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Les guêpes ­— séries 1 & 2

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Prohibition de l’amour.—Le pain et les boulangers.—Injustices de la justice.—La paix et la guerre.—La feuille de chou de M. Villemain.—Le roi sans-culotte.—M. Cousin.—M. de Sainte-Beuve.—La pauvreté est le plus grand des crimes.—Les circonstances atténuantes et le jury.—La morale du théâtre.—M. Scribe.—La distribution des prix à la Sorbonne.—L’éducation en France.—Naïvetés de M. Cousin.—M. Aug. Nisard.—Ce que M. Thiers laisse au roi.—M. Hugo.—Monseigneur Affre.—M. Roosman.—M. Gerain.—Les voleurs avec ou sans effraction.—Le roi et les douaniers.—Un chiffre à deux fins.—Comme quoi c’est une dot d’être le gendre d’un homme vertueux.—M. Renauld de Barbarin.—M. Gisquet et ses Mémoires.—M. de Montalivet.—M. de Lamartine.—M. Étienne.—La Bourse.—M. Dosne.—M. Thiers.—La vérité sur la Bourse.—Une petite querelle aux femmes.—Un malheur arrivé à M. Chambolle.—Aphorisme.—Coquetterie des Débats.—Mot de M. Thiers.—La curée au chenil.

AOUT.—1er.—Un tribunal vient de rendre un jugement par lequel un pauvre diable a été condamné «pour excitation à la débauche, dans son propre intérêt, d’une personne au-dessous de vingt et un ans.»—Mais,—mon Dieu!—ce crime est ce qu’on a appelé si longtemps et jusqu’ici d’une foule de noms plus doux et plus innocents, tels que «faire la cour»—«aimer»—«séduire.»

Au-dessous de vingt et un ans! diable!—quels sont les demi-siècles qui ont ainsi influencé la justice—pour se réserver, sous la protection des lois, toutes les excitations à la débauche qui se pourront faire dans leur belle patrie?

Les femmes n’oseront plus se rajeunir;—celles qui encourront la suspicion de n’avoir pas vingt et un ans seront évitées avec horreur par tout bon citoyen, ami des lois et peu ambitieux des travaux forcés;—et, comme il n’est ni poli ni bien reçu de demander l’âge des femmes,—et que d’ailleurs on pourrait être trompé, il sera prudent de ne s’enflammer qu’après la constatation de quelque signe évident de décrépitude chez l’objet aimé.

image d’une guêpe 2.—Il n’est que trop vrai que les hommes en général n’arrivent jamais à trouver ce qui est vrai, simple et juste—qu’après avoir épuisé auparavant ce qui est faux, tourmenté et absurde.

On oblige le boulanger, qui vend un pain d’un certain poids, et en reçoit le prix proportionnel, à livrer un pain conforme au poids convenu et payé. Les boulangers cependant encourent chaque jour des amendes et des notes infamantes pour contraventions à ces ordonnances. Ils prétendent que la réduction que souffre le pain pendant la cuisson ne peut être ni prévue ni appréciée d’avance, que la forme du pain, la chaleur du four et une foule d’autres raisons amènent des variations à l’infini.

Que fait l’autorité?—On consulte des chimistes.—Les chimistes font des expériences,—ne sont pas d’accord entre eux,—et finissent par l’être avec les boulangers, en cela qu’ils renoncent à établir combien un pain perd de son poids pendant la cuisson.

Puis on laisse les choses sur le même pied, et on continue à condamner à cinq francs d’amende les boulangers dont les pains n’ont pas précisément un ou deux kilogrammes.

Or, il faut cependant se décider.—Si c’est sciemment que le boulanger vend à faux poids, il est dérisoire de le condamner à cinq francs d’amende quand le malheureux qui volerait dans sa boutique un pain d’un sou en brisant une vitre expierait son crime par les travaux forcés.—La peine infligée au boulanger qui vole le pain du pauvre doit être au moins égale à la peine du pauvre qui vole le pain du boulanger.

Si c’est involontairement que le boulanger ne donne pas le poids convenu à ses pains,—la peine de cinq francs d’amende doit être supprimée.

Il n’y a rien de si facile à arranger que tout cela. Permettez aux boulangers de faire des pains de la forme et du poids qu’il leur plaira,—et de les vendre pour leur poids, quel qu’il soit;—et dans le tarif comparatif des farines et de celui du pain qui se publie tous les quinze jours, ne fixez plus le prix du pain de quatre livres et du pain de deux livres,—mais seulement le prix de la livre de pain.

Que le pain se vende au poids, et seulement au poids; qu’on n’aille plus demander au boulanger un pain de quatre livres, mais quatre livres de pain,—comme on fait chez le boucher, chez l’épicier, etc.,—et toutes les difficultés disparaissent. Cela est simple, clair, sans objection; ce qui n’empêche pas que je serai bien étonné si on profite de l’avis[A].

[A] On en a profité depuis.

image d’une guêpe 3.—Un pauvre saltimbanque, roué de coups par un brutal, porte plainte et fait venir son adversaire devant le tribunal de police correctionnelle. Le pauvre diable est encore tout éclopé.—Plusieurs témoins déposent des faits.—L’agresseur est condamné à... quinze francs d’amende. «Pour qui sont les quinze francs?—Parbleu, pour le plaignant, direz-vous, c’est une faible indemnité pour les coups...—Vous n’y êtes pas le moins du monde. Les quinze francs d’amende sont pour l’État.—Et le saltimbanque?—Le saltimbanque n’a rien.—Pourquoi cela?—Je vais vous le dire: c’est que le saltimbanque est trop pauvre pour s’être porté partie civile, c’est-à-dire pour avoir fait l’avance de certains frais.—C’est-à-dire qu’on ne lui donne pas l’argent précisément à cause du besoin plus grand qu’il en a?—C’est cela même.»

image d’une guêpe 4.—Le ministère a divisé ses journaux en deux camps: les uns plaident pour la paix,—les autres pour la guerre. En général, les journaux du matin,—M. Chambolle en tête, sont plus belliqueux;—ceux du soir sont plus pacifiques;—peut-être ont-ils peur des ténèbres et des revenants?—Les journaux, en très-petit nombre, qui sont restés dans l’opposition, annoncent tous les matins aux puissances contre lesquelles la France est presque en guerre,—la force et la faiblesse de l’armée de terre et de mer;—quels sont les points fortifiés,—et quels sont les points qui ne le sont pas;—le tout enjolivé de dissertations sur la supériorité de l’Angleterre sur la France, etc., etc.

image d’une guêpe 5.—M. Villemain, l’ex-ministre de l’instruction publique, va, deux fois par semaine, passer la journée à Nanterre chez son ami, M. de Pongerville.—M. de Pongerville est un homme d’un esprit facile et conciliant, qui est fort bien avec le monde entier, et qui n’a qu’un regret, c’est de ne pouvoir étendre davantage le cercle de sa bienveillance.—M. Villemain a été vu plusieurs fois se promenant dans le jardin, non pas avec une feuille de vigne,—mais avec une feuille de chou dont il se couvre le visage pour se préserver du contact du soleil;—d’autres disent que c’est pour préserver le soleil de l’aspect de son visage.

image d’une guêpe 6.—Le roi Louis-Philippe, fort brave de sa personne, quand il ne s’agit que de lui,—ainsi qu’on ne lui en a fait donner que trop de preuves depuis dix ans,—passe pour beaucoup moins résolu en politique,—et sa prudence a souvent été qualifiée de diverses manières fâcheuses. Cette fois, cependant, il s’est montré fort irrité contre les envoyés des puissances coalisées qu’il a reçus,—et il est allé jusqu’à dire: «Si je ne trouve pas d’autres moyens pour rendre à la France toute son énergie contre l’Europe,—j’irai jusqu’à mettre le bonnet rouge.»

image d’une guêpe PARENTHÈSE.—A ce propos, le mois dernier,—en faisant l’énumération des os qui avaient partagé indûment les honneurs rendus aux héros de Juillet,—j’ai oublié plusieurs momies avancées, enlevées du Musée Charles X. Les pharaons ne s’attendaient guère à être mis au nombre des héros morts pour la Charte.

image d’une guêpe 7.—Comme j’allais me mettre à écrire,—je suis dérangé par le bruit que fait une mouche qui frappe avec fureur, de sa petite tête, contre les vitraux de ma porte.—J’ouvre et je vois Padocke.

—Maître,—me dit-elle,—M. de Sainte-Beuve a été récompensé de sa démarche près de vous et de sa dénonciation contre moi:—par une ordonnance du 8 août, c’est-à-dire d’avant-hier, il vient d’être nommé conservateur à la bibliothèque Mazarine, en remplacement de M. Naudet.

—Eh bien! Padocke?

—Eh bien! maître?

—C’est une justice rendue à M. de Sainte-Beuve, qui est un homme d’un grand talent. Si cette place avait dépendu de moi, je la lui aurais volontiers donnée pour le plaisir qu’il m’a fait d’entrer chez moi, et je suis enchanté qu’il lui arrive quelque chose d’heureux.

—Mais...

—Mais quoi?

—Pourquoi ne lui a-t-on pas rendu cette justice plus tôt?

—Parce que, Padocke, la place n’était pas vacante.

—Mais...

—Encore?

—Oui..... depuis que M. de Sainte-Beuve est un homme d’un grand talent, et depuis que M. Cousin est ministre,—ce qui est plus récent et durera moins longtemps,—il y a eu des places vacantes à diverses bibliothèques et on les a données à des bureaucrates.

—Que voulez-vous que j’y fasse, Padocke?

image d’une guêpe 8. Je lis sur un journal des tribunaux: «La Cour rejette le pourvoi en cassation de Françoise Lebrun,—condamnée à quinze ans de travaux forcés pour crime d’infanticide,—pour défaut de consignation d’amende

Pourquoi ont été instituées les cours de cassation? Pour casser un jugement mal rendu;—pour annuler une peine mal appliquée;—en un mot, pour contrôler l’exercice de la justice, diminuer les chances d’erreurs, et donner quelques garanties de plus aux accusés.—Or, dans cette circonstance,—et j’en ai vu des exemples nombreux, la Cour déclare que Françoise Lebrun est bien jugée,—non parce que la procédure a été régulière, ou parce que la peine a été appliquée justement et conformément à la loi,—mais parce qu’elle n’a pas consigné une amende. C’est-à-dire qu’il y a, comme du pain, de la justice de première et de seconde qualité; que les juges sont comme les barbiers qui repassent, c’est-à-dire rasent une seconde fois ceux qui payent plus cher. C’est-à-dire que Françoise Lebrun est assez bien jugée pour une pauvre femme;—qu’elle a eu de justice ce qu’on peut en avoir pour rien.—C’est-à-dire que, sans argent, dans le sanctuaire de la justice, comme aux spectacles forains, ceux qui ne payent pas n’ont droit qu’à la parade et aux bagatelles de la porte.

Si on a institué les tribunaux de cassation,—si on casse souvent les jugements de tribunaux de première instance, c’est que ces derniers peuvent se tromper et se trompent;—c’est qu’il est possible que l’accusé soit injustement condamné;—c’est que Françoise Lebrun n’est peut-être pas criminelle;—c’est que, si elle avait pu consigner l’amende en question, le jugement qui la condamne aurait peut-être été cassé, et elle acquittée par un autre jugement.—Le résumé de ceci est que Françoise Lebrun n’a pas le moyen de ne pas avoir tué son enfant;—qu’elle n’a pas le moyen de ne pas aller aux travaux forcés;—que, sans les circonstances atténuantes, qui sont d’invention moderne,—elle eût été condamnée à mort,—et qu’elle n’aurait pas eu le moyen de ne pas être guillotinée.

O μυθος δηλοι οτι...—Cela prouve qu’il y a un crime plus grand que l’assassinat, le vol et le parricide;—un crime plus grand que tous les autres réunis,—un crime qui ne trouve ni grâce ni indulgence:—c’est la pauvreté.

C’est plus sauvage que les sauvages.

image d’une guêpe 9.—Encore la justice! encore les circonstances atténuantes. Dans le Gard, une domestique empoisonne trois fois sa maîtresse; le jury la déclare coupable d’empoisonnement, MAIS avec des circonstances atténuantes.—En effet, pour avoir besoin de l’empoisonner trois fois, il fallait qu’elle l’empoisonnât bien peu à chaque fois.

Rosalie Hébert empoisonne son mari et l’avoue.—Le jury du Calvados trouve une excuse dans sa jeunesse,—là où j’aurais trouvé un crime de plus; car dans la jeunesse tout est noble et grand, et l’amour absorbe toute la puissance, qui plus tard sera divisée entre toutes les autres passions;—elle est déclarée coupable, MAIS avec des circonstances atténuantes.

Nicolas Roulender, à Montpellier,—viole sa fille,—vit publiquement avec elle. Déféré aux tribunaux, il est condamné, MAIS avec des circonstances atténuantes.—Je voudrais bien que le plus fort des jurés de Montpellier m’expliquât ce qu’il fallait que fit Roulender pour qu’il n’y eût pas dans son crime de circonstances atténuantes.

—Le 18 août, le jury de Saône-et-Loire admet des circonstances atténuantes en faveur de Nicolas Manguin, parricide et fratricide.—Ces bons négociants du jury pardonneraient volontiers le treizième crime à celui qui en commettrait douze à la fois.

image d’une guêpe 10—Il y a de singulières mœurs au théâtre; l’amour n’ose s’y montrer qu’en ayant le mariage pour but.—Qu’un jeune homme et une jeune fille s’aiment, se le disent, se laissent entraîner,—on criera à l’immoralité.—Il n’en est pas de même s’il s’agit d’inceste ou d’adultère,—la chose paraît toute simple et on n’y trouve pas le plus petit mot à redire;—voir Œdipe,—Phèdre,—Clytemnestre, etc.

Ces idées me sont suggérées par la reprise de la Neige, de M. Scribe. Dans cette pièce, le roi a surpris les amours de sa fille et du page Eginhard; s’il ne les mariait pas à la fin, la pièce serait réputée immorale.—Mais M. Scribe, qui connaît son public, a ajouté ceci à la légende:—à savoir que le père jette plaisamment dans l’esprit de sa fille et de son gendre l’idée qu’ils sont frère et sœur, et par conséquent incestueux. Personne n’a songé à trouver cela odieux et révoltant qu’un père salisse ainsi la pensée de sa fille.

image d’une guêpe 11.—LES PRIX DE LA SORBONNE ET L’ÉDUCATION EN FRANCE.—Il y a, en France, beaucoup de bonnes gens qui croient que l’on change quelque chose;—voyez cependant,—ô bonnes gens,—les professeurs et les avocats que vous avez mis à la tête du pays,—n’ont-ils pas rempli les robes et les simarres de leurs prédécesseurs d’autant de morgue pour le moins qu’elles en ont jamais contenu?—Il faut le dire, en France, on n’est républicain que par amour pour l’aristocratie. L’égalité n’est pas un état auquel on veut arriver, mais par lequel on espère arriver à autre chose. Nous avons vu M. Cousin trôner à la Sorbonne pour la distribution des prix, précisément comme M. d’Hermopolis,—avec moins de bonne grâce seulement et de dignité.

Je ne vous parlerai pas du thème lu par M. Auguste Nisard,—ni des gens qui secouent la tête avec de petits mouvements d’approbation, pour se donner des airs de comprendre le discours latin: j’arrive tout de suite au discours de M. Cousin.

