordeaux vous écrira lui-même à ce sujet, il a répondu: «Si monseigneur le duc de Bordeaux me faisait l’honneur de m’écrire, je dénoncerais sa lettre au procureur du roi.»

image d’une guêpe A propos de la littérature du château, nous avons parlé de MM. Delatour et Cuvillier-Fleury;—nous avons maintenant à dévoiler les chagrins de MM. Bois-Milon et Trognon.

Les rôles sont aujourd’hui fort changés: les jeunes élèves sont devenus les maîtres et se font obéir;—ils obligent, à leur tour, leurs précepteurs à apprendre les choses inusitées. M. Bois-Milon est le plus heureux, c’est un homme insignifiant, et on ne s’occupe pas de lui;—cependant le duc d’Orléans s’est fait récemment suivre par lui en Afrique.—M. Bois-Milon a d’abord eu quelques chagrins d’équitation; puis on assure qu’il n’y avait rien de plus curieux que son équipement: il se chargeait de tant d’armes, qu’il lui aurait été impossible de se servir d’aucune.—La dyssenterie, maladie peu épique, fit de lui un bagage incommode que le prince laissa à Alger.

M. Trognon est le précepteur du duc de Joinville.—C’est un brave homme qui adore son élève. Le duc de Joinville est un jeune homme brave, impétueux, impatient, ce qui l’a fait quelquefois passer par de rudes épreuves.—Avant de s’embarquer, il rassemblait ses petits frères les ducs d’Aumale et de Montpensier, les emmenait dans les combles des Tuileries, et là leur apprenait à chanter la Marseillaise et le Chant du départ, en faisant tonuer de petits canons de cuivre. On raconte que l’ambassadeur de Russie entendit un jour par hasard ce concert et en fut assez scandalisé.

D’autres fois, il forçait ce pauvre M. Trognon de faire des armes avec lui, ou il l’obligeait à s’habiller en Turc.

Plus récemment, se trouvant sur son bâtiment, à l’île de Wight, il eut la fantaisie de donner un bal à bord.—M. Trognon s’y opposa. Le duc de Joinville attendit le moment où il se trouvait de quart, et, usant de son autorité de commandant,—il fit déposer à terre M. Trognon, qui ne revint au vaisseau qu’après le bal..

 

Jésuites;—hélas! on me paraît avoir fait comme l’étudiant, qui, harcelé par un lutin, finit par le couper en deux d’un coup de sabre.—Chaque moitié devint un démon entier.—Sous la robe noire de Basile, déchirée en deux, se cachent aujourd’hui les avocats et les professeurs.

M. Lerminier est un jeune professeur—qui a longtemps professé les principes démocratiques.—Soit que le pouvoir ait senti le besoin d’avoir M. Lerminier à lui, soit que M. Lerminier, amorcé par les succès des professeurs Guizot, Villemain, Cousin, Rossi, etc., ait senti le besoin d’être eu par le pouvoir,—toujours est-il que le pouvoir a agi en cela avec sa maladresse accoutumée.—M. Lerminier est aujourd’hui perdu.—Voici deux fois qu’il essaye inutilement de recommencer son cours, et deux fois que des cris, des hourras, des avalanches de pommes, obligent de le suspendre.

M. Lerminier se console peut-être en pensant que M. Rossi n’a pas non plus manqué de pommes dans ses commencements.

Mais M. Lerminier ne pense pas qu’il y a une chose que la jeunesse, noble, grande et exaltée qu’elle est, ne pardonne jamais:—c’est l’apostasie.

image d’une guêpe On emprunte à la Gazette d’Ausgbourg,—journal remarquable qu’on ne connaît pas assez en France, un article contenant le détail de la réception peu polie que Sa Grandeur M. Teste avait faite à un prince déchu. Mais le Courrier français et les autres—ont supprimé la phrase qui termine cet article. La voici; «Il y a bien des réflexions à faire sur tout ce qu’il y a d’arrogance et de mauvais goût dans la conduite de cet avocat parvenu.»

Pourquoi cette suppression? C’est que, dans un coin de chaque journal, il y a toujours un petit avocat arrogant et de mauvais goût, qui espère parvenir.

image d’une guêpe Eh! mon Dieu! d’où venez-vous, ma pauvre guêpe; vos petites ailes sont tremblotantes et fatiguées,—votre petit corps est tout haletant: êtes-vous entrée chez quelque confiseur et vous a-t-on battue? avez-vous mangé trop de sucre? avez-vous couru tout Paris sans trouver ceux que j’avais désignés à votre aiguillon? Couchez-vous dans ce beau lit de pourpre que vous offre ce camélia,—ma pauvre petite guêpe,—et reposez-vous.

Ce n’est rien de tout cela;—en passant sur le boulevard des Italiens, elle a été asphyxiée par la vapeur du détestable tabac qu’y fument les élégants, les dandys et les lions.—Ma foi, chère petite guêpe, vous m’y faites penser et nous allons traiter cette question à fond.

On annonce qu’à l’ouverture de la session, le gouvernement va proposer le renouvellement du bail de la ferme des tabacs pour un temps illimité.—

Hélas! qui va défendre à la Chambre les intérêts des fumeurs?—La génération qui y est ne fume pas, elle prise;—nous serons bien heureux si elle n’est qu’indifférente et si elle ne nous condamne pas, par un de ces votes saugrenus dont elle est quelquefois capable,—à vingt ans de tabac forcé,—du tabac que nous vend la régie. Depuis quinze ans que l’usage du tabac à fumer s’est prodigieusement répandu en France, on ne s’est pas occupé de se préparer des récoltes plus abondantes, surtout dans les qualités supérieures;—de sorte que la régie ne peut subvenir aux besoins des consommateurs.—Outre qu’elle vend le tabac excessivement cher, et qu’elle diminue les quantités à mesure qu’elle augmente le prix, il n’est pas de drogue honteuse qu’elle ne vende tous les jours sous le nom de cigares;—on fume du foin, on fume des feuilles de betteraves, on fume du papier gris:—il n’y a qu’une chose qu’on ne fume pas,—c’est le tabac.

La régie des tabacs, telle qu’elle est constituée, est un vol odieux.—Il est impossible à Paris, quelque prix qu’on en offre, d’avoir du tabac passable.—Cela est tellement vrai, que j’ai la douleur de dénoncer plusieurs princes du sang royal comme n’ayant pu s’y soumettre et se servant habituellement de tabac de contrebande.

Le duc d’Orléans et le duc de Nemours ne fument presque plus;—mais, quand ils fumaient, ils faisaient prendre leurs cigares chez un marchand de vins qui, je crois, a été poursuivi depuis pour la contrebande du tabac;—je pourrais dire son nom,—attendu que je faisais absolument comme les princes, mais je ne veux pas l’exposer à de nouvelles tracasséries. Pour le duc de Joinville, qui fumait et fume beaucoup, il a soin de faire ses provisions en voyage.

image d’une guêpe Voici mon troisième volume terminé; toutes mes guêpes sont-elles rentrées? Où sont Padcke—et—Grimalkain? Les voici—fermons la porte.


Février 1840.

Le discours de la couronne.—L’adresse.—M. de Chasseloup.—M. de Rémusat.—Vieux habits, vieux galons.—M. Mauguin.—M. Hébert.—M. de Belleyme.—M. Sauzet.—M. Fulchiron boude.—Jeux innocents.—M. Thiers.—M. Barrot.—M. Berryer.—La politique personnelle.—M. Soult.—M. Passy.—Horreur de M. Passy pour les gants.—M. d’Argout.—M. Pelet de la Lozère.—M. de Mosbourg.—M. Boissy-d’Anglas.—Je ne sais pas pourquoi on contrarie le peuple.—M. de *** et le duc de Bordeaux.—La réforme électorale.—Situation embarrassante de M. Laffitte.—M. Arago.—M. Dupont de l’Eure.—La coucaratcha.—Les femmes vengées.—Ressemellera-t-on les bottes de l’adjudant de la garde nationale d’Argentan.—La Société des gens de lettres.—M. Mauguin.—Réforme électorale.—M. Calmon.—M. Charamaule.—M. Charpentier.—M. Colomès.—M. Couturier.—M. Laubat.—M. Demeufve.—M. Havin.—M. Legrand.—M. Mallye.—M. Marchal.—M. Mathieu.—M. Moulin.—M. Heurtault.—Prudence dudit.—Quatre Français.—Le conseil municipal, relativement aux cotrets.—Deux gouvernements repris de justice.—M. Blanqui.—M. Dupont.—Un vieux mauvais sujet.—Un préfet de Cocagne.—M. Teste.—Les rues.—Les poids et mesures.—Protestation.—L’auteur se dénonce lui-même à la rigueur des lois.—Les guêpes révoltées.—L’auteur veut raconter une fable.—M. Walewski.—M. Janin.—M. A. Karr.—M. N. R***.—Un bon conseil.—Un bal bizarre.—Madame de D***.—Les honorables.—M. Coraly le député.—M. Coraly le danseur.—Histoire de madame *** et d’une illustre épée.—M. Pétiniau.—M. Arago.—M. Ampère.—Les mathématiques au trot.—M. Ardouin.—M. Roy.—Concerts chez le duc d’Orléans.—M. Halévy.—M. Victor Hugo.—M. Schnetz.—M. Auber.—M. Ch. Nodier et madame de Sévigné.—Madame la duchesse d’Orléans.—Madame Adélaïde.—Le faubourg Saint-Germain et les quêteuses.—Madame Paturle et madame Thiers.—Mademoiselle Garcia et ses fioritures, Grétry et Martin.—Indigence de S.M. Louis-Philippe.—29 janvier.—Ce que les amis du peuple lui ont donné.—Les pauvres et les boulangers.—Bon voyage.

