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Les guêpes ­— séries 1 & 2

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Que ferons-nous des trois couleurs?
  Le bleu c’est la candeur,
  Le rouge, la valeur,
  Le blanc c’est la bêtise,
C’est la devise
Des Bourbons.

Les gardes du corps répondaient:

Que ferons-nous des trois couleurs?
  Le rouge c’est le sang,
  Le bleu c’est les brigands,
  Le blanc c’est l’innocence,
C’est la devise
Des Bourbons.

Puis on prenait en chœur les tabourets, et on se fêlait la tête.

On a pensé un moment que le lilas pourrait réunir toutes les opinions et éluder la difficulté; mais plusieurs d’entre les dames patronesses ont trouvé dans leur teint des raisons suffisantes pour refuser formellement de mettre du lilas.

On a donc forcément abandonné le lilas pour passer au rose, et le rose a eu un moment du succès; mais deux des plus belles et des plus spirituelles d’entre les dames patronesses ont déclaré que les rubans roses sur une robe blanche étaient du dernier commun; que rien n’est si laid que le commun, et qu’elles ne pousseront pas la philanthropie au point d’être laides au bénéfice des pauvres.—Tout porte à croire que le bal n’aura pas lieu.

Il y a des personnes qui prétendent que ces bals au profit des pauvres devraient être appelés: des pauvres au profit d’un bal;—mais, quelque forme que prenne la charité,—il faut la bien accueillir et ne la point décourager.

image d’une guêpe Un homme qui parle de tout et n’a qu’un chagrin, qui est de ne pouvoir parler que de cela,—a quelquefois le malheur de mettre quelque confusion dans ce qu’il dit:—en annonçant le nouveau ministère,—il donnait les portefeuilles de la justice et du commerce à MM. Martin Gridaine et Cunin (du Nord).

image d’une guêpe Dans le programme encore secret de la fête des cendres,—il est question de faire paraître tout à coup un homme à cheval dans le costume de l’empereur Napoléon;—cet homme, après être resté quelque temps en vue,—partira ventre à terre et disparaîtra.

Quelques personnes ont fait remarquer avec raison qu’à une époque comme la nôtre, il fallait être bien sûr de l’homme auquel serait confié ce rôle important.—Il est à craindre qu’il ne prenne son rôle au sérieux et se proclame empereur des Français.—Pour moi, je ne m’y fierais pas.

image d’une guêpe Je me suis plaint, dans un volume de Guêpes, d’un portrait qu’on a fait de moi et dont le seul aspect aurait pu m’exposer aux poursuites du parquet.—Voici l’histoire de ce portrait:

Il y a deux ans,—je crois,—M. Célestin Nanteuil fut envoyé chez moi pour je ne sais quelle galerie ou musée; je n’étais pas chez moi. Il m’attendit; une autre personne m’attendait également: tous deux trouvèrent un bon feu et des cigares.—Au troisième cigare, M. de Nanteuil toussa et dit:

—Il est onze heures et demie.

—Onze heures trente-cinq, dit l’étranger.

—Il n’arrive pas, dit M. de Nanteuil.

—Il n’arrive pas, dit l’étranger.

—Monsieur est homme de lettres?

—Non, monsieur, et vous?

—Je suis peintre, et je m’appelle Célestin Nanteuil.

—Ah! monsieur, j’ai vu de vous de fort jolies choses.

—J’en ai peut-être vu de vous aussi, monsieur.

—Monsieur, veuillez me donner du feu, mon cigare est éteint.

—Monsieur, très-volontiers.

—Je viens, dit M. de Nanteuil, pour faire le portrait de Karr.

—Il est fâcheux qu’il ne soit pas là.

—Euh! pas très-fâcheux!—Je l’ai vu plusieurs fois, et je le ferais, à la rigueur, de mémoire.—Il n’y a qu’une seule chose qui m’embarrasse; je ne sais pas s’il a les cheveux longs ou courts.

—Très-courts.

—Très-bien!—Ah! voici sa robe de chambre, probablement.

Et M. de Nanteuil avise une sorte de froc en velours noir.

—Je vais toujours dessiner la robe de chambre.

La robe de chambre fut mise sur une chaise,—mais elle était vide, et les plis tombaient mal.

—Cela n’ira jamais.—Mon Dieu, monsieur, si j’osais...

—Osez, monsieur.

—Il s’agirait de rendre à moi et au maître du logis un petit service.

—J’aime beaucoup le maître du logis, et je serais enchanté d’être agréable à un homme de talent comme vous.

—Veuillez donc mettre cette robe de chambre pour que les plis fassent mieux.

—Très-bien, cela va à ravir;—voilà qui est presque fini. Il me semble que vous avez les cheveux à peu près de la couleur des siens.

—Les siens sont moins bruns.

—C’est égal, je puis toujours faire les cheveux.

—Voici les cheveux.—De quelle couleur a-t-il les yeux?

—Je ne sais trop, bleus ou verts.

—Ah diable! les vôtres sont noirs;—mais qu’est-ce que cela fait!

—Ah!

—N’a-t-il pas les moustaches un peu longues?

—Oui.

—Ma foi, ceci doit être ressemblant.

—A qui?

—A lui.

—Comment, à lui! c’est moi qui ai posé.

—C’est moins étonnant que si on n’avait pas posé du tout.—Attendez-vous encore?

—Oui, et vous?

—Moi, non; mon portrait est fini. Obligez-moi de dire à M. Karr que je l’ai attendu.

—Il sera désolé.

—Un peu de feu, s’il vous plaît.—J’ai l’honneur de vous saluer.

—Monsieur, votre serviteur.

C’est ce qui a donné l’idée au libraire d’en faire faire un autre. Je ne vous dirai pas toutes les opinions diverses de mes amis au sujet de ce portrait de Giraud,—qui est un excellent dessin.—Les uns me disent:

«Tu n’es pas flatté.

Les autres:—«Tu es bien plus laid que cela.»

—Ah! mon ami, vous étiez bien mieux ce jour où, sur la falaise d’Etretat,—assis près de moi sur la mousse...

—Je le crois bien,—madame,—mais je ne posais pas, ce jour-là,—et un portrait est toujours le portrait d’un homme qui pose.

image d’une guêpe M. Raspail a fait de belles choses!—Sa lettre bizarre, dans laquelle il accuse M. Orfila d’avoir lui-même empoisonné sinon M. Lafarge, du moins son cadavre, demandait une réponse.—M. Orfila répond par un cours contre madame Lafarge.—Chaque jour, publiquement,—il fait bouillir des chiens,—les uns empoisonnés, les autres étranglés, et il se livre à de longues séries d’expériences servant de preuve à celles qu’il a faites à Tulle. Depuis un mois, plus de quinze cents chiens innocents ont été victimes de la discussion qui s’est élevée entre ces deux messieurs.

image d’une guêpe On m’écrit de Chartres pour me prier de détacher une guêpe sur la prison de la ville.

Voir le commencement du présent volume où il est expliqué que les pauvres guêpes sont in partibus infidelium.

Ce n’est pas seulement à Chartres qu’existe l’abus dont on se plaint, c’est-à-dire un accroissement de peine qui ne se trouve dans aucun code ni dans le texte d’aucun jugement.—Les prisonniers et même les prévenus sont privés de tabac à priser et à fumer. Cette privation est si pénible pour beaucoup d’entre eux, qu’ils prisent du poivre qu’on laisse entrer sans obstacle.

image d’une guêpe On dit avec raison que, sous le gouvernement des hommes, ce sont les femmes qui gouvernent:—et que, sous le pouvoir des femmes, on est gouverné par des hommes.—En effet, si le ministère du 15 avril représentait mademoiselle Plessis, du Théâtre-Français,—celui du 1er mars est le règne de madame Dosne et de mademoiselle Fitzjames de l’Opéra;—avec le nouveau cabinet, mademoiselle Rachel rentre aux affaires.

image d’une guêpe Le métier de roi ne vaut plus rien:—le roi de Hollande a fait sa liquidation,—la royauté d’Espagne a fait faillite.—M. Mathieu de la Redorte, ambassadeur en Espagne, vient de donner au ministère la démission qu’il avait reçue des événements.

image d’une guêpe Le nouveau gouvernement espagnol a imaginé de tirer un parti avantageux des diverses croix,—ordres,—cordons,—toisons, etc., que le gouvernement de la reine Christine avait un peu prodigués.—On envoie à tous les dignitaires une petite note acquittée,—avec prière de la payer dans le plus bref délai, sous peine d’être dégradés.

Cette manière de distribuer des honneurs ressemble parfaitement à l’industrie des marchandes de bouquets du boulevard de Gand, qui jettent un bouquet dans votre voiture—ou le glissent dans votre gilet, et, à quelques pas de là, vont en demander le prix.

image d’une guêpe On a renoncé,—comme je l’ai fait remarquer plusieurs fois,—à appliquer la peine de mort aux malheureux que l’étourderie ou des folies de jeunesse ont poussé à empoisonner leurs parents.

Mais il est une chose qui devait échapper aux égards de la justice comme à la faveur royale,—une chose pour laquelle, loin d’abaisser la pénalité, on l’a encore aggravée.

Je veux parler de la mauvaise habitude qu’ont certaines personnes de secouer les tapis par les fenêtres; j’ai déjà dit avec quelle sévérité et quelle sollicitude on poursuit ce genre de délit.

Il serait à désirer que les citoyens voulussent bien se conformer aux ordonnances relatives à cette défense, et donner un peu de loisir à l’administration, qui, depuis bien longtemps, n’a pu s’occuper que des tapis, et semble négliger une foule de soins importants.

image d’une guêpe M. Sébastiani a été nommé maréchal de France le 21 octobre, c’est-à-dire le jour anniversaire d’un jour où il se laisse surprendre par les Cosaques et enlever cent voitures de bagages et cent prisonniers,—le 21 octobre 1812.

Les jeunes journaux rendent la vie bien amère à leurs anciens sur lesquels ils ont l’avantage de n’avoir pas d’antécédents.—Ils fouillent dans leurs vieilles années et en exhument des palinodies presque incroyables. Je ne connais rien de plus complet en ce genre que deux numéros de la Gazette de France, publiés le 20 et le 21 mars 1815, dans l’espace de vingt-quatre heures.

GAZETTE DE FRANCE.

Lundi 20 mars 1815.

FRANCE.
GAZETTE DE FRANCE,

Mardi 21 mars 1815.

EMPIRE FRANÇAIS.
M. le prince de la Tremouille est
entré hier au soir, à huit heures
et demie, dans nos murs. Ce prince
a été salué par le cri national
de: Vive le roi!
devenu le cri
de ralliement
pour tout ce qui
porte un cœur français.

On attend demain le duc de Bourbon.
La vue de ce prince nous rappellera
quel est l’homme qui voudrait
envahir l’héritage du bon Henri,
et NOUS serons glorieux de
marcher
, s’il le faut, sous les
ordres d’un descendant du grand
Condé.

—Les 16, 17 et 18, les troupes de
toutes armes, destinées à marcher
contre l’ennemi
, sont sorties.

Bonaparte, qui est parti d’Autun
le 16, continue à répandre sur
sa route le mensonge, la
corruption, l’appel au parjure
et la calomnie.

Mais l’opinion le repousse avec
horreur
: la France ne voit en lui
que la guerre civile et la guerre
étrangère, qu’il traîne à sa suite;
elle se rallie tout entière au
seul nom de ce roi qui lui a
apporté la paix et la liberté. Elle
unit son amour aux respects de
l’Europe pour son auguste monarque!
elle combattra, elle vaincra, et
pour elle et pour lui.

Le temps n’est plus où des
agitateurs pouvaient compter sur
la facilité du peuple français
pour le séduire, l’entraîner dans
les plus affreux égarements
, et
l’employer lui-même à opérer son
propre malheur.




L’armée, toujours fidèle à
l’honneur, à son prince, à la
patrie, ne servira point
l’ambition de ses plus cruels
ennemis! Elle servira jusqu’à la
mort
son souverain légitime.

Aujourd’hui, entre huit et neuf
heures du matin, l’empereur,
dont la marche a été retardée par
l’affluence immense du peuple
accouru de toutes parts sur sa
route, est descendu aux Tuileries.
Il n’y a pas d’expressions
pour rendre l’enthousiasme et
les acclamations des citoyens
de Paris rassemblés
dans les
Tuileries, sur le Carrousel et
dans tous les environs.

Le peuple a partagé tous les
nobles sentiments des soldats.

Napoléon a débarqué avec une
poignée d’hommes, il est vrai; mais
à chaque pas, il a trouvé des amis
fidèles
et des légions dévouées.
Il lui a suffi de se présenter
devant elles pour être à l’instant
même reconnu et salué comme leur
empereur et leur père
, il lui a
suffi de se présenter devant le
peuple pour réveiller partout le
profond sentiment de la
gloire nationale.

Hier encore on nous disait que
l’empereur Napoléon traînait
à peine quelques hommes à sa suite,
que la désertion régnait dans ses
troupes, accablées de fatigues et
exposées à tous les besoins. Il
faut plaindre ceux
qui ont pu
recourir à un pareil système
le déception.

Partout les légions et le peuple
réunis lui ont ouvert les portes
des villes; offert leurs bras et
leur courage. Oui, le mouvement qui
vient d’éclater fait renaître les
beaux jours où l’armée et le
peuple confondaient leur
enthousiasme pour la liberté
.

Ceux qui ont voulu faire
marcher nos soldats contre
l’empereur ne connaissaient pas
l’ascendant de la gloire sur les
cœurs français.

Vous revoyez dans Napoléon celui
qui, conduisant toujours nos
phalanges à la victoire, éleva au
plus haut degré la gloire des
armées et du nom français.

image d’une guêpe M. BERLIOZ ET LE FESTIVAL.—Je ne crois pas que jamais un homme ait eu à subir autant de contre-temps que M. Berlioz;—à son début, cependant, il fut soutenu par deux classes de gens: par de jeunes artistes qui voudraient voir détruire les règles pour n’avoir pas à les apprendre,—et par quelques journaux—ennemis de tout ce qui a forme ou figure de loi; celles de l’harmonie comme celles du code; comme celles du bon sens;—comme celles du savoir-vivre;—c’est ce qu’ils se plaisent à appeler leur indépendance.

