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Les guêpes ­— séries 1 & 2

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The Project Gutenberg eBook of Les guêpes ­— séries 1 & 2

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Title: Les guêpes ­— séries 1 & 2

Author: Alphonse Karr

Release date: June 21, 2012 [eBook #40052]
Most recently updated: October 23, 2024

Language: French

Credits: Produced by Chuck Greif and the Online Distributed
Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was
produced from images available at The Internet Archive)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LES GUÊPES ­— SÉRIES 1 & 2 ***

Notes de transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L’orthographe d’origine a été conservée et n’a pas été harmonisée.

COLLECTION MICHEL LÉVY


LES
GUÊPES

Volume I

Table des matieres, vol I

Volume II

Table des matieres, vol II

ŒUVRES
 
D’ALPHONSE KARR
 
Format grand in-18.
 
——
 
LES FEMMES1 vol.
AGATHE ET CÉCILE1 —
PROMENADES HORS DE MON JARDIN    1 —
SOUS LES TILLEULS1 —
LES FLEURS1 —
SOUS LES ORANGERS1 —
VOYAGE AUTOUR DE MON JARDIN1 —
UNE POIGNÉE DE VÉRITÉS1 —
LA PÉNÉLOPE NORMANDE1 —
ENCORE LES FEMMES1 —
MENUS PROPOS1 —
LES SOIRÉES DE SAINTE-ADRESSE1 —
TROIS CENTS PAGES1 —
LES GUÊPES.6 —

En attendant que le bon sens ait adopté cette loi en un article, «la propriété littéraire est une propriété,» l’auteur, pour le principe, se réserve tous droits de reproduction et de traduction, sous quelque forme que ce soit.

 

      Paris.—Typ. de A. WITTERSHEIM, 8, rue Montmorency.      

LES

GUÊPES

PAR

ALPHONSE KARR

—PREMIÈRE SÉRIE—

NOUVELLE ÉDITION


colophon

PARIS
MICHEL LÉVY FRÈRES, LIBRAIRES-ÉDITEURS
RUE VIVIENNE, 2 BIS

1858
Reproduction et traduction réservées

 

 

A MES AMIS INCONNUS

L’histoire racontée par les Guêpes renferme une période de dix ans.

De ce recueil, complètement épuisé en librairie, on me demande une nouvelle édition.

J’aurais cru ma probité intéressée à ne faire aucuns changements, ni aux idées, ni aux appréciations,—quand même mes idées et mes appréciations auraient changé,—ce qui n’est pas.

Quelques pages seulement ont été supprimées, à la demande des éditeurs.—Nous n’aurions pu imprimer aujourd’hui ce que je disais alors,—et je ne veux pas dire autre chose.

Je viens de relire les cent volumes des Guêpes, et, dans ma conscience, je puis répéter aujourd’hui ce que j’ai dit en tête du premier volume, publié en novembre 1839.

A. K.

Avril 1853.

LES
GUÊPES


PRÉFACE, AVERTISSEMENT, AVANT-PROPOS;

LE TOUT EN VINGT LIGNES.

Ce petit livre est le premier de douze volumes semblables qui paraîtront successivement et chaque mois, d’ici à un an.

Ils contiendront l’expression franche et inexorable de ma pensée sur les hommes et sur les choses en dehors de toute idée d’ambition, de toute influence de parti.

Je parlerai sans colère, parce qu’à mes yeux les hommes les plus méchants sont encore plus ridicules que méchants, et que d’ailleurs je suis sûr de leur faire ainsi à la fois plus de tort et plus de chagrin.

Je n’appartiens à aucun parti: je juge les choses à mesure qu’elles arrivent, les hommes à mesure qu’ils se manifestent; je prends peu de choses au sérieux, parce que, n’ayant besoin de personne que de mes amis, et ne leur demandant que leur amitié, je sens, je vois et je juge avec le sang-froid et la gaieté tranquille d’un spectateur passablement assis.

J’adresse mes petits livres aux amis inconnus que je puis avoir dans le monde, aux gens de bonne foi, de bon sens et d’esprit: c’est-à-dire que j’ai pris mes mesures pour n’avoir besoin que d’un petit nombre de souscripteurs.

Nous rirons bien ensemble de bien des gens qui voudraient passer pour sérieux, et nous nous amuserons à mesurer la petitesse des grands hommes et des grandes choses.


Novembre 1839.

Aux amis inconnus.—Le gouvernement et les portiers.—Les partis et leurs queues.—Indépendance des gens de lettres.—Le roi des tragédies.—N’importe qui premier.—Ce que signifient les prodiges.—Gouvernement des marchands de peaux de lapin.—Consciences à trois francs.—Voyage du duc et de la duchesse d’Orléans.—Porte-crayons en or, contrôlés par la Monnaie.—L’hospitalité de Bourges.—Chercher Blanqui.—M. Cousin, philosophe cynique.—Les rois et les bergères.—Bon mot de S. M. Louis-Philippe.—Bon mot de M. Thiers.—Mauvais mot de M. de Salvandy.—Sur le jury.—Sur les avocats du roi.—Manière de faire condamner un accusé.—Vol de grand chemin.—M. Laffitte et un cocher.—Les livres.—Les romans.—M. de Salvandy.—Aux gens sérieux.—Parenthèse: les femmes de lettres.—L’école des journalistes.—La Cenerentola et les pieds des chanteuses.—Le Daguerréotype et Christophe Colomb.—Le nez de M. Arago.—Les femmes s’en vont.—Les gants jaunes.—Les écuyères du Cirque.

Certes, aux personnes qui me connaissent pour un homme de loisir et de fantaisie, il doit paraître extraordinaire que j’aille ainsi, de gaieté de cœur, me donner le tracas et l’ennui de créer une publication, quand il paraît chaque matin, sous le titre ambitieux d’organes de l’opinion publique, un si grand nombre de carrés de papier, où il me serait loisible de glisser ce que je puis avoir à dire à mes contemporains.

Il faut donc que j’aie une raison forte et invincible, et cette raison la voici:

C’est qu’il n’y a pas UN journal dans lequel on puisse mettre vingt lignes où il n’y aurait ni bêtise, ni mauvaise foi. J’en prends à témoin plusieurs de mes amis, hommes d’esprit et de talent, qui y écrivent ou plutôt qui y rament avec tant d’ennui et de dégoût. Je fais mieux, je prouve.

Autant que je me le rappelle, au mois de juillet de l’année 1830, une révolution a été faite pour la liberté de la presse par cette intéressante partie de la population qui ne sait pas lire: la presse est donc libre.

Si le despotisme a ses inconvénients, la liberté a aussi les siens; le despotisme est considéré par celui qui l’exerce, ou comme un droit, ou comme une puissance acquise par la force, et conséquemment odieuse: comme droit, il a des limites, comme tout droit, en dehors desquelles il cesserait d’être; comme usurpation, il y a une goutte qu’on n’ose pas mettre dans la coupe sous peine de la faire déborder.

Mais la liberté étant une vertu, elle prend ses plus funestes ou ses plus grotesques excès pour un progrès, et elle ne reconnaît pas de bornes.

Le gouvernement a cru agir sagement, en mettant quelques restrictions à la liberté de la presse.

Ces quelques restrictions remplissent dans le Code onze pages, contenant chacune cinquante lignes de soixante lettres, c’est-à-dire environ soixante-dix pages d’un volume ordinaire.

Le gouvernement a cru agir sagement, en quoi il s’est parfaitement trompé.

La presse sans entraves se servait de contre-poids à elle-même; chaque nuance avait son journal, et chaque journal n’avait qu’un petit nombre de clients:

Le cautionnement a été la plus grande entrave, mais en même temps il a créé des privilèges; c’est-à-dire que, s’il a rendu beaucoup de journaux impossibles, il a donné une immense puissance à ceux qui ont pu remplir cette condition, en cela que les diverses nuances de lecteurs se sont absorbées dans une couleur et ont fait à chacun des journaux existants une très-nombreuse clientèle.

Les conditions fiscales imposées à la presse l’ont retirée des mains des écrivains pour la mettre à celles des spéculateurs et des entrepreneurs.

Ainsi, aujourd’hui, on ne pourrait citer un seul écrivain possesseur d’un journal; mais, en revanche, la presse est gouvernée, dirigée par d’anciens bonnetiers, d’anciens pharmaciens, d’anciens avoués, etc.; quelques-uns,—les journaux par actions,—appartiennent à la fois à deux mille épiciers, bottiers, pâtissiers, merciers, rôtisseurs, portiers, perruquiers, bouchers, avocats—et autres citoyens d’une littérature contestable.

Voici quels sont les résultats de cet ordre de choses pour le gouvernement et pour les écrivains.

Le gouvernement, par une de ces maladresses qu’il n’y a que les gouvernements qui sachent faire, a fait passer l’arme dont il avait peur des mains des poëtes aux mains des hommes d’affaires et des marchands. Les marchands savent ce qu’ils mettent et ce qu’ils risquent dans une affaire, et les bénéfices multipliés par les risques que doit leur rapporter cet argent. Ils ont une tenue, une pertinacité, que n’auraient jamais eues les écrivains, qui n’auraient eu en vue que des idées, des paradoxes ou des systèmes. Les marchands vont droit à leur but, qui est de rançonner comme ami ou comme ennemi le gouvernement, ou de le renverser pour prendre ou vendre sa place. Vous avez voulu avoir affaire aux marchands; eh bien! arrangez-vous avec eux; ils vous achètent la presse en gros, ils vous la revendront en détail, et gagneront dessus, et ils vous la vendront cher, et ils vous la feront payer de tout ce qui est à vous, et de bien des choses qui ne sont pas à vous.

image d’une guêpe Pour les gens de lettres, qui parlent si haut et si souvent de leur indépendance, voici ce qu’ils ont gagné au progrès. Ils ne sont plus, il est vrai, aux gages de Louis XIV; ils lèvent fièrement la tête et plaignent ou méprisent Corneille, qui a subi ce joug honteux; mais ils sont aux gages de M. Trois-Étoiles, négociant en vins, ou fabricant de cheminées, ou des deux mille bottiers, rôtisseurs, portiers, avocats, etc., dont je vous parlais tout à l’heure, qui ont déposé le cautionnement de cent mille francs exigé par la loi.

image d’une guêpe Il n’y a que deux sortes de journaux: ceux qui approuvent et soutiennent le gouvernement, quoi qu’il fasse, et ceux qui le blâment et l’attaquent, quoi qu’il fasse. Que le gouvernement prenne deux mesures contradictoires, ce qui n’est ni impossible ni rare: il est clair que si l’une est mauvaise, la seconde est bonne; que si la première est bonne, la deuxième est mauvaise. Eh bien! il n’y a pas un seul journal où on puisse dire cela.

image d’une guêpe Les journaux de l’opposition sont aussi obstinés et serviles dans leur critique que les journaux ministériels dans leur enthousiasme.

image d’une guêpe A côté de ces inconvénients visibles, il y en a d’autres plus cachés.

Tel journal indépendant, habituellement hostile au pouvoir, adoucit ses colères chaque fois qu’il faut faire renouveler à un théâtre royal l’engagement de certaine danseuse maigre.

image d’une guêpe Tel autre, toujours confit en admiration devant les derniers garçons de bureau des ministères, mêle un peu d’absinthe à son miel, à certaines époques où il est d’usage de discuter les subventions accordées aux journaux.

Outre que dans aucun journal on ne peut dire sa pensée entière, il y a pour les gens qui n’ont pas d’ambition, et conservent conséquemment du bon sens et de la bonne foi, il y a un inconvénient qui empêche de se rallier à aucun des partis en possession de la presse.

Le parti gouvernemental, à le juger par ses sommités, a l’avantage sur le parti de l’opposition. Il possède des hommes de science réelle, d’expérience, d’esprit vrai et de bonne compagnie; mais il traîne à sa suite tout ce qu’il y a de mendiants, de valets et de cuistres.

Le parti de l’opposition montre avec un juste orgueil des gens de résolution et même de dévouement, des gens d’une probité sévère et d’une conscience éprouvée; mais sa queue se forme de tout ce qu’il y a de fainéants coureurs d’estaminets, de tapageurs, de braillards, de vauriens, de culotteurs de pipes.

Et les hommes recommandables des deux partis savent combien ces queues sont lourdes et difficiles à traîner.

image d’une guêpe Il n’y a pas en France un seul journal qui oserait imprimer en entier dans ses colonnes le présent petit livre. Ce n’est pas cependant qu’il renferme rien qui soit contraire aux lois, à la morale publique, au bon sens;—grâce à Dieu, ils n’y regardent pas de si près.

image d’une guêpe Je suis forcé de mêler ce premier pamphlet d’une certaine quantité d’aphorismes ou professions de foi.

Je ne parlerai guère de la royauté; le trône est devenu un fauteuil, la couronne une métaphore: on a mis sur le trône un roi constitutionnel, c’est-à-dire le roi des tragédies, un farouche tyran auquel chaque personnage a le droit de débiter trois cents vers d’injures dont le moindre vous ferait casser la tête par un commis en nouveauté; un roi qui, si le feu prenait à la France comme à la maison de certain philosophe, serait forcé de dire comme lui: «Cela ne me regarde pas, je ne me mêle pas des affaires de ménage, dites-le à la Chambre des députés.»

Un roi pour lequel—s’il veut contenter l’opposition—le mot régner n’est plus qu’un verbe auxiliaire comme être, et qui règne comme une corniche règne autour d’un plafond. On pourrait, il est vrai, dire avec La Fontaine:

Mettez une pierre à la place,
Elle vous vaudra tout autant.

Mais qui insulterait-on d’une manière aussi amusante, aussi audacieuse en apparence, aussi peu dangereuse en réalité? On couronne les rois comme on couronna le Christ; chaque fleuron de leur couronne est une épine.

image d’une guêpe En fait de ministre, je suis de l’avis de cette vieille femme qui priait à Syracuse, dans le temple de Jupiter, pour la conservation des jours de Denis le Tyran: «Ma bonne, lui demanda Denis, qui se rendait justice, qui peut vous engager à prier pour moi?

—Seigneur! dit la vieille, votre prédécesseur était bien mauvais, et j’ai prié Jupiter de nous délivrer de lui. Hélas! mes vœux ont été exaucés: il a été remplacé par vous, qui êtes bien plus méchant que lui! Qui sait comment serait votre successeur?»

image d’une guêpe Il y a en France une folie bizarre, tout le monde veut être gouvernement. Cela vu de trop près, comme nous sommes, ne paraît pas aussi bouffon que ce l’est réellement. Ne ririez-vous pas cependant, si vous voyiez tous les habitants d’une ville se faire bottiers? Il est cependant plus facile de chausser les hommes que de les gouverner. Tout le monde s’efforce de prendre les sept portefeuilles des sept ministères: je crois que les trente millions de Français y passeront; cela serait long, mais cela aurait une fin, si ceux qui ont été ministres se tenaient tranquilles et laissaient de bonne grâce la place aux autres.

Depuis quinze ans on n’administre pas en France. Les ministres s’occupent à rester ministres et ne font pas autre chose. Voilà quinze ans qu’on se bat derrière la toile à qui jouera les rôles, et on n’a pas encore commencé la grande représentation du gouvernement représentatif, tragi-comédie en trois actes.