Le ministre de l’instruction publique—a commencé par émettre des idées de la force et de la nouveauté de celles-ci:—«Le collége est l’image anticipée de la vie. Les luttes dont vous sortez sont l’apprentissage de celles qui vous attendent, etc.;» puis, faisant un retour sur lui-même, il a développé cette pensée,—que le meilleur gouvernement possible est celui où M. Cousin est ministre de l’instruction publique;—il n’a même pas caché que la chose devait s’arrêter à ce point culminant,—que les laborieux enfantements du passé, les efforts, les luttes, avaient enfin obtenu un résultat assez satisfaisant pour que l’humanité fît, comme Dieu après le septième jour:—Et elle vit que tout était bien, et elle se reposa le septième jour.

«Il vous a été donné de voir la France libre et prospère, à l’ombre de cette admirable forme de gouvernement; cette monarchie constitutionnelle, rêvée jadis par quelques beaux génies, invoquée par les sages, annoncée par Montesquieu, conquise enfin par tant de souffrances et de glorieux travaux, et dernier terme de nos longues vicissitudes! Aimez donc le siècle, aimez le pays qui vous font ces avantages!»

Suivez encore ce bon M. Cousin:

«Et nous devons remercier la divine Providence d’avoir comme choisi notre âge pour y rendre plus que jamais manifeste la loi sublime qui, selon d’antiques paroles, attache par des nœuds d’airain et de diamant la peine à ce qui est mal, la récompense à ce qui est bien.»

Quelle touchante naïveté!—Il est possible qu’à d’autres époques les récompenses dues au mérite aient quelquefois été un peu détournées de leur but;—mais, pour cette fois, la Providence a choisi le moment où M. Cousin est ministre pour montrer la justice des récompenses.

Ceci n’est que ridicule,—passons. Mais voici qui est plus grave:—M. Cousin, après avoir fait cette découverte un peu hardie, que le collége est l’image de la vie,—ajoute que l’éducation universitaire conduit à tout. C’est un mensonge ridicule que les générations se lèguent les unes aux autres,—mais qui n’a jamais été si mensonge et si ridicule qu’aujourd’hui.

En effet,—quand l’éducation était un privilége, on ne mettait au collége que les jeunes gens destinés à l’église, au barreau, aux lettres et aux douces oisivetés du monde et de la fortune.

Les autres classes de la société se contentaient d’une éducation spéciale, appropriée à l’état qu’elles devaient avoir dans la vie.

Mais, aujourd’hui que tout le monde va au collége,—je ne sais rien d’aussi fou que cette éducation entièrement et exclusivement littéraire à laquelle on astreint la jeunesse pendant dix ans. Je dirai donc contre le système d’éducation actuel:

1º On n’y apprend pas ce qu’on est censé y apprendre;—prenons pour exemple une classe composée de soixante élèves. Il y en a tout au plus dix qui, en sortant du collége, savent passablement le latin et un peu moins bien le grec;—pour les autres, et la mémoire de chacun suffit pour démontrer que je n’exagère pas,—voici comment se passe le temps de leurs études:

1re année.—Sixième: On s’amuse pendant les classes—à attacher des bouts de papier à l’abdomen des mouches que l’on regarde ensuite voler—pendant les récréations. Sous le nom de pensums, on copie cent fois, deux cents fois, trois cent fois le Récit de Théramène,—pour les maîtres sévères,—et la Cigale ayant chanté tout l’été, dont les vers sont si courts, pour les maîtres plus indulgents.

Cinquième.—Des bonshommes, attachés par un fil à des boulettes de papier mâché, sont collés au plafond de la classe;—au printemps, on lâche des hannetons.—On copie toujours le Récit de Théramène et la Cigale et la Fourmi.

Quatrième.—On commence à filer régulièrement,—c’est-à-dire—à aller se promener dans les passages ou à la glacière, l’hiver;—l’été à Montmartre ou à l’école de natation, pendant les heures des classes. On continue à copier le Récit de Théramène et la Cigale et la Fourmi, pendant les récréations.

Troisième.—On ne veut plus porter de casquette, on a un chapeau et des bottes, et on cache les livres dans son chapeau et dans ses poches.—On lit la Pucelle de Voltaire et les Épîtres de Parny;—toujours le Récit de Théramène et la Cigale et la Fourmi.

Seconde.—On joue au billard,—on va au café,—on lit des romans et les journaux;—on écrit aux filles de boutique du voisinage, pendant les classes.—On met des éperons à ses bottes, le dimanche ou quand on file.—Le Récit de Théramène et la Cigale et la Fourmi.

Rhétorique.—Suite de la seconde.—Le Récit de Théramène et la Cigale et la Fourmi.

Six ans à copier le récit de Théramène et la Cigale et la Fourmi! c’est beaucoup; et, je le répète, ne croyez pas que j’exagère rien.—Et une preuve qu’aucun professeur ne niera,—c’est que, si on prend le dernier élève de la classe de rhétorique, il ne sera pas le premier de la classe de sixième.—Démentez-moi, monsieur Nisard, si ce que je vous dis là n’est pas vrai.—Et regardez autour de vous, dans la société, combien y a-t-il d’hommes qui sachent bien le latin?

2º Après avoir démontré qu’on n’apprend pas au collége ce qu’on est censé y apprendre,—j’ajouterai que, l’eût-on appris,—ce serait, pour quarante sur soixante, une éducation nuisible, ou au moins inutile.

Les professions libérales devraient être réservées aux intelligences de quelque supériorité qui peuvent les faire marcher en avant, et non livrées à la foule qui les encombre et les obstrue. Ce n’est pas ainsi que l’on fait;—mais néanmoins,—sur soixante jeunes gens,—en prenant par portions égales pour toutes professions industrielles, pour les sciences, pour les arts, etc.,—il ne doit y avoir sur les soixante qu’un écrivain tout au plus,—un peintre,—un médecin,—un avocat,—un professeur. En effet, ce n’est, pour l’écrivain, quand ils seront dans la société, que cinquante-neuf lecteurs;—pour le médecin et l’avocat, que cinquante-neuf clients qui n’ont pas toujours des maladies ou des procès, etc.

Eh bien! toute l’éducation est faite au point de vue de l’écrivain. Les cinquante-neuf autres lui sont sacrifiés à des degrés différents:—l’avocat moins que le médecin,—le médecin moins que le peintre,—le peintre moins que le ferblantier.

Je ne prétends pas pour cela que l’éducation de l’écrivain soit bien complète;—car il n’y apprendra que le latin et le grec,—et sortira du collége très-ignorant de la littérature française.

En sortant du collége, à l’exception de l’écrivain,—jusqu’à un certain point,—tous les autres ont à faire leur éducation réelle.

Ainsi,—le résumé de l’instruction de collége est que, pour dix sur soixante,—elle est utile, mais incomplète;

Que les cinquante autres sont censés y apprendre des choses qu’ils n’apprennent pas, et qui ne leur serviraient à rien s’ils les apprenaient.

Et si je répète ici les paroles de M. Cousin:

«Si parmi vous il est un jeune homme qui se soit élevé peu à peu au-dessus de ses condisciples par la seule puissance du travail, n’ayant d’autre appui que sa bonne conscience, d’autre fortune que les couronnes qu’il va recevoir, que ce jeune homme ne perde point courage à l’entrée des voies diverses de la vie.»

C’est pour en tirer des conclusions contraires à celles qu’en tire le ministre de l’instruction publique,—et je dirai à ce jeune homme: Qu’il ne perde pas courage, car il en aura besoin. Non,—en ce temps-ci on n’arrive pas à tout par la seule puissance du travail et de la bonne conscience;—pourquoi tromper ces jeunes gens que vous laissez aller? vous le savez mieux que personne,—monsieur Cousin,—tout ce qu’il faut d’intrigues,—d’alliances contre sa conscience, de concessions contre ses principes,—d’humilité avec les uns, et de boursouflure avec les autres;—vous pourriez leur dire qu’il faut baiser la botte de l’empereur de Russie en 1815,—et cirer les souliers de M. Thiers en 1840;—pourquoi les tromper,—monsieur Cousin?

Et je sais un homme qui, lui, n’arrivera à rien, parce qu’il n’a rien fait et ne fera rien de tout cela,—parce qu’il s’est fait une fortune de sa modération et de son dédain;—un homme auquel on avait dit aussi,—dans vos colléges,—quand vous étiez professeur,—monsieur Cousin: «Travaillez, cela mène à tout.» Il a travaillé, vous trouveriez son nom dans les annales des concours généraux; il était un des élèves les plus forts de l’université,—et un jour on l’a lâché,—comme vous en avez lâché un grand nombre hier,—et on lui a dit,—comme vous avez dit hier: «Allez et ne craignez rien.»

Il y a encore, au haut de la rue Rochechouart, une maison où était une pension.—Il fut bien heureux d’entrer là pour sa nourriture,—et quelle nourriture! et d’y travailler dix-huit heures par jour, chez un homme qui lui donnait pour logement un chenil sans vitres l’hiver,—et le forçait de boire du vin blanc le matin,—lui qui avait le vin en horreur.—Il dut se trouver heureux de supporter les caprices de cet homme, qui, tous les dimanches, après un dîner meilleur, voulait absolument l’emmener prendre la Belgique, et finissait par se mettre tout seul en route, jusqu’au prochain corps de garde, d’où on le ramenait chez lui.

—Les élèves ont demandé la Marseillaise, et applaudi vivement M. Hugo, qui venait voir couronner un de ses charmants enfants.—M. Thiers, pour avoir l’air de laisser quelque chose à la majesté royale, n’en a pas pris la politesse, qui consiste dans l’exactitude;—il est arrivé que le discours était commencé. C’était le seul moyen, pour le petit homme, de n’être pas inaperçu. A l’entrée de M. Cousin, l’orchestre, je ne sais pourquoi,—a joué une marche funèbre;—il est vrai que, dans son discours, il devait proclamer une liberté d’enseignement qui, si elle était accordée de bonne foi, ne tarderait pas à tuer et à enterrer l’université.—Monseigneur Affre, archevêque de Paris, coiffé à la Louis XIII, a l’air d’un jeune homme de trente ans.

image d’une guêpe 12.—Des voleurs ont tenté un vol avec effraction à la caisse de ces bons messieurs Roosman et Gerain, au ministère des fonds secrets;—ils n’ont rien trouvé.—Je n’écrirai pas ici ce qu’ils ont écrit à la craie sur les murs, en l’honneur des dévouements et des désintéressements qui les avaient prévenus.

image d’une guêpe 13.—Le roi, voulant aller à Boulogne sur le Véloce, a été obligé, par le gros temps, de relâcher à Calais.—Arrivé enfin à Boulogne,—il a donné beaucoup de croix d’honneur,—et a appelé les douaniers ses chers camarades.

—Le retour de l’ambassade de Perse—a causé une grande joie dans les coulisses de l’Opéra.—Plusieurs des jeunes envoyés ont reçu, assure-t-on, en présent, des sabres et des décorations—enrichies de strass.

image d’une guêpe 14.—On faisait beaucoup de bruit des mémoires que va publier M. Gisquet. En effet, M. Gisquet, âme damnée de M. Thiers, pouvait faire de singulières révélations. On a intrigué, on a promis de réintégrer le gendre de M. Gisquet dans sa recette générale, et M. Gisquet a fini contre M. de Montalivet ce qu’il avait commencé contre M. Thiers.

image d’une guêpe 15.—M. Renaud de Barbarin, gendre du vertueux M. Valentin de la Pelouze, vient d’être brutalement nommé conseiller à la cour des comptes.

image d’une guêpe 16.—M. de Lamartine a écrit dans le Journal de Mâcon et dans la Presse une longue lettre sur les affaires d’Orient.—Dans beaucoup d’endroits, cette lettre n’est pas digne de M. de Lamartine; mais elle est fort supérieure, en tous points, aux bavardages quotidiens qui commencent les journaux chaque matin.—Les gens vulgaires et les sots ont beaucoup crié contre cette lettre;—ils ne voudront jamais admettre que l’esprit et le talent ne sont pas une infériorité,—qu’un grand poëte est au-dessus et non pas au-dessous de la politique,—et que les hommes d’esprit ne sont pas pour cela plus bêtes que les autres.

Le Constitutionnel, devenu pair de France pour avoir fait des paroles d’opéra-comique, ne se peut taire sur les prétentions de M. de Lamartine.

M***, qui n’avait pas lu la lettre, a été disant partout: «Oh! bah! c’est trop dans les nuages!» On a dit: «Ce pauvre M***, les nuages commencent si bas pour lui!»

Les élèves de Rome ont envoyé une foule de choses;—l’un, entre autres, un projet de mairie pour le dixième arrondissement.—Envoyez donc des gens à Rome!

J’ai voyagé une fois avec un peintre;—nous avions fait deux cents lieues, quand, un matin, je le surpris dessinant la voiture qui nous avait emmenés de Paris.

—Les gens vulgaires me reprochent ma sévérité à l’égard des femmes;—les autres comprennent que je les aime et que ma sévérité n’est que de l’avarice.—Je suis comme Apollon, qui sent la nymphe se métamorphoser en arbre entre ses bras,—je crains toujours que les femmes ne s’avisent de se changer en quelque chose d’autre.—Si une jolie femme comprenait bien qu’elle a plus de charmes encore parce qu’elle est femme que parce qu’elle est jolie!—Puis-je ne pas faire un bruit horrible quand je suis forcé d’apprendre que les femmes les plus comme il faut passent quelquefois dans la matinée par les mains de quatre hommes qui ne sont ni des maris, ni des amants;

Que le matin elles livrent leurs pieds à un M. Pau,—qui les prend nus dans ses mains, et leur récite des vers d’Horace;

Qu’ensuite un M. Thomassin, qui paraît être le Humann des femmes, leur prend mesure d’un pantalon;

Qu’un M***, je ne sais pas son nom,—je sais seulement que c’est un Polonais... (cassez quelque chose et ajoutez ski), vient leur essayer un corset;

Qu’un Frédéric quelconque vient les coiffer.

Mais je crierai de ma voix la plus forte et la plus retentissante,—mais je dirai que c’est infâme;—que, si elles attachent si peu de prix à elles-mêmes,—nous ne pourrons nous en attacher aucun.

Je leur dirai que, pour un homme qui les aime,—elles n’ont pas un cheveu qui ne soit un trésor, et qu’elles n’ont pas le droit d’être si prodigues d’elles-mêmes.—C’est donc bien ennuyeux le ciel, qu’on a tant de peine à empêcher les dieux de venir barboter dans la fange des rues.

image d’une guêpe 17.—Sur la Bourse et sur ce qui s’y passe. Il y a une maison de jeu appelée la Bourse, qui rapporte douze millions chaque année au gouvernement.—Le gouvernement nomme lui-même les croupiers, auxquels il donne le titre d’agents de change,—exige d’eux des cautionnements,—et fait mettre, comme je viens de vous le dire, douze millions aux flambeaux.

La Bourse n’a été construite et instituée que pour y faire, à l’abri de la pluie, des paris sur les fonds secrets.

Il est arrivé, le mois dernier, ce qui arrive tous les mois;—il y a eu des différences à payer; les uns ont gagné, les autres ont perdu.—Mais il est arrivé aussi que des gens qui avaient perdu ou qui n’avaient pas joué croyaient avoir des droits à être de moitié dans le jeu des gagnants, qui, disait-on, n’avaient gagné que par la communication opportune et prématurée des nouvelles du ministère.—Un cri d’indignation s’est élevé du sein des journaux; on a hautement désigné M. Dosne, beau-père du président du conseil, comme ayant fait de gros bénéfices.—M. Chambolle s’est plaint vivement dans le salon de M. Thiers;—on allait jusqu’à désigner celui des embranchements des galeries des Panoramas où se tenait M. Dosne, et d’où il envoyait ses émissaires aux agents de change.