Après des difficultés inouïes, surmontées avec courage, noblesse et persévérance,—M. Berlioz trouva MM. Léon de Wailly et Barbier, qui lui firent un opéra;—cet opéra, écrit par des hommes d’un talent réel,—avait, même pour nous, qui n’aimons pas la musique de M. Berlioz, d’incontestables qualités.

On promena M. Berlioz de l’Opéra à l’Opéra-Comique; on lui fit réduire sa pièce de trois actes en un, après quoi on la trouva trop courte.—On obtint de M. Armand Bertin, du Journal des Débats, qu’il consentirait à entendre quelques airs. M. Armand Bertin, gros homme assez commun, hocha la tête,—et M. Berlioz perdit tout espoir d’être jamais représenté.

Mais lors de Quasimodo, opéra de la fille du Journal des Débats, on eut un peu besoin de M. Berlioz, et on l’attacha au journal. De ce jour, toute sa destinée changea, tous les bonheurs lui tombèrent sur la tête comme des tuiles.—Un nouveau collaborateur, un des noms les plus illustres de la littérature, M. Alfred de Vigny, vint jeter encore quelques perles dans le poëme (les Ciseleurs), et l’opéra fut joué.

Mais ce serait peu pour un protégé par le Journal des Débats.—Il n’est pas jusqu’aux deuils publics qui ne soient pour M. Berlioz un sujet de joie et une source de gloire.—Le duc de Trévise est tué par la machine de Fieschi.—On demande une messe à M. Berlioz;—on ne joue pas sa messe, on indemnise M. Berlioz.

—Sois tranquille, ô mon fils! disait le Journal des Débats;—attends avec patience la première calamité, elle est à toi, je te la donne d’avance.

Et M. Berlioz regardait mourir les illustrations, attendant qu’il s’en trouvât une digne de sa messe.

—Faut-il entonner? disait-il à chaque mort.

—Pas encore.

Enfin le général Danrémont fut tué devant Constantine,—et le Journal des Débats dit à M. Berlioz: «Prends ta harpe, mon fils, et chante-nous un peu ta messe

M. Berlioz a chanté,—et il a été décoré;—puis on l’a chargé de l’hymne de l’anniversaire des journées de Juillet.—Il a plu à M. Berlioz de donner un festival dans la salle de l’Opéra, et la salle de l’Opéra lui a été confiée;—il lui a plu de conduire l’orchestre,—et Habeneck lui a cédé son bâton de commandement.

image d’une guêpe Cependant ici a failli reparaître l’ancien guignon de M. Berlioz: les musiciens de l’orchestre ont refusé de jouer sa musique, et ont écrit au ministre de l’intérieur pour demander à aller ce jour-là travailler aux fortifications de Paris.—Aux répétitions, les cors se sont mis à jouer dans un autre ton que le reste des instruments;—la trompette à clef, au lieu de compter les pauses, a joué: Au clair de la lune, mon ami Pierrot;—les cordes des basses, coupées à moitié, ont éclaté au milieu d’une mesure avec un horrible bruit;—derrière les pupitres se sont fait entendre des cris de divers animaux avec des explications bouffonnes:—CCOCORICO, le coq, armes de France;—MIAOU, la chatte amoureuse;—OUAP, OUAP, le petit chien qu’on lui marche sur la patte, etc., etc.—On se rappelait qu’à un concert donné, il y a quelques années, par M. Berlioz, au Théâtre-Italien,—les musiciens avaient été engagés jusqu’à minuit;—au milieu d’un morceau, l’un d’eux tira sa montre, avertit ses camarades qu’il était minuit, et, sans achever la mesure, tous éteignirent leurs bougies, serrèrent leurs instruments, et quittèrent le théâtre.

Pour cette fois, cependant, les choses se sont arrangées et la représentation a passablement marché.

image d’une guêpe Pendant un entr’acte du festival,—M. Bergeron est entré dans une loge voisine de celle où était M. de Girardin avec sa femme,—l’a brusquement frappé au visage et a disparu en criant: «C’est moi Bergeron!» M. de Girardin s’est élancé à sa poursuite et a été,—je ne sais pourquoi,—retenu par ses amis. Quelques raisons qu’ait à donner M. Bergeron, il n’y en a aucune qui justifie un tel acte de violence en présence d’une femme.

Quelques personnes et quelques journaux ont approuvé l’action de M. Bergeron:—je dirai à mon tour que, si M. de Girardin avait en ce moment, d’un coup de pistolet, cassé la tête de M. Bergeron,—il aurait été fort difficile de le blâmer; je suis sûr que M. Bergeron, lui-même, est de mon avis.—Seulement, je n’aime pas beaucoup l’intervention du parquet dans une semblable affaire.

image d’une guêpe Il y a un marchand d’objets de curiosité,—nommé Capet,—rue Notre-Dame-des-Victoires, 42;—c’est une des nombreuses souricières où je suis attiré quelquefois par mon amour des sculptures de bois.—C’est chez lui que Darmès a acheté sa carabine;—en la marchandant,—il la retourna longtemps dans ses mains,—et dit: «Je ne sais pas trop ce que je ferai de cela.—Ah!... ça pourra toujours me servir pour tuer un bédouin.»

image d’une guêpe Je l’ai dit souvent,—les Parisiens,—si prompts à protester contre la tyrannie des rois,—subissent de la meilleure grâce celle des cochers de fiacre;—d’autre part, les agents de l’autorité ne pensent qu’aux émeutes, complots, attentats, etc., et ne donnent aucun soin à la sûreté et aux droits des citoyens.—Le 6 novembre,—je prends à l’heure un petit fiacre à un cheval;—pendant que je déjeune, je le prête à un ami pour faire une course;—le cocher refuse de marcher;—je le conduis chez un commissaire situé rue de Grammont, nº 9.

Le commissaire pérore;—le cocher raconte des histoires.—Je fais observer à ces deux messieurs que c’est à l’heure que j’écoute leurs harangues. Le commissaire donne tort au cocher,—mais ne prend aucune note contre lui.—Le cocher est donc récompensé de sa mauvaise foi par une demi-heure que j’ai à lui payer en sus pour la course chez le commissaire, le séjour—et le retour.

Je le quitte,—je veux le payer au tarif;—trente-cinq sous l’heure.

—Nullement, c’est quarante-cinq sous!

—Pourquoi?

—Parce que j’ai un numéro rouge.

—Mais votre voiture est détestable, il y pleut par vos glaces brisées,—votre cheval ne marche pas.

—J’ai un numéro rouge.

Le commissaire m’écoute—et me dit:

Il a un numéro rouge.

C’est fort agréable d’être conduit par un numéro rouge;—mais c’est peut-être un peu cher de payer ce plaisir dix sous de plus par heure.—Je dénonce au préfet de police, et le cocher sous le numéro 773, et le commissaire sous le nº 9 de la rue de Grammont.

image d’une guêpe Nous avons perdu M. Éliçabide,—il avait formé un recours en grâce; mais il a été établi qu’il avait, avant son crime, secoué un tapis par la fenêtre:—la clémence royale a dû s’arrêter devant un semblable précédent.

image d’une guêpe Les journaux de M. Thiers, qui avaient, pendant que leur patron était aux affaires, fait précéder le nom du roi de S.M.,—ont supprimé ces deux lettres depuis que le petit grand homme n’est plus ministre: cela apprendra au roi;—le voilà déchu de deux consonnes.

image d’une guêpe Le peuple crie à la fois pour la guerre—et contre les préparatifs de la guerre.—Je l’ai dit, c’est toujours du tapage, et rien de plus.

image d’une guêpe Le besoin de parler tient aujourd’hui une grande place dans toutes les affaires et dans tous les intérêts.

A Colmar,—dans un banquet, un M. Lagrange a voulu faire un discours.—Après qu’on l’a eu laissé patauger quelque temps,—on l’a prié de cesser et de ne pas interrompre plus longtemps le festin: «Messieurs,—a-t-il dit,—j’ai payé six francs, j’ai le droit de parler.»—Et il a parlé.

Les convives,—alors,—ont emporté, l’un un morceau de jambon,—l’autre les biscuits,—l’autre les poires,—et se sont retirés.

image d’une guêpe Un monsieur E. Bouchereau a fait contre moi une brochure remplie de grotesques injures;—un de mes amis, qui s’était chargé de m’amener M. Bouchereau, n’a pu réussir à le trouver jusqu’ici; il se livre à de nouvelles recherches.

La chose est en vers.

J’ai tenu toujours mes lecteurs au courant des différentes découvertes faites à mon sujet par d’honnêtes anonymes;—on a découvert tour à tour que j’étais vendu au roi Louis-Philippe,—puis à M. Thiers, puis,—que j’étais un mouchard.—Selon M. Bouchereau,—tous ces gens-là se sont trompés;—la vérité est que je suis vendu à M. Bert...,—probablement Bertin, le directeur du Journal des Débats.

Voici quelques-uns des vers de M. Bouchereau.

Voici d’abord son opinion sur mes romans:

L’artiste impartial voulut le parcourir;
Mais son chef devint lourd, puisqu’il semblait être ivre.
Bref, dégoûts et dédains lui fermèrent un livre
Qui le faisait dormir.

Opinion du même M. E. Bouchereau sur les Guêpes:

Oui, tel est cet auteur; il veut piquer les gens,
Mais il renverse tout. Il fait les guêpes biches;
Il connaît leur instinct, il les met en bourriches,
En dépit du bon sens.

Opinion du même M. Bouchereau—sur ma fortune et ma moralité:

Mais il n’a pas d’argent! Comment s’en procurer?
Bah! il en trouvera, c’est chose assez facile,
Dût-il vendre sa plume au premier imbécile
Qui voudra l’acheter.
—Ce moyen est honteux!—Lecteur qui dis cela,
Connais donc bien l’auteur: pour un doigt de champagne
Il fera de son mieux l’histoire de l’Espagne,
Puis apostasiera.
Il marchait en avant, on vint à sa rencontre;
Il sait qu’on le recherche, à Bert.. il se montre;
Bert.. veut l’acheter.

Me voici auteur d’une histoire d’Espagne,—apostat,—ivrogne,—et devenu la chose de M. Bert...—Ceci est complet,—on me connaît maintenant.

Puis, ce bon M. Bouchereau croit devoir s’excuser de ne m’avoir pas dévoilé plus tôt;—mais son excuse est dans un bon sentiment,—j’étais pauvre.

Il savait que jadis la dure pauvreté
Avait marqué sur lui ses pratiques austères;
Il savait qu’avant lui tels existaient ses pères;
Il n’a rien raconté.

Lui,—c’est moi;—il, c’est M. E. Bouchereau.

Il savait tout cela; mais devant le malheur
Il se tut, et songeant qu’un roman, dans sa vie,
Amènerait l’aisance, il devint son Messie
Et ne fut pas censeur.

Excellent M. Bouchereau! il m’a permis de faire un roman.—Il paraît même qu’il a à se reprocher d’en avoir dit du bien;—Dieu vous le rende, monsieur E. Bouchereau!

Mais aujourd’hui l’aisance a chassé le besoin.

Aujourd’hui que je suis vendu à tout le monde, au roi,—à M. Thiers,—à M. Bert...;—aujourd’hui l’indulgence de M. E. Bouchereau est à bout,—et il me fait connaître.—Aussi, c’est ma faute: pourquoi ne me suis-je pas contenté d’avoir fait un roman?—j’avais bien besoin d’en faire d’autres;—et puis ces maudits petits livres!

En parcourant ces vers, bien haut Karr va crier:
L’auteur est un méchant, sa brochure est inique.

Ah! cette fois, monsieur E. Bouchereau,—vous qui me connaissez si bien, vous à qui je ne peux rien cacher,—perspicace monsieur E. Bouchereau,—cette fois vous vous trompez,—je ne dis pas un mot de cela;—je vous trouve beaucoup plus bête que méchant,—et votre brochure me paraît assez drôle.

Cependant, mon bon monsieur Bouchereau,—comme à la rigueur on peut être un imbécile et ne pas être un lâche,—je vous prierai, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, de me faire parvenir l’adresse de vos oreilles.

Il y a de bonnes gens qui crient à tue-tête: «Moi, je ne me vendrais pas à l’or du pouvoir!»—des gens qui,—aussitôt qu’on ne partage pas les idées saugrenues qu’ils prennent je ne sais où,—vous déclarent corrompu et vendu.

Je pense que ces gens ont besoin de beaucoup de vertu et de désintéressement pour conserver ainsi leur indépendance,—et que le gouvernement est sans cesse à leur porte pour les supplier d’accepter cinquante mille livres de rente,—une voiture à panneaux œil de corbeau—et des chevaux alezan brûlé.

Pour moi, j’avouerai humblement que je ne puis me rendre compte à moi-même de la brutalité de ma vertu à cet endroit, attendu qu’elle n’a jamais été attaquée jusqu’ici.

Mais,—mes braves gens,—je veux bien vous avouer toutes choses: je suis subventionné, il est vrai,—je le nierais en vain;—cela d’ailleurs est facile à voir,—je n’ai pas de chevaux, mais j’ai des pigeons blancs; j’avais un paletot neuf il n’y a pas plus de trois mois.—Après cet aveu, je n’hésite pas à vous dénoncer mes corrupteurs:—tenez, en voici un qui passe,—c’est un étudiant avec un habit noir blanchi aux coudes et aux coutures; il monte ses cinq étages—en fumant son cigare;—il vient d’acheter un de mes petits volumes.

Eh! bon Dieu, en voici un autre:—celui-là c’est une femme: la voyez-vous à la fenêtre de sa mansarde,—ses cheveux blonds se mêlent au feuillage bruni des cobéas,—elle lit un de mes romans.