image d’une guêpe CHOSES DITES SÉRIEUSES,—Les Chambres ont commencé ce qu’on appelle leurs travaux.

Après le discours du trône, les hommes graves et les journaux ont, comme de coutume, passé quinze jours à éplucher les phrases et à écosser les mots qui le composent, pour y trouver une foule de sens mystérieux.—Puis on s’est occupé à faire le logogriphe de la Chambre en réponse à la charade de la couronne.

On a vu reparaître alors toute la friperie phraséologique des années précédentes,—le vaisseau de l’État, l’horizon politique,—le timon de l’État,—les athlètes infatigables,—les hydres aux têtes sans cesse renaissantes, les égides, etc., etc., que l’on a ensuite remise aux clous, où on l’avait prise et où on la reprendra l’année prochaine.

L’adresse et la discussion qui l’a précédée ont été une œuvre de banalité et de médiocrité. Les assaillants, comme les défenseurs, l’opposition, comme le gouvernement, tout le monde a contribué de son mieux à en faire quelque chose de parfaitement vide.

Personne n’a eu le courage de son opinion. M. de Rémusat a reculé devant le sens primitivement sournois et agressif de l’adresse dont la rédaction lui avait été confiée,—et a cru devoir l’expliquer.—M. de Chasseloup a reculé devant son amendement.

image d’une guêpe M. Mauguin était à la tribune et prononçait un long discours, lorsqu’il en vint à cette phrase: «Et c’est une chose de quelque importance que le siége d’Hérat.»

La Chambre entendit le siége des rats, et il y eut un éclat de rire universel.

M. FULCHIRON. Le siége des rats a excité les souris de la Chambre.

M. HÉBERT. Qu’en pense le shah?

M. DE BELLEYME. Le shah les surveille; il a l’œil perçant.

M. Mauguin continuait à parler; M. Fulchiron quitta sa place et se dirigea vers le fauteuil du président,—en lui faisant un signe d’intelligence pour lui faire comprendre qu’il avait à lui dire des calembourgs dont on sait que M. Sauzet est grand amateur.

M. Sauzet répondit par un geste d’autorité qui voulait dire: «Attendez un peu, quand M. Mauguin aura fini.»

Comme l’avait prévu l’avocat Sauzet, le discours de l’avocat Mauguin finit par finir,—et le président fit alors à M. Fulchiron un nouveau signe qui voulait dire: «Ah! il y a des calembourgs, eh bien! venez maintenant.»

Mais M. Fulchiron était blessé;—il tourna la tête d’un air boudeur et ne voulut voir aucun des signes que M. Sauzet s’évertua à lui adresser pendant tout le reste de la séance.

image d’une guêpe MM. les députés se font passer de petits papiers sur lesquels on lit:

Quel est le sentiment qui maigrit le plus les hommes?

Quels sont les trois départements qui ne mettent pas de beurre dans leur cuisine?

Ces questions circulent,—et chacun essaye de les résoudre.—L’Œdipe le plus fort écrit sa réponse, et les papiers recommencent à circuler.

Deux de ces papiers que nous avons eus dans les mains contiennent, outre ces questions, les réponses que voici:

Sur la première question:—l’admiration (la demi-ration).

Sur la seconde:—Aisne, Aube, Eure (haine au beurre).

N. B. Il n’y a pas dans ce précis des travaux parlementaires la moindre plaisanterie. Tout est vrai.

image d’une guêpe Un événement parlementaire a été le discours de M. Thiers sur la question d’Orient: ce discours, très-attendu, très-annoncé, très-médité, n’a pas produit l’effet qu’on en espérait.

Ce n’était qu’une triple pétition qui n’a été apostillée par personne; d’abord pétition au roi pour demander un ministère; en effet, on n’y remarquait aucune phrase contre la politique personnelle; loin de là, elle était traitée avec une remarquable mansuétude, le système de la paix y était fort exalté,—il y avait loin de ce discours à celui où M. Thiers a dit: «Louis-Philippe était dans son droit, et j’étais dans le mien.»

Pétition à la Chambre pour demander une majorité et un appui; tout le monde avait sa caresse et sa part de paroles mielleuses; il y avait tour à tour une phrase pour M. Berryer, une phrase pour M. Barrot, une phrase pour les deux cent vingt et un.

Enfin, troisième pétition à l’Europe et particulièrement à l’Angleterre pour obtenir l’autorité d’un grand diplomate, des visites à la place Saint-Georges et la réputation d’un homme avec lequel on peut traiter.

Mais M. Thiers a pu s’assurer que, lorsqu’on veut ainsi contenter tout le monde, on ne contente... que sa famille et ses sténographes.

En effet, voici ce qu’il est advenu des trois pétitions.

Nous croyons savoir qu’un grand ami de M. Thiers s’est fait voir au château et au ministère des affaires étrangères, où il a cherché à persuader à M. Soult de retourner au ministère de la guerre et de donner sa place à M. Thiers.

Mais, au château comme chez le maréchal, on a répondu avec une froide bienveillance que le discours était bien modéré, bien inattendu, bien tiède, mais que, pour entrer au ministère, il était trop tard.

A la Chambre, on a trouvé le discours très-sage, très-convenable, et chacun a été fort content de son lot, mais très-mécontent du lot de son voisin.

En Angleterre, pas un journal ni whig ni tory ne l’a commenté, ne l’a cité, n’en a parlé, ne l’a lu,—il a été considéré comme non avenu. Ç’a été un fiasco complet.

Au point de vue de la diplomatie, le discours n’apprenait rien sur la question, et tout ce qui a rapport au pacha d’Égypte présentait de telles lacunes, que tout le monde a été d’accord sur ce point, que ce n’est pas ainsi, en n’en montrant qu’un côté, qu’on peut avoir la prétention de traiter sérieusement les affaires.

image d’une guêpe Un célèbre orateur n’a pas parlé sur l’adresse.—Son silence a étonné bien des gens. En voici l’explication: cet orateur, avocat, comme tout le monde,—renonce généreusement, pour représenter son parti à la Chambre des députés, à l’exercice de sa profession qui lui rapporterait au moins cent mille francs par an. Il n’a pas de fortune, et le parti lui alloue une indemnité annuelle.

En ce moment, soit que le parti trouve que son orateur ne parle pas assez pour ce qu’on lui donne, soit qu’il ait épuisé sa bourse et son cœur pour une royale infortune qui gémit dans l’hospitalité, il est en retard d’un trimestre, et l’orateur sera muet ou enrhumé jusqu’à solde de tout compte.

image d’une guêpe M. Passy—s’occupe de la conversion des rentes,—nous allons nous occuper un peu de M. Passy.

Comme orateur, M. Passy est tout à fait insupportable à cause d’un défaut dans la prononciation qui le rend aussi fatigant qu’inintelligible.—Je me rappelle une phrase prononcée (si on peut appeler cela prononcer) par lui pendant qu’il était dans l’opposition et qu’il faisait contre le ministère d’alors la guerre que l’on fait aujourd’hui contre lui, avec les mêmes armes et les mêmes arguments. «Les choufranches de la Franche viennent chancheche de che que le minichtère n’a pas de chychtème.

Comme homme d’État et comme administrateur, M. Passy a été perpétuellement, et d’une façon bizarre, sous la double et contraire influence des deux prénoms qu’il a reçus.

