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Les guêpes ­— séries 1 & 2

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Report d’autre part.—Les médailles des peintres.—M. Jaubert.—M. de Rémusat décorés malgré eux.—Un ex-dieu.—M. Cousin.—M. Jouffroy.—Il n’y a pas de savants.—M. Arago.—M. G. de Pontécoulant.—M. Mathieu de la Rodorte.—MM. Étienne.—Véron.—Jay.—M. Neveu.—M. Ganneron.—M. Lherbette.—MM. Baudoin.—Duprez et Eliçabide.—Mme Lafarge et Mlle Déjazet.—Hommage que l’auteur se plaît à rendre à sa propre sagesse.—M. Fauvel, maire d’Etretat.—M. Meyer-Beer.—M. Lemercier.—M. Hugo.—Les tribuns du peuple.—Léon Gatayes.—J. Janin.—Théodose Burette.—Mme Francia Mollard.—M. le vicomte d’Aure.—M. Baucher.—M. Malpertuis.—La revue.—Le puff du gouvernement.—L’empereur de Russie.—M. Ernest Leroy.—Le cheval de Tata.—Attentat du 15 juin.—Portrait du couteau.—Gueuletons.—Convoi, service et enterrement de la proposition Remilly.—Libations.—M. Waleski.—Ordre du jour.—Témérité de M. Roussel, chef de bataillon de la garde nationale de Montreuil.—La Fête-Dieu.—Un monsieur découvre que je suis un mouchard.—Adresse.—Dernières séances de la Chambre des députés.—Mort de Redouté.—Bohain’s french newspaper.—Le satrape Valée.—M. Bugeaud.—Les pianos et les voisines.—La curée.—M. Pariset.—La Chambre des pairs.—M. Pasquier.—Divers Pasquiers.—M. Decaze.—M. de Saint-Aulaire.—M. Auguis.—M. Jouffroy.—M. Chambolle.—M. Gouin.—M. Vincent.—M. Blanqui aîné.—M. de Bourgoin.—M. de Fontenay.—M. Deffaudis.—Gaillardises d’icelui.—On donne une place à M. Dronin parce qu’il a un mauvais caractère.—MM. Laffitte et Arago, aristocrates.—M. de Balzac.—Amende honorable.—Am Rauchen.

Report d’autre part.

Mai.—Comme on demandait à M. Thiers si quelques écrivains feraient partie de l’expédition de Sainte-Hélène? «Non pas, a-t-il répondu;—je veux lui laisser toute sa gravité.»

image d’une guêpe Après l’exposition publique des tableaux, on a distribué les récompenses clandestines.

Autrefois, c’était dans une séance solennelle que le roi donnait lui-même aux peintres et aux sculpteurs les médailles qu’ils avaient méritées.—Depuis quelques années,—ils les reçoivent à domicile—par un garde municipal;—on ne leur demande pas tout à fait le secret, mais bien peu s’en faut. On attribue ce changement à quelques protestations grossières faites par de jeunes peintres, ayant plus de barbe que de talent, à la dernière séance royale. Mais il fallait faire mettre les peintres barbus à la porte ou au violon,—et ne pas répondre à un reproche d’injustice dans la distribution des récompenses par une clandestinité qui, entre autres inconvénients, a celui de diminuer singulièrement le prix qu’on attache aux récompenses.

image d’une guêpe Il y avait dix ans que MM. Jaubert et de Rémusat mettaient une sorte d’orgueil à ne pas avoir la croix;—il y a en effet tant de gens dont on dit: «Pourquoi ont-ils la croix?»—que ce n’est pas une très-mauvaise chose que de faire demander pourquoi on ne l’a pas. MM. Casimir Périer,—Guizot—et plusieurs autres ministres successifs avaient en vain offert la croix à ces deux réfractaires.

M. Thiers leur a joué le tour de faire signer leur nomination au roi sans les prévenir,—de sorte que, comme ministres du roi, ils ont été obligés de l’accepter et de la porter.

En recevant sa croix,—M. Jaubert a dit: «Thiers me payera cela.»

Juin.—1.—Je reçois en ce moment des nouvelles d’un dieu chevalier de la Légion d’honneur, qui ne laissait pas de m’inquiéter un peu;—je veux parler de M. Enfantin, ex-dieu des saint-simoniens. Je m’étais demandé souvent:—Que diable peut-on faire quand on a été dieu?

Voici ce que je lis dans une lettre écrite par M. Bory de Saint-Vincent, chef de l’expédition scientifique envoyée à Alger:—«Nous avons recueilli deux crapauds, dont un assez gros, marqué de taches variant du brunâtre au verdâtre, trouvé pour la première fois par M. Enfantin

M. Enfantin, après avoir lutté deux ans contre Dieu,—l’autre dieu, vous savez,—l’ancien, celui qui a créé le soleil et les mondes, une foule de vieilleries;—après l’avoir traité plus que légèrement et avoir essayé d’en faire un dieu de la branche aînée,—M. Enfantin,—homme fait dieu contrairement au Christ dieu fait homme, avait donné sa démission.—M. Enfantin était, il est vrai, de première force au billard et avait inventé un bleu nouveau pour les effets;—mais ce n’était pas là un avenir ni même un présent,—il s’est fait savant;—c’est bien humble.—Qu’est-ce en effet que d’être savant et surtout relativement à l’histoire naturelle?—c’est simplement passer sa vie à admirer les créations infinies de Dieu et épuiser son intelligence à les comprendre. Il est triste de jouer ce rôle vis-à-vis d’un rival.

Mais,—M. Enfantin est-il de bonne foi? s’il avait découvert quelque animal beau et noble comme le cheval,—ou riche, léger, féerique comme le colibri, ou terrible comme le lion, ou utile comme le chameau, je croirais à son humilité et à sa résignation,—comme je crois à celle de ses fils les sous-dieux Michel Chevalier et quelques autres qui se sont résignés à la domination des Bertin, propriétaires du Journal des Débats,—et marchent d’un fort bon pas à la fortune et à ce qu’on appelle les honneurs. Mais aller découvrir un hideux crapaud,—assez gros,—brunâtre et verdâtre,—un crapaud dont Dieu l’ancien était honteux, qu’il avait caché dans quelque mauvaise flaque d’eau de l’Afrique,—espérant qu’on ne l’y trouverait pas;—à la façon d’un poëte qui froisse et met au feu des vers dont il est mécontent;—d’un sculpteur qui jette avec colère dans un coin la terre glaise rebelle sous ses doigts.—N’est-ce pas plutôt une dénonciation qu’une découverte:—cela au point de vue de M. Enfantin, à la fois dieu et apôtre de la forme. Ne veut-il pas dire: «Tenez, voilà ce qu’il fait votre dieu,—le dieu que vous m’avez préféré;—c’est joli,—n’est-ce pas? vous devez être bien content d’avoir un dieu qui fait des choses comme cela.»

Il est probable qu’on amènera en France les découvertes de M. Enfantin,—pour améliorer, par le croisement des races, l’espèce des crapauds dans notre belle patrie.

image d’une guêpe 2.—La guerre que l’on fait en Afrique finira par nous paraître très-singulière.—En France, toutes les idées tournent au commerce,—à l’industrie,—aux affaires,—et la guerre entraîne de ces actes auxquels on a besoin d’être accoutumé pour ne pas s’effaroucher un peu.—Un journal, intitulé le Siècle, écrit dans le même numéro: «Le maréchal Valée s’est dirigé sur la plaine du Chétif,—détruisant les tribus et incendiant les récoltes sur pied;—nos troupes ont fait beaucoup de mal à l’ennemi.

Et à la page suivante: «Abd-el-Kader a mis le feu à la plaine;—la guerre qu’il nous fait est celle d’un brigand et celle d’un vandale.»

—J’ai vu également le même jour, dans un seul journal,—deux faits différents,—dans lesquels on trouve ces mots:—«Il a tué deux hommes.» Dans le premier cas,—l’auteur du meurtre a un pantalon garance, son action est glorifiée;—l’autre a un pantalon noir, il est appelé en cour d’assises. Le premier est un brave soldat qui aura de l’avancement,—le second un lâche assassin qui sera guillotiné.

image d’une guêpe 3.—Les philosophes ont peu de succès en ce moment. Tandis que M. Cousin, membre de la Légion d’honneur, sacrifie aux grâces,—M. Jouffroy, membre de la Légion d’honneur, se laisse convaincre de s’être fait donner de l’argent sous divers prétextes, dont la plupart paraissent insuffisants. Les mêmes gens qui ont crié le plus haut contre les turpitudes qu’on a dévoilées, ont voté ensuite contre une mesure qui tendait à les rendre impossibles à l’avenir.—Ce qui montre qu’il y avait plus d’envie que de vertu dans leur bruyante indignation.

Du reste, en prononçant la publicité des secours donnés aux hommes de lettres, on se serait mis dans une position difficile.—Du jour où, pour éviter que les fonds du ministère de l’instruction publique soient livrés à des appétits indignes,—on en aura abandonné la répartition à la publicité,—les hommes auxquels on veut les conserver ne les accepteront plus, et de ce moment même il ne se trouvera pour les consommer que ceux-là précisément auxquels on veut les dérober, c’est-à-dire des gens sans talent et sans pudeur.

Il faut prendre garde qu’il n’en soit de cet argent comme des hospices d’enfants trouvés,—où, comme nous l’avons déjà fait remarquer depuis la suppression des tours, c’est-à-dire du secret,—on a déposé beaucoup moins d’enfants aux hospices, mais pour en déposer beaucoup plus au coin des bornes et dans les auges des pourceaux. Deux enfants nouveau-nés ont été, hier, trouvés, dans deux quartiers différents, sur des tas d’ordures.

Le ministère de l’instruction publique est, en France, une des niaiséries les plus graves.—Le ministère n’exerce aucune influence littéraire d’aucun genre;—il n’a aucun rapport avec les hommes qui écrivent;—il ne les connaît pas. Il change les heures des classes et des récréations dans les collèges;—il fixe le maximum des pensums;—il modifie la forme des concours. Mais, pour la littérature vivante,—pour celle qui a tant de pouvoir sur les cœurs,—sur les esprits,—sur les mœurs,—il ne sait pas ce que cela veut dire.

image d’une guêpe 4.—M. Arago et M. G. de Pontécoulant, tous deux chevaliers de la Légion d’honneur, savants illustres dans le monde entier, ont écrit l’un contre l’autre une brochure,—dans laquelle chacun des deux prouve clair comme le jour que l’autre est un ignorant.

image d’une guêpe 5.—M. Mathieu de la Redorte,—membre de la Chambre des députés,—chevalier de la Légion d’honneur, est nommé ambassadeur en Espagne à la place de M. de Rumigny, membre de la Légion d’honneur. M. Mathieu de la Redorte est un homme fort distingué sous plusieurs rapports, et contre la nomination duquel je n’aurais rien à dire, s’il s’agissait d’une autre ambassade; mais sa qualité de parent de Joseph Bonaparte,—et la religion réformée à laquelle il appartient, rendent peu convenable sa mission auprès de SA MAJESTÉ CATHOLIQUE.

Ce témoignage de reconnaissance a fait dire de M. Thiers:—Décidément ce n’est pas un Fesse-Mathieu.

En outre, M. de la Redorte devait acheter une action du Constitutionnel, et c’était une chose assez importante.

La propriété du Constitutionnel est divisée entre MM. Étienne, chevalier de la Légion d’honneur;—Véron, chevalier de la Légion d’honneur;—Jay, chevalier de la Légion d’honneur;—et quelques marchands de vin et de bois retirés, et chevaliers de la Légion d’honneur;—ç’a été de tout temps un gouvernement fort agile, et, avant l’entrée de M. Véron—dans les conseils, la discussion s’y animait parfois au point qu’on y échangeait des coups de chaise.—M. de Saint-Albin, le père, chevalier de la Légion d’honneur,—y faisait des 18 brumaire presque périodiques.

M. Véron n’y a donc qu’une puissance très-disputée,—et qui peut à chaque instant lui échapper. M. Mathieu de la Redorte devait acheter l’action de M. Roussel, chevalier de la Légion d’honneur, et adversaire de M. Véron dans le conseil,—et par ce moyen, ranger ce vieux carré de papier d’une manière immuable, sous les ordres de M. Thiers;—mais, la nomination signée,—M. de la Redorte a changé d’avis,—et M. Roussel, voyant qu’on ne voulait plus acheter son action, a commencé à dire qu’il ne voulait plus la vendre.

image d’une guêpe 6.—Voici des remaniements de préfectures,—comme je l’avais prédit dans un volume précédent.—Mais, que n’ai-je pas prédit dans mes volumes précédents?

Entre autre choses,—l’élévation du petit Martin,—chevalier de la Légion d’honneur.

—Il y a à Versailles une chapelle très-sombre.—Le roi la visitait, et on avait laissé ouverte la porte d’entrée pour donner un peu de lumière.—Sa Majesté demande une lettre à un des chevaliers de la Légion d’honneur qui l’accompagnaient, et dit: «Je peux à peu près y lire;—mais la reine ne le pourra pas.»

M. Neveu, l’architecte, chevalier de la Légion d’honneur, s’approche du roi, et lui dit: «Sire, j’ai trouvé un moyen.

—Ah! tant mieux!

—Un moyen d’une simplicité incroyable.—Il s’agit de remplacer la porte d’entrée qui est pleine, par une porte vitrée.»—Le roi eut beaucoup de peine à faire comprendre à M. Neveu qu’une porte qui ne donne pas assez de jour quand elle est ouverte, n’en donnera pas davantage quand elle sera vitrée.

image d’une guêpe 7.—Quand ce volume paraîtra,—M. Ganneron,—député, et chevalier de la Légion d’honneur,—se rappellera-t-il avoir dit dans une maison, hier soir:—Nous venons de bâcler quinze lois.

image d’une guêpe 8.—M. Lherbette, chevalier de la Légion d’honneur, a adressé des interpellations au ministère relativement aux deux journaux ministériels du soir, le Moniteur parisien et le Messager.—Voici le secret de cette petite comédie. M. Baudoin, gérant du Moniteur,—et chevalier de la Légion d’honneur,—voudrait anéantir M. Brindeau, gérant du Messager, lequel voudrait absorber M. Baudoin.

Le petit Moniteur, qui est imprimé à sept mille exemplaires, est préféré par le ministère au Messager, qui n’en vend que onze cents, et on lui donne les dépêches les plus fraîches et les meilleures. Le Messager, d’après un contrat, est assuré de deux années d’existence.—M. Brindeau, menacé de les passer dans l’abaissement et l’humiliation,—a songé à M. Lherbette, à côté duquel il dîne tous les jours au café de Paris,—et il l’a prié de forcer le ministère à s’expliquer clairement à son sujet;—de sorte que les attaques formulées par M. Lherbette contre le ministère—étaient réellement faites par M. Brindeau, gérant du Messager, journal acheté par le même ministère.

image d’une guêpe 9.—Les moralistes et philanthropes ayant de tout temps attribué les crimes des hommes à l’ignorance,—il est devenu fort à la mode, parmi les assassins et les voleurs,—d’avoir un peu de littérature.—On se rappelle les tragédies et les chansons de Lacenaire;—l’homme à la mode en ce moment est Éliçabide.—Clément Boulanger, qui est un homme de talent et de tact, a eu raison d’écrire aux journaux qui l’avaient annoncé qu’il n’était pas vrai qu’il eût fait le portrait de cet assassin pour le publier.

Voici, au sujet d’Éliçabide, une petite anecdote que le chanteur Duprez a racontée lui-même avec beaucoup de gaieté et d’esprit:

«Il y a eu,—il y a quelque temps, une fièvre de plâtre incroyable.—On a publié la statuette de tout le monde.—Un marchand, qui n’avait pu placer tous les exemplaires de celle de Duprez,—a imaginé d’envoyer ce qui lui restait en province et de les faire vendre comme représentant Éliçabide. A Bordeaux, le peuple s’est indigné en voyant le scélérat et a brisé plusieurs statuettes.»

Le commerce ne peut manquer de s’emparer évidemment de ce débouché pour les illustres qui lui restent en magasin.—On a déjà envoyé trois cent cinquante Déjazet dans les départements,—pour être vendues sous le nom de madame Laffarge, accusée d’avoir empoisonné son mari.

Je me réjouis fort d’avoir résisté à l’honneur du plâtre.

image d’une guêpe Lettre de M. Fauvel, maire d’Étretat, m’annonçant la réception des 1,750 francs que nous lui avons envoyés.

image d’une guêpe 10.—M. Népomucène Lemercier, membre de la Légion d’honneur, est mort. C’était un assez beau talent et un très-beau caractère.—Voici à l’Académie un fauteuil vacant.—Voyons comment on fera pour ne pas le donner à M. Hugo, membre de la Légion d’honneur.