Il y a, dans le jeu que l’on prête à M. Dosne, une particularité assez curieuse. M. de Talleyrand, ministre sous l’Empire, fut accusé de gains énormes faits à la Bourse:—l’empereur le fit venir et lui en fit de vifs reproches. «Sire, reprit M. de Talleyrand, qui avait toujours joué la hausse, je ne joue pas à la Bourse, je ne fais que parier pour Votre Majesté.»

M. Dosne a fait tout le contraire;—il a joué la baisse, et conséquemment parié contre son gendre.

—Les gens les plus forts du parti de M. Molé ont exploité la circonstance, et ont tellement harcelé M. Thiers, qu’il a fini par donner dans le piége où est tombé M. Gisquet, lors de son fameux procès.—M. Thiers a ordonné une enquête pour savoir ceux qui avaient répandu de fausses nouvelles, aux termes de cinq ou six lois contemporaines du maximum et de la loi des suspects,—et qui, si elles étaient suivies, entraîneraient tout simplement la fermeture et la démolition de la Bourse;—attendu qu’elles proscrivent l’agiotage et non certaines irrégularités dans l’agiotage.—Or, elles sont périmées par cela seul que le gouvernement actuel est fondé sur le crédit, et a lui-même institué les jeux de Bourse.

Il est bon d’expliquer la vérité sur tout ceci. L’enquête est une mystification: parce que celui qui a donné une nouvelle l’a toujours reçue d’un autre,—et celui qui a confié une nouvelle fausse peut l’avoir crue vraie. D’ailleurs, je me sens ému de peu de pitié et de sympathie pour des gaillards qui jouent leur fortune sur des nouvelles de la force de celles-ci, qui ont réellement circulé à la Bourse.

Première nouvelle. «Le Taurus a été passé.—Vraiment?—Oui, mais on n’a pu trouver de gué, et on a jeté dessus un pont de bateaux.»

N. B. Il peut y avoir parmi mes lectrices une femme qui ait oublié que le Taurus est une montagne.—Je demande pardon aux autres de le rappeler.

Deuxième nouvelle. «Eh bien! on a pris Candie.—Ah! et qui?—Les Anglais.—Ah bien! ça va faire une fameuse baisse.—Eh! non, ce sont les Français qui ont pris Candie.—C’est égal, ça va faire une fameuse baisse.»

Quand on jette ces grands cris à propos de la Bourse,—le lecteur tranquille des carrés de papier, organes de l’opinion publique,—se représente toujours d’innocents rentiers, des agneaux de rentiers, qui, effrayés par une nouvelle qui les alarme sur l’existence ou sur la solvabilité du gouvernement, se hâtent de vendre leurs rentes pour le prix qu’ils en trouvent, au bénéfice des gens plus habiles qui ont propagé les nouvelles. Je saisis cette occasion de leur dire qu’il n’est rien de tout cela. On ne vend pas et on n’achète pas réellement de rentes à la Bourse.—On parie sur la hausse ou sur la baisse.—A la fin du mois, le vendeur ne livre pas de rentes à l’acheteur; celui des deux qui s’est trompé paye à l’autre la différence qui existe entre le prix auquel il a acheté ou vendu, et le prix auquel la rente est montée ou descendue.

Il n’y a pas à la Bourse des gens innocents qui sont volés par d’autres, il y a des joueurs qui perdent et des joueurs qui gagnent;—seulement, il y a des gens qui trichent, font sauter la coupe et retournent le roi.—Ces gens-là ne sont pas de niais colporteurs de niaises nouvelles sans autorité; ce sont des gens qui jouent contre ceux-là précisément avec de véritables nouvelles dans leur poche.

Quant aux criailleries des journaux contre la propagation des fausses nouvelles, je leur dirai qu’il n’y a pas un journal qui ne mette en circulation, chaque mois, une vingtaine de nouvelles fausses,—les uns sciemment, les autres par ignorance.

—Voir, pour compléter ceci, le numéro de mars.

image d’une guêpe 18.—Il est arrivé un grand malheur à ce pauvre M. Chambolle, député et rédacteur en chef du journal le Siècle. Ledit M. Chambolle, dans le numéro du Siècle d’aujourd’hui 25 août,—numéro tiré à trente-deux mille exemplaires,—ainsi que le journal l’affirme lui-même,—M. Chambolle a imprimé que M. de Lamartine est un niais.

Ce pauvre M. Chambolle,—je prends la plus grande part à l’accident qui lui arrive,—et je le prie d’agréer favorablement mes compliments de condoléances.

APHORISME.—Les injures sont bien humiliantes pour celui qui les dit, quand elles ne réussissent pas à humilier celui qui les reçoit.

—M***, vêtu de noir, avec un crêpe à son chapeau, est arrêté dans la rue par un de ses amis. «Eh mon Dieu! qui avez-vous donc perdu? lui demande l’ami.

—Moi? je n’ai rien perdu... c’est que je suis veuf.»

image d’une guêpe 19.—A propos de la guerre, M. Chambolle a rengainé plus d’à moitié son grand sabre.

Le Journal des Débats, comme je l’ai annoncé, se livre à M. Thiers, après une honnête résistance.—Vieux coquet de M. Bertin.

—M. Thiers disait hier: «Je suis réellement fait pour le métier que j’exerce;—j’ai beaucoup de chagrins, et cependant je dors bien, je mange beaucoup et je digère on ne peut pas mieux.»

image d’une guêpe 20.—Il y a quelques années, il est venu d’Angleterre un usage ridicule qui consiste à mettre sur les lettres et sur les cartes de visite le numéro avant le nom de la rue:—cet usage subsiste encore.

Or, l’adresse qu’on met sur une lettre a pour but de faciliter au facteur de la poste, au domestique ou au commissionnaire qui en est chargé, la recherche de la personne à laquelle on écrit.—Il est évident qu’il commence par chercher la rue, qu’une fois dans la rue il cherche le numéro,—et qu’arrivé au numéro, il demande la personne.

J’ai cru ne pas devoir me soumettre à cette innovation, et conformément à l’ordre logique,—j’ai mis la rue et le numéro sur la première ligne de l’adresse et le nom au-dessous.—Cette forme d’adresse a trouvé des imitateurs et elle deviendra générale.—Tout donne à penser que je n’aurai pas mis plus de dix ans à faire cette révolution pacifique.

—Grand scandale!—Le général Bachelu demande la dissolution d’une société qu’il a formée avec MM. Laffitte,—Arago,—et Dupont de l’Eure,—pour cause de dol et fraude;—on va plaider.

image d’une guêpe 21.—Je l’avais bien prévu, la curée a été insuffisante pour le nombre et la voracité des compagnons de chasse de M. Thiers;—tout est dévoré,—et aux cris de joie succèdent quelques cris de colère;—la meute est furieuse; quelques-uns commencent à tourner sur le maître des regards sanglants et irrités,—et nous ne tarderons pas à voir que plusieurs vont se ruer sur M. Thiers—et chercher en lui un appoint de curée.—M. Thiers, toujours confiant et imperturbable,—disait hier en se rasant: «Il faut que la Providence ait bien de la confiance en moi, car, chaque fois que j’arrive au pouvoir, elle semble me réserver les affaires les plus embarrassantes.»


Octobre 1840.

Mort de Samson.—M. Joubert.—M. Gannal veut empailler les cendres de l’empereur.—M. Ganneron économise une croix.—Une belle action.—Une vieille flatterie.—M. de Balzac et M. Roger de Beauvoir.—Madame Decaze au Luxembourg.—Contre les voyages.—Une guêpe exécutée au Jockey-Club.—Un mot de mademoiselle ***.—Les ouvriers, le gouvernement et les journaux.—A propos de l’Académie française.—M. Cousin.—M. Revoil.—Notes de quelques inspecteurs généraux sur quelques officiers.—M. Desmortiers placé sous la surveillance de Grimalkin.—Attentat contre le papier blanc.—M. Michel (de Bourges).—M. Thiers.—M. Arago.—M. Chambolle.—M. de Rémusat.—Question d’Orient.—De l’homme considéré comme engrais.—M. Delessert.—M. Méry.—Lettres anonymes.—On découvre que l’auteur des Guêpes est vendu à M. Thiers.—L’auteur en prison.—M. Richard.—Avis aux prisonniers.—M. Jacqueminot.—Aux amoureux de madame Laffarge.—Les jurés limousins.—M. Orfila.—M. Raspail.—Le petit Martin et M. Martinet.—On abuse de Napoléon.—Idée singulière d’un Sportman.

SEPTEMBRE.—1er.—Voyant le triomphe des causes atténuantes, l’exécuteur des hautes œuvres, Samson, a pris le parti de mourir.

—On demande ce qu’est devenue la fameuse enquête sur les affaires de la Bourse; M. Joubert, agent de change et homme d’esprit, a résumé en un mot les explications que je vous ai données, ô mes lecteurs! sur ce qui se passe dans le susdit tripot.

—Ce ne sont pas, a-t-il dit, les nouvelles qui font les cours, mais les cours qui font les nouvelles.

—M. Gannal, le grand empailleur, vient de publier une brochure fort singulière. Il réclame hautement, et en termes emphatiques, le privilége d’embaumer les restes de Napoléon,—«de cet empereur qui a fait refluer des flots de gloire sur notre patrie!»

«L’empereur va se relever plus grand, plus majestueux que jamais, dit M. Gannal, il va quitter le sol aride où l’Angleterre, haineuse alors et repentante aujourd’hui, l’avait incarcéré.»

Et ce n’est pas M. Gannal qui est chargé de l’embaumer! lui «si plein de patriotisme et de vénération pour l’empereur!»

Le conseil de salubrité a pensé sans doute que ce n’était pas avec du patriotisme et de la vénération qu’on embaumait le mieux les grands hommes.

Toujours est-il que M. Gannal accuse hautement le conseil de salubrité d’avoir fait embarquer, à bord de la Belle-Poule, quatre flacons de créosote, substance putréfiante, qui, destinés à embaumer les restes de Napoléon, ne sont propres qu’à les anéantir, et que le conseil n’a fait aucune réponse,—en quoi ledit conseil a eu tort.

M. Gannal se venge de ne pouvoir embaumer l’empereur en faisant son oraison funèbre.

S’il était un homme en France qui dût être à l’abri du barbarisme des cendres de l’empereur,—c’était sans contredit M. Gannal,—car ce qu’il avait à dire excluait entièrement cette métaphore.—Eh bien! il a demandé à embaumer les cendres de Napoléon.

Cela me rappelle cet homme qui avait empaillé la barbe d’un chef sauvage.

image d’une guêpe 2.—Dans une émeute,—je ne sais plus laquelle,—un garde national se fracassa la main en chargeant son fusil et perdit un doigt.—M. Ganneron, colonel de la légion, alla le voir et lui fit de magnifiques promesses.—Rien ne serait au-dessus de la récompense de son courage et de sa maladresse. On lui donnerait entre autres choses la croix d’honneur comme à tout le monde, etc., etc.

Le blessé, guéri, alla voir M. Ganneron et lui parla de la croix. «La croix, dit M. Ganneron, est-ce que vous tenez beaucoup à la croix? Que diable voulez-vous faire de la croix?—on ne la porte plus.—Moi qui vous parle, la moitié du temps je ne la mets pas;—ne demandez donc pas la croix.»

Notre homme se rendit aux conseils de M. Ganneron, n’osant plus montrer d’empressement pour une chose dont son protecteur faisait si peu de cas.

Un mois après, M. Ganneron, simple chevalier jusqu’alors, se faisait nommer officier de la Légion d’honneur.

image d’une guêpe 3.—Voici un trait qui fait du bien au cœur: lors de l’entrée du roi à Calais, quatre matelots tombèrent à la mer; trois furent sauvés avec une audace et un sang-froid admirables par les marins d’un autre bâtiment; un fut noyé. Les marins se cotisèrent et donnèrent à sa veuve une somme prise sur leur modique paye.

—A Tréport, les princes voulurent pêcher; la mer était houleuse; le patron qui commandait la barque de pêche, prévoyant qu’on ne prendrait rien,—fit jeter des poissons dans les applets par les sabords du bateau.

C’est avec plaisir que j’ai vu renouveler pour des princes constitutionnels—une flatterie inventée pour Marc-Antoine le triumvir.

image d’une guêpe 4.—M. de Balzac avait écrit dans le dernier numéro de sa Revue Parisienne: «M. Roger de Beauvoir ne s’appelle ni Roger ni de Beauvoir.

M. de Beauvoir fut étonné de l’attaque et en rit le premier jour.—Il voulut prier M. de Balzac, qui a pris tant de noms, de vouloir bien lui en prêter un en échange de celui qu’il lui enlevait si brusquement.—Ses amis ne sachant plus comment le désigner, il reçut plusieurs lettres dont l’adresse portait:

«A M. Roger (si j’ose m’exprimer ainsi) de Beauvoir (si M. de Balzac veut bien le permettre).»

Dans l’intimité on l’appelait pst.

M. de Beauvoir est un jeune écrivain fort aimé de tout le monde et peu offensif.—On ne peut attribuer le ressentiment de l’illustre romancier qu’à un enfantillage, une complainte sur l’affaire de Peytel, qui fut dans le temps prêtée à M. de Beauvoir, à tort ou à raison, et où on trouvait ces deux vers:

Il faut éviter, hélas!
Balzac cherchant son Calas.

Et ceux-ci:

Gavarni toujours peignait,
Balzac jamais ne s’peignait.

Je profite de cette occasion pour remercier M. de Balzac de ce qu’il a bien voulu m’emprunter récemment—le format, le prix, les sommaires et le mode de publication des Guêpes. M. de Balzac a eu la bonté d’être si sûr que je n’avais rien à lui refuser, qu’il ne m’a rien demandé. Je ferai à ce sujet ce que fit Voiture à un autre Balzac.—Celui-ci lui fit demander quatre cents écus.—Voiture les lui envoya avec un billet ainsi conçu:

«Je soussigné reconnais devoir à M. de Balzac huit cents écus pour le plaisir qu’il me fait de m’en emprunter quatre cents.»

image d’une guêpe 5.—Te rappelles-tu, Léon, nos parties de balle au Luxembourg?—ce jardin où on était si libre,—où les étudiants entraient en casquette et les grisettes en bonnet?—Je l’ai traversé hier;—un gardien est venu à moi, et m’a dit: «Monsieur, on ne fume pas ici!»—Pourquoi ne fume-t-on plus au Luxembourg?—Qui est-ce qui s’est plaint,—dans ce jardin qui appartenait aux étudiants et aux grisettes?

Je comprends qu’on ne fume pas aux Tuileries,—mais au Luxembourg!

Voici le secret: M. et madame Decazes se sont fait au Luxembourg un petit royaume indépendant.—Le jardin est leur jardin;—le palais est leur palais.—Madame Decazes ne veut pas qu’on fume dans son jardin.

Pendant ce temps-là, M. Decazes, pour qu’on le laisse tranquille dans son usurpation, flatte la manie du roi en encombrant le jardin de pierres et de maçons.—Il dérange et détruit tout; les roses de Hardy ne savent plus où se cacher.

Pauvre jardin!

image d’une guêpe 6.—Je me suis souvent élevé contre la manie des voyages.—J’ai produit à ce sujet des aphorismes fort recommandables,—entre autres ceux-ci:

«On ne voyage pas pour voyager, mais pour avoir voyagé.