Mais j’en rencontre partout de ces corrupteurs qui me subventionnent:—j’en ai dans les salons et dans les ateliers.—Il y a quelque temps,—comme je courais les bois avec un de mes amis, nous avons trouvé un volume des Guêpes chez un garde-chasse,—dans une hutte au milieu d’une forêt.—Ce brave homme me fait un revenu de trois francs par an.

Mais si cela ne me suffisait pas, monsieur E. Bouchereau,—qui m’empêcherait d’ajouter quelques pages d’annonces à mes petits livres, comme font les journaux et les revues?—qui m’empêcherait de me faire, par ce moyen, un revenu de cinq à six mille francs?—personne et rien au monde,—sinon que je suis un poëte et ne suis pas un homme d’argent.

image d’une guêpe En lisant la brochure de ce monsieur, je me suis rappelé l’époque de ma vie à laquelle il faisait allusion.

Moi pauvre! je n’ai jamais été si heureux, je n’ai jamais été si riche qu’à cette époque où je dînais souvent avec un morceau de pain et un verre d’eau.—Moi pauvre! mais il y avait des jours,—seulement quand j’avais vu s’entr’ouvrir le rideau d’une certaine fenêtre, où j’évitais de toucher les passants du coude dans la crainte de les briser.—Moi pauvre! j’ouvre des notes que j’écrivais tous les soirs,—et voici ce que j’y trouve.—Voyez si j’étais pauvre et si j’étais malheureux:

Août 182.....

Je me suis levé de bonne heure. Le soleil se levait dans de tièdes vapeurs; ses rayons obliques scintillaient à travers les haies comme des paillettes d’or, et il semblait que le soleil me disait: «Je te salue, Alphonse; c’est pour toi que je purifie l’air que tu vas respirer; c’est pour toi, ce matin, que je couvre de pierreries les pointes vertes de l’herbe; je te salue, tu aimes, tu es le roi du monde.»

Une fauvette à tête noire sur un châtaignier chanta et dit: «Je te salue, Alphonse; c’est pour toi, aujourd’hui, que sont nos concerts; c’est une grande fête que le premier sentiment d’amour qui se glisse au cœur; je te salue, tu aimes, tu es le roi du monde.»

Une campanule dans l’herbe: «Je te salue, Alphonse; c’est pour toi que j’ouvre, ce matin, mes corolles de saphir, c’est pour réjouir tes yeux que les pâquerettes étoilent la prairie de leur petit disque d’or et de leurs rayons d’argent. Tu aimes, tu es le roi du monde.»

La clématite: «Je te salue, Alphonse; c’est pour toi que j’embaume l’air de mes parfums pénétrants, c’est vers toi que je tourne mes petits encensoirs d’argent. Tu aimes, tu es le roi du monde.»

Le châtaignier: «Je te salue, Alphonse; j’étends sur toi mes larges éventails verts; il y a cent ans qu’on m’a planté, cent ans que je résiste aux vents pour t’abriter aujourd’hui contre les âpres baisers du soleil. Tu aimes, tu es le roi du monde.»

Le vent dans les feuilles: «Je te salue, Alphonse; c’est pour toi aujourd’hui que seront mes plus suaves et plus mystérieuses harmonies, pour toi qui seul les comprendras. Pour les autres, je ferai crier aigrement une girouette, mais, pour toi, je te dirai les plus doux secrets de l’amour, et j’enlèverai la poussière du chemin par où tu dois aller la voir, je t’apporterai l’air qu’elle chante en pensant à toi. Tu aimes, tu es le roi du monde.»

image d’une guêpe On demande l’adresse des oreilles de M. E. Bouchereau.


Décembre 1840.

Rançon et retour des Guêpes.—Le cheval Ibrahim.—Un mot de M. Vivien.—Mot de M. Pelet (de la Lozère).—M. Griel.—M. Dosne considéré comme péripatéticien.—La mare d’Auteuil.—Comment se fait le discours du roi.—Un mot de M. Énouf.—Les échecs.—Un mot de M. Lherbette.—M. Barrot.—M. Guizot.—M. de Rémusat.—M. Jaubert.—Les vaudevilles de M. Duvergier de Hauranne.—Deux lanternes.—Le roi et M. de Cormenin.—Naissance du duc de Chartres.—M. de Chateaubriand.—La reine Christine.—Le général d’Houdetot.—Bureau de l’esprit public.—M. Malacq et mademoiselle Rachel.—M. Lerminier et M. Villemain.—Une guêpe de la Malouine.—M. A. Dumas.—Forts non détachés.—Mot de M. Barrot revendiqué par les Guêpes.—M. Cochelet.—M. Drovetti.—M. Marochetti.—Une messe d’occasion.—Obolum Belisario.—MM. Hugo,—de Saint-Aulaire,—Berryer,—Casimir Bonjour.—M. Legrand (de l’Oise).—M. Jourdan.—Un logogriphe de M. Delessert.—Dénonciation contre les conservateurs du musée.—M. Ganneron mécontent.—M. E. Sue et monseigneur Affre.—Les fourreurs de Paris et les marchands de rubans de Saint-Étienne.—M. Bouchereau paraît.—Les inondations.—Le maire de Saint-Christophe.

DÉCEMBRE.—D’après le jugement dont je vous ai parlé,—on allait vendre le titre des Guêpes aux enchères publiques.—Mes pauvres guêpes, qu’allaient-elles devenir? Qu’en aurait-on fait?—Elles, si libres, si indépendantes,—à quel parti, à quel valet de parti allaient-elles appartenir?—Au service de quelle sottise allaient-elles se mettre?—Au profit de quelle friponnerie allaient-elles combattre?

Je me suis ému,—et, pour leur rançon, j’ai donné tout mon argent.

image d’une guêpe J’ai racheté ça titre que j’avais créé, qui m’appartenait selon l’équité,—mais non selon la justice.

Revenez donc à moi,—Astarté,—Grimalkin,—Moloch,—j’ai pour vous recevoir de beaux camélias—et des tussilages, des héliotropes d’hiver parfumés. Revenez, mes pauvres prisonnières; revenez, mes enfants, mon escadron ailé, mon bel escadron d’or,—revenez à moi.

Nous allons recommencer notre guerre contre l’avidité et contre la sottise. En avant!

J’ai raconté dans les Guêpes—comment M. Thiers avait acquis de M. Leroy—un petit cheval que M. Leroy prête d’ordinaire à un enfant que l’on appelle familièrement Tata.—Les journaux se sont emparés des faits, et, au lieu de dire le cheval de Tata, ont dit le cheval Tata.—Le cheval s’appelle Ibrahim.—Depuis que M. Thiers a été mis à pieds, il paraît qu’il a rendu Ibrahim à M. Ernest Leroy,—que j’ai aperçu dessus l’autre jour. Ibrahim a beaucoup gagné depuis qu’il n’est plus aux affaires.

image d’une guêpe M. Vivien a dit spirituellement, en quittant l’hôtel du ministère pour retourner chez lui: «C’est égal, j’aurai toujours appris ce qu’il faut se donner de peine pour être un mauvais ministre.»

Pendant que M. Pelet de la Lozère était ministre des finances,—il faisait le relevé de ses comptes avec M. Griel,—et il était très-mécontent de certaines énormités.—M. Griel lui dit: «Mais c’est M. le président du conseil qui les a ordonnées pour l’État.

—On voit bien, dit M. Pelet, que M. le président n’y met pas du sien.»

image d’une guêpe Docile à nos conseils, M. Dosne, que M. L..., un de ses collègues à la Banque, appelle le beau-père du gouvernement, est venu immédiatement jouer la hausse à la Bourse sur la démission de son gendre.

Ce grand philosophe continue ses promenades au passage des Panoramas, de une heure à quatre heures; une demi-heure avant l’ouverture des cours et une demi-heure après.

On s’obstine à demander ce qu’est devenue la fameuse enquête sur les affaires de la Bourse.

image d’une guêpe A un journaliste très-spirituel—on demandait s’il pensait réellement ce qu’il avait dit au sujet d’une pièce de théâtre. «Le public,—répondit-il,—a besoin qu’on lui donne une opinion;—on me donne, à moi, cinq cents francs par mois pour donner une opinion sur les pièces nouvelles.—J’en donne une, mais ce n’est pas la mienne;—la mienne, ce serait plus cher.»

image d’une guêpe Sous prétexte de guerre possible avec l’étranger,—on en fait une certaine et acharnée à nos propriétés et à nos plaisirs.—Le bois de Boulogne est saccagé;—cet endroit délicieux qu’on appelle la mare d’Auteuil est livré aux ouvriers du génie.—On a abattu les plus beaux arbres et on entasse des mœllons.

image d’une guêpe Il est bon, pour édifier nos lecteurs sur la majesté de la royauté constitutionnelle, de bien leur dire ce que c’est que le discours du roi,—que l’on appelle, dans l’argot de ce temps-ci, discours du Trône,—ou discours de la Couronne.

Ce discours est fait par les ministres—constitutionnellement, le roi ne doit prendre aucune part à sa rédaction;—il l’apprend par cœur et le lit à la Chambre à peu près comme un enfant récite une fable. Dans le plus grand nombre de cas, on peut, il est vrai, supposer que le roi, qui choisit ses ministres,—n’a à répéter que l’expression de sa propre pensée;—cependant la majorité peut forcer le choix du roi, et il lui faut alors dire des choses dont il ne pense pas un mot, et dont il pense précisément le contraire.

Le discours du roi a été fait par les ministres, dont deux sont membres de l’Académie française.—Il est impossible de rien voir de plus plat, de plus nul,—de plus mal écrit—que ce discours.

Si ce n’est pourtant l’adresse en réponse au discours, qui est encore bien plus plate, bien plus nulle et bien plus mal écrite.—Il y avait dans la rédaction de l’adresse trois académiciens.

Dans la nomination de la commission de l’adresse, on a remarqué que M. de Lamartine a obtenu une voix; M. de Salvandy, trois; M. Dupin, six.—C’est-à-dire que le nombre des suffrages est en raison inverse du talent littéraire de chacun des concurrents.

D’ordinaire les sots importants et les sottises sérieuses ont soin de se bien habiller, sachant bien que c’est le seul mérite qu’il leur soit permis d’atteindre.—Je n’ai jamais vu de sottises plus mal vêtues que celles du discours et celles de l’adresse.

image d’une guêpe Il y a des gens qui ont un procédé facile pour paraître bien informés, c’est la contradiction; ces gens-là ont dit que l’adresse si hautement revendiquée par Me Dupin avait été faite par le roi, qui se vengeait de ne pouvoir parler lui-même—en se donnant le plaisir de se répondre.—On a été jusqu’à préciser le nombre des couverts de vermeil qui auraient été donnés par le roi à Me Dupin—pour récompenser sa complaisance.—Ces bruits, qui n’ont aucun fondement, n’en ont pas moins pour cela trouvé de l’écho. Me Dupin, dans son adresse, donne au roi plusieurs conseils fort utiles, tels que de s’entourer de conseillers fidèles et éclairés.—Cela me rappelle ce conseiller municipal qui pendant une longue sécheresse—interrompit une délibération—demanda la parole et dit: «Il serait bien à désirer qu’il vînt de la pluie.»—Après quoi il conseille à Louis-Philippe de se fier à son étoile, c’est-à-dire de s’en rapporter à la Providence, qui est le nom chrétien, le nom de baptême du hasard.—Ce qui n’a pas paru d’une politique bien transcendante.

image d’une guêpe Pendant que je parle de Me Dupin, il me revient sur lui que, tandis qu’il était président de la Chambre des députés, il eut l’idée bien naturelle de faire augmenter les appointements de la présidence.—Ces appointements se payaient par mois; or la cession ne dure pas toute l’année.—C’est pourquoi Me Dupin demanda à être payé par an; il n’osa pas assister à la séance de la Chambre où cette augmentation fut votée; un de ses amis alla aussitôt lui apprendre le résultat de la délibération. «Réjouissez-vous, lui dit-il, l’augmentation est votée.

—Mais,—dit l’avocat,—mais comment cela est-il formulé?

—De la façon la plus simple du monde, le traitement du président de la Chambre.

—Comment, le traitement!

—Certainement, le traitement.

—Je suis perdu.

—Vous m’effrayez, que voulez-vous dire?

—Que je ne puis cumuler mon traitement de président de la Chambre des députés avec mon traitement de procureur général.—Il faudra opter.»

Cependant M. Dupin, après quelques instants d’abattement, se rassura,—sortit,—courut, fit des visites et obtint que dans le rapport de la séance on substituât le mot indemnité au mot traitement,—ce qui lui permit de garder le tout.

Comme on plaisantait Me Dupin sur l’étoile du roi,—il répondit: «Vous ririez bien plus si j’avais parlé de sa fortune

Je n’aurai plus à parler de Me Dupin,—grâce à Dieu, c’en est fait de lui,—il est tout à fait effacé de la scène politique,—c’est aujourd’hui un homme tellement et si bas tombé,—qu’on ne peut plus même l’attaquer. Me Dupin a été un des fléaux de ce temps-ci.

Il était le représentant de la médiocrité jalouse et taquine, et envieuse de toute supériorité, le chef des avocats—bavards, importants, cauteleux et vulgaires; insolent envers la royauté à la Chambre de une heure à cinq, pour conserver sa popularité, il allait s’excuser le soir, aux Tuileries, pour conserver ses places.

L’étoile de Me Dupin a filé.

image d’une guêpe Sous prétexte de l’adresse, on parle sans discontinuer depuis cinq jours, à la Chambre. On se querelle, on se dispute;—on s’injurie, on s’interrompt.—J’avouerai qu’il me semble quelquefois pénible d’être représenté par des gens aussi mal élevés que le sont beaucoup d’entre MM. les députés.—Dans un des moments de la plus grande agitation,—M. Enouf, scandalisé, s’est écrié dans un groupe: «Messieurs, une idée! si nous ne parlions que quatre à la fois?»

image d’une guêpe Tout ce débat est misérable, et je ne comprends pas comment on peut encore prendre au sérieux les discours de MM. les ministres et de ceux qui aspirent à les remplacer.