—Je me trouvais à la campagne hier,—et je voyais des gens du peuple;—des ouvriers, mangeant, buvant, dansant à faire envie.

Et je me rappelais nos modernes tribuns et les phrases qu’ils font à la Chambre sur le peuple et sur le bonheur du peuple.

Et je me dis,—les Gracques,—ces colosses républicains,—aux jarrets et aux bras d’acier,—au front élevé,—aux cheveux drus et serrés, aux yeux assurés et étincelants, à la voix puissante assez pour remplir le Forum,—ont aujourd’hui pour successeurs de jeunes valétudinaires chauves et en lunettes ou de vieux avocats asthmatiques.

Comment ces hommes peuvent-ils comprendre le peuple,—ses malheurs et ses besoins?

Aussi, écoutez-les.—Ce n’est pas la sécurité et la meilleure organisation d’un travail suffisamment rétribué qu’ils demandent pour le peuple.

Non, c’est le droit d’aller voter dans les colléges électoraux, c’est le droit d’aller de temps à autre mettre dans une urne un morceau de papier en faveur d’un avocat ou d’un marchand de bœufs ambitieux, qu’il ne connaît pas.

A voir ces pauvres tribuns,—tristes, moroses, pâles,—étiques,—somnolents, mornes, ennuyés,

A voir le pauvre peuple,—buvant, mangeant, faisant l’amour avec ses puissantes facultés,

On se demande si les premiers ne sont pas un peu plaisants dans leur pitié pour les seconds; et on s’attriste de voir le bonheur que les phthisiques amis du peuple veulent lui faire à leur taille.

image d’une guêpe 11.—Gatayes est allé voir Janin, membre de la Légion d’honneur, et il l’a trouvé fort embarrassé.—Il y a quelques années, il s’est intéressé à une vieille femme qu’il a rencontrée dans la rue.—Il l’a fait entrer dans un hospice, où elle se trouve fort heureuse. La veille, elle avait été malade,—et, ce jour-là, se trouvant mieux, elle s’était dit: «Il ne faut pas que je meure sans avoir vu M. Janin.» Elle s’était fait accompagner par une femme de la maison,—et, à petits pas chancelants,—elle était arrivée à la rue de Vaugirard.—Là, je ne sais comment,—elle avait réussi à monter les étages,—peut-être a-t-elle mis deux heures;—mais enfin elle est arrivée.—Janin l’a reçue de son mieux,—il a déjeuné avec elle et avec Théodose Burette,—Théodose Burette, savant et homme d’esprit, est le Gatayes de Janin,—il a glissé de l’argent dans sa poche,—il a été simple et bon,—il lui a parlé du régime de l’hospice,—il l’a écoutée avec intérêt,—il a retrouvé, pour accueillir cette pauvre femme,—tous ces soins affectueux qu’il garde au fond du cœur depuis qu’il a perdu sa chère vieille tante.

«Allons,—ma bonne,—lui dit-il,—Théodose et moi nous irons vous voir;—il ne faut pas vous fatiguer ainsi à venir; je suis jeune, moi, j’irai là-bas.»

Tout cela était fort bien;—mais la bonne vieille avait épuisé tout le reste de ses forces pour arriver à l’aire du farouche critique.—Quand il fallut descendre l’escalier, ses pauvres vieux genoux fléchirent; en vain Janin, d’un côté,—Théodose Burette, de l’autre, voulurent la soutenir;—impossible de descendre.—A ce moment, Gatayes arriva;—et on lui expliqua la situation. «Parbleu! dit-il,—il faut descendre la vieille sur un fauteuil que nous porterons.»

L’idée est adoptée:—on place la vieille sur un fauteuil,—Gatayes prend les pieds de devant,—Janin et Burette le dossier, et on descend un peu haletant. «Allez,—allez,—la bonne,—disait Burette, il n’y a pas beaucoup de reines qui aient un attelage comme le vôtre.»

image d’une guêpe 12.—Aujourd’hui a eu lieu la grande revue de la garde nationale.—Vers l’heure du dîner, les rues étaient remplies de citoyens violets et apoplectiques;—les malheureux étaient depuis le matin exposés à un soleil ardent,—empaquetés, serrés, ficelés,—comme vous savez;—plusieurs en mourront. O saints martyrs,—priez pour nous.

On s’était beaucoup occupé de cette revue:—dans son humilité, le gouvernement n’avait pas cru devoir compter sur la sympathie de la garde nationale.—Fidèle à son système d’annonces et de réclames,—il avait imaginé un puff, devant lequel auraient reculé les marchands de pommade mélaïnocôme et d’allumettes pyrogènes.

On avait fait courir le bruit que l’Empereur de toutes les Russies assisterait à la revue.—Le Siècle, feuille de M. Barrot, l’avait annoncé dans le corps du journal.—Le bruit avait grossi, et de braves gens de mon quartier disaient: «Il paraît que l’empereur de Russie sera dans les rangs de la garde nationale.»

Beaucoup s’étaient rendus sur la place de la Concorde—par curiosité, et aussi pour humilier l’autocrate par l’aspect de la tenue d’un peuple libre.—Quelques-uns voulaient crier: «Vive la Pologne!»

On fut extrêmement désappointé—en ne voyant pas le despote,—ceux qui voulaient crier: «Vive la Pologne!» surtout,—et comme ils voulaient crier: Vive quelque chose, ils crièrent: «Vive la réforme!»

Il y avait cependant là un spectacle plus curieux que ne pouvait l’être l’empereur de Russie.—M. Thiers s’était mis en grande sollicitude du cheval qu’il monterait.—Il s’agissait de trouver un cheval qui eût une belle apparence, mais qui cependant ne lui fit aucune avanie. Enfin, il avait emprunté à M. Ernest Leroy—un petit cheval arabe que monte ordinairement un enfant de quatorze ans, hardi cavalier, que les amis de M. Leroy appellent ordinairement Tata.

Quand on demandait à M. Thiers ce que c’était que ce joli cheval,—il répondait: «C’est Leroy qui me l’a prêté.—Ah! c’est le roi?—Oui, c’est Leroy.»

Les amateurs de chevaux et les habitués du bois de Boulogne disaient: «Tiens, c’est le cheval de Tata.»

On n’a pas assassiné le roi:—décidément la mode en est passée.

M. de Pahlen s’est plaint aux Tuileries,—et a dit hautement que l’empereur de Russie n’était pas et ne devait pas être un canard.

image d’une guêpe 13.—Comme, hier, je sortais de la maison que j’habite, rue de la Tour-d’Auvergne, une femme m’aborde et me dit:

—Êtes-vous monsieur Karr?—je voudrais vous parler un moment.

Je m’incline en lui désignant de la main la porte de la maison.

—Non, me dit-elle, passez devant pour me montrer le chemin.

Je la salue et j’obéis. Mon domestique était sorti, je m’adresse à la portière pour avoir la clef de mon logis; à ce moment l’inconnue tire un long couteau qu’elle tenait caché dans son ombrelle et m’en porte un coup dans le dos. La portière jette un cri;—moi, d’un seul mouvement, j’avais paré le coup et saisi le couteau.

—Marie, dis-je à la portière, vous laisserez sortir librement madame,—et vous, madame, vous me permettrez de ne pas prolonger cette petite conversation.

Je la saluai et rentrai chez moi, tandis qu’elle disait: «C’est impossible, il faut qu’il ait une cuirasse.»

—Parbleu,—dis-je à Léon Gatayes,—qui arriva quelques instants après, en lui montrant le couteau:—j’ai bien raison de dire que ces femmes de lettres sont de bien mauvaises femmes de ménage; en voilà une qui vient de dépareiller une douzaine de couteaux!

—Tu te trompes, me dit Gatayes, celui-ci est le couteau à dépecer.

Puis nous allâmes dîner à Saint-Ouen, et passer le reste de la journée sur la rivière.

Ce matin, j’apprends que l’accident a donné lieu, dans le quartier, à de singulières appréciations.—Quelques journaux ont présenté le fait avec des circonstances bizarres.—Quelques récits me donnent un air de Don Juan puni, dont je ne veux pas accepter le ridicule;—d’autres pensent que c’est une anecdote inventée à plaisir par quelque feuille facétieuse,—ce qui me rendrait complice d’un mensonge que je n’aurais pas démenti; c’est ce qui me détermine à en parler ici.

Mon ami le docteur Lebâtard, qui est venu voir s’il y avait de l’ouvrage m’affirme que la blessure pouvait être fort dangereuse, et certes j’aurais été atteint si on m’avait porté le coup tout droit au lieu de lever le bras au-dessus de la tête, comme font les tragédiens, sans aucun doute dans la prévision de la lithographie qui pourrait être faite de la chose.

Les honnêtes dimensions du couteau sont de trente-huit centimètres de longueur.—La largeur de la lame est de deux centimètres et demi.

Il est aujourd’hui accroché dans mon cabinet au milieu de mes tableaux et de mes statuettes, avec cette inscription:

DONNÉ PAR MADAME *** (dans le dos).

Maintenant que tout le monde a pu émettre son opinion sur cette aventure, je vais donner aussi la mienne.

L’auteur de cette exagération—est une femme que j’ai désignée trop clairement dans un volume précédent.—C’est la seule fois, depuis que je publie les Guêpes, qu’il me soit arrivé de désigner ainsi une femme à propos de choses dépassant la plaisanterie.—J’ai fait un acte de mauvais goût; je ne suis pas fâché de l’avoir expié. Et, en y réfléchissant, je ne trouve réellement pas qu’elle ait tout à fait tort;—il faut le dire, il y a dans cette manière de ressentir et de venger une injure,—soi-même,—seule,—en plein jour,—quelque chose qui ne manque ni d’énergie ni de courage, et ne manquerait pas de noblesse,—si le couteau n’était pas un couteau de cuisine.

Je le répète,—j’ai fait un acte de mauvais goût, et j’en demande humblement pardon à toutes les femmes.

—Sur la proposition de M. de Sainte-Beuve, la guêpe Padocke est mise à pieds pour deux mois.

image d’une guêpe 14.—Voici deux phrases que je trouve dans un livre que j’ai publié il y a fort longtemps:

«Il vient parfois des époques difficiles—où les hommes sérieux,—les grands politiques,—amis du trône ou amis du peuple, se disent:—Les circonstances sont graves,—le pays est en danger;—c’est le moment de dîner ensemble et de manger du veau.

»On mange,—on boit,—on parle:—bientôt arrive l’instant où tout le monde parle à la fois et où personne n’écoute;—puis, enfin,—quand on est suffisamment ivre,—on commence à traiter les questions politiques et à discuter le sort des peuples et des rois.

»On appelle ces gueuletons—banquets politiques.»

Ces phrases ont été répétées depuis par plusieurs journalistes qui n’ont pas cité l’endroit où ils les avaient prises—ce qui m’est parfaitement égal,—et, loin de me contrarier, m’a procuré le plaisir de porter ainsi à ces ripailles patriotiques un coup dont elles ne se relèveront pas.

image d’une guêpe La proposition Remilly était enterrée par la gauche, livrée à M. Thiers par M. Barrot.

Rappelons-nous que la proposition Remilly n’avait pour but que d’établir par une loi ce que ladite gauche demandait depuis si longtemps avec tant de clameurs,—c’est-à-dire, d’enlever aux ministres la possibilité de payer les dévouements intéressés. Le coup porté m’avait paru à moi-même difficile à parer. «Parbleu, messieurs; disait la proposition, voilà dix ans que vous criez contre la corruption qu’exercent les ministres; puisque vous êtes la majorité, puisque vos amis sont aux affaires, c’est le vrai moment de la rendre à jamais impossible.»

Je ne voyais rien absolument à répondre.

Mais je n’avais pas prévu l’argument que voici:

«Chère proposition,—répondirent ces messieurs,—il s’agissait alors de ministres corrupteurs et de dévouements mercenaires;—mais aujourd’hui que nous avons des ministres vertueux et des dévouements désintéressés,—c’est bien différent. Fi des dévouements mercenaires! on ne doit rien leur donner; mais le désintéressement, vive Dieu!—proposition ma mie,—le désintéressement est rare;—le désintéressement est fort cher, et on ne saurait trop payer le désintéressement.»

Pour la galerie cependant il fallait faire bonne contenance; le ministère eut l’air d’approuver la proposition Remilly; mais M. Jaubert,—membre de la Légion d’honneur,—envoya à ses amis, et par mégarde à un de ceux qui n’en étaient pas,—une invitation à venir enterrer la proposition Remilly. Cette lettre de faire part,—tombée ainsi en mauvaises mains, fut rendue publique.

Cela devait tuer un ministre et un ministère;—mais dans ce temps-ci—on en voit tant d’autres—que l’on n’y fit presque pas d’attention, et que la proposition Remilly fut enterrée dans l’urne du scrutin.

Les fossoyeurs furent en conséquence conviés à un convoi de quatre-vingts couverts chez Véry;—mais, comme ce parti manque d’homogénéité,—comme on l’a péniblement formé d’éléments bizarres,—que c’est une sorte de julienne, de parti-Gibon,—les chefs défendirent qu’on parlât politique dans la crainte, que dans la chaleur du banquet on oubliât son rôle, et que l’on s’aperçût que l’on n’était réuni que par l’intérêt.

On remplaça la politique par divers exercices bachiques,—tels que la charge en douze temps—et l’ingurgitation de rhum ou d’eau-de-vie dans le gosier d’un seul coup, sans qu’il touche au palais. L’ingurgitation est la charge en douze temps appliquée au vin de Champagne.

L’ingurgitation est susceptible de divers degrés.—Un des représentants de la France, membre de la Légion d’honneur, dans ce mémorable gueuleton,—réussit à boire d’un seul trait une bouteille entière de vin de Champagne.—Quelques autres convives tentèrent de l’imiter, mais ils versèrent les bouteilles, et répandirent des flots de vin sur leurs cravates et leurs jabots, et les habits de leurs voisins.

Les toasts furent remplacés par des chansons bachiques et érotiques.

image d’une guêpe 15.—Il y a plusieurs mois que j’ai annoncé, en signalant l’appui que le Messager donnait à M. Thiers,—que M. le comte Waleski serait récompensé de ce dévouement par une ambassade. Voici qu’on va l’envoyer, en effet, auprès de l’empereur du Maroc,—pour lui demander des explications au sujet des secours qu’Abd-el-Kader a reçus de lui.

Pendant que je suis en train de rendre moi-même hommage à la sagesse de mes prévisions,—je ferai remarquer le soin avec lequel j’ai cessé de parler de M. Waleski depuis qu’il s’est réfugié dans la vie privée. J’ai, dès aujourd’hui, le droit de le mettre sous la surveillance d’un de mes insectes ailés.

image d’une guêpe 16.—Holà! mes guêpes, à moi!—partez, Mammone,Astarté—et Grimalkin;—je vous confie mes plus intrépides escadrons;—volez à tire-d’aile—sur un mauvais petit village qu’on appelle Montreuil, près Vincennes,—un hameau célèbre par la grosseur de ses pêches;—livrez les habitants à la fureur de vos soldats; n’épargnez ni le sexe, ni l’âge; passez le pays au fil de vos aiguillons,—et, si je vous désigne de préférence,—Mammone,Astarté—et Grimalkin,—c’est que je connais votre férocité—et que vous avez pris votre déjeuner dans les fleurs de mes lauriers-roses,—déjeuner d’acide prussique, qui ne peut manquer d’envenimer vos piqûres d’une agréable manière.

Voici ce que je lis dans un journal de l’opinion avancée: «Les élections municipales seront vivement disputées dans la commune de Montreuil, près Vincennes.

«Un fait récent est venu donner une grande importance au choix des électeurs.

«Le jour de la Fête-Dieu, le maire de cette commune commanda la garde nationale pour assister à une procession; mais le chef de bataillon, M. Roussel, résista à cette injonction, et ne donna aucun ordre à son bataillon, qui ne parut pas à la fête religieuse. Les habitants se sont hautement prononcés en faveur de M. Roussel, et ils veulent lui donner un éclatant témoignage de leur approbation en excluant le maire du conseil municipal.»