M. Passy s’appelle Hippolyte-Philibert, et toute sa vie il s’est efforcé d’éviter les applications qu’on aurait pu lui faire du nom d’un mauvais sujet célèbre au théâtre, et de se réfugier dans les vertus du «sauvage Hippolyte,» son autre patron. Cette précaution devait le jeter dans de singuliers excès, et elle n’y a pas manqué. M. Passy s’est efforcé de se montrer composé, ennuyeux, peu soigné dans sa mise, sous prétexte d’austérité. Jamais il n’a pu s’élever jusqu’aux gants verts que nous avons reprochés avec quelque amertume à plusieurs de ses collègues;—il garde les mains nues,—Hippolyte ne portait pas de gants et Philibert les devait.

La conversion passera à la Chambre des députés à une majorité de deux cent vingt voix contre quatre-vingt-dix,—mais peut-être avec quelques restrictions.

Le projet viendra ensuite à la Chambre des pairs; et il y sera rejeté à quatre-vingt-dix voix contre douze.—Parmi ces douze on peut désigner d’avance M. d’Argout, M. Pelet de la Lozère, M. de Mosbourg, M. Boissy-d’Anglas, et les nouveaux pairs qui sont nommés pour cela.

Il ne restera alors au roi que le plaisir de ne pas sanctionner une mesure sur laquelle nous ignorons son opinion.

image d’une guêpe A propos du roi et de la Chambre, une chose m’a frappé cette année plus encore qu’elle ne l’avait fait jusqu’ici.

Je ne sais pas pourquoi on s’obstine quelquefois à contrarier le peuple et à ne pas faire ce qu’il demande,—ce n’est certes pas moi qui m’amuserai jamais à contrarier le peuple,—ce bon peuple, il demande avec tant d’instance, tant de cris, tant de fureur, il est si près à mourir pour ce qu’il demande, et ensuite il se contente de si peu!

Après l’Empire on était las de la conscription, qui avait plus que décimé les familles... et on avait peut-être raison.—La Restauration annonça que la conscription, l’odieuse conscription, était à jamais abolie.—En effet, on la remplaça par le recrutement, qui est absolument la même chose, et le peuple a été content.

Après juillet 1830, on a dit au peuple: vous abhorrez la gendarmerie, vous n’aurez plus de gendarmerie.—A bas la gendarmerie!—Remplaçons-la par une magnifique garde municipale—et le peuple a été content.

Vous ne voulez plus de gardes du corps, ni de garde royale.—C’était peut-être un but à l’ambition légitime de l’armée—mais aujourd’hui, quand un soldat est ambitieux, il se proclame roi de France.—Il n’y aura plus de gardes du corps, ni de garde royale. Mais comme il faut que le corps du roi soit gardé, attendu la funeste habitude que prennent les garçons selliers de lui tirer des coups de pistolet à trois pas, on lui a donné, au roi, pour gardes du corps, des mouchards et des argousins. Quand le roi va à la Chambre des députés, quand la reine va à l’Opéra, les endroits par où doivent passer Leurs Majestés présentent un rassemblement des physionomies les plus patibulaires et les plus inquiétantes; des haies d’habits bleus râpés et gras,—des escouades de redingotes à collet de fourrure au mois d’août,—des bottes éculées, des gourdins énormes, des chapeaux crevés, des pipes écourtées vomissant des parfums nauséabonds—annoncent à Paris et entourent la Majesté Royale.

image d’une guêpe Une guêpe voyageuse me rapporte une petite histoire de Goritz.—M. de *** était allé faire sa cour au duc de Bordeaux.—En prenant congé du jeune prince, il parut un peu embarrassé, balbutia, hésita, et cependant finit par lui dire: «Monseigneur, Votre Altesse Royale excusera la liberté que je vais prendre,—mais je ne dois rien vous cacher de ce qui est dans vos intérêts: l’Europe entière a les yeux sur vous, monseigneur;—vous n’ignorez pas la puissance de la mode, en France.—Eh! bien... vos habits ne sont pas à la mode! permettez-moi, monseigneur, de vous en faire faire d’autres à Paris et de vous les envoyer.

—Monsieur de ***, répondit le prince en souriant, je vous suis infiniment obligé de votre soin.—Vous me rappelez en ce moment le plus fidèle serviteur d’un des anciens rois de France.»

Quand M. de *** eut pris congé, une des personnes qui étaient auprès du prince lui demanda à quel roi et à quel serviteur il avait voulu faire allusion.

—Comment, répliqua le duc de Bordeaux, vous ne savez pas mieux l’histoire de France?—J’ai voulu parler du grand roi Dagobert et de son conseiller, dont M. de *** m’a parfaitement rappelé le discours:

Le grand saint Éloi
Lui dit: O mon roi,
Votre Majesté
Est mal culottée.

image d’une guêpe LA RÉFORME ÉLECTORALE.—Par un beau dimanche de janvier plusieurs centaines de gardes nationaux, précédés de quelques officiers, sont allés faire des discours à MM. Laffitte, Arago, Dupont (de l’Eure).—Quel était le quatrième, je ne me le rappelle pas.—Toujours est-il que ce n’était pas M. Odilon Barrot, qui, par cette exception, se trouve déclaré juste-milieu par ses amis.—Ce pauvre M. Barrot avait sa réponse toute prête au discours qu’on n’est pas allé lui faire!—Les autres, plus heureux, ont parlé à loisir.

ÉPIDÉMIE.—Il y a en France—une épidémie—horrible mille fois plus que la peste—le choléra—la lèpre réunis.—Tout le monde en est atteint, et qui pis est, personne n’en meurt et les avocats en vivent. Je veux parler de la manie de parler. La piqûre de la tarentule fait danser.—Un romancier a dénoncé un insecte qu’il appelle coucaratcha et qu’il fait babiller. Les coucaratchas se sont abattues sur la France comme les nuées de sauterelles sur l’Égypte.

Car chacun y babille et tout du long de l’aune.

Où sont maintenant ces vieilles plaisanteries si usées et toujours si applaudies au théâtre, sur le caquetage des femmes! les hommes les ont bien dépassées,—et ils ne se contenteraient pas comme elles de causer;—causer! oh! bien oui, causer! cela ne vaut pas la peine,—on ne dit presque qu’une phrase à la fois,—et on parle chacun à son tour.—Causer! on a des interlocuteurs au lieu d’auditeurs;—on ne cause plus, on veut faire de bons gros longs discours,—on veut monter sur quelque chose, une tribune, une chaise, un banc, une table, cela ne fait rien,—et comme tout le monde veut parler, comme il ne reste personne pour former un auditoire, tout le monde parle à la fois et sans s’arrêter.

Il n’est pas de prétexte que l’on ne prenne pour parler: on va jusqu’à adopter les vertus les plus austères si elles prêtent au discours.

On se fait savant pour parler,—philanthrope pour parler,—philosophe pour parler,—prêtre pour parler.

On parle sous prétexte de charité,—sous prétexte d’horticulture, sous prétexte de géographie,—sous prétexte de tout.

On a fondé à Paris, rue Taranne, au premier, une Société des naufrages pour parler.

On a fondé par toute la France des comités d’agriculture pour parler.

Dans ces moments où de grands citoyens et d’autres plus petits, mais excellents, pensent que le bien du pays exige qu’ils se rassemblent en un banquet patriotique pour manger du veau, sous prétexte du toast—on fait des discours.

A Argentan,—en Normandie,—un conseil municipal ou autre s’est assemblé dernièrement pour savoir si on ferait ressemeler les bottes de l’adjudant de la garde nationale, et on a parlé et discuté pendant quatre heures.

Toute la France parle,—la France est folle, elle assourdit l’Europe du bruit de ses paroles;—au moindre événement, avènement ou attentat,—on envoie des adresses au roi,—et le roi répond par des discours.—Le duc d’Orléans voyage,—on lui fait des discours, et le duc d’Orléans répond par d’autres discours.

Et on a formé une Société de gens de lettres;—on s’assemble chez un M. Pommier, et on fait des discours.

Et après:

Après on fait d’autres discours.

Mais les affaires?

Les affaires ne sont qu’un prétexte,—le but sérieux est de parler,—et on parle:—d’abord chacun à son tour, puis tous à la fois.

Cela doit être joli.

image d’une guêpe J’en étais donc à MM. Laffitte, Arago, etc., auxquels trois cents hommes de la garde nationale sont allés faire des compliments sur leur zèle pour la réforme électorale: ces messieurs ont fait ensuite leurs discours,—et quels discours!

Une chose assez piquante, selon moi, c’est que cette loi électorale si mauvaise, si odieuse, qu’il est si urgent de réformer,—fut en son temps préparée, approuvée et présentée à la Chambre des députés par le même M. Laffitte, alors ministre et président du conseil.