Il y a, il paraît, en France plusieurs millions de bonnes gens qui, dans leur encourageante crédulité, se disent:

«Tiens, M. Thiers dit que ce qu’il a fait c’était pour l’honneur du pays;—il paraît que c’était pour l’honneur du pays.

«Oh! oui,—mais M. Villemain répond que M. Thiers a gâté la fortune de la France.—Il paraît que la fortune de la France a été gâtée par M. Thiers

Ne voyez-vous donc pas encore, mes bonnes gens, que ceci n’est qu’une partie d’échecs que jouent ces messieurs;—que chacune des phrases qu’ils jettent de la tribune n’est qu’un pion qu’ils avancent;—qu’une phrase plus ronflante est un cavalier ou une tour;—que ces phrases-là sont toutes faites, comme les pièces de l’échiquier sont toutes tournées,—et que les phrases, comme les pions, se serrent et se prennent dans une boîte?—M. Thiers, aujourd’hui, a les noirs,—M. Guizot a les blancs.

Que demain M. Thiers revienne aux affaires en renversant M. Guizot,—vous verrez M. Guizot prendre à son tour les noirs et jouer la partie que joue aujourd’hui M. Thiers, lequel prendra les blancs et jouera la partie de M. Guizot.

Ne voyez-vous pas encore que, quel que soit le gagnant, c’est vous qui payez,—et que toutes ces parties se jouent—comme Gatayes jouait tantôt avec mon frère dans mon jardin?—c’était une partie de boules dont l’enjeu était un verre de mon rhum contre un verre de mon kirsch.

Mais il vous plaît de vous intéresser à cela.—Vous me semblez des gens qui se croiraient purgés si on leur disait de belles choses sur l’émétique.

Pour faire de grandes phrases ou du pathos,—M. Thiers, qui n’est plus aux affaires, a un grand avantage sur M. Guizot, qui est forcé d’appliquer les théories qu’il émet.—M. Thiers, qui voudrait absolument tomber à la tête de quelque chose, se livre à la gauche de telle façon, que M. Lherbette, qui siége dans cette partie de la Chambre, a dit: «Sous le ministère du 12 mai,—M. Thiers a fait un discours qu’on a appelé discours-ministre;—voilà, cette fois, un discours-dictateur.»

image d’une guêpe Pour moi, quand je lis, le soir ou le matin, dans les grands journaux, ces grands discours,—ces phrases empoulées,—verba sesquipedalia,—entremêlées de parenthèses (Mouvement.)

(Impression profonde.)

(Marques d’assentiment.)

(Bravo!)

(Murmures d’indignation.)

Etc., etc., etc.,

Je ne me sens pas, à beaucoup près, aussi impressionnable que messieurs les honorables, et je me vois forcé d’attribuer une immense puissance au débit, à la voix et aux gestes des orateurs.

Et tous ces discours qui ont produit tant d’effet à la Chambre, me semblent alors «les carcasses d’un feu d’artifice tiré, avec ses fusées vides et ses bombes crevées.»

image d’une guêpe Le parti de M. Thiers a des déserteurs qu’il serait trop long de compter. Il y a, à la Chambre, comme partout, un très-grand nombre de gens fermes et immuables dans leurs convictions, que rien ne peut ébranler, et qui sont invariablement dévoués au pouvoir actuel.—Fermes appuis de M. Thiers, qu’ils étaient récemment, ils donnent aujourd’hui leur concours à M. Guizot, et sont prêts à le donner à M. Barrot,—s’il devient, un de ces jours, pouvoir actuel à son tour.

Le parti doctrinaire, dont M. Guizot a été si longtemps le chef, a perdu MM. Duvergier de Haurannede Rémusat,—Jaubert,—et Piscatory, qui ont passé à l’admiration de M. Thiers.

La position parlementaire perdue, il faut la refaire par la presse. De ces quatre messieurs, deux savent écrire;—ils ont été incorporés au Siècle sous M. le lieutenant général Chambolle.

M. Duvergier de Hauranne va rarranger, pour le théâtre de la Renaissance, quelques-uns des vaudevilles de sa jeunesse, si injustement sifflés sous leurs anciens titres de Une visite à Gretna-Green,—et l’Amant comme il y en a peu.

Il est fâcheux pour ces messieurs que ce ne soit pas au moment de l’avénement de M. Guizot qu’ils se soient séparés de lui:—leur scission aurait eu un éclat de désintéressement en faveur de M. Thiers, qu’elle n’a pas eu au moment où il est rentré aux affaires.

image d’une guêpe Le ministère du Ier mars avait cet avantage sur S. M. Louis-Philippe, que tous les soirs deux étoiles s’allumaient pour lui. Ces deux étoiles étaient deux lanternes qui servaient d’enseigne aux deux journaux du soir, le Messager et le Moniteur parisien.—Ces journaux, tous deux honorés des communications officielles,—disaient absolument la même chose; aussi, tandis qu’on se demandait: «A quoi servent donc au ministère deux journaux du soir?» chacun des deux journaux se demandait à quoi servait l’autre.—Le ministère Soult-Guizot a pris le parti de supprimer à l’un des deux et son appui et ses communications et surtout sa subvention. On a longtemps hésité entre M. Brindeau et M. Beaudoin,—rédacteurs en chef de ces deux feuilles sans rédaction.—M. Brindeau, il est vrai, a pris dans le fameux procès Gisquet une position d’homme vertueux qui rend son concours d’un excellent effet pour un gouvernement;—mais M. Beaudoin a retrouvé en 1830—des drapeaux tricolores qu’il avait cachés dans sa cave. M. Brindeau est plus homme du monde,—M. Beaudoin est plus homme d’affaires.—M. Beaudoin a la croix d’honneur, M. Brindeau porte des transparents rouges.

Après de longues délibérations, on a soufflé la lanterne de M. Beaudoin.

image d’une guêpe On lit dans le journal l’Abbevillois:

«L’observation faite par l’auteur des Guêpes, que le plus sûr moyen d’empêcher la fraude dans la vente du pain était d’en taxer les diverses qualités au kilogramme, a porté ses fruits: M. le préfet de police de Paris vient de prendre un arrêté qui prescrit la taxe et la vente du pain au poids.»

Mais voici qu’aujourd’hui on me fait remarquer que, depuis cette ordonnance,—les boulangers vendent du pain qui n’est pas cuit.

image d’une guêpe On assure que sous beaucoup de rapports le roi est très-ignorant de ce qui se passe,—et qu’on lui fait croire de singulières choses,—entre autres, que les écrits de M. de Cormenin sur la liste civile ont excité contre le vicomte de lettres une telle indignation, que le peuple lui jette des pierres dans la rue.

Quelques jours après l’attentat de Darmès, comme on prononçait devant le roi le nom de M. de Cormenin:

«Ce pauvre M. de Cormenin, dit Sa Majesté, il paraît qu’il est comme moi, qu’il ne peut plus sortir.—Il fait un temps affreux; eh bien! je ne puis m’empêcher de porter envie à ceux qui se crottent tranquillement dans les rues.»

image d’une guêpe Le jour où le canon a annoncé que la duchesse d’Orléans venait d’accoucher,—quelqu’un a dit: «Voyez les Parisiens, comme ils sont contents!—C’est un prince de plus... à outrager... à chasser.»

En effet, dès le lendemain, certains journaux attaquaient déjà le duc de Chartres sur ses manières... de naître.—Il n’avait encore fait que cela.

Un libraire a profité de ce que M. de Chateaubriand avait donné de l’eau du Jourdain pour le baptême du duc de Chartres—pour annoncer les œuvres complètes de l’auteur de René.

image d’une guêpe La reine d’Espagne, Christine, est à Paris,—où le roi Louis-Philippe l’a parfaitement reçue;—c’est une belle personne,—un peu trop grosse, mais ses yeux ont une remarquable intelligence.—Ses adieux aux Espagnols, qui ont été publiés par les journaux, sont d’une grande éloquence.—Elle voulait aller en Italie—et le général d’Houdetot a eu quelque peine à la décider à venir à Paris.—Il est vrai de dire qu’en fait de gouvernement constitutionnel,—pour se servir d’une expression populaire:—elle sortait d’en prendre.

image d’une guêpe Il y a au ministère de l’intérieur un bureau qui s’appelle bureau de l’esprit public.—C’est de ce bureau que partent des instructions, des discours et des articles tout faits pour les journaux de Paris et de la province et pour messieurs les préfets des départements.

Ce bureau, depuis l’avénement de M. Duchâtel, n’est pas encore organisé.—M. Duchâtel a fait prévenir par le télégraphe M. Malacq, qui était en province, qu’il eût à revenir promptement prendre la direction de l’esprit public, dont mademoiselle Rachel avait fait l’intérim.

D’un autre côté, M. Villemain, qui, par respect pour la hiérarchie, ne veut pas influencer le choix de M. Duchâtel, a cependant promis au maréchal Soult de surveiller un peu l’orthographe des défenseurs du ministère. Il a proposé un grand cabinet où l’on ferait de la polémique d’avance à l’usage des départements.—Ce cabinet serait mis sous la direction de M. Lerminier,—ce jeune savant qui, placé dans sa chaire par la volonté d’un ministre, n’en est sorti que par la force des pommes cuites et autres.

Ce choix étonne d’autant plus certaines personnes, que M. Villemain est un homme d’esprit, qui sait dans l’occasion sacrifier aux grâces comme aux muses.

image d’une guêpe Une guêpe, qui était partie dans les vergues de la Malouine, revient après un long voyage et me dit: «Quel charmant talent que celui de ton ami Dumas!—quelle verve entraînante!—Mais pourquoi parle-t-il quelquefois de choses qu’il ne connaît pas?—Ainsi, vois par exemple le Capitaine Paul, 1er volume:

Hauteur et finesse des mâtereaux. (Page 20.)

Qu’est-ce que des mâtereaux? ce sont les pièces de bois avec lesquelles on fait les mâts légers; mais appeler mâtereaux des mâts, c’est comme si on appelait une corde un chanvre.

(Page 24.) Une barque conduite par six rameurs; le mot barque est inintelligible pour un marin quand il s’agit d’un canot, d’une embarcation.—Le mot rameur s’employait lors du bon temps des galères; mais, depuis, on dit canotiers, avirons, nager, au lieu de ramours, rames et ramer.

(Page 79.) Le matelot placé en observation, ou plutôt, comme on le dit toujours, le matelot de vigie, ne crie: Une voile! que dans les navires de Robinson Crusoé; à bord des autres bâtiments, il crie: Navire!

(Page 88.) Le navire en mer était un peu plus fort que la frégate l’Indienne, et portait trente-six canons; comme dans la page 103 il est dit que c’était un brick, il en résulte que le brick était d’abord de trente-six canons, ce qui ne s’est jamais vu et ne se voit pas encore, attendu que les plus grands bricks sont de vingt pièces, et qu’ensuite ledit brick était plus grand qu’une frégate, ce qui se voit encore moins.

(Page 99.) Toute la voilière du grand mât endommagée. Qu’est-ce que la voilière?

(Page 102.) Le grand mât du drake tombe comme un arbre déraciné.

Alors, comment l’Indienne, abordant ledit drake par la hanche de bâbord,—c’est-à-dire sur l’arrière du grand mât, peut-elle engager ses vergues dans les vergues du brick de trente-six canons, son ennemi, dont le grand mât n’est plus debout?

Et la guêpe s’envola,—en faisant avec ses ailes un petit bruit d’et cætera.

image d’une guêpe A chaque instant, on apprend quelque nouvelle évasion des bagnes.—Depuis peu de temps, neuf forçats ont quitté clandestinement le bagne de Rochefort.—Joignez à cela les circonstances atténuantes qui envoient aux bagnes des gens qui méritent mieux que cela, et vous ne pourrez voir sans inquiétude rentrer dans la société des gaillards qui ne sont pas destinés à en faire l’ornement.

image d’une guêpe A la chute du ministère du 1er mars,—il était à présumer qu’on suspendrait les travaux des forts détachés. En effet, c’était en vue de la guerre que l’on fortifiait Paris, et le nouveau ministère détruisait les chances de guerre.—Cependant, on a continué à travailler et surtout à faire des marchés, dont quelques-uns sont au moins singuliers.

Ainsi, les travaux de Noisy, sous prétexte de soumission au rabais, ont été adjugés à M. Benoît, moyennant une augmentation de vingt-deux pour cent sur le devis.

Tandis qu’à Charenton M. Lebrun les a eus à sept francs trente-trois centimes de rabais, ce qui fait que le mètre de maçonnerie qui coûte vingt francs à Charenton coûte vingt-six francs à Noisy.

image d’une guêpe Pendant la lecture de l’adresse à la Chambre des députés—une voix a bien voulu emprunter quelques mots aux Guêpes—au moment où le président est arrivé à cette phrase: «Si notre territoire est menacé.» M. Barrot s’est écrié: «Oui, quand on sera à Strasbourg

image d’une guêpe Attendu que, sous le ministère parlementaire, on a tout fait sans le concours des Chambres—et qu’il ne leur reste plus qu’à approuver des mesures et des dépenses qu’on a eu soin de trop avancer pour qu’on puisse revenir dessus aujourd’hui,—il était à craindre que nos honorables représentants ne fussent embarrassés pour occuper la session.

Mais un député a fait une découverte qui doit nous rassurer à ce sujet.

Depuis longtemps on sentait un embarras financier sans en pouvoir apprécier et définir les causes. L’opposition se plaignait d’un scandaleux gaspillage des deniers publics.—Les ministères qui se succédaient gémissaient de l’insuffisance du budget.—On n’avait d’argent ni pour exécuter de grands travaux, ni pour fonder des entreprises utiles.—Les plus forts économistes de la Chambre y perdaient leur latin.

Mais M. Chapuys de Montlaville a mis le doigt sur la blessure.—Il a découvert qu’il y a quelque part, dans un village des Basses-Pyrénées, un greffier de justice de paix qui grève indûment le budget de cent francs par an.