M. Roussel,—Mammone,—vous entendez.

Comment! monsieur le chef de bataillon,—vous faites de l’opposition contre Dieu?—vous ne le reconnaissez pas? Laissez-le donc être Dieu,—lui qui vous laisse si bien être chef de bataillon de la garde nationale de Montreuil; laissez-lui donc sa fête,—monsieur Roussel,—lui qui vous donne, en ce moment, une si belle fête de quatre mois, qu’on appelle l’été;—donnez-lui quelques fleurs, lui qui vous en donne tant,—lui qui pare tous vos pêchers de tant de belles fleurs roses qui deviennent plus tard ces belles pêches que vous nous vendez si bien et si cher. Et vous, honnêtes habitants de Montreuil, pourquoi traiter Dieu si mal? Donnez-lui, dans votre respect, le rang de chef de bataillon de la garde nationale;—ne le placez pas trop au-dessous de M. Roussel;—ne l’humiliez pas trop;—il a peut-être encore là-haut un vieux restant de grêle,—et les pêches ne tiendraient pas plus aux arbres que les hommes à la vie. Mais soyez tranquilles, n’ayez pas peur de l’offenser, ce serait trop d’orgueil;—il n’éteindra pas pour cela son soleil,—et vos pêches mûriront,—et aussi le raisin pour le vin que vous boirez dans le banquet que vous allez sans doute offrir à votre audacieux chef de bataillon.

Audacieux est le mot. En effet, le téméraire,—tout le monde est pour lui; eh bien! cela ne l’intimide pas; il n’en suivra pas moins la route périlleuse qu’il a osé entreprendre.

Et vous, journaliste,—mon bon ami,—comme vous vous sentez heureux!—Ce n’était pas assez d’avoir un roi constitutionnel, il fallait encore un Dieu constitutionnel, un Dieu condamné à une réclusion perpétuelle dans ses églises.—Comme Montreuil doit envier Paris!—Paris, où Dieu est sous la surveillance de la haute police;—où, s’il se montrait dans la rue, il serait appréhendé au corps comme perturbateur; Paris, qui supprime ce jour de la Fête-Dieu,—où le peuple et les rues étaient propres;—Paris, qui chicane les fleurs à Dieu,—dans la crainte de n’en plus avoir assez pour jeter à des danseuses en sueur.

image d’une guêpe Mais cette fête dont vous refusez à Dieu sa part, ne voyez-vous pas que c’est à lui que toute la nature la donne?—tous ces parfums qui montent au ciel, toutes ces voix joyeuses d’oiseaux qui chantent; croyez-vous que ces voix et ces parfums ne vont pas plus haut que vous, et qu’après que vous les avez entendues et respirés,—elles s’éteignent et s’évanouissent?

A l’heure sainte où l’on sonne à l’église
La dernière prière,—au loin silencieux,
Du sol on voit monter comme une vapeur grise
Sortant de l’herbe et s’élevant aux cieux.
C’est l’encens qu’exhale la terre,
C’est la solennelle prière
De la création entière au Créateur;
Chaque fleur, chaque plante, y mêle son odeur:
La campanule bleue en fleurs dans nos prairies,
L’alpén-rose le pied dans la neige des monts.
Et le grand cactus rouge, hôte des Arabies,
Et les algues des mers dans les gouffres sans fonds,
L’oiseau son dernier chant dans sa verte demeure,
Et l’homme, des pensers qu’il ne sait qu’à cette heure.
Ce nuage divin, formé de tant d’amours,
Monte au trône de Dieu;—dîme reconnaissante
De ce que doit la terre à sa bonté puissante,
S’étend..... et c’est ainsi que finissent les jours.

image d’une guêpe 17.—On m’envoie une sorte de journal qui s’imprime à cent vingt lieues de Paris, hors de France,—où on donne simplement à entendre que je suis un mouchard.

Je n’ai absolument rien à répondre à cela,—l’endroit d’où le journal est daté se trouvant précisément à quatre cent quatre-vingt mille longueurs de canne de celui où je demeure.

—Je reçois une lettre qui commence ainsi:

«Mon cher Alphonse, l’usage étant généralement adopté de présenter une adresse aux victimes bien portantes d’un crime non réussi,—permettez-moi de recueillir ma signature...

»Je vous conseille fort de changer votre paletot de velours contre une cuirasse;—et d’élever à la dignité de janissaire le père Michel, sur la fidélité duquel vous pouvez compter.

»Comte RAPHAEL DE GRICOURT

image d’une guêpe 18.—Les députés s’en vont, les dernières séances se passent—comme toutes les dernières séances.

Quand il s’agit de se faire élire,—le candidat ne recule devant aucune promesse, quelque fallacieuse qu’elle soit.—Il n’est si haute montagne qui n’obtienne la promesse d’un port de mer, s’il lui en prend la fantaisie.—Vous leur demanderiez une rivière de café à la crème qu’ils n’hésiteraient pas à la promettre.

Aussi, nous divisons les candidatures en candidatures—à l’américaine,—au bonjour,—à la tire,—au renfoncement,—à courre,—au tir,—au miroir,—à la pipée,—au collet,—à la ligne,—au filet,—à l’asticot,—à la mouche artificielle.

On promet comme s’il en pleuvait—des ponts, des fleuves, des chemins de fer, des écoles primaires, des églises, des routes, des chemins, des étalons.

Chemins de fer.—La surface de la France ne suffirait pas tout à fait aux deux tiers des chemins de fer promis par les candidats.

Canaux.—Si l’on exécutait tous les canaux promis, il ne resterait pas de place pour les chemins de halage, et à plus forte raison pas pour un seul chemin de fer;—de même que, si l’on exécute les chemins de fer, il faut renoncer à tout canal. Les canaux promis couvriraient, non-seulement l’espace promis aux chemins de fer, mais encore celui réservé aux routes, aux terres labourables, aux bois, aux prairies, aux rues et aux maisons.—Ce serait une inondation, un déluge.

Ponts.—Si l’on exécute seulement la moitié des ponts jurés par les éligibles, il ne coulera plus un pouce d’eau à découvert.

Routes et chemins.—Il n’y aurait de pavés et de silex que pour un quart des routes et des chemins ferrés sur lesquels comptent les diverses communes de France.

Autant les députés, à la Chambre, ont horreur des questions d’intérêt matériel et d’intérêt local qui ne prêtent ni aux longs discours, ni aux théories; autant les gens qui les envoient ont à cœur ces questions, seul but de la peine qu’ils se donnent pour élire des députés et se faire représenter par eux.

Il n’y a pas un de nos honorables qui n’ait promis un petit pont ou une grande route, suivant les localités; quand ils se présentent aux élections, ils promettent tout ce qu’on veut, ils sont envoyés par vous pour prendre vos intérêts, ils ne l’oublieront pas. Les femmes et les enfants des électeurs les chargent de leurs commissions, ils n’en refusent aucune; ils mettent sur leur agenda:

—Des réparations à l’église;

—Un chapeau pour la femme de M. F.;

—Un polichinelle pour le fils de M. R.;

—Un pont sur la rivière.

—Des pralines à la vanille pour la sœur de M. B.—Pas trop cuites.

—Être extrêmement indépendant.

Une fois à Paris, les uns passent le temps à dire: «Très-bien!»

Les autres à faire de longs discours sur les questions les plus oiseuses, ou à demander des bureaux de tabac pour leurs parents et amis.

La clôture finit par arriver,—et on se dit généralement:

«Je ne suis pas ici pour m’amuser;—il me faut des réparations à l’église, un chapeau vert, des pralines, un pont, un polichinelle et une extrême indépendance.

«Je vais reparaître devant mes commettants, ils vont me demander compte de la manière dont je me suis acquitté de leur mandat. Aurai-je une sérénade ou un charivari?—Illuminera-t-on? me réélira-t-on? ai-je tenu mon pont? me suis-je acquitté de mon chemin?»

Alors les députés les plus muets demandent la parole; ils interrompent les discussions les plus animées pour monter à la tribune et dire:

«Messieurs, je profite de l’attention portée sur la question d’Espagne pour rappeler à la Chambre que la commune de *** (Ardèche) a besoin d’un pont.»

Ou bien:

«Oui, messieurs, comme vient de le dire l’honorable préopinant, la liberté tombe en ruine; mais, ce qui ne tombe pas moins en ruine, c’est notre église et les bâtiments y attenant, à tel point que le curé est forcé d’habiter une maison suspecte.

Sur la fin de la session, ils perdent la tête; leurs diverses commissions se confondent; ils s’écrient: «Député de la France, je serai fidèle à mon mandat; j’ai promis un polichinelle (hilarité), je veux dire une grande route à la ville de ***

C’est surtout l’indépendance qui se montre par bouffées; le député le plus ministériel pendant la session devient du jacobinisme le plus effréné; il appelle le ministère antinational; il demande incessamment la parole contre le projet du gouvernement; il arrive à la Chambre à la fin d’une discussion dont il n’a pas entendu un mot;—il a acheté le chapeau vert et les pralines; il monte à la tribune, et il dit: «Je ne suis pas de l’avis du ministère.»

Il parle cinq heures pour retrancher trois francs du budget.

Il ne rend plus le salut au ministre dont il assiégeait autrefois l’hôtel.

image d’une guêpe 19.—Redouté, le peintre de roses, vient de mourir;—son âme s’est exhalée avec le parfum des dernières roses, à la fin de ce beau mois de juin, où les roses de toute la terre ouvrent leurs encensoirs de pourpre et exhalent toutes à la fois leurs parfums, tellement qu’il semble que le ciel de juin soit tout formé du parfum des roses.

Redouté, qui n’avait rien perdu de son magnifique talent, avait demandé qu’un dernier tableau lui fût commandé;—M. de Rémusat le lui avait promis; mais, en même temps, dans les bureaux du ministère,—on formulait un refus sec et brutal que M. de Rémusat signa sans s’en apercevoir.—A la lecture de cette réponse, Redouté fut si frappé de surprise et d’indignation—qu’il se trouva mal et mourut deux jours après.

image d’une guêpe 20.—On a reçu,—sinon au ministère des affaires étrangères,—du moins à l’Opéra,—des nouvelles de l’ambassade en Perse.—Ces messieurs ont si bien fait les affaires là-bas, qu’on a envoyé un bateau à vapeur,—d’une marche très-rapide,—pour leur porter l’ordre de revenir: ils seront à Paris dans le courant du mois d’août.—On sait que cette ambassade n’avait pour but que d’enlever au répertoire certaines entraves. M. Pillet, le nouveau directeur,—membre de la Légion d’honneur,—s’alarme fort de son retour; aussi se met-il en état de défense, et se prépare-t-il à soutenir un siége dans toutes les formes.

Déjà défense a été faite aux danseuses et aux figurantes de paraître sur la scène pendant les entr’actes et dans les moments où leur service ne les y appelle pas.

—En Afrique, le maréchal Valée, membre de la Légion d’honneur,—continue son système d’imprévoyance:—il a défendu sévèrement aux soldats et aux officiers toute correspondance avec l’Europe,—et lui-même ne juge presque jamais à propos d’envoyer des nouvelles au ministère.—A chaque instant, on est dans la plus grande inquiétude au sujet de l’armée d’Afrique.

Il y a un nom bien impopulaire que je vais prononcer,—un nom qui fera froncer le sourcil peut-être à mes lecteurs les plus bienveillants: c’est celui du général Bugeaud, membre de la Légion d’honneur.—Eh bien! s’il y a un homme qui soit capable de faire prendre aux affaires d’Afrique—une face nouvelle, c’est le général Bugeaud.—M. Thiers l’avait senti lors de son avénement au ministère, et la nomination de M. Bugeaud était prête;—mais M. Chambolle et M. Léon Faucher s’y sont opposés,—et on maintient le maréchal.

image d’une guêpe 21.—J’habite un logement retiré dans un assez beau jardin planté de grands sycomores, d’acacias et de rosiers,—où, réunissant en moi deux personnages d’une fable de la Fontaine,—je suis tout à la fois l’ours et l’amateur de jardins. Autour de mon jardin,—il y a sept pianos. Malédiction sur les quartiers tranquilles!

Je connais bon nombre de gens de talent qui vivent dans les quartiers les plus bruyants et les plus populeux de Paris.—Eh bien! de temps en temps, sortent d’une de ces rues un beau livre,—de beaux vers, un beau tableau;—mais, au contraire, les fabulistes, les gens qui font des distiques pour l’arc de triomphe de l’Étoile,—des comédies non destinées à la représentation, après avoir été refusées à tous les théâtres,—des charades pour l’Almanach des muses,—des essais sur les mœurs et la philosophie des crapauds, tous ces gens-là sentent le besoin de la retraite, de la retraite mûre de la méditation,—de la méditation, père des chefs-d’œuvre.

Je suis tombé dans l’erreur des faiseurs de distiques. En effet, dans les quartiers bruyants tous les sons se confondent en un son inarticulé,—vague, monotone,—continu,—semblable au bruit du vent qui souffle dans les feuilles,—ou de la mer qui brise sur la plage.—Nul son n’arrive assez distinct aux oreilles pour occuper l’esprit,—mais, au contraire, dans un quartier tranquille, chaque son apporte une idée, et chaque idée une distraction.

Un marchand vient-il à crier dans la rue,—partout ailleurs ce bruit se perdrait dans le bruit général, dans le brouhaha; mais ici vous l’entendez et vous suivez l’idée qu’il vous apporte.

Travaillez donc quand chaque son de la rue vous apporte pour deux jours de souvenirs, de regrets,—d’espoir,—de crainte;—suivez donc une idée!

On est toujours un peu le mari de ses voisines;—sous ce rapport seulement,—je me hâte de le dire,—que, comme avec leurs maris, ces dames ne se gênent pas avec leurs voisins; elles se montrent à la fenêtre dans toutes sortes d’appareils avec lesquels elles aimeraient mieux mourir que de se laisser voir dans la rue—avec de hideuses papillotes de toutes les couleurs,—avec des yeux bouffis de sommeil.

Elles vous condamnent à entendre épeler et balbutier pendant un mois la fantaisie brillante qu’elles joueront plus tard avec tant de succès dans une autre maison... Dès l’aube,—nos sept pianos entraient en jeu, hésitant, cherchant,—recommençant.—me narguant.—C’est le matin que je travaille d’ordinaire et je ne pouvais plus travailler.—Des représentations eussent été inutiles, j’imaginai un autre expédient:—je mandai M. Leroux, professeur de trompe de chasse, et je le priai de me donner quelques leçons.—Au bout d’une semaine, j’étais en état de répondre aux grincements du piano par les rugissements nasillards de la trompe. On ne dit rien d’abord,—mais il me prit deux ou trois fois fantaisie de jouer quelques fanfares au milieu de la nuit;—alors s’éleva une clameur universelle. Après de longs pourparlers, il fut convenu que je ne sonnerais de la trompe que le moins possible, et que je n’en sonnerais ni avant neuf heures du matin, ni après neuf heures du soir,—moyennant quoi les pianos s’engageaient, de leur côté, à ne pas commencer leurs clapotements avant neuf heures du matin.

Mais maintenant—j’ai acquis sur le redoutable instrument une sorte de talent,—et je m’aperçois que mes voisins,—qui autrefois fermaient leur fenêtre avec fureur quand je prenais ma trompe,—semblent m’écouter aujourd’hui avec une sorte de complaisance.

Aussi—comme on ne me redoute plus,—on recommence à ne plus se gêner avec moi.—J’ai entendu ce matin un piano qui couvrait le chant dont les fauvettes saluent le lever du soleil.—Un voisin prétend que mes pigeons mangent sa moisson,—et profère contre eux les plus terribles menaces.—Un autre jette dans mon jardin les débris de tout ce qu’on casse chez lui,—etc., etc.—Il faut mettre un terme à cette oppression,—et, puisque ma trompe n’est plus assez désagréable à mes voisins,—j’annonce publiquement que je suis décidé à prendre des élèves.

image d’une guêpe 22.—Le chef du cabinet particulier d’un ministre, M. L***, donnait audience à M. Lannier, député, et, tout en causant avec lui, décachetait une foule de lettres adressées au ministre,—ce qui est à peu près sa véritable besogne.—«Mon Dieu! dit-il d’un air nonchalant,—que c’est fatigant!—on devrait bien inventer une machine à décacheter les lettres.—Oui;—mais que feriez-vous alors?» répond avec naïveté M. Lannier.

—Les promeneurs s’arrêtent pour admirer les nouvelles maisons construites par M. Lemaire à l’angle de la rue Laffitte et du boulevard. On a dit: «Ce sont des maisons d’or, avec quelques ornements en pierre.»

Les bronzes,—les marbres,—les dorures,—rien n’a été épargné.—La frise, sculptée en pierre par les frères Lechesne, représentant des animaux et des scènes de chasses, est presque aussi belle que ce que nous avons de plus beau de Jean Goujon.—Il y a là sept maisons d’un style et d’un goût différents;—et toutes d’une magnificence!—c’est une œuvre de goût et d’art, après laquelle on n’osera plus appeler de belles maisons—ces énormes masses carrées—percées de plus ou moins de fenêtres.

