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Les nuits champêtres

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SECONDE NUIT.

Dieu.

Comme le ciel est serein & tranquille! Le calme de la nature pénetre tout mon être d'une crainte religieuse. La paix & le silence descendent majestueusement des cieux pendant le sommeil de l'homme; ils prennent l'instant de son absence pour faire le bonheur du reste de la nature. Mon esprit s'élance au-dessus de cette terre, elle fuit à mes yeux, elle n'est plus qu'un point, elle n'est plus. Je parcours l'immensité des cieux. Quel spectacle! Des mondes, des soleils innombrables se présentent en foule à mes regards effrayés. J'ai parcouru tout l'espace où mon esprit pouvoit atteindre, & c'est comme si je n'eusse rien parcouru. De nouveaux cieux m'offrent par-tout de nouvelles merveilles. Par-tout je suis au milieu de l'univers, & nulle part je n'en puis appercevoir les bornes.

Une ame invisible embrasse cette multitude infinie de mondes qu'elle produit & conserve sans cesse, elle y répand ordre, le mouvement & le bonheur. Elle dirige avec le même soin l'harmonie majestueuse des globes, & les organes de l'insecte qui échappe à mes regards.

Placé comme un point sur ce globe qui n'est lui-même qu'un point imperceptible dans l'immensité de l'univers, l'homme se demande à lui-même: Que suis-je? où suis-je? d'où suis-je venu? Il se regarde avec curiosité, se touche avec étonnement. Il regarde, il touche tout ce qui se trouve à sa portée. Il sent qu'il existe, il sent qu'il y a d'autres êtres qui existent hors de lui; mais tout le reste n'est pour lui qu'obscurité & ténebres. Il jette de tous côtés ses regards étonnés & incertains, une multitude d'apparences qui varient au gré de la lumiere & des vents semblent se jouer à chaque instant de sa crédulité. Il leve les yeux, l'éclat du soleil l'éblouit, l'immensité des cieux l'effraie, & ses regards découragés retombent sur la terre.

Tout-à-coup un bruit affreux se fait entendre: le soleil s'obscurcit; le ciel se couvre de nuages épais; l'obscurité se répand sur la terre; les vents furieux accourent de toutes parts; ils se rencontrent, se heurtent, se brisent avec fracas; & l'on entend rouler du haut des montagnes escarpées les arbres qu'ils déracinent. Bientôt l'éclair sillonne la nue, le tonnerre gronde, son bruit épouvantable se répete au loin dans les cavernes immenses des rochers; il gronde encore, la foudre tombe. L'homme épouvanté, cache son visage contre terre, la frayeur a glacé ses sens, & il n'éprouve que le sentiment confus de la terreur & de l'effroi.

Seroit-ce à ces signes effrayans que l'homme pourroit connoître l'existence d'un Dieu? Est-ce dans l'appareil lugubre de la destruction & de la mort, qu'un être sensible verra l'image du Bienfaicteur de l'univers? Non, non; son incertitude augmente avec son effroi, la crainte a resserré son cœur. Découragé, consterné, il n'ose plus s'interroger lui-même; il semble avoir oublié sa propre existence, & les oiseaux annoncent déjà le retour du soleil & le calme de la nature, que l'homme est encore couché sur la terre.

Mais bientôt l'aiguillon du besoin le force à changer de situation. Pressé par le sentiment douloureux de la faim, il cherche à le soulager. Il se leve en hésitant; un fruit que les vents ont abattu à ses pieds, se présente à sa vue, il y porte la main. Quel changement merveilleux! Une sensation délicieuse se communique rapidement à son ame, le charme du plaisir coule dans toutes ses veines, sa crainte s'évanouit, & il sent éclorre dans son cœur dilaté, l'espérance & la joie.

Aussi-tôt le plaisir fait naître la reconnoissance; l'idée d'un Être qui prend soin de son existence, se présente à son esprit. Ses yeux attendris, offrent de tous côtés à cet Être bienfaisant le vif hommage que son cœur lui rend, & le désir de le connoître devient un besoin pressant.

C'est ainsi que le plaisir & la reconnoissance donnerent à l'homme la premiere idée de l'existence d'un Dieu.

De nouveaux besoins lui font bientôt éprouver de nouveaux bienfaits, & l'idée d'un bienfaicteur se grave de plus en plus dans son ame, & le besoin de la reconnoissance agite de plus en plus son cœur. L'eau claire & pure d'un ruisseau étanche sa soif ardente, un sommeil bienfaisant fait circuler dans ses membres fatigués les charmes d'un doux repos. Il se réveille avec étonnement; mais c'est un étonnement mêlé de reconnoissance & de joie. L'univers n'est plus à ses yeux une scene d'illusions passageres: l'image riante du bonheur se répete dans tous les objets qui l'environnent, & la nature attentive à préparer les plaisirs, offre à ses yeux le plus intéressant, le plus ravissant de tous les spectacles.