Je suis prêt à crier: Vive n’importe qui premier! pourvu qu’on le laisse en place, et qu’il puisse s’occuper d’améliorations matérielles. Il y a des gens qui demandent des droits politiques pour le peuple; le premier droit qu’on doit donner au peuple, c’est le droit de manger, et pour cela il ne faut pas lui faire détester, quitter ou négliger son travail pour de vaines théories.

image d’une guêpe Il y a une partie du peuple qui sait lire aujourd’hui, on se plaît à nommer cela émancipation. Jusqu’ici les lumières du peuple n’ont servi qu’à le rendre dupe et esclave des divers morceaux de papier imprimé qu’on lui met dans les mains. Les journaux de l’opposition lui ont tant et si bien dit que le gouvernement voulait se défaire du peuple (un gouvernement qui aurait réussi à se défaire du peuple serait, je pense, fort embarrassé), que des désordres graves ont eu lieu sur plusieurs points de la France, à l’occasion du transport des blés d’un lieu à un autre! Dans la Sarthe, où la rumeur a commencé, le préfet et le procureur du roi ont cédé à l’exaltation populaire. C’est fort embarrassant de faire partie d’un pouvoir sorti de l’insurrection, et obligé de toujours lutter avec sa mère et d’avoir à gouverner un peuple souverain. Néanmoins, le ministère actuel a fait ce qu’il devait faire; il a destitué les fonctionnaires incertains. Voilà donc démentie une fois cette sottise si répétée, si applaudie à la Chambre des députés, de l’indépendance des fonctionnaires.

Au Mans, un ancien soldat, chef d’émeute, expliquait ce que le gouvernement faisait du grain qu’on exportait: «On le jetait dans la Seine pour affamer le peuple; il se rappelait, en menant son cheval à l’abreuvoir, quand il était en garnison à Paris, l’avoir vu enfoncer jusqu’au poitrail dans le blé que roulait le fleuve.»

Je découvre avec douleur que le peuple instruit (on prétend qu’il l’est) est un peu plus bête que le peuple ignorant; et je ne vois pas à ces désordres, aussi fâcheux dans leurs résultats que ridicules dans leur cause, que ledit peuple ait changé depuis le temps de Moïse.

Il y a du reste en France un parti qui est toujours sûr d’éveiller de nombreuses sympathies, un parti qui a des dévouements et même des martyrs, c’est le tapage.

image d’une guêpe Les grands citoyens, les amis du peuple, les forts, les sérieux, les habiles, les grands politiques, se sont alors dit: «Le peuple a peur de la famine, le pain est cher; c’est le moment de demander pour lui... des droits politiques.»

Et les uns se sont mis à demander l’abaissement du cens électoral; les autres, son abolition; les autres, le suffrage universel.

image d’une guêpe La chose est arrivée à propos pour les journaux quotidiens, et il faut ici révéler une des misères de ces pauvres journaux.

La première condition d’un journal quotidien est de paraître tous les jours;—je dirai plus, c’est à peu près la seule condition. Un journal se compose d’une feuille double imprimée sur quatre côtés.

Pendant les sessions des Chambres, la besogne est facile; une page de compte rendu et un article sur la séance font l’affaire. Mais, pendant les vacances, c’est une terrible lacune à remplir.

Aussi les journaux usent-ils des moyens les plus extrêmes; rien n’est trop absurde, si cela fait une ligne et demie.

A les croire, à peine la session est finie que la France se couvre de centenaires, de veaux à deux têtes, de chiens et d’enfants savants. On tue des aigles qui ont des colliers d’argent. Si l’on coupe un arbre, il y a dans la moelle une figure de saint. Tout bloc de marbre renferme un serpent vivant; des ours étonnent les populations par le spectacle de leurs vertus et de leur humanité. Le pays est encombré de prodiges.

Il manque cinq lignes. Allons, un petit refus de sépulture, un assassinat.

C’est le compte.

Les ours vertueux commençaient à poindre, les centenaires se manifestaient dans les provinces, quand la question de la réforme électorale, question providentielle, s’il en fut jamais, est venue tirer d’embarras ces pauvres feuilles quotidiennes.

image d’une guêpe Voici la miraculeuse logique des partisans de la réforme électorale et du suffrage universel: 1º ils se plaignent du règne de la petite bourgeoisie et de la finance; 2º de la corruption électorale.

On pourrait leur répondre: 1º qu’ils n’ont dans la bourgeoisie que ce qu’ils ont fait et demandé; que ce gouvernement des bonnetiers et des usuriers m’est aussi désagréable qu’à eux pour le moins; mais que ce n’est pas une raison pour lui substituer le seul qui puisse être pire. Car, Dieu merci! si le gouvernement des bourgeois est mauvais, ce n’est pas parce qu’ils sont trop spirituels et trop éclairés, et le premier changement ne devrait pas être pour descendre de ce qu’ils avouent être trop bas. Il est difficile de voir en quoi le gouvernement des porteurs d’eau, des marchands de chaînes et de peaux de lapin, l’emportera sur celui des prêteurs à la petite semaine et des droguistes.

Ces messieurs, qui trouvent aujourd’hui si mauvais, et je suis bien de leur avis, le gouvernement des bourgeois, le trouvaient excellent quand il s’agissait de faire arriver aux affaires cette classe dont ils faisaient partie. Mais ces bons marchands, qui n’avaient jamais pensé à être rois de France, y sont maintenant accoutumés, prennent la chose comme si elle leur était due, et ne se laissent plus assez diriger. D’ailleurs, ils ont gagné ce qu’ils pouvaient espérer, et ils ont quelque chose à perdre.

2º Si on corrompt les électeurs à deux cents francs, ce que je ne nie pas, si les garanties de fortune sont insuffisantes, quelles garanties donneront des gens sans fortune? Cela ne peut amener qu’un rabais avantageux aux corrupteurs, et procurera des consciences à trois francs.—Le treizième en sus.

QU’ON SE LE DISE.

image d’une guêpe Les pauvres diables qui rédigent, ou à peu près, les journaux ministériels, ont eu bien du mal par ces temps derniers. Il s’agissait de décrire d’une manière chaude et variée l’enthousiasme des populations sur le passage de LL. AA. RR. le duc et la duchesse d’Orléans. Voici à peu près comment ils se tiraient d’affaire:

A Bordeaux, la garde nationale était en haie, des jeunes filles vêtues de blanc ont offert des fleurs à la princesse; le maire a fait un discours au prince, le prince a répondu. L’enthousiasme a été au plus haut degré.

A Libourne, c’était tout autre chose: la garde nationale était en haie, des jeunes filles vêtues de blanc ont offert des fleurs à la princesse; le maire, par une singularité remarquable, le maire a fait un discours, le prince a répondu. L’enthousiasme a de beaucoup dépassé celui qu’on avait manifesté à Bordeaux.

Mais c’est surtout à Limoux que le voyage de Leurs Altesses a été un triomphe; la fête était des plus ingénieuses; la garde nationale était en haie, des jeunes filles vêtues de blanc ont offert des fleurs à la princesse; le maire a fait un discours au prince, le prince a répondu. L’enthousiasme a de beaucoup dépassé celui manifesté à Libourne.

image d’une guêpe Ce lazzi des journaux ministériels a duré quinze jours; ils auraient pu varier peut-être encore davantage le récit en y mêlant certaines mésaventures arrivées à Leurs Altesses Royales. Il eût fallu peindre les discours, la pluie, les revues, les vins du cru à boire et à louer. A Limoux, par exemple, la nécessité de mettre la fameuse blanquette de Limoux au-dessus du vin de Champagne. A Libourne, des insectes malfaisants dans le logement faillirent dévorer LL. AA. RR. A ***, une galanterie des autorités, ayant fait repeindre l’appartement destiné aux nobles voyageurs, ils faillirent mourir pendant la nuit asphyxiés par l’odeur de l’essence de térébenthine. Dans d’autres endroits, épuisés de fatigue, ils commençaient à s’endormir quand une sérénade, sous leur fenêtre, venait les réveiller en sursaut.

La princesse a donné des porte-crayons magnifiques à divers poëtes de différents crus. La princesse donne volontiers ces bagatelles, plus précieuses par la grâce avec laquelle elles sont offertes que par la valeur du présent.

Pendant ce temps, les journaux dits indépendants se sont émus; ils ont également rendu compte, jour par jour, du voyage de Leurs Altesses Royales, ils ont crié à la prodigalité des conseils municipaux; ils se sont plaints de ce qu’on buvait la sueur du peuple; ils ont remarqué que le prince buvait du vin frappé, et ils ont dit que la glace est fort chère cette année; ils ont chanté pouille à un préfet qui lui a fait boire du vin de Tokai, parce que le vin du cru eût été plus patriotique et moins cher, le tout dans le style de ce bon M. Cauchois-Lemaire, qui, à propos des fêtes et de l’inauguration du musée de Versailles, écrivait: «Pour moi, dans un cabaret du coin, je vais boire du petit vin à douze qui ne sera pas trempé de la sueur du peuple.»

image d’une guêpe Les affaires d’Espagne paraissent terminées. Don Carlos a reçu en France une touchante hospitalité. La gendarmerie française a montré un empressement de bonne compagnie à le recevoir. On l’a prié de choisir la ville où il lui plairait demeurer, en l’assurant qu’on serait heureux d’obtempérer à sa demande, pourvu que son choix tombât sur la ville de Bourges.

image d’une guêpe Il y a à Bourges un triste souvenir pour un roi détrône. Il y a plus de quatre cents ans, Charles VII s’y fit faire des bottes, par un cordonnier, qui, apprenant que le roi ne pouvait les payer, ne voulut pas les lui laisser et les remporta.

image d’une guêpe Je ne me rends pas bien compte du traitement que, dans cette circonstance, on fait subir à Don Carlos, ni quelle loi on lui applique. En sa qualité d’étranger voyageant en France, on doit le laisser circuler librement; ou bien, si on ne trouve pas ses papiers en règle, le faire paraître comme vagabond devant la septième chambre. Que ferait-on si Don Carlos, réclamant le secours des lois françaises, attaquait les ministres, aux termes des articles 114, 115, 116, 117, 341, 342 du Code pénal? En attendant, la princesse de Beira rend fou le préfet de Bourges; elle a découvert que le comte de Lapparent s’appelle M. Cochon, et elle ne lui donne pas d’autre nom. Les feuilles légitimistes, depuis ce temps, consacrent tous les jours une demi-colonne à des paraphrases de fort mauvais goût et de fort mauvaise compagnie sur ce sujet.

image d’une guêpe Pendant ce temps, la reine d’Espagne, affermie sur son trône par la trahison de Maroto, distribue des récompenses qu’elle voudrait rendre dignes des services qu’elle a reçus; mais, vu le mauvais état des finances, elle a prodigué les honneurs. Napoléon, qui aimait faire des ducs, c’était sa faiblesse, leur donnait avec le titre de beaux apanages. La reine d’Espagne, par des motifs d’une louable économie, a imaginé des titres métaphysiques; elle a nommé Espartero duc de la Victoire. Ces duchés sont faciles à créer. On parle d’un officier nommé comte de la Sobriété; Maroto est, dit-on, marquis de la Trahison.

La campagne qui a fait sortir Don Carlos d’Espagne s’est faite beaucoup moins avec des soldats qu’avec de l’argent. Ainsi, M. Gaviria vient de recevoir de S. M. la reine la grand’croix de l’ordre d’Isabelle la Catholique. M. Gaviria aurait fait faire, en faveur de la reine, d’habiles manœuvres à une armée de ducats bien disciplinée. Les journaux de Madrid, qui parlent de cette distinction accordée au banquier Gaviria, ne disent pas si on lui a rendu son argent. Cette question que nous faisons n’est pas aussi saugrenue qu’elle en peut avoir l’air. L’Espagne est connue pour une habileté plusieurs fois éprouvée dans le vol à la tire et à l’Américaine.

image d’une guêpe On a décidé, il y a quelques jours, dans le conseil de la reine, qu’il fallait prendre une mesure pour «ranimer les espérances des créanciers de l’Espagne.» Ce qui nous paraît devoir inspirer la plus grandes défiance aux petits ex-rentiers ruinés par de gros marchands devenus, depuis, grands citoyens, sous prétexte d’emprunt espagnol, dont ils étaient moins les banquiers que les compères.

image d’une guêpe Le gouvernement, si toutefois il y a un gouvernement en France, ressemble beaucoup à certains bourgeois: si un homme ivre leur demande un peu tard l’heure qu’il est ou le nom d’une rue, ils prennent la fuite et disent à leur femme alarmée qu’ils ont été attaqués par quatre hommes, et que, sans leur courage, leur intrépidité et leur sang-froid, ils auraient succombé. Le lendemain, entièrement remis de leur frayeur, ils racontent les détails de leur victoire: «Ils étaient cinq, des figures de galériens, j’en ai jeté trois par terre, les quatre autres ont pris la fuite.»

Le gouvernement s’invente des ennemis formidables, pour se créer ensuite d’éclatantes victoires. On a fait un bruit énorme de la capture de M. Auguste Blanqui. On eût dit que le salut du pays était attaché à la prise de M. Auguste Blanqui.

Caveant consules!

Domine, salvum fac regem! Dieu, sauve le roi!

M. Auguste Blanqui ne demandait pas mieux que de se sauver lui-même, et on aurait dû le laisser faire, cela eût évité beaucoup d’embarras et d’ennuis à MM. les pairs, dont les fils ne regrettent plus l’hérédité, tant le métier devient dur et désagréable. Et M. Blanqui, une fois hors de France, n’aurait plus donné le moindre prétexte aux terreurs bouffonnes que l’on faisait semblant d’avoir de lui.

Le plus grand inconvénient de ces ridicules émotions est celui-ci: les agents de la police se mettent à laisser faire tout ce qu’on veut dans la ville. Ou assassine en plein jour dans la rue, on arrête les passants et on les dépouille à huit heures du soir. On enlève le plomb des maisons; la police n’en peut mais. Ses agents boivent et dorment dans les cabarets, se lèvent tard et se couchent de bonne heure; et ils appellent cela «chercher Blanqui

Si un agent supérieur rencontre le soir, au coin d’une borne, un de ses subordonnés: hesterno et hodierno inflatus Iaccho, attendant dans un doux sommeil qu’il plaise à sa maison de passer, le subordonné, brusquement réveillé et interpellé, répond brusquement: «Je guette Blanqui.»

Un autre va passer trois jours à la campagne, assister à la chute des feuilles jaunies. Il aime à contempler la nature parée de ses plus grandes splendeurs; les arbres, plus riches que ceux des Hespérides, tout chargés de feuilles d’or; la vigne ornant les maisons rustiques de festons couleur de rubis. Si on lui demande compte de ses loisirs, il n’a qu’un mot à répondre: «Je suis sur la trace de Blanqui.»

Et un jour on rencontre par hasard M. Blanqui, et on l’arrête; et cependant les forêts les plus célèbres

Sont auprès de Paris un lieu de sûreté.

image d’une guêpe Paris n’a plus rien à envier à Athènes. Depuis longtemps, sous prétexte de monuments nationaux, il possède plus de temples grecs que n’en eut la ville de Minerve: aujourd’hui il a son philosophe cynique. M. Cousin a fait un grand scandale: conseiller en service ordinaire, c’est-à-dire avec douze mille francs d’appointements, il s’est vu tout à coup conseiller en service extraordinaire, c’est-à-dire sans honoraires; et, en effet, ce serait un service bien extraordinaire que celui que M. Cousin rendrait pour rien. Il s’est emporté, a écrit dans les journaux, a donné sa démission de ce qu’il appelle «un titre vain

Mais, ô Diogène! dans cette colère qui vous fait rejeter tout pacte avec un pouvoir ingrat, vous avez oublié de vous démettre également de deux petites places agréablement rétribuées qui vous restent. Prenez garde, ô Diogène! on croira que les titres vains sont les seuls que vous dédaignez, et que vous vous êtes moins occupé, votre lanterne à la main, de chercher un homme que de chercher des places.