23.—On parle beaucoup du rôle singulier que l’on fait jouer à la Chambre des pairs:—on ne lui a présenté les lois votées par la Chambre des députés qu’après la clôture de fait de la session de cette Chambre,—de telle façon que son veto devient une sorte de formule dont il est bien convenu qu’elle ne se servira pas.—Il est remarquable qu’un ministère qui est arrivé aux affaires sous prétexte d’être enfin un gouvernement parlementaire,—ait commencé par annuler un des trois pouvoirs, en forçant, au moyen de la coalition, le roi à nommer M. Thiers malgré ses répugnances personnelles,—annule ensuite le deuxième pouvoir, qui est la Chambre des pairs, par l’apport tardif des lois qu’elle a à voter;—le tout en s’appuyant sur le troisième pouvoir, la Chambre des députés, annulé par la corruption.—De sorte que quatre mois ont suffi à l’absorption des trois pouvoirs,—au profit d’une dictature mesquine, il est vrai, mais qui n’en est pas moins une dictature.

La Chambre des pairs manifeste un mécontentement assez prononcé,—mécontentement qui se trouve encore exploité par le grand chancelier, M. Pasquier, et le grand référendaire, M. Decaze,—qui trafiquent de ce mécontentement avec le ministère.

Ces messieurs, qui, par leurs parents, amis et alliés,—disposent à la Chambre de la majorité, font, l’un maintenir tous les Pasquier dans les rangs de la magistrature et des finances qu’ils encombrent, l’autre conserver à M. de Saint-Aulaire l’ambassade de Vienne.

image d’une guêpe 24.—On s’agite de toutes parts pour créer des places et des vacances, et pouvoir donner la curée si promise et si attendue.

Ainsi la place de M. Daunou, vivement disputée par tous les députés de la gauche, après avoir été promise à plusieurs,—tels que MM. Auguis, Jouffroy, Chambolle, etc., sera définitivement donnée à M. Taschereau pour remplacer la division des communes qu’on lui avait promise;—c’est un commencement de liquidation avec le Siècle.

—M. Léon Faucher sera nommé maître des requêtes au conseil d’État, et chef de la division des prisons à l’intérieur.

—M. Blanqui aîné, frère de l’auteur de l’attentat,—ne sera pas, comme on le lui avait promis, directeur de la direction du commerce aux affaires étrangères, mais directeur du commerce sous M. Gouin, à la place de M. Vincent.

Ces deux nominations,—celle de M. Léon Faucher et celle de M. Blanqui, sont deux à-compte pour le Courrier Français.

—Il est question d’envoyer M. Jacques Coste, ancien directeur du Temps, à Constantinople.—On ne sait pas plus le sujet de cette mission que celle de M. Waleski à Mascate:—le plus probable est que cela n’a pour but que de donner des missions à ces messieurs,—et qu’une fois qu’ils sont nommés le but est atteint.

image d’une guêpe Nous voici, comme vous voyez, en pleine curée.

image d’une guêpe 25.—Il va y avoir, malgré les dénégations, un assez grand mouvement dans le corps diplomatique.—On va mettre à la retraite le baron de Bourgoin, ministre à Munich,—le vicomte de Fontenay, ministre à Stuttgard,—et le baron Deffaudis, ministre à Francfort.

M. Drouin,—premier secrétaire d’ambassade à Madrid, sera rappelé pour remplacer, à la direction du commerce aux affaires étrangères, M. Désaugiers.

Ce déplacement n’a pas pour objet une aptitude spéciale de M. Drouin: la véritable raison est que c’est un homme entier,—impérieux,—obstiné,—et que M. de la Redorte, le nouvel ambassadeur, ayant lui-même le caractère roide et un peu opiniâtre, il leur eût été à tous les deux difficile et désagréable de vivre ensemble.

Pour M. Deffaudis,—la raison qu’on donne de sa disgrâce égaye beaucoup les personnes qui connaissent M. Thiers, un peu collet-monté de sa nature.—On l’accuse de mêler dans ses dépêches des anecdotes un peu grivoises.—M. de Fontenay et M. Bourgoin sont accusés de carlisme.

Voici les prétextes:—la véritable raison est qu’il faut faire des places aux très-peu nombreux membres de la Chambre des pairs qui sont partisans du ministère.

image d’une guêpe Continuation de la curée.

image d’une guêpe 26.—M. Véron va être, selon les uns, receveur général, selon les autres sous-préfet à Sceaux.

M. Perrier fils, nommé ambassadeur en Russie, ne veut pas y aller.—Sa position de fortune,—qui rend ses services presque désintéressés, semble lui donner le droit de choisir.

—Il y aura le 14 juillet, à Belleville, un grand banquet radical à deux francs par tête.—MM. Laffitte et Arago en sont exclus comme modérés et aristocrates.

—C’est par erreur que, dans le volume précédent,—j’ai parlé de la chute du Vautrin de M. de Balzac. La représentation, interrompue par une brutalité ministérielle, n’a même pas été terminée.

image d’une guêpe 27.—A l’Académie, les Hugophobes—ont fait ajourner l’élection au mois de novembre prochain,—pour avoir le temps de trouver jusque-là quelque génie qui aurait par hasard échappé jusqu’ici à l’attention.—S’ils ne trouvent rien dans la littérature, ils sont décidés à se rabattre sur M. Pariset, médecin de la Salpêtrière.

image d’une guêpe AM RAUCHEN.—Ceux-là se vantent d’être sobres, qui ne digèrent plus; ceux-ci d’être chastes, dont le sang est mort et stagnant; les autres d’avoir appris à se taire, qui n’ont plus rien à dire; en un mot, l’homme fait des vices des plaisirs qui lui échappent, et des vertus des infirmités qui lui arrivent.

image d’une guêpe L’amour que l’on éprouve est tout dans la personne qui aime; la personne aimée n’est que le prétexte.

image d’une guêpe Les plus désagréables des malheurs sont ceux dont on ne peut se prendre à personne; aussi ne néglige-t-on rien pour éviter cet embarras. C’est pour cela qu’on a inventé le sort, espèce de puissance ennemie et taquine, qui n’est occupée que de tourmenter notre vie, et que l’on a la consolation de maudire et d’invectiver faute de mieux.

image d’une guêpe On aime mieux être lapidé par un homme dont on peut se venger que de recevoir deux aérolithes dont personne n’est responsable.

image d’une guêpe L’incertitude est le pire de tous les maux, jusqu’au moment où la réalité nous fait regretter l’incertitude.

image d’une guêpe Dans l’amour,—il y a une personne qui aime, et l’autre qui est aimée.

image d’une guêpe Entre deux amants, il n’y a qu’une somme d’amour à dépenser: ce que l’un prend de plus,—l’autre l’a de moins.

image d’une guêpe Il y a un instinct dans le cœur de l’homme qui le fait s’effrayer d’un bonheur sans nuage. Il lui semble qu’il doit au malheur la dîme de sa vie, et que ce qu’il ne paye pas porte intérêt, s’amasse, et grossit énormément une dette qu’il lui faudra acquitter tôt ou lard.

image d’une guêpe On demande en général à la vie plus qu’elle ne renferme; nous sommes accoutumés à mettre notre bonheur dans des choses impossibles et notre malheur dans des choses inévitables.

image d’une guêpe L’espérance et le souvenir ont le même prisme: l’éloignement. Devant ou derrière nous, nous appelons le bonheur ce qui est hors de notre portée, ce que nous n’avons pas encore ou ce que nous n’avons plus.

image d’une guêpe Ceux qui entassent de l’argent ou des honneurs pour le temps où, sans force, sans désirs, ils ne pourront plus en faire usage, me semblent des gens qui, n’ayant qu’une heure à dormir, passeraient cinquante minutes à se faire un lit bon et mou au lieu de dormir leur heure entière sur l’herbe ou sur la terre dure.

image d’une guêpe A la fin de sa vie, on découvre qu’on n’a jamais autant souffert de personne que de son ami.

image d’une guêpe La première moitié de la vie se passe à désirer la seconde, la seconde à regretter la première.

image d’une guêpe Quand on est heureux, il semble que l’on en soit fier; que le bonheur n’est pas jeté au hasard; mais que le choix que la fortune fait de vous pour vous caresser est une preuve et un témoignage de votre mérite; vous voulez faire confidence de votre félicité à tout le monde, vous l’affichez sur votre face, et vous semblez réclamer comme un droit l’amitié et la vénération, en votre qualité d’élu de Dieu, qui vous grandit et vous approche de lui par ses faveurs, par ses marques d’affection, comme fait un prince pour ses favoris! et vous êtes certain que personne ne refusera d’entrer en partage de vos joies et de vos délices.

image d’une guêpe Mais, si vous êtes malheureux, vous sentez que les arrêts de la fortune sont sans appel aux hommes; que les heureux persuaderont aux autres et se persuaderont eux-mêmes que le sort qui vous frappe est juste: car, si l’on mettait en doute la justice du châtiment, ce serait mettre en doute l’équité des caresses. Vous comprenez que les heureux accueilleront mal vos plaintes, comme le légataire universel celles du fils déshérité.

image d’une guêpe Chacun veut avoir un ami, mais personne ne veut être l’ami d’un autre.

image d’une guêpe Les hommes ne vous trouvent sage que lorsque l’on partage ou qu’on approuve leur folie.

image d’une guêpe La plupart des hommes sont persuadés qu’il sont ce que la nature a créé de plus accompli; qu’ils sont le type le plus parfait de l’homme, et que les autres sont plus ou moins bien, à proportion qu’ils s’approchent plus ou moins de leur ressemblance; si vous n’avez pas leurs défauts ou leurs ridicules, ou leurs vices, ils vous croient mutilé; si vous avez des talents ou du génie plus qu’eux, ils vous considèrent comme affligé de superfluité, telle qu’un goître ou une gibbosité.

image d’une guêpe La raison humaine est une plaisante chose dans votre bouche, comme dans celle de tout le monde. Il a tort, veut dire: il ne pense pas comme moi. Il a raison, signifie: il est de mon avis.

 

FIN DU PREMIER VOLUME.


TABLE DES MATIERES

 
1839
 

NOVEMBRE.—Aux amis inconnus.—Le gouvernement et les portiers.—Les partis et leurs queues.—Indépendance des gens de lettres.—Le roi des tragédies.—N’importe qui premier.—Ce que signifient les prodiges.—Gouvernement des marchands de peaux de lapin.—Consciences à trois francs.—Voyage du duc et de la duchesse d’Orléans.—Porte-crayons en or, contrôlés par la Monnaie.—L’hospitalité de Bourges.—Chercher Blanqui.—M. Cousin, philosophe cynique.—Les rois et les bergères.—Bon mot de S. M. Louis-Philippe.—Bon mot de M. Thiers.—Mauvais mot de M. de Salvandy.—Sur le jury.—Sur les avocats du roi.—Manière de faire condamner un accusé.—Vol de grand chemin.—M. Laffitte et un cocher.—Les livres.—Les romans.—M. de Salvandy.—Aux gens sérieux.—Parenthèse: les femmes de lettres.—L’École des Journalistes.—La Cenerentola et les pieds des chanteuses.—Le Daguerréotype et Christophe Colomb.—Le nez de M. Arago.—Les femmes s’en vont.—Les gants jaunes.—Les écuyères du Cirque.

6

DÉCEMBRE.—L’auteur à ses guêpes.—M. de Cormenin.—M. Duchâtel et ses chevaux.—Les fous du peuple.—M. Cauchois-Lemaire.—Une phrase de Me Berryer.—Le roi de France doit-il payer les dettes du duc d’Orléans?—Quatrain.—M. Chambolle.—M. Garnier-Pagès.—Les pharaons et les crocodiles.—M. Persil.—M. Etienne.—M. Viennet.—M. Rossi, citoyen du monde.—M. Etienne fils.—M. Persil fils.—Les hommes de lettres du château.—M. Cuvillier-Fleury.—M. Delatour.—M. Vatout.—M. Pepin.—M. Baudoin.—Histoire de Bleu-de-Ciel et de M. Baudoin.—Les journalistes vendus.—Dîner chez Plougoulm.—Les philanthropes.—Madame de Dino.—M. Casimir Delavigne.—La nichée des Delavigne et la couvée des de Wailly.—L’Académie.—M. de Balzac.—Un soufflet.—Un mari et le télégraphe.—Un distique.—Me Dupin et ses discours obscènes.—La comédie de madame de Girardin.—M. Cavé.—Madame Sand.—M. de Waleski.—Les hommes vertueux.—La tribune.—Un jour néfaste.—MM. Léon Pillet, L. Faucher, Taschereau, Véron, Émile Deschamps.—Règne de M. Thiers.—M. Dosne.—Madame Dosne.—Madame Thiers.—La symphonie de M. Berlioz.—Épilogue.

38
 
1840
 

JANVIER.—Une année de plus.—Oraison funèbre de deux dents.—Déplorable tenue des représentants de la France.—M. Auguis.—M. Garnier-Pagès.—M. Dugabé.—M. Delaborde.—M. Viennet.—Argot des journaux.—Les ministères et les attentats.—Le discours de la couronne.—M. Passy.—M. Teste.—Insuffisance, amoindrissement, aplatissement.—M. Molé.—M. Thiers.—M. Guizot.—Polichinelle et M. Charles Nodier.—Les 221.—M. Piscatory.—M. Duvergier de Hauranne.—M. Malleville.—M. Roger (du Nord).—Les offices.—Treize gouvernements en trente-huit ans.—La conjuration de M. Amilhau pour faire suite à la conjuration de Fiesque.—Les trois unités.—Un mot de M. Pozzo di Borgo.—Le marquis de Crouy-Chanel.—Le garde municipal Werther.—Le comte de Crouy-Chanel.—Arrestation extrêmement provisoire de l’auteur des Guêpes.—Le gendarme Ameslan.—650 ans de travaux forcés.—M. Victor Hugo.—M. Adolphe Dumas.—M. Gobert.—Mlle Déjazet.—Le gouvernement sauvage.—M. de Cormenin.—Mme Barthe.—M. Coulman.—La cour de France.—Les bas de l’avocat Dupin.—Plusieurs nouvelles religions.—L’abbé Chatel.—L’Être suprême l’a échappé belle.—Un prix de mille écus.—Le prince Tufiakin.—Les nouveaux bonbons.—Dupins à ressorts.—Une surprise.—Mme de Girardin.—M. Janin.—Mlle Rond...—Le sommeil législatif.—M. Dupont (de l’Eure).—M. Mérilhou.—M. d’Argout.—M. Alexandre Dumas.—Me Chaix d’Est-Ange.—Me Janvier.—M. Clauzel.—La gloire et le métal d’Alger.—M. Arago.—M. Mauguin.—M. G. de Beaumont.—Le maréchal Valée.—Le colonel Auvray.—Les pincettes.—S. M. Louis-Philippe et M. Jourdain.—M. Bonjour.—M. Berryer.—M. Michel (de Bourges).—M. de Chateaubriand.—M. Scribe.—M. Delavigne.—M. Royer-Collard.—Le duc de Bordeaux.—M. Bois-Millon.—Le duc d’Orléans.—Le duc de Joinville.—Le duc de Nemours.—M. Lerminier.—M. Villemain.—M. Cousin.—Dénonciation contre les princes du sang.—Une guêpe asphyxiée.—Vingt ans de tabac forcé

74

FÉVRIER.—Le discours de la couronne.—L’adresse.—M. de Chasseloup.—M. de Rémusat.—Vieux habits, vieux galons.—M. Mauguin.—M. Hébert.—M. de Belleyme.—M. Sauzet.—M. Fulchiron boude.—Jeux innocents.—M. Thiers.—M. Barrot.—M. Berryer.—La politique personnelle.—M. Soult.—M. Passy.—Horreur de M. Passy pour les gants.—M. d’Argout.—M. Pelet de la Lozère.—M. de Mosbourg.—M. Boissy-d’Anglas.—Je ne sais pas pourquoi on contrarie le peuple.—M. de *** et le duc de Bordeaux.—La reforme électorale.—Situation embarrassante de M. Laffitte.—M. Arago.—M. Dupont de l’Eure.—La coucaratcha.—Les femmes vengées.—Ressemellera-t-on les bottes de l’adjudant de la garde nationale d’Argentan.—La Société des gens de lettres.—M. Mauguin.—Réforme électorale.—M. Calmon.—M. Charamaule.—M. Charpentier.—M. Colomès.—M. Couturier.—M. Laubat.—M. Demeufve.—M. Havin.—M. Legrand.—M. Mallye.—M. Marchal.—M. Mathieu.—M. Moulin.—M. Heurtault.—Prudence dudit.—Quatre Français.—Le conseil municipal, relativement aux cotrets.—Deux gouvernements repris de justice.—M. Blanqui.—M. Dupont.—Un vieux mauvais sujet.—Un préfet de Cocagne.—M. Teste.—Les rues.—Les poids et mesures.—Protestation.—L’auteur se dénonce lui-même à la rigueur des lois.—Les guêpes révoltées.—L’auteur vent raconter une fable.—M. Walewski.—M. Janin.—M. A. Karr.—M. N. R***.—Un bon conseil.—Un bal bizarre.—Madame de D***.—Les honorables.—M. Coraly le député.—M. Coraly le danseur.—Histoire de madame*** et d’une illustre épée.—M. Pétiniau.—M. Arago.—M. Ampère.—Les mathématiques au trot.—M. Ardouin.—M. Roy.—Concerts chez le duc d’Orléans.—M. Halévy.—M. Victor Hugo.—M. Schnetz.—M. Auber.—M. Ch. Nodier et madame de Sévigné.—Madame la duchesse d’Orléans.—Madame Adélaïde.—Le faubourg Saint-Germain et les quêteuses.—Madame Paturle et madame Thiers.—Mademoiselle Garcia et ses fioritures, Grétry et Martin.—Indigence de S. M. Louis-Philippe.—29 janvier.—Ce que les amis du peuple lui ont donné.—Les pauvres et les boulangers.—Bon voyage