Cette loi fut jugée par les membres de la gauche très-libérale,—et M. Mauguin lui-même dit alors qu’avec une pareille loi la France avait de la liberté pour cinquante ans.

De telle sorte que M. Laffitte voyant qu’on venait en armes et en tumulte pour parler de la réforme, de cette loi électorale dont il est le père, dut être d’abord assez perplexe et ne pas savoir si on venait le complimenter ou lui faire une avanie.

Je passais par la rue Laffitte en ce moment, et le cocher qui me conduisait répondit à ma question sur la cause de ce bruit et de cette prise d’armes: «C’est la garde nationale qui va chez M. Laffitte pour le réformer.»

Le lendemain, il se répandit un bruit que ces messieurs avaient été pris pour dupes; que l’on était en carnaval; que la prétendue garde nationale n’était qu’une mascarade, et que c’était à des masques qu’ils avaient débité leurs discours.

Mais ensuite les officiers qui avaient conduit l’émeute nationale furent mis en jugement et suspendus de leur grade pendant deux mois.—Suspendus! c’est là ce qu’on appelle une peine! mon Dieu! que je voudrais donc être officier, quel discours j’irais faire à M. Laffitte!

Les partisans de la réforme électorale me paraissent être les jouets d’une étrange erreur.—J’ai traité ce sujet dans le premier volume des Guêpes.—J’ajouterai à ce que j’ai dit alors—ce que je crois également d’une vérité incontestable.

On ne fait sortir d’un pays que ce qu’il y a dedans; il y a des choses qu’on n’ordonne pas par une loi. On ne décrète pas le patriotisme, la vertu, le désintéressement, fît-on même intervenir la guillotine.

Je prétends que, si on formait une nouvelle Chambre, soit avec la réforme électorale tant criée, tant demandée, soit avec le suffrage universel,—on la retrouverait composée des mêmes éléments, à doses égales.

Tenez, voici un autre projet de réforme électorale dont je prends l’initiative.—Barrez le Pont-Neuf à midi des deux côtés,—et formez une Chambre de tous ceux qui s’y trouveront arrêtés,—vous y trouverez, comme à la Chambre, un nombre relatif égal d’ambitieux,—de niais,—de gens sensés,—d’avocats, etc.—Vous y trouverez des gens qui parlent aussi mal français que MM. Calmon, Charamaule, Charpentier, Colomés, Couturier, Laubat, etc., etc.

Vous y trouverez des gens aussi mal vêtus que MM. Demeufve, Havin, Leyraud, Mallye, Couturier déjà nommé, Marchal, Mathieu (de l’Ardèche), restaurateur et juge au tribunal de son endroit, Moulin (de l’Allier), Garnon, etc., etc.

Ah! diable!—j’allais oublier M. Heurtault, un monsieur qui, riche de deux cent mille livres de rentes,—a adopté le déguenillement pour exciter l’admiration de son austérité chez les hommes de son parti et éviter les souscriptions et les emprunts.

Et quand vous aurez ainsi formé une Chambre,—demandez un vote sur n’importe quoi,—et comptez les suffrages;—je gage ma plus belle pipe turque, celle dont le tuyau de cerisier arménien a une fois et demie la hauteur de Léon Gatayes, que vous avez dans chaque parti un nombre précisément égal à celui que vous avez dans la Chambre.

Quelqu’un me faisait hier une observation sur la guerre que je livre à certains députés à propos de l’extrême négligence de leur costume.—On me blâmait en me disant: «Les députés, étant élus par la nation, ne doivent pas chercher à se distinguer d’elle par le costume.»—Et quel est le costume de la nation? demandai-je; mettons-nous à la fenêtre pour voir passer la nation.—La nation... cela veut dire les Français, probablement.

Premier Français:—Un joueur d’orgue; veste de ratine brune, chapeau décousu, pas de gants.

Deuxième Français:—Un porteur d’eau; veste bleue, une casquette.

Troisième Français:—Un croque-mort,—habit noir,—pantalon gris,—cravate blanche.

Quatrième Français:—Une cuisinière revenant du marché;—un fichu à carreaux sur la tête,—un châle de mérinos couleur grenat, un panier.

image d’une guêpe Les quatre-vingt-cinq mille indigents inscrits dans les mairies de Paris sont bien heureux de la douceur qui a régné jusqu’ici dans la température,—car la bienfaisance municipale n’aurait apporté que peu de soulagements à leur misère. Cette bienfaisance municipale ne pense jamais pendant l’automne qu’il fera peut-être froid l’hiver;—l’hiver arrive, les pauvres tremblent, frissonnent, souffrent; au bout de quinze jours de gelée consécutifs, le conseil municipal songe qu’il faut s’assembler pour conférer sur les secours à donner aux malheureux.—On discute, on parle, on n’est pas d’accord; on remet la séance au lendemain;—le lendemain,—ou la semaine d’après, on vote une vingtaine de mille francs,—comme on a fait la semaine dernière,—et cela ne produit pas tout à fait un petit fagot pour chaque pauvre.—Les distributions ne peuvent se faire que quelques jours après qu’elles ont été votées, décidées et ratifiées,—et les pauvres reçoivent enfin leur cotret au dégel.

image d’une guêpe Dans ce seul mois de janvier, deux gouvernements repris de justice ont passé devant les juges.

De ces deux gouvernements, l’un avait tenté de s’établir à Marseille; c’était un duumvirat républicain. Cette république avait deux chefs: Carpentras, peintre en bâtiments, et Ferrary, cordonnier;—deux sujets soumis, Carpentras et Ferrary;—deux imprimeurs: Ferrary et Carpentras;—deux afficheurs: Carpentras et Ferrary.

Ces deux messieurs s’étaient réunis un soir dans un café,—s’étaient constitués en assemblée nationale,—avaient décrété deux ou trois mesures et les avaient affichées pendant la nuit.

L’une ordonnait aux boulangers de faire crédit à tous les citoyens et notamment aux chefs du gouvernement, les sieurs Carpentras, peintre en bâtiments, et Ferrary, cordonnier.

Une autre intimait à messieurs les riches la défense de sortir de la ville sous peine de mort.

On les arrêta et on les mit en jugement,—on saisit à leur domicile plusieurs ordonnances toutes préparées. En voici deux qui méritent d’être remarquées:

ORDONNANCE.—Nous, etc.

Ordonnons ce qui suit:—On fera, sous le délai d’un mois, badigeonner à neuf toutes les maisons de la ville;—on renouvellera les papiers qui manqueraient de fraîcheur.—Ces travaux seront confiés à M. Carpentras, peintre en bâtiments, et payés expressément au comptant.—Signé FERRARY.

ORDONNANCE.—Le sieur ***, corroyeur, fabricant de tiges de bottes, est un citoyen médiocre.—Nous le décrétons en conséquence de prise de corps et confisquons ses marchandises, lesquelles seront attribuées au sieur Ferrary, en récompense des services qu’il a rendus et rend journellement à la République, à titre de récompense civique.—Signé CARPENTRAS.

image d’une guêpe Le deuxième gouvernement était la seconde catégorie des accusés de mai qui ont été jugés par la cour des pairs.

On a pu voir encore en cette circonstance les tristes et embarrassantes conditions d’un gouvernement fondé en juillet 1830, à la suite d’une émeute réussie.

On applique les formes les plus graves et les plus solennelles à juger un certain nombre de gamineries contre lesquelles on prononce des peines qu’ensuite on n’applique pas.

Les séances consacrées aux doublures des premiers accusés n’ont produit aucune sensation.—Le jeune Blanqui, sorte de Dumilatre politique, a faiblement joué le rôle mélodramatique dans lequel Barbès avait obtenu une sorte de demi-succès.

Il a, comme Barbès, refusé de répondre à l’accusation,—mais il a espéré dissimuler le plagiat en parlant moins encore que son chef d’emploi qui n’avait pas parlé du tout;—il a fait paraître l’avocat Dupont pour qu’il ne parlât pas non plus.

Plusieurs des pairs ont profité de toutes sortes de prétextes pour ne pas assister aux séances;—quelques-uns, du reste, sont encore malades de la façon excessive dont on avait chauffé leur salle humide à la première séance.

Les avocats des accusés,—ceux qui parlent,—ont continué à soutenir, comme dans la première affaire, la théorie d’une différence à établir dans la pénalité entre le crime politique et le crime—comment appellerai-je l’autre crime?

Le pouvoir combat cette théorie en paroles, mais l’admet en action; quand il a obtenu la condamnation de ses accusés, il leur inflige une peine différente de celle prononcée.