«Un voyage prouve moins de désir du pays où l’on va que d’ennui du pays que l’on quitte, etc.»

Je m’amusais à feuilleter un Album qu’a rapporté d’Italie mon ami Auguste Decamps.—Par une idée ingénieuse, il a pris une fleur ou une plante de chaque endroit qu’il a visité. Après un examen de ces plantes, je le décourageai fort en lui disant qu’il n’y en a pas une seule qui ne vienne naturellement dans mon jardin.

Ainsi, il a trouvé:

Sur le tombeau de Virgile,—du plantain.

Dans la grotte de la Sybille,—du trèfle blanc.

Au cap Mysène,—de la sauge bleue.

Aux Champs-Élysées,—des pervenches.

A Pompéia,—maison de la Félicité,—un bouton d’or.

A Pompéia,—maison des vestales,—des pois chiches.

Au temple de Vénus,—un coquelicot.

Dans l’île d’Ischia,—du persil.

Dans le palais de Néron,—à Rome,—une ortie.

Aux bains de Caracalla,—une lentille.

Au Vatican,—une staticée.

Au jardin Quirinal,—une rose.

Aux thermes de Titus,—une pâquerette, etc, etc.

image d’une guêpe 7.—Mademoiselle ***, assez belle danseuse de l’Opéra, passe pour faire de fréquentes infidélités à un ami fort riche,—mais elle a pour principe qu’une femme doit toujours nier tant qu’elle n’est pas prise sur le fait.

—Et si elle est prise sur le fait? lui demandait une camarade.

—Alors il faut encore nier.

Il y a quelques jours, le protecteur arrive violet de colère.

—Cette fois, mademoiselle, lui dit-il, vous ne le nierez pas... j’ai des preuves...

—Des preuves... des preuves,—répondit sans hésiter mademoiselle ***;—des preuves... eh bien! qu’est-ce que ça prouve?

image d’une guêpe 8.—Paris est livré au trouble et à l’inquiétude.—Les ouvriers de tous les états, réunis en troupes, envahissent les ateliers et assomment ceux qui veulent continuer à travailler;—trois sergents de ville ont été tués à coups de couteau.

Il y a quelques années, les ouvriers se révoltèrent aux mines d’Anzin—parce que les propriétaires, qui faisaient des fortunes colossales, diminuaient progressivement leur salaire—et avaient fini par ne plus donner que vingt-cinq sous par jour pour un travail fatigant et dangereux.

Il y a quelques années, les ouvriers de Lyon, sans ouvrage et sans pain—se révoltèrent et mirent sur leur drapeau:—vivre en travaillant ou mourir en combattant.

Dans ces deux circonstances, la cause des ouvriers était juste.

Aujourd’hui les travaux publics et particuliers suffisent pour occuper tous les bras—et le prix du travail est à un taux raisonnable.—Ainsi les ouvriers ameutés ne demandent pas du pain, ne demandent pas de l’ouvrage.—Les uns demandent à diminuer la journée de travail de quelques heures;—les autres que le tarif du travail soit égal pour tous, quelle que soit la différence de force et d’habileté;—ceux-ci ne veulent pas qu’un ouvrier puisse gagner plus que les autres en travaillant davantage.—Ceux-là s’insurgent contre les progrès de ceux d’entre eux qui, à force d’économie et d’habileté, s’élèvent graduellement à l’état de maîtres et d’entrepreneurs;—MM. les tailleurs ne veulent pas de livrets.

Jamais le hasard ne m’a fait rencontrer un homme ayant faim sans que je lui aie donné à manger.—Jamais un ouvrier sans ouvrage n’est venu me confier sa misère sans que je l’aie aidé et soulagé; ouvrier que je suis moi-même, vivant comme lui de mon travail de chaque jour,—j’en atteste mes voisins et les habitants de mon quartier. Je prends donc le droit de ne pas faire de la philanthropie ampoulée et de la sensibilité emphatique, et je dis franchement que je suis peu touché en cette circonstance du sort des ouvriers.—Quand les ouvriers ont de l’ouvrage, ce n’est pas chez eux que l’on trouve la misère;—c’est dans une classe qu’on leur apprend sottement à envier et à haïr.

Voyez l’employé: à seize ans il entre surnuméraire; il reste au moins quatre ans sans rien gagner;—puis il obtient une place de huit cents francs—et de six cents s’il est dans l’administration des postes, c’est-à-dire trente et un sous par jour, et on exige qu’il soit mis décemment;—et le moins bien payé des aides maçons gagne cinquante sous.

Et je ne vous parle pas du menuisier en voitures qui, à la tâche, peut gagner neuf francs par jour,—des charrons qui gagnent sept francs,—de l’étireur de ressorts qui, à ses pièces, peut gagner trente francs dans une journée, etc., etc.

On écrit de longs articles dans les journaux,—on prétend que l’étranger fomente ces troubles; on fait surtout honneur de la chose à l’or de la Russie. C’est aussi bête que le Pitt et Cobourg de la Révolution de 93, que le Voltaire et Rousseau de la Restauration.

Hélas! mes bons messieurs les journaux;—hélas! mes bons messieurs du gouvernement! c’est à vous qu’en est la faute, et j’ai peu de pitié de vos anxiétés et de votre embarras.—Vous, messieurs du gouvernement, pendant quinze ans,—vous n’étiez pas alors aux affaires,—vous avez crié au peuple qu’il était souverain et maître, que tout devait se faire par lui et pour lui, que tout devait être à lui, que tous ceux qui avaient quelque chose le lui volaient; vous l’avez ainsi ameuté contre le pouvoir d’alors,—il s’est battu, il a renversé le gouvernement dont vous avez pris la place; puis vous avez dit au peuple: «Peuple, tu as conquis le droit de faire ta corvée comme tout le monde!—allons, à l’ouvrage! une demi-truellée au sas, gâchis serré.»

C’est fort bien, mais, dans le partage que vous avez exécuté des choses conquises, vous avez fait des mécontents.—Ceux-là, messieurs des journaux, ont répété contre vous ce que vous aviez dit contre vos prédécesseurs;—ils ont crié au peuple qu’il était plus souverain, plus volé, plus opprimé, plus muselé que jamais;—sauf à le renvoyer à l’ouvrage quand il vous aura renversés pour les mettre à votre place.

Vous avez tour à tour prêché le dogme absurde de l’égalité, qui consiste non à s’élever jusqu’aux autres, mais à abaisser les autres jusqu’à soi.

Et puis vous vous étonnez,—vous demandez niaisement: «Que veut la classe laborieuse?»

La classe laborieuse veut simplement ne pas travailler—comme vous,—comme tout le monde.

Vous avez supprimé les maisons de jeu,—mais vous avez fait de la France un grand tripot où tout se joue,—les affaires politiques, les places, les rangs, les honneurs, l’industrie, la fortune;—où les gens qui ont de la noblesse, de la probité et de la force ne trouvent plus rien qui mérite leur ambition, où les gens avides et incapables peuvent tout gagner d’un coup de dé.

Et vous voulez qu’on travaille!

Vous êtes, mes bons messieurs, comme l’élève du sorcier,—il commande aux lutins de lui apporter de l’eau,—puis quand il a assez d’eau, il veut leur dire de cesser.—Mais il ignore la formule cabalistique, et les lutins apportent de l’eau,—il en a jusqu’aux genoux: il crie, il pleure, il se plaint, et les lutins apportent toujours de l’eau,—et ils en apporteront jusqu’à ce qu’il soit noyé.

image d’une guêpe 9.—Le journal le National a trouvé dans les émeutes des ouvriers,—dans leur aveuglement,—dans leurs exigences,—dans l’assassinat des sergents de ville, une nouvelle preuve du bon sens des masses et un argument victorieux en faveur du suffrage universel.—Il a ajouté que le gouvernement devrait faire quelque chose à propos des ouvriers.—Le gouvernement, qui n’est pas plus fort, ne trouve rien de mieux que de les faire arrêter et emprisonner.

L’Académie a profité de l’occasion pour mettre au concours cette question pleine d’opportunité: «Tracer l’Histoire des mathématiques, de l’astronomie et de la géographie dans l’École d’Alexandrie.

image d’une guêpe 10.—J’ai un compte à régler avec M. Desmortiers.—Voici ce que je trouve dans une brochure imprimée déjà depuis quelque temps,—sans que ledit M. Desmortiers ait répondu au reproche grave dont il est l’objet.—Je laisse parler l’auteur de la brochure.

«Le greffe me refusant communication des pièces, à moins d’une autorisation du procureur du roi, je demande cette autorisation à M. Desmortiers, qui me l’accorde le 11 février 1840; mais la communication doit avoir lieu sous ses yeux. Je lui dis que tout ce que je sais, c’est que mon dossier porte le nº 25,601. Il prend la plume, écrit, et le dossier arrive. En le déposant sur son bureau, il me dit que, si je préfère une expédition de l’ordonnance, on me la donnera: j’accepte cette proposition, qui me convenait mieux; alors il met le dossier de côté, et me dit d’attendre. Il me donne une audience, et me dit ensuite que ma présence le gêne. Je me retire; et, après quelques audiences, il me rappelle; mais c’est pour lire sous mes yeux je ne sais quel article de je ne sais quelle loi, qui lui défend de me donner l’expédition qu’il venait de m’offrir. Je demande au moins communication des pièces pour prendre des notes; mais il me répond qu’il me l’a donnée cette communication, et je suis forcé de m’en aller.»

A une autre fois, monsieur Desmortiers.—Vous restez sous la haute surveillance de Grimalkin.

11.—Les papetiers, jusqu’ici, n’envoyaient que du papier blanc, et je leur en savais gré.—Un M. Marion envoie du papier couvert de sa prose;—et voici un échantillon de cette prose:

«Les succès que j’ai obtenus m’ont valu l’approbation et la clientèle du monde élégant.»

Dites-moi,—honnête M. Marion,—quel est le but de cette lettre que vous envoyez dans les maisons?—probablement d’acquérir des clients.—Or, comme vous avez déjà le monde élégant,—c’est donc au monde non élégant que vous vous adressez?

Suite de la littérature de M. Marion:

«Une lettre n’en sera que plus spirituelle pour être entourée de l’esprit d’un dessin capricieux et léger; un billet empruntera quelque chose à la coquetterie de l’ornement, et on sera presque consolé de n’avoir pas reçu une visite en trouvant chez soi une carte brillante de recherche. Une invitation à dîner paraîtra plus agréable, grâce à la forme, et chacun préjugera de l’élégance d’un bal ou d’une soirée par l’élégance du billet qui convie à s’y rendre.»

Comment, monsieur Marion,—vous, papetier, vous ne respectez pas plus que cela le papier blanc,—vous gâtez avec de l’encre vos charmants produits;—il est donc décidé que dans cette manie d’écrire qui s’est emparée de tout le monde on ne trouvera bientôt plus de papier blanc, même chez les papetiers.

image d’une guêpe 12.—M. Michel (de Bourges) dîne à la Châtre, et boit à la réforme électorale.

image d’une guêpe 13.—On ne peut se dissimuler ceci,—c’est que nous sommes en plein gâchis.—M. Thiers avait été au pouvoir à une époque où le pouvoir était comme un cheval de manège, qui tourne de lui-même, change de pied quand il en est besoin, etc.

Il a trouvé l’allure douce,—il a voulu recommencer, et le voilà en selle;—mais cette fois, le cheval est dehors.—Il a aspiré l’air,—il a gagné à la main—et il s’est emporté;—l’écuyer présomptueux, qui a perdu les étriers, se cramponne de ses petites jambes et de ses petits bras,—empoigne la selle,—la crinière,—et le cheval va franchissant les fossés et les haies jusqu’à ce qu’il trouve un mur pour se casser la tête.

M. Thiers, troublé, étourdi,—ordonne,—signe,—bouleverse.—Tout le monde le laisse faire.—Il a renversé le ministère, ou plutôt les ministères précédents, parce qu’ils n’étaient pas assez parlementaires,—et lui décide, sans assembler les Chambres, les questions les plus graves.—Il dépense des millions sans contrôle.—Deux ou trois journaux seulement, je ne dirai pas ont gardé l’indépendance,—mais ne dépendent pas de lui.

La France est sur le point d’avoir la guerre contre toute l’Europe,—et cela, peut-être, est décidé et commencé au moment où j’écris ces lignes.

M. Thiers est maître de tout.—Son vertige semble avoir gagné tout le monde.—Deux ou trois voix étouffées crient inutilement dans le désert.—M. Thiers joue la France à pile ou face, et la pièce est en l’air.

image d’une guêpe 13.—M. Arago dîne à Tours, et boit à la réforme électorale.

image d’une guêpe 14.—Voici une autre chose. On parle de mobiliser la garde nationale,—c’est-à-dire que d’un mot, et parce que cela lui plaît, M. Thiers va envoyer tout le monde aux frontières,—vous arracher tous à vos affaires,—à vos plaisirs,—à vos amours,—à votre liberté.

Et on trouve cela tout simple.—Et les journaux hurleurs,—qui, à d’autres époques,—ont demandé qu’on mît tel ministre en accusation parce qu’il avait dépensé quatre mille francs sans l’autorisation des Chambres;—qui ont fait tant d’éloquence ampoulée,—tant de pathos ridicule, contre l’impôt du sel,—sont muets aujourd’hui,—pour l’impôt de la liberté,—pour l’impôt du sang.

Ah! c’est là le gouvernement constitutionnel;—c’est là le ministère parlementaire! cela ne laisse pas que d’être joli.

image d’une guêpe 15.—M. Thiers fait tenir à ses journaux un langage demi-fanfaron, demi-conciliant.

M. Chambolle continue à s’en aller en guerre et chante, chaque matin,—à la manière des chœurs d’opéras-comiques:

Allons,

Partons,

Courons,

Volons,

sans bouger d’une semelle.

Tout en faisant siffler le grand sabre de M. Chambolle,—M. Thiers fait défendre la publication de certaines tabatières qu’il trouve belliqueuses.—Un monsieur a mis en vente, chez Susse, un groupe en plâtre, plus estimable par l’idée et les sentiments que par l’exécution.—Cela représentait un voltigeur de la garde nationale,—M. Chambolle, peut-être.

Ah!—à propos,—il faut que je sache si ces grands partisans de la mobilisation de la garde nationale—sont inscrits sur les contrôles—et s’ils ne mettent pas leur bravoure à l’abri de quelque infirmité vraie ou fausse.

En face de ce voltigeur—étaient quatre têtes:—un Russe,—un Anglais,—un Prussien,—un Autrichien. Le garde national croisait la baïonnette et disait: «On ne passe pas.»

Diable!—dit M. Thiers, par l’organe de M. de Rémusat,—ceci est trop fort;—M. Chambolle ayant entonné ce matin dans le Siècle,—le: «Amis, secondez ma vaillance,» de Guillaume Tell,—ce serait par trop crâne.

On permit la vente du plâtre, mais on fit supprimer les quatre têtes coalisées et l’inscription.—Il ne resta que le voltigeur croisant la baïonnette contre un verre de Bohême qui se trouvait à côté de lui, dans l’étalage.

Hier matin, cependant,—la tartine Chambolle a été faible, et l’auteur de l’ex-groupe a obtenu d’écrire au bas de son voltigeur: Il entend quatre voix étrangères.