Il est heureux, & il ne connoît encore que la plus petite partie des plaisirs qui lui sont destinés. Quels seront les transports de sa joie & de sa reconnoissance, lorsque son cœur s'ouvrira pour la premiere fois au doux besoin de l'amour & de l'amitié; lorsque la tendresse paternelle fera tressaillir ses entrailles; & qu'associé, pour ainsi dire, à la puissance de son Dieu, il verra des êtres vivans qui lui devront une partie de leur bonheur? Un être semblable à lui se présente à sa vue. Saisi d'un trouble plus vif & plus délicieux que tout ce qu'il a éprouvé jusqu'alors, il s'approche. C'est une compagne que le ciel lui envoie. Elle répond au langage de ses yeux, elle partage les transports qu'elle inspire. Leurs regards se confondent, leurs bras s'entrelacent, ils sont enivrés des délices de l'amour.

L'homme pourroit-il douter encore de l'existence d'un Dieu? Comblé de tant de bienfaits, enivré de tant de plaisirs divers, comment ne reconnoîtroit-il pas un Être au-dessus de lui qui veut son bonheur? Comment n'éléveroit-il pas avec transport ses mains vers le ciel, pour lui offrir le vif tribut de sa reconnoissance? Comment pourroit-il ne pas s'occuper sans cesse des moyens de le connoître de plus en plus?

Il examine toute la nature avec une curiosité plus attentive, il cherche de tous côtés cet Être bienfaisant que son cœur adore, il le demande avec empressement à tous les objets qui s'offrent à sa vue. Par-tout il voit des marques particulieres de sa bonté & de sa puissance, par-tout il reconnoît sa présence. Il le voit dans l'astre brillant dont les rayons fertilisent la terre; dans le développement des germes précieux qui la couvrent de biens; dans le retour périodique des jours & des nuits, des saisons & des années; dans les couleurs riantes qui varient à chaque instant le spectacle touchant de la nature: il le voit dans la multitude infinie d'animaux de toute espece qui se réjouissent de leur existence; dans leurs besoins, dans leurs plaisirs, dans leur industrie merveilleuse: il le sent dans le parfum agréable des fleurs: il le goûte dans la fraîcheur de l'eau qui le désaltere; dans la saveur agréable du fruit qui appaise sa faim; dans la douceur, les charmes & les caresses de sa compagne chérie; & surtout dans les sentimens délicieux qu'il éprouve lui-même. Il éprouve, il voit, il sent à chaque instant les effets merveilleux d'un Être plus grand que tout ce qui l'environne; d'un Être qui répand dans toutes les parties de ce vaste univers, l'ordre, la vie & le bonheur. Pénétré de respect, d'admiration, de reconnoissance & d'amour, sa pensée s'élance dans l'immensité de toutes les perfections possibles, & il connoît son Dieu, & toutes les vertus naissent dans son Cœur.

O jeune homme, si tu veux connoître ton Dieu, sors de ces temples obscurs où l'on peint cet Être bon avec l'appareil effrayant de la colere & de la vengeance; viens dans nos campagnes, & apprends à sentir cet Être suprême. Vois cette campagne couverte de ses dons, regarde cette terre où tu marches, ce ciel immense qui roule au-dessus de ta tête des milliers de globes étincelans. Voilà son temple. Il est rempli de sa grandeur. Ne sens-tu pas sa bonté descendre comme un grand voile sur toute la nature? N'as-tu pas éprouvé mille fois les caresses délicieuses d'une mere? ne t'es-tu pas senti pressé contre le sein d'un pere? le délire du sentiment n'a-t-il pas fait couler tes larmes? le plaisir d'être n'a-t-il pas rempli ton cœur d'une joie pure? Au milieu des peines cruelles qui sembloient t'accabler, n'as-tu pas senti des consolations divines verser dans ton cœur les joies de l'espérance? O mon ami, c'étoit ton Dieu; il est la source de tous ces biens, de tous ces plaisirs. Ils s'augmentent, ces plaisirs divins, à proportion que tu t'approches de cet Être suprême; ils diminuent à proportion que tu t'en éloignes pour courir après les illusions du vice. Tu erres alors comme un enfant qui s'est égaré de la maison paternelle, & la satiété du vice te fait désirer de rentrer dans son sein.

L'homme connoît son Dieu! hélas! il ne connoît encore que son existence; la nature, les attributs de cet Être infini lui sont cachés. O mon Dieu! ne puis-je donc connoître la source d'où me viennent tant de biens? ne puis-je donc pénétrer jusques dans le sanctuaire de ton essence divine, t'y contempler, t'y adorer?

O toi, univers brillant! ô vous mes semblables, enseignez-moi à connoître le Pere de la nature! Dites-moi où il est, comment il est; apprenez-moi comment ce torrent d'êtres de toute espece découle de sa puissance infinie.

Des hommes accourent de toutes parts, ils me promettent de m'apprendre tout ce que je veux savoir. O mes amis! ô mes freres! vous allez m'apprendre à connoître mon Dieu; parlez, parlez, mon cœur s'ouvre avidement à vos discours....