Un gouvernement qui n’aurait pas les inconvénients d’origine que nous avons signalés—ne serait pas forcé de commettre de si singulières inconséquences;—il mettrait peut-être moins de colère en commençant, parce qu’il se sentirait plus fort et aurait moins peur,—et manifesterait plus de fermeté dans l’exécution des condamnations, qu’il n’y a aucun prétexte de demander, quand on se réserve de montrer, par leur non-exécution, qu’on les trouve trop rigoureuses.

Certes, s’il y avait lieu à établir cette distinction absurde entre le crime politique et le crime... civil, cette distinction ne serait pas à l’avantage du crime politique.—On comprend, à la rigueur, un certain degré d’indulgence pour un crime auquel un homme aurait été poussé par le besoin et par la faim,—ou par une de ces passions qui ont de toute éternité rongé le cœur humain, telles que la jalousie.

Mais, quand de vagues théories politiques infiltrées dans de jeunes cervelles en même temps que les demi-tasses de café gagnées ou perdues au billard dans les estaminets, conduisent leurs adeptes jusqu’à l’assassinat,—le crime qui n’a pas pour excuse le besoin ou l’emportement frénétique de la passion—n’est guère fondé à réclamer l’indulgence, que dis-je? des égards, du respect et une quasi-impunité, parce que c’est un crime de fantaisie et surtout de vanité.

Mais le gouvernement actuel est, vis-à-vis des jeunes émeutiers, dans la situation d’un père, ancien mauvais sujet,—qui gronde brusquement un fils débauché, et ne peut cependant se refuser à l’indulgence, en se rappelant que ce sont là des torts de jeunesse qu’il ne peut s’empêcher de retrouver un peu dans ses souvenirs.

image d’une guêpe Nous sommes au milieu du carnaval,—et on s’étonne de ne pas voir à Paris encore un jeune préfet sur lequel on avait fait l’année passée ces deux vers remarquables:

Lorsque R*** revint du Monomotapa,
Paris ne soupait plus,—et Paris resoupa.

Nous appellerons le jeune administrateur préfet de Cocagne,—non que ce département existe tout à fait en France; mais, outre que le nom s’applique merveilleusement à la chose, il rime au nom réel du département qui a le bonheur de le posséder, à peu près comme hallebaRDED rime à miséricoRDED.

Il a ordinairement le bonheur d’être retenu dans son département par les devoirs rigoureux de sa position,—pendant les beaux mois de l’année.

Mai, où les cerisiers tout blancs livrent au vent tiède la neige odorante de leurs fleurs.

Juin, le mois des roses, etc.

Jusqu’à l’ouverture de la chasse, où il a encore le bonheur d’être si nécessaire à ses administrés, qu’il ne pourrait s’éloigner sans de graves inconvénients.

Mais, aussitôt que l’hiver descend des sommets glacés des montagnes; aussitôt que les premiers archets glapissent à Paris; aussitôt que les concerts, les soirées et les bals s’organisent, il arrive, par une singulière coïncidence, que la présence du préfet devient indispensable dans la capitale.

On le voit se hâter, presser, encourager, gourmander les postillons; il craint de perdre une minute, une seconde;—il marche, il vole, il arrive, et le département est sauvé. Clic-clac,—clic-clac,—clic-clac. Paris se réjouit de le revoir et lui dit: «Sois le bienvenu.» Pour lui, il cherche avec une infatigable persévérance les gens qui peuvent être utiles à son département.—Il les cherche partout, dans les soirées, dans les bals, dans les raouts;—car, en cette saison, ce n’est que là qu’on peut trouver son monde. Quelquefois il poursuit ses recherches laborieuses jusqu’au milieu de la nuit; il les suit dans leurs mouvements, dans leurs détours, dans leurs valses;—il les suit jusqu’à table ou dans les tourbillons frénétiques du galop; il ne recule ni devant les insomnies, ni devant la fatigue et les suites des festins tardifs:—il faut que les affaires du département se fassent.

Puis, quand l’hiver s’est écoulé dans cette vie de fatigue et d’abnégation; quand sous les feuilles de violette se cachent de petites améthystes parfumées; quand la poitrine sent le besoin d’un air plus pur, le département de Cocagne rappelle son cher administrateur, le devoir le réclame, et il ne connaît que le devoir;—il quitte courageusement les plaisirs qui cessent, les bals finis, les bougies éteintes, les glaces absorbées, les gâteaux engloutis, les femmes pâles et fanées: rien ne l’arrête, il s’arrache à tout, il part et arrive dans son endroit, où il restera tout l’été.

Pendant que le ministre Teste attaque les possesseurs d’offices, que M. Passy (Hippolyte-Philibert) fait la guerre aux rentiers, on fait encore d’autres révolutions d’un ordre inférieur.

Je déclare publiquement que ma mémoire n’y peut suffire,—et que je proteste hautement contre les voies funestes dans lesquelles nous sommes engagés. Nous avons, tant à la Chambre des députés qu’à la Chambre des pairs, cinq cents hommes qui passent leur vie à faire et à bâcler des lois, et à recrépir les anciennes. Tous les deux ou trois ans, on renverse de fond en comble les lois qu’on vient de faire, pour leur en substituer d’autres qui ne durent pas plus longtemps;—et, ce qu’il y a là-dedans d’effrayant et de sinistre,—c’est que nous sommes forcés de connaître toutes les lois qu’on nous donne.—L’ignorance sur ce point n’est jamais admise comme excuse, l’ignorance est la mère de la prison et de la ruine.—A peine a-t-on fait entrer une loi dans sa tête, que la loi est changée, abrogée, renouvelée, et qu’il faut se mettre à l’oublier pour en apprendre une autre.—Que quelqu’un se livre à un long sommeil ou à un court voyage, son premier soin à son réveil ou à son retour doit être de se mettre au courant des lois nouvelles.—Pendant que j’étais allé passer quinze jours chez mon cher frère Eugène, à Imphy, on en avait fait une douzaine que je me suis mis à apprendre; sans cela je serais exposé à me lever innocent dans ma chambre et à me coucher criminel dans une maison du roi, sous l’œil paternel de la gendarmerie.

Ainsi une ordonnance est venue le 1er janvier nous dire que nous ne savions plus compter, que c’était inutilement que nous avions chargé notre mémoire autrefois de toutes les dénominations de nombre, de mesure, d’espèce de poids, etc.—Que le français que nous avons appris est en partie supprimé et qu’il en faut apprendre un autre.

Paris alors s’est trouvé dans une grande confusion, il semble que le Seigneur ait dit des Français comme autrefois des audacieux architectes de la tour de Babel—en punition du bavardage auquel s’abandonne notre malheureux pays:

Genèse, XI-7. «Confondons tellement leur langage qu’ils ne s’entendent plus les uns les autres.»

Une grande perturbation s’est mise parmi les femmes—qui, obligées de mesurer leurs étoffes par mètre, centimètre et millimètre,—depuis la suppression de l’aune, vont être pendant longtemps habillées à contre-sens.

Vous vous égarez en voyage, vous demandez à un paysan à quelle distance vous êtes de la ville la plus voisine.—Si ce paysan respecte les lois de son pays—il vous effraye en vous disant: «Vous êtes à trois kilomètres et neuf hectomètres.» C’est consolant.

Il n’y a plus de voie de bois.—Ce que vous appeliez ainsi, vous voudrez bien le désigner à l’avenir, sous peine d’amende, par cette dénomination prolongée, un stère quatre-vingt-douze centistères.—Bien du plaisir.

Certes, le système décimal est bien plus logique que l’ancien système,—mais il n’est pas mal de constater en passant tout ce qu’entraîne de tumulte et de perturbation un changement, même pour une incontestable amélioration.

image d’une guêpe On entend dans les rues des gens qui crient: «Voilà la nouvelle ordonnance qui défend de compter autrement que par les centimes.—La voilà pour DEUX SOUS

image d’une guêpe Du reste, jusqu’à ce que tout le monde s’entende, il faudra subir de nombreuses et incommodes conséquences.—De l’aveu des médecins, les erreurs qui se commettent déjà trop fréquemment entre eux et les pharmaciens vont prodigieusement augmenter en nombre, et l’on pourrait déjà citer quelques martyrs du système décimal.—Quelques prescriptions deviennent impossibles, à cause que la division par tiers n’existe pas rigoureusement dans le système décimal.—Or, l’emploi habituel des poisons en médecine exige dans les doses une précision qu’il est dangereux de diminuer.