Ce fait va être dénoncé à la Chambre, et tout porte à croire qu’on fera justice de la rapacité du greffier. Par suite de quoi tout ira le mieux du monde.

image d’une guêpe A une des dernières séances de la Chambre des députés—quelqu’un disait ce que Scaliger disait des Basques, dont le patois l’étonnait un peu: «On assure qu’ils s’entendent entre eux, mais je n’en crois rien

image d’une guêpe Plusieurs journaux et plusieurs personnes de la cour ont cru imaginer une flatterie gracieuse—en rappelant, à propos du voyage que la reine d’Espagne a fait à Fontainebleau,—le séjour qu’y a fait autrefois une autre reine et une autre Christine,—qui y fit assassiner son amant, Monadelschi,—et qui, bien plus encore,—parlait latin, était fort laide—et s’habillait presque en hussard.

image d’une guêpe M. Thiers et le gouvernement avaient les idées les plus fausses sur la situation de l’Égypte et sur la puissance du pacha.—M. Cochelet était là et n’y voyait rien. M. Drovetti, qui n’a jamais eu une position officielle, était mieux éclairé.—Ainsi, un jour, à Auteuil, tandis que M. Thiers se livrait à des développements de théories singulières à propos de l’Égypte, M. Marochetti, le sculpteur, qui est très-familier dans la maison et qui a été renseigné par M. Drovetti, disait à demi-voix à une autre personne: «Mon Dieu, comme on le trompe!»

image d’une guêpe Pour les fêtes des Cendres de l’Empereur,—on annonce que l’on chantera une messe de Chérubini,—la même qui a été chantée à la mort de Louis XVIII.—Il semble qu’on aurait bien pu faire pour Napoléon les frais d’une messe neuve, qui n’eût pas servi.—Les héros ne sont pas si communs,—et, grâce au gouvernement constitutionnel et à la presse,—deux choses puissantes sans être grandes,—envieuses et aimant à rapetisser,—ils sont aujourd’hui à peu près impossibles.

Si cependant on ne pouvait faire autrement que de lui donner une messe d’occasion,—il y eût eu plus de convenance à ne pas prendre précisément la messe faite pour Louis XVIII.

image d’une guêpe M. Thiers va décidément écrire son histoire du consulat.—M. Thiers écrit l’histoire comme il la fait,—c’est-à-dire qu’il oblige les faits à entrer bon gré, mal gré, dans les nécessités d’une idée plus ou moins fausse qu’il s’est formée d’avance.—Cette période si courte n’aura pas moins de dix volumes.

image d’une guêpe M. Vivien, à sa sortie du ministère, s’est fait inscrire sur le tableau des avocats.—Il est à la fois ignoble et immoral qu’on ait retranché la pension de vingt mille francs qu’on donnait autrefois à un ministre.—Un ministre sans fortune est placé entre deux nécessités.—Il faut qu’il se fasse de quoi vivre pendant qu’il est aux affaires,—ou qu’il rentre tristement dans une carrière abandonnée et souvent perdue. Ainsi, je ne confierais pas une affaire importante à M. Vivien, qui serait obligé de la plaider devant des juges auxquels, pour la plupart, il est impossible qu’il n’ait pas eu quelque chose à refuser pendant qu’il était au pouvoir.

image d’une guêpe Deux élections vont avoir lieu à l’Académie,—par suite de la mort de MM. Pastoret et Lemercier.

M. Guizot met en avant MM. Hugo et de Saint-Aulaire.

M. Thiers, continuant sa rivalité,—pousse MM. Berryer et Casimir Bonjour.

image d’une guêpe Le ministère a causé un assez grand scandale par la destitution de M. Jourdan, directeur des contributions directes,—pour donner une place à M. Legrand (de l’Oise), député—et seulement parce qu’il est député.

image d’une guêpe M. Legrand est de cette opinion insaisissable qu’on appelle le tiers parti,—qui n’assiste pas à la Chambre dans les occasions graves,—ou va se rafraîchir à la buvette.—M. Legrand se fait de temps en temps hisser à quelque chose tout en faisant destituer quelqu’un.—On l’a vu successivement devenir secrétaire général du commerce, auquel il n’entend rien,—et faire destituer M. Marcotte,—brave fonctionnaire du côté droit,—plus tard, M. Bresson, digne fonctionnaire du juste milieu,—aujourd’hui, M. Jourdan, vieux patriote de 89 et rédacteur du Moniteur.

image d’une guêpe M. Thiers et M. Barrot chantent la Marseillaise et ne s’en tiennent pas là.

Ils obtiennent dans certains journaux et auprès de beaucoup de gens un grand succès avec des phrases qui rappellent beaucoup les couplets que chantait Lepeintre aîné en 1821, à l’époque où il y avait dans tous les vaudevilles un soldat laboureur qui disait:

Et, s’il le fallait pour la France,
Je repartirais à l’instant.

Ou bien:

Je repartirais à l’instant,
S’il le fallait pour la France.

Que l’on variait en disant:

Et s’il le fallait à l’instant,
Je repartirais pour la France.

Après le discours de M. Barrot, surtout,—on fredonnait dans la Chambre ce couplet d’Henri Monnier:

Ami certain de la valeur,
Fidèle amant de la victoire,
Il eut pour marraine la gloire,
Et pour père le champ d’honneur.

Je suis peu fier d’être à peu près Français quand je songe qu’il y a tant de gens qui ne s’aperçoivent pas que tout cela est parfaitement ridicule.

On ne s’épargne les reproches d’aucun genre. «Vous, vous êtes allé à Gand,» dit-on à M. Guizot.

«Oui, mais vous, vous avez été volontaire du drapeau blanc,» répond M. Guizot à M. Barrot.

«Vous déshonorez la France,» dit M. Thiers.

«Vous avez gâté sa fortune,» répond M. Villemain pour M. Guizot.

Voilà ce qu’il y a de triste et d’embarrassant dans ces débats:—c’est que M. Thiers et M. Guizot ont parfaitement raison l’un et l’autre dans les reproches qu’ils s’adressent.

D’une part,—M. Guizot a bien l’air d’avoir joué M. Thiers pendant son ambassade à Londres;—et la visite faite au roi à Eu par le même M. Guizot a quelque droit de paraître à M. Thiers le commencement d’un accord contre lui,—ce qui est, à vrai dire, le fond et la cause de tout son grand ressentiment, bien plus que l’honneur du pays, la gloire de nos armées, etc., dont il se soucie médiocrement.

D’autre part, il est vrai que le ministère actuel, qui est déterminé à la paix,—aura beaucoup de peine, non pas à la conserver,—mais à la conserver honorable,—les plus sages concessions ayant un air de lâcheté après les fanfaronnades et rodomontades qu’on a faites de tous côtés.

A quoi il faut ajouter que ces rodomontades sont du fait de M. Thiers.

De sorte qu’il faudrait repousser toute solidarité avec M. Thiers,—et ne pas reconnaître même qu’on lui succède,—mais reprendre les affaires au point où les avait laissées le ministère du 12 mai.

La raison et tous nos intérêts conseillent la paix;—mais la paix sera humiliante et honteuse,—à moins que les représentants du pays ne protestent par un blâme sévère contre la conduite de M. Thiers pendant son ministère.

image d’une guêpe Rue Saint-Georges, cour remarquable par une grande facilité de langage,—on a une manière bizarre de répondre aux objections:—tout le monde est un polisson. On assure que cette qualification a été appliquée à M. de Metternich.

image d’une guêpe On ne sait pas encore le mot d’une bouffonnerie par laquelle M. Delessert, préfet de police,—a sommé par huissier deux journaux—le National et le Commerce,—d’avoir à rectifier une erreur commise dans le compte rendu d’un discours de M. Guizot,—en vertu de l’article 18 de la loi du 9 septembre.

Voici quelle était cette erreur: le National et le Commerce avaient imprimé méchamment:

«La paix partout, la paix toujours

Tandis qu’au contraire,—M. Guizot avait dit à la tribune:

«La paix partout, toujours

image d’une guêpe DÉNONCIATION CONTRE LES DIRECTEURS DU MUSÉE.—Après les premières campagnes d’Italie, les tableaux qu’on transporta à Paris arrivèrent, pour la plupart, dans un tel état de détérioration, que d’abord on les regarda comme irréparables.

M. Denon fut chargé par le gouvernement d’en tenter l’essai. M. Denon s’entoura de ce que l’école française comptait de grands talents; et ce fut avec le concours de Gros, de Girodet, de Gérard et de quelques autres qu’il entreprit cette difficile opération, blâmée tout d’abord par le public, qui criait au sacrilége de ce qu’on osait toucher à ces reliques.

Un procédé de nettoyage fut adopté, et l’on exposa publiquement plusieurs tableaux nettoyés à moitié.

Cette exposition satisfit complétement. Ces hommes habiles firent eux-mêmes les restaurations, et la France posséda le plus beau musée du monde et celui où les tableaux étaient dans le meilleur état.

Canova lui-même, chargé par les puissances alliées, en 1815, de présider à notre dépouillement, convenait qu’il y avait une sorte de profanation à détruire une chose aussi complète et dont la plupart des pages importantes avaient été ressuscitées par les soins et le talent de nos artistes. Après 1815, M. de Forbin fut nommé directeur général des musées royaux.

Depuis vingt-cinq ans tous ceux qui sentent la peinture voient chaque jour détériorer notre précieux reste de collection, à ce point qu’on le croirait livré à une secte d’iconoclastes qui travaillent incessamment à l’anéantissement des bons modèles.

Les moyens conservateurs qui sont d’un effet lent, mais certain, ne conviennent pas à l’entreprise, qui cherche un bénéfice sur les travaux qu’elle fait exécuter au rabais par ses badigeonneurs à la journée.

On récure avec l’ammoniac ou l’alcali ces tableaux que l’on veut dévernir. On risque de les perdre comme on a fait d’un magnifique Largillière, que l’on a fait gercer à ne plus oser le montrer; mais cela va vite, cela suffit. Ou bien on accumule les uns sur les autres une multitude de vernis, dont on fait une croûte opaque qui empêche de voir le ton du maître. C’est ce qui arrive pour presque tous nos tableaux italiens. Ou pourrait, un par un, examiner tous les tableaux du musée du Louvre, et il ressortirait de cet examen la preuve de cette industrie coupable.

Sous le nº 94 du livret, qui représente le Crucifix aux anges, de Lebrun, vous verrez un des plus funestes exemples que je puisse citer, tant le côté gauche du tableau est couvert du plus pitoyable barbouillage.

Le nº 1304, l’Expérience, charmant tableau par Mignard, dont le ciel, entièrement refait par un infime talent, fait mal aux yeux par son manque d’air et le ton criard qui ôte toute l’harmonie de cette œuvre.

Le nº 184, qui est la ravissante Sainte Cécile du même maître, est tacheté de mauvais repeints, heureusement dans les accessoires.

Mais que dire du nº 684, le Triomphe de la Religion, par Rubens? L’aspect de ce tableau dans l’état où on l’a mis justifie toutes les expressions de dégoût et de colère que l’on peut employer. Ce tableau est maculé de la manière la plus incroyable; une barre épaisse, et plus grossièrement mastiquée que par le plus maladroit des vitriers, le traverse par sa moitié, et un barbouillage d’un ton faux est frotté négligemment sur les épaisseurs, de façon à en faire mieux voir la grossièreté. S’il y a un motif ou une excuse à un pareil fait quand on a à sa disposition tous les moyens connus, et qu’il y a dans un pays des hommes de talent, il faut se hâter de le faire connaître, sous peine d’encourir le blâme le plus énergique.

On peut en dire autant du Jules Romain nº 1073, la Nativité, tableau fendu et qui se perd faute de soin; des affreux repeints du Jupiter et Antiope, du Corrége, nº 955, et de tant d’autres! Mais que faire et que dire contre une administration et une agglomération de médiocrités qui vivent dans l’abondance de cette exploitation, et dont l’existence dépend du succès de leur guerre à tout ce qui est intelligence et progrès!

M. de Forbin est le directeur des musées, MM. de Sénonne et Granet sont les cornacs de cette ménagerie mâle et femelle de barbouilleurs à la journée, qui se ruent sur les tableaux pour faire curée de chaque jour; et comme tout cela occupe toutes les issues, cultive toutes les protections et accapare tout, cela a toutes les chances de durée. En voulez-vous un exemple? Un homme animé du sentiment des arts a trouvé un moyen de nettoyer les tableaux vernis, sans nuire à l’éclat du vernis, ce qui est d’un avantage immense pour la conservation de la peinture, puisque, une fois bien vernis, on peut ne jamais dévernir. Cet homme a cédé à la sollicitation d’un des membres de l’Académie et a soumis son procédé à l’examen de la section de peinture. L’expérience est venue justifier tous les désirs de l’inventeur, et l’on a, séance tenante, résolu qu’un rapport favorable serait fait. Mais qu’est-il arrivé? On a réfléchi qu’une pareille attestation pourrait mener à une application aux tableaux du musée et dérangerait l’exploitation si productive de messieurs tels et tels; et l’Institut a naïvement fait écrire, par son secrétaire, que la commission nommée pour examiner ce procédé, n’étant pas suffisamment éclairée, n’avait pas décidé qu’elle ferait un rapport. La logique conduisait naturellement à un nouvel examen si le premier ne suffisait pas; mais l’Institut est au-dessus de ces misères.

image d’une guêpe C’est une singulière société que celle-ci,—où la bourgeoisie qui est arrivée à tout,—qui est comblée de tout,—loin de songer à défendre sa conquête,—n’a pu perdre sa vieille habitude de crier.

TYPE.—M. Ganneron—que le gouvernement actuel a trouvé épicier,—et qui est devenu.

Membre de la Chambre des députés,—vice-président de la Chambre,—membre du conseil général du département,—commandant de la Légion d’honneur,—colonel de la 2e légion de la garde nationale,—et qui danse généralement les premières contredanses avec les filles et les brus du roi.