101

MARS.—L’attitude du peuple.—J’assemble Gatayes.—Spartacus.—Mantes.—Porcs vendus malgré eux.—Yvetot.—Rouen.—Bolbec.—Le Havre.—L’Aimable Marie.—Le Rollon.—Le Vésuve.—L’Alcide.—La réforme électorale.—Le pays selon les journaux.—Etretat.—Les harengs et l’Empereur.—Deux abricotiers en fleurs.—Un bal à la cour.—Histoire d’un maire de la banlieue et de son épouse.—La dotation du duc de Nemours.—La couronne et la casquette du peuple.—Les avaleurs de portefeuilles.—M. Thiers.—M. Roger.—M. Berger.—M. de la Redorte.—M. Taschereau.—M. Chambolle.—M. Teste.—M. Passy (Hippolyte-Philibert).—Où trouver trente-voix?—Les 221.—M. de Rémusat.—Madame Thiers.—Madame Dosne.—M. Duchâtel.—Mademoiselle Rachel.—M. de Cormenin.—MM. Arago, Dupont (de l’Eure) et Laffitte.—La crise ministérielle.—M. Molé.—M. Guizot.—La curée.—L’Académie.—M. Hugo.—Ne pas confondre M. Flourens avec Fontenelle, d’Alembert, Condorcet, Cuvier, etc.—M. C. Delavigne.—L’avocat Dupin.—M. Scribe.—M. Viennet.—M. Royer-Collard.—Mariage de la reine d’Angleterre.—L’ami de M. Walewski.—Le duc de Nemours.—Le prince de Joinville.—Le duc d’Aumale.—Mademoiselle Albertine et mademoiselle Fifille.—Accès de M. le préfet de police.—L’amiral Duperré.—Les armes de M. Guizot.—La croix d’honneur.—Mystification de quelques lions.—Le sabre de M. Listz.—M. Alexandre Dumas et Mademoiselle Ida Ferrier.—M. de Chateaubriand.—M. Nodier.—M. de Balzac.—Spirituelle fluxion du maréchal Soult.—Derniers souvenirs.—Un assaut chez lord Seymour.—De M. Kalkbrenner et d’une marchande de poisson.—M. de Rothschild.—M. Paul Foucher.—Un seigneur rustre.—Sort des grands prix de Rome.—M. Debelleyme.—Abus des grands-pères.—Les hommes et les femmes dévoilés.—Les femmes immortelles.—Recette pour les tuer.—La torture n’est pas abolie.—At home.—Un mauvais métier.—M. Jules de Castellane.—Un nouveau jeu de paume.—Moyen adroit de glisser vingt vers.—Réponses diverses

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AVRIL.—Avénement des hommes vertueux au pouvoir.—Le roi.—M. Thiers.—Le Journal des Débats.—Le grand Moniteur et le petit Moniteur.—Le Constitutionnel.—Le Messager.—Le Courrier français.—Sonnez cors et musettes.—Les moutons roses.—Lettre du maréchal Valée.—M. Cubières.—M. Jaubert.—M. Pelet de la Lozère.—M. Roussin.—M. de Rémusat.—M. Vivien.—M. Cousin.—M. Gouin.—M. Molé.—M. Soult.—Remarquable invention de M. Valentin de la Pelouze.—M. Lerminier.—La Revue de Paris.—La Revue des Deux-Mondes.—M. Buloz.—M. Rossi.—M. Villemain.—Les Bertrand.—Le quart d’heure de Rabelais.—La curée.—Expédients imaginés par la vertu.—M. de Balzac.—Vautrin.—M. J. Janin.—M. Harel.—M. Victor Hugo.—Soixante-quatre couteliers.—M. Delessert.—Le ministère et le fromage d’Italie.—M. Cavé.—Madame de Girardin.—M. Laurent, portier et directeur du Théâtre-Français.—Deux cordons à son arc.—M. de Noailles.—M. Berryer.—M. Barrot.—M. Bugeaud.—M. Boissy-d’Anglas.—M. Lebœuf et madame Lebœuf.—M. F. Girod de l’Ain.—M. Mimaut.—Me Dupin.—M. Demeufve.—M. Estancelin.—M. Chasseloup.—M. Bresson.—M. Armand.—M. Liadières.—M. Bessières.—M. Daguenet.—M. Fould.—M. Garraube.—M. Pèdre-Lacaze.—M. Poulle.—M. Lacoste.—M. F. Réal.—M. Bonnemain.—Les sténographes affamés.—M. Desmousseaux de Givré.—M. de Lamartine.—M. Etienne.—M. Véron.—Croisade contre les Français.—Noms des croisés.—M. Thiers, roi de France.—Abdication de S. M. Louis-Philippe.—M. Garnier-Pagès.—Les Français sont décidément trop malins.—Un apologue.—Affaire de Mazagran.—M. Chapuys-Montlaville plus terrible que les Arabes.—Bons mots d’icelui.—Musée du Louvre.—Ce que représentent les portraits.—Qu’est-ce que la couleur?—M. Delacroix.—Portrait d’un chou.—Portrait d’un nègre.—La garde nationale.—M. Jacques Lefebvre.—La femme à barbe.—Souscription pour la médaille de M. de Cormenin.—Le sacrifice d’Abraham.—Le supplice de la croix.—Profession de foi.—Rapacité des dilettanti.—M. Bouillé.—M. Frédéric Soulié.—A. Dumas.—Madame Dudevant.—M. Gavarni.—M. Henri Monnier.—Abus que fait le libraire Curmer de quelques écrivains.—Protestation.—Les dames bienfaisantes.—Le printemps du 21 mars

166

MAI.—Condamnés à la vertu.—M. de Remilly.—M. Molé.—M. Soult.—M. Janin.—S. M. Louis-Philippe.—Le duc d’Orléans.—La carte à payer.—Les nouvelles recrues.—Les chevaux du roi.—M. Hope.—M. de Vigogne.—M. de Strada.—Napoléon, Louis XVIII, Charles X.—Les chevaux d’Abd-el-Kader.—Pacha.—M. de Montalivet.—Le duc d’Aumale.—M. Adolphe Barrot.—M. Gannal.—Les dames bienfaisantes.—M. Panel.—M. de Flottow.—Combien coûte sa musique aux Polonais.—M. de Castellane.—Les lions.—Règlement de la salle de danse de madame veuve Deleau.—Question du pain.—M. Bugeaud, protecteur de la viande française.—Petits cadeaux.—Les circonstances atténuantes.—Le numéro 1266.—M. de Rovigo.—M. de Saint-Pierre.—Me Dupin et le maréchal Clauzel.—Le soleil.—Un perruquier.—Folie de vieille femme.—M. Thiers.—M. de Rémusat.—M. Gisquet.—M. Pillet.—Mademoiselle R.—Les femmes laides.—M. Cousin, disciple de Platon.—M. Villemain.—Madame Collet, née Revoil.—M. Droz.—Un homme qui a froid.—Chansons de table.—M. Guizot.—M. Véron.—Le roi et M. Thiers dévoilés.—M. de Cormenin couronne des rosières.—Les initiales.—Longchamps.—M. de Feuillide.—M. Méville.—Babel.—M. Altaroche.—M. Desnoyers.—Sur la société des gens de lettres.—Un conseil de révision.—M. Listz.—Un monsieur très-méchant.—Histoire d’un peintre et de son tailleur.—Mémoires d’une jeune fille.—Les lovelaces du ministère.—Mesdames L..., E..., B..., etc.—Politique des femmes.—M. Thiers et Antinoüs.—M. de Balzac et Appollon.—Le fidèle Berger.—M. Vivien.—M. Pelet (de la Lozère).—L’Angleterre.—Commerce à main armée.—Le soufre et l’opium.—Embarras des journaux ministériels.—Les baisers de M. de Rambuteau.—M. Poisson.—Frayeur de l’auteur des Guêpes.—Une matinée chez madame W***.—Les vicomtes.—M. Sosthènes de la Rochefoucauld.—M. de Chateaubriand.—M. Ch. Delaunay.—M. d’Arlincourt.—Comment appeler les auditeurs quand ils n’écoutent pas?—Dupré et M. Isabey.—Le chapeau à fresques.—Réjouissances à l’occasion du mariage du duc de Nemours.—Le char-à-bancs.—M. Fould.—M. Michel de Bourges.—Madame de Plaisance.—M. Roussin n’ose pas s’accorder ses propres faveurs.—Un juré innocent.—Aux lecteurs des Guêpes.—M. Vivien.—M. Baudet.—M. Villemain.—M. Hugo.—Post-Scriptum.—Amnistie

199

JUIN.—Report d’autre part.—Le petit Martin.—M. Thomas.—Description du petit Martin.—M. Pelet de la Lozère.—L’oubli des injures.—Madame Dosne.—Les mariages.—M. d’Haubersaert.—La machine impériale.—Ier MAI. Les discours au roi.—M. Pasquier.—M. Séguier.—M. Cousin.—M. de Lamartine.—Madame Dudevant.—Madame Dorval.—Madame Marliani.—M. de Balzac.—M. François Cornu.—M. Anicet Bourgeois.—Le mari de la reine d’Angleterre.—Les Chinois.—Encore M. Cousin.—M. de Pongerville.—Madame Collet née Revoil.—Les feuilles amies.—Deux cent mille francs.—Avantage qu’ont les rois morts sur les rois vivants.—M. Duchâtel.—Mademoiselle Rachel.—Madame de Noailles.—M. Spontini.—M. Duprez—M. Manzoni.—Le père de la duchesse de Nemours.—Les injures anonymes.—Conseils à M. Jules ***.—M. de Montalivet.—M. Dumont.—M. Siméon.—Les restes de Napoléon.—M. Thiers.—M. de Rémusat.—M. Guizot.—M. Molé.—La caque sent toujours le hareng.—M. Taillandier.—La plume d’une illustre épée.—Le maréchal Clauzel.—Miei Prigioni.—Méditations.—Les lis et les violettes.—Madame Tastu.—Madame Laya.—M. Valée.—M. Cavaignac.—M. Fould.—M. Jacques Lefebvre.—M. Lebœuf.—M. Garnier-Pagès.—M. Thiers.—M. D’Argout.—M. Dosne.—M. de Rothschild et les juifs de Damas.—La quatrième page des journaux.—Les chemins de fer.—Trois cerfs.—Chasse courtoise.—Souscription pour les pêcheurs d’Étretat.—Rapport de M. Clauzel.—M. Frédéric Soulié.—M. Frédérick-Lemaître.—Une représentation par ordre.—Mademoiselle Albertine.—M. Glais-Bizoin.—M. Gauguier.—M. de Lamartine.—Apothéose peu convenable.—Les barbarismes de la Chambre.—Le Journal des Débats s’adoucit.—M. Janin.—M. de Bourqueney.—M. de Broglie.—M. Sébastiani.—M. Léon Pillet.—M. Duponchel.—M. Schikler.—Mademoiselle Fitz-James.—Am Rauchen

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JUILLET.—Report d’autre part.—Les médailles des peintres.—M. Jaubert,—M. de Rémusat décorés malgré eux.—Un ex-dieu.—M. Cousin,—M. Jouffroy,—Il n’y a pas de savants.—M. Arago. M. G. de Pontécoulant.—M. Mathieu de la Redorte.—MM. Étienne,—Véron,—Jay.—M. Neveu.—M. Ganneron.—M. Lherbette,—MM. Baudoin, Duprez et Éliçabide.—Mme Lafarge et Mlle Déjazet.—Hommage que l’auteur se plaît à rendre à sa propre sagesse.—M. Fauvel, maire d’Étretat.—M. Meyer-Beer.—M. Lemercier.—M. Hugo.—Les tribuns du peuple.—Léon Gatayes.—M. Janin.—M. Théodose Burette.—Mme Francia Mollard.—M. le vicomte d’Aure.—M. Baucher.—M. Malpertuis.—La revue.—Le puff du gouvernement.—L’empereur de Russie.—M. Ernest Leroy.—Le cheval de Tata.—Attentat du 13 juin.—Portrait du couteau.—Gueuleton.—Convoi, service et enterrement de la proposition Remilly.—Libations.—M. Waleski.—Ordre du jour.—Témérité de M. Roussel, chef de bataillon de la garde nationale de Montreuil.—La Fête-Dieu.—Un monsieur découvre que je suis un mouchard.—Adresse.—Dernières séances de la Chambre des députés.—Mort de Redouté.—Bohain’s french newspaper.—Le satrape Valée.—M. Bugeaud.—Les pianos et les voisines.—La curée.—M. Pariset.—La Chambre des pairs.—M. Pasquier.—Divers Pasquiers.—M. Decaze.—M. de Saint-Aulaire.—M. Auguis.—M. Jouffroy.—M. Chambolle.—M. Gouin.—M. Vincent.—M. Blanqui aîné.—M. de Bourgoin.—M. de Fontenay.—M. Deffaudis.—Gaillardises d’icelui.—On donne une place à M. Drouin parce qu’il a un mauvais caractère.—MM. Laffitte et Arago, aristocrates.—M. de Balzac.—Amende honorable.—Am Rauchen

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FIN DE LA TABLE DU PREMIER VOLUME.

      Paris.—Typ. de A. WITTERSHEIM, 8, rue Montmorency.      

COLLECTION MICHEL LÉVY


LES
GUÊPES

ŒUVRES
 
D’ALPHONSE KARR
 
Format grand in-18.
 
——
 
LES FEMMES1 vol.
AGATHE ET CÉCILE1 —
PROMENADES HORS DE MON JARDIN    1 —
SOUS LES TILLEULS1 —
LES FLEURS1 —
SOUS LES ORANGERS1 —
VOYAGE AUTOUR DE MON JARDIN1 —
UNE POIGNÉE DE VÉRITÉS1 —
LA PÉNÉLOPE NORMANDE1 —
ENCORE LES FEMMES1 —
MENUS PROPOS1 —
LES SOIRÉES DE SAINTE-ADRESSE1 —
TROIS CENTS PAGES1 —
LES GUÊPES.6 —

En attendant que le bon sens ait adopté cette loi en un article, «la propriété littéraire est une propriété,» l’auteur, pour le principe, se réserve tous droits de reproduction et de traduction, sous quelque forme que ce soit.

 

      Paris.—Typ. de A. WITTERSHEIM, 8, rue Montmorency.      

LES

GUÊPES

PAR

ALPHONSE KARR

—DEUXIÈME SÉRIE—

NOUVELLE ÉDITION


colophon

PARIS
MICHEL LÉVY FRÈRES, LIBRAIRES-ÉDITEURS
RUE VIVIENNE, 2 BIS

1858
Reproduction et traduction réservées

LES
GUÊPES



Août 1840.