La Régie des tabacs a tiré déjà de la circonstance un parti qui trouvera des imitateurs.—Cette pauvre Régie ne produit que 90 millions par an,—elle ne gagne que trois cent soixante-cinq pour cent sur le prétendu tabac qu’elle livre à la consommation.—Dans la difficulté de mettre en rapport les poids et les prix, elle a pris un biais qu’il serait long et ennuyeux d’expliquer ici, et qui augmentera son bénéfice de quatre un quart pour cent. En même temps on change le nom d’un grand nombre de rues, pour augmenter la facilité qu’ont déjà les gens à s’égarer.

Je continue à dénoncer les princes du sang royal comme faisant usage de tabac de contrebande.

Je ne cacherai pas non plus à l’autorité que j’ai reçu un sac de tabac excellent, orné d’une étiquette ainsi conçue:

Sala, marchand de tabacs de Smyrne.
Rue de Chartres, 91, à Alger.

image d’une guêpe Mais qu’est-il donc arrivé à mes guêpes? L’escadron que je voulais faire donner sur le monde et la littérature refuse de marcher.

Il y a dans un coin de mon cabinet une jardinière en bois sculpté pleine de jacinthes en fleurs dans la mousse verte, elles s’y réfugient, comme Adam, après avoir mangé le fruit défendu, quand le Créateur lui disait en latin: «Adam, ubi es?—Adam, où êtes-vous?»

Mais elles ne se cachent pas timidement,—elles font entendre un bourdonnement guerrier,—ma comparaison était mauvaise,—elles ressemblent davantage aux Romains réfugiés sur le mont Aventin,—je me rappelle qu’en cette circonstance un consul leur récita une fable, et que cette fable les ramena dans le devoir,—si je leur récitais cette fable.

Mais... oh! là,—mon Dieu,—je suis mort, mes guêpes en fureur se précipitent sur moi. Attendez,—expliquez-vous,—causons,—qu’avez-vous?—Que vous ai-je fait? Ne m’attaquez pas ainsi brutalement, imitez les héros de Virgile et d’Homère, qui faisaient précéder d’un petit discours chaque coup qu’ils portaient à leur adversaire,—au moins je saurai le sujet de cette révolte.

Ah! les voilà retranchées derrière leurs barricades de jacinthes.

UNE GUÊPE. Je suis Mammone, j’ai emprunté mon nom à un des anges déchus que Milton range sous la bannière de Satan, et quelques-unes de mes compagnes ont pris comme moi leurs noms de guerre du Paradis perdu.

Ah! monsieur le critique impartial, inflexible, inabordable, invincible;—vous n’avez donc parlé si haut en commençant que pour faire comme tant d’autres, vous avez loué sur la foi d’autrui une pièce de M. Walewski, que vous n’aviez ni vue ni entendue;—j’étais fière de marcher sous votre drapeau, mais maintenant je vous méprise, je lève l’étendard de la révolte, et je tourne contre vous mon aiguillon acéré.

L’AUTEUR. Ah! ma chère petite Mammone, toi que j’aimais d’une affection toute particulière.

MAMMONE. Il n’y a pas de chère petite Mammone,—défendez-vous.

L’AUTEUR. Oh! là,—elle m’a percé le doigt, la méchante,—le doigt dont je tiens la plume.

UNE AUTRE GUÊPE. Je m’appelle Moloch.—Quoi, vous avez loué cette pièce de théâtre!

L’AUTEUR. Je vous assure, Moloch, qu’il y a des gens qui en disent beaucoup de bien.

MOLOCH. Oui;—l’auteur, ne se voyant pas assez loué à sa guise par ses amis, a pris le parti de se louer lui-même dans un journal qui lui appartient.

MAMMONE. Le jour de la première représentation, où la salle était si brillante, où il y avait tant de nobles et jolies femmes,—j’ai bien vu ce qui s’est passé, cachée dans une fleur de la coiffure de madame...

Les amis applaudissaient des mains en disant: «Oh! que c’est mauvais...»

L’AUTEUR. Mais, Mammone, vous savez combien un homme a peu d’amis qui ne soient pas un peu contents d’une humiliation qui lui arrive.

ASTARTÉ. Les acteurs faisaient des entrées et des sorties qui n’avaient pour raison que d’aller changer de pantalons.—On craignait à chaque instant qu’il n’y eût des changements de pantalons à vue.—Quelqu’un en sortant...

MAMMONE. Je crois que ce quelqu’un est M. de Mornay,—mais je n’en suis pas bien sûre.

ASTARTÉ. Quelqu’un racontait que le duc d’Orléans avait dit: «C’est une pièce en cinq actes et en cinq pantalons.»

AZAZEL. Pourquoi n’avez-vous pas parlé de ces longs et solennels débats à propos de la lettre qu’on apporte sur un plat d’argent?—les acteurs voulaient qu’on le supprimât,—mais l’auteur y a tenu comme à un des plus beaux morceaux de sa comédie, et M. de Rémusat, qui dirigeait les répétitions en même temps qu’il méditait la rédaction de l’adresse de la Chambre,—a fort appuyé l’auteur dans sa résistance.

«Mais, monsieur le comte, disait un comédien, le public prendra votre lettre pour un beefteack, et il exigera qu’on mette alentour des pommes de terre ou du cresson.»

MOLOCH. Et, en effet, ce n’était pas une idée heureuse—quoique l’auteur prétende que c’est à ces petits riens qu’on reconnaît le monde:—D’abord, cet usage de se faire apporter les lettres sur un plat d’argent n’est ni si général, ni si établi qu’on n’eût pu le supprimer,—si ce n’est chez quelques dandys d’imitation anglaise.—Ensuite, il n’est pas, selon moi, très-élégant d’apporter une lettre sur un plat qui peut avoir servi à manger des côtelettes;—on devrait employer un plateau d’une forme particulière.

AZAZEL. Depuis cette représentation, il y a une foule de faux dandys à la suite qui se font apporter,—sur un plat d’argent tout ce qu’ils demandent à leurs domestiques; leurs bretelles, leur gilet, leurs bottes.

L’AUTEUR. Mammone, vous pourriez rire un peu moins fort,—ce me semble,—des médiocres plaisanteries d’Azazel?

(MAMMONEN ne répond qu’en bourdonnant la Marseillaise.)

MOLOCH. L’auteur de la pièce a eu tort d’aller s’attaquer à Janin,—et d’aller chercher de petits motifs mesquins à la critique du feuilletoniste.

A part le commencement du feuilleton de Janin; qui était peut-être un peu vulgaire...

L’AUTEUR. Oh là! Moloch,—ne parlez pas ainsi de Janin!

MAMMONE.—Nous sommes en révolte, notre ex-maître,—et je parle comme je veux.

(MAMMONEN continue à bourdonner la Marseillaise.)

MOLOCH. Le commencement du feuilleton de Janin, sur les pièces de M. Walewski, était un peu vulgaire et banal.—Les hommes qui par goût ne vivent pas dans le monde ont tort d’en parler avec aigreur,—ils ont l’air d’être envieux, et rien n’a si mauvaise grâce.

ASTARTÉ. Eh! de quoi, grand Dieu! peut être envieux le poëte?

Quelles sont les fêtes qui valent les fêtes de pensées et de rêveries qu’il se donne lui-même?

Les acacias exhalent pour lui un parfum plus suave de leurs petites cassolettes blanches.

Le vent dans les feuilles,—le rossignol dans la nuit, lui disent de la part de Dieu des choses si belles, et que lui seul peut entendre.

Le poëte est si riche, qu’il ne peut envier personne, et que tous les autres hommes ne sont auprès de lui que des fils déshérités.

MOLOCH. Mais, après son préambule, Janin a été plein de raison, de grâce et d’esprit.—L’auteur de la comédie a attaqué Janin, comme s’il n’avait pas assez d’un échec.

BÉLIAL. Les connaissances de l’auteur, aux représentations suivantes,—envoyaient leurs voitures à la porte du théâtre et n’y allaient pas.

MOLOCH. Cérémonial d’enterrement.

L’AUTEUR. Je ne puis supporter une telle liberté. A moi Padoke et Grimalkin, saisissez Moloch et amenez-la ici les pattes liées.

Après un peu d’hésitation, Padoke et Grimalkin passent du côté des insurgés.—Mammone bourdonne—le Suivez-moi de Guillaume Tell.—Toutes les guêpes se précipitent sur l’auteur.

L’AUTEUR. Holà!—Tant pis pour vous!

Spicula si figant, emorientur apes.

Les guêpes, comme les abeilles, meurent de la blessure qu’elles font.

MOLOCH. C’est un vieux conte de vieux naturaliste, et cela n’est pas vrai.