M. Ganneron est mécontent.

M. Ganneron qui a gagné cent mille livres de rente aux arts utiles de la paix (commerce de chandelles en gros, demi-gros et détail), M. Ganneron demande la guerre.

M. Ganneron qui, sous le ministère Perrier, en 1831, fut l’auteur de l’ordre du jour motivé qui sanctionna l’inaction politique de la France pour l’infortunée Pologne.

M. Ganneron est prêt aujourd’hui à ouvrir le gouffre de la guerre universelle—pour les limites de la Syrie.

image d’une guêpe A une des dernières représentations de l’Opéra,—le duc d’Aumale, qui, dit-on, est un jeune homme très-spirituel, parlait et riait très-haut dans la loge du prince royal.—On a fait entendre du parterre un chut énergique.—Les princes ne se sont pas retirés et ont eu le bon goût de baisser la voix.

Ceci pourrait servir quelquefois d’exemple à d’autres loges.

image d’une guêpe La littérature fait assaut de croix et de décorations.—M. Dumas en a quinze.—M. E. Sue, chevalier de la Légion d’honneur, comme tout le monde,—a dernièrement,—à une grande chasse, chez le prince de Wagram, je crois, fait exhibition d’un cordon de Gustave Wasa.

M. Gauthier est un jeune homme qui fait depuis longtemps de la prose très-spirituelle et des vers très-magnifiques. Il y avait, certes, là plus qu’un prétexte à lui donner la croix d’honneur, qu’on a donnée sans prétexte à tant d’autres.—On a exigé, assure-t-on sérieusement, qu’il fît une grande ode sur le baptême du comte de Paris, et qu’il coupât ses cheveux qu’il portait très-longs.—J’ai vu l’ode et les cheveux coupés.

image d’une guêpe M. Eugène Sue a imaginé un moyen singulier de raconter dans la meilleure société les histoires les plus scabreuses et les mots les plus risqués;—il met le tout sur le compte de M. Affre, l’archevêque de Paris,—qui, grâce à cette plaisanterie, commence à passer pour un homme très-spirituel, mais un peu léger.—Je ne vois aucun moyen d’imprimer l’opinion de M. Affre sur le procès Lafarge.

image d’une guêpe Une des conséquences tristes de la Révolution de juillet,—après celle de n’avoir pas de conséquences,—est l’émigration des magnifiques ramiers qui depuis si longtemps habitaient le faîte des marronniers des Tuileries, et venaient le matin boire sur les bords du grand bassin, en faisant chatoyer au soleil levant leur plumage d’opales.—Ils ont été remplacés par d’affreuses corneilles,—dont les croassements inspirent des pensées lugubres.

Sæpè sinistra cavâ prædixit ab ilice cornix.

image d’une guêpe Je ne me lasserai pas de dénoncer aux Parisiens, destructeurs des rois, la tyrannie des cochers de fiacre, sous laquelle ils gémissent sans presque s’en apercevoir. Grâce à l’incurie de la police et à la mansuétude des bourgeois de Paris,—il arrivera bientôt que les chemins de fer, qui ne sont déjà plus un moyen d’aller plus vite à Saint-Germain ou à Versailles, seront cause qu’on n’ira plus du tout dans ces deux villes.—Plusieurs personnes ont eu à se plaindre de la grossièreté des employés du chemin de Versailles.—L’autre a gardé trois jours à Paris un paquet qu’on attendait à Saint-Germain. Il n’y a certes pas besoin de chemins de fer pour mettre trois jours à faire cinq lieues, attendu que les messageries feraient cent soixante lieues dans le même espace de temps.

image d’une guêpe Les épiciers, si longtemps conspués et honnis comme type du bourgeois crédule, vont rentrer dans leur obscurité;—ils viennent d’être dépassés par MM. les marchands fourreurs de la capitale et par MM. les fabricants de rubans de la ville de Saint-Étienne.

Il y a quelque temps, les principaux fourreurs de Paris reçurent une lettre ainsi conçue:

«M*** est invité à se rendre tel jour, à telle heure, rue L..., nº..., pour affaire qui le concerne.

Signé V...»

Les fourreurs furent émus;—ils crurent, les uns, qu’il s’agissait de quelque faillite dans laquelle ils se trouvaient compromis,—les autres, qu’il était question d’une fourniture importante;—ils s’y rendirent tous;—la plupart même devancèrent l’heure indiquée; mais on fut sourd à toutes leurs questions:—Attendez;—quand la séance sera commencée; quand tout le monde sera arrivé, etc.

Enfin, quand on pensa qu’il y avait assez de fourreurs comme cela,—M. le directeur de ***, journal de modes, prit la parole.

J’ai longtemps hésité si je vous raconterais ici son discours à la manière de Tite-Live,—c’est-à-dire en reproduisant toutes ses paroles;—mais la crainte de manquer d’exactitude m’a fait adopter la manière de Tacite, qui, après tout, en vaut bien une autre.

«M. V... était fort indécis, et il avait rassemblé MM. les fourreurs pour s’éclairer de leurs avis. Arbitre souverain de la mode en France,—que dis-je? en Europe,—que dis-je? dans le monde entier,—grâce à l’immense extension qu’a prise son journal,—il était au moment de porter ses arrêts souverains, et de décider ce qu’on porterait et ce qu’on ne porterait pas cet hiver,—ce qu’on donnerait et ce qu’on ne donnerait pas en cadeaux à l’époque du premier de l’an.

»Ainsi, il avait eu à se plaindre de la guipure,—et il avait supprimé la guipure;—il défiait qu’on trouvât de la guipure sur les épaules d’une femme un peu bien.

»Il ne leur cachait pas qu’il n’était pas trop partisan des fourrures,—que quatre jours auparavant il avait failli proscrire les fourrures; mais qu’il avait réfléchi que plusieurs fourreurs étaient de bons pères de famille et d’estimables négociants,—qu’il s’était senti incertain,—que peut-être il manque à un devoir envers ses belles et illustres abonnées, mais qu’il n’a pu prendre sur lui de les ruiner tous d’un trait de plume; que s’il n’aime pas les fourrures, il se sent touché de compassion pour les fourreurs.

»Qu’il avait été lui-même effrayé de sa puissance en songeant que d’une seule ligne,—en écrivant: On ne portera plus de fourrures,—il réduisait à la mendicité une foule de familles intéressantes, etc., etc.;—car, l’arrêt porté,—il ne se vendrait plus en France un poil de fourrures;—enfin, qu’il les avait réunis pour voir avec eux s’il n’y aurait pas moyen de les sauver.»

Les fourreurs furent atterrés;—M. V..., lui-même, laissa tomber sa tête dans ses deux mains et se mit à méditer profondément. Tout d’un coup il releva le front; son regard était inspiré: «Messieurs,—dit-il,—vous êtes sauvés;—la fourrure peut n’être pas abolie.—Cotisez-vous, donnez-moi vingt mille francs, et je me charge du reste.»

Les fourreurs—réfléchirent,—se consultèrent et donnèrent vingt mille francs.

Quelque temps auparavant, M. V... était allé à Saint-Etienne, et il avait dit aux fabricants de rubans—que, sans trop savoir pourquoi, il s’était surpris à ne plus aimer du tout les rubans,—qu’il n’en pouvait plus voir un seul,—que probablement il n’en laisserait pas porter de tout l’hiver.—Cependant il s’était laissé toucher par le désespoir des fabricants de rubans de Saint-Etienne,—et il avait consenti à accepter d’eux une quinzaine de mille francs pour la grâce des rubans.

image d’une guêpe Il y a grande rumeur au Théâtre-Français.—Par ordre supérieur, M. Buloz doit faire passer la subvention que reçoit mademoiselle Mars,—qui se retire,—sur la tête de mademoiselle Rachel.

image d’une guêpe J’ai à remercier M. P... J..., qui, à propos de la réponse que j’ai faite le mois dernier à la brochure du sieur Bouchereau, m’a écrit pour me rappeler deux vers de Martial:

Versiculos in me narratur scribere Cinna;
Non scribit cujus carmina nemo legit.

image d’une guêpe Je vous assure, monsieur, que je suis fort indifférent sur ces choses, quand elles n’attaquent pas mon honneur,—et que je me garderais bien de répondre aux lettres anonymes, injurieuses et menaçantes,—voire même aux brochures,—ce qui ne m’empêche pas plus de suivre tranquillement ma route—que les coassements et le brekekekoax des grenouilles dans leurs marais, quand je me promène au coucher du soleil,—ce que j’avouerai même ne pas m’être désagréable.

Je remercie également M. E... F... de ses jolis vers.

Je remercie M. E. Bouchery, qui a eu l’obligeance de me prier de ne pas le confondre avec M. E. Bouchereau.—Je n’avais pas attendu sa lettre pour cela.

A propos de M. Bouchereau, il m’a envoyé son adresse, et je lui ai envoyé deux amis.

—Pardon, messieurs, a-t-il dit à mes amis, M. Karr est-il blond?

—Il ne s’agit pas de cela, monsieur.

—Beaucoup, au contraire, messieurs: c’est que, s’il est blond, je suis prêt à me couper la gorge avec lui;—mais, s’il est brun, je lui fais de très-humbles excuses.—Ma brochure est faite contre un petit blond qui m’a dit être M. Karr.

—M. Karr est grand et brun, comme vous avez pu le voir dans le volume où il demande l’adresse de vos oreilles.

—Alors, messieurs, j’irai lui offrir mes excuses.

Et M. Bouchereau est venu m’apporter des explications écrites qui rempliraient deux volumes des Guêpes,—à quoi il a bien voulu ajouter qu’il n’avait aucune preuve de ce qu’il avait écrit à mon endroit,—ni aucune raison d’en croire un mot,—me priant d’agréer ses excuses, ce que j’ai fait le plus sérieusement qu’il m’a été possible.

M. Bouchereau se nomme André Éloi et est fondateur d’une société ayant pour but le soulagement des clercs d’huissier dans la détresse.

image d’une guêpe La reine Amélie a été un peu scandalisée de ce que, dans la composition de la maison de la reine d’Espagne, il n’y a aucune femme.

Il n’est peut-être rien de plus triste que de voir ces tristes familles divisées et séparées—comme les graines d’une même plante.

  Connaissez-vous, au fond de mon jardin,
Près d’un acacia, sur le bord du chemin,
Certaine giroflée, amis, qui se couronne,
Lorsque vient le printemps, d’étoiles d’un beau jaune?
Un suave parfum la dénonce de loin:
Lorsque arrive l’été,—lorsque sèche le foin,
Elle perd et ses fleurs et ses odeurs si douces,
Et la graine mûrit dans de noirâtres gousses,
Jusqu’au jour où le vent, le premier vent d’hiver,
Qui fait tourbillonner le feuillage dans l’air,
Emporte et sème au loin, dans diverses contrées,
Les graines au hasard en tombant séparées.
L’une tombe et fleurit sous le pied de sa mère;
Une autre sur un roc, ou bien dans la poussière,
Vient sécher et mourir.
Dans les fentes du mur de l’église gothique,
Petit encensoir d’or, au parfum balsamique,
L’une trouve à fleurir.
L’autre sur un donjon, au travers de la grille,
Secouant son parfum, se balance et scintille,
Et dit au prisonnier:
Qu’il est encor des champs, des fleurs et du feuillage,
Du soleil et de l’air,—et puis dans le nuage
Un Dieu qu’on peut prier.

M. Dosne, receveur général à deux cent mille francs par an,—sans compter l’argent de poche gagné à la Bourse,—est furieux contre le roi.—Dernièrement, au club de la Banque,—au cercle Montmartre,—il s’est laissé aller à des paroles des plus aigres.—Un financier un peu plus lettré que le receveur général, se tournant vers les généraux R... et C..., l’a arrêté par la simple citation d’un vers de Gilbert, adressé aux athées du XVIIIe siècle, qui vivaient des biens de l’Église:

Monsieur trouve plaisant le Dieu qui le nourrit.

image d’une guêpe On a joué au Palais-Royal une pièce intitulée les Guêpes.

image d’une guêpe LES INONDATIONS.—Pendant que M. Thiers se donnait tant de peine pour nous donner la guerre,—le ciel déchaînait de son côté un autre fléau sur une partie de la France.

Les fleuves et les rivières sortirent de leur lit avec fureur et portèrent partout la terreur, la dévastation et la mort.—Le Rhône et la Saône se rejoignirent, renversant tout sur leur passage,—entraînant les maisons par centaines,—les ponts, les hommes et les troupeaux.

Il tomba plus de pluie en sept jours qu’il n’en était tombé dans les sept mois précédents.—Plusieurs départements furent inondés,—six cents maisons furent détruites dans le seul arrondissement de Trévoux.—La Charente, la Loire, la Dordogne, la Nièvre,—franchirent leurs rives;—c’était un nouveau déluge,—et les vengeances célestes ne furent arrêtées que par le souvenir de l’inutilité du premier.

A la nouvelle de ces désastres, le roi envoya cent mille francs,—c’est une grosse somme,—c’est une offrande convenable.—Mais quelle belle occasion perdue! Combien il eût été beau de voir le roi de France faire un grand sacrifice,—vendre une de ses nombreuses propriétés pour en envoyer le produit aux inondés.

Il s’est laissé dépasser en générosité par M. de L..., député, qui a emprunté pour envoyer mille francs.

Pendant ce temps, pour MM. Thiers,—Gouin, etc.,—pour MM. Soult, Guizot, etc.,—il n’y avait qu’une affaire importante, c’était les limites de l’Égypte.—Je me trompe, il y en avait une autre encore plus importante, c’était de savoir qui serait ministre.

L’opposition radicale demandait la réforme électorale.

C’est un peu trop, ô Fontanarose, abuser du spécifique unique qui guérit les maux passés, futurs, présents.

Le parti conservateur a ici l’avantage.—MM. Hartmann, Paturle, Fulchiron, etc., ont envoyé de grosses sommes.