Est-il vrai, ô Diogène! que, dans votre retraite, vous composez un Traité dans lequel vous démontrez combien vous méprisez le mépris des richesses?

image d’une guêpe Autrefois, il était convenu que les rois, les reines et les princes immolaient à leurs grandeurs les plus doux sentiments de la vie. L’amour n’était nullement consulté dans leurs mariages. C’était sur le cœur des bourgeois que ce dieu exerçait son empire.

Aujourd’hui les bourgeois se sont emparés des grandeurs: les rois pensent ne devoir rien immoler à des grandeurs qu’ils n’ont plus. Un journal anglais, en parlant d’un projet de mariage entre la reine d’Angleterre et le prince Albert, ajoute: «Nous savons de bonne part que l’inclination de Sa Majesté pour le jeune prince date de quelque temps.»

En même temps, l’empereur de Russie a envoyé son fils chercher, chez les petits princes allemands, une femme selon son cœur. Le prince a trouvé à la cour de Hesse-Darmstadt une jeune fille du nom de MARIE, que la grande noblesse dédaigne; elle n’a que ses quinze ans et sa beauté, le mariage sera célébré d’ici à un mois.

Le fils d’un marchand de la rue Saint-Denis, ou du dernier des Dupin, serait fort mal reçu s’il présentait à son père une semblable bru, bonne tout au plus, aujourd’hui, pour un roi de France ou un empereur de Russie.

Les rois se montrent du reste bien avisés de chercher les joies de l’amour dans le mariage; je leur conseillerais peu de les demander à des amours illicites, et de suivre les exemples de Louis XIV, le Grand; de Louis XV, le Bien-Aimé; de Henri IV, le Père du peuple; d’Élisabeth d’Angleterre, dont les erreurs ont été déifiées par leurs contemporains, et acceptées bénévolement par la postérité, que nous avons l’honneur d’être. S. M. Louis-Philippe a fait placer à Versailles, parmi les portraits des rois ses aïeux, et des grands hommes qui ont honoré ou servi la France, ceux des diverses beautés qui ont adouci illégitimement les ennuis de la royauté de ce temps-là.

La presse, le seul gouvernement despotique et arbitraire qu’il y ait aujourd’hui, mettrait bon ordre à de semblables délassements: les journalistes les plus viveurs, dîneurs, soupeurs, bambocheurs, les plus exacts à exercer les droits de jambage sur leurs vassales des théâtres, sont trop vertueux dans leurs feuilles pour permettre aux autres le moindre scandale. Le vice, autrefois apanage des grands, aujourd’hui appartient à la classe moyenne; elle l’a conquis et elle saura maintenir ses droits; malheur à qui y toucherait!

On a surveillé de près les affections de la reine d’Espagne; la presse anglaise a signalé chaque regard que sa pauvre petite reine a laissé tomber.

Aux vertus et à la nullité que l’on exige aujourd’hui d’un roi, chaque pays devrait faire canoniser et empailler le premier qui lui mourra, et le déclarer roi perpétuel; l’Académie a bien un secrétaire perpétuel. C’est une fatuité que l’on comprend du reste de la part d’un corps d’immortels.

image d’une guêpe Une nouvelle a fort couru chez les feuilles légitimistes et chez les feuilles dites indépendantes.

N. B. Je vous dirai dans mon second volume des choses fort réjouissantes sur les deux classes de journalistes: journalistes indépendants, martyrs de leurs opinions, et les journalistes vendus.

Cette nouvelle est que chaque matin une voiture aux armes du roi de France va vendre au marché Saint-Joseph les légumes des châteaux royaux.

Les marchands se sont faits rois de France, le roi de France se fait marchand de légumes: c’est dans l’ordre.

De tout ceci il résulte que ces paroles des escamoteurs et des tireuses de cartes, du petit Albert et du grand Éteila, se sont réalisées:

«On a vu des rois épouser de simples bergères.»

Reste à savoir si l’on trouvera encore longtemps des bergères assez simples pour consentir à épouser des rois.

image d’une guêpe Il y a quelques jours, dans une conversation avec le roi, M. Thiers parut satisfait de quelques explications que S. M. Louis-Philippe voulut bien lui donner sur sa politique.

«Ah! sire, s’écria celui qu’on a plaisamment appelé Mirabeau-Mouche, vous êtes bien fin, j’en conviens, très-fin, mais je le suis encore plus que vous.

—Non, reprit le roi, puisque vous me le dites.»

image d’une guêpe Le même M. Thiers a dit de certains ministres nouvellement aux affaires que l’on accuse de manquer de politesse et de savoir-vivre: «Ils se croient vertueux parce qu’ils sont mal élevés.»

image d’une guêpe M. Persil a été fort blâmé en son temps d’être venu remplacer à la Monnaie son prédécesseur à peine mort. M. Persil, destitué et réintégré, a cette fois remplacé aussi brutalement un homme vivant, M. Méchin, et dans ce cas-là les vivants crient bien plus que les morts.

M. de Salvandy, l’ex-ministre, a dit à ce sujet: «Méchin, comme un perroquet, est mort par le persil.»

Je ne prends pas la responsabilité du mot, qui est médiocre.

image d’une guêpe Je respecte l’institution du jury, comme je respecte toutes les institutions: mais voici un petit raisonnement mathématique que je risque contre ladite institution.

Tacite l’a dit, et Cicéron aussi, et, je crois, tout le monde aussi: la vérité n’a qu’une forme, le faux en a mille; en effet, mettez un seul juge, un cadi, à un tribunal, et donnez-lui une cause à juger; si la cause est un peu embrouillée, il y a une douzaine de manières de juger la question; de ces douze manières une seule est la bonne. C’est déjà assez inquiétant pour l’accusé de jouer sa fortune ou sa vie avec une chance pour lui et onze contre lui. Et certes je suis bien modéré en supposant qu’un homme n’a que onze chances de se tromper dans un jugement. Demandez à un passant quelle est la date du mois, il a tout de suite vingt-neuf chances contre une pour répondre une erreur. Mais, prenant pour base une chance pour la vérité, et onze pour l’erreur qu’aurait un seul juge, douze jurés ont naturelle douze chances pour tomber juste et cent trente et une pour se tromper.

Dernièrement encore deux hommes ont été condamnés à mort par un tribunal et acquittés par un autre comme parfaitement innocents, malgré la remarquable plaidoirie de M. le procureur du roi de l’endroit.

Il n’y a rien au monde de si ridicule et de si atroce que la position de ce qu’on appelle le ministère public. Un avocat passe quinze ans de sa vie à défendre n’importe qui et n’importe quoi; ensuite il arrive au parquet, et là il passe quinze autres années à accuser n’importe quoi et n’importe qui. Or, sur dix accusations capitales, il y a au moins cinq acquittements. Le ministère public rentre donc dîner chez lui cinq fois par mois pour le moins, ayant parlé cinq heures pour faire guillotiner un homme innocent. Il dîne bien, prend son café et va au théâtre ou dans le monde, où il est reçu avec égards ou distinction. Chose bizarre, cependant, on honore le procureur du roi et on avoue une répugnance invincible pour le bourreau. Il faudrait cependant pour que les choses fussent égales entre eux, que le bourreau eût tranché la tête à un certain nombre d’innocents, et qu’il l’eût fait sciemment.

image d’une guêpe Il est connu au palais que lorsque l’on tient à une condamnation capitale, on ne fait venir l’affaire qu’à la fin d’une session; les jurés se sont accoutumés alors à l’idée terrible de prononcer la peine de mort. Ils ont pour les derniers accusés toute la sévérité qu’ils n’ont pas osé avoir pour les premiers; et puis, ils sont fatigués, ennuyés. Tel homme va aux galères, moins pour avoir commis un vol avec effraction que pour avoir fourni à un avocat le prétexte et le droit de parler et d’ennuyer les jurés pendant cinq heures.

On distingue, au commencement d’une session, les jurés en deux classes:

Ceux qui viennent avec l’intention de ne jamais condamner;

Ceux qui apportent la ferme résolution de condamner toujours.

J’ai entendu raconter à M. Laffitte, qu’il avait entendu dire à un juré: «Entre nous, ce n’est pas pour rien qu’on place ainsi un homme sur un banc, entre deux gendarmes; ce n’est ni vous, ni moi, ni aucun honnête homme qu’on connaisse, que l’on traite ainsi. Cet homme-là a fait quelque chose; si ce n’est pas le crime dont on l’accuse, c’est un autre; et je condamne.»

image d’une guêpe Ceux qui ne condamnent jamais admettent toujours des circonstances atténuantes. Nous avons vu un homme accusé d’avoir coupé sa sœur par morceaux, déclaré coupable, mais avec des circonstances atténuantes. Où diable étaient les circonstances atténuantes?

Est-ce parce que la victime était sa sœur, ou parce que les morceaux étaient petits?

image d’une guêpe Il ne me semble pas que ces exemples de bévues, que je pourrais multiplier à l’infini, militent puissamment en faveur de l’abaissement du cens électoral et du suffrage universel.

image d’une guêpe Il y a sur l’institution du jury une curieuse et singulière remarque, que je n’ai aucune raison de garder pour moi seul.

Tout est aux mains des marchands: la royauté, la presse, les places, les honneurs, etc.

La justice n’a pu leur échapper; la justice est rendue à leur point de vue.

Ainsi, selon les Codes, les jurisconsultes et les moralistes de tous les temps et de tous les pays, le crime le plus punissable est le meurtre.

Le vol ne vient qu’en troisième ou quatrième ligne.

Depuis l’institution du jury, cet ordre a été changé: le crime le plus effrayant, le plus horrible, le plus inexorablement puni, est le vol.

L’assassinat ne vient qu’après.

Je ne parle que de l’assassinat commis par haine ou par vengeance, l’assassinat suivi de vol est aussi sévèrement puni que si c’était un vol simple.

En effet, deux hommes sont animés d’une haine mutuelle; l’un a offensé l’autre, etc.

L’offensé ou l’offenseur tue son ennemi; cela n’est pas précisément conforme à la justice, à la morale ni aux usages, pensent les jurés, mais au fond cela ne nous regarde pas.

Et, comme je l’ai entendu dire à un de ces estimables négociants, «entre l’arbre et l’écorce, il ne faut se mêler de rien.»

C’était une affaire entre le tué et l’assassin, c’est une chose finie. Il a tué cet homme parce qu’il lui en voulait; il est mort, il ne lui en veut plus. La société (mot qui veut dire moi dans la bouche d’un juré, comme le peuple dans la bouche d’un homme politique) n’est pas menacée.

Mais on a volé un négociant (comme moi), homme patenté (comme moi), un parfumeur (comme moi), dans une rue déserte (comme la mienne); le voleur n’en voulait pas à ce parfumeur précisément, mais à l’argent. Son crime ne l’a pas satisfait; au contraire, la cause n’a pas cessé d’exister comme dans le crime précédent. La société (j’) a (ai) de l’argent, donc la société est menacée, il faut se défaire du scélérat.

Et ceci n’est pas un paradoxe, les faits sont là; tout le monde peut juger et tirer les conséquences.

image d’une guêpe A ce propos, je répondrai à un reproche que l’on m’a fait plus d’une fois; ou m’a accusé d’être paradoxal. Il y a deux sortes de paradoxes:

Le premier se fait en affirmant le contraire de toute opinion reçue, seulement parce que c’est une opinion reçue;

Le deuxième se fait en affirmant ou en niant une chose, quoique l’on se trouve en opposition avec une opinion reçue.

Je défie que l’on trouve, dans les volumes que j’ai écrits, un seul paradoxe qui appartienne à la première classe.

Ce n’est pas ma faute si une opinion est souvent d’autant plus absurde, qu’elle a plus de partisans et qu’elle est plus généralement acceptée;

Si on ne dit la vérité sur un point qu’après avoir épuisé, sur ce même point, toutes les formes et toutes les transformations du mensonge.

Il n’y avait sur le soleil et la terre que deux opinions à émettre: la terre tourne ou le soleil tourne; est-ce ma faute si on a pendant tant de siècles choisi le soleil, et si ou a un peu brûlé ceux qui pensaient autrement?

image d’une guêpe Un Anglais vient d’exécuter d’une manière neuve et originale le vol de grand chemin. Il a volé le grand chemin même.

Le docteur Delawoy, propriétaire du château de Cambden-Town, avait une cour à faire paver. Il a fait enlever par ses gens les pavés de la grand’route, dont il s’est servi pour sa cour.

Eh bien! si j’étais juré, je n’oserais pas condamner cet homme, qui a fait la seule chose neuve qui se soit faite depuis longtemps.

image d’une guêpe Beaucoup de gens se trompent ou feignent de se tromper sur l’esprit français: ils croient les Français indépendants, ennemis de tout joug, de toute autorité; ils se trompent grossièrement. Le Français est vain et fanfaron; il aime à taquiner et à braver l’autorité, mais non à la renverser. Que diable taquinerait-il après? Il aime à faire des émeutes, et il est fort étonné lorsque, dans la bagarre, il a fait sans s’en douter une révolution au profit de quelques ambitieux. Une partie de l’amour si célèbre des Français pour leurs rois vient du plaisir qu’ils ont trouvé de tout temps à faire des chansons contre eux; c’est ce qui explique la faveur dont jouit tout homme qui a des démêlés avec la police. Les grands citoyens, les hommes dits éclairés, partagent ce sentiment, l’échauffent, l’exaltent, et finissent quelquefois par en faire quelque chose d’extrêmement saugrenu. Il est excellent pour la popularité d’un homme qu’il ait été un peu sur les bancs de la police correctionnelle. Cela s’appelle persécution ou martyre, selon les articles du Code qui l’ont prévu, et l’appellent autrement.

Dernièrement un cocher de cabriolet s’est trouvé en contravention: des agents de police ont dressé un procès-verbal. C’était, il faut l’avouer, attenter à la liberté du citoyen cocher auquel il plaisait d’être en contravention. Mais il faut dire aussi que la liberté du citoyen cocher pouvait attenter à la liberté des citoyens piétons auxquels il plairait de n’être pas écrasés. Le cocher battit les sergents de ville et en blessa un grièvement. Un procès s’ensuivit. Le cocher fut condamné à des frais, qui mangèrent son cheval et son cabriolet.

M. Laffitte intervint et fit présent audit cocher d’un autre cheval et d’un autre cabriolet.

image d’une guêpe On ne lit guère en France; mais en revanche tout le monde écrit. La littérature présente un peu en ce moment le triste aspect d’un théâtre sans spectateurs.

Ceux qui ne font ni romans ni pièces de théâtre trouvent moyen d’écrire encore sous prétexte de critiquer les ouvrages des autres.

Il y a des réputations fondées sur l’ennui, des écrivains qu’on aime mieux admirer que de les lire. Les anciens avaient déifié toutes les choses dont ils avaient peur: la fièvre, la mort, la peste. Les modernes ont déifié l’ennui, divinité mille fois plus puissante que la fièvre, la peste et la mort. On l’apaise par des sacrifices, et on lui brûle de l’encens.