L’AUTEUR. Mais je vous assure que c’est un de mes amis,—un ancien camarade qui avait entendu la pièce... qui m’a dit...

MOLOCH. Ton ami est un traître;—placé entre deux amis,—il t’a sacrifié à l’autre; tant pis pour toi.—Après avoir si longtemps rabâché contre les amis dans tes livres, tu t’y laisses encore prendre:—tant pis pour toi.—Allons, Mammone, sonne encore la charge.

L’AUTEUR.—Grâce! grâce! Astarté, toi qui es si jolie;—grâce! Moloch l’invincible!—grâce! ma chère petite Mammone,—je ne le ferai plus;—et toi aussi Azazel, tu es si jeune, tu seras moins féroce que les autres.

MAMMONEN, bourdonnant. La victoire est à nous!

MOLOCH. Nous sommes vengées;—nous rentrons sous l’obéissance, et nous acceptons ta charte et ton programme;—seulement tu nous dénonceras l’ami perfide...

L’AUTEUR. Grâce pour lui, mes guêpes!

BÉLIAL. Le trait est beau—et sera un jour donné en thème aux enfants avec l’histoire d’Oreste et Pylade, d’Euryale et de Nisus.

AZAZEL. Nous sommes soumises, et nous attendons tes ordres, tu es notre roi.

CHŒUR DE GUÊPES bourdonnant. God save the King!

image d’une guêpe Pour tout dire, les amis de M. le comte Walewski ne l’ont pas toujours aussi bien servi que N. R.

Pendant un entr’acte, un ami disait tout haut: «Cela ne va pas, mais on n’a pas écouté mes avis.—J’avais conseillé à l’auteur d’inonder le second acte de traits d’esprit.»

C’était cependant là un excellent conseil; en effet, il n’y a rien de si simple.—Vous avez à faire un second acte qui vous embarrasse un peu,—un ami, homme lettré, spirituel et instruit, vient vous voir;—vous lui confiez votre embarras.

—Parbleu, dit-il; une idée! Inonde ton deuxième acte de traits d’esprit.

—C’est juste, dit l’autre,—et rien n’est plus simple.—je n’y avais pas songé,—je suis sauvé!—Je vais tranquillement inonder mon second acte de traits d’esprit.

image d’une guêpe Madame *** a marié récemment sa fille;—on croyait généralement qu’elle lui donnerait les pierreries de la famille, qui sont fort belles et jouissent même d’une sorte de célébrité.—Madame a jugé à propos d’en garder encore l’usufruit.—Aussi disait-on, l’autre soir, dans un salon où la nouvelle mariée a paru avec quelques pierres de peu de valeur: «Ce sont des pierres d’attente.»

image d’une guêpe Dernièrement, quelques hommes connus dans les arts et la littérature se sont fourvoyés dans un bal où on entendait de toutes parts entre les danseurs des dialogues semblables à celui-ci:

—Vous êtes bien jolie, madame.

—Rue du Bac, 43, monsieur.

image d’une guêpe S’il est une chose de mauvais goût, c’est la manie qu’ont les gens de recevoir dans leurs salons huit fois plus de monde qu’il n’y en peut tenir, et seize fois plus qu’il n’y peut s’en asseoir.—M. Ard..., banquier de la Chaussée-d’Antin, a donné, dans son petit appartement, un bal où cette bizarrerie s’est montrée dans tout son jour.

image d’une guêpe On annonce que le comte Roy, homme de tact et de bon goût, se propose de donner, cet hiver, dans son immense hôtel, quelques concerts et quelques soirées où il n’invitera que cinquante personnes.

La cohue a proscrit la conversation;—la conversation était le plus grand charme du monde,—les hommes se retirent du monde et vivent dans les clubs.

image d’une guêpe Un mot dont on a étrangement abusé est celui d’honneur;—nous avons des croix d’honneur,—des champs d’honneur,—des dames d’honneur,—des gardes d’honneur,—des lits d’honneur,—des places d’honneur,—des dettes d’honneur,—des parties d’honneur,—des points d’honneur,—des hommes d’honneur,—des paroles d’honneur.

Il ne manquait plus que des honorables,—nous devons ce mot au gouvernement représentatif.

De l’honneur,—cette île escarpée et sans bords,—on a fait un pays banal, une place publique. Tous les députés indistinctement s’appellent honorables tout en s’accusant mutuellement et sans cesse de «trahir le pays,—d’assassiner la liberté,—d’être sourds à la voix de la patrie,—d’être des anarchistes, des tyrans, des valets, des bourreaux, etc.» Toutes choses qui, prises au sérieux, rendraient un homme fort peu honorable.

image d’une guêpe M. Coraly, ancien maître de ballets, a deux fils,—l’un est député, l’autre danseur à l’Opéra.—J’ai vu les deux, mais je ne puis me rappeler lequel est le danseur, lequel est le député;—il leur arrive souvent, du reste, que l’on fait des compliments au danseur sur son attitude à la Chambre, ou sur quelques paroles risquées dans les bureaux,—et que l’on dit au député: «Vous avez bien de la grâce et bien du ballon,—vous avez été très-bien dans votre dernier pas.»

image d’une guêpe Madame *** est connue entre autres choses par la grosseur de ses bouquets.—Une femme qui aime et comprend les fleurs mieux qu’aucune autre—disait: «Je la hais, parce qu’elle finira par me dégoûter des fleurs.»

Madame *** a consacré le lundi à l’amitié qu’elle porte à une illustre épée,—comme on dit en argot parlementaire. Ce jour-là, elle le reçoit seul, et la porte est fermée pour tout le monde. Un de ces derniers lundis, un domestique renvoyé, qui devait quitter la maison quelques jours après,—avait résolu de se venger de son expulsion. En conséquence, feignant d’oublier la consigne, il ouvrit tout d’un coup la porte du salon de madame *** et annonça deux personnes, un ménage, qui s’étaient présentées.—Madame *** se leva pâle et effrayée,—confuse.—L’illustre épée, qui était à ses genoux, n’en put faire autant à cause de sa goutte. Les deux visiteurs s’étaient arrêtés sur le seuil de la porte,—hésitant et prêts à s’enfuir.—L’illustre épée crut retrouver de la présence d’esprit, et, restant à genoux, dit: «Madame, c’est aujourd’hui votre fête, et je m’empresse de vous la souhaiter.—Ah! diable, j’ai oublié mon bouquet, je vais aller le chercher.» Il fit signe au domestique de l’aider à se relever, et sortit du salon.—Le ménage fit une courte visite et s’en alla.—Il faut croire qu’il ne fut pas discret, car, le lendemain, il y eut chez madame *** une procession de domestiques apportant des bouquets.

M. *** fut très-surpris, en rentrant de la Chambre, de voir toute sa maison pleine de fleurs;—il en demanda la raison.

—On les a apportées pour la fête de madame.

—Mais ce n’est pas sa fête.

—Je répète à monsieur ce qu’on a dit.

image d’une guêpe On disait d’un député riche, avare et mal vêtu: «Son habit fait peur aux voleurs, il leur montre la corde.»

image d’une guêpe M. Arago a prononcé l’éloge de M. Ampère, mort il y a deux ans.—Cela me rappelle une distraction plaisante de ce bon M. Ampère, qui était un véritable savant.

Il sortait un jour de l’Académie, rêvant à un problème:—tout à coup il s’arrête, ses yeux s’animent, il le tient.—Il avait gardé à la main la craie blanche dont il venait de se servir;—il voit devant lui un carré noir assez semblable aux tableaux dont il se sert habituellement,—il y place ses chiffres;—mais tout à coup—le tableau fuit sous sa main et fait trois pas.—M. Ampère le suit.—Le tableau prend le trot. M. Ampère prend sa course et ne s’arrête qu’exténué, hors d’haleine et violet. Ce tableau n’était autre que le dos d’un fiacre arrêté.

image d’une guêpe Fort instruites et fort spirituelles, pour la plupart, les personnes qui habitent le château sont, en général, médiocrement organisées pour la musique, à l’exception de madame Adélaïde et de la duchesse d’Orléans, qui est bonne musicienne et très-forte sur le contre-point. On a cependant donné deux grands concerts qui se renouvelleront plusieurs fois cette année. On a nommé M. Halévy directeur de ces concerts; et on a planté le drapeau de la musique française.

La nouvelle salle est arrangée avec un goût parfait;—l’orchestre, très-heureusement disposé, a eu un grand succès.—On a joué des morceaux de Rossini, de Mercadante, de Cimarosa, de Meyer-Beer, de Bellini, de Gluk et de Méhul.

