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Les nouvelles leçons d'amour dans un parc

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VI

Quoi qu’il en fût, la prochaine visite de M. de Fontcombes était désirée au château ; désirée par les parents qui, on le sait, étaient pressés ; désirée par Jacquette avide d’entendre prononcer par quelqu’un, voire par n’importe qui, le nom chéri d’Alcindor.

M. de Fontcombes ne se fit point attendre. Il vint, une après-midi, sans s’être fait annoncer, car il se trouvait que ni marquis ni marquise n’étaient là et que Jacquette étudiait, seule au clavecin, avec Mlle de Quinconas.

Jacquette ne fit aucune difficulté pour recevoir le jeune homme. Elle l’accueillit au lieu même où elle était, flanquée d’une gouvernante tout à coup devenue si discrète qu’on ne savait où la prendre malgré ses formes opulentes et qu’on la cherchait à droite quand elle était à gauche, et qu’on la croyait toute proche alors qu’elle était passée dans la pièce voisine, trottinant sur le bout des mules, et légère comme ces duvets tombés des peupliers, en juin, et qu’un courant d’air emporte. Tant et si bien que Jacquette dit au beau jeune homme :

— Heureusement que j’ai près de moi Pomme-d’Api, assise sur une tige de fer, et, en outre, emprisonnée sous sa vitrine, car je me croirais un peu seule à vous faire honneur, monsieur…

— Qui est cette Pomme-d’Api? demanda M. de Fontcombes.

— C’est ma poupée, monsieur, car j’ai été jeune.

— Je le crois aisément à vous voir, dit M. de Fontcombes.

— Oh! il ne faut pas juger sur la mine. N’est-il pas vrai, Pomme-d’Api?

Elle semblait sérieusement interroger sa poupée, en haussant le ton, à cause de la cloison de verre. Elle se retourna vers M. de Fontcombes :

— Pomme-d’Api dit que oui, monsieur.

M. de Fontcombes contemplait Jacquette avec ravissement. Il lui dit :

— Vous êtes délicieuse, mademoiselle…

— Ah! C’est sans doute à cause des aménités que je vous ai débitées lors de notre dernière entrevue?…

— Je vous déplais donc tant, pour mon malheur?

— Peste, monsieur, si vous me déplaisiez, ce serait déjà quelque chose…

— On n’est pas plus cruelle.

— Monsieur, avez-vous lu Alcindor?

— Comme vous m’en aviez prié, fit M. de Fontcombes.

— Et c’est tout ce que vous me dites de lui?

— Alcindor, puisque Alcindor il y a, ne manque pas de qualités, mademoiselle ; mais le grand cas que vous faites de lui, en le plaçant au-dessus des Anciens et des Modernes, me rend difficile la tâche de parler de cet auteur raisonnablement.

— Autrement dit, vous n’aimez pas cet auteur?

— Je n’ai pas dit cela, mademoiselle, mais seulement…

— Il n’y a pas de « seulement », monsieur!… Voulez-vous faire un tour de jardin? j’ai besoin d’air…

Ils descendirent au parc en prenant l’allée d’eau qui est la plus convenable à fréquenter lors d’une visite cérémonieuse, et ils étaient accompagnés de la gouvernante qui se tenait derrière eux, à une distance respectueuse. M. de Fontcombes semblait embarrassé ; il se refusait à faire un compliment banal du splendide endroit, à s’extasier sur la beauté du ciel, tout comme à dire quoi que ce fût, qu’il ne pensait point, touchant les auteurs.

Comme il savait quasi tous les beaux vers par cœur, il se mit tout à coup à réciter ce passage du vieux Corneille où Psyché demande si l’on peut être jaloux d’un parent. L’Amour répond :

Je le suis, ma Psyché, de toute la nature!
Les rayons du soleil vous baisent trop souvent ;
Vos cheveux souffrent trop les caresses du vent :
Dès qu’il les flatte, j’en murmure, etc…

M. de Fontcombes disait ces vers merveilleux avec sentiment et en communiquant à son expression toute la révérence dont ils étaient dignes.

— C’est fort beau, dit Jacquette.

Alors M. de Fontcombes poursuivit ; et il se faisait écouter. Mlle de Quinconas même, se rapprocha, ayant compris qu’il ne s’agissait point de conversation intime et personnelle. Et le jeune homme répandait les strophes harmonieuses entre les deux femmes.

Comme on arrivait à l’escalier flanqué de deux socles dont l’un porte un vase au bas-relief de satyres, M. de Fontcombes, qui parcourait par sa belle mémoire tous les siècles de la littérature française, mit en valeur le dernier tercet d’un sonnet qui fit rougir et pâlir Jacquette.

Elle s’arrêta au bord de la première marche et demanda :

— Monsieur, savez-vous de qui est ce que vous dites si bien?

— A part nos grands auteurs, mademoiselle, du diable si je me souviens de ceux qui firent tous les vers que je débite! Je les retiens comme l’éponge l’eau…

— Ah! c’est très bien, monsieur.

Et, d’un geste de future maîtresse d’un si riche domaine, elle montra, avec sa canne, la grande pelouse des jardins bas où murmuraient les fontaines. M. de Fontcombes admira comme il convenait, car le lieu, vraiment, était magnifique. Puis il offrit la main à Mlle de Chamarande pour descendre. Alors elle lui dit à l’oreille :

— Eh! Monsieur, c’était d’Alcindor!