On peut voir la chose, qui est assez médiocre, chez Susse, passage des Panoramas.

image d’une guêpe 16.—J’ai lu une foule de journaux de toutes couleurs, français et étrangers; j’ai lu des mémorandum; j’ai lu des traités, j’ai lu tout ce que j’ai trouvé à lire sur cette question d’Orient, devenue si grave: tout cela, pour vous éviter la même peine,—et voici le résumé de mes observations:

La France a été invitée à plusieurs reprises à se faire représenter à la conférence tenue par les quatre puissances alliées; elle a été mise au courant de tout ce qui s’est passé. M. Thiers a cru la chose peu importante,—s’est imaginé qu’on ne passerait pas outre sans lui,—et a refusé de tenir compte des avertissements qui lui étaient donnés.

Quand ensuite le traité a été signé, plutôt que d’avouer sa légèreté et son inhabileté,—il a prétendu qu’on l’avait trahi, qu’on avait insulté la France.—C’est pour sauver, non la dignité du pays, mais la vanité de M. Thiers, que nous sommes sur le point d’avoir une guerre qui détruirait, pour un temps qu’il est impossible de prévoir, le commerce, l’industrie, la fortune publique, le crédit,—et qui pourrait avoir pour résultats une situation plus grave que nous n’en avons eu depuis trente ans.

Je sais bien que les vaudevilles et les chansons prétendent qu’un Français vaut quatre Anglais, quatre Russes, quatre Prussiens, etc.; mais il y a dans tous les pays des vaudevilles et des chansons, et on chante à Londres qu’un Anglais vaut quatre Français, quatre Allemands, etc.; à Saint-Pétersbourg, qu’un Russe vaut quatre Français, quatre Anglais, etc.; partout, comme titre de gloire, on dit:

Je suis Français,

Je suis Allemand,

Je suis Anglais, etc.

Qu’un jour de bataille le soleil sorte des nuages et fasse étinceler les piques, les casques et les cuirasses; dans les deux camps, on dira: aux Français, c’est le soleil d’Austerlitz;—aux Anglais, c’est le soleil de Malplaquet;—aux Suisses, c’est le soleil de Morat, etc., etc., pendant que le soleil fait tranquillement mûrir les pommes et les moissons de tout le monde.

Si le progrès de la pensée et de la raison n’est pas une chimère, on doit être revenu, en France, de ce chauvinisme, et admettre qu’il y a des gens fort braves dans tous les pays.

On doit admettre que le progrès de la civilisation, tant invoqué aujourd’hui, ne doit pas être—de faire revivre quelque épreuve pâlie d’une époque passée.

La puissance réelle d’un pays n’est plus aujourd’hui dans telle ou telle étendue de terrain,—mais dans l’industrie,—dans le bien-être matériel,—dans le progrès moral. Il vaut mieux avoir dix lieues de chemin de fer chez soi—que vingt lieues de landes conquises chez les autres.—Une découverte comme celle du métier Jacquard a aujourd’hui plus d’importance réelle que la plus éclatante victoire.

Je sais également qu’il y a de fort belles chansons—qui ont pour refrain et pour but d’engraisser les sillons avec le cadavre des ennemis.

Mais, comme chaque pays a son patriotisme et ses chansons patriotiques,—il s’ensuit naturellement que ceux que vous appelez les ennemis vous donnent le même titre et veulent également vous employer en guise d’engrais.

On ne peut admirer le patriotisme dans un pays sans au moins le tolérer dans un autre;—et la conséquence nécessaire est qu’il faut fumer la terre avec les cadavres de tous les hommes, ce qui produirait d’excellentes moissons qu’il ne resterait personne pour récolter.

Et que sont devenues ces délimitations de pays?—qu’est-ce que l’industrie,—la raison,—la philosophie, si elles ne réussissent pas à les effacer?

Vous êtes habitant de la frontière;—vous ne pouvez tracer une ligne, si ténue qu’elle soit, qui n’appartienne pour la moitié à un pays, pour l’autre moitié à un autre. Certes, vous avez plus de ressemblance, de liens d’affection et d’intérêt avec l’ennemi qui est de l’autre côté de la ligne tirée—qu’avec votre compatriote qui est à quatre cents lieues de vous.

Cependant, sur cette ligne, il y a une touffe d’herbe,—vous en aimez la moitié.—Cette moitié fait partie d’une des belles prairies de votre belle patrie;—l’autre moitié est une terre maudite.—Il y a un caillou sur la ligne;—vous en prendrez la moitié pour casser la tête de l’ennemi,—l’autre moitié cassera votre tête.

Mais voici ce qu’il y a de pis.—Un traité amène la concession d’une portion de territoire. Ce qui était la patrie,—ce qui du moins en faisait partie,—ne l’est plus, vous ne l’aimez plus. Il était beau de mourir pour elle,—agios tenatos,—il est beau, maintenant, de tuer ceux qui la défendent et de mourir en la ravageant.

Les peuples commencent à voir clair là-dedans. On ne voudra plus guère, bientôt, pour l’ambition de quelques-uns, se battre à la manière des dogues que l’on excite l’un contre l’autre, et que l’on fait s’entre-déchirer sans leur en donner d’autre raison que xsi, xsi,—mords-le,—xsi, xsi.

Pendant que M. Thiers et M. Palmerston décident que la France et l’Angleterre vont se battre,—une corvette anglaise, Samarang, sauve les marins du vaisseau français la Danaïde; le navire français l’Espérance recueille les matelots de la corvette anglaise Vénus, en danger de périr.

Des capitalistes anglais achètent, et payent des actions dans le chemin de fer de Paris à Rouen.

C’est qu’on finira par voir que nous avons tous une même terre à labourer péniblement;—que nous avons tous à lutter contre les mêmes besoins;—qu’il y a une grande patrie qui est la terre; que c’est une honteuse impuissance de borner l’amour de l’humanité à des limites tracées par le cadastre;—et que l’homme a parfaitement l’air d’un méchant animal,—qui n’a imaginé l’amour de la patrie, c’est-à-dire d’une petite partie de la terre et des hommes, que pour se mettre à son aise dans sa méchanceté, et haïr tranquillement tout le reste.

C’est assez, je pense, pour la méchanceté et la vanité humaine, de lui laisser deux cas de guerre,—à savoir:—quand le territoire est menacé ou quand l’orgueil est froissé par une réelle insulte.

Et, pour revenir de la philosophie à l’application,—nous ne sommes dans aucun de ces deux cas.—La France n’a d’autre ennemi que M. Thiers, elle n’est menacée dans sa fortune que par M. Thiers,—qui, pour cacher son outrecuidance, dépense des millions,—va dépenser des hommes,—et nous jette dans une guerre inutile et dangereuse.

La France n’est insultée que par M. Thiers, qui l’a audacieusement mystifiée;—M. Thiers, entré aux affaires par le trouble,—n’a donné lui-même pour raison de son élévation que l’alliance anglaise et le besoin d’un ministère plus parlementaire;—et voici qu’il nous met en guerre avec l’Angleterre,—et, se déclarant dictateur, se demande à lui-même et se vote avec empressement des sommes énormes,—refusant d’assembler les Chambres et de leur soumettre aucune des questions dont dépend en ce moment peut-être le sort de la France.

image d’une guêpe Un monsieur anonyme m’écrit que je suis une oie,—un autre que j’ai les pattes graissées par M. Thiers;—un troisième traduit Am Rauchen par à M. Rauchen, et voudrait savoir ce que c’est que ce M. Rochin.

image d’une guêpe 17.—Tout porte à croire que j’irai finir ce volume en prison. L’état-major de la garde nationale m’a enfermé, en attendant mieux, dans le dilemme bouffon que voici:

M. Desmortiers, qui continue à ne me juger digne d’aucune indulgence, a pris la peine d’écrire lui-même au maréchal Gérard pour demander instamment mon incarcération: ce cher M. Desmortiers ne peut plus vivre comme cela, il faut que la société soit vengée.

M. Jacqueminot, pour le maréchal, accorde l’incarcération et me fait arrêter.

J’exhibe alors une promesse du maréchal de me remettre les peines que j’ai encourues, si je présente une demande signée des officiers de ma compagnie.

Les officiers de ma compagnie ne signeront ma demande qu’après que j’aurai monté une garde.

Mon sergent-major ne peut me commander que pour le 9 octobre.

Donc la promesse du maréchal renferme nécessairement un délai jusqu’au 9 octobre, jour où je pourrai avoir rempli les conditions qu’il m’impose.

Il n’est donc pas tout à fait loyal ni logique de m’arrêter le 24 septembre pour n’avoir pas monté une garde le 9 octobre suivant et prochain.

Voilà deux jours que j’essaye inutilement de faire comprendre cela à ces messieurs;—comme je m’ennuierai moins en prison que je ne m’ennuie à causer avec eux,—je renonce à les persuader,—je refuse l’indulgence du pouvoir,—et je me conduis moi-même dans les cachots.

Je suis allé à l’état-major pour demander un ordre d’écrou, sans lequel on ne me recevrait pas en prison.

J’ai trouvé là un monsieur grisonnant qu’à son importance je suppose un employé subalterne.

—Monsieur, lui ai-je dit,—je vous apporte ma tête;—je vais aller au quai d’Austerlitz,—voulez-vous avoir la bonté de me dire combien je dois y passer de temps?

—Mais pas mal, monsieur.

—Oserai-je vous prier, monsieur, de développer un peu cette réponse concise, et de me dire à combien de jours de prison je suis condamné?

—On vous le dira là-bas.

—Il me serait fort utile de le savoir ici,—pour arranger mes affaires et savoir ce que je dois emporter.

—On vous le dira là-bas.

—Ai-je un mois?

—Soyez tranquille, vous en avez assez.

—Il n’y a donc plus d’amnistie?

—Non, monsieur, il n’y en a pas eu depuis la mort du maréchal Lobau.

—Ah! si je tuais le maréchal Gérard?

—Monsieur, je pense que vous plaisantez.

—Vous ne voulez pas me dire le total de mes prisons?

—Je ne le DOIS pas.

image d’une guêpe 18.—Vendredi.

De mon cachot.

Le matin, j’ai invité à un déjeuner mon frère Eugène, Léon Gatayes—et quelques-uns de nos amis. J’avouerai que je ne leur ai pas trouvé une tristesse convenable. Sur l’observation que j’en ai faite,—l’un m’a répondu,—nous nous consolons.

Il faut bien pardonner un peu à la douleur;
Eh! qui s’amusera,—si ce n’est le malheur!

A cinq heures, le déjeuner fini, on m’a conduit à la prison,—c’est-à-dire beaucoup plus loin que le Jardin des Plantes.—Les cruels ont voulu ajouter aux angoisses de la prison les tortures de l’exil!—C’est un commencement de mobilisation.

Mes amis m’ont embrassé, et le geôlier m’a bouclé dans cette affreuse chambre chocolat et nankin dont je vous ai déjà parlé.—Me voici donc séparé de la société,—destiné à donner un exemple à mes concitoyens.

Discite justitiam (le conseil de discipline) moniti et non temnere divos (votre sergent major).

Le jour baisse:—j’ai voulu me mettre à la fenêtre, je me suis frappé la tête contre des barreaux de fer,—je ne vois qu’un grand mur et la cime de deux arbres.

Mais voici la nuit,—de petits génies, des gnomes invisibles, viennent enlever aux choses de la terre les couleurs qu’ils leur ont prêtées pendant le jour; ils vont les serrer au ciel, où ils remontent sur les derniers rayons du soleil qui disparaît; ils enlèvent d’abord le bleu.—Regardez autour de vous,—vous voyez encore sur le mur cette giroflée sauvage dont les fleurs tardives sont jaunes,—et ce drapeau, dont une partie est rouge;—mais ce qui était bleu tout à l’heure n’a plus de couleur;—après le bleu, ils emportent le vert,—puis le rouge;—le jaune et le blanc restent les derniers.

On nous enlève nos bougies à dix heures:—j’en ai demandé la raison à M. Richard, notre geôlier;—il m’a répondu par cette phrase rassurante: «La maison est toute en bois et si vieille, que, si le feu prenait, je n’aurais peut-être pas le temps de vous ouvrir les portes.»

Or cette cause n’est qu’un prétexte,—et le couvre-feu une des mille taquineries infligées aux criminels,—attendu qu’on nous laisse des briquets et que l’on peut fumer toute la nuit, si l’on veut.

J’ai renouvelé une question que j’avais faite à une visite précédente, et j’ai obtenu la même réponse.

—Comment chauffe-t-on ici?

—Avec des calorifères.

—Y fait-on du feu?

—Non, monsieur.

Quelque froid qu’il fasse on ne fait point de feu avant le 16 octobre. Les poêles sont démontés.

Tout dans la prison affiche une énorme prétention à l’égalité.

L’égalité, ce rêve d’envieux réalisé par des imbéciles au profit des culs-de-jatte intrigants.

Après avoir longtemps cherché, j’ai découvert que le moyen d’arriver au plus haut degré de l’inégalité est cet absurde système d’égalité qui bouleverse tout depuis tant d’années, et je le prouve.

Pour le même crime on doit chercher non pas le même moyen de punition, mais un degré égal de punition.

Ici, pour l’égalité, les chambres sont de la même grandeur.

—On ne reçoit par jour qu’une ration de vin fixe et la même pour tous;—on ne peut avoir de feu que le même jour et à un degré égal,—etc., etc.

J’ai, dans un cachot voisin, un homme qui d’ordinaire ne sort jamais de chez lui,—un autre a l’habitude et conséquemment le besoin de boire une bouteille de vin à chaque repas;—un autre se couche à la nuit et aime dormir quatorze heures, moi je demeure dans un jardin,—j’ai toujours vécu au grand air et à la mer,—je suis donc plus puni que le premier.

Je ne bois pas de vin,—le second est plus puni que moi.

Je dors peu—et j’aime veiller,—lire ou rêvasser la nuit; je serais donc traité bien plus sévèrement que le troisième si je n’avais pas su éluder le couvre-feu.

Et pour cette égalité de chauffage—il faudrait que tous eussent une égale sensibilité au froid.—J’ouvre mes fenêtres aujourd’hui, et mon ami le poëte Méry mourrait littéralement de froid, lui qui à Paris sortait avec trois manteaux, et n’ose plus revenir ici par crainte et par souvenir du froid qu’il y fait.

A l’imitation de divers prisonniers célèbres,—j’ai cherché une araignée pour l’instruire;—j’en ai trouvé une petite noire, mais elle montre peu d’aptitude.

Nous restons dix-neuf heures bouclés,—à midi nous pouvons circuler dans une cour et dans un promenoir où nous avons le droit de lire une ordonnance affichée sur les murs, laquelle porte qu’on ne nous enfermera qu’à neuf heures,—ce qui n’empêche pas qu’on nous fait remonter et qu’on nous enferme à cinq heures.

Nous ne pouvons recevoir personne dans nos chambres,—nos visiteurs ne sont admis que dans un parloir où on raccommode du linge et où on peigne des enfants. Il faut causer à l’oreille de ses amis, auxquels il n’est pas permis de pénétrer dans la cour. C’est sans doute pour les empêcher de respirer le même air que les criminels qu’on nous oblige à les recevoir dans un endroit où il n’y a pas d’air.

On m’appelle,—Vingt-trois, d’après le numéro de ma chambre.

La cantinière porte un violent coup sur l’œil.

—Le restaurant de la prison est un homme fort zélé pour l’institution de la garde nationale, qui croit ne pouvoir trop dépouiller de leur argent les récalcitrants. L’autorité a eu soin de lui imposer un tarif,—ce qui ne l’empêche pas de me vendre sur le pied de cinq francs la livre—la bougie, qui coûte, je crois, quarante sous.—Je garde une carte fort curieuse par le mépris du tarif.—J’en citerai seulement deux exemples:

Le tarif porte:—gigot, soixante centimes.