J’ai cherché en vain dans les listes de souscription: je n’ai pas vu que M. Thiers, enfant du Rhône, ait cru devoir apporter son offrande.—Serait-il jaloux du fléau?—Si je me suis trompé, je prie ses amis de me le faire savoir.

Au plus fort de l’inondation,—un homme est arrivé à Lyon,—en sabots et en blouse, conduisant, le fouet à la main, plusieurs charrettes chargées de pain et d’autres vivres,—qu’il mena à la mairie. «Monsieur le maire, dit-il, je suis maire aussi,—mais de la petite commune de Saint-Christophe.—Voilà tout ce que nous avons pu faire pour le moment.—Je reviendrai.»

Il y avait tant de grandeur dans cette simplicité, que les assistants furent émus.

Je le crois bien,—moi, je pleure en vous le racontant.

Le maire de Saint-Christophe revint sur ses pas, et dit: «Ce n’est pas moi qui ai eu l’idée, c’est mon adjoint.» Puis il s’en retourna.

O monsieur le maire de Saint-Christophe!—Bon homme, brave homme, que vous êtes! de tous les gens qui sont quelque chose aujourd’hui,—vous êtes le seul qui m’ait parlé au cœur.—Monsieur le maire de Saint-Christophe, homme si modeste, vous ne savez pas combien vous êtes plus grand que tous ces grands hommes de réclame,—tous ces illustres bavards,—ces illustres voleurs,—qui se mêlent de nos affaires, ou plutôt qui mêlent nos affaires.—Monsieur le maire de Saint-Christophe, avec votre blouse et vos sabots,—conduisant vos charrettes,—vous ne savez pas—de combien vous dépassez le roi Louis-Philippe envoyant ses mauvais cent mille francs.

O monsieur, que je voudrais savoir votre nom!—J’ai des amis à Lyon, je les prie de me l’envoyer,—cela me gêne de ne pas le savoir.—Je ne suis pas voyageur,—mais j’irais bien à Lyon pour vous serrer la main, monsieur.—J’admire peu,—monsieur:—c’est que je garde ma vénération pour les choses grandes,—pour les choses vraies,—pour les hommes simples comme vous.


Janvier 1841.

Sur Paris.—La neige et le préfet de police.—Il manque vingt-neuf mille deux cent cinquante tombereaux.—Deux classes de portiers.—Le timbre et les Guêpes.—Le gouvernement sauvé par lesdits insectes.—M. Thiers et M. Humann.—M. le directeur du Timbre.—Une question des fortifications.—Saint-Simon et M. Thiers.—Vauban, Napoléon et Louis XIV.—Les forts détachés et l’enceinte continue.—Retour de l’empereur.—Le ver du tombeau et les vers de M. Delavigne.—Indépendance du Constitutionnel.—Un écheveau de fil en fureur.—Napoléon à la pompe à feu.—Le maréchal Soult.—M. Guizot.—M. Villemain.—La gloire.—Les hommes sérieux.—M. de Montholon.—Le prince de Joinville et lady ***.—M. Cavé.—Vivent la joie et les pommes de terre!—Les vaudevillistes invalides.—M. de Rémusat.—M. Étienne.—M. Salverte.—M. Duvergier de Hauranne.—M. Empis.—M. Mazère.—De M. Gabrie, maire de Meulan, et de Denys, le tyran de Syracuse.—Le charpentier.—Doré en cuivre.—Le cheval de bataille.—M.***.—M. le duc de Vicence.—Le roi Louis-Philippe a un cheval de l’empereur tué sous lui.—M. Kausmann.—Aboukir.—M. le général Saint-Michel.—Le cheval blanc et les vieilles filles.—Quatre Anglais.—M. Dejean.—L’Académie.—Le parti Joconde.—M. de Saint-Aulaire.—M. Ancelot.—M. Bonjour veut triompher en fuyant.—Chances du maréchal Sébastiani.—Réception de M. Molé.—M. Dupin, ancêtre.—Mot du prince de L***.—Mot de M. Royer-Collard.—M. de Quelen.—Le National.—Mot de M. de Pongerville.—Histoire des ouvrages de M. Empis.—Le dogue d’un mort.—MM. Baude et Audry de Puyraveau.—M. de Montalivet.—Le roi considéré comme propriétaire.—M. Vedel.—M. Buloz.—Un vice-président de la vertu.—La Favorite.—Un bal à Notre-Dame.—École de danses inconvenantes.—M. D*** et le pape.—M. Adam.—M. Sauzet.—J. J.—Les receveurs de Rouen.—La princesse Czartoriska.—Madame Lebon.—Madame Hugo.—Madame Friand.—Madame de Remy et mademoiselle Dangeville.—Madame de Radepont.—Lettre de M. Ganneron.—M. Albert, député de la Charente.—M. Séguier.—Les vertus privées.—La garde nationale de Carcassonne.—Le général Bugeaud.—Correspondance.—Fureurs d’un monsieur de Mulhouse.

image d’une guêpe JANVIER.—SUR PARIS.—Pendant un froid de trois semaines, Paris, couvert de glace, a été le théâtre d’une foule de sinistres accidents, après quoi le dégel est arrivé, et Paris est devenu un horrible cloaque, où les hommes marchent dans une boue noire jusqu’à la cheville.

—On a souvent reproché au préfet de police son incroyable incurie; mais le préfet de police ne s’occupe que de politique, et répond que, pour enlever la neige qui couvre Paris, il lui faudrait trente mille tombereaux, tandis qu’il n’en possède, en réalité, que sept cent cinquante.

—A quoi on répond au préfet de police—qu’à Londres on n’a jamais vu une rue sale, parce qu’on n’attend pas, pour enlever les immondices, qu’il y en ait trente mille tombereaux,—parce qu’il y a dans les rues des cantonniers qui les balayent perpétuellement, etc.

On répond encore au préfet de police qu’il ne suffit pas de faire afficher sur les murs que les portiers casseront la glace et balayeront le devant de leurs portes;

—Qu’il faut encore veiller à l’exécution desdites ordonnances et l’exiger.—

En effet, les portiers se divisent en deux classes:

PREMIÈRE CLASSE: Portiers libéraux, ne tenant aucun compte des ordonnances de police.

DEUXIÈME CLASSE: Portiers juste milieu, exécutant lesdites ordonnances de la manière que voici:

Les portiers des numéros pairs poussent leurs ordures, neiges, glaces, etc., de l’autre côté du ruisseau, et les mettent en tas contre les numéros impairs;

Les portiers des numéros impairs poussent leurs glaces, neiges et ordures, de l’autre côté du ruisseau, et les mettent en tas contre les numéros pairs.

Après quoi chacun a fait son devoir.

Les portiers amis du pouvoir ont balayé conformément aux ordonnances de M. Delessert.

image d’une guêpe M. Delessert, impatienté des réclamations de ses administrés, a imaginé ce qui suit pour les satisfaire en apparence et pour s’en venger en même temps:

Sur la fin de la gelée, il place dans quelques rues, près des trottoirs, quelques comparses armés de pioches, qui vous font jaillir des fragments de glace au visage et en couvrent vos vêtements.

Au dégel, il divise ses sept cent cinquante tombereaux en cinq ou six brigades, qui, au nombre de cent, sont chargées d’encombrer une rue, de l’obstruer, d’accrocher les voitures et de rendre le passage impossible.

Alors le bourgeois se dit: «J’accusais à tort ce bon M. Delessert.—Qu’est-ce que je disais donc? qu’on n’enlevait pas la neige?—Les rues sont pleines de tombereaux.»

image d’une guêpe Puis le dégel arrive tout à fait, et les piétons finissent par enlever peu à peu la boue après leurs pantalons, et Paris est nettoyé—par ses habitants eux-mêmes, sans qu’ils s’en doutent.

Il est vrai de dire que, pour faire exécuter ses ordonnances, M. Delessert aurait beaucoup plus à faire qu’un magistrat anglais;—mais, quelques difficultés qu’il y rencontre, il doit les surmonter.

En Angleterre, pays constitutionnel comme la France, où tout le monde contribue à la fabrication des lois,—comme électeur ou comme membre d’une des deux Chambres,—chacun respecte les lois et en protége l’exécution.—Un policeman qui inviterait un citoyen à se conformer à une ordonnance de police, et qui rencontrerait de la rébellion, trouverait immédiatement l’appui de tous les passants.

En France, c’est le contraire: qu’un homme ait un différend avec la police ou la gendarmerie, le peuple se déclare pour lui, sans même demander d’abord si c’est un voleur ou un assassin.

Un soldat a besoin du baptême du feu,—du baptême du sang;—un citoyen, pour être populaire, a besoin du baptême de la police correctionnelle.

Quiconque se conforme strictement aux ordonnances de police est immédiatement, dans son quartier, réputé espion et mouchard.

Que la police sépare un champ en deux parties égales, et écrive d’un côté:

Défense d’entrer ici.

Cela aura précisément le résultat qu’aurait une défense d’entrer de l’autre côté... qui serait exécutée.

Une croix de bois pend du haut d’une maison d’où les couvreurs font pleuvoir l’ardoise et la tuile à foison.—On vous défend de passer de ce côté de la rue; l’autre côté devient désert par le soin qu’ont tous les passants de désobéir à la défense.

Les marchands du côté où il est permis de passer se plaignent de ne plus vendre, et écrivent à M. Delessert pour le prier de ramener le public sur le trottoir en lui défendant d’y passer.

Les Parisiens de bonne foi savent bien que je ne fais ici aucune exagération;—il y en a d’autres qui ne remarquent pas cela, parce qu’ils ne remarquent rien.—Semblables aux hommes dont parle l’Écriture: «Ils ont des yeux et ils ne voient pas.» Semblables aux hannetons, qui, faisant partie intégrante de l’histoire naturelle, ne savent pas l’histoire naturelle pour cela.

Ce qui donne aux Parisiens,—et, je crois, aux Français en général, l’aspect fâcheux que voici:

Ou haïssant tellement le gouvernement sous lequel ils gémissent, qu’ils s’opposent de tout leur pouvoir à l’exécution de toutes ses vues, quelque utile qu’en puisse être la réalisation; c’est le peuple le plus lâche du monde de ne pas le renverser tout à fait;

Ou c’est un peuple d’écoliers se plaisant à faire endêver ses pédagogues.

image d’une guêpe LE TIMBRE ET LES GUÊPES.—Le 7 décembre 1840,—M. Humann, ministre des finances, a présenté à la Chambre la carte à payer de l’orgie présidée par M. Thiers.

D’où il résulte que les dépenses prévues, pour 1841, excéderont les recettes ordinaires de HUIT CENT TRENTE-NEUF MILLIONS.

Ceci n’a pas laissé que de produire quelque impression sur les esprits. Le gouvernement qui succède au gouvernement de M. Thiers s’est senti réduit aux expédients,—et il n’a trouvé des ressources, pour suppléer aux huit cent trente-neuf millions de déficit, que dans les Guêpes.

image d’une guêpe Et voici comment:

Depuis un an et demi que je publie mes petits volumes,—on les a reçus à la poste,—on en a perçu le port sans la moindre observation:

Mais, le 8 au matin, on a fait savoir qu’on allait exiger que les Guêpes fussent timbrées, c’est-à-dire que mes pauvres petits livres seraient condamnés à l’avenir à être salis d’un grand vilain cachet noir qu’il me faudrait payer douze centimes par exemplaire, moyennant quoi le gouvernement pourrait continuer à marcher, malgré son déficit de huit cent trente-neuf millions.

Voyez un peu ce qu’allait devenir le gouvernement, si je n’avais pas eu, il y a un an et demi, l’idée de faire paraître les Guêpes!

image d’une guêpe J’ai chargé mon ami B... d’examiner la question.

Si la loi ne me condamne pas au timbre,—je ne me laisserai pas timbrer, et je soutiendrai contre M. le directeur tel procès qu’il faudra.

Si la loi me condamne, je me soumettrai sans murmurer;—seulement je ferai d’abord à M. le directeur des domaines,—puis, à son refus, aux tribunaux, la question que voici:

Le timbre a-t-il pour but d’assurer le payement d’un impôt—ou de salir les livres?

Si l’on me répond que le timbre a pour but de salir les livres, le but est rempli, je n’ai rien à dire.—Voyez par avance, sur votre journal, le joli effet que produit ce pâté noir, et représentez-vous celui qu’il produirait sur une page des Guêpes, qu’il couvrirait tout entière.

Et il me faudra deux timbres par numéro; alors je laisserai cette page en blanc, en mettant seulement au-dessous du cachet du fisc: page salie par le fisc.

Si on me dit que le timbre n’a pour but que de marquer les exemplaires qui ont payé l’impôt, pour ne pas le leur demander deux fois, et ne pas oublier surtout de le demander aux autres,—je demanderai quelle nécessité il y a que le timbre soit un gros cachet sale, pourquoi le timbre, qui occupe un petit coin de la grande feuille d’un journal, ne serait pas proportionné au format d’un livre; pourquoi on n’aurait pas un peu plus d’égard pour un livre imprimé sur de beau papier, et qui doit rester pour former collection, que pour un journal qui n’a que six heures à vivre?

Pauvre gouvernement! quel bonheur pour lui que j’aie fait imprimer le volume des Guêpes le 1er novembre 1839! où en serait-il aujourd’hui?

Je prie certaines personnes auxquelles parviendra la connaissance de ceci de m’accorder immédiatement la part d’estime à laquelle a droit, en France, un homme qui, d’un moment à l’autre, va se trouver repris de justice.

image d’une guêpe DES FORTIFICATIONS.—Saint-Simon, qui avait été lié avec Vauban et qui est un historien plus fort que M. Thiers;—Saint-Simon, édité comme M. Thiers par le libraire Paulin;—Saint-Simon, qui approuve beaucoup de choses, entre autres la convocation des états généraux et la banqueroute de l’État, Saint-Simon ne peut approuver les fortifications de Paris que rêvait le roi.

Napoléon n’y a pas pensé en dix ans de règne.