— Quoi donc, mademoiselle?

— Mais le sonnet, vertubleu! dont vous avez cité quelques vers.

— C’est ma foi fort possible. Au cours de ma lecture du petit volume, ce sonnet me sera demeuré…

— C’est qu’il vous plaît, monsieur?

— Evidemment, mademoiselle.

Des mots furent échangés en face du satyre à la queue pointue qui avait été le proche témoin, à une époque déjà reculée, d’autres scènes par quoi avait semblé vouloir s’exprimer la malignité du monde. Ne dirait-on pas que ce lieu, au centre du parc de Chamarande, est celui où le sort capricieux bifurque ou, autrement dit, nous joue des tours de sa façon?

Je le croirais volontiers pour ma part ; car Jacquette, qui avait fermement arrêté de ne pas conduire M. de Fontcombes aux endroits où elle avait coutume de songer à Alcindor, Jacquette qui avait évité — non pour l’étiquette, croyez-le, mais par un parti pris délibéré — de prendre soit sa chère allée conduisant au bassin de Pan, soit l’allée longue qui s’orne de la balustrade, du côté de la Loire, Jacquette n’hésita pas à incliner, par les fontaines, vers cette admirable promenade à balustres et à reposoirs de lauriers, où nous l’avons vue l’autre jour. Et pourquoi?

C’est qu’avec M. de Fontcombes, désormais, il est possible de parler d’Alcindor.

Contre le mur de soutènement des jardins hauts, étaient exposés au midi les célèbres espaliers de Chamarande : pêches, brugnons et chasselas, que toutes les guêpes du pays picoraient jusqu’à rendre gorge. Les raisins n’étaient pas à maturité, mais les pêches avait mis à l’étal leur velours cramoisi et répandaient un parfum combiné avec celui de la lavande et du thym surchauffés. Les lézards couraient sur le tuffau gris, montraient leur petite tête au col palpitant, hors des trous, ou seulement leur longue et fine queue taillable au sécateur comme une tige nouvelle. Les papillons semblaient des fleurs jetées au-devant des promeneurs par des mains invisibles.

— Le retrouveriez-vous dans votre mémoire, monsieur?

— Quoi donc, mademoiselle?

— Mais, le sonnet!

— Ah! le sonnet d’Alcindor?

— Nul autre, assurément!

— Je vais essayer, mademoiselle.

M. de Fontcombes retrouva le sonnet d’Alcindor. Celui-ci était bon, ma foi. Et l’honnête amateur de vers le reconnut. Jacquette triomphait.

— Il est excellent, s’écriait-elle.

— J’en tombe d’accord.

— Admirable!…

— Je n’y contredis pas.

— Gageons, monsieur, que vous en possédez d’autres!…

— D’autres?…

— Mais d’autres vers du même auteur! Pas de ceux du grand Turc, j’imagine!…

M. de Fontcombes en retrouva, çà et là. Un moment, il s’arrêta non seulement de dire, mais de marcher, et il fit :

— Tiens!…

— Quoi, monsieur, qu’avez-vous?

— Mais c’est très bien, mademoiselle!

— L’allée? la pelouse? les fontaines? l’espalier? les pêches?…

— Les vers d’Alcindor.

— Ah! fit-elle en sautant plus haut que les genoux de M. de Fontcombes.

— C’est la première fois, dit celui-ci, que je remarque qu’un poète vivant…

— Mais, ils ont tous été vivants, monsieur, vos poètes, vos grands maîtres, vos Anciens et vos Modernes! Je pense qu’ils n’ont pas composé leurs ouvrages dans le royaume des Ombres! Et vous eussiez attendu que celui-ci eût passé le Styx pour admirer ses vers! Vous vous moquiez de moi, avouez-le?

— Non pas, mademoiselle, mais il arrive aux femmes…

— De se tromper par amour, n’est-ce pas? Mais l’amour est aussi ce qui éclaire et illumine, ce qui fixe notre attention sur un point que nous n’eussions, sans cela, qu’effleuré. Et je me méfie de votre raison sèche pour admirer bien : il y faut notre cœur, monsieur, et tous nos sens désordonnés, s’il vous plaît, pour mordre à même ces fruits et en extraire tout le suc, alors que vous ne voyez, en passant, qu’une tache intéressante…

Et elle mordait un abricot tombé à terre, et elle montrait à son compagnon la pulpe tranchée du fruit où les dents laissaient leur marque régulière et par où s’égouttait le jus succulent.

— Souventes fois, vous errez, vous autres femmes, dit M. de Fontcombes ; mais il est vraisemblable que sans votre ardeur goulue mille choses manqueraient d’être révélées.

Il discutèrent jusqu’à ce qu’ils fussent remontés à la grande allée des balustres, et là, ils s’assirent entre les lauriers, à l’endroit où Jacquette avait été un jour saluée de loin par le poète passant lentement sur son bateau. Elle ne raconta point cet épisode de sa vie secrète à M. de Fontcombes ; mais elle parla de Lui, ouvertement de Lui, à M. de Fontcombes.

Celui-ci était redescendu des régions sereines de la poésie et, comme il ne lui avait pas fallu longtemps pour se sentir épris de Mlle de Chamarande, il écouta, entre les lauriers et devant la triomphante vue, des aveux qui comblaient la jeune fille d’un indicible contentement et qui le torturaient, lui, de façon fort cuisante.

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