Les tailleurs abandonnent Paris.—Les feuilles de vigne.—Une fourmi aux guêpes.—On prend l’auteur en flagrant délit d’ignorance.—Il se défend assez mal.—M. Orfila.—Les banquets.—M. Desmortiers.—M. Plougoulm.—Situation impossible du gouvernement de Juillet.—Le peuple veut se représenter lui-même.—M. de Rémusat.—Danton.—Les cordonniers.—Les boulangers.—M. Arnal.—M. Bouffé.—M. Rubini.—M. Samson.—M. Simon.—M. Alcide Tousez.—M. Mathieu de la Redorte et le coiffeur Armand.—La presse vertueuse et la presse corrompue.—M. Thiers.—Le duc d’Orléans.—M. E. Leroy.—Le cheval de Tata.—Un bourreau.—M. Baudin.—M. Mackau.—Le Mapah.—M. V. Hugo.—M. Jules Sandeau.—Les bains de Dieppe.—Mme *** et la douane.—M. Coraly prévu par Racine.—M. Conte.—M. Cousin et M. Molé.—Une fournée.—Mademoiselle Taglioni et M. V. de Lapelouze.—Coups de bourse.—M. de Pontois.—Plusieurs noms barbares.—M. de Woulvère.—M. de Ségur.—Naïveté des journaux ministériels.—Un ministère vertueux et parlementaire.—Chagrins d’icelui.—M. Chambolle s’en va-t-en guerre.—MM. Jay et de Lapelouze le suivent.—Situation.—Am Rauchen.

image d’une guêpe 1er JUILLET.—Les maîtres tailleurs ayant voulu exiger de leurs ouvriers qu’ils eussent des livrets comme en ont ceux des autres états,—ceux-ci ont abandonné Paris, et vivent dans les guinguettes qui entourent la ville.—Si l’on ne réussit pas promptement à mettre d’accord les ouvriers et les maîtres, il est difficile de prévoir ce que deviendra Paris.—Plusieurs de nos élégants, plutôt que de montrer des gilets déjà vieux d’un mois,—se renferment chez eux et font semblant d’être à la campagne. Paris deviendra sauvage;—ses habitants seront obligés avant peu d’en revenir à l’ancienne feuille de vigne ou de figuier.

Cela me fait songer aux bizarres transformations qu’a subies ce vêtement de nos premiers pères.—Le mariage est, dit-on, d’institution divine; mais, quand Dieu l’a institué, la parure d’une femme n’avait rien de ruineux.—Elle pouvait changer de toilette quatre fois par jour sans inconvénients pour la fortune de son mari.—Mais aujourd’hui—que les feuilles de vigne ont des volants, et qu’il en faut douze aunes pour qu’une femme soit mise décemment, beaucoup de gens restent célibataires par économie.

Voyez, en effet, cette jeune femme sortir de chez elle,—et comptez quelle armée innombrable a dû s’occuper de préparer pour elle les divers ajustements qui ont remplacé la feuille de figuier de la Bible.

Par où commencerai-je,—mon Dieu! je vais prendre pour exemple,—madame, la plus petite peut-être des choses qui composent votre parure, ce soulier si étroit et si cambré.

Eh bien! madame,—avant que vous ayez des souliers, il a fallu un herbager et des gens pour élever l’animal dont la peau forme cette mince semelle,—un boucher pour tuer l’animal,—un mégissier,—un chamoiseur,—un tanneur,—un corroyeur,—avec leurs divers ouvriers,—pour donner à la peau les diverses préparations qu’elle a à subir.

Pour la soie dont est fait ce joli soulier,—après qu’on a nourri et élevé les vers,—opération pour laquelle il faut planter, cultiver, effeuiller les mûriers;—puis, qu’on a étouffé les chrysalides dans les cocons, etc., etc.,—c’est-à-dire, après qu’une quinzaine d’ouvriers différents s’en sont occupés,—il reste encore à filer la soie,—la dévider,—la passer au moulin,—la blanchir et la teindre.—Alors, seulement, on la porte aux métiers;—une fois l’étoffe fabriquée, elle passe encore par une foule de mains avant d’arriver à celles de votre cordonnier;—là, il faut un coupeur,—une couseuse,—une brodeuse, etc., et, si j’ajoute tous les ouvriers qui, sans appartenir à la fabrication du soulier, ont cependant eu à faire des travaux sans lesquels le soulier n’eût pu exister, tels que ceux qui ont fabriqué les outils des différents ouvriers désignés,—ce ne serait pas trop de compter que deux cents personnes se sont occupées de votre chaussure.

Quand je vous aurai dit—qu’une épingle a subi dix-huit opérations différentes, dont aucune ne peut se faire par moins de deux personnes, et plusieurs en exigent un plus grand nombre, sans compter toutes celles qui ont été nécessaires pour l’extraction du minerai et pour sa transformation en cuivre;

Si je vous parle de ces perles qui pendent à vos oreilles et qu’il a fallu chercher dans les gouffres de la mer;

Vous aurez tort de vous étonner si je vous affirme,—vous faisant grâce de calculs dont je ne vous donne que le résultat,—que vous n’oseriez mettre le pied dehors sans que six mille hommes se soient occupés de vous faire une feuille de vigne convenable.

image d’une guêpe 2.—Voici la lettre que je reçois,—relativement au volume du mois dernier:

«Monsieur, où diable avez-vous découvert que les lauriers-roses produisent de l’acide prussique?

«Ah! vous confondez une apocynée avec une rosacée,—vous!

«Vous mériteriez, vous et vos guêpes, un déjeuner de véritable acide prussique. UNE FOURMI.»

Voici ce que je réponds à la fourmi:

«Fourmi, vous avez raison et j’ai tort,—le laurier-rose, auquel les botanistes n’accordent pas d’être un laurier,—mais un nérium, ne contient pas d’acide prussique ou hydrocyanique.

«Mais—il contient un principe délétère tellement subtil, que ses émanations seules, au rapport de quelques auteurs, ont suffi pour causer la mort.

«Un homme, pour avoir mangé d’un rôti cuit au moyen d’une broche faite avec le bois de nérium,—devint fou, eut une syncope et mourut.» (LIBANTIUS, Comment. de venenis.)

«M. Orfila, dans sa toxicologie, met le laurier-rose au nombre des poisons narcotico-âcres,—et il avoue avoir tué beaucoup de chiens avec l’extrait et avec la poudre de cet arbrisseau;—je ne pense pas que ce principe ait reçu de nom.

«Ainsi donc, fourmi,—mon erreur, que je reconnais humblement, repose sur le mot,—et mes guêpes n’en ont pas moins, selon mes ordres,—puisé dans la fleur du laurier-rose de quoi rendre leurs piqûres suffisamment désagréables. Recevez, fourmi, mes remercîments et mes compliments empressés.»

image d’une guêpe 3.—J’ai souvent ri des gueuletons patriotiques;—mais, si j’étais à la place des gouvernants,—ou de ceux qui veulent ou peuvent le devenir,—ou de ceux qui attendent quelque chose d’eux, je prendrais peut-être plus au sérieux les banquets qui ont eu lieu au boulevard Montparnasse et à Belleville ces jours-ci.—La carte pourrait en être chère.

Sous la Restauration, le parti libéral, grotesquement uni au parti bonapartiste, passa quinze ans à dire au peuple qu’il était esclave,—qu’il gémissait dans les fers.—Chaque fois qu’il faisait trop chaud on qu’il faisait trop froid,—on lui disait: c’est la faute du gouvernement; les melons sont chers, c’est la faute du gouvernement;—il pleut, c’est la faute du gouvernement;—il ne pleuvait pas du temps de l’empereur.

Le peuple souverain voulut enfin reconquérir ses droits, ne fût-ce que pour les connaître.—Les faiseurs de phrases lui crièrent: Peuple français, peuple de braves, en avant, marchons!—et ils le laissèrent marcher tout seul,—les ruisseaux coulèrent rouges,—beaucoup de braves gens se firent tuer.—On renvoya Charles X,—on mit Louis-Philippe sur le trône,—et les avocats remplacèrent les seigneurs.—Hélas! ne pouvait-on donc remplacer les gentilshommes que par des hommes si vilains!

Pour ce qui est d’autres changements, il n’en fut pas question.—Il ne s’était pas écoulé six mois que la décoration de Juillet, que le bout de ruban,—que quelques-uns avaient payé d’un bras ou d’une jambe,—était de mauvaise compagnie;—au bout d’un an, il servait, dans les émeutes et dans les foules, à désigner aux agents de police et à la force armée ceux qu’on devait arrêter de préférence.

Tout montra jusqu’à l’évidence qu’on n’avait dit tant de mal de l’ancienne royauté—que pour y faire brèche,—comme à une ville dont on veut s’emparer;—mais, la ville prise, on se hâta de rebâtir les murailles endommagées et de s’y fortifier;—ceux qui s’étaient partagé le butin,—et c’étaient en général ceux qui avaient pris le moins de part au combat,—traitèrent les autres précisément comme ils avaient été traités eux-mêmes par le pouvoir de la Restauration:—les autres répétèrent contre leurs alliés de la veille tout ce qu’ils avaient dit ensemble contre le pouvoir déchu.—Le pays fut divisé en deux camps comme auparavant,—je ne tiens pas compte des subdivisions, et les partis qui n’étaient pas du pouvoir répétèrent au peuple,—qu’il était esclave, qu’il gémissait dans les fers,—etc., etc.;—ce que le peuple écoute et croit tout aussi bien que la première fois.—D’autres faiseurs de phrases entonnèrent:—Peuple français, peuple de braves,en avant, marchons!—et le laissèrent marcher seul, absolument comme les autres.—Il y eut encore du sang de répandu,—le parti populaire, vaincu à plusieurs reprises,—fut traité comme l’eussent été les vainqueurs de Juillet s’ils n’eussent pas été les plus forts;—car je ne sais si je commets ici un crime de lèse-quelqu’un ou de lèse-quelque chose;—je ne sais aucun moyen raisonnable de nier ceci,—que la Révolution de juillet est une émeute réussie,—comme l’émeute du 6 juin est une révolution manquée.

Aujourd’hui le pouvoir défend les principes que défendait la Restauration;—ses ennemis l’attaquent avec les armes qui renversèrent la légitimité.—Si ce n’étaient quelques noms changés par-ci par-là,—je ne vois pas que la situation soit différente en rien—de celle où on serait si Charles X, au lieu de mourir, était rentré en France.

Seulement de ceci je ne tire pas, comme beaucoup d’autres, la conclusion que la chose est à recommencer,—je maintiens au contraire que, si on la recommençait, il en serait absolument de même, ou peut-être pire.—Que ceux qui disent aujourd’hui ce que disait sous la Restauration le pouvoir actuel—feraient, en cas de succès, précisément ce qu’il fait aujourd’hui.—Que tout changement par la force n’est jamais un assez grand bien pour ne pas être un grand mal:—voyez aujourd’hui,—voici M. Barrot aux affaires,—les radicaux ne veulent plus de M. Barrot.—Que les radicaux arrivent aux affaires,—les communistes n’attendent pas même si longtemps pour se séparer d’eux—et, quoique je ne devine guère au delà des communistes,—je suis convaincu—que, s’ils arrivaient à leur tour,—il se trouverait un parti pour lequel ils seraient des aristocrates et des liberticides.

Certes, la position des hommes qui ont pris le pouvoir en juillet 1830 était difficile;—ils avaient érigé la force en droit.—Si aujourd’hui—ils ne peuvent arrêter leurs principes d’alors,—ils seront renversés,—et ils ne peuvent lutter contre ces principes—que par d’autres principes qui les condamnent pour avoir renversé leurs prédécesseurs;—car voilà ce que disent leurs ennemis:—si le peuple en sa qualité de peuple souverain, a eu le droit de mettre—M. Dupin (remarquez bien, ô messieurs Plougoulm et Desmortiers, que je dis M. Dupin) à la place de M. Trois-Étoiles,—il a parfaitement le droit de mettre aujourd’hui M. n’importe qui à la place de M. Dupin.

Mais s’il n’a pas le droit de mettre M. n’importe qui à la place de M. Dupin,—il n’avait pas le droit de mettre M. Dupin à la place de M. Trois-Étoiles.

Donc M. Dupin ne peut être qu’à la condition de n’être plus.

Diable!

Ce que je dis là a pour but de montrer tout ce qu’on a déjà fait de chemin sur la pente rapide de l’absurde;—ce ne doit pas être, selon moi, une raison pour continuer.—La force n’est pas un droit, elle est la négation de tout droit,—comme le droit est la négation de la force.—Il y a bien d’autres révolutions à faire que les révolutions de rues,—et des révolutions plus grandes et plus belles.—Il en faut partout, excepté peut-être là où on en veut faire;—il en faut dans l’éducation, dans le travail,—dans les impôts,—dans l’administration,—dans l’industrie.

Mais—ceux-là (et je m’adresse aux hommes de tous les partis),—ceux-là surtout les retardent, qui, sous prétexte du progrès et du bien public, se disputent ignoblement—les lambeaux de tout ce qui se paye et de tout ce qui se vend.

Toujours est-il, pour en revenir aux banquets, que ces braves gens, voyant que leurs représentants ne s’occupent à la Chambre:—les plus forts que de leur ambition ou de leur avidité personnelle, les plus niais que de l’avidité et de l’ambition des autres;—le tout entremêlé—de gueuletons et de dîners,—où l’on choque les verres pleins contre les mots vides; ont avisé que,—pour cela du moins, ils n’avaient pas besoin de représentants,—et que rien ne les empêchait de boire et de manger eux-mêmes, au lieu de boire et de manger par procuration.

M. de Rémusat—s’est opposé à la continuation des banquets,—c’était son devoir;—car, si le gouvernement de Juillet n’était pas le gouvernement de Juillet,—personne n’oserait,—je pense,—lui demander d’autoriser des réunions dont le but avoué est son renversement,—et la propagation de doctrines telles que l’abolition de la propriété, etc., etc. (Voir ce que nous avons dit—du gouvernement sauvage dans le volume de janvier.)

Il y a eu un banquet à trois francs par tête,—et un banquet à deux francs.—On parlait mal au second des convives du premier,—auxquels—je rappellerai que Danton fut principalement condamné pour une carte de restaurateur excédant vingt-deux francs.

image d’une guêpe 4.—Les cordonniers suivent l’exemple des tailleurs, et se retirent sur le Mont-Aventin.

Je ne sais plus dans quelle ville les boulangers ont refusé de continuer à travailler.

Tout le monde s’occupe de politique,—tout le monde veut être gouvernement,—excepté cependant les quelques-uns dont c’est l’état et le devoir;—mais à quelles oreilles est-ce que je dis cela?—Bon Dieu! que ce désaccord entre les maîtres et les ouvriers,—ce besoin d’une nouvelle organisation du travail est une question politique,—mille fois,—cent mille fois plus importante—que les misérables questions de ministères—qui occupent, divisent ou réunissent la Chambre des députés. Il faut le dire,—il y a au moins dans le saint-simonisme et le fouriérisme,—au milieu de rêveries et de saugrenuités, des tentatives et des efforts pour arriver à un but de réorganisation sociale.

image d’une guêpe 5.—Dernièrement,—M. Arnal, acteur comique du théâtre du Vaudeville,—dédia à M. Bouffé, comédien du Gymnase, un poëme en vers. Dans ce poëme, M. Arnal se plaignait du peu de considération qu’ont encore les comédiens dans la société,—et il demandait sérieusement,—en attaquant un odieux préjugé,—

Vernet, Bouffé, Samson—ont-ils la croix?

La mesure du vers, ou celle de sa modestie, l’empêchèrent de mettre, «et Arnal.»

Comme l’état de M. Arnal est de faire rire,—je trouvai son vers assez heureux, et j’en ris un moment, sans y attacher d’importance.—Le gouvernement, à ce qu’il paraît, se préoccupa davantage du vers de M. Arnal, et se demanda pourquoi quelques comédiens n’avaient pas la croix. On l’avait bien donnée, il est vrai, à M. Simon, premier diable vert de l’Opéra,—mais c’était plutôt comme garde national zélé—que comme diable vert qu’il avait obtenu cette distinction.—On songea alors à donner la croix à M. Rubini, chanteur du Théâtre-Italien.

Napoléon la refusa à Talma,—et eut raison.—Il serait charmant, en effet, de voir sur un journal:—Le chevalier de la Légion d’honneur Alcide Tousez—a fait pouffer de rire—dans le rôle de ***. Le chevalier de la Légion d’honneur Arnal a été assailli de pommes cuites.

Allons donc,—messieurs les comédiens,—vous gagnez, dans une année, plus d’argent que n’en gagnent dans toute leur vie une foule de gens savants, distingués, laborieux.—Un ténor a de bien plus forts appointements qu’un ministre,—une danseuse qu’un général en chef.—Il n’est pas un comique un peu bien placé qui, en exagérant, trois fois par semaine, les infirmités que la nature peut lui avoir données,—ne réunisse ses trente mille francs au bout de l’année.—Allons, messieurs,—laissez donc la considération aux pauvres diables.—Nous vivons d’ailleurs à une époque où on n’y tient guère, et où vous pourrez leur acheter toute leur considération pour le quart de vos appointements.