Ma carte: gigot, un franc cinquante centimes.

Supposez une portion double,—cela fait un franc vingt centimes.

Supposez-la triple,—ce serait un franc quatre-vingts centimes.

Il faut donc supposer, pour se mettre d’accord avec le tarif, que j’ai eu deux portions et demie.

Côtelettes sur le tarif, trente centimes.

— sur ma carte, soixante-dix centimes.

Combien ai-je eu de côtelettes?—Il faut que j’en aie eu deux et un tiers,—etc., etc., etc.

Ceci est grave, parce qu’on est condamné au restaurant en même temps qu’à la prison.

Si un malheureux n’a pas d’argent,—on lui donne des aliments;—mais alors on le purge pendant tout le temps de sa détention,—attendu qu’on ne lui donne que de la soupe aux herbes.

Aujourd’hui, c’est le cantinier qui est avarié;—il a le nez excorié.

—J’ai fait venir un jeu de boules qui nous est d’une grande utilité.—Je le lègue aux prisonniers qui me succéderont.—Je les prie de le réclamer s’il ne se trouvait plus dans la cour.

image d’une guêpe 19.—Madame Lafarge vient d’être, par le jury, déclarée coupable d’empoisonnement sur la personne de son mari,—avec circonstances atténuantes.

Si madame Lafarge est coupable, et si MM. les jurés limousins ont la conviction de la culpabilité,—où sont les circonstances atténuantes?

Si ce verdict est le résultat d’un doute—les jurés devaient absoudre:—dans les deux cas, ils ont manqué à leur devoir.

Je ne dirai pas ici mon opinion sur cette affaire:—quelque faible que soit son poids, je ne voudrais pas mettre ce poids, fût-ce celui d’un grain d’orge, dans un des plateaux de la balance jusqu’à ce que l’affaire soit terminée. Madame Lafarge a interjeté appel.

Toujours est-il que dans ces débats, à propos d’un crime sur lequel on n’a encore rien décidé,—il s’est révélé bien des choses sur bien des personnes,—ce qui me remet en la mémoire une grande vérité que me disait un jour un philosophe allemand, un de mes amis.

—Je divise le monde en deux classes,—me disait-il:

Ceux qui sont pendus,

Et ceux qui devraient l’être.

Je ne suis pas obligé de cacher à la science qu’elle a joué un rôle bien médiocre dans cette affaire. Et le génie, à la fois terrible et grotesque d’Hoffmann, n’aurait jamais osé inventer ce qui s’est passé pendant ces incroyables débats.

On a déterré un homme,—un cadavre déjà si décomposé qu’on n’a pu en prendre quelques morceaux qu’avec une cuiller.—Les chimistes discutaient sur les parties préférables.—Prenez un peu de foie,—un peu d’estomac,—bien! Encore un peu de foie,—c’est bien!

Ils s’en vont dans une cour,—une cour sur laquelle s’ouvrent les fenêtres du palais de justice;—ils font cuire ce qu’ils ont apporté, bientôt une odeur horrible se répand dans l’auditoire;—les juges, les avocats, l’accusée, les témoins sont suffoqués.—Qu’est-ce? c’est l’odeur de M. Lafarge qu’on fait cuire.—L’avocat général seul ne sent rien.—Pour un avocat général, c’est encore fade; il faut que ce soit plus relevé pour frapper son odorat.

Pendant ce temps, les chimistes surveillent leur infernale cuisine:—Est-ce assez cuit?—Non, pas encore,—encore un bouillon.—Qu’est-ce auprès de cela que les sorcières de Macbeth?

C’est fini,—ils apportent le produit de leur expérience;—ils n’ont pas trouvé d’arsenic.—Il n’y a pas de crime,—donc pas de coupable.—Mais on fait venir M. Orfila,—on lui donne des morceaux de Lafarge qu’on lui a gardés.—A son tour il fait l’affreuse cuisine;—il souffle le feu,—il fait cuire sa part du cadavre,—il rapporte de l’arsenic.—Lafarge est mort empoisonné.

Et, après de si épouvantables opérations, il reste dans la plupart des esprits la même incertitude qu’auparavant; surtout lorsque M. Raspail arrive à son tour déclarer que l’arsenic trouvé par M. Orfila n’est pas de l’arsenic,—ou que c’est de l’arsenic qu’on trouve dans tout.—Il offre d’en trouver dans un vieux fauteuil de l’audience;—dans M. Orfila lui-même, s’il veut se soumettre à une cuisson convenable,—plus que M. Orfila n’en a trouvé dans le corps de Lafarge.

On a dû s’étonner, pendant le cours des débats, de voir tous les journaux professer unanimement l’opinion de l’innocence de madame Lafarge. On n’est pas accoutumé à leur voir un accord si touchant. Ceci est un mystère que je puis expliquer dès aujourd’hui.

Les différentes feuilles se sont cotisées, et, pour le prix de soixante-quinze francs chacune, elles ont entretenu à Tulle un seul et même sténographe, qui leur a imposé à toutes et ses impressions et ses opinions, et ses façons d’entendre et ses façons de parler, etc.

—Il me reste à dire sur cette affaire deux mots à quelques messieurs:

Aux amoureux de madame Lafarge.—Il est fort à la mode parmi certains jeunes gens de professer une grande admiration,—que dis-je? une adoration—pour madame Lafarge.—Ce n’est qu’éloges sur son esprit,—sur sa figure,—sur sa modestie,—sur ses talents, et on finit par ces mots:—C’est égal, c’est une femme bien supérieure.Voilà une femme.

Tout ceci, je me hâte de le dire, n’est qu’une ridicule affectation,—une jactance bouffonne,—semblable à celle de ces pauvres poëtes, amants insuffisants d’une grisette,—qui demandent dans leurs vers de brunes Andalouses et des combats de taureaux;—pauvres diables qui cacheraient le cordon rouge de leur montre s’ils rencontraient par hasard une vieille vache qu’on mènerait à l’abattoir.

Car si on prenait ces choses au sérieux,—si on pensait que ces paroles sont l’expression d’un sentiment vrai,—il faudrait croire à toute une génération misérablement frappée de cette sorte d’impuissance qui faisait au marquis de Sade ne trouver de plaisir dans les bras d’une femme qu’autant qu’il pouvait assaisonner ses caresses de quelques coups de couteau.

Il y a un reproche qu’il faut faire à la jeunesse de ce temps-ci,—c’est de ne pas être jeune,—ou tout au moins de cacher,—comme choses honteuses, tout ce qu’elle a de jeune, c’est-à-dire de grand, de noble, de pur et d’élevé.

Malheureusement ces honteux parodoxes sont pris au sérieux par quelques-uns de ceux qui les font et par beaucoup de femmes qui les entendent faire;—et comment feraient-elles autrement, elles ne voient d’éloges,—de fleurs—d’amour que pour des sauteuses décolletées par en haut jusqu’à la ceinture;—et par en bas jusqu’à la ceinture;—ceinture dont la largeur vous dit tout ce que d’elles leur amant ne partage pas avec le public.

Certes, à l’Opéra, toutes ces femmes charmantes qui remplissent les loges et qui savent bien qu’elles sont plus belles, plus distinguées que ces acrobates,—doivent se demander souvent: «Qu’ont-elles de plus que nous?»

Ces mêmes femmes et d’autres encore,—en anges timides du foyer,—voyant tant d’éloges, tant d’admiration pour l’esprit de madame Lafarge,—ont dû se dire: «Mais il y a mille femmes qui ont cet esprit et qui en ont davantage,—qu’a-telle de plus que nous?»

Faut-il donc être danseuse—ou accusée d’empoisonnement pour attirer l’attention,—pour être admirée,—pour être aimée?—Ne reste-t-il donc aucune récompense pour les vertus cachées qui parfument la vie intérieure?—Faut-il donc mieux remplir le monde de bruit et de scandale,—que remplir la maison—de paix, de joie et d’amour.

image d’une guêpe 20.—Les forts détachés, qui ont fait pousser tant de clameurs lorsqu’il fut, il y a quelques années, question de les élever,—n’éprouvent pas aujourd’hui la moindre objection—par l’adresse qu’a eue M. Thiers d’accaparer presque tous les journaux.

A ce propos,—voici un exemple qui vient à l’appui de ce que je vous ai déjà dit sur le temps qu’il faut au public pour changer une opinion faite, pour qu’il découvre que son journal s’est donné au ministère. Ici, dans cette prison où j’écris,—mon geôlier me disait, il y a une heure, en parlant du Siècle et du Courrier Français qu’il prête aux détenus: «Je ne les prends qu’au jour le jour, parce qu’on peut un de ces jours me défendre d’avoir dans une maison du gouvernement des journaux comme ça

A ceux qui, à propos des fortifications de Paris, disent: «Mais ce sont les forts détachés?» on répond: «Oui, mais avec une muraille d’enceinte.»

Et à ce sujet on abuse de Napoléon.—Les uns disent: «Napoléon voulait qu’on fortifiât Paris;» les autres:—«Napoléon s’est toujours montré contraire aux fortifications de Paris.»

Je ne sais pas un sujet pour lequel on ne mette un peu Napoléon en avant.—Il y avait l’autre jour dans un journal,—Napoléon disait: «L’ouvrier est la force de la France.»

Quelle que soit l’opinion qu’on ait sur ces fortifications, je comprendrais qu’on les décidât sans les Chambres,—si cela pouvait se faire en trois mois,—parce qu’alors un mois de perdu est fort grave.—Mais les quelques jours dont on retarderait le commencement d’un travail de six ou sept ans—ne sont pas une excuse suffisante pour agir sans les Chambres, auxquelles on laissera à décider sur les pétitions de Louis XVII qui se pourraient présenter.

image d’une guêpe 21.—Il devait y avoir conseil dans la journée.—M. Thiers, qui comptait faire adopter au roi le projet de fortification,—en avait envoyé la mention au Siècle. Mais le conseil n’eut pas lieu, et le petit Martin courut retirer la note.

M. Chambolle était à sa villa.—M. Martinet, qui surveille chaque soir la mise en page du journal, ne voulait pas prendre sur lui de remettre la note.—Ce n’est qu’après deux heures de dialogue qu’il s’y décida.

Cette publication prématurée eût paru peu convenable au château et pouvait être fatale à M. Thiers.

Je saisis cette occasion d’apprendre à M. Martinet tout ce qu’il a eu dans les mains et tout ce qu’il a été pour la France pendant deux heures.

image d’une guêpe 22.—M. Raspail, homme savant et pour lequel, sans le connaître, j’avais une prédilection particulière, vient d’écrire dans les journaux une lettre extrêmement bizarre,—on y trouve surtout deux choses.

On l’emmène à Tulle pour contrôler le rapport de M. Orfila,—et on lui demande:

—Croyez-vous que le résidu obtenu soit de l’arsenic?

Il répond:

—Madame Lafarge cherche à plaire à tous et jamais à effacer personne.

Elle est d’une force supérieure sur le piano; douée d’un beau timbre de voix, elle chante avec une rare méthode; elle explique et traduit Goëthe à livre ouvert; possède plusieurs langues, improvise les vers italiens avec autant de grâce et de pureté de style que les vers français.

Puis il accuse tranquillement M. Orfila d’avoir lui-même sciemment mis de l’arsenic dans le corps de M. Lafarge.

La première des deux assertions explique la seconde.

—C’est de l’enthousiasme poussé à la frénésie.

image d’une guêpe 23.—Un de nos sportsman, qui a un goût particulier pour voir tomber les gens,—a imaginé ce procédé:

Il fait paraître un cheval monté par un groom de treize ans,—et défie un écuyer habile de monter l’animal;

L’écuyer accepte le défi;—le cheval devient furieux, oppose les plus terribles défenses—et se roule par terre avec son cavalier.

—Des pointes d’acier sont cachées dans la selle du cheval; il n’est préservé de leur atteinte que par des obstacles qui résistent aux trente kilos que pèse le groom et qui cèdent à un poids de cent soixante livres.

image d’une guêpe POST-SCRIPTUM.—Les hostilités ont commencé en Orient.—Beyrouth a été bombardée.—M. Thiers voit qu’il faut tomber, il veut rester, en tombant, un embarras pour ses successeurs, qui, eux, désireraient qu’il tînt encore un peu. Il va proposer au roi de telles choses, qu’il faudra les lui refuser,—et qu’il paraîtra aux Chambres avec le prestige d’un ministre démissionnaire ayant quitté volontairement une position où on ne lui permettait pas de venger la dignité de la France.

—On sait comment cela prêtera à la phrase et tout le parti qu’il en pourra tirer pour harceler ses vainqueurs.

image d’une guêpe Pour le moment, le gouvernement représentatif est aboli, et M. Thiers est dictateur: dictature sous laquelle on se livre aux marchés les plus scandaleux. Beaucoup de gens, qui crient bien haut à la dignité de la France, ne voient dans la guerre qu’un prétexte à fournitures.

image d’une guêpe On vient d’apporter à Rouen le corps d’un homme empoisonné, dit-on, par sa femme.—MM. les chimistes de Rouen vont faire, à leur tour, l’horrible cuisine qu’ont faite MM. les chimistes de Tulle.—Sous prétexte d’avoir été empoisonnés, les morts vont empoisonner toute la France.

image d’une guêpe Plusieurs citoyens,—se grisant des paroles de M. Thiers, se sont exaltés en faveur de l’enceinte continue avec l’enthousiasme qu’ils avaient contre la même chose, quand cela s’appelait forts détachés. Ces citoyens ne veulent pas confier à des ouvriers mercenaires le soin d’élever les murailles qui doivent nous enfermer. Chacun, selon le vœu de ces citoyens, mettra la main au plâtre.—Ils demandent que nous allions tous construire les fortifications à la manière du ver à soie, qui fabrique lui-même la coque qui lui sert de prison. Leur seul regret est de ne pouvoir, comme lui, tirer d’eux-mêmes les pierres et le bois,—et de ne pouvoir se changer en moellons et en solives.

image d’une guêpe M. Arago dîne à Perpignan.

image d’une guêpe ÉPILOGUE. Pour cette fois, mes Guêpes, envolez-vous à travers les barreaux de ma prison.

image d’une guêpe En terminant mon douzième volume, je répète avec confiance ce que j’ai dit en commençant le premier: «Ces petits livres contiennent l’expression franche et inexorable de ma pensée sur les hommes et sur les choses en dehors de toute idée d’ambition, de toute influence de parti.»

Mon indépendance n’est pas une de ces vertus chagrines et envieuses—qui, dans leur haine contre le vice, ont toujours l’air de crier au voleur.

Ce n’est pas même une vertu, c’est une condition de mon tempérament. A une époque de ma vie, je me suis senti ambitieux parce qu’il y avait un front pour lequel je voulais des couronnes,—de petits pieds sous lesquels je voulais étendre les tapis les plus précieux,—une existence que je voulais entourer de toutes les joies, de tous les orgueils, de tous les luxes de la terre.

Mais un jour mon rêve s’est évanoui, et je suis resté seul: cependant je me sentais fort et courageux;—j’ai cherché quelle route je devais suivre et où je voulais arriver, et alors j’ai vu les routes de la vie, embarrassées de ronces et d’épines,—conduisant péniblement à des buts que je ne désirais pas.

J’ai vu des luttes acharnées de toute la vie pour s’arracher des choses dont je n’avais pas besoin.

J’ai vu dans ces luttes certaines choses, qui avaient quelque grandeur et quelque prestige—entre les mains avides qui les tiraillaient,—tomber dans la boue et dans le sang, brisées en éclats—comme une glace de Venise dont on fait, en la cassant, des miroirs à deux sous.

J’ai évité ces chemins et je ne me suis pas mêlé à ces luttes, et j’ai découvert en moi que le ciel m’avait richement partagé,—car j’avais une fortune toute faite et une liberté assurée dans l’absence des désirs et dans la modération des besoins.

Ainsi aujourd’hui,—au milieu de ce tumulte,—où tous se ruent les uns sur les autres pour s’arracher l’argent et le pouvoir, et quel pouvoir!—je ne vois rien dans le butin qu’auront les vainqueurs qui vaille à mes yeux les magnificences gratuites dont se pare l’automne;—les courtines de pourpre qu’étend la vigne sur les murailles de mon jardin,—le bruit du vent dans les feuilles jaunies des bois,—et les rêveries,—les pensées,—douces fleurs d’hiver qui vont éclore à la chaleur du foyer rallumé.

Dans ces combats, je ne vois aucun triomphe qui flatterait mon orgueil autant que mes luttes avec la mer en colère sur la plage d’Étretat.

Ainsi,—seul aujourd’hui,—quand les poëtes eux-mêmes considèrent leur renommée comme un moyen et non comme un but,—seul je suis resté poëte,—noblement paresseux et pauvre,—libre et dédaigneux,—et j’entends le tumulte de ces temps-ci comme un homme qui, renfermé près d’un feu pétillant, entend battre sur ses vitres une pluie glacée,—j’assiste aux mêlées furieuses de l’ambition et de l’avarice,—comme si je voyais des sauvages se battre avec acharnement pour des colliers de verre et des plumes rouges, dont je ne fais aucun cas.

Les splendeurs de la nature,—les causéries de l’amitié,—les rêveries de l’amour et ces fêtes de pensée que le poëte se donne à lui-même remplissent suffisamment ma vie,—et je n’y veux admettre rien autre chose. Mon âme s’est placée dans une sphère élevée d’où je ne la laisserai pas descendre.

Il est des instants cependant où les sots font tant de bruit, qu’ils finissent par m’importuner et que je sens le besoin de leur dire qu’ils sont des sots, et de troubler leur triomphe, et je me suis creusé dans ces petits livres un trou où je puis dire une fois par mois:—«Midas, le roi Midas, a des oreilles d’âne.»

Certes un homme qui s’avise de dire aux hommes et aux choses: «Vous ne me tromperez pas, et voilà ce que vous êtes;» cet homme devait être considéré comme un ennemi public,—aussi, tout d’abord,—injures et menaces anonymes,—coups d’épée par devant, coups de couteau par derrière, on a tout essayé;—on m’a fait passer pour un homme méchant et dangereux, parce que je ne veux pas dépenser la bonté, qui est une noble et sainte chose, en menue monnaie de bonhomie et de faiblesse,—comme les femmes qui dépensent l’amour en coquetterie, qui est le billon de l’amour.

J’ai pour moi, il est vrai, les gens d’esprit,—de bon sens et de bonne foi.—Qu’est-ce? mon Dieu,—contre l’armée innombrable des imbéciles, des sots et des intrigants?—Mais j’aime mieux être vaincu avec les premiers que vainqueur avec les seconds, et je continuerai ma route,—semblable à Gédéon, qui ne voulut garder que les braves avec lui.


Novembre 1840.

Les Guêpes.—Un tombeau.—La justice.—Ugolin, Agamemnon, Jephté et M. Alphonse Karr.—Le nouveau ministère.—M. Soult.—M. Martin (du Nord).—M. Guizot.—M. Duchâtel.—M. Cunin-Gridaine—M. Teste.—M. Villemain.—M. Duperré.—M. Humann.—L’auteur se livre à un légitime sentiment d’orgueil.—Départ de M. Thiers.—Madame Dosne.—M. Dosne.—M. Roussin.—M. de Cubières,—M. Pelet (de la Lozère).—M. Vivien.—Lettres de grâce.—M. Marrast.—M. Buloz.—M. de Rambuteau.—M. de Bondy.—M. Jaubert.—M. Lavenay.—M. de Rémusat.—M. Delavergue.—Le sergent de ville Petit.—Le garde municipal Lafontaine.—Darmès.—Mademoiselle Albertine et Fénélon.—M. Célestin Nanteuil.—M. Giraud.—M. Gouin et les falaises du Havre.—M. de Mornay.—La prison de Chartres.—Nouvel usage du poivre.—La Marseillaise.—La guerre.—Un réfractaire.—M. Chalander.—Les soldats de plomb.—Un bal au profit des pauvres.—Les fortifications de Paris.—Les pistolets du grand homme.—M. Mathieu de la Redorte.—M. Boilay.—M. et madame Jacques Coste.—M. et madame Léon Faucher.—M. et madame Léon Pillet.—Madame la comtesse de Flahaut.—Madame la comtesse d’Argout.—On continue à demander ce qu’est devenue la fameuse enquête sur les affaires de la Bourse.—M. Dosne se livre à de nouveaux exercices.—M. de Balzac.—Une gageure proposée au préfet de police.—M. Berlioz.—M. Barbier.—M. L. de Vailly.—M. de Vigny.—M. Armand Bertin.—M. Habeneck.—Le Journal des Débats porte bonheur.—Richesses des pauvres.—Subvention que je reçois.—On demande l’adresse des oreilles de M. E. Bouchereau.

Quand je voulus publier les Guêpes,—je chargeai un monsieur de faire imprimer mes petits volumes et de les vendre; c’est ce qu’on appelle prendre un éditeur.—Le monsieur me fit signer un papier, par lequel je m’engageais à lui laisser imprimer et vendre les Guêpes pendant un an;—je ne vous raconterai pas tous les ennuis que me donna ledit monsieur; toujours est-il que l’année finit,—et que j’annonçai l’intention de continuer sans lui.

Ce monsieur prétendit alors—que la promesse que j’avais faite de lui laisser vendre mon ouvrage pendant un an—m’obligeait à le lui laisser vendre pendant deux,—et il me fit un procès.

Le monsieur n’a pas, dit-on, chez lui, une chaise,—une paire de souliers,—une botte d’allumettes, qui n’ait donné lieu à un procès. On désigna des arbitres;—et on nous fit expliquer nos prétentions.—Pour ma part, je parlai au moins pendant deux heures, chose que je ne pardonnerai de ma vie à ceux qui me l’ont fait faire.

Le monsieur parla aussi beaucoup. Après quoi les juges arbitres décidèrent, à la majorité de deux contre un, après une longue discussion: 1º Qu’une année se composait de douze mois, en ne me cachant pas que c’était là une question embrouillée,—et que je devais me réjouir qu’elle eût été ainsi décidée;

2º Que le titre des Guêpes ayant été, de l’aveu du monsieur,—imaginé,—apporté et écrit par moi,—ne m’appartenait pas plus qu’à ce monsieur, qui ne l’avait ni écrit, ni apporté, ni imaginé, et que, par conséquent, je n’avais pas le droit de m’en servir.

En quoi ils se montrèrent moins sages que Salomon;—car ils tuèrent l’enfant, ainsi que le demandait la fausse mère.

Cette seconde décision me parut moins claire que la première,—et je leur demandai humblement si j’avais encore le droit de m’appeler Alphonse Karr;—à quoi il me fut répondu que j’en avais encore le droit.

Je leur témoignai de mon mieux ma profonde reconnaissance, et je me retirai.

image d’une guêpe Hier notre ami B... nous a donné un remarquable dîner de condoléance;—c’était un dîner funèbre à l’imitation des anciens,—un magnifique convoi de quatorze couverts. On a servi un tombeau de nougat, surmonté d’une énorme guêpe.—La pauvre bête!—j’ai reconnu Padocke,—était étendue sur le dos,—les ailes froissées,—les pattes roides.—Une balance, qui fut jugée par les convives être celle de la justice,—l’écrasait de son fléau. On m’invita à briser le nougat,—ce que je fis en détournant la tête;—jusque-là, je n’étais semblable qu’à Agamemnon ou à Jepthé qui sacrifièrent leurs filles;—mais bientôt je dévorai ma part de l’infortunée Padocke,—et je fus comparé à Ugolin, qui mangea ses enfants pour leur conserver un père.

Du nougat en morceaux sortit le dernier volume des Guêpes.—On en lut le dernier chapitre à haute voix, en forme d’oraison funèbre,—et on fit de fréquentes libations avec le meilleur vin du Rhin que j’aie bu de ma vie:—«Nous appelâmes par trois fois les Guêpes et nous leur dîmes adieu.»

Ainsi donc mes Guêpes sont un ouvrage terminé par autorité de justice,—et je n’écrirai plus rien sous ce titre.—Mes Guêpes sont mortes,—je vous laisse le soin de leur épitaphe, seulement j’imiterai la femme de ce marchand enterré au Père-Lachaise, et je graverai sur le marbre: «LEUR PÈRE INCONSOLABLE CONTINUE LE MÊME COMMERCE RUE NEUVE-VIVIENNE, 46.»

image d’une guêpe Je commence aujourd’hui un autre ouvrage en treize volumes.—Douze de ces volumes formeront l’histoire anecdotique des sottises de l’année.—Le treizième sera un roman.—Vous trouverez le détail de tout ceci sur la couverture.

Mes amis m’ont envoyé de tous côtés des titres pour remplacer celui qui m’est interdit.

—Les Frelons.

—Les Bêtes à bon Dieu.

—Les Guêtres.

—Les Mois.

—Les Vers-luisants.

—Les Moustiques.

—Les Cousins.

Je n’ai choisi aucun de ces titres, et, à l’imitation de Shakspeare, qui appelle une de ses comédies—Comme il vous plaira.

J’ai décidé que je ne donnerais pas de titre à mes treize petits volumes.

—Je n’ai pas le droit de les appeler les Guêpes;

—Je ne les appelle pas les Guêpes;—je vous prends tous à témoin que je ne les appelle pas les Guêpes.

Mais vous, mes chers lecteurs, vous êtes libres de les appeler comme vous voudrez.

image d’une guêpe NOVEMBRE.Départ de M. Thiers.—Vous n’êtes pas sans avoir quelque ami qui, lorsqu’il vous arrive quelque chose de funeste,—accourt d’aussi loin qu’il se trouve pour vous dire: «Je vous l’avais bien dit!»—et, d’un air si triomphant, qu’il est évident qu’il ne voudrait, pour aucune chose au monde, que le malheur qui vous arrive ne fût pas arrivé.

J’ai beaucoup de peine à ne pas triompher un peu ici de la réalisation textuelle de mes prévisions sur le départ de M. Thiers, et sur la manière dont ce départ devait s’effectuer.—Je vous renvoie simplement, pour les détails de ce qui s’est passé ce mois-ci,—au récit que j’en ai fait d’avance le mois précédent dans le dernier volume des Guêpes.—M. Thiers,—dit Mirabeau-Mouche, dit Mars Ier,—sort du ministère et de la position impossible qu’il s’était laissé faire, sous prétexte d’honneur et de dignité nationale;—c’est un thème tout fait pour les discours qu’il va débiter à la Chambre des députés.

Quatre des collègues de M. Thiers ne partageaient déjà plus son avis dans le conseil: c’étaient M. de Cubières,—M. Roussin,—M. Pelet de la Lozère et même M. Cousin.

M. Pelet de la Lozère surtout, qui est fort riche et qui offrait la plus grande responsabilité pécuniaire, ne voyait pas sans inquiétude les allures d’un président du conseil—qui venait s’asseoir à son bureau,—donnait des ordres,—prenait l’argent sans explications et mettait dans son budget une confusion effroyable.

image d’une guêpe Alors commença la distribution des croix d’honneur. M. Jaubert, qui ne pardonnera jamais ni à M. Thiers ni à la croix—d’avoir été décoré malgré lui,—l’a donnée aux jeunes mineurs de son cabinet.—Le seul dont je sache le nom s’appelle M. Lavenay et je ne le connais pas.

M. Gouin—en a fait autant; M. de Rémusat, entre autres, a, dans l’espace de cinq mois, nommé M. Delavergne, son secrétaire particulier,—maître des requêtes, grand officier de l’ordre de Charles III—et chevalier de la Légion d’honneur.

Le nombre des croix distribuées par M. Thiers est fabuleux.—Au 22 février, il avait nommé chevaliers de la Légion d’honneur les employés des jeux; cette fois il a donné la croix à tous ses jeunes gens:—MM. Boilay, du Constitutionnel;—un anonyme du Courrier français; quelques jeunes gens du Club-Jockey, qui lui apprenaient à monter à cheval,—et divers journalistes pour lesquels c’était un encouragement et une récompense pour les articles contre le roi qu’ils faisaient la veille et le lendemain du serment qu’ils prêtaient à Louis-Philippe.

M. le comte Walewski a été également décoré.

image d’une guêpe Madame Dosne a continué pendant quelque temps à tenir sa cour à la Tuilerie: c’était une imitation libre de la cour de Charles V à Bourges.—Elle avait reçu l’ordre de la modération pendant la crise;—mais, la chose terminée, elle a repris possession de l’hôtel Saint-Georges.—Alors elle a annoncé qu’elle allait recommencer son pamphlet contre la famille royale;—et, en effet, c’était merveille, le dernier jeudi du mois, de l’entendre semer des anecdotes,—et, pour échauffer les députés arrivant,—leur réciter les articles du National du matin;—contester le mérite militaire du maréchal Soult;—expliquer comme quoi il a perdu la bataille de Toulouse,—et, à tel point, que M. de Mornay, gendre du maréchal, s’est cru obligé de se retirer.

Ce jour-là,—il y avait beaucoup d’hommes politiques;—tous les ministres démissionnaires n’y étaient pas.

La réunion était remarquable par l’absence des femmes,—il n’y en avait qu’une demi-douzaine: madame Jacques Coste,—madame Léon Faucher,—madame Léon Pillet,—madame de Flahaut—et madame d’Argout.

image d’une guêpe On a envoyé au beau-père Dosne un avis par le télégraphe pour qu’il eut à revenir jouer à la hausse,—que ne pouvait pas manquer d’amener la retraite de son gendre,—comme il avait joué à la baisse pendant son inquiétante administration.

image d’une guêpe Une dame d’Auteuil faisait le tour de son salon,—comme fait la reine aux Tuileries,—adressant ou plutôt jetant un mot à chaque personne;—elle arriva à un de ses anciens familiers, et lui dit avec son air le plus protecteur: «Et vous, monsieur, vous voilà donc fixé à Paris?»—Le monsieur, indigné,—répondit d’abord un «Oui, madame,» très-respectueux;—mais, voyant qu’on ne le regardait pas,—il ajouta à demi-voix:

«Ah ça! Sophie,—est-ce que tu te... de moi, avec tes grands airs?»

image d’une guêpe Il est singulier de voir à combien de gens il faut appliquer ces paroles de l’Écriture:—Aures habent et non audient, oculos habent et non videbunt; «ils ont des oreilles et ils n’entendront pas, ils ont des yeux et ils ne verront pas.» La plupart des gens veulent absolument prendre l’obstination que l’on met à chanter la Marseillaise dans les rues pour une manifestation belliqueuse du peuple français et pour un cri de guerre contre l’Angleterre.—Depuis que la Marseillaise a été pour la première fois défendue par la police, elle a entièrement changé de caractère;—elle n’est plus qu’une taquinerie contre le gouvernement.—En effet, voyez, on allait la chanter dans les théâtres;—le commissaire s’y opposait, sous prétexte qu’elle n’était pas sur l’affiche. «Eh! vous n’y êtes pas non plus sur l’affiche, monsieur le commissaire, lui criait-on,—qu’est-ce que vous nous chantez?» Et on ne laissait continuer la représentation qu’après qu’on était venu chanter la Marseillaise avec un drapeau tricolore.—On prit le parti de l’autoriser,—cela commença à n’être plus si amusant.—Heureusement que le pouvoir, dans sa stupidité, permit l’air sans permettre les paroles: numeros memini... si verba tenerem.—Cette prohibition soutint un peu l’enthousiasme, qui ne tomba tout à fait que lorsqu’on eut accordé les paroles et le drapeau. Ce qui fût arrivé bien autrement vite si on avait, dès l’origine, ordonné aux théâtres de faire jouer tous les soirs la Marseillaise pendant cinq quarts d’heure,—avant même qu’on la demandât.

C’était permis au théâtre, il n’y avait plus de plaisir:—alors on commença à la chanter dans les rues,—où on la chantera tant qu’on aura la sottise de s’y opposer.

Je gage que le préfet de police n’a qu’à défendre demain de marcher à quatre pattes dans les rues,—il se trouvera après demain des gens qui résisteront à cette ordonnance arbitraire, et y contreviendront avec un enthousiasme impossible à décrire.

image d’une guêpe AUX CHANTEURS DE LA MARSEILLAISE.—Messieurs les chanteurs de la Marseillaise,—vous me paraissez, hélas!—comme les autres,—entendre bien singulièrement la liberté—la liberté que vous demandez semble toujours celle que vous enlevez aux autres.—Vous voulez la liberté de casser les lanternes,—sans penser à respecter la liberté que demandent les autres d’y voir clair. C’est au nom de la liberté que vous exigez que l’on joue la Marseillaise dans les théâtres.—Or, tout le monde y paye sa place également, tout le monde a des droits égaux et une égale liberté.—Si vous demandez la liberté de faire jouer la Marseillaise, qui est une chanson républicaine,—vous ne pouvez raisonnablement nier que les légitimistes qui peuvent se trouver dans la salle ont le droit de demander Vive Henri IV,—ou bien Où peut-on être mieux qu’au sein de sa famille.—Les bonapartistes sont aussi bien fondés qu’eux et aussi bien que vous à exiger—T’en souviens-tu? et les gens calmes, tranquilles, qui ne veulent pas s’occuper de politique et ont des goûts champêtres,—de quel droit trouverez-vous mauvais qu’ils fassent jouer à l’orchestre Te souviens-tu, Marie, de notre enfance aux champs? Et les vieillards de l’orchestre, pourquoi leur refuserait-on les chansons érotiques et les chansons à boire:—Colin et Colinette, dedans un jardinet, ou Le vin, par sa douce chaleur?

Vous comprenez que la durée de la représentation n’y suffirait pas.

Et encore, quelle est l’opinion qui doit être obéie la première?—La liberté et l’égalité exigent que l’on exécute tous ces airs à la fois.

Ce qui ferait un joli petit charivari.

image d’une guêpe Eh! mon Dieu, je vous assure qu’il n’est personne d’entre vous sur qui la Marseillaise produise plus d’effet que sur moi,—et que, malgré tous mes beaux raisonnements et la mansuétude que j’ai acquise,—depuis que tant de choses me sont devenues égales, je ne suis pas encore à l’abri de l’effet de cet hymne dont les paroles, moins un seul couplet, sont au moins médiocres,—mais dont l’air est plus que beau.

image d’une guêpe Deux cents jeunes gens sont allés devant le ministère des affaires étrangères en chantant la Marseillaise, et en demandant la guerre à grands cris;—ils eussent été bien embarrassés, j’imagine, si, docile à leurs vœux, le préfet de police les eût fait cerner, arrêter et incorporer dans un régiment de ligne.—Le premier qui ait été mis sous la main de la justice s’est trouvé être un conscrit réfractaire,—c’est-à-dire un homme qui s’est volontairement exposé aux peines les plus sévères pour ne pas être soldat.

Tout ceci n’est que du tapage.

image d’une guêpe S’il y a quelque chose de facile au monde,—ce serait d’aligner de grandes phrases emphatiques sur l’opprobre de la France, sur l’étranger, etc., toutes choses qui, écrites dans le style le plus ampoulé des plus ampoulés mélodrames, ont tous les jours un si grand et si certain succès.—Il faudrait donc penser que, lorsqu’il se trouve par hasard un homme qui renonce volontairement à ce succès—pour soutenir une thèse contraire, il faut que cet homme soit de bien bonne foi et ait une conviction bien arrêtée.

image d’une guêpe Il y a un prêtre qu’on appelle M. de Lamennais;—ce prêtre, tourmenté d’une insatiable vanité, désespérant d’arriver par des voies ordinaires et permises au cardinalat et au chapeau rouge, a mis le bonnet rouge sur sa tonsure,—et dans des brochures écrites d’un style lourd, pâteux et souvent inintelligible,—prêche le désordre, l’anarchie, la haine et la guerre.

Le conseil des ministres avait décidé qu’on ferait arrêter M. de Lamennais,—M. Vivien, seul, ou n’a pas osé ou n’a pas voulu signer l’ordre.

On assure,—mais je n’ai pas à ce sujet des renseignements assez positifs pour l’affirmer, que M. Desmortiers, lui, qui est toujours prêt à arrêter,—ne demandait qu’un bout d’ordre par écrit.

image d’une guêpe Sous l’inspiration de M. Thiers,—M. Vivien, garde des sceaux, a présenté à la signature du roi des lettres de grâce et de commutation pour les sieurs tels et tels.

Les grâciés se sont trouvés ensuite n’être autres que les chefs d’émeutes de la coalition des ouvriers. Cela était convenu avec les journaux de la gauche, sous la tutelle desquels s’était placé M. Thiers.

De cette manière, si la nouvelle position que va prendre M. Thiers à la Chambre amène au moins quelques troubles, l’émeute aura tous ses soldats.

Aux observations qu’on lui a faites à ce sujet, M. Thiers s’est contenté de répondre:

—Je l’avais promis à Chambolle,—et un peu aussi à M. Marrast.

image d’une guêpe LA CRISE.—LE NOUVEAU MINISTÈRE.—Depuis dix ans, une trentaine d’hommes, dont quatre ou cinq seulement sont recommandables par de grands talents, se sont disputé et arraché le pouvoir.—Chacun d’eux a une vingtaine d’affidés qui partagent ses chances;—ce qui fait en tout à peu près six cents hommes pour lesquels et par lesquels tout se fait en France. Huit seulement de ces trente hommes peuvent être au pouvoir à la fois;—pendant le temps qu’ils y restent on les appelle gouvernement antinational,—vendu à l’étranger,—tyrans,—oppresseurs,—corruption;—je passe les menues injures.—Les vingt-deux qui sont hors des affaires, s’intitulent eux-mêmes—grands citoyens,—amis du peuple,—espoir de la patrie,—vertu et désintéressement,—le pays, et crient contre des abus auxquels en réalité ils ne trouvent d’autre mal que le chagrin qu’ils ont de ne pas les commettre eux-mêmes.—Les huit qui sont au pouvoir se gorgent, eux et leur bande,—jusqu’au moment où ils tombent comme des sangsues soûles;—huit autres prennent leur place.—Les huit arrivants héritent en même temps des dénominations susdites de gouvernement antinational,—vendu à l’étranger,—de tyrans,—d’oppresseurs,—de corruption.—Les huit déplacés rentrent dans la classe des grands citoyens,—des amis du peuple,—des espoirs de la patrie,—des vertus et désintéressements, et redeviennent le pays.

image d’une guêpe Pour arriver aux affaires ou pour s’y maintenir,—rien ne leur coûte:—l’agitation, l’inquiétude,—la ruine de la France, ne sont pour eux que des moyens.—Leur politique ressemble à celle du sauvage qui abat un cocotier par le pied pour cueillir un seul fruit qui lui fait envie;

A celle du naufrageur des côtes de l’Armorique,—qui, par des fanaux trompeurs, attire sur les récifs—un vaisseau chargé d’or,—qui y périra avec ses richesses—et ses passagers,—pour que de ses débris le naufrageur retire une ou deux planches pour réparer le toit de sa cabane.

Ils sont semblables à un homme qui mettrait le feu à la maison de son voisin—pour se faire cuire à lui-même un œuf à la coque.

image d’une guêpe J’avouerai aussi que je ressens d’ordinaire un enthousiasme fort modéré à l’avénement d’un nouveau ministère, quand je songe que, vu le cercle d’une trentaine d’hommes dans lequel on prend toujours les ministres,—chacun des arrivants a déjà au moins une fois été rejeté comme incapable ou pis que cela.

Ainsi, dans le nouveau ministère, composé de MM. Soult, Martin (du Nord), Guizot, Duchâtel, Cunin-Gridaine, Teste, Villemain, Duperré, Humann, M. Soult a été antérieurement ministre trois fois,—M. Guizot, trois fois,—M. Duchâtel, deux fois,—etc., etc.;—c’est-à-dire qu’ils ont été deux fois,—trois fois renversés sous les accusations les plus graves.

image d’une guêpe Pendant ce temps, le peuple, sous prétexte d’émancipation et d’instruction,—est devenu l’esclave obéissant des différents carrés de papier qui se publient sous le titre de journaux.—Le peuple s’agite, est mécontent,—malheureux,—sent de nouveaux besoins et perd d’anciennes ressources;—tout le monde l’égare—et le trompe,—et à force d’excitations,

Le peuple le plus gai et le plus poli de la terre n’est pas bien loin d’en devenir le plus misérable et le plus sauvage.

Dans l’espace d’un mois,—deux cents hommes ont assassiné le sergent de ville Petit.—Darmès a tiré un fusil chargé à mitraille sur un vieux roi, et sur sa femme et sa sœur.—Un ancien soldat, Lafontaine, s’avançant seul, sans armes, avec des paroles de paix, au-devant d’une foule furieuse, a été lâchement frappé par derrière d’un coup de couteau.

image d’une guêpe La forêt de Bondy ne sert plus d’asile au moindre brigand; la forêt Noire elle-même n’est plus fréquentée que par d’honnêtes charbonniers et de plus honnêtes fabricants de kirschenwasser, qui s’occupent à cueillir des merises sauvages. Le passage le plus périlleux que l’on connaisse aujourd’hui est le trajet des Tuileries à la Chambre des députés.

image d’une guêpe Le nouveau cabinet se compose de débris des divers cabinets précédents.—Ses partisans l’appellent—ministère de réconciliation.—Ses adversaires,—ministère de l’étranger.—Ceci est le cri de ralliement.

image d’une guêpe Le parti conservateur considère le nouveau ministère comme une des dernières cartes qui lui restent à jouer contre une révolution anarchique.

Le parti, dit du progrès, concentre ses forces et annonce qu’il ne soutiendra plus un ministère qui ne sortira pas de ses rangs.—On prend du champ et on se prépare à une grande bataille.

Il y a à l’Opéra une demoiselle Albertine dont j’ai déjà eu occasion de parler;—on la désigne dans les coulisses sous le nom de Fénelon—à cause qu’elle s’est chargée de l’éducation des princes.

image d’une guêpe M. Gouin—qui était ministre, il y a quelques jours,—en voyant les falaises du Havre, s’est écrié: «Que d’argent il a fallu pour exécuter de tels travaux!»

image d’une guêpe A propos des fortifications de Paris qui ne peuvent être terminées avant six ou huit ans,—on rappelle ce seigneur avare qui, apprenant que ses pages manquaient de chemises,—se sentit touché de compassion. «Vraiment,—dit-il,—ces pauvres enfants!—Il fit venir son jardinier et lui ordonna de semer du chanvre.—Quelques-uns des pages ne purent dissimuler un sourire. «Les petits coquins! s’écria le seigneur, ils sont bien contents,—ils vont avoir des chemises.»

image d’une guêpe M. Thiers prend tous les jours des leçons de tactique avec le colonel Chalander.—Il paraît que le ministère du 1er mars,—qu’on avait appelé Mars Ier, se prépare à commander un jour nos armées.—Les petits soldats de plomb sont hors de prix.

image d’une guêpe Lors de l’ambassade de Perse,—M. de Sercey, près d’arriver, s’aperçut qu’il n’avait aucun présent à offrir au shah.—Comme il parlait de son embarras à ce sujet à un de ses secrétaires d’ambassade,—il avisa sur une table une paire de vieux pistolets montés en argent. «Qu’est-ce ceci? demanda-t-il.—Rien autre chose,—répondit le secrétaire, que de vieux pistolets à moi.

—Mais,—c’est que voilà mon affaire,—donnez-les-moi.

—Volontiers.

—C’est bien!»

Arrivé, M. de Sercey offrit au shah différentes bagatelles qu’il trouva à acheter,—et fit savoir indirectement aux officiers—qu’il y avait encore un présent;—mais un vrai présent,—quelque chose d’une valeur inappréciable, qu’on se déciderait peut-être à donner, quoiqu’on y tînt beaucoup:—des pistolets ayant appartenu à l’empereur Napoléon!—Ah! si M. de Sercey voulait les donner au shah... mais ce sera difficile;—cependant, il ne faut pas se désespérer.—Qui sait si l’ambassadeur ne se laissera pas toucher par de bons procédés?—Enfin, après de longs pourparlers,—de nombreuses hésitations,—de provoquantes coquetteries,—on a fini par donner au shah les pistolets du grand homme.

image d’une guêpe On faisait, devant M. de Balzac, un éloge mérité d’un de ses ouvrages: «Ah! mon ami,—dit le romancier à l’un des interlocuteurs, vous êtes bien heureux de n’en être pas l’auteur!

—Et pourquoi cela?

—Parce que vous pouvez dire tout le bien que vous en pensez,—tandis que moi—je n’ose pas.»

image d’une guêpe On a remarqué que, dans le conseil des ministres,—c’étaient le ministre de la guerre et le ministre de la marine qui se prononçaient pour la paix, tandis que le ministre du commerce demandait la guerre, qui tue le commerce;—le ministre des travaux publics demandait la guerre, qui interrompt les travaux;—le ministre des relations extérieures demandait la guerre, qui détruit toutes relations.

image d’une guêpe On assure que le roi a dit:—«Ah! on prétend que je veux la paix à tout prix;—eh bien! qu’on touche seulement à Strasbourg!»

image d’une guêpe Voici l’hiver:—les cerisiers abandonnent leurs feuilles jaunes au vent qui a déjà dépouillé les tilleuls;—le sorbier, bientôt, va seul garder ses ombelles de fruits rouges comme des grains de corail.—Dans une petite ville de la Creuse,—les dames du pays s’occupent déjà d’organiser un bal au profit des pauvres;—les patronesses ont pensé à un costume qui les fit reconnaître.—On est facilement tombé d’accord d’un nœud de ruban tombant sur l’épaule;—mais ce qui n’est pas facile de décider,—c’est la couleur de ce ruban.—La politique s’est glissée dans la question.

On ne peut adopter une couleur agréable à un parti sans exclure les autres de la fête, sans les mettre à la porte de la philanthropie. Le rouge est un symbole républicain. Le vert, le blanc appartiennent à l’opinion légitimiste, le violet est bonapartiste, le jaune est ridicule. On se rappelle les couplets qui se chantaient en 1815, et sur la mesure desquels on cassait les glaces du café de la Paix, du café Lemblin et du café Valois.

On entonnait sur l’air de la Carmagnole:

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