Le duc et la duchesse d’Orléans ont reçu avec beaucoup de grâce et de bienveillance.

image d’une guêpe M. Nodier, qui avait été invité avec MM. Hugo, Auber, Schenetz, etc., a dit: «Ma foi, si c’est pour nous donner des princes si aimables,—vive l’usurpation!» Ce mot rappelle un peu l’enthousiasme comique de madame de Sévigné pour le roi, qui venait de danser avec elle: «Ah! nous avons un grand roi.»

image d’une guêpe Le monde financier est très-inquiet;—les duchesses de la Bourse, les marquises du trois pour cent, les vicomtesses de la rue de la Verrerie, s’agitent beaucoup pour être invitées.

image d’une guêpe Les directeurs des théâtres de musique s’inquiètent aussi de leur côté; la lésinerie de la nouvelle aristocratie est telle que bien des gens refuseront une loge à l’Opéra ou aux Italiens à leur femme,—sous prétexte des chances qu’elle a d’être invitée aux concerts du château.

image d’une guêpe Pour le faubourg Saint-Germain, il n’ira nulle part tant que don Carlos ne sera pas libre; pour passer le temps, il s’amuse à désigner les quêteuses pour le carême. Les bourgeoises riches intriguent auprès des curés, non par esprit de religion,—mais parce que cet office de quêteuse est une sorte de privilége de la noblesse; par la même raison, les duchesses écartent les bourgeoises.

image d’une guêpe Il est curieux de voir les épouses de députés, dont plusieurs ne connaissent le christianisme que dans la Guerre des Dieux, montrer une si excessive ferveur.

Madame Paturle a obtenu d’être d’une des dernières quêtes de Saint-Vincent de Paul.

La maison Thiers, Dosne et compagnie intrigue pour que madame Thiers puisse quêter dans une paroisse.—Mais ses bonnes amies du juste-milieu l’ont, dans un accès d’envie, dénoncée comme n’ayant pas fait sa première communion.—On ne croit pas à l’admission.

image d’une guêpe En écoutant, l’autre soir, mademoiselle Pauline Garcia chanter la cavatine du Barbier de Séville, où elle fait tant de roulades et de fioritures, je me suis mis à penser à Grétry. Il n’aimait guère que les chanteurs lui arrangeassent ainsi sa musique—et il leur disait: «Si je voulais qu’on chantât ces choses-là,—je les écrirais, et un peu mieux, j’ose le croire, que vous ne les faites.»

image d’une guêpe A la première représentation d’un des grands ouvrages de Grétry,—Martin qui y avait un rôle important, broda tellement son premier air, qu’il ne fit aucun effet, quoique le reste eût beaucoup de succès. Après la pièce, Grétry entra dans sa loge et lui fit mille compliments sur le succès auquel il avait tant contribué,—seulement, ajouta-t-il, pourquoi as-tu donc passé mon premier air? Tout simple que tu le trouves, j’y tenais, moi, et je suis fâché que tu ne l’aies pas chanté.» Martin rougit extrêmement et comprit si bien, qu’à la seconde représentation il chanta l’air simplement comme il était composé—et qu’il eut un grand succès.

image d’une guêpe On dit, la future duchesse de Nemours d’une grande beauté.—Il faut que le roi Louis-Philippe soit bien pauvre pour s’exposer à voir ainsi marchander à la Chambre des députés la dotation qu’il demande pour le mariage de son fils.

image d’une guêpe 29 JANVIER.—Les gens qui s’intitulent sérieux appellent un événement politique—les choses ridicules dont voici quelques échantillons.

M. Thiers est sorti à pied avant-hier.

La reine d’Angleterre n’a pas parlé de la France avec une assez vive amitié.

On parle d’un remaniement du cabinet.

On pense à une fusion Thiers et Guizot.

Voilà de quoi on parle, de quoi on s’occupe—voilà ce qu’on désire—voilà ce qu’on craint.

image d’une guêpe Certes, on ne m’accusera pas d’exagérer les misères du peuple—et d’en abuser, pour faire à ce sujet de longues phrases ampoulées,—mais il s’est passé, il y a trois jours, à Paris, une chose que j’appelle, moi, un événement politique de la plus haute gravité.

Dans le quartier du quai aux Fleurs, une pauvre vieille femme est morte de faim.

Dans un pays civilisé—on ne doit pas pouvoir mourir de faim.

Il y aurait un bon usage à faire de la police;—un usage qui amènerait en peu de temps à la réalisation de cette utopie: la police faite par les honnêtes gens.

La police ne s’occupe des gens qu’à mesure qu’ils deviennent voleurs ou assassins.

Il faut surveiller tout homme qui ne gagne pas sa vie—le faire venir et lui dire: Voilà de l’ouvrage;—s’il ne veut pas travailler, c’est un homme dangereux qui doit être mis à la disposition du procureur du roi.

Mais, pour cela, il faut avoir des travaux toujours prêts.

Il faut, par exemple, que le gouvernement se charge de l’exécution des grandes lignes de chemins de fer; il faut qu’il n’y ait pas de ministres et pas de députés qui aient des intérêts occultes dans l’exploitation des compagnies, et dont le vote acheté n’enlève pas la direction de ses travaux au gouvernement.

image d’une guêpe Mais qui est-ce qui s’occupe de cela, à la Chambre ou ailleurs? Qui est-ce qui montera à la tribune pour dire: «Une femme est morte de faim à Paris?»

image d’une guêpe Demain, l’opposition, le parti qui s’intitule ami du peuple, demandera pour le peuple «des droits politiques.»

image d’une guêpe C’est un pays de sauvages que celui où l’on meurt de faim dans une rue.

C’est à la fois un deuil et une infamie publics.

Quand il meurt, à cinq cents lieues d’ici,—un prétendu cousin du roi de France,—on prend le deuil à la cour,—et on annonce: «A cause de la mort du duc***, arrière-cousin du roi,—le bal annoncé pour le..., n’aura pas lieu.»

image d’une guêpe Mais, si toutes ces phrases dont se servent les rois,—de sujets qui sont leurs enfants, d’amour paternel qu’ils leur portent,—de cœur déchiré des souffrances du peuple, ne sont pas une insolente mystification,—ce doit être un sujet d’affliction profonde et de deuil véritable que la nouvelle qu’une femme est morte de faim,—dans le quartier du quai aux Fleurs, près du Palais de Justice,—de cette maison où l’on condamnerait aux travaux forcés le malheureux qui aurait volé un pain d’un sou à un boulanger, tandis que le boulanger qui vole un sou sur le poids du pain, et rogne la portion si péniblement gagnée d’un des enfants d’une pauvre famille, en sera quitte pour cinq francs d’amende.

Bêtise féroce.

Mais qui s’occupe du peuple, à la Chambre et ailleurs?

Les prétendus amis du peuple—l’exploitent plus que les autres encore;—leurs plaintes niaises, fausses et hypocrites, sur la misère du peuple, n’ont pour but et pour résultat que d’exciter ce lion endormi, et de le lancer contre les hommes qui gênent leur ambition et leur avidité. Puis, quand il leur aura rendu ce service, ils profiteront de ce qu’il aura été blessé au profit de leur avarice et de leur vanité pour le remuseler plus fort qu’il n’était.

Le peuple n’est qu’un prétexte et un moyen.

image d’une guêpe Ce serait cependant une belle chose que la position d’un homme, d’un député, qui voudrait être réellement l’ami du peuple.

image d’une guêpe M. de Cormenin, par exemple, avec tout son esprit qui lui donne tant de lecteurs et tant d’influence,—s’il avait dans le cœur ce qu’il n’a que dans la phrase,—si, au lieu d’exciter tristement l’envie du peuple contre les classes dites supérieures,—il lui montrait son bonheur si facile par le travail et la modération?—si, au lieu de demander pour le peuple le droit du suffrage qui ne serait qu’un droit de perdre des journées de travail, il demandait pour lui un travail et un salaire assurés.

image d’une guêpe Mais qu’ont donné jusqu’ici au peuple ses prétendus amis?

Ils l’ont enivré de paroles bruyantes;

Ils l’ont traîné sur les places publiques;

Ils l’ont mené à la mort, à la prison,

En se tenant eux-mêmes à l’écart,—prêts également à se saisir du butin si le peuple est vainqueur, et, s’il est vaincu, à le renier lâchement.

image d’une guêpe Voilà ce qu’ont fait les amis du peuple pour le peuple.

image d’une guêpe Adieu, mes chers lecteurs, mon premier numéro sera daté—d’Étretat ou de Tréport.


Mars 1840.

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