M. Alphonse Royer,—littérateur distingué,—qui désirait la croix depuis longtemps, sans avoir pu l’obtenir, est allé se faire Turc,—et prendre à Constantinople une fort belle position.

image d’une guêpe 6.—M. Mathieu de la Redorte,—ambassadeur d’Espagne,—est parti depuis plusieurs jours.—On allait voir, chez le coiffeur Armand,—douze perruques à la Louis XIV, commandées pour ses gens.—Il emmène des voitures et des livrées extraordinaires.

image d’une guêpe 7.—Le public a,—entre autres choses,—ceci de ravissant—que, s’il adopte souvent une idée,—sans trop savoir pourquoi,—il se donne ensuite bien garde d’en changer.—Ainsi, vous n’empêcherez jamais d’appeler journaux ministériels—la Presse et le Journal des Débats, qui font à M. Thiers, c’est-à-dire au pouvoir actuel, une opposition violente et systématique;—ni journaux de l’opposition,—le Courrier Français, le Constitutionnel,—le Messager, le Siècle, qui appartiennent au ministère.

On a beaucoup ri, hier, au Café de Paris, en voyant entrer à la fois deux journalistes fort connus,—l’un, que l’on donne pour type du journalisme corrompu,—est un jeune homme qui venait bourgeoisement dîner en tête-à-tête avec sa femme,—l’autre,—journaliste vertueux,—amenait une danseuse célèbre par sa maigreur.

image d’une guêpe 8.—M. Thiers s’est tellement enthousiasmé du cheval que lui avait prêté M. Ernest Leroy pour la revue,—qu’il a beaucoup pressé celui-ci de le lui vendre. M. Leroy s’y est refusé; parce que ce cheval est un présent du duc d’Orléans.—M. Thiers s’est adressé alors au prince royal, qui a dit à M. Leroy: «Vous me ferez plaisir, en cédant le cheval de Tata à M. le président du conseil.»

M. Leroy—ne voulait pas d’abord en accepter le prix,—mais M. Thiers, l’ayant fait estimer, lui a envoyé huit mille francs.

Le cheval de Tata—n’est certes pas un bon cheval,—mais il a beaucoup d’apparence;—il vaut, du reste, infiniment mieux aujourd’hui qu’à l’époque où le duc d’Orléans l’a donné à M. E. Leroy.

Depuis ce moment—M. Thiers monte à cheval tous les jours,—il s’est installé à Auteuil,—et on le rencontre dans le bois de Boulogne,—suivi d’un domestique à cheval, porteur d’un rouleau de papiers.—M. Thiers travaille à cheval—absolument comme M. Lejars du Cirque-Olympique.

image d’une guêpe 9.—Une place de bourreau est vacante;—quarante demandes ont été adressées,—sept sont apostillées par des députés;—les sept candidats bourreaux sont électeurs. Il est facile de se représenter comment cela s’est fait.

—Monsieur,—je vous demanderai votre voix.

—Volontiers,—monsieur,—mais j’aurai besoin de votre appui.

—Monsieur,—il vous est acquis.

—Monsieur,—la place de bourreau est vacante à ***.

—Monsieur,—vous voudriez qu’elle ne fût pas donnée,—vous êtes, comme moi, pour l’abolition de la peine de mort,—vous....

—Pas du tout,—monsieur,—je voudrais être bourreau.

—Monsieur,—je me ferai un vrai plaisir....

—Ayez donc la bonté d’apostiller cette petite pétition que j’adresse au ministre.

—Volontiers,—monsieur.

«Je certifie que N..., excellent père de famille,—garde national irréprochable,—a tout ce qu’il faut pour faire un bourreau très-distingué;—je serai personnellement heureux de voir tomber sur lui le choix de M. le ministre;—je crois qu’il s’en montrera digne à tous égards,—et que le gouvernement n’aura qu’à se féliciter de son utile concours.»

image d’une guêpe 10.—L’amiral Baudin était arrivé à Cherbourg et avait passé la revue de ses équipages—lorsqu’il a annoncé tout à coup qu’il ne partait pas,—et est retourné à Paris.—Au moment où l’amiral reçut sa mission,—il confia à M. Thiers que M. Mollien, consul de France à la Havane, lui était désagréable—et que sa destitution lui ferait plaisir.—M. Thiers répondit: «Nous verrons ça.»

Une fois à Cherbourg, M. Baudin écrivit à M. Thiers qu’il ne mettrait pas à la voile avant que la chose fût faite;—la réponse de M. Thiers fut ambiguë, et M. Baudin retourna à Paris.

Si on ne peut approuver M. Baudin—d’avoir demandé la destitution de M. Mollien comme faisant partie de l’expédition, M. Thiers est sans excuse de ne s’être pas expliqué catégoriquement, et de n’avoir pas refusé formellement ce qu’il ne voulait pas faire.—De ce jour, l’amiral Baudin n’a plus été un bon amiral, et M. Mackau, envoyé à sa place, a passé homme de génie, pour son avancement,—du moins dans les journaux du ministère.—Au résumé, avec toutes ses finesses et toute son habileté,—M. Thiers n’arrive jamais qu’à priver le pays de ce qu’il a de meilleur.

image d’une guêpe 11.—Un monsieur, auquel ses parents ont probablement négligé de donner un état,—s’est récemment établi Dieu,—il prétend que le véritable Dieu doit être à la fois homme et femme,—c’est-à-dire père et mère, et il s’intitule Mapah, nom formé des premières syllabes des deux mots maman et papa. Il y a deux ans, les femmes libres adressèrent à la Chambre des députés une pétition tendant à ce que le roi Louis-Philippe fût appelé à l’avenir roi des Français et des Françaises.—On prononça l’ordre du jour,—parce qu’on objecta—que les Françaises étaient comprises dans les Français,—et que rien n’empêcherait, si on accédait à cette première demande, d’être bientôt obligé d’appeler le roi—roi des Français, des Françaises et des chapeliers, etc., etc. Le Mapah a accompli ce vœu des femmes libres.

Je n’ai jamais vu ce nouveau Dieu;—mais il m’a parlé comme l’autre parla à saint Jean dans le désert.—La parole du Mapah—coûte trois sous de port.—Il m’a envoyé quatre pages sur Napoléon et sur Waterloo;—je pense que Dieu parlait hébreu à son peuple,—le langage du Mapah est de l’hébreu pour moi.

Il a écrit également à M. V. Hugo,—et lui a proposé d’être sous-Dieu ou Saint-Esprit,—M. Hugo a refusé.—Il paraît qu’il aime mieux être académicien.—On ne saurait trop porter à la connaissance du public de semblables traits de désintéressement.

Le Mapah date ses évangiles de son grabat,—décidément le métier est mauvais, le royaume des cieux n’est pas de ce monde,—et j’admire peut-être trop le désintéressement de M. Hugo.

Le Dieu, m’assure-t-on, daigne se manifester dans divers estaminets,—où il fait la Pâque et communie sous les espèces des échaudés et de la bière; sa foudre se compose d’un rotin, et il s’encense lui-même au moyen d’une pipe culottée.—Il rencontra, un jour, dans un café, M. Jules Sandeau, auquel il dit: «Levez-vous et suivez-moi.»—M. Sandeau se leva et s’en alla aussi vite qu’il put aller.

image d’une guêpe 12-13.—Étretat. Je me suis mis à l’eau hier,—et je me suis dirigé vers la ligne d’un beau bleu sombre que forme la mer à l’horizon,—j’ai rencontré une barque de pêcheur, elle était—montée par mon ami Samson;—je l’ai hélé.

—Tiens!

—Monsieur Alphonse!—Eh bien! comment que ça va?

—Bien, mon ami Samson,—et vous?—Avez-vous du genièvre à bord?—il y a longtemps que je suis à l’eau, et cela ne me ferait pas de mal.

—Non, mais voici deux beaux homards que je vous donnerai pour votre dîner.

Et Samson me montra des homards bleus étendant leurs grosses pattes et ne saisissant que l’air avec leurs pinces formidables.

—Merci,—mon ami Samson,—mais pour le moment j’aimerais mieux du genièvre.

—Eh bien!—allez-vous-en encore au large,—tournez la porte d’aval—et vous rencontrerez Valin, le garde-pêche,—il a de l’eau-de-vie.

—Au revoir,—mon ami Samson.

—Au revoir,—monsieur Alphonse.

image d’une guêpe 14.—Madame ***, l’une des sorcières de Macbeth—à laquelle on avait écrit après l’affaire de Strasbourg:—«Prends ton nez de sept lieues et va-t’en.»—Madame *** vient d’essuyer un petit désagrément de douane.—Les préposés, trompés par son aspect militaire et ses moustaches,—n’ont jamais voulu croire que ce fût une femme,—ils ont soutenu que c’était un homme déguisé, et que sa prétendue gorge devait se composer uniquement de dentelles et autres marchandises prohibées.—Ils ont voulu la déshabiller;—Madame *** a réclamé le droit d’être fouillée par une personne de son sexe, comme il est d’usage pour les femmes;—mais la femme préposée partageant l’erreur des douaniers, a refusé longtemps de déshabiller ce monsieur, et ne s’est décidée qu’à grand’peine.

image d’une guêpe 15.—Je vous vois bien, Padocke—vous bourdonnez depuis un quart d’heure autour de ma tête,—mais je ne vous écoute pas.—Vous avez, dites-vous, d’excellentes choses à raconter,—j’en suis désolé; mais votre arrêt est porté sans appel,—vous ne reparaîtrez qu’au mois de septembre; on voit bien, du reste,—Padocke,—que vous n’avez rien fait depuis un mois;—vous êtes horriblement engraissée,—prenez garde,—Padocke,—vous seriez la première guêpe qu’on aurait vue prendre du ventre.

Certes, Padocke, après les désagréments que vous m’avez attirés,—ce n’est pas vous que je laisserai parler sur le procès de madame Lafarge,—vous laisseriez encore échapper des choses fort risquées; aussi bien,—je ne dirai rien du fond du procès,—mais je ne puis m’empêcher de parler un peu de Me Coraly, avocat et député.

J’ai lu tous les discours dans cette affaire,—et j’avouerai qu’il a laissé derrière lui l’Intimé des Plaideurs.

Dans l’audience du 11,—il commence comme son modèle.

L’INTIMÉ.
Et de l’autre côté l’éloquence éclatante
De maître Petit-Jean m’éblouit.....

Me Coraly:

«J’ai appris par l’expérience à me défier des entraînements du talent de Me Bac.»

Et partout cette phrase prétentieuse, boursouflée, redondante, répétant trois fois la même chose;

Et ces fades éloges de la beauté de madame de Léotaud,—et des grâces de madame de Montcreton,—et la réponse de Me Bac par les louanges des attraits de madame Lafarge:—cette galanterie empesée,—et cette ridicule forme de langage qui fait que Me Coraly s’écrie: «On a sali notre vie de jeune fille.»

Comme tout cela a été prévu par Racine!

L’INTIMÉ.
On force une maison;
Quelle maison? maison de notre propre juge;
On brise le cellier qui nous sert de refuge.

Une chose triste en lisant toutes ces révélations qu’entraîne un procès du genre de celui de madame Lafarge,—c’est de voir tout ce qu’il y a de commun et de mauvais goût dans les coulisses de la vie humaine,—combien peu il y a de gens qui aient quelque respect pour eux-mêmes,—et qui gardent quelque dignité quand ils sont seuls.—Il semble que, pour la plupart, les bonnes manières et la distinction soient un rôle fatigant dont on ne saurait trop vite se débarrasser; il semble voir des chiens savants retomber sur leurs quatre pattes aussitôt que leur maître détourne la tête.—Il y a une foule de gens qui, sitôt qu’ils se croient seuls, n’ont rien de plus pressé que de mettre un bonnet de coton et de ne plus se laver les mains.

On n’aime pas à entendre cette jeune femme ne trouver rien de mieux à dire à l’autre, à propos de son mariage récent, que ceci:—«N’ayez pas de diamants,—cela fait trop de peine de les perdre.» Que dirait-elle donc de plus s’il s’agissait de la perte d’un enfant?

J’ai fait, à ce sujet, depuis longtemps, une remarque affligeante: c’est qu’il y a beaucoup de femmes avares.—Qu’un domestique maladroit laisse tomber du plateau qu’il porte quelques gouttes d’eau sucrée sur leur robe,—c’est un désespoir qu’on ne prend pas la peine de cacher;—qu’une porcelaine un peu précieuse soit brisée par hasard, que de cris!—que de plaintes!—que de gémissements!—Une bague tombe,—on interrompt la contredanse:—il faut tout déranger pour la retrouver.—Et cette histoire avec M. Clavet!

image d’une guêpe 16.—Je découvre que je passe définitivement à l’état de canard.—On appelle canard en librairie les nouvelles que les crieurs vendent dans les rues,—ou les anecdotes un peu hasardées que publient les journaux,—on est arrivé par catachrèse à donner le nom de canard à celui qui est le sujet de l’anecdote. J’ai compté cette semaine quatre canards dont je suis le héros,—en y comprenant les détails donnés sur un naufrage que je suis censé avoir fait à Étretat avec Gatayes, qui n’a pas quitté Paris.

image d’une guêpe 17.—Dans un numéro du mois de décembre, j’ai raconté toute la vie de M. Rossi,—les grands journaux, les journaux sérieux,—les journaux qui savent tout,—ont, depuis six mois, largement puisé à cette source sans la désigner jamais,—chaque fois qu’il a été question de M. Rossi.

On vient de le nommer conseiller au conseil royal de l’instruction publique,—et on a fait grand bruit de la démission qu’il a donnée d’une de ses places,—le hasard fait que c’est précisément la moins rétribuée que M. Rossi a abandonnée.

Ainsi, en quittant la chaire d’économie politique qui lui rapportait cinq mille francs,—il a conservé les douze mille francs qu’il reçoit du ministère des affaires étrangères,—les douze mille de l’École de droit.

Les douze mille du ministère de l’intérieur pour la Revue des deux Mondes, dont il fait la chronique politique.—Cette chronique, qui n’a aucun mérite d’aucun genre, était beaucoup plus spirituelle quand elle était faite par des Français.

image d’une guêpe 18.—Il y a deux ans et demi, M. Cousin n’était pas ministre de l’instruction publique,—il faisait à la Chambre haute—une opposition tracassière.—Un jour il avait entrepris de faire réciter à M. Molé une sorte de catéchisme ridicule.

—Monsieur le ministre, disait M. Cousin, que feriez-vous s’il arrivait telle chose? que feriez-vous si don Carlos était triomphant, si le colosse du Nord venait à mourir, si la reine d’Angleterre engraissait?

«Hélas! monsieur, ne répondait pas M. Molé, nous avons déjà assez de peine à savoir bien précisément ce que nous faisons, sans encore dire ce que nous ferons.»

—Monsieur, répondait M. Molé, il m’est impossible d’improviser ici un programme complet d’une politique que les événements doivent nécessairement modifier, etc., etc.

Nous ne suivrons pas ces deux messieurs dans le dialogue, nous remarquerons seulement que le professeur Villemain venait de temps en temps en aide au professeur Cousin,—et lui donnait le temps de reprendre haleine.—M. Molé tenait bon, et l’avantage semblait devoir lui rester, lorsque le professeur Cousin imagina un de ces arguments qui bouleversent l’armée de syllogismes la mieux disciplinée.

—Monsieur, dit le professeur Cousin à M. Molé, je vous donne un démenti.

On comprend de quel étonnement, de quelle stupeur, puis ensuite de quelle indignation fut saisie la Chambre dite aristocratique. La plupart des pairs sont des hommes bien élevés,—peu accoutumés à ces façons de Trissotin, à ces interjections de garçon de classe.

M. Pasquier, quand le premier tumulte fut apaisé,—dit au professeur Jean-Vadius Cousin: «Monsieur, je vous fais observer que les paroles dont vous venez de vous servir sortent des convenances parlementaires.»

Et de toutes les convenances possibles, aurait dû ajouter M. Pasquier; mais les membres de la Chambre haute sont des gens comme il faut, qui n’ont pas voulu dire dans une assemblée législative, dont toutes les paroles sont imprimées au Moniteur et lues dans toute l’Europe: «Monsieur, vous êtes un manant.»

image d’une guêpe 19. La Chambre des pairs, en rejetant ou en modifiant les lois tardivement présentées par le ministère,—a montré clairement qu’elle n’entendait pas se laisser ainsi abaisser et amoindrir.—M. Thiers a senti le besoin de s’y créer un parti sérieux et il pense à une nouvelle et prochaine fournée.—Le roi n’a pas caché qu’il serait très-difficile sur les noms qu’on lui présenterait. M. Thiers manque de gens suffisamment convenables dans ses relations personnelles;—c’est M. de Rémusat, homme du monde et homme d’esprit,—qui a été nommé recruteur.—Voici quelques-uns des noms déjà raccolés:—M. de Tracy,—M. de Lasteyrie,—le comte Paul de Ségur,—l’infortuné Flourens,—le général Lamoricière—et le général Duvivier.—Quelques personnes parlent de M. Dosne;—ce M. Dosne ne serait-il pas le même M. Dosne qui dut à la bienveillance de la duchesse d’Angoulême une charge gratuite d’agent de change? Le moment et le prétexte seraient l’arrivée des cendres et on mettrait en tête de la liste:—MM. Gourgaud,—Bertrand—et Lascase.