C’est des choses ennuyeuses que se forme ce qu’on appelle la littérature sérieuse, la grande littérature que l’on ne lit pas. Il m’arrivera quelquefois de lui manquer de respect, et de m’exposer au reproche de sacrilége.

Les gens qui ont des bibliothèques achètent d’abord tous ces livres de grande littérature, et les enveloppent d’une reliure si riche, qu’on ne lit pas les livres de peur de les gâter; splendides tombeaux d’où les morts ne sortent pas! Puis ils ferment la bibliothèque et en cachent la clef, de crainte sans doute qu’il n’y revienne des esprits.

Puis ils s’abonnent à un cabinet de lecture, et lisent des futilités qui les font pleurer, ou rire ou rêver.

En général on ne lit que des romans, et on n’avoue guère que l’on en lit. Les gens graves disent d’un écrivain: «C’est dommage qu’il ne fasse que des romans. «O gens graves! mes bons amis, vous êtes bien drôles!

Que des romans! Pardon, gens graves; que reste-t-il, dans la tête et dans le cœur des hommes, des chefs-d’œuvre de l’esprit humain?

Qu’est-ce donc que l’Iliade, et l’Odyssée, et l’Énéide, et Gil Blas, et Don Quichotte, et Clarisse Harlowe, et la Nouvelle Héloïse, et Werther, et Quentin Durward, et Invanhoé? Qu’est-ce que tout cela, gens graves, mes amis?

Qu’est-ce que vous voulez donc qu’on lise? la Cuisinière bourgeoise? les dictionnaires? l’histoire peut-être? Ah! vous croyez à l’histoire, mes braves gens!

L’histoire est le récit des événements, quand elle n’est pas un conte; le roman est l’histoire éternelle du cœur humain. L’histoire vous parle des autres, le roman vous parle de vous.

Que des romans! Je sais bien qu’un ministre de l’instruction publique, qui n’est plus aux affaires, a dit ce mot comme vous.

Que des romans! Mais je le comprends d’un ministre; il pensait aux journaux. Les journaux renversent les ministères, tandis que les romans ne détruisent que la société.

Que des romans! savez-vous l’influence des romans? savez-vous combien l’Héloïse de Rousseau a dérangé de têtes? combien le Werther de Gœthe a causé de suicides? Et aujourd’hui, une femme habillant d’un style riche et pompeux les rêveries saint-simoniennes, savez-vous ce qu’elle a jeté de désordres dans le monde? Un président de cour royale me l’a dit: «Depuis le saint-simonisme et madame Sand, les demandes en séparation, qui n’étaient qu’un rare scandale, se sont augmentées de plus d’un tiers, et n’étonnent pas plus au Palais qu’une contravention aux ordonnances sur le balayage.»

Mais il n’y a pas de direction de l’instruction en France, parce qu’un ministre a bien assez à faire de s’occuper de rester ministre; on ne s’occupe ni de romans, ni du théâtre. O hommes graves! je disais tout à l’heure que vous êtes drôles! Hélas! il faut dire pis, vous êtes bêtes!

image d’une guêpe Il y a trois ans que l’Académie française n’avait perdu un de ses membres quand la mort est venue frapper M. Michaud. Un aussi long laps de temps ne s’était pas encore écoulé depuis l’origine de l’Académie. Les académiciens sont comme tout le monde, la foi les a abandonnés; ils ne croient plus à la postérité, ils essayent d’être immortels de leur vivant.

image d’une guêpe Le libraire Renduel a fait annoncer dans le journal la Presse:

LES CHATS DU CRÉPUSCULE,
Par M. Victor Hugo.

Nous pensons que c’est la même chose que les Chants du crépuscule déjà publiés.

image d’une guêpe Il y a en ce moment bien du scandale à la Comédie-Française; les femmes s’en emparent définitivement. Madame Ancelot y fait jouer de temps en temps un drame par mademoiselle Mars; madame Sand, un drame, la Haine dans l’amour, qu’elle a fait lire par un jeune avocat chevelu.

Madame de Girardin est arrivée la dernière avec l’École des journalistes.

PARENTHÈSE.—Il y a des femmes qui réclament la liberté et l’égalité des droits avec les hommes. Elles sont comme le héros de Corneille:

..... Monté sur le faite, il aspire à descendre.

Les femmes jusqu’ici ont tout fait en France, et les hommes n’ont jamais été que leurs éditeurs responsables. Si l’on écrivait l’histoire des véritables rois de France, Agnès Sorel, madame de Maintenon, madame de Pompadour, etc., y seraient représentées coiffées de la couronne des illustres amants qui furent rois sous le règne de ces dames.

Il n’y a pas eu en France une seule grande chose, bonne ou mauvaise en politique, en littérature, en art, qui n’ait été inspirée par une femme.

N’est-il pas plus beau d’inspirer des vers que d’en faire? Il me semble voir des divinités descendre de leurs niches pour arracher l’encensoir à leurs adorateurs.

Au moment où j’écris ceci, elles envahissent tout, elles s’emparent de tout. En vain les hommes protestent; ils sont obligés, pour garder encore une dernière différence, et pour se distinguer des femmes, de laisser croître leur barbe.

Autrefois nous avions les titres et les noms; les femmes, le pouvoir et les choses: constatons que ce sont elles qui veulent changer cela.

image d’une guêpe La comédie de madame de Girardin a été reçue à l’unanimité, avec acclamations, etc.; par suite de quoi il a été décidé qu’on ne la jouerait pas.

C’est ici qu’une autre comédie s’est jouée en dehors du théâtre, où on n’en joue guère, hélas!

Sous un gouvernement stable, les ambitieux et les gens en place n’ont à s’occuper que de peu de monde, du pouvoir actuel et du pouvoir futur, mais maintenant il faut s’occuper du gouvernement actuel et de tous les gouvernements possibles. On ne peut deviner qui sera au pouvoir demain; il faut donc faire la cour à tout le monde. Le seul ministre que l’on puisse négliger est le ministre qui est aux affaires, parce que, quel qu’il soit, il ne peut tarder à s’en aller.

Messieurs les comédiens ont cru voir dans la pièce de madame de Girardin une attaque contre M. Thiers.

Dans l’École des journalistes, il est question d’une calomnie répandue par un journal sur le compte d’un homme d’État. L’auteur défend et réhabilite son homme d’État.

Messieurs les comédiens ont remarqué que la calomnie dont s’est servie madame de Girardin est précisément la même chose qu’un bruit que certains journaux ont répandu, dans le temps, sur M. Thiers, avec des formes passablement inconvenantes.

L’auteur soutient qu’il n’a eu en vue, ni M. Thiers, ni personne; et d’ailleurs M. Thiers n’aurait qu’à se louer d’une semblable allusion, si elle existait, puisqu’elle donne comme une calomnie ce que d’autres ont pris soin de présenter comme une médisance.

Mais, si l’on se livre à un semblable système d’interprétations, il devient impossible de faire une ligne pour le théâtre: il est impossible de jouer une seule pièce même de l’ancien répertoire; on trouvera dans tout une allusion à quelque chose que l’on aura dit sur quelqu’un.

Ainsi, que l’on apporte à ces messieurs Rodogune, ils ne la laisseront pas jouer à cause de M. U.; Esther, il y a des Juifs, et que dira M. de Rothschild? Iphigénie, M.*** prendra pour lui la dureté d’Agamemnon; Harpagon, M. B*** prendra cela pour une personnalité; le Bourgeois gentilhomme, que dira M. D***? les Fâcheux, MM. Br***, C*** et A*** se fâcheront; la Comtesse d’Escarbagnas, toute la nouvelle cour entrera en fureur; et Sganarelle donc! Molière serait bien reçu, s’il venait représenter Sganarelle à ces messieurs: une personnalité offensante contre tout le monde! Ces messieurs refuseraient immédiatement l’autorisation, par égard pour MM. A***, F***, P***, d’U***, de B***, G***, L***, Q***, de V***, C***, H***, ***, de M***, R***, X***, D***, de Z***, de N***, S***, d’Y***, d’E***, J***, d’O***, de T***, d’I***, etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc, etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc.

Cherchez bien dans ces noms, et vous trouverez celui de quelqu’un de votre connaissance que messieurs les comédiens pourraient chagriner en permettant la représentation de Sganarelle.

image d’une guêpe On a repris au Théâtre-Italien la Cenerentola; les feuilletons ont repoussé leurs cris, leurs hurlements d’admiration, de l’année passée. Mais, pour la première fois, on a remarqué que la pantoufle de Cendrillon, si ravissante dans le conte de Perrault, a été remplacée dans le libretto par un bracelet: on a demandé pourquoi? Je vais le dire à ces messieurs.

Il y a une demi-heure chaque jour... c’est précisément celle où j’écris, il est une heure de l’après-midi; eh bien! en ce moment, dans toute la France, trois cent mille femmes se livrent à d’épouvantables tortures; il s’agit de renverser un axiome de géométrie: «Le contenant est plus grand que le contenu;» il s’agit de faire entrer de grands pieds dans de petits souliers. Les femmes de théâtre sont allées fort loin dans cet art; mais une pantoufle, une pantoufle qu’il faut perdre, une pantoufle qui doit s’échapper du pied, une pantoufle trop large, ne peut se prêter à un mensonge.

Les Italiennes n’ont pas les pieds fort petits; il n’est pas une prima donna qui n’eût retiré, de la pantoufle, du ridicule et de l’humiliation.

Je m’étonne qu’aucun vaudevilliste n’ait pensé à faire jouer le rôle de Cendrillon à mademoiselle Jenny Vertpré, qui a de si petits pieds. Est-ce que par hasard les vaudevillistes n’auraient pas autant d’esprit qu’on le croit à Saint-Pétersbourg?

image d’une guêpe Le daguerréotype... a beaucoup fait parler, beaucoup fait écrire.

Le procédé exploité par M. Daguerre a été découvert par M. Niepce, ainsi qu’en fait foi un traité passé entre MM. Niepce et Daguerre, le 14 décembre 1829. M. Niepce vivait à la campagne; un de ses parents parla de sa découverte à l’ingénieur Chevalier, qui en parla à M. Daguerre, qui alla voir M. Niepce.

D’après ce traité du 14 décembre 1829, il est dit que, en cas de décès de l’un des deux associés, la découverte ne pourra jamais être publiée que sous la raison Niepce et Daguerre.

M. Niepce est mort et la machine s’appelle Daguerréotype.

Le monde découvert par Christophe Colomb s’appelle bien Amérique.

image d’une guêpe Il faut constater ici une singularité remarquable. Un des journaux dits indépendants, s’étant permis quelques plaisanteries sur la découverte exploitée par M. Daguerre, il lui a été enjoint de ne pas continuer et de se repentir, attendu que tout journal indépendant doit respecter une chose dont M. Arago a fait l’éloge.

Il y a un an, M. Dantan, qui a fait la charge en plâtre de toutes les illustrations contemporaines, fit également celle du même M. Arago. Plusieurs apôtres de liberté allèrent trouver M. Dantan et l’obligèrent à briser son moule et à faire amende honorable.

M. Arago doit être bien fâché du rôle qu’on lui fait jouer, et, pour ma part, je le plains de tout mon cœur d’avoir des amis aussi acharnés contre lui.

image d’une guêpe Les dieux s’en vont, a dit un ancien. Je dirai quelque chose de plus triste: les femmes s’en vont.

S’il y avait une destinée belle et noble, c’était celle des femmes, telle qu’elle a été si longtemps en France.

Reines par la beauté et par l’amour, on les avait placées sur un piédestal si élevé, que les moins divines d’entre elles n’en osaient descendre dans la crainte de se rompre le cou.

Une grande, une sublime fiction avait établi que l’amour d’une femme ne s’obtenait que par la manifestation de tout ce qu’il y a de noble et d’héroïque dans la nature humaine.

Au courage, à l’honneur, à l’esprit, il fallait joindre la distinction et l’élégance.

Les hommes avaient fait les femmes si grandes, qu’il fallait devenir grand pour arriver jusqu’à elles.

Les petits hommes et les imbéciles, les natures communes et vulgaires ont changé tout cela.

Le goût des plaisirs faciles devait dominer à une époque où il y a une haine insatiable contre tout ce qui est grand et beau. Les hommes des meilleures familles, les hommes les plus faits pour le monde, se sont laissé entraîner. Autrefois ils avaient des danseuses, aujourd’hui ils sont eus par elles. Ils ont brûlé aux pieds de ces divinités impures un encens auquel elles n’étaient pas accoutumées. Les journalistes ont vanté la décence et la noblesse, les vertus et le bon ton des sauteuses qui se montrent, trois fois par semaines, toutes nues au public, et qui d’ailleurs ne peuvent avoir d’autres charmes que de n’avoir ni bon ton, ni vertus, ni décence.

Donnez à un grand poëte, à un roi, la vingtième partie des éloges que les journaux donnent tous les jours à des acrobates parfaitement maigres et parfaitement jaunes, et on vous accusera de camaraderie et de servilité, et on cassera vos vitres avec des pierres.

Les choses en sont arrivées à ce point, que si aujourd’hui—les exemples sont connus—si aujourd’hui une danseuse épouse un duc, cela s’appelle toujours, comme autrefois, une mésalliance; mais c’est la danseuse qui se mésallie. Tout le monde, en apprenant ce mariage, qui se fait à l’église, au chœur ou à la chapelle de la Vierge, s’écrie: «Quelle folie!» ne croyez pas que l’on veuille parler du duc: c’est la danseuse qui est folle, et qui fait une mauvaise affaire.

On en est venu à applaudir plus une chanteuse que le musicien, dont elle gâte la musique.

Qu’il paraisse un beau livre, aucun souverain ne s’en émeut. Depuis que le peuple sait lire, ce qui n’est peut-être pas un bien,—je crois que les rois ne le savent plus, ce qui, à coup sûr, est un mal; mais qu’une de ces diverses saltimbanques, que l’on paye pour gigoter sur les théâtres,

Et montrer aux quinquets, le soir, de maigres choses
Que personne, autre part, ne voudrait voir pour rien;

qu’une danseuse décolletée par en bas jusqu’à la hauteur où les autres femmes se décolletent par en haut, s’avise de faire trois pirouettes devant un roi, il fait complimenter la funambule, demande la permission de se présenter dans sa loge, et lui offre, non pas de l’argent, mais un souvenir. La reine d’Angleterre détache un bracelet de son bras et la prie de l’accepter.

Aujourd’hui, les femmes de tout Paris qui ont le plus de succès, qui le soir sont le plus entourées de beaux et de gants jaunes, sont les sauteuses du Cirque-Olympique.

Houp-là, houp, dia, hu, ho; houp-là, houp.

image d’une guêpe PARENTHÈSE A PROPOS DES GANTS JAUNES.—Il n’y a plus de grands noms, de grandes familles, d’illustration personnelle aujourd’hui, pour une certaine classe d’individus; on ne distingue plus les hommes que par la couleur de leurs gants.

Les gants jaune paille, car il faut bien les préciser pour la postérité, du prix de deux francs cinquante centimes, remplacent tout ce que nous venons de dire, et, en outre, l’esprit, la distinction, les bonnes manières, etc., etc.

Il faudrait ne pas avoir deux francs cinquante centimes dans sa poche pour s’en priver.