Hélas! la nature & mon cœur m'avoient appris une partie des choses que vous me dites, le reste me paroît obscur. Vous n'êtes point d'accord sur les choses que vous m'annoncez, & vous me menacez tous de la vengeance du ciel, si je refuse de vous croire. Puis-je croire que Dieu se sert d'un langage obscur pour instruire une créature foible & bornée? Le Dieu de la lumiere se manifeste-t-il donc au milieu des ténebres? Le Dieu de toute bonté se joueroit-il de ma foiblesse, en attachant mon salut éternel à des choses que je ne puis comprendre?

Non, non; Dieu pourvoit clairement à tous mes besoins, il m'éclaire sur tous les objets nécessaires à mon bonheur; je dois ignorer tout ce qu'il me cache. Lorsqu'une pierre se rencontre en mon chemin, Dieu m'a donné des sens pour l'appercevoir, une intelligence pour m'apprendre qu'elle peur me nuire, & la puissance de m'en détourner. Cet Être infini veille à chaque instant à la conservation de mon corps, & me force à y veiller moi-même. La douleur m'avertit de la présence des objets qui peuvent me nuire, la douce violence du désir m'entraîne vers ceux qui me sont utiles. Celui qui veille ainsi sur mon corps, abandonneroit-il au hasard le salut de mon ame? Aucun instinct, aucun désir ne me porte vers vos mysteres; l'idée même en est étrangere à l'homme. S'ils étoient nécessaires à mon salut, pourquoi l'enfant ne se porteroit-il pas avec ardeur vers les livres qui les contiennent, comme il se porte vers la pomme qui doit soutenir un instant sa vie? Pourquoi une suite d'actions répétées ne feroient-elles pas naître dans son jeune cœur un penchant irrésistible pour des livres si nécessaires à son bonheur?

La chenille sent l'approche de l'oiseau qui est son ennemi, elle se précipite du haut de l'arbre où elle étoit attachée, &, suspendue à un fil, elle échappe à la poursuite de l'animal vorace. Dieu prendroit-il plus de soin de l'existence de cette chenille que du bonheur éternel de l'homme? Auroit-il..... Mais, que vois-je? vos yeux étincellent, votre visage s'enflamme, la colere rugit dans vos traits, vous tirez tes poignards, vous me menacez. Barbares! vous vouliez m'instruire, & vous m'assassinez. Quoi! vous êtes les dépositaires des secrets de la Divinité, & vous égorgez vos semblables! Je fuis, je me dérobe à vos coups; & vous tournez les uns contre les autres vos bras sanguinaires. Bientôt vous soufflez dans tous les cœurs la rage qui vous anime. Vous vomissez la noire fumée de l'erreur; elle monte autour des trônes, & fait fuir la Vérité, la Justice & l'Humanité. Les rois, ces êtres foibles, qui oublient si souvent qu'ils ne font que des hommes, les rois prennent de vous des poignards; la fureur égare & trouble leur raison, ils méconnoissent leurs propres enfans, ils plongent, les barbares! ils plongent leurs mains dans le sang de leurs sujets.

O vous, victimes déplorables du fanatisme; citoyens vertueux, sujets fidelles & généreux; peres, époux tendres; enfans innocens; ombres malheureuses! racontez-nous les scenes horribles de cette nuit affreuse où la France déchira de ses mains le sein de ses propres enfans. Familles infortunées, vous dormiez dans le sein de l'innocence; la sécurité écartoit de vos cœurs les inquiétudes dévorantes; peut-être aviez-vous béni pendant votre repas le souverain que le ciel vous avoit donné. A peine le sommeil a-t-il fermé vos paupières, un bruit affreux vous réveille, on force vos demeures, des flambeaux lugubres font briller à vos yeux des glaives ensanglantés. On égorge vos enfans dans vos bras. Vous demandez des secours au nom de votre roi, c'est en vain, il a trahi tous les devoirs; c'est lui-même, c'est votre pere qui vous égorge; c'est par son ordre que vous expirez sur les corps pâles de vos amis, de vos femmes, de vos enfans.

Fuyez à jamais, systêmes affreux qui désolez la terre! l'Univers m'apprend qu'il y a un Dieu, mon cœur me dit qu'il me comble de biens; il a caché le reste à ma foible intelligence. Loin de moi le désir sacrilege de pénétrer son Essence divine. Mortel insensible, passe ta vie à entasser les uns sur les autres une foule de raisonnemens froids & barbares pour prouver son existence; divise à l'infini ses attributs indivisibles; fais-le s'irriter, se repentir, s'appaiser au gré de tes caprices; trouble la terre par les chimeres de ton imagination; fais trembler ces malheureux, s'il en est quelques-uns, qui ont besoin qu'on leur prouve l'existence de cet Être que toute la nature annonce; mais fuis à jamais loin de moi, mon cœur enflammé d'amour n'a pas de temps à perdre, il consacre tous les instans de ma vie à l'adoration de cet Être suprême: je sais qu'il existe, je sais qu'il est bon, je sais qu'il m'aime, je sais tout. Je cours remplir des devoirs chers à mon cœur, & chercher par-tout les occasions d'imiter sa bienfaisance & sa bonté.

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