La fortification d’une capitale est un moyen désespéré, un spécifique d’empirique,—un de ces remèdes de bonne femme que les médecins permettent d’essayer quand tous les autres ont échoué et quand leur malade est condamné.

Mais il se joue une comédie—qui pourrait avoir pour titre le mot de Brid’ oison:

De qui se moque-t-on ici?

Aujourd’hui, les gens qui se sont élevés avec le plus de véhémence contre les forts détachés,—les gardes nationaux qui ont le plus crié contre lesdits forts,—les journaux qui ont fait les plus longs discours contre l’embastillement de Paris,—qui dénonçaient chaque pelletée de terre remuée,—avec appel à l’insurrection,

Tout le monde est devenu partisan des fortifications.

Par exemple, écoutez-les tous,—ils n’ont qu’une raison, qu’un but:—c’est la crainte d’une invasion.

Le roi craint une invasion.

Le parti radical craint une invasion.

Le parti de M. Thiers craint une invasion.

Certains hommes de finance craignent une invasion.

Les légitimistes eux-mêmes craignent une invasion.

Or, en réalité, aucun d’eux ne s’en soucie le moins du monde.

Le roi tient, à un degré incroyable, à ses forts;—il sait l’influence des synonymes.—On peut en France ne jamais changer les choses, pourvu qu’on change les noms.—L’odieuse conscription ne fait plus murmurer personne depuis qu’elle s’appelle recrutement.—La gendarmerie, si détestée, a le plus grand succès sous le nom de garde municipale.—Louis-Philippe, lui-même, n’est qu’un synonyme,—ou plutôt un changement de nom.—Les forts détachés ont fait pousser à la France entière un cri d’indignation;—l’enceinte continue est fort approuvée. Si ce synonyme-là n’avait pas réussi, le roi en avait encore vingt en portefeuille, qu’il aurait essayés successivement;—on peut gouverner la France avec des synonymes.

Maintenant je dirai que je ne crois pas que le roi attache de grandes idées de tyrannie à ses fortifications,—qu’il y attache bien plutôt des idées de bâtisse.

Les partis opposés au gouvernement demandent les fortifications.—Comme Napoléon disait à un de ses généraux qui se plaignait de manquer de canons: «L’ennemi en a, il faut les lui prendre.»

Les partis savent très-bien que Paris sera toujours le quartier général de la révolution,—et qu’en cas d’événement il faut être maître de Paris.—Les partis sont enchantés que Louis-Philippe fasse des fortifications.

image d’une guêpe Je voudrais pouvoir vous dire, à propos de la nouvelle année et du nouveau ministère,—ce que Virgile disait à propos de la naissance du fils de Pollion,—qui devait amener tant de bonheur et tant de prodiges.

Molli paulatim flavescet campus arista,
Incultisque rubens pendebit sentibus uva
Et duræ quercus sudabunt roscida mella, etc., etc.
. . . . . . . . .
On verra sans travail les blés jaunir la plaine,
Aux ronces du chemin pendre un raisin pourpré,
Et des chênes noueux couler un miel doré.
. . . . . . . . .
On supprime à jamais la garde citoyenne.
La vertu reparaît, et, vides, les prisons
Dans leurs humides murs n’ont que des champignons.
Les journaux en français écrivent leurs colonnes:
Le printemps, en janvier, devançant le soleil,
Pare son front joyeux de ses vertes couronnes,
Et les tièdes zéphyrs, annonçant son réveil,
Balancent des lilas la fleur nouvelle éclose.
Les moutons épargnant à l’homme un dur travail,
Se font un vrai plaisir de naître teints en rose
[B],
Et paissent dans les champs tout cuits et tout à l’ail.
Chacun, depuis hier, prix d’une longue attente,
Possède, en propre, au moins vingt mille francs de rente;
Lassés d’être valets de toute une maison,
Les portiers ont des gens pour tirer le cordon.
On ne demande plus l’aumône qu’en voiture.
Près de la Halle au blé on a vu qui fumait
Dans un large ruisseau du chocolat parfait.
Les cerfs au haut des airs vont chercher leur pâture[C];
Tout est renouvelé, tout est heureux, content,
Et, jusqu’aux députés, tout est mis décemment.

[B] Sponte sua sandyx pascentes vestiet agnos.

[C] Je ne suis pas bien sûr que ce vers, que je traduis par respect pour Virgile, et que je traduis de mémoire,—Leves... pascentur in æthere cervi,—soit précisément dans l’églogue sur la naissance de Pollion,—car, à vrai dire, je ne comprends pas bien quel bonheur cela pouvait procurer aux Romains, de voir des cerfs paître dans l’air,—et je serais tenté de croire que ce vers signifie que Virgile promet un cerf-volant au fils de Pollion, né de la veille.

image d’une guêpe RETOUR DE NAPOLÉON.—A l’égard de MM. les députés surtout, il n’en est rien, et on a été choqué de leur tenue à la fête funèbre de l’empereur Napoléon.—Plusieurs personnes même—se demandaient si, dans cette circonstance solennelle, et ensuite à la Chambre,—on ne pourrait pas leur donner des manteaux qu’ils rendraient après la séance et qui cacheraient les défroques variées dont ils se plaisent à affliger les regards. C’est ce que fait l’administration des pompes funèbres pour les proches parents des morts qui n’ont pas de costume convenable.—C’est propre, c’est décent,—et cela rendrait à nos députés, à nos représentants, un peu de la considération publique qui leur est si nécessaire.

Je ne parlerai pas de tous les vers auxquels cette fête impériale a servi de prétexte.—Il y a de belles strophes et de belles pensées dans ceux que M. Hugo a bien voulu me donner.—Ceux de M. Casimir Delavigne ont été reconnus les plus mauvais de tous;—et en lisant la strophe qui se termine ainsi:

La France reconnut sa face respectée,
Même par le ver du tombeau,

On a regretté généralement que les vers de M. Delavigne n’aient pas pris exemple sur ce ver mieux appris.

image d’une guêpe Le Constitutionnel a fait un article ainsi intitulé:

CONSÉQUENCES DÉSIRABLES DU RETOUR DES CENDRES DE L’EMPEREUR NAPOLÉON.

Le Constitutionnel est depuis longtemps célèbre par l’indépendance de son langage, qui brave les lois de la grammaire et brise le joug de la logique.—On se rappelle cette phrase fameuse:—«C’est avec une plume TREMPÉE DANS NOTRE CŒURT que nous écrivons ces lignes, etc.»

Et ces métaphores:—«L’horizon politique se couvre de nuages, que ne pourra peut-être pas renverser l’égide du pouvoir qui tient d’une main mal affermie le gouvernail du char de l’État

Cela se passait en 1837,—à l’époque où l’avocat Michel (de Bourges) disait à la Chambre des députés:—«Il est temps, messieurs, de sortir de l’OCÉAN INEXTRICABLE où nous nous trouvons

Métaphore qui équivaut à celle qui peindrait—un écheveau de fil en fureur.

image d’une guêpe Il y avait trois tombes possibles pour Napoléon:—Sainte-Hélène, d’abord, pour les poëtes, fin si grande, si poétique, d’une si grande histoire;—calvaire où l’homme s’était fait dieu.

Ensuite, pour le peuple et pour les soldats,—la colonne de la place Vendôme,—tombeau élevé par la grande armée à son général avec les canons ennemis.

Puis enfin, pour l’empereur lui-même et pour sa dernière volonté, Saint-Denis, où il avait demandé à être enterré,—et où j’ai vu dans mon enfance les portes de bronze qu’il avait fait faire lui-même pour fermer son caveau.

Mais, au moyen d’un jeu de mots,—on a traduit littéralement: Je veux être inhumé aux bords de la Seine,—et on a mis l’empereur aux Invalides. Il est heureux qu’on ne l’ait pas mis à la pompe à feu.

image d’une guêpe Le sort est un grand poëte comique—qui se donne parfois à lui-même de singulières représentations aux dépens des vanités humaines.—Il s’était amusé à réunir au pouvoir une foule de gens qui avaient trahi l’empereur en son temps, et qui l’avaient passablement maltraité par leurs actes et par leurs écrits.

Le maréchal Soult, un de ces hommes qu’il avait inventés, soldats intrépides, mais instruments inutiles quand ils ne furent plus dans sa main puissante.

Soldats sous Alexandre, et Rien après sa mort.

M. Guizot, M. Villemain, etc., etc.

image d’une guêpe Du reste,—on vendait dans les rues de petites brochures,—dont le titre était ainsi crié peu correctement:

Description du char et de ceux qui l’ont trahi.

image d’une guêpe Pour moi, me rappelant qu’il y avait, dans ce peuple si empressé à aller au-devant de l’empereur mort,—bien des gens encore qui, en 1815,—il y a vingt-cinq ans,—ont accompagné son départ d’insultes et de menaces de mort, je me suis senti profondément attristé,—j’ai songé à ce qu’on appelle la gloire,—seul prix des corvées que s’imposent les héros et les grands hommes; j’ai songé à la mobilité des passions du peuple,—qui se réjouit avec un égal enthousiasme,—du retour de l’empereur, parce que c’est un spectacle,—et de son départ, parce que c’est du tapage, et je suis resté seul dans ma chambre,—seul dans ma maison,—seul dans ma rue,—à me rappeler les grandes actions et les grandes douleurs de l’empereur Napoléon,

Et à regarder ce que sont les hommes qui se prétendent sérieux,—et qui me disent d’un air protecteur: Quand deviendrez-vous sérieux?—Parce que je suis libre, indépendant, rêveur et insouciant.

Ils sacrifient leur vie, leur douce paresse, leurs amours, pour avoir, après de longs travaux, le droit d’attacher d’un nœud à la boutonnière de leur habit un ruban d’un certain rouge. Arrivés à ce succès, ils recommencent de nouveaux et de plus grands efforts: il ne faut pas s’arrêter en si beau chemin.—Quel bonheur, en effet, si vous aviez le droit,—dût-il vous en coûter un bras ou une jambe,—quel bonheur si vous pouviez faire une rosette à votre ruban!—On n’épargne pour cela ni soins, ni sacrifices, et, un jour, vous obtenez cette flatteuse récompense.

Une rosette, grand Dieu! quelle supériorité cela vous donne sur ceux qui n’ont qu’un nœud!

On se rappelle, cependant, avec plaisir, le moment où on n’avait qu’un nœud; le moment où, si vous aviez eu l’audace de faire une rosette à votre cordon, la gendarmerie, la garde nationale, l’armée entière, eussent été occupées à punir votre forfait.—On se dit: Et moi aussi, cependant, il y a eu un temps où je n’avais qu’un simple nœud!»

Mais ce qui est encore plus loin de vous, ce que vous n’osez pas espérer, ce que vous placez au nombre des désirs ridicules—à l’égal de l’envie qu’aurait une femme d’un bracelet d’étoiles,—c’est... je n’ose le dire... c’est... ô comble du bonheur! ô gloire! ô grandeur! c’est de nouer le cordon autour du cou;—mais n’en parlons pas, c’est impossible...

Eh bien! si vous êtes un homme heureux, si les circonstances vous favorisent, si vous n’êtes pas trop scrupuleux sur certains points,

Un jour, quand vous êtes vieux, quand vos cheveux sont blancs, il vous arrive ce bonheur inespéré. Vos yeux laissent échapper des larmes de joie, et vous mourez en disant: «O mon Dieu! peut-on penser qu’il y a des hommes assez aimés du ciel pour porter le ruban en bandoulière, de droite à gauche!»

Et cela, ô hommes graves et sérieux! tandis que les femmes se couvrent, à leur gré, de rubans de toutes couleurs, en nœuds, en rosettes, en ceintures:—voilà des rubans sérieux, voilà une affaire véritablement grave,—car cela les rend jolies.

image d’une guêpe Le prince de Joinville, chargé d’aller chercher à Sainte-Hélène et de ramener en France les restes de Napoléon, a accompli sa mission avec beaucoup de convenance et de dignité;—ayant appris en mer la rupture des relations entre la France et l’Angleterre, et craignant d’être attaqué, il s’était disposé au combat et avait annoncé qu’il ne se rendrait pas et se ferait couler.

image d’une guêpe En général,—la cérémonie, d’après ce que j’ai lu dans les journaux,—ressemblait beaucoup trop aux représentations du Cirque-Olympique.—On ne s’en étonnera pas quand j’aurai dit que le soin en avait été confié à M. Cavé et à trois autres vaudevillistes de ses amis.

J’ai déjà eu occasion de signaler plusieurs des vaudevillistes qui sont devenus des hommes d’État,—

Tombés de chute en chute aux affaires publiques.

M. de Rémusat, qui était ministre il y a un mois;—M. Etienne, qui est pair de France et qui a fait le Pacha de Suresnes;—feu M. Salverte, député de Paris;—M. Duvergier de Hauranne, député;—M. Empis, directeur des domaines;—M. Mazère, préfet, etc., etc.—Le pouvoir, en France, aujourd’hui, sert de retraite aux vaudevillistes invalides.

M. Cavé, directeur des Beaux-Arts, est auteur d’un vaudeville intitulé: Vivent la joie et les pommes de terre!

Il est surtout connu comme auteur, en société avec M. Duvergier de Hauranne, d’une chanson fort spirituelle, dit-on, sur un sujet dont le nom, emprunté à la perfide Albion,—ne peut guère se dire et ne peut pas s’imprimer.—

image d’une guêpe La cérémonie du retour de Napoléon a été funeste au gouvernement de Juillet.—M. Gabrie, maire de Meulan, avait tout préparé pour recevoir dignement à son passage, sous son pont,—un assez vilain pont, du reste,—les bateaux qui rapportaient l’empereur.—Les bateaux ont passé trop vite,—les préparatifs de M. le maire ont été perdus; quelques habitants de la commune ont plaisanté, et M. Gabrie, exaspéré, a écrit au préfet de Seine-et-Oise une longue lettre pleine d’une amertume bouffonne, qui se termine ainsi:

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