L’ancienne aristocratie, l’aristocratie de race, avait de belles mains; celle qui surgit sur les débris de l’ancienne se contente d’avoir de beaux gants, qui servent à cacher des mains vulgaires. On pourrait lui dire, comme Lafontaine à son loup:

Montrez-moi patte blanche.

image d’une guêpe Et, il faut l’avouer, les femmes n’ont pas su défendre leur belle couronne menacée. Elles n’ont pas eu la dignité des sénateurs romains, qui, voyant Rome livrée aux Gaulois, au fer et à la flamme, se drapèrent dans leur toge et restèrent assis sur leur chaise curule, calmes, grands, impassibles, et faisant hésiter la mort et les barbares.

Les unes, et c’est le plus grand nombre, ont fait des concessions et des lâchetés; elles ont permis aux hommes tout le sans-façon qu’elles ont cru être le charme de leurs rivales des théâtres, elles ont toléré qu’on vînt dans un salon:

En cravate noire,

En bottes,

En redingote;

Elles se sont accoutumées à l’odeur du cigare.

Hélas!

Quos vult perdere Jupiter dementat.

Jupiter aveugle ceux dont il a résolu la perte.

image d’une guêpe Elles auraient dû consulter M. Moëssard, acteur et régisseur du théâtre de la porte Saint-Martin.

Harel, son directeur, abusait un peu de sa longanimité:

«Mon petit Moëssard, disait-il à son pensionnaire, qui est gros comme une tonne, vous me ferez bien encore cette concession?»

M. Moëssard recula d’un pas, rejeta sa bonne grosse tête rouge en arrière, mit sa main droite dans son gilet et dit: «Monsieur Harel, c’est de concessions en concessions que Louis XVI est monté sur l’échafaud.»

Elles ont vu de ce temps tout ce qui arrive aux royautés qui se popularisent.

Sans parler de Sylla qui, après avoir abdiqué, fut poursuivi d’injures et de pierres.

image d’une guêpe D’autres sont entrées dans la lice avec les acrobates; elles ont cherché tous les moyens de paraître en public, de monter sur les planches, d’être applaudies. Elles ont reçu des actrices chez elles et ont chanté avec elles; elles ont chanté devant un public payant, sur les théâtres, sous prétexte de bienfaisance; elles ont vendu publiquement dans des bazars, et ont chanté gratis à Notre-Dame-de-Lorette, sous prétexte de piété.

La piété et la bienfaisance sont les deux vertus les plus complaisantes et les plus commodes qu’on puisse imaginer.

Voici mon volume fini, mes chers lecteurs;—adieu jusqu’au 1er décembre.


Décembre 1839.

L’auteur à ses guêpes.—M. de Cormenin.—M. Duchâtel et ses chevaux.—Les fous du peuple.—M. Cauchois-Lemaire.—Une phrase de Me Berryer.—Le roi de France doit-il payer les dettes du duc d’Orléans?—Quatrain.—M. Chambolle.—M. Garnier-Pagès.—Les pharaons et les crocodiles.—M. Persil.—M. Etienne.—M. Viennet.—M. Rossi, citoyen du monde.—M. Etienne fils.—M. Persil fils.—Les hommes de lettres du château.—M. Cuvillier-Fleury.—M. Delatour.—M. Vatout.—M. Pépin.—M. Baudoin.—Histoire de Bleu-de-Ciel et de M. Baudoin.—Les journalistes vendus.—Dîner chez Plougoulm.—Les philanthropes.—Madame de Dino.—M. Casimir Delavigne.—La nichée des Delavigne et la couvée des de Wailly.—L’Académie.—M. de Balzac.—Un soufflet.—Un mari et le télégraphe.—Un distique.—Me Dupin et ses discours obscènes.—La comédie de madame de Girardin.—M. Cavé.—Madame Sand.—M. de Waleski.—Les hommes vertueux.—La tribune.—Un jour néfaste.—MM. Léon Pillet, L. Faucher, Taschereau, Véron, Émile Deschamps.—Règne de M. Thiers.—M. Dosne.—Madame Dosne.—Madame Thiers.—La symphonie de M. Berlioz.—Épilogue.

L’AUTEUR.—A moi mes guêpes, à moi mon rapide escadron! A moi mes guêpes, à moi! sonnez la charge en bourdonnant.

Vous avez fait voir le dernier mois combien vous êtes dociles et bien dressées; vous avez défilé en ordre de bataille sous les yeux de la foule; vous avez fait reluire au soleil vos cuirasses de topaze; mais vous n’avez que montré vos aiguillons encore vierges. Allons mes guêpes, en avant!

Déjà, votre bourdonnement fait tinter les oreilles de bien des gens; déjà quelques journaux de province, qui se font faire à Paris, sous prétexte de décentralisation, vous ont adressé de timides injures, signées de ces vagues et prudentes initiales qui ne sont le commencement d’aucun nom.

Déjà les amis de votre maître se sont armés contre lui d’une hypocrite bienveillance, et sont allés disant: «Ce pauvre Alphonse, c’est bien dommage! Il ne continuera pas l’ouvrage commencé; quand le printemps exhalera le parfum du jeune feuillage; quand les ajoncs en fleurs couvriront d’un drap d’or les côtes de la Normandie qu’il aime tant; quand les plaines de la Bretagne seront toutes roses de bruyères, il disparaîtra avec son fusil de chasse, et ses guêpes resteront errantes et vagabondes à se rouler dans les fleurs blanches des cerisiers de son jardin.»

Hélas! mes bons amis, pardonnez-moi si je dissipe cette agréable inquiétude, si je vous console de ce chagrin que vous n’avez pas. Mes guêpes me suivront partout, et de partout elles reviendront à Paris; à Paris, ce grand bazar où l’on vient de tous les points vendre et acheter, où l’on vend, où l’on achète tout, même les choses qui ne devraient ni s’acheter ni se vendre. A Paris, ce gouffre où chaque jour entrent pêle-mêle, par toutes ses issues, par toutes ses barrières, du lait, des bestiaux, des légumes et des poëtes, qu’il dévore en un instant. Chaque mois, mes guêpes reviendront à Paris avec le vent qui vous apportera, de la Provence, l’odeur des premiers orangers, avec le vent d’ouest, qui vous amènera de l’Océan les nuages noirs pleins d’éclairs et de tonnerres. Elles pénétreront dans le château et dans les riches salons, dans les tavernes et dans les mansardes obscurcies par la fumée du tabac, et elles piqueront les peaux les plus dures, les cuirs les plus coriaces, et elles reviendront à moi, comme des faucons bien dressés sur le poing du chasseur.

Beaucoup ont critiqué le format de mes petits livres. Je réponds que je ne les écris pas pour qu’ils soient enfermés cérémonieusement dans une bibliothèque; je veux qu’on les mette dans sa poche, que l’employé les porte à son bureau, le député à la Chambre, le juge au Palais, l’étudiant au cours; et je tiens à dissimuler le plus possible tout ce qu’ils ont de sérieux; je serai trop heureux de me faire pardonner d’amuser les gens; je ne veux pas qu’on s’aperçoive que je les fais aussi penser.

(GU) Ceux qui ont déclaré le peuple souverain ont entouré sa nouvelle majesté de tous les attributs des anciennes royautés détruites. Ils ont pris soin surtout de rétablir une charge importante, depuis longtemps déjà tombée en désuétude, ils se sont rappelé Triboulet et l’Angeli; et, pour que le peuple souverain n’eût rien à envier aux rois qui l’ont précédé, ils se sont faits eux-mêmes les fous du peuple.

image d’une guêpe Il y a de par le monde un homme d’esprit et de sens qui s’est fait créer vicomte par la Restauration. Cet homme n’était pas d’une noblesse assez ancienne ni assez illustre pour prendre rang parmi les nobles; il n’était que bien juste assez vicomte pour faire croire aux gens du parti populaire qu’il leur sacrifiait quelque chose. Semblable à ce philosophe ancien, qui mettait à part les taureaux maigres en disant: «C’est assez bon pour les dieux.»

M. de Cormenin s’était jusqu’ici distingué par le style, le sens et l’esprit de ses ouvrages. Il paraît qu’on a exigé de lui qu’il déposât sur l’autel de la patrie, avec son titre de vicomte, le style, l’esprit et le bon sens qu’il avait.

Il ne faut que quelques grelots au bonnet de la liberté pour en faire le bonnet de la folie.

image d’une guêpe Voici ce qu’a écrit M. le vicomte de Cormenin dans l’Almanach populaire pour 1840:

«Le budget est un livre qui pétrit les larmes et les sueurs du peuple pour en tirer de l’or

Cette phrase a le malheur de ressembler beaucoup à une phrase célèbre de M. Berryer, qui se présente en ce moment comme candidat à l’Académie. «C’est proscrire les véritables bases du lien social.»

Ou à ce langage grotesquement figuré, qui fit pendant longtemps la fortune de l’ancien Constitutionnel: «L’égide de la raison peut seule retenir le char de l’État, ballotté par une mer orageuse.»

M. de Cormenin croit peut-être devoir faire à l’égard du peuple, pour se faire mieux comprendre de lui, ce que font les nourrices pour les enfants, quand, imitant leur langage et leur bégayement, elles leur disent: «Si Popol est saze, il aula du tateau.»

Nous dirons à M. de Cormenin que le peuple fait des fautes de grammaire, mais ne fait pas de fautes de logique et de bon sens, à moins qu’on ne les lui ait apprises par des publications dans le genre de cette dernière publication de M. de Cormenin.

Que la phrase que nous venons de citer n’est pas une faute de français seulement, mais qu’elle serait une faute dans toutes les langues, sans en excepter la langue chinoise, parce que c’est une absurdité.

Tous les grammairiens et tous les orateurs, Longin, Quintilien, Vaugelas, Dumarsais, l’Académie et la raison, disent qu’une figure doit être suivie et se pouvoir traduire sur la toile.

Or, il serait, ce me semble, difficile de peindre un livre qui tord;

Et qui tord des larmes;

Et des larmes dont on extrait de l’or.

Tout aussi bien que la base d’un lien;

Et une base qu’on proscrit.

C’est une chose que tout le monde sait, jusqu’aux critiques du Journal du Commerce.

Mais ceci n’est rien; continuons:

«Un livre qui chamarre d’or et de soie les manteaux des ministres, qui nourrit leurs coursiers fringants, et tapisse de coussins moelleux leurs boudoirs.»

Ah! les ministres ont donc des manteaux chamarrés d’or et de soie? On apprend tous les jours: d’honneur, je l’ignorais jusqu’ici. On m’a montré dans le temps M. Perrier, qui avait un habit noir fort simple; M. Laffitte, qui avait un habit bleu à boutons de cuivre; M. Thiers, en habit noir, ou œil de corbeau. Qui diable a donc des manteaux chamarrés d’or et de soie? Ce n’est pas M. Cunin-Gridaine, que je sache; je l’ai aperçu à l’exposition des produits de l’industrie avec un habit noir. M. Schneider porte une redingote vert russe. Est-ce donc M. Duchatel? Mais non, M. Duchatel est d’ordinaire assez mesquinement vêtu. C’est dommage, du reste, car avec son ventre rondelet qui semble un ventre postiche, le manteau chamarré d’or et de soie sur l’épaule, comme Almavina, lui irait à ravir. Tout bien considéré, il paraît que les ministres n’ont pas de manteaux chamarrés d’or et de soie.

Alors pourquoi M. de Cormenin le dit-il, et le dit-il au peuple? que signifie alors la phrase de M. de Cormenin? Est-ce pour faire croire que, dans son incorruptibilité plus que sauvage, il n’a jamais vu de ministres? Pardon, monsieur, vous avez au moins vu ceux de la Restauration, quand vous leur demandiez avec tant d’instances qu’on érigeât en vicomté certain pigeonnier que vous savez.

image d’une guêpe Continuons:

Ah! j’oubliais les coursiers fringants et les boudoirs des ministres. Qui est-ce qui a vu les coursiers fringants de M. Duchatel? Les pauvres coursiers! eux fringants! Flatteur de M. de Cormenin! comme il prodigue aux chevaux des adulations dont il est si avare pour les rois! fringants! les coursiers de M. Duchatel! D’honneur, le mot est joli, et je voudrais l’avoir dit. Deux bêtes percheronnes communes à faire peur, qui se sont couronnées, comme les rois sont couronnés aujourd’hui, en se mettant à genoux.

Je parle des chevaux de M. Duchatel, parce que les autres ministres n’en ont pas, et louent des urbaines au mois.

Et les boudoirs tapissés de coussins moelleux! Je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de boudoirs dans les ministères. Toujours est-il que le grand salon du ministère de l’intérieur, entre autres, est couvert d’un vieux tapis à rosaces qui date de l’Empire, et meublé d’un vieux meuble du même âge, d’un vieux meuble en soie verte éraillée, usée, déchirée, qu’aucun ministre n’a osé remplacer jusqu’ici.

image d’une guêpe PARENTHÈSE.—Dernièrement M. Duchatel, chez lui, avait, avec un homme de quelque importance, une conversation sérieuse sur des questions politiques d’un haut intérêt. Il était distrait et perplexe, et ne pouvait détourner ses yeux d’un certain fauteuil. Tout à coup, cédant à l’impatience, il laissa son interlocuteur au milieu d’une phrase commencée, et se précipita sur un cordon de sonnette.

Un domestique parut.

—Qui a jeté de la bougie sur ce fauteuil? demande le ministre. Il faut enlever la tache de suite.

Le domestique se mit en devoir d’obéir, et ce n’est que lorsqu’il eut exécuté l’ordre que M. Duchatel revint à sa conversation.

image d’une guêpe M. de Cormenin ajoute que le budget est encore «un livre qui paillette les habits des ambassadeurs.»

Cette fois, voilà qui mérite d’être examiné sérieusement: comment! on fait représenter les Français à l’étranger par des messieurs couverts d’habits pailletés! Eh bien! cela doit être joli et ne peut manquer de donner une bonne opinion de la nation. Il est vrai que l’on est quelquefois représenté à la Chambre par d’autres messieurs étrangement vêtus. Mais cela se passe en famille, tandis qu’à l’étranger, cela cesse d’être drôle, à moins cependant que les ambassadeurs n’aient pas plus d’habits pailletés que les ministres n’ont de manteaux chamarrés d’or et de soie.

image d’une guêpe Avec des prémisses de cette force, M. de Cormenin devait arriver à des résultats d’une haute bouffonnerie. Il n’y a pas manqué. Il dit au peuple que le budget ne doit pas exister, que c’est un abus, un préjugé.

Ne serait-il pas, ô monsieur de Cormenin! plus vrai, plus raisonnable et plus honnête à la fois de dire au peuple que les impôts, sous beaucoup de rapports, sont mal perçus et mal dépensés; qu’il faudrait d’abord s’occuper de la répartition, c’est-à-dire dégrever les choses de première nécessité, et imposer davantage le luxe; mais qu’ensuite, dans un pays riche comme la France, les bons esprits, les esprits justes, réellement désireux de la prospérité publique et du bien-être général, doivent demander, non pas combien on dépense d’argent, mais comment on le dépense?

image d’une guêpe Pas de budget, monsieur de Cormenin! c’est-à-dire pas d’impôts, c’est-à-dire pas d’administration, pas d’armée, pas de travaux, pas de pavés, pas de lanternes, pas de réparations aux anciens édifices, pas d’hôpitaux, pas de lois, pas de magistrats, pas de propriété, pas de sécurité dans les rues ni dans les maisons, aucune répression pour le crime, aucun asile pour la faiblesse. C’est donc là ce que vous voulez, monsieur Cormenin? Je vous en fais mon sincère compliment. Pas d’impôts, c’est une idée remarquable, et que l’on n’avait pas encore émise aussi clairement. Qu’est-ce que l’on reprochait donc à l’opposition, de n’avoir pas de doctrine et de n’avoir rien à mettre à la place de ce qu’elle s’efforce de renverser? pas d’impôts!

Il est triste de voir un homme d’autant de sens et d’esprit que M. de Cormenin devenir ainsi de la force de M. Cauchois-Lemaire.

image d’une guêpe Ce pauvre Cauchois-Lemaire écrit, il faut le dire, d’une façon merveilleusement biscornue. Mais il est honteux cependant qu’on ne lui ait pas fait une position honorable. M. Cauchois-Lemaire s’est sacrifié maladroitement, sous la Restauration, aux intérêts de la famille d’Orléans, qui n’était pas encore une dynastie.

Un duc d’Orléans devenu roi, à une autre époque, sous le nom de Louis XII, répondit à des courtisans qui lui rappelaient certaines malveillances dont il avait eu à se plaindre avant de monter sur le trône: «Le roi de France ne venge pas les injures du duc d’Orléans.»

On doit blâmer les courtisans de S. M. Louis-Philippe, qui lui donneront dans l’histoire l’air d’avoir parodié ce mot célèbre, et d’avoir pensé que «le roi de France ne devait pas payer les dettes du duc d’Orléans.»

image d’une guêpe On commence à épousseter les banquettes de la Chambre des députés et à reclouer le tapis. Il y a quelques jours, on a trouvé sur le piédestal du Laocoon de bronze qui décore la salle des Pas-Perdus du Palais-Bourbon ces quatre vers écrits à la craie:

Chacun, dans ce héros troyen
Qui vainement roidit ses membres,
Reconnaît le roi-citoyen,
Et, dans les serpents, les deux Chambres.

image d’une guêpe En attendant l’ouverture de la session, M. Chambolle, député, a été rencontré promenant au Jardin des Plantes la famille de M. Thiers, et se servant de sa médaille de député pour faire pénétrer ces dames dans la rotonde de la girafe et des éléphants, ainsi que dans le palais d’hiver des singes, où le public n’est pas admis.

image d’une guêpe M. Garnier-Pagès préfère la promenade des Tuileries, où il porte toujours l’air et le costume d’un croque-mort allant s’enterrer lui-même. Nous l’y avons rencontré un jour de soleil. Il donnait le bras à un gros petit homme sur lequel il s’inclinait négligemment en disant: «Ce qui nous ennuie surtout, ce sont les gens de Barrot,—ou de barreau.»

image d’une guêpe A mesure qu’on démolit la pairie, on lui bâtit un palais plus vaste et plus magnifique.

Ces masses de pierre ne sont-elles pas un sépulcre semblable aux pyramides d’Égypte, et chaque membre de la Chambre, autrefois héréditaire, n’est-il pas un Pharaon dont on veut faire une momie?

Et MM. Persil, Viennet, Rossi, Etienne, etc., que l’on y enterre avec les pairs, ne font-ils pas merveilleusement l’effet des chats, des ibis, des ichneumons et des crocodiles, que l’on retrouve dans les tombeaux des rois d’Égypte, côte à côte avec ces majestés embaumées?

image d’une guêpe La Chambre des pairs, qui ne peut plus se recruter par l’hérédité, se recrute chaque année par le bon plaisir. Et voici de quel bois le bon plaisir fait des pairs de France:

Il met à la Chambre des pairs, d’abord ses députés avariés, usés, vermoulus, dont les colléges électoraux ne veulent plus à aucun prix. Exemple: M. Viennet, qui n’a pu se faire réélire. Ensuite les députés qui le gênent à la Chambre. Exemple: M. Étienne, qui rédigea la dernière adresse, en qualité de grand écrivain: hélas!

Et enfin ses favoris qui ne payent pas le cens nécessaire pour la députation. Exemple: M. Rossi.

image d’une guêpe C’est par haine de l’aristocratie que l’on a détruit la pairie; mais on n’a pas remarqué que l’on n’a fait que transporter l’aristocratie dans la Chambre des députés, aristocratie de boutiquiers au lieu d’une aristocratie de grands seigneurs.

Il ne manquait à la Chambre basse, pour hériter tout à fait de la Chambre haute, que l’hérédité, et la voilà qui s’en empare. M. Persil a fait nommer à sa place son fils à Condom, et M. Étienne fils s’est présenté dans le département de la Meuse.

Ces héritages ouverts, celui de la pairie dont la Chambre des députés est légataire, et celui des nouveaux pairs Étienne et Persil auxquels succèdent leurs fils, affirment combien nous avions raison tout à l’heure en disant que le palais du Luxembourg est une pyramide et un tombeau.

HISTOIRE DE M. ROSSI, CITOYEN DU MONDE.—M. Rossi est né dans le duché de Massa, sous la domination de l’archiduchesse Marie-Béatrice, c’est-à-dire que M. Rossi commença par être AUTRICHIEN.

En 1808, un sénatus-consulte du 24 mai le fit FRANÇAIS, en réunissant à l’empire tous les États de la maison d’Autriche en Italie, et en enclavant Massa dans un département français.

M. Rossi, qui n’avait pas fait exprès de naître Autrichien ni de devenir Français, sentit le besoin de choisir une patrie; il quitta les départements réunis pour passer au service d’Italie. Il fit les déclarations et les démarches nécessaires pour être naturalisé ITALIEN, et se fit inscrire en qualité d’avocat près les cours italiennes de Milan et de Bologne. Ce fut à Bologne qu’il fixa sa résidence.

En 1814, Bologne fut réclamé par le pape. Mais M. Rossi ne tarda pas à aller joindre Murat. Murat exigeait des Italiens qui passaient dans ses rangs qu’ils abjurassent leur patrie et se fissent naturaliser Napolitains. M. Rossi n’hésita pas à se faire NAPOLITAIN. Ce fut lui qui, avec M. Salfi, fut chargé d’appeler toute l’Italie à un soulèvement contre la domination étrangère.

Après la chute de Murat, M. Rossi quitta l’Italie et passa en Suisse. Là, il publia une brochure dans laquelle il disait: qu’il n’avait été et ne serait jamais qu’ITALIEN.

Il fixa sa résidence à Genève, y épousa une femme genevoise, et se fit naturaliser GENEVOIS vers 1820. Il entra même dans les conseils de la République.

En 1830, voyant une révolution en France, une révolution en Belgique, un soulèvement en Pologne et un en Italie, M. Rossi prit ses mesures pour redevenir Italien en cas de succès; mais, la révolution italienne ayant échoué, il fut Genevois plus que jamais, et fut membre du conseil d’une constitution fédérale qui embrouilla tellement la question, qu’on y renonça.

Une patrie peut venir tout à coup à manquer, il est bon d’en avoir toujours une ou deux de réserve.

M. Rossi avait connu M. de Broglie à Coppet; il avait secondé la politique de la France; ce fut même son rapport sur les affaires suisses, au moment de la révolte des petits cantons, que M. de Broglie fit lithographier pour le communiquer à tous les ministres de France à l’étranger, comme l’exposé de la manière de voir du cabinet français.

M. Rossi était si mauvais Suisse, comme vous voyez, qu’il n’avait presque rien à faire pour devenir Français. M. de Broglie et M. Guizot l’appelèrent en France et lui donnèrent une chaire de droit constitutionnel français. D’abord les élèves s’obstinèrent; une ordonnance rendit les cours de M. Rossi obligatoires pour les examens de droit. Les élèves alors s’y précipitèrent en foule, mais pour tout casser, pour chanter la Marseillaise, et jeter au professeur des pommes cuites et autres. La gendarmerie s’en mêla. Puis, comme tout s’oublie en France assez promptement, la science réelle du professeur triompha des plus rebelles, et son cours est fort suivi. M. Rossi s’est fait naturaliser FRANÇAIS, et il fait partie de la dernière fournée de pairs.

M. Guizot disait hier à quelqu’un: «Voyez Rossi; il s’est confié à moi, et voilà où je l’ai conduit en trois ans.»

Pour M. Rossi, après avoir été tour à tour AUTRICHIEN par hasard, FRANÇAIS par accident, ITALIEN par étourderie, PAPALIN momentanément, NAPOLITAIN par humeur guerrière, et GENEVOIS par amour, il est aujourd’hui et définitivement FRANÇAIS par raison.

«En effet, dit-il, la véritable patrie est le pays où l’on a une bonne chaire à l’Institut, de bons appointements, de bonnes dignités. J’ai essayé de tous les pays, et, comparaison faite, j’en reviens à la France; les autres Français sont Français par hasard, peut-être malgré eux; moi, je le suis par choix et après un mûr examen.»

image d’une guêpe La cour de Goritz s’amuse aux jeux innocents; en voici un qui a eu beaucoup de succès. On prend la date de diverses époques et on en tire des conséquences.

Ainsi, en additionnant les chiffres qui forment la date de la révolution de 1789, on trouve pour total 25 ans, durée de ladite révolution.

1815 donne pour total 15, ce qui est précisément le nombre d’années qu’a duré la Restauration.

1830, à son tour, date de la révolution de juillet, donne 12 ans; ce qui serait, d’après cet enfantillage, la limite imposée au gouvernement de Louis-Philippe. Et on se réjouit fort là-bas en pensant que nous allons commencer la dixième année.

image d’une guêpe M. Viennet recevait à l’Opéra les félicitations de ses nombreux amis sur sa nomination à la pairie. «Eh! mon Dieu, dit-il, je descendais de la diligence d’Arpajon, je vais chez moi, mon portier m’apprend que je suis nommé pair de France.

—C’est une faveur méritée..., et vous devez en être heureux.

—Oui... oui... mais une chose m’étonne... Je n’ai vu dans la liste que trois gentilshommes, Larochefoucault, Lusignan et moi.

—Vous?

—Moi... Ignorez-vous donc que je descends des rois d’Aragon?

—Mais qu’est-ce que vous nous disiez donc alors, que vous descendiez de la diligence d’Arpajon?»

image d’une guêpe Depuis quelques jours, les journaux ministériels sont remplis entièrement des discours qu’adressent au duc d’Orléans les maires, préfets et autres dignitaires des villes qu’il a à traverser, et des réponses qu’il est obligé de leur faire. On comprend tout le plaisir que trouvent à discourir de pauvres autorités qui n’en ont pas souvent l’occasion, et l’intérêt tout de localité que peuvent avoir les discours du prince.

Mais ce sont là de ces nécessités fâcheuses que l’on devrait dissimuler. Loin de là, les journaux du gouvernement abusent de cette rédaction gratuite pour faire de notables économies sur les fonds qui leur sont alloués, et donnent aux discours de S.A.R. une dangereuse publicité.

En effet, l’improvisation admet avec une certaine grâce des négligences de style que le prince eût facilement évitées dans des discours destinés à l’impression. En outre, il est impossible que, dans cent et quelques discours qu’il a prononcés depuis son départ, il n’ait quelquefois revêtu des mêmes couleurs des pensées qui doivent être toujours les mêmes.

Cela a d’abord l’inconvénient de détruire tout l’effet de ces discours sur les localités qui les ont accueillis avec joie. Si les habitants de Marseille ont été flattés de s’entendre dire par le prince royal qu’il éprouvait un plaisir tout particulier à se voir au milieu d’eux, leur satisfaction a dû se modérer beaucoup en apprenant par les journaux que S.A.R. a éprouvé un plaisir non moins particulier à se voir au milieu des habitants de Lyon, et un autre plaisir tout aussi particulier à se voir au milieu des habitants de Châlons.

En un mot, que le compliment qui les avait flattés par son exception est un compliment banal, et que le prince est particulièrement flatté de se voir n’importe où.

Le second inconvénient est la mauvaise humeur que donnent aux lecteurs de journaux ces discours qui, outre les désavantages que nous venons de signaler, ont celui d’entraîner avec eux les discours auxquels ils répondent. Bien des gens déjà attribuent injustement à S.A.R. l’ennui que les journaux leur donnent, et on ne saurait croire à quel point il serait dangereux de faire passer l’héritier du trône pour un être ennuyeux.

Une autre maladresse des journaux ministériels est de se réjouir avec fracas des justes témoignages de respect que reçoit le prince sur sa route. Ceci est d’une humilité extrêmement grotesque. Un journal est allé jusqu’à dire: «A Marseille personne n’a insulté le prince.»

On pouvait donc l’insulter? Il est désagréable de recevoir de tels pavés de la part de gens qui ont épousé les intérêts du trône de juillet, et qui ne les ont pas épousés sans dot.

Je ne sais cependant si je dois plaindre le gouvernement des mauvais offices que lui rend sa littérature. Le gouvernement ne comprend rien à la presse, et un gouvernement n’a pas le droit de manquer d’intelligence. Fondé par la presse sur les ruines d’un autre pouvoir détruit par la presse; tous les jours remis en question par elle, il n’a pas su s’allier franchement. Il a fait deux parts des écrivains: il a acheté tous ceux qui étaient à vendre au rabais, tous les gens sans talent, sans influence, sans esprit. Et, appuyé sur eux, il a audacieusement déclaré la guerre aux autres, en les écartant avec obstination de toutes les positions honorables. Et il a mis les amis qu’il s’est choisis aux prises avec les ennemis qu’il s’est faits. Et encore, cette influence, que ses amis, ou plutôt ses domestiques littéraires, ne possèdent pas par leur talent ni par leur caractère, il n’a pas su la leur faire ni par l’argent ni par aucune illustration.

Je connais un de ces pauvres diables, qui, ne trouvant ni énergie dans son cœur, ni esprit dans sa tête, n’avait à donner que du dévouement: eh bien! il s’est franchement dévoué; il a été insulté par l’opposition, et il a subi, sans murmurer, les injures et les dédains; il s’est prêté à toutes les exigences, à tous les services qu’on lui demandait. Eh bien, il vivait misérablement, à peine vêtu, cachant un linge absent par l’épanouissement fallacieux des bouts de sa cravate; remplaçant un manteau par la rapidité de sa course dans les rues. Et ce pauvre diable était fier avec ses amis qui soupçonnaient son indigence; si on lui offrait à dîner, il refusait: il était invité à dîner chez Plougoulm. Et ces jours-là, on était sûr de le voir, à l’heure où l’on dîne chez M. Plougoulm, se promener dans les galeries de l’Opéra, nourrissant son esprit, faute de pouvoir nourrir son corps, de l’espoir d’une large croix d’honneur, qu’il vient enfin d’obtenir pour seule récompense, après dix ans de misères et de dévouement. Et ses amis avaient fait de cela un proverbe; et encore aujourd’hui ils appellent, en plaisantant, dîner chez Plougoulm, ne pas dîner du tout.

Une autre fois, il devait aller dîner avec quelques-uns d’entre eux au faubourg Poissonnière. Ils étaient à la Madeleine; on prend un omnibus. L’homme vendu au pouvoir répugne à l’idée de l’omnibus. Il n’a pas les six sous nécessaires, et il ne veut pas avouer sa triste situation.

—Montez en omnibus, dit-il à ses amis, moi, je vais prendre un cabriolet; j’ai une autre course à faire, j’arriverai en même temps que vous.

Les amis montent dans l’omnibus, les chevaux partent au trot et suivent la ligne du boulevard. En passant devant la rue Caumartin, un d’eux fait un mouvement de surprise:

—Qu’avez-vous?

—Il m’a semblé reconnaître P*** qui passait comme un trait à l’autre bout de la rue.

—Pas possible!

A ce moment on était à la rue du Mont-Blanc.

—Tenez, voyez là-bas! c’est bien lui! il court comme un cerf. On ne le voit plus.

En effet, le malheureux suivait un chemin parallèle au boulevard. On le vit encore traverser presque d’un seul bond la rue du Helder, la rue Taitbout, la rue Laffitte, la rue Pelletier, etc., et il arriva trempé de sueur et couvert de boue.

Le journaliste indépendant, au contraire, celui qui méprise l’or du pouvoir, dîne au café de Paris, soupe au café Anglais, et fait donner à ses parents et à ses amis des perceptions, des bureaux de poste et de tabac, comme s’il en pleuvait. L’indépendance, pour beaucoup, n’est qu’une plus habile exploitation de la servilité. C’est ainsi que sur terre se trouvent réalisées ces paroles de l’Écriture, qui m’ont très-singulièrement choqué: «Il y a plus de joie au ciel pour un pécheur qui se repent que pour dix justes qui restent dans la bonne voie.» Seulement, les pécheurs politiques, pour ne pas perdre le bénéfice de leur position, ont soin, quand ils reçoivent le prix de leur marchandise, de ne la point livrer aux acheteurs.

image d’une guêpe Certes, un gouvernement bien organisé devrait être l’assemblage de toutes les royautés intellectuelles qui possèdent aujourd’hui la France et la gouvernent avec plus ou moins d’incertitude. J’entends par ces royautés, ces influences diverses que se font le talent et la puissance morale. Tel écrivain règne par la pensée sur dix ou douze milliers d’hommes, que le pouvoir semble compter pour rien, tandis qu’il devrait avoir cet homme, non pas à lui, mais avec lui; non pas par la corruption, mais par une honorable alliance. Mais les choses sont faites de telle façon, qu’à force de voir les hommes puissants et intelligents en dehors du gouvernement, à force de voir que la littérature reconnue, avouée par le château et les divers ministères qui se suivent et se ressemblent, ne se compose que de gens sans talent, sans influence, sans portée, le public en est venu à considérer comme une honte et un opprobre de consacrer sa plume au soutien du pouvoir; que l’homme d’ordre, de bon sens et de bonne foi, a besoin de tout le courage des anciennes républiques pour ne pas insulter le roi, et qu’il lui faut laborieusement donner des raisons excellentes de la position qu’il a prise, raisons qu’on n’écoute guère, tandis que, en bonne logique, ce serait aux ennemis du gouvernement à se justifier.

image d’une guêpe La littérature du château se compose de M. Casimir Delavigne, de M. Cuvillier-Fleury, de M. de Latour, de M. A. Pépin. Je passe sous silence un homme d’esprit, un écrivain correct, qui paraît ne se mêler de rien ou n’être guère écouté.

La littérature des ministères se compose de MM. de Wailly, Cavé, Bertin, Mévil, Baudoin, Perrot.

A voir ces choix, il semble que la cour et les ministres n’aient autour d’eux des écrivains que comme les Spartiates avaient des esclaves qu’ils faisaient enivrer, pour montrer à leurs enfants la laideur de l’intempérance.

Voyons un peu quels services ces messieurs rendent au château et aux ministères.

M. Cuvillier-Fleury fait de temps à autre, dans le Journal des Débats, un article pâteux qui attire plusieurs avanies au pouvoir de la part des journaux de l’opposition; puis il écrit à ces journaux que ce qu’il dit n’est pas l’opinion du château et qu’il est indépendant. On voudrait savoir ce que c’est que l’indépendance d’un homme qu’on peut, demain matin, renvoyer de la seule position qu’il puisse avoir. M. Cuvillier-Fleury, chargé de faire, dans le Journal des Débats, l’éloge funèbre de la princesse Marie, cette belle fleur si vite flétrie, ne put oublier qu’il avait été souvent en butte aux douces et sagaces moqueries de la princesse, et il glissa dans son article, écrit du reste sans talent et sans émotion, un reproche de sa propension à la raillerie.

Pour M. de Latour, il n’abuse de sa petite position que pour imposer à divers recueils des articles littéraires de son cru.

M. Alphonse (hélas!) Pépin est un pauvre diable qui remplace le talent et la capacité par le dévouement. Il a prêté son nom à une justification du règne de Louis-Philippe, dont il n’a pas écrit, dit-on, un seul mot. Le manuscrit lui arrive d’une septième ou huitième main, sans qu’il en sache l’origine. Mieux instruit que M. A. Pépin, nous pouvons dire que cet ouvrage est écrit, sinon d’une manière brillante, du moins avec ordre, logique et raison, et que son auteur véritable est un personnage de très-bonne maison.

On dit que l’on veut faire M. A. Pépin député. Je suis décidé à n’être pas représenté par lui à la Chambre. Si l’on donne suite à ce projet, j’ouvrirai un certain carton «A. Pépin» d’où je tirerai des choses assez réjouissantes.

Passons à ce bon M. Delavigne, le seul de ces messieurs qui ait un nom et du talent, quoique parfaitement commun et ennuyeux.

M. Casimir Delavigne est bibliothécaire de Fontainebleau: de plus, sous le nom de son frère, M. Germain Delavigne, il est intendant des Menus-Plaisirs. Aux Menus-Plaisirs, une nichée de quatorze Delavigne, mâles, femelles, petits et grands, sont logés, meublés et chauffés. On craint d’y voir passer la forêt de Villers-Cotterets.

Comme M. Cuvillier-Fleury, M. Casimir Delavigne se dit indépendant. Mais il va plus loin; et, pour concilier les bénéfices de la popularité avec les avantages de la faveur, il fait tantôt une tragédie légitimiste (les Enfants d’Édouard), tantôt une comédie républicaine (la Popularité), et, en ce moment, il a promis sa voix à M. Berryer, pour l’Académie.

Si les Delavigne nichent aux Menus-Plaisirs, les de Wailly fourmillent à l’Élysée-Bourbon; et, par une touchante réciprocité, les de Wailly font, dans l’occasion, augmenter les appointements des Delavigne, qui meublent à leur tour les de Wailly avec les meubles des Menus-Plaisirs.

Les Bertin n’ont jamais écrit une ligne de leur vie, mais leur journal est une puissance. M. Cavé, appelé par les uns le spirituel auteur des Soirées de Neuilly, par les autres, le peu spirituel auteur des Soirées de Neuilly (je ne le connais pas), est dans la dépendance de M. Thiers.

M. Mévil n’écrit pas. M. Perrot est censeur et ami intime de M. Janvier. M. Baudoin n’a pour titres littéraires que d’avoir retrouvé dans une cave des drapeaux tricolores qu’il y avait audacieusement cachés.

En fait de services rendus au ministère, M. Baudoin a eu l’heureuse idée, au moment où on avait de sérieuses inquiétudes sur la quantité de la récolte, au moment où on se plaignait hautement de l’élévation du prix du pain, de publier dans le Moniteur parisien un article sur les peuples qui mangent de la terre. Mais il est arrivé à M. Baudoin une histoire assez gaie.

image d’une guêpe HISTOIRE DE BLEU-DE-CIEL ET DE M. BAUDOIN.—En général, les imprimeurs des journaux appartiennent au parti républicain. Un jeune compositeur, que ses camarades appelaient Bleu-de-Ciel parce qu’il a les cheveux rouges, comme les Grecs appelaient les furies Euménides, avait toujours travaillé aux journaux de l’opposition. Une circonstance l’empêcha de trouver une place dans les imprimeries de son parti. On voulut l’embaucher pour un journal ministériel; il répondit qu’il préférait attendre. Il vendit sa montre, et attendit. Un mois se passa sans qu’il trouvât d’ouvrage. Il se soumit un peu à la nécessité, et annonça qu’il consentirait à travailler à un journal de l’opposition dynastique. Cette concession n’amena pas de résultats; il mit ses habits en gage, et attendit avec fermeté, vivant de pain et de fromage, plutôt que d’appuyer de son talent un gouvernement qu’il déteste sur la foi des journaux qu’il a imprimés toute sa vie. Bleu-de-Ciel, cependant, reçut un matin une lettre de sa vieille mère, qui était malade et qui lui demandait quelque argent. Il regarda autour de lui: il ne lui restait plus rien à vendre ni à engager. Il alla s’embaucher parmi les compositeurs du Moniteur parisien, reçut quelque argent d’avance, et l’envoya à sa mère. De ce jour il devint triste et taciturne, évita soigneusement les amis, ne se montra dans aucune réunion. Il était vaincu et humilié. Il ne se consolait un peu qu’en pensant à sa mère et en se disant: «Cette pauvre vieille femme, il fallait bien la secourir!»

Un jour, Bleu-de-Ciel se réveilla avec une idée et en même temps avec toute sa gaieté. Il entra à l’atelier en fredonnant: «Toi que l’oiseau ne suivrait pas.» Il causa, fut amusant et spirituel, rechercha ses camarades, et redevint, en un mot, le Bleu-de-Ciel d’autrefois.

Mais de ce jour aussi il se glissa d’étranges choses dans le journal: des fautes d’impression formant un sens plus que bizarre, des mots coupés au bout des lignes d’une manière injurieuse pour le pouvoir, excitèrent le mécontentement de quelques lecteurs, l’hilarité de quelques autres, l’étonnement de tous.

Si un article mentionnait que «que le ministre avait répondu en termes très-VIFS à une interpellation,» par un simple changement de lettre, Bleu-de-Ciel imprimait «en termes très-VILS.»

«Les députés ministériels se sont réunis dans un banquet.» Bleu-de-Ciel les faisait se réunir dans un BAQUET.

Si, au moment du mariage que le roi préparait pour son fils, Bleu-de-Ciel avait à imprimer que «le ministère méprisait les bruits injurieux,» il finissait la ligne de manière à couper le mot en deux, et on lisait: «Le ministère méprise les bru.» Ce n’était qu’à l’autre ligne qu’on trouvait la fin du mot «its

«Le ministère est matériellement le plus fort,» disait le manuscrit.

«Le ministère est mat, imprimait Bleu-de-Ciel, et à l’autre ligne «ériellement».

«M*** est un homme d’esprit, disait le journaliste, on l’a vu souvent répondre avec vivacité...» On l’a vu SOU,» imprimait Bleu-de-Ciel, et ce n’était qu’après la suspension nécessaire pour aller de la fin d’une ligne au commencement d’une autre que l’on trouvait la fin du mot.

«Le ministère mourant d’en venir aux mains avec l’opposition» devenait «un ministère mou».

Un jour on donna au journal la description d’une fête au château. Il y avait dans l’article cette phrase: «Et ces riches tapis foulés par les souliers de satin des dames de la cour.» Bleu-de-Ciel trouva plus gai de mettre des souliers de catin

Une autre fois, il devait y avoir à la Chambre une discussion importante; un ministre, qui devait porter la parole, tomba malade.

«C’est une fatalité,» disait l’écrivain.

«C’est un fat alité,» imprima Bleu-de-Ciel.

Cette fois on renvoya Bleu-de-Ciel. Et Bleu-de-Ciel rentra dans un journal de l’opposition.

DISTIQUE D’UN CONSEILLER D’ÉTAT.
Près de chaque ministre où j’ai daigné descendre,
J’étais une Cassandre à côté d’un Cassandre.

image d’une guêpe PREMIÈRE PHRASE DU DISCOURS PRONONCÉ PAR UN CAPITAINE DE LA GARDE NATIONALE DE LA BANLIEUE NOUVELLEMENT ÉLU.—«Chers camarades, votre suffrage est le plus beau jour de ma carrière militaire.»

image d’une guêpe Le maire d’une petite ville que vient de traverser S.A.R. le duc d’Orléans crut devoir lui faire un discours; mais ce qu’il savait le mieux, c’était son commencement.

—Monseigneur, dit-il, monseigneur, la joie, c’est-à-dire la satisfaction, non... je disais bien, la joie que j’éprouve, ou plutôt que je ressens, en vous voyant au milieu de nous, est si grande, si grande, si gr..... si.....»

—Que vous ne pouvez l’exprimer, monsieur le maire, interrompit le prince.

Un ancien ministre disait dernièrement d’un de ses commis, qu’on lui reprochait de ne pas avoir renvoyé: «Que voulez-vous? je n’aurais pu le renvoyer qu’aux galères.»

image d’une guêpe M. Molé a écrit au chancelier pour demander de faire l’éloge funèbre, à la Chambre des pairs, du général Bernard. Le président du ministère du 15 avril trouvera dans ce discours l’occasion naturelle de tracer le tableau de son administration, et de l’opposer aux vœux de la coalition et au système du 12 mai.

image d’une guêpe On a beaucoup parlé d’une réconciliation entre MM. Thiers et Molé. Cependant M. Thiers dit à qui veut l’entendre: «Je ne conçois pas, quand on s’appelle Molé, que l’on veuille être autre chose que garde des sceaux.»

De son côté, M. Molé dit à ses amis: Quand on s’appelle Thiers, je ne comprends pas qu’on veuille être ministre des affaires étrangères.»

image d’une guêpe En avant ici quelques guêpes de réserve pour une des bouffonneries les plus ravissantes qu’ait produites le régime constitutionnel, si fécond en bouffonneries.

MM. Soult, Duchâtel, Schneider, etc., se figurent être ministres et gouverner la France. Il faut que je leur apprenne qu’il n’en est rien, et que le seul ministre, le seul homme qui fasse les affaires aujourd’hui, est M. Thiers. Je vais prouver ce que j’avance par des faits si évidents, qu’après la lecture de quelques pages, MM. Soult, Duchâtel, etc., paraîtront occuper une des positions les plus comiques de l’époque.

La cour de la rue Neuve-Saint-Georges a décidé que M. Thiers rentrerait aux affaires; quelques amis dévoués se sont chargés de lui faire à ce sujet la petite violence nécessaire pour sauver l’honneur de sa vertu aux abois.

Mais on ne sait pas encore pour quel portefeuille on se décidera.

Madame Thiers penche pour l’intérieur, à cause des loges gratuites aux théâtres, M. Dosne veut que son gendre prenne les finances; madame Dosne ne veut pas qu’il fasse de concessions et exige qu’il rentre aux affaires étrangères pour contraindre les ambassadeurs à venir dans son salon. M. Thiers, indécis, prend l’avis de MM. Roger, Mathieu de la Redorte, Chambolle, Anguis et autres lumières de la Chambre.

Pendant ce temps, M. Thiers règne sur les journaux qu’il subventionne de promesses; il est dictateur au Courrier Français, par M Léon Faucher, qu’il doit faire conseiller d’État; au Messager, par M. Waleski, qui sera dans les ambassades; au Siècle, par M. Chambolle, qui sera inspecteur de l’Université; au Nouvelliste, par M. Léon Pillet, qui rentrera au Conseil d’État; au National, par M. Taschereau, qui sera secrétaire général du département de la Seine, en place de M. de Jussieu; aux journaux légitimistes, par M. Berryer, auquel il donne sa voix pour l’Académie, et qui, outre sa faveur dans ses feuilles, l’introduit dans quelques maisons du faubourg Saint-Germain; au Constitutionnel, par M. Véron, dont on assurera l’élection comme député, et par M. Étienne, qui vient d’être nommé pair de France par l’influence de M. Thiers.

En effet, c’est une chose remarquable de voir les ministres du 12 mai obéir, à leur insu, aux sympathies et aux alliances de M. Thiers.

A peine rend-on un service à M. Thiers que cela porte immédiatement bonheur. M. Cavé s’oppose à la représentation de la pièce de madame de Girardin; quelques jours après il est appelé à des fonctions plus importantes. Le Constitutionnel, dont un propriétaire influent était fort mal pour M. Cavé, ne trouve rien à redire à sa nomination.

Les ministres du 12 mai ne font rien, ne donnent pas une signature qui ne concoure à quelque dessein secret de M. Thiers, qui, en imposant au roi la nécessité de régner et de ne pas gouverner, s’est fait une position contraire et infiniment plus agréable: il gouverne et ne règne pas.

image d’une guêpe Madame de Dino, fort mal vue du faubourg Saint-Germain depuis ses accointances avec la cour citoyenne, se donne beaucoup de mouvement pour la candidature de M. Berryer, qui n’est pas agréable au château: elle espère par là se réhabiliter auprès de ses anciens amis.

image d’une guêpe L’ACADÉMIE.—Selon toutes les apparences, M. Bonjour sera élu. Il s’agit bien plus de n’avoir pas fait certaines choses que d’en avoir fait certaines autres. Il y a une foule de candidats sans titres qui n’en font pas moins leurs visites.

M. de Balzac est allé voir M. Duval, qui lui a dit, en montrant son lit:

—Monsieur, voilà un lit où je vais bientôt mourir.

—Je vous crois encore bien des années d’existence, monsieur, a répondu l’auteur de la Physiologie du Mariage, et la preuve, c’est que je viens vous demander votre voix. Je ne serai pas nommé cette fois-ci ni l’autre, d’après les résultats ordinaires: il n’y aura pas d’extinction avant trois ans, c’est donc pour dans six ans au plus tôt que je compte sur vous.

image d’une guêpe Quelques académiciens ont annoncé qu’ils ne donneraient pas leur voix à un des candidats à cause de ses chagrins domestiques trop connus. Ce candidat, chargé, il y a longtemps, de fonctions administratives, crut devoir employer la voie du télégraphe pour apprendre au ministère une infortune personnelle dont il venait d’avoir la preuve, et demander son changement immédiat.

Cette proscription ressemble à une singulière fatuité de la part de messieurs les trente-neuf.

image d’une guêpe Nous leur rappellerons alors qu’un autre des candidats a reçu et accepté, en plein foyer du Gymnase, une insulte grave de la part de M. Évariste Dumoulin, rédacteur du Constitutionnel.

image d’une guêpe M. Berryer, s’il est élu, sera forcé de faire ratifier sa nomination par le roi Louis-Philippe et de lui être présenté. Quelques légitimistes appellent cela un bon tour joué à la royauté de Juillet; d’autres disent que c’est une défection.

Il est singulier, pour les légitimistes, de voir M. Berryer porté à l’Académie et soutenu par M. Thiers, auquel il rend de son côté quelques bons offices; par M. Thiers, auteur de l’arrestation et de l’emprisonnement de madame la duchesse de Berry.

image d’une guêpe LA COMÉDIE DE MADAME DE GIRARDIN.—C’était le jour où l’on représentait au théâtre de la Gaîté le Massacre des Innocents. Des écrivains chargés par les journaux de rendre compte de la représentation des pièces de théâtre, presque aucun ne parut dans la salle. Les plus influents des feuilletonistes avaient reçu une lettre ainsi conçue:

«M. et madame Émile de Girardin prient M.*** de leur faire l’honneur devenir passer la soirée chez eux, le mardi 12 novembre, à neuf heures, pour entendre l’École des journalistes.»

Dans un salon tendu en vert, décoré avec une simplicité riche et élégante, on remarquait madame de Bawr, madame Gay, madame Ancelot, madame Ménessier, MM. Hugo, de Balzac, Étienne, de Jouy, Lemercier, Ancelot, E. Sue, Émile Deschamps, Malitourne, Roger de Beauvoir, de Custines.

Plusieurs femmes du monde, les unes spirituelles, les autres jolies, une jolie et spirituelle, des artistes distingués, des hommes du monde.

Mais surtout on remarquait tous les rois du feuilleton, et à leur tête leur maître, M. Jules Janin.

C’était là aussi un massacre des innocents.

Hérode ne tarda pas à paraître; c’était une jeune femme svelte et forte à la fois comme la muse antique, encadrant un charmant visage dans de splendides cheveux blonds; elle était vêtue de blanc, et ne ressemblait pas mal à la Velleda de M. de Chateaubriand.

Elle prit sa place, et commença sa lecture. C’était une suite de vers fins et spirituels qui faisaient naître dans l’esprit un sourire que beaucoup arrêtaient sur leurs lèvres; c’était une satire contre les journalistes: l’auteur, rassemblant les traits de quelques visages, en avait fait un portrait général, dans lequel beaucoup ont le droit de ne se pas reconnaître.

Le premier acte finit au milieu des applaudissements. Madame de Girardin but un verre d’eau pure, et moi je frémis.

L’élite des journalistes était là; ils étaient renfermés; on leur servait des glaces et des gâteaux; je me rappelai le poison des Borgia.

Mais que ne devins-je pas quand je m’aperçus que presque tous les hommes avaient au dos une marque blanche.

Je me rappelai alors aussi les missions à l’église des Petits-Pères sous la Restauration; c’était ainsi que les agents de police marquaient dans l’église les perturbateurs, que l’on empoignait à la sortie.

Ces deux souvenirs, celui des missions et celui de Lucrèce Borgia, se croisant dans mon esprit, je demeurai incertain, non pas si la comédie en cinq actes aurait un sixième acte tragique, j’en étais bien persuadé, mais seulement si cela finirait comme Bajazet, quand la sultane dit au héros, que les muets attendent à la porte pour l’étrangler, son terrible: SORTEZ!

Ou comme Lucrèce Borgia, quand elle dit aux convives de son fils Gennaro: MESSEIGNEURS, VOUS ÊTES TOUS EMPOISONNÉS!

La lecture cependant, ou plutôt l’exécution continua. Quelques hommes, qui connaissaient les visages des journalistes, les désignaient aux hommes et aux femmes du monde qui ne les connaissaient pas, et on faisait à chacun l’application des dix vers qui se lisaient pendant qu’on l’examinait à son tour.

C’était assez embarrassant, je vous assure, et je me trouvai heureux de n’avoir jamais été qu’un journaliste de passage.

Les mots spirituels, les vers charmants, les épigrammes, les vérités, les injustices sortaient toujours de la bouche d’Hérode. Il vint même une scène d’un drame élevé, très-belle, très-bien écrite, et, comme l’a dit Janin dans sa réponse à madame de Girardin, mieux dite que ne l’eût pu faire aucune actrice du Théâtre-Français.

Pendant ce temps, M. Emile Deschamps répétait à chaque vers, ainsi qu’il le fait à toutes les lectures: châmant! châmant!

A ce propos, il y a quinze jours que je veux aller voir Janin pour lui parler de sa lettre; mais il demeure rue de Vaugirard, et moi rue de la Tour-d’Auvergne, à peu près la distance de Paris à Pékin.

Je vais lui écrire un mot dans ce petit livre qui lui parviendra, sans doute, avant que j’aie fait cet horrible trajet.

A M. JULES JANIN.—Mon cher Jules, je te fais de sincères compliments de ta lettre, quoique je ne pense pas tout à fait comme toi. Tu défends le journalisme, quand on n’a attaqué que les journalistes, mais tu le défends avec beaucoup de noblesse, de mesure, de convenance et de grâce. Comme ton ami, je suis heureux et fier de te voir plus d’esprit que tu n’en eus jamais, après t’en avoir vu dépenser, depuis quinze ans, assez pour faire dix réputations. A. K.

La lecture finie, le martyre des journalistes ne l’était pas. On entourait madame de Girardin, et quelques personnes lui disaient: Oh! les monstres! d’autres ajoutaient: Vous leur prêtez trop d’esprit; ils n’en ont pas autant que cela, position agréable pour les journalistes présents. Cependant personne ne fut étranglé, personne ne mourut; les marques blanches au dos provenaient d’une peinture intempestive des portes faite par un tapissier maladroit. Le lendemain, aucun journaliste n’avait d’habit. On les rencontrait tous en paletot. Les habits étaient chez le dégraisseur.

C’est alors que, pour se faire bien venir de la rue Neuve-Saint-Georges, M. Cavé s’opposa à ce que la pièce fût jouée au Théâtre-Français, et que la censure en défendit positivement la représentation, ce qu’on devait, du reste, attendre.

Le hasard fit qu’à quelques jours de là on vanta, dans la Presse, le désintéressement de M. Cavé. M. Cavé crut voir, dans la phrase, un sens ironique, et envoya MM. Dittmer et de Champagny demander à M. de Girardin une explication, une rétractation ou une satisfaction. M. de Girardin refusa le tout. Les témoins retournèrent auprès de M. Cavé fort embarrassés. Mais M. Cavé, apprenant le résultat de leur visite, se contenta de dire: «Eh bien! j’aime autant cela.»

Quelqu’un a dit, en voyant la mauvaise humeur de quelques journalistes: «Ces messieurs sont comme les enfants, ils crient quand on les débarbouille.»

image d’une guêpe LE DRAME DE MADAME SAND.—Le sujet du drame de madame Sand ressemble singulièrement au sujet de Clotilde, un roman que j’ai publié l’été dernier.

Une femme mariée dit à son amant: «Je ne serai jamais à deux hommes à la fois.» L’amant s’occupe naturellement d’assassiner le mari. Par une erreur bizarre, il tue un inconnu; mais, en homme de tête, il accuse le mari du meurtre qu’il a commis. La femme trouve la chose un peu forte, rend à son mari l’amour qu’elle n’a plus pour son amant, voit les juges, sollicite et sauve son époux. L’époux, à peine hors de prison, demande raison à l’amant de son procédé qu’il trouve déloyal.

L’héroïne sait le jour et l’heure du duel. Elle écrit au jeune homme, le fascine par ses coquetteries, résiste un peu et succombe.

Puis lui dit: «Il est onze heures. L’heure du duel est passée; vous êtes déshonoré.»

N. B. Comme il y a aujourd’hui quelques femmes qui se modèlent sur les héroïnes de madame Sand, je crois devoir les avertir que, s’il s’en trouvait une par hasard qui crût m’embarrasser ainsi, j’ai ma réponse toute prête.

Au moment où elle-me dirait: «Vous êtes déshonoré.—Et vous donc? lui dirais-je. Pour moi, je vais aller dire à votre mari ce qui m’a retardé, et il m’excusera.»

image d’une guêpe LA COMÉDIE DE M. DE WALESKI.—On a lu chez madame A*** de G*** une comédie de M. le comte de Waleski qui obtient beaucoup de succès dans le monde. Le sujet est une jeune fille coquette qui, sans être criminelle, laisse prendre sur elle des droits et une influence qui font le malheur de sa vie.

La comédie de M. Waleski offre la peinture, presque unique aujourd’hui au théâtre, des mœurs contemporaines. La plupart des écrivains observent d’après les observateurs, et croient avoir beaucoup fait quand ils reproduisent des types connus et usés sous d’autres noms. Ils se contentent d’appeler le Valère de l’ancienne comédie Eugène de Noirval; Scapin prend le nom de Tom, Sganarelle celui de M. Ducros ou de M. Valmont. Et leur tour est fait.

Les personnages de M. Waleski sont vrais, vivent parmi nous, se conforment aux convenances de notre époque, n’entrent qu’où ils doivent entrer, parlent comme ils doivent parler. Ces qualités, ainsi que la netteté et l’élégance du style, pouvaient s’attendre d’un homme du monde; mais on a été étonné (les gens qui s’étonnent) de reconnaître une grande adresse dans la charpente de la pièce et une remarquable entente de la scène.

La comédie de M. Waleski sera représentée au Théâtre-Français.

image d’une guêpe LE DRAME DE M. DE BALZAC.—M. de Balzac a lu à la Porte-Saint-Martin un drame dont les personnages sont tirés d’un de ses plus beaux romans. La pièce est très-neuve et très-audacieuse.

image d’une guêpe LES PHILANTHROPES ET LES PRISONS.—Deux classes de philanthropes se partagent les prisons et les prisonniers, et, loin de leur opposer une énergique résistance, le gouvernement a pris la résolution de laisser faire. Il a fait pour la philanthropie comme pour l’asphalte, pour les criminels comme pour les boulevards.

On a livré un côté des boulevards au bitume Polonceau, l’autre côté à l’asphalte de Seyssel. On a abandonné certaines prisons à certains philanthropes, et les autres prisons à d’autres philanthropes.

Voici en quoi consistent les deux procédés. Nous y ajouterons les résultats.

Le philanthrope de l’école française trouve que l’homme est déjà bien assez malheureux d’être criminel sans qu’on aille encore aggraver ses chagrins par des punitions excessives. Il veut que le condamné soit bien chauffé, bien vêtu, bien logé, bien nourri.

L’homme vertueux s’enveloppe de sa vertu et se rafraîchit du souvenir de ses bonnes actions. Mais pour le criminel, le philanthrope veut qu’on lui donne des bougies, et recommande le vin de Bordeaux de 1834, un peu de musique, le spectacle, les livres, en un mot toutes les distractions pour des hommes qui en ont tant besoin. Il aime son criminel, il le choie, il l’engraisse, il le console. M. Martin du Nord était de cette école. Comme on lui disait que les prisonniers avaient de mauvais pain, il répondit: «Leur pain vaut mieux que celui des soldats.»

Résultats: les gens gênés dans leurs affaires, les ouvriers sans ouvrage s’empressent de tuer leur femme ou d’empoisonner leur frère, pour jouir du sort des scélérats.

Pour les condamnés, ils ne quittent la prison qu’en pleurant; il faut les en arracher par la force. Un homme amené facilement en prison par deux gendarmes n’a pas trop de six gendarmes pour le décider à sortir. Il n’est pas huit jours sans revenir, en ayant eu soin cette fois d’étoffer un peu son crime de circonstances aggravantes, pour s’assurer une dizaine d’années de prison.

Les philanthropes de l’école américaine isolent le prisonnier, inventent des tourments et des incertitudes. Après ne lui avoir laissé d’autre société que les quatre coins de son cachot, ils trouvent ces quatre coins une distraction excessive, et ils les suppriment pour le mettre dans une prison ronde.

Aucun des criminels qu’ils tourmentent n’est aussi scélérat, aussi ingénieux en férocité que le plus doux de ces braves philanthropes.

Outre la cruauté de ces essais, on peut leur reprocher une odieuse injustice. Personne n’a le droit d’aller plus loin que la loi. C’est un horrible arbitraire.

Résultats: cinq hommes sont devenus fous, un est mort en écumant; un autre, tout récemment, ne pouvant supporter ces cruelles épreuves, s’est accusé d’un crime imaginaire qui l’envoyait à l’échafaud.

image d’une guêpe Le directeur d’un théâtre royal, très-amateur de chevaux, disait dernièrement: «Il me faut quatre chevaux pour monter au bois

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