Dans les familles que voit M. de Rémusat,—on s’efforce de trouver des formules de refus polies;—beaucoup allèguent le mauvais état de leur santé,—quelques-uns demeurent bien loin du Luxembourg,—d’autres redoutent les plâtres neufs,—etc., etc., etc. Le topique violent que veut appliquer à la Chambre des pairs M. le président du conseil—est généralement d’un effet extrêmement passager;—les nouveaux pairs ne tardent guère à comprendre les devoirs et les nécessités de leur position,—comme fit M. de Boissy après qu’il eut été nommé par le ministère du 12 mai.

M. de Villèle redoutait beaucoup cet expédient et ne s’y détermina qu’à la fin. «Chaque pair que je fais,—disait-il,—commence par mettre deux boules noires contre moi.»

image d’une guêpe 20. Deux femmes accusées d’assassinat ont été toutes deux condamnées:—la mère, comme auteur du crime, aux travaux forcés à perpétuité,—et la fille complice,—vu des circonstances atténuantes, sera à vingt ans de la même peine.—Or, la mère a près de quatre-vingts ans, et il est certain que la fille passera aux travaux forcés trois fois autant de temps que la mère.

image d’une guêpe 21.—Un des canards faits sur mon compte—annonce que je suis très-laid;—cette assertion peut jeter dans les esprits des impressions illimitées.—Sans nier la chose au fond, je serai forcé, un de ces jours, d’en fixer positivement les bornes par un bon portrait légalisé,—aussi bien on en a lithographié un que l’on vend ou que l’on ne vend pas derrière certains vitrages;—portrait qui me donne l’air d’un criminel écoutant si le jury admet les atténuantes. Si j’étais procureur du roi,—je ne suis pas bien sûr que je ne me ferais pas arrêter sur le seul aspect de mon portrait;—je ne sais si c’est à cause de ce portrait que MM. Desmortiers et Hély-d’Oissel, son substitut, ont cru devoir ajouter à mon nom, inscrit au parquet pour quelques condamnations relatives à la garde nationale: «NE MÉRITE AUCUNE INDULGENCE.»

Vraiment, messieurs, je ne sais si vous en méritez beaucoup;—mais je sais que vous en auriez diantrement besoin,—ce que je me propose de développer convenablement en temps et lieux,—patience,—messieurs,—vous voyez que j’ai aussi une police bien faite.—J’aurais, du reste, mauvaise grâce à me plaindre de toutes ces plaisanteries.

Des ennemis de M. de Lamartine s’amusent à envoyer aux divers journaux de Paris—des vers qu’il est censé, pendant le cours de son voyage,—ici, avoir mis sur un album,—là, avoir improvisé dans un banquet, etc, etc.—Ces vers sont, comme vous pouvez le penser, fort indignes de leur auteur prétendu,—et donnent à l’honorable député un certain air troubadour,—qui n’est ni de mode, ni de bon goût, et ne va nullement avec ses façons d’être, qui sont pleines de dignité et de distinction.

Les journaux,—pendant les vacances des Chambres, poussent au degré le plus criminel l’avidité de la copie gratuite.—Je ne pourrais pas citer trois journalistes—qui, un soir qu’il leur manquerait vingt lignes, jetteraient au feu sans hésiter vingt lignes qu’on leur enverrait de dénonciations contre leur meilleur ami. Aussi, saisissent-ils avec un empressement féroce tout ce qu’on leur transmet sur ce pauvre M. de Lamartine.—Le plus mauvais tour qu’on lui ait joué en ce sens est de lui avoir prêté, ces jours-ci, le discours le plus biscornu qui ait jamais été fait.—La scène se passe à Bagnères, on chante au poëte une centaine de vers, improvisés par MM. Soutras et Soubies.—M. de Lamartine répond:

«Dans l’hommage que vous rendez à la poésie, en ma personne, vous avez employé les deux plus belles langues que Dieu ait données aux hommes, la langue musicale et la langue des vers. Vous ne me laissez pour répondre que celle de mon émotion et de ma reconnaissance.»

Cela rappelle parfaitement cette phrase célèbre: «De bonne heure surtout; le mien est de te voir.»

«Vous voulez que je vous laisse un souvenir, fait-on ajouter à M. de Lamartine... Je vous laisse celui de votre générosité.»

Ce n’est pas ruineux,—et je recommande aux poëtes, en général, ce genre de présent.

image d’une guêpe 23.—Voici qu’il arrive à M. Thiers un des plus terribles désappointements que jamais ait subis un ministre constitutionnel.—On sait que le côté ou le prétexte politique de son entrée aux affaires est l’alliance de la France avec l’Angleterre;—pendant que M. Thiers et les journaux qui lui sont dévoués faisaient grands bruits des toasts portés par M. Guizot, pendant qu’on faisait chaque jour de nouveaux éloges de cette terre classique de l’industrie, de ce berceau des gouvernements constitutionnels,—l’Angleterre, cette même Angleterre! la Prusse, l’Autriche et la Russie,—ont signé, avec l’envoyé de la Porte-Ottomane,—une convention contre Méhémet-Ali, et accessoirement contre la France, soigneusement exclue de cette quadruple alliance.

image d’une guêpe Tout le monde connaît la correspondance ministérielle de la rue Jean-Jacques-Rousseau,—dont l’officine est située porte à porte avec l’administration des postes.—M. de l’R., directeur de cette correspondance, est un homme très-intelligent et très-entendu, qui profite de tous les moyens possibles pour accélérer le transport de ses nouvelles. On a vu pendant quelque temps un magnifique pigeonnier sur le faîte de sa maison,—servant d’asile à ses voyageurs. Mais, ces jours derniers, M. Conte, administrateur général des postes, l’a fait sommer judiciairement—d’avoir, aux termes de certains vieux règlements de police oubliés, à détruire son pigeonnier, et à plumer et manger ses pigeons,—le choix de la sauce étant abandonné au condamné. Ce prétexte était quelques avanies faites par les pigeons aux voitures de l’administration;—mais la véritable raison est l’horreur qu’éprouve M. Conte pour toute concurrence dans le transport des lettres et dépêches.

M. de l’R.—a donné, ce matin, la volée à ses soixante pigeons,—qui se sont dirigés vers différents pays,—portant sous l’aile gauche un billet ainsi conçu:

«Monsieur, M. Conte, directeur général de l’administration des postes, a fait rendre une sentence de bannissement contre nos voyageurs.—Pendant quelque temps, vous recevrez ma correspondance par la voie ordinaire et peu accélérée des malles-postes; mais encore quelques jours, et nous serons en mesure de prouver à M. Conte que tous les trébuchets du monde sont impuissants contre les pattus d’Anvers.      »De l’R.»

«P. S.—La rente a baissé de deux francs quarante centimes à Tortoni.»

Le fait est vrai: la rente a baissé énormément.—On assure que M. Thiers, qui jouait alors la baisse,—probablement dans la prévision et la confiance qu’il ne pourrait tarder à faire quelque haute bévue, aurait trouvé immédiatement sa fiche de consolation.—Les journaux ministériels, alors,—anciens organes du vieux libéralisme,—qui avaient eu tant de mal à glorifier l’Angleterre,—se sont sentis à l’aise quand le maître leur a permis de l’appeler comme autrefois: Perfide Albion et Carthage des temps modernes.—Le Constitutionnel—a mis de côté, d’une façon tout, à fait crâne, son vénérable et proverbial bonnet de coton. M. Chambolle,—rédacteur en chef du Siècle, a pris son air le plus martial,—et a entonné le chant de guerre.—Il a appelé la France aux armes,—et, si on ne l’avait arrêté, je crois qu’il partait tout seul.—M. Chambolle plaisante peu avec les puissances étrangères,—et je leur conseille de se bien tenir, si elles ne veulent avoir affaire à lui.—«On veut humilier la France,—s’écrie M. Chambolle,—c’était bon sous les ministres pusillanimes qui nous ont précédés,—mais, à présent, nous avons M. Thiers!»

Le Siècle a trente mille sept cents abonnés,—ce qui suppose un peu plus de quatre cent mille lecteurs.—Je me trompe fort, ou il y a, aujourd’hui et jours suivants, en France, quatre cent mille personnes qui riront aux éclats en voyant M. Thiers métamorphosé en foudre de guerre par le zèle exalté de M. Chambolle.

En tous cas, voilà les puissances averties, elles s’arrangeront comme elles pourront.—Gare M. Thiers! gare M. Chambolle!—On parle d’assembler les Chambres; je ne sais, cette fois, quelle attitude prendront les avocats qui sont censés représenter la France,—mais je n’ai pas oublié—la haine qu’ils ont toujours témoignée contre les illustrations militaires, et les avanies qu’ils ont faites, chaque fois qu’ils en ont trouvé l’occasion, à tout ce qu’il y a de noble et de grand en France.—Je m’en rappelle un exemple entre mille; il y a deux ans et demi, après la prise de Constantine,—le gouvernement demandait une pension de douze mille francs pour la veuve du général Damrémont, tué sur le champ de bataille;—les avocats ont chicané, lésiné et réduit la pension à six mille francs.

Le lendemain, on en demanda une de trois mille francs pour la veuve du colonel Combes.

Le colonel Combes, à la tête de la deuxième colonne, avait décidé la prise de Constantine; la ville était prise, il était revenu annoncer la victoire au duc de Nemours.—Seulement alors on s’était aperçu qu’il était blessé à mort.

Une longue discussion eut lieu à la Chambre, et les avocats s’élevèrent à un remarquable degré de honteuse chicane.

On demande si la mort du colonel pouvait être considérée comme service extraordinaire, ou si c’était simplement une affaire ordinaire, l’exécution d’une consigne. Quelques avocats, et, il faut le dire, M. le général Doguereau, soutinrent cette bizarre interprétation.—M. le général Doguereau termina par cette remarquable naïveté:

«J’admire autant que qui que ce soit les paroles prononcées par le colonel Combes mourant; mais ceux qui ont été tués auraient pu en dire autant si la mort ne leur avait pas coupé la parole.»

On regretta que M. Doguereau n’eût pas ajouté que Combes, un quart d’heure avant sa mort, était encore en vie.

Cependant, on vote par assis et levé.

«Il est accordé, à titre de récompense nationale, une pension de trois mille francs à la veuve du colonel Combes, tué sur la brèche de Constantine.»

L’article fut adopté à une majorité de plus de soixante voix; les avocats avaient eu un peu de vergogne; ils n’avaient pu, sans rougir, voter contre la pension, mais, à une seconde épreuve, au scrutin secret, les avocats, plus libres,—firent rejeter la pension;—plus de soixante membres de la Chambre—qui s’étaient levés pour la pension,—votèrent contre au scrutin secret.

image d’une guêpe 94.—J’ai reçu, de Montreuil, une lettre d’un monsieur fort indigné des paroles légères que je me suis permises sur son endroit;—la langue de Montreuil est trop différente de celle qu’on parle en France—pour que je puisse en citer des fragments.—J’ai reçu du poëte Antony Deschamps des vers qui m’ont fait le plus grand plaisir.—M. Viennet, dans une lettre écrite à divers journaux,—se plaint des Guêpes.—M. Viennet a tort;—j’ai mes torts,—je ne frappe pas sur ceux des autres; d’ailleurs, je n’ai jamais eu occasion de parler de M. Viennet qu’une fois—et c’était dans une circonstance où je devais le faire avec éloges.—Les élèves m’arrivent en foule pour les leçons de trompe.—J’ai rencontré un démonstrateur de figures de cire qui faisait voir—le notaire Peytel et son complice, M. de Balzac;—on n’a pas tardé à ordonner à ce brave homme de suspendre son exhibition;—il était fort irrité contre le brillant auteur de tant de beaux romans et disait: «C’est bien petit de la part de M. de Balzac de m’avoir fait défendre de montrer Peytel;—Peytel a été guillotiné,—j’ai le droit de le montrer;—M. de Balzac a tort,—je n’ai pas autant d’esprit que lui, mais je n’ai pas fait Vautrin

image d’une guêpe 25.—Les anniversaires de la Révolution de juillet deviennent de plus en plus embarrassants;—le convoi des victimes—et la translation de leurs restes sous la colonne de la place de la Bastille—n’ont excité ni grande émotion ni grand enthousiasme.—Il y avait, dans cette cérémonie, un aspect profondément philosophique peu propre à irriter les passions de la foule.—Les rapports municipaux avaient constaté que, dans les tombes creusées à la hâte, au mois de juillet 1830,—on avait enfoui à la fois et les morts du peuple et ceux de l’armée,—et quelques-uns des gens qui étaient chez eux morts de peur ou de toute autre maladie non politique. Il était impossible de discerner les ossements,—et il a fallu mettre dans les mêmes cercueils et sous la même colonne—amis et ennemis,—ouvriers et soldats,—tous également victimes des passions et de l’avidité de gens qui se portent bien aujourd’hui;—tous tués pour des intérêts qui n’étaient pas les leurs;—tous pêle-mêle—confondus dans la même mort,—dans le même silence,—dans le même néant,—dans la même tombe.

La musique faite par M. Berlioz pour la cérémonie funèbre a eu un grand succès.—La marche funèbre, d’une facture large et simple;—l’hymne d’adieu,—remplie de mélancolique mélodie. L’apothéose est surtout un magnifique morceau plein d’une verve entraînante—et d’un rhythme admirable.—Un officier de la garde nationale étant tombé de cheval,—les personnes qui étaient auprès de lui ont eu peur;—cette peur gagnant de proche en proche,—sans porter avec elle sa cause,—a occasionné un grand désordre de la Bastille à la Madeleine;—une partie de la garde nationale a été mise en déroute.

image d’une guêpe 26.—La fête a été commune:—c’est toujours la même fête qu’on donne au peuple,—sous tous les gouvernements,—et en commémoration de n’importe quoi.—La joute à la lance, sur la rivière, a manqué.—Tous les autres exercices ont été supprimés;—aussi serait-il impossible de trouver, sur la Seine, cinq mariniers bons nageurs.—Le feu d’artifice a été d’une grande magnificence.

image d’une guêpe 27.—M. Thiers a du malheur:—ce n’est pas assez de sa responsabilité de président du conseil,—il faut que tout ce qui arrive de fâcheux, en ce moment, tombe précisément sur le ministre des affaires étrangères.—A Londres, pendant une visite du duc de Nemours,—il arrive ce que vous savez;—la France est exclue de la quadruple alliance.—A Vienne, M. de Saint-Aulaire,—averti que M. de Metternich lui préparait l’avanie de l’excepter seul des invitations faites aux ambassadeurs,—fait semblant d’avoir oublié sa tabatière à Paris,—et laisse là-bas son secrétaire d’ambassade. M. de Langsdorf,—ignorant l’étiquette,—remet son chapeau sur sa tête, après avoir salué—M. Mensdorf;—est-ce bien Mensdorf que ce monsieur s’appelle?—Mensdorf, Langsdorf,—des noms de cette dureté devraient bien s’arranger pour qu’il ne leur arrivât rien qui force à parler d’eux; M. Mensdorf—jette à terre le chapeau de M. Langsdorf.—A Constantinople, M. de Pontois donne des lettres de recommandation—à un jeune homme qui va contribuer à l’insurrection de Syrie.—En Prusse,—M. Philippe de Ségur, envoyé extraordinaire de France, et M. Bresson arrivent trop tard au palais où ils ont été invités par le roi;—le comte de Ségur veut s’excuser;—Sa Majesté répond en souriant: Les représentants de la France n’arrivent jamais trop tard en Allemagne.

N. B. Les journaux du ministère ont pris cela pour une phrase bienveillante,—et racontent tous l’incident avec un petit air de triomphe—on ne saurait plus bouffon.

Voici la situation dans laquelle je laisse les choses en m’en retournant à Étretat:

M. Thiers—est entré aux affaires, sous prétexte de cabinet parlementaire et vertueux;—à le considérer comme vertueux, je crois la lecture des derniers volumes des Guêpes assez édifiante et instructive;—à le considérer comme parlementaire,—M. Thiers, partisan effréné de l’intervention et de l’alliance anglaise,—est sur le point de mettre la France en guerre avec toute l’Europe, en commençant par l’Angleterre,—pour défendre la non-intervention.

La rente a baissé de six francs.

M. Chambolle, du Siècle; M. Jay, du Constitutionnel; et M. de Lapelouze, du Courrier français, se sont levés comme un seul homme,—brandissent leurs plumes,—les mettent à leurs chapeaux en guise de plumet—et défient les ennemis de la France.—Mort et furie!—Sabre et poignard!—Damnation!


Septembre